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14/07/2009

Reims quatre saisons

 

 

                Campagne autour de Reims au fil des saisons

 

 

 

J'ai habité durant quatre ans dans un petit village au nord du département de la Marne, tout près d'une magnifique rivière l'Aisne. Cette dernière me laisse un souvenir fort. Je me souviens avec précision des promenades que nous effectuions le long de ses berges, lorsqu'elle était en crue. A ces moments, elle s'enflait à la manière d'un véritable fleuve large, rapide, de couleur sombre, qui dévalait en émettant une forme de sifflement, plus exactement de feulement. L'eau était si rapide qu'elle bruissait. Cette anecdote comme entrée en matière pour montrer que ces régions que l'on considère, souvent et à tort, sans caractéristiques particulières sont quand on sait les regarder, de véritables joyaux, qui peuvent faire passer des émotions au même titre que les grandes montagnes ou les mers.

 

 

 

Mon village se situait à 13 kilomètres de mon lieu de travail, au nord de Reims. Très souvent je m'y rendais et revenais à pied ou en vélo tout terrain. Ce qui m'a permis d’observer la succession des saisons au jour le jour, souvent aux moments les plus chargés d'émotion, le lever et le coucher du soleil. Cette région possède un passé historique riche, en particulier du fait des deux guerres mondiales, qui ont amené à deux reprises la destruction totale de mon village. Tout d'abord au cours de la première guerre mondiale, les Allemands l'ont occupé quatre longues années, de septembre 1914 après la contre-offensive de la Marne qui les a repoussés de Reims, jusqu'en octobre 1918 lors l'offensive américaine. Au cours de cette longue période, les Français qui tenaient Reims les ont bombardés en permanence, réduisant à néant toutes les maisons du hameau. Puis, durant la deuxième guerre mondiale, d'importants combats se sont déroulés en ce lieu et à nouveau le village a été détruit. On oublie facilement qu'en 1940 l'armée française s'est battue, bien qu'elle ait été submergée. La meilleure preuve, malheureusement de cette résistance, c'est le nombre de militaires français tués au cours de cette courte campagne de France.  Ils sont 100 000 à avoir donné leur vie au cours de cette déferlante allemande qui a duré deux mois.

 

 

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Tous les jours lorsqu'à pied ou à vélo je parcourais cette zone tellement marquée par l'histoire violente de nos deux pays l'Allemagne et la France, outre la joie de l'effort physique dans une nature toujours changeante, je ressentais de l'émotion en me remémorant ce que nos grands-pères et nos pères ont vécu sur cette terre de contraste. Ce préambule historique est indispensable, afin de vous livrer mes sensations et réflexions lors de mes traversées biquotidiennes de ces terres pour lesquelles je garde un amour profond.

 

Le fait d'avoir un métier qui vous amène à des déménagements fréquents, comporte un certain nombre d'inconvénients, mais cela permet de découvrir en permanence des régions que l'on ne connaissait pas, et même que l'on ne voulait pas connaître, ne leur trouvant aucun attrait. Et puis lorsqu’on s'y trouve, il faut s'adapter. Si l'on sait regarder la nature, l'adaptation se fait toujours beaucoup plus facilement. Et c'est ainsi que j'ai appris à découvrir au jour le jour cette belle région plate et en apparence sans caractéristique du nord du département de la Marne.

 

 

 

Je vais vous faire part de mon vécu au cours des saisons dans ces grands champs qui s'étendent au nord de Reims. Ces périodes pendant lesquelles je me retrouvais seul deux fois par jour à courir ou pédaler à travers la campagne m'ont enrichi sur bien des plans. Tout d'abord j'ai pris l'habitude de partir par tous les temps et de trouver du plaisir par toutes les conditions. Rapidement le pli est pris et l'on découvre en passant le pas de la porte le vent, le froid, la chaleur, le brouillard, le givre ou la neige, et chacun de ces éléments est différent à chaque fois. Savez-vous que les Esquimaux ont une vingtaine de mots différents pour décrire les divers états de la neige? Eh bien pour chacun des éléments constitutifs de la météorologie il serait possible de trouver de multiples adjectifs descriptifs en fonction des conditions. Une fois passé le pas de la porte et la première surprise des conditions du jour assimilée, le contact avec la nature s'établit, les muscles s'échauffent et le rythme s'installe. Le regard porte loin dans ces régions plates, et rapidement, aux aguets les sens en éveil, j’embrasse de vastes zones aux détails toujours changeants. Mais souvent lorsque le départ se fait de nuit ou par brouillard, les yeux ne pénètrent pas ces zones opaques, cependant l'esprit, lui, imagine ce qui s'étend devant. Ce voyage en aller-retour effectué chaque jour s'apparente à un rite initiatique me permettant le matin de me préparer en souplesse à la vie de fou de la journée qui m'attend dans une société qui a tendance à broyer les individus et le soir de me libérer d'une bonne partie du stress accumulé.

 

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Le printemps, la température commence à remonter après les rigueurs de la froide saison. La terre sèche, et cela est très perceptible dans cette région sur laquelle, j'ai tant lu de livres, décrivant la boue, grand fléau, qui engluait, et parfois tuait le poilu. La nature s'éveille et les herbes font craqueler de toutes parts ces immensités de terre nue. Dans cette zone plate, ces nouvelles pousses attirent tout particulièrement l'attention, elles participent au changement de la couleur du sol. Dès que ces végétaux, s'étant imbibés des premiers rayons de soleil printaniers, atteignent quelque hauteur la faune en prend possession. Les alouettes les colonisent. On peut les entendre chanter, mais il est difficile de les voir voler au-dessus des champs. De temps en temps de façon furtive il est possible de les apercevoir décoller ou plonger se cacher au ras du sol. Tout comme les animaux, les tracteurs aussi reprennent possession des lieux. La particularité de ces grands champs, qui furent aussi de vastes champs de bataille, tient dans le nombre très important d'obus qu'ils recèlent. Durant les quatre années, où ces étendues se trouvaient entre les lignes de tranchées, les Allemands et les Français les ont copieusement bombardées au gré des attaques et des contre-attaques auxquelles les deux belligérants se sont livrés. J'aurai l'occasion d'y revenir car c'est souvent plus tard dans l'année, lors des travaux en profondeur dans la terre que ces fruits de mort sont récoltés. Et puis au printemps, comme à l'automne, mes randonnées matinales et vespérales étaient synchronisées avec ces périodes de la journée, particulièrement belles, que sont le lever du soleil et son coucher. En effet, comme le commun des mortels, en temps normal, mon travail commençait vers les sept heures trente le matin et le soir se terminait généralement autour des 18 ou 19 heures. Donc tout naturellement mes randonnées quotidiennes me laissaient au printemps tout loisir d'observer l'aube et coucher du soleil. Cette saison outre l'éveil de la nature, a gravé en moi un souvenir profond, d’une part de ces départs au moment où la nuit va finir et de ces arrivées, une heure plus tard, en pleine lumière du jour, et d’autre part des retours, après une journée de travail,  me permettant de suivre avec attention l'installation de la nuit. Ce miracle chaque jour renouvelé du rougeoiement de l'astre du jour qui se lève et se couche. J'étais un spectateur particulièrement privilégié, toujours seul, je pouvais avoir l'illusion qu'il se livrait à ces démonstrations de beauté pour mon seul plaisir.

 

Le printemps, c'est aussi la période des giboulées, ces précipitations très caractéristiques et rageuses. Sur la plaine on en distingue les trains plus ou moins importants qui défilent, arrivant droit sur vous ou vous évitant. Lorsqu'elles vous frappent, elles vous font l'effet d'une douche froide et vous forcent à courber l'échine. Que la nature dans ces moments est belle à travers ses contrastes d'ombre et de lumière.

 

 

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L'été les blés mûrs ondulent à l'infini au gré de leur tête dorée sur cette terre blanche dure comme de la pierre. Effectivement ce sol, qui sait être boue très collante en hiver, se transforme en une matière très compacte en absence de pluie. Alors sur ce terrain ferme, les déplacements à vélo dans les herbes des chemins plats deviennent un véritable plaisir. Le mouvement parmi de grandes tiges à hauteur de guidon donne plus l'impression de flotter et glisser à la manière d'un bateau qui fend de son étrave un flot de graminées. Ces herbes, dans lesquelles on baigne littéralement frôlent et chatouillent les jambes, mais l'absence de pierres et d’aspérités sur ces grandes étendues dégagées laisse tout au plaisir de la progression dans cette substance végétale, qui n'est pas généralement le lieu de prédilection du deux roues. Cependant, la vigilance reste de rigueur, car il est inhabituel de ne pas voir le sol lorsque l'on roule. Il arrive parfois que quelques ornières, traitreusement cachées, vous déstabilisent, mais étant toujours orientées dans le sens de la progression le réflexe est vite pris pour les négocier sans difficulté.

 

 

 

Le canal de la Marne, traçant sa ligne droite à travers les cultures, offre aussi tout au long de cette saison de belles émotions à vélo. Le longer en suivant le chemin de halage, au petit matin ou en fin d'après-midi les jours de grosse chaleur, procure une multitude de surprises enthousiasmantes. En effet, la bicyclette de par son mouvement sans vibration sur le sol, permet souvent de voir les poissons avant qu'ils ne vous détectent et ne s'enfuient en laissant un gros remous à la surface. Alors brochets, carpes et autres habitants de ces eaux calmes se laissent entrevoir, de façon très distincte, avant de se dérober au regard curieux  en plongeant vers des fonds obscurs. Pouvoir mettre un nom sur le fuyard laissant son gros rond sur le miroir du canal me plaisait énormément.

 

 

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L'été c'est aussi bien sûr l'époque des orages, et sur ces terres surchauffées, ils peuvent être terribles. Au cours de mes traversées en fin d'après-midi par temps menaçant, il m'arrivait de ressentir un engagement comme lors d'une ascension sur une montagne. On réalise dans ces moments notre petitesse. Avancer entre des trains de nuages déversant au hasard des éclairs que l'on voit frapper le sol procure des sensations puissantes. On a beau se dire que statistiquement, la probabilité d'en recevoir un est faible, on a tendance à accélérer le rythme pour rejoindre au plus vite le village dont on voit les toits flotter au loin au-dessus des épis de blé, recouvrant cette terre qui s'étire à l'infini. La grandeur et la brutalité de la nature apparaît dans toute son ampleur, et dans ces instants nul besoin de se trouver en pleine mer ou dans la face nord des Drus pour se sentir vivre. J'ai découvert ce paradoxe, qu'il était possible dans des contrées que l'on pense débonnaires de ressentir un engagement face aux caprices de la nature similaire à celui rencontré en montagne. La même sensation de danger vous étreint, tous sens en éveil. Les éclairs claquent dans les champs, très distinctement les traits de foudre atteignent le sol. Dans ces moments, le regard est fixé dans le lointain vers le hameau, qui devient le point de focalisation unique vers lequel on espère trouver la sécurité. Me restent très précisément gravés en mémoires les contrastes entre nuages noirs, blés éclatants et éclairs rajoutant un trait de lumière par-ci par-là au hasard du tableau, dans ce vaste horizon.

 

 

 

L'été c'est aussi les immenses champs de fraises sur les collines au second plan et la foule des ramasseurs à genoux remplissant leurs cageots. Une année nous avions hébergé une Mexicaine d'une famille très aisée. Elle s'imaginait qu'en France, qu'elle considérait, à tort sans doute, comme un pays très riche, le moindre travail devait rapporter un joli pactole. Elle était donc intéressée par le ramassage des fraises. Par des amis nous la faisons embaucher. Après une demi-journée de cueillette elle est revenue éreintée, les genoux griffés et très dépitée de n'avoir récolté à l'époque que quelques francs. Les paysans du coin ont rigolé pendant longtemps des mésaventures de notre belle Mexicaine. En effet, à la voir grande blonde aux yeux clairs on ne se doutait pas de sa nationalité. Elle descendait d'émigrants des pays nordiques.

 

 

 

L'été c'est encore la ronde des énormes moissonneuses batteuses qui se déplacent dans de grands nuages de poussière, remplissant de pleines bennes de grains, sous l'œil interrogateur des cultivateurs qui jugent de la qualité et de la quantité.

 

 

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Avec l'automne arrivent les premiers rafraîchissements de l'air qui rendent toute sa limpidité à l'atmosphère. Puis viennent les premiers froids qui donnent naissance aux brouillards. J'utilise à dessein le pluriel, car comme les neiges des Esquimaux, ils sont multiples. Je les classerai en deux grandes catégories, ceux de faible hauteur qui permettent de voir par dessus, vous laissant la tête en quelque sorte hors des nuages, et puis ceux dans lesquels l'immersion est totalement, et qui limitent plus ou moins en fonction de leur opacité la vision horizontale et verticale. Cette saison par excellence, c'est celle des illusions, des perceptions de distances erronées, par le jeu de ces brumes aux formes et aux densités très variées. Par exemple le brouillard peut ne constituer qu'une mince couche au sol de quelques centimètres. Au petit matin en courant sur cette fine pellicule dense il m'arrivait de perdre le sens de la dimension des objets et des êtres. L'un de mes repaires au cours de mes courses matinales était la colline de Brimont, gros tertre boisé légèrement au sud ouest de mon axe de progression. Un matin froid de fin d'automne au-dessus de cette couche de brume qui masquait le sol, je vis la colline émerger, mais rapidement du fait de la perspective se modifiant au cours de mon déplacement, je constatai une anomalie. Effectivement, elle était de taille. Ce que je prenais pour la colline de Brimont, située à six ou huit kilomètres, était en fait un tout petit mouvement de terrain dans un champ et se situait à quelques dizaines de mètres seulement. Une autre fois je regardais une drôle de motte de terre à proximité qui émergeait de ce fin brouillard. Mais aurais-je la berlue! La motte de terre se mit à bouger et sa forme se modifia. Il lui apparut de grandes oreilles et elle détala au pas de course. Il s'agissait d'un lièvre couché à même la terre dont j'avais pris l'arrondi du dos pour un mouvement de terrain. Si je n'avais pas vécu de telles expériences je ne pourrais admettre que selon les conditions on puisse avoir de telles illusions.

 

Ces périodes pleines de sensations étranges, où la nature se jouait de mes sens, étaient les plus propices au travail de l'imagination. Tout naturellement cela me ramenait à la première guerre mondiale, où à cet endroit même Français et Allemands s'étaient âprement affrontés durant quatre ans pour la possession de cette terre. J'imaginais au ras du sol quelques poilus rampant à couvert du brouillard pour s'approcher de la tranchée ennemie afin d'y semer la mort. Dans leur déplacement lent, peut-être ce qu'ils confondaient avec des mouvements de terrain ce n'était pas des lièvres qui avaient déserté ces lieux de bruit et de fracas, mais les corps de camardes ou d'ennemis gisant. Et tout ce monde imaginaire, que je voyais vivre, était rendu d'autant plus réel par les fragments de matériels qui à cette époque de l'année ressortaient du fait des labours et de la récolte des betteraves. Généralement il s'agissait d'obus que les paysans déposaient en bordure de champ à la manière de petits tas de bûches. Je me souviens que de mon jardin à l'orée d'un petit bosquet d'acacias, je distinguais, ce que je croyais être un petit stock de billots de belle dimension, quelques mètres de large et un de hauteur. Puis un jour passant par là à vélo, j'eus la surprise de constater qu'il s'agissait d'un amas de munitions de gros calibre. Pour se faire une idée du nombre d'obus enfouis dans ces coins de France, il suffit d'avoir en mémoire que les deux belligérants les ont copieusement arrosés durant toute la guerre et que l'on considère qu'un obus sur trois n'explosait pas, mais s'enfonçait très profondément dans cette terre en permanence retournée.  Il m'est arrivé aussi de voir autre chose que des obus, des restes de baïonnettes, de pipes, de morceaux de casques troués d'une balle. A ces moments la guerre de 14 me semblait très présente, j'avais l'impression d'y baigner, qu'elle m'imprégnait. Avec beaucoup d'émotion et de gravité je continuais ma course dans ces espaces aux dimensions aléatoires où les époques se télescopaient. Rarement lieu, de l'Himalaya à Persépolis en passant par l'Atlas marocain ou bien une tempête de nuit en mer à bord d'un petit voilier ne m'a laissé un souvenir d'une telle intensité.

 

 

 

Enfin l'hiver, la saison de loin la plus austère, déversait à son tour son lot de sensations. Aux longues périodes de mauvais temps succédaient de puissants anticyclones accompagnés d'un brouillard épais, qui effaçait toute distance. Cependant à la couleur légèrement gris bleu du ciel on sentait que le soleil n'était pas loin. Mais cela pour beaucoup était un facteur aggravant, car si près et pourtant incessible restait l'astre du jour. La faible durée des journées souvent ne permettait pas la disparition des brumes. L'hostilité de la saison se caractérisait aussi pour moi, par le fait de faire mes trajets quotidiens entièrement de nuit. Certains jours la boue était tellement épaisse et collante que la pratique du vélo était impossible en dehors des routes, quant à la course à pied, elle se transformait en une véritable épreuve, avec des kilos de terre accrochés sous les semelles. Elle collait un peu à la manière des grosses boules de neige mouillées que l'on roule et qui deviennent démesurées, et surtout d'un poids qui bloque toute possibilité de les déplacer. Très rapidement, de cette boue compacte j'en étais complètement couvert, et il m'arrivait pour y remédier de porter un k-way complet, ce qui permettait plus ou moins à la terre de glisser et de ne pas trop m'alourdir. Cependant malgré les apparences ces immersions dans la nuit brouillardeuse et dans la boue me procuraient un vif plaisir. Cela le laissait aussi imaginer les conditions endurées en ces lieux durant les longues années de guerre. Dans cette bande d'une dizaine de kilomètres que je traversais tous les jours, l’image des soldats cloués au sol ou errant dans cette zone entre les tranchées était très présente à mon esprit. Des hommes avaient passé de longs hivers dans ces conditions terribles, en danger de mort permanent, et pour eux il n'y avait pas de douche deux fois par jour. Souvent je me demande comment ils pouvaient tenir. J'ai lu un livre très intéressant qui s'intitule «Pourquoi ont-ils tenu?». Les raisons en sont multiples et il n'y avait pas que la peur d'être fusillé en cas de désertion ou le patriotisme. Les causes en sont plus subtiles mais la relation entre les hommes et surtout la camaraderie ont joué un grand rôle.

 

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De nuit sans visibilité il ne m'était pas toujours facile de garder le bon cap en direction de la ville. La principale difficulté provenait du fait qu'à cette saison les chemins et les champs cultivés se confondent. La boue qu'elle se trouve dans les uns ou les  autres, ça reste de la boue. Sans visibilité, sous un ciel bas de nuit, lancé à l'aventure à travers cette terre uniforme collante et sombre comme du charbon, ayant perdu toute trace de chemin, l'orientation devenait parfois difficile. Alors je m'arrêtais, écoutais et regardais vers l'ouest en direction de la route menant à Reims. À travers le bruit étouffé par le brouillard ou grâce au léger halo de lumièree des phares des véhicules, que parfois je distinguais dans le lointain, je réussissais à rester sur mon axe. Il m'est cependant arrivé, rarement, de me retrouver à proximité de la ville avec une forte dérive, que je compensais en suivant les clôtures de la base aérienne. Que cette situation était étrange mais comme j'en tirais du plaisir.

 

 

 

J'ai pu constater au cours de cette saison que les nuits vraiment noires sont très peu nombreuses. J'appelle nuits vraiment noires, celles au cours desquelles, lorsqu'après un long moment d'accoutumance des yeux à l'obscurité, on ne discerne pas le contour du moindre objet à plus d'un mètre. Généralement de nuit, une  lumière ténue permet lorsqu'on est vigilant de distinguer très légèrement ce qui se trouve dans un périmètre de quelques mètres. Par nuit vraiment noire, conjonction de mauvais temps, d'absence totale de lune et d'éloignement de toute agglomération, on ne voit vraiment plus rien. Ces conditions de noir total n'étaient réunies que quelques nuits par an. Tel un aveugle j’avançais  au jugé, toujours très tendu à l'idée de butter sur un obstacle. Le long de mon parcours, il arrivait que des cultivateurs laissent des engins agricoles, par exemple des herses. A l'idée de les percuter je redoublais de vigilance et suivant les endroits, je ralentissais mon allure, je retenais mes pas en petites foulées précautionneuses dans l'attente de percuter un obstacle métallique. Dans ces conditions, l'instinct plus que la  vision permettait de matérialiser l'environnement. J'avais un peu l'impression de retrouver les perceptions sensorielles plus développées chez nos ancêtres que chez nous, hommes modernes. Dans ces instants je faisais partie intégrante de cette nature hostile, opaque, froide et mouillée. Ces expériences m’ont appris que de conditions adverses naissent les plus belles et grandes émotions.

 

 

 

 

 

Lorsque j'arrivais sur mon lieu de travail ou chez moi, je ressemblais à une statue de terre. Nombreux étaient ceux qui me prenaient pour un fou. Mais s'ils avaient pu imaginer le plaisir qui naît de la confrontation avec la nature lorsqu'elle se montre un tant soit peu hostile!

 

 

 

L'hiver c'était aussi ces périodes de gel par temps de brouillard, ou tout obstacle se couvrait d'une magnifique parure de givre. On se serait cru dans un conte fabuleux, et je recherchais les elfes et les Nibelungen. Sur ces terres glacées, comme des ombres gracieuses et furtives, les chevreuils s’élançaient et disparaissaient dans les nuées. Comme j'ai aimé ces balades presque irréelles par des températures très basses, parmi ces fantômes de végétation éclatants de givre surgissant de la grisaille et y replongeant aussitôt, au rythme du coureur. Ces conditions rigoureuses n'enlevaient rien au confort et au bien-être que prodigue la chaleur des muscles en action. Là encore je ressentais que mon corps était bien adapté à l'hiver et à ses rigueurs, ce qui faisait naître une vive sensation de plaisir.

 

 

 

Ce pays aux contrastes accentués, cette terre chargée d'histoire, sachant au gré de l'année prendre des visages très différents, des plus chaleureux aux plus rébarbatifs, je l'ai beaucoup aimée. Ses habitants aussi étaient toujours accueillants. Cette région, je l'ai quittée depuis un peu plus de vingt ans, j’en ai connu beaucoup d'autres très belles en France et à l'étranger, mais je garderai toujours très vivante en moi cette émotion que faisaient naître en moi ces vastes zones plates.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                       

12/06/2009

Premier voyage à vélo, tour de Corse et de Sardaigne

 

Corse Sardaigne à vélo

 

Un mois à vélo à travers ces deux îles, projet très tentant que j'ai tout de suite accepté. Il faut dire qu'avec Jean on est sûr que ça va «rouler», en effet il a une très bonne expérience des grands voyages à vélo, tour de l'Adriatique, tour de Turquie etc... Le plan est simple: en partant de Bastia remonter le Cap Corse puis descendre la Corse par sa côte ouest, prendre le bateau à Bonifacio pour Santa Teresa, puis longer la côte ouest de la Sardaigne jusqu'à Oristano, mettre le cap sur le centre de l'île, grimper le point culminant au passage, rejoindre la côte est et la remonter jusqu'à Santa Teresa, rejoindre à nouveau Bonifacio, d'où direction Porto Vecchio et de là attaquer directement à travers les montagnes jusqu'à Bastia par Zonza, Ghisoni et la Castagniccia en escaladant une multitude de cols. Le tout devant durer à peu près mois. Les deux parties du trajet en Corse seront effectuées à deux et le parcours en Sardaigne à quatre. Les deux autres protagonistes arriveront et partiront de Porto Torres. La longueur des étapes, en fonction des conditions météorologiques, des dénivelés et autres facteurs variera de 50 à 110 kilomètres. L' hébergement sera principalement effectué en camping. Autant les côtes sont assez bien pourvues en terrains de camping, autant le centre des îles n'en possède pas beaucoup, surtout aux mois d'avril et mai beaucoup ne sont pas encore ouverts. En effet le départ de Bastia est fixé le 26 avril et l'arrivée à cette même ville est prévu aux environs de la dernière semaine de mai.

 

C'est mon premier voyage à vélo. Pour le matériel, celui que j'emporte pour de grandes randonnées à pied devrait suffire. Pourtant, malgré ce principe de base simple, au lieu des 10 kilogrammes habituels, je me retrouve avec plus du double. Deux sacoches arrières sur lesquelles je pose mon sac north face, une petite sacoche de guidon et tout tient sans IMGP5803.JPGproblème, mais l'ensemble dépasse largement les 20 kilos. Mon vélo un trek cadre alu, sur lequel le vendeur de cycles m'a mis un très bon matériel en particulier des roues particulièrement solides aux pneus de petite section mais renforcés kévelar, avec des roulements performants. Dans les descentes mes camarades pédalant je me contenterai souvent de me laisser aller en roue libre. Je précise que ce vendeur de cycles sur les quais de la Saône à Lyon j'y suis allé grâce à une question posée sur Voyage Forum.

 

Rendez-vous fixé avec Jean le 24 avril chez ma cousine à Nice. Le lendemain nous rejoignons le bateau qui part à 14heures30. Pour la première fois de ma vie je pilote un vélo avec sacoches. Au cours des premiers kilomètres pour se rendre au port en pleine ville, je donne sans doute l'impression d'être un peu éméché, en effet la maîtrise de l'engin avec quelques 25 kilogrammes sur le porte-bagages n'est pas innée. Sans incident cependant nous atteignons le point d'embarquement. Heureusement que nous voyageons avec Corsica Ferries car la compagnie française concurrente est en grève. La traversée s'effectue sans encombre par beau temps, mais un peu couvert en arrivant, prémices de mauvais temps pour les jours à venir. Débarquement de nuit, je ne trouve pas ma frontale et je n'ai pas d'éclairage, mes roues sont sous-gonflées, toutes les erreurs basiques du néophyte! Les 6 premiers kilomètres en direction du Cap Corse sont un calvaire, je ne vois pas les trous et aspérités sur la chaussée, de plus ma jante cogne en écrasant la chambre à air. Heureusement le supplice ne dure pas, car un camping nous accueille exactement à 5,5 kilomètres de notre point d'arrivée. Pas grand monde, nous passons une bonne nuit après avoir avalé notre ration de pâtes. Première nuit d'une longue série au cours desquelles les oiseaux nocturnes puis les diurnes au lever du jour nous régaleront de leurs chants aux multiples modulations. Pas un éveil au cours de ce mois sans ces concerts quotidiens, certains même pour ne pas se réveiller dès cinq heures mettront des boules quiès!

 

26 avril

Un jour blafard se lève, bien en accord avec les prévisions météo des plus pessimistes. Nous avons le temps de plier nos affaires avant la pluie, mais tout juste. En effet dès que mon vélo est prêt je cours me mettre à l'abri en le poussant. Après quelques mètres la roue arrière est bloquée. Que se passe-t-il? Aïe! Un tendeur accroché dans les rayons, le crochet aux trois quarts arraché, le tout enroulé plusieurs fois autour des pignons. Le métier de cyclotouriste rentre par ce genre de petites erreurs. Un tendeur qui pend ça ne pardonne pas.

L'étape prévue est conséquente, en effet nous espérons rejoindre Saint-Florent en passant par le Cap Corse, une bonne centaine de kilomètres. La température est fraîche, idéale pour le vélo. La végétation est luxuriante, signe qu'il a beaucoup plu cette année. Le bord des routes aussi bien en Corse qu'en Sardaigne sera un enchantement permanent du fait des myriades de fleurs qui tel un tapis merveilleux nous accompagneront au cours des 1900 kilomètres de notre périple. La route domine la mer, ce qui permet un joli spectacle sur les flots gris couleur de plomb, ponctués de temps à autre de touches vert pâle trahissant la présence de bancs de sable. Les premières gouttes ne tardent pas à faire leur apparition, mais notre moral n'est pas entamé. Les sacoches et mon sac sont étanches, tout du moins c'est ce que je crois, et je n'ai pas pris la précaution de répartir mes affaires IMGP5759.JPGdans des sacs plastiques. Eh oui! Il faut que le métier rentre. Nous passons une magnifique crique au sable noir, dominée d'un joli village aux couleurs vives, qui rehaussent la grisaille de ce premier matin d'un mois d'errance. La pluie se renforce. On s'arrête dans un bistrot , boire un café et faire le point. Deux couples de Canadiens aux vélos bien équipés passent et ne semblent pas perturbés par le temps, à entendre leurs éclats de rire. On ne va peut-être pas pousser jusqu'au Cap Corse dans ces conditions. Nous coupons par le col de Santa Lucia, à peu près aux deux tiers de la distance du cap. Première montée, 380 mètres de dénivelé. Malgré les 25 kilogrammes de bagages ça se passe bien, petit plateau grand pignon, tranquillement à 8 à l'heure le terrain défile. Mais je n'ai pas vraiment le loisir de contempler le paysage, j'ai comme on dit la tête dans le guidon. Le col atteint, une belle descente nous attend, mais la pluie guette aussi, et le froid se fait tout de suite sentir avec la vitesse. Une fois sur la côte ouest, le spectacle est magnifique. La pluie, les nuages accrochés, les rochers frangés d'écume et la mer sombre donnent une touche d'austérité au paysage. A midi complètement trempés nous effectuons une halte dans un restaurant suspendu au-dessus de la mer, qui possède une salle voûtée de belle facture. Un bon steak nous réchauffe. Retour sous la pluie qui diminue et s'arrête lors de notre arrivée à Saint-Florent. Cette première étape de 85 kilomètres n'a occasionné aucune fatigue. Mon vélo me semble très bien , souvent j'ai plus l'impression de glisser que de rouler tellement le mouvement est souple. Installation dans un camping à l'entrée de la ville, à cette époque les clients ne se bousculent pas encore . Notre arrivée est l'occasion d'une bonne rigolade. En effet l'homme à la réception me demande ma carte d'identité, en lisant ma nationalité française, il me regarde et dit « Vous êtes français comme moi» et il rit franchement. Je reste dubitatif ne sachant pas si c'est du lard ou du cochon (un comble en Corse). Cependant lorsque je relate l'anecdote à Jean on se marre un bon coup. Sans bagage, donc très légers, nous partons visiter la ville. La citadelle, grosse bâtisse circulaire, qui IMGP5763.JPGdomine le golfe,permet une belle vue circulaire. Construite en 1440, elle fut au gré des périodes génoise, aragonaise, française, anglo-corse, italienne et aussi bien sûr corse. Comme la plupart des villes de Corse et de Sardaigne que nous allons visiter, nous constatons que ces régions étaient très convoitées et que de nombreux peuples se les sont disputées, chacun les possédant de temps à autre en fonction des fortunes de guerre et des alliances. Qu'il est doux de déambuler à vélo par un temps somme toute redevenu clément, bien que de gros nuages sombres rôdent encore sur les reliefs. Revenons à des questions plus terre à terre, avec quoi notre repas du soir sera-t-il arrosé? Jean a la bonne idée d'acheter du Patrimonio au détail, mais n'ayant pas de bouteille, il met ce magnifique vin rouge dans son bidon. La soirée et le dîner sont agréables et le litre de Patrimonio passe de vie à trépas.

 

27 avril

Après une bonne nuit, le réveil aux chants des oiseaux est un régal, de plus il ne pleut pas. Aujourd'hui début de parcours par la traversée du Désert des Agriates. En montant le premier col, Bocca di Vezzu, qui culmine à 311 mètres une bruine légère commence à tomber. Progressivement elle évolue vers le déluge. Moi qui pensais qu'un désert était garant de sécheresse! La descente sur Île Rousse est un supplice face à un vent violent, cinglés par des gouttes énormes. 50 kilomètres à l'heure sur chaussée détrempée nécessite de l'attention, mais une seule idée me hante, que ce calvaire s'arrête le plus vite possible. Le froid me tétanise, on est beaucoup plus sensible à ces variations de température à vélo qu'à pied, tout particulièrement en descente. Les derniers kilomètres avant la ville en bord de mer sont éprouvants, arque boutés sur les pédales, complètement essorés nous nous traînons lamentablement à 10 à l'heure tellement les rafales de vent et de pluie sont puissantes. Au centre du village arrêt d'urgence dans un petit bar qui nous fait à manger. Les rues se sont transformées en rivières et aucun signe d'apaisement n'est en vue. L'étape d'aujourd'hui s'arrête ici avec seulement 47 kilomètres enregistrés au compteur. Nous prenons une chambre d'hôtel et faisons sécher nos affaires. Je constate que mes sacoches et mon sac ne sont pas totalement étanches, et il va me falloir revoir ma stratégie de conditionnement de mes habits et de mon matériel de couchage, le métier rentre doucement, les petits revers sont formateurs. Les Corses au cours de cet après-midi de fin du monde nous diront qu'ils n'ont jamais vu un temps pareil. Il pleut maintenant depuis six mois. Si ça doit continuer on a du souci à se faire pour notre balade. De plus le tonnerre s'y met! Nous nous endormons bercés par les gouttières qui débordent.

 

28 avril

Il ne pleut pas. La journée commence bien, le patron très gentiment nous offre le café. L'étape de ce jour sera musclée. Il nous faut récupérer la distance non faite hier, donc au programme arriver à Porto. Rapidement Calvi est atteinte. Nous prenons le temps de IMGP5768.JPGvisiter cette magnifique cité. La citadelle haut perchée sur son rocher offre une vue époustouflante. Après un pique-nique rapide 85 kilomètres nous attendent, constitués de beaucoup de côtes et en prime avec le vent dans le nez. Nous optons pour les petites routes et prenons la D81, serpentant au-dessus de rochers acérés qui plongent dans la mer. Ce vent qui nous freine, ce qu'il est bon de le sentir sur son visage, ses bras et sur tout le corps. Le voyage en s'exposant aux aléas du climat apporte réellement une dimension de plus à l'expérience. Il n'y a pas que l'effort physique qui procure du plaisir mais aussi ce contact sensuel avec les éléments. Il faut garder toute sa vigilance pour résister aux coups de boutoir du vent, qui arrivent de façon aléatoire. Derrière une vitre de voiture le spectacle est le même mais il manque ce tutoiement avec la planète et ses IMGP5769.JPGcaprices. Les lendemains de tempête, l'air a une limpidité qui fait ressortir les couleurs et accentue leurs contrastes. En particulier, les très nombreuses fleurs dans ce décor encore tout humide brillent de mille feux, où domine le jaune ponctué des tâches rouges des coquelicots. Cette départementale, très sauvage et peu parcourue à cette époque longe la mer puis s'enfonce dans les terres. Elle est en permanence coupée de petits ruisseaux, conséquence des très fortes précipitations de ces deux derniers jours. Ce qui est extraordinaire sur ces routes corses, c'est que tout en longeant la mer, on peut contempler à proximité de belles montagnes enneigées, qui se découpent sur le ciel.

A 15 heures, nous arrivons à proximité de Galéria qui se situe dans un cul de sac. Le chemin pour Porto est encore long. Une grimpette de 11km pour quatre cents mètres de dénivelé nous fait peiner. Ensuite il reste plus de quarante kilomètres à parcourir qui ne sont pas uniquement en descente. Alors que nous sommes encore à trente deux kilomètres de Porto, son petit golfe semble tout proche. C'est compter sans les interminables détours le long des courbes de niveau. C'est digne du nord de l'Albanie, et si IMGP5777.JPGmoi je ne l'ai parcouru qu'en voiture, Jean lui a circulé dans ces contrées reculées à vélo. Un peu avant d'arriver à Porto la route passe entre de grandes falaises de roche rouge, du porphyre, permettant par endroits des points de vue vertigineux sur une côte déchiquetée et frangée d'écume. Le gros avantage du vélo sur la voiture, le long de ces routes très étroites et tortueuses, consiste dans le fait que l'on peut toujours s'arrêter pour profiter d'un beau point de vue. Les derniers kilomètres nous donnent bien du mal en nous opposant des pentes rudes. Enfin la petite ville de Porto se trouve à nos IMGP5779.JPGpieds. Qu'elle est belle avec sa baie envahie de grosses vagues et sa tour sarrasine sur son éperon rocheux! L'étape a été de 109 kilomètres et le plaisir d'être arrivés est évident. Dernier supplice, rejoindre le camping par un chemin de grande raideur, je pousse le vélo. Soirée agréable, comme précédemment, à cette époque les campings sont presque déserts. Juste au-dessus de nous le Capu d'Ortu, culminant à 1294 mètres pratiquement sur la mer, nous laisse admirer sa vaste face ouest éclairée par le soleil couchant.

 

29 avril

 

Durant la nuit il a un peu plu, pourvu que le déluge des premiers jours ne fasse pas un retour. Le ciel reste chargé mais aucune goutte ne se fera sentir de toute la journée. Le départ est brutal et sans mise en jambe. Au cours des six premiers kilomètres la route s'élève de cinq cents mètres, mais petit plateau et grand pignon, tranquillement ça monte. Le lieu est l'un des plus touristiques de l'Île de Beauté, les fameuses Calanches de Piana. Beaucoup de monde, motos, voitures et cars ainsi que deux autres vélos. Je décide de IMGP5790.JPGm'arrêter pour faire une photo, je n'arrive pas à décliper mes pédales et je fais ma première chute. L'arrivée au sol est violente, mais heureusement les bagages amortissent en partie le choc, cependant je me blesse légèrement à la jambe avec les plateaux. Je n'arrive pas à me relever car mon pied reste rivé à la pédale. Un grand balèze qui a assisté au spectacle, me prend dans ses bras et me remet sur pieds, mais il manque me lâcher avant que ma chaussure soit décoincée, donc il était moins deux pour que je remette cela. Je le remercie en lui disant «Comme il est bon de se trouver dans les bras d'un grand costaud». Tout le groupe qui l'accompagne éclate de rire. Le site est splendide, d'immenses parois nous surplombent alors que celles situées sous la route dominent la mer de plusieurs centaines de mètres. Des rochers aux formes étranges ajoutent au pittoresque du lieu.

Le parcours jusqu'à Ajaccio se passe sans encombre sur une route toujours splendide. L'arrivée dans la ville est rébarbative à cause d'une circulation dense. Nous fuyons et rejoignons, par une route à circulation rapide très désagréable, un camping à proximité de l'aéroport. L'étape de ce jour est de 92 kilomètres.

 

30 avril

 

Aujourd'hui encore une très belle étape par une petite route peu fréquentée nous attend. Dans ces conditions le vélo est un sport très agréable et un moyen de voyager génial, même s'il ne procure pas le degré de liberté de la marche, qui elle s'affranchit de la route. Grosse forme, je pars comme un «calu», Jean qui a l'expérience sait que cela n'aura qu'un temps. Je découvre le plaisir de pédaler à un bon rythme, et de voir défiler les kilomètres. Ce matin cette vitesse est d'autant plus agréable, que nous avons un vent favorable et que la route longe le bord de mer depuis Porticcio. Nous quittons le bord de l'eau et une première côte sévère bloque net le mouvement. Puis contre toute attente nous entamons une descente raide et assez mal pavée, et nous voilà de nouveau sur la plage. Interrogation? Nous nous sommes trompés dans la montée du col de Cortonu. Que faire? IMGP5798.JPGRemonter? Ma carte au 100 000, datant de 1985, indique qu'un chemin contourne par l'ouest le col et conduit de nouveau sur la D55a un peu plus loin. Après tout, nous cherchons les petites routes et bien allons-y! Jean est toujours fana pour ce genre de variantes, ça lui rappelle ses virées dans des contrées lointaines. Oui nous le trouvons notre chemin, mais depuis vingt ans le progrès est passé par là et il est goudronné. Cependant son tracé est resté le même, et souvent les chemins ça ne cherchent à faire des détours, il attaque tout droit dans la pente à plus de 10%. Jean s'envole, je mets un point d'honneur à ne pas mettre pied à terre et appuie sur les pédales. Ne pas tomber en dessous de six à l'heure car la limite de l'équilibre se situe à 5,5 voire cinq, et un déséquilibre avec les pieds rivés j'en connais le résultat! Là les 25 kilos de bagages je les sens. Je n'en reviens pas, pourquoi je suis capable de traverser les Pyrénées à pied avec moins de 10 kilos et que je me retrouve ici chargé comme un camion? Les besoins sont presque les mêmes à pied et à vélo, le couchage et les habits le reste c'est du superflu. Il faut peut-être dire que j'ai de quoi pêcher ainsi que masque et tuba, et aussi plusieurs livres. À pied on restreint le matériel de façon plus drastique. De petites dérives en petits excès on se retrouve accablé comme une mule. Le plus cocasse c'est que pour la norme cyclotouristique je ne suis pas tellement chargé.

Enfin nous voilà de retour sur la route initialement prévue, mais que ce détour était joli. Là, à vélo et à pied je fais la même constatation, au cours des erreurs d'itinéraire on voit généralement de très belles choses et on ne regrette surtout pas de s'être trompé. Une belle descente se présente, logique le col est derrière, et c'est reparti grand braquet, que du plaisir. Nous arrivons à Acqua Doria toute petite localité perchée. Une épicerie bar nous accueille, quelques achats et un café pris sur la terrasse offrant un panorama vaste dans toutes les directions. Je découvre sur une étagère de cette petite échoppe un vin qui m'intrigue tellement que je fais la photo de l'étiquette. Sur cette dernière on peut lire: vin IMGP5800.JPGde Merde, le pire... cache le meilleur. On y croit pas à la première lecture et donc on recommence! Mais si c'est bien écrit cela. Pour compléter, des fois que l'on ait pas compris, dans le coin droit de l'étiquette se trouve une belle grosse mouche bleue sans doute du meilleur et non du pire effet! Un peu plus loin nous faisons une halte et pique-niquons bien installés au soleil, moment très agréable passé à se raconter une multitude d'histoires. En effet si nous pratiquons des sports généralement différents actuellement, nous sommes tous les deux alpinistes au départ, et plusieurs dizaines d'années d'escalade ça formate. Nous repartons par de minuscules routes à travers une campagne verdoyante, on ne se fait pas cette idée de la Corse. Les pluies qui s'abattent sur l'île depuis des mois lui donnent un côté luxuriant et partout de grandes herbes bien vertes envahissent les espaces libres et les champs. Retour en bord de mer, IMGP5807.JPGPropriano apparaît au fond de sa baie turquoise au sable clair, entourée de montagnes. Que ces grands espaces sont jolis lorsqu'ils sont presque déserts. A l'entrée de la ville nous trouvons un camping en hauteur. Pour rejoindre notre emplacement 500 mètres d'une raideur extrême, ces derniers coups de collier sont un vrai supplice, bien que le compteur ne comptabilise que 62 kilomètres pour la journée. Comme toujours pas grand monde , nous sommes presque seuls à part quelques chats affamés qui viennent quémander. J'évalue le niveau de faim d'un chat, outre sa maigreur, au fait qu'il mange ou non le pain. Pas de doute ceux-là ont très faim. En tout cas ils ne sont pas farouches l'un d'eux escalade mes sacoches comme s'il désirait continuer avec nous. Les bagages posés, une descente en ville nous permet de découvrir une petite cité agréable surtout par ce temps presque estival.

 

1 mai

 

Aujourd'hui l'étape sera moins sympathique. En effet, la seule route pour Bonifacio, c'est la nationale, ce qui est toujours un peu stressant et souvent ça ne sent pas bon. Ça commence dur, une belle montée jusqu'à Sartène et tout les jours ne se ressemblant pas je me sens un peu fatigué, donc avec la chaleur je souffre. Il me suffit de penser à Kazantsakis et sa formule que j'ai faite mienne: un jour où je n'ai pas souffert est un jour où je n'ai pas vécu. Un raccourci dans la ville elle-même est très raide, une erreur de pignon m'est fatale. Je mets pied à terre et, mon Dieu que le vélo est lourd à pousser dans cette côte qui affiche au moins 12 ou 13 %. Le reste de l'étape ne me laisse pas de souvenir précis, si ce n'est le moment où dans un virage nous avons vu surgir la Sardaigne, que nous rejoindrons demain. Un autre détail me revient en mémoire, nous avons croisé un groupe de Ferraris en vadrouille, elles étaient quatorze, et même si les IMGP5829.JPGvoitures ne vous intéressent pas c'est pas mal à regarder passer. Après 60 kilomètres, sur les hauteurs de Bonifacio nous nous installons dans un camping agréable dominé de jolis monticules granitiques qui donnent envie de faire de l'escalade. Sans charge la descente est amorcée pour visiter la cité, qui est très pittoresque. Sa citadelle colonise un magnifique promontoire permettant une vue de tout premier plan sur la Sardaigne et le détroit qui protège le port de la pleine mer. Je me souviens y être venu en voilier il y a bien longtemps lors d'une magnifique navigation d'une quinzaine de jours.

 

2 mai

 

Ce matin branle-bas très tôt, nous devons être au port au plus tard à 8 heures pour un départ à huit trente. Les cinq kilomètres du camping au port sont exclusivement en descente. Qu'il est bon de se laisser glisser comme cela de bon matin. Les roulements à billes de mes roues sont si performants que j'ai plus l'impression de glisser que de rouler.

Les passagers ne sont pas très nombreux sur le bateau, quelques voitures et motos. Ces dernières tout au long de notre périple nous en verrons des meutes plus ou moins importantes, sauf en finale dans le centre de la Corse en Castanicca, coin enchanteur dont je reparlerai et qui nous fera regretter de mettre fin à notre voyage, comme attirés par une envie d'errance sans fin. Le départ le long de ces grandes falaises blanches, au sommet desquelles se serrent des maisons toutes en hauteur est d'une saisissante beauté. IMGP5843.JPGLes goélands, qui planent derrière le navire à la même vitesse, semblent immobiles. Les bateaux m'ont toujours procuré une forte impression de départ vers des contrées lointaines, même si aujourd'hui le trajet n'excède pas une vingtaine de kilomètres et ne dure que cinquante minutes. Cependant pour un prix de vingt euros, j'ai vraiment la sensation de partir.

Après cette traversée agréable nous débarquons en Sardaigne. Cela me fait quelque chose car il y a plusieurs générations déjà, par ma grand-mère paternelle j'ai des gènes qui proviennent de cette île. Nous commençons avec un petit café sur le port. La vie est délicieuse lorsqu'on n'est pas dans l'urgence et autonomes, pas de contrainte concernant le point de chute, tout petit recoin discret peut faire l'affaire, si à huit heures du soir on n'a pas trouvé de lieu d'arrêt dit autorisé.

Cette première étape doit nous conduire à Castelsardo, jolie petite ville chargée d'histoire posée sur un magnifique tertre pyramidal qui s'avance sur la mer. Le relief sur la côte ouest nous semble presque débonnaire après la descente de la Corse. La circulation n'est IMGP5854.JPGpas très importante et le déplacement à vélo est agréable. La campagne sarde est un festival de fleurs, qui déroulent leurs corolles par millions à notre passage. Au bout d'une ligne droite quelques centaines de mètres devant, nous voyons deux cyclotouristes. La chasse est lancée, je réussis à m'approcher à une cinquantaine de mètres puis je me fais décrocher. Jean ne semble pas s'être intéressé à la course. Ils reprennent le terrain perdu et finissent par disparaître. Une quinzaine de kilomètres plus loin, nous les retrouvons devant une échoppe de fruits et légumes sur le bord de la route en pleine campagne. Nous en profitons pour faire la halte de midi. Il s'agit de deux Allemands engagés sur le tour de Sardaigne en douze jours avec points de départ et d'arrivée à Olbia, aéroport desservant l'île par des vols low costs. Nous rencontrerons de nombreuses personnes qui utilisent ce point d'entrée. Les Allemands partent avant nous, mais ayant fait un petit détour par une crique qui les a un peu retardés, pour un temps nous les retrouvons. Cela nous donne l'occasion de nous «allumer» sérieusement le long d'une grosse bosse, et je ne suis pas le premier à craquer. Quand on est bête c'est pour la vie, et ça ne risque pas de s'arranger après cinquante ans!

Castelsardo apparaît au détour d'un virage, véritable splendeur que ce tertre qui s'avance sur la mer, coiffé de sa citadelle centenaire au pied de laquelle de petites maisons multicolores serrées les unes contre les autres essaient de monter à l'assaut. Pris par la beauté de ce spectacle je freine et m'arrête, mais je ne pense pas à mes pieds et rebelote deuxième chute, cependant l'expérience aidant je ne me fais cette fois aucune égratignure. Pourtant on n'est jamais à l'abri d'un poignet cassé, il faudra que ça rentre. Ne devient pas cyclotouriste qui veut! Nous montons visiter cette petite cité, c'est raide à IMGP5862.JPGvélo, vieille ville charmante aux ruelles calmes et colorées, haut perchées au-dessus de la mer. Mais il n'y a pas de logement hormis les hôtels, il nous faut pousser jusqu'à Porto Torres à une trentaine de kilomètres plus au sud. Cette décision ne soulève pas l'enthousiasme, mais quelle autre alternative? Rapidement nous reprenons plaisir à pédaler, la route domine la mer avec de belles perspectives sur de petites criques, et de plus le vent nous pousse. À une moyenne supérieure à vingt à l'heure nous atteignons notre but, ce qui fait pour la journée 105 kilomètres, mais ils comptent moins que les kilomètres corses. Installés au camping, nous partons faire les courses au supermarché situé à trois cents mètres. Devant le magasin je freine et dix de der, je n'ai pas vu que mes pieds sont clipés. La chute est plus brutale car je n'ai plus de bagage pour amortir. Je suis bien secoué mais une fois de plus rien, cependant il faut que je réagisse cela fait la troisième depuis le départ et la seconde aujourd'hui, à ce rythme les statistiques me disent que je vais finir au mieux avec un plâtre. Retour au camping et qui voyons-nous en train d'arriver? Nos deux Allemands , Josef et Wolfgang. Ils viennent s'installer à côté de nous et ce sera l'occasion d'une soirée sympathique à nous raconter des histoires de vélos. Ce sont de gros rouleurs qui n'hésitent pas à traverser les USA. Demain ils partiront tôt, par contre pour nous ce sera repos car nous devons récupérer deux compagnons qui arrivent par bateau et qui vont nous accompagner durant le tour de Sardaigne. Eh oui! VF a encore sévi.

 

Nous roulons depuis une semaine, cela me permet de me faire une première idée de cette façon de voyager que je n'imaginais pas utiliser, encore récemment. Le vélo ne donne pas cette impression de liberté que procure la marche, car on reste, sinon prisonnier, tout au moins dépendant de la route. Parfois la circulation est dense et ce n'est pas très agréable, cependant on s'accoutume assez vite. Nous avons franchi 550 kilomètres, cela fait beaucoup plus qu'à pied. On éprouve toujours un certain contentement en regardant une carte sur laquelle on a parcouru de grandes distances à la seule force de son corps, à pied ou à vélo. C'est sans doute un peu puérile mais c'est cependant un petit plaisir et une vie heureuse, paraît-il, est constituée d'une somme de petits plaisirs. Il est vrai qu'en soi la distance ne signifie pas grand chose, donnée relative en fonction de la difficulté ou du mode de déplacement. Que dire d'un parcours en kayak ou de la montée d'une face qui fait «seulement» un kilomètre? Même si le kilométrage n'est qu'un accessoire du voyage, souvent on s'imagine qu'en allant loin on voyage vraiment. Forcément ce genre de conditionnement joue et voilà pourquoi on est tout content de regarder sur la carte une grande distance que l'on vient d'accomplir. Le vélo a un autre gros avantage, il est beaucoup moins traumatisant que la marche à pied. Bien sûr l'effort musculaire a été intense au cours des innombrables montées de la côte ouest de la Corse, mais les contraintes et les chocs sur l'ossature sont moindres. Le soir à l'arrêt la fatigue est différente de celle ressentie à pied, bien moins traumatique, vraie source de bien-être. Je n'en reviens toujours pas, pourvu que cela dure. Il y a maintenant une semaine que je suis rentré chez moi, après un mois de vélo et 1900 kilomètres, et je n'éprouve aucune douleur nulle part. Juste avant de partir, une épaule me faisait mal depuis plusieurs années avec des fourmis dans la main. L'ostéopathe que j'ai vu trois jours avant de rouler m'a dit de partir quand même, et il a eu bien raison. Cet effort présente un véritable effet curatif sur les douleurs articulaires. Donc le voyage à vélo présente indéniablement des avantages et des côtés très agréables, bien que toutes les dimensions de liberté ne soient pas réunies, tout du moins en Europe. J'imagine que dans certains pays lointains sur des pistes peu ou pas fréquentées le vélo devient l'outil le plus sublime pour voyager.

 

3 mai

Ce matin pas d'impératif, nous voyons les Allemands partir et nous petit-déjeunons tranquillement. Cette journée d'arrêt est la bienvenue car je sens une légère fatigue. Nous devons nous rendre au port attendre Evelyne et Rafik à 19h. En début d'après-midi nous partons pour un tour en ville et la reconnaissance du port. De nombreux restes archéologiques subsistent dans cette ville de 20 000 habitants. En outre, elle est très industrialisée. Le hasard fait bien les choses, nous tombons sur une procession religieuse. Un cortège immense suit la statue de la vierge, comme si toute la cité s'était donnée rendez-vous. Les autorités en premier, maire et autres autorités civiles puis, policiers, carabinieri, pompiers, militaires ouvrent la voie à cette foule interminable qui monte à l'église. En fin d'après-midi nous nous rendons sur le port. Bizarre pas de bateau prévu à 19heures, il y en a bien un à 20 heures mais en partance.

En définitive, ils débarquent bien mais à vingt et une heures. Les dix kilomètres pour rentrer au camping se feront de nuit. Moment d'angoisse avec seulement une frontale qui ne permet pas de bien visualiser la route et ses à-côtés. On m'avait dit que les phares n'étaient pas nécessaires car on roule toujours de jour et on ne se laisse jamais prendre par la nuit. Cela fait déjà deux fois en une semaine. Dès que je rentre chez moi je ferai équiper mon vélo du système d'éclairage adéquate. Là encore c'est le métier qui rentre. Nous leur avons préparé un petit repas d'accueil, simple mais consistant, purée saucisses. Nous faisons connaissance, Evelyne est une coureuse à pied reconvertie au vélo et Rafik est un athlète de haut niveau qui a terminé 17ème au championnat du monde de cross. Première soirée très agréable, et durant les 15 jours l'ambiance restera au beau fixe. Manifestement ce sont des clients de haut niveau. Moi le novice du vélo je n'ai qu'à bien me tenir! Le bilan kilométrique de cette journée se monte à trente, une broutille tandis qu'à pied cela représente une belle étape.

 

4 mai

 

Aujourd'hui, il est prévu un trajet de rodage à quatre. A travers la campagne sarde par de petites routes nous comptons rejoindre le Cap Caccia, qui est la pointe sud d'une longue et étroite presque-île bordée de falaises qui dominent le mer d'environ 200 mètres. Cinquante kilomètres sans voiture ou presque dans des paysages paisibles ou le vert des prairies et les couleurs vives des fleurs dominent. Qu'il est paisible de faire ce type de IMGP5853.JPGrandonnée, là le vélo est un merveilleux moyen de locomotion. Nous rejoignons le bord de mer, et prenons la direction du cap précité. Quelques raidillons carabinés nous permettent d'accéder à un belvédère remarquable, d'où la vue sur d'énormes rochers émergeant de l'eau est saisissante. Un groupe d'Allemands devant leur car nous applaudit dans notre effort final. En remerciement je leur récite les premiers vers de la Lorelei: Was soll es bedeuten, dass ich so traurig bin...

Mais au fait sur ce rocher s'avançant sur la mer nous ne voyons pas de camping, alors qu'il était prévu de s'y arrêter pour la nuit. Un petit sigle triangulaire sur la carte avait été mal interprété. De notre magnifique point de vue dans le lointain après un grand cap blanc se dévoile la ville d'Alghero. Nous comprenons tout de suite que c'est reparti pour trente kilomètres. Après quelques bosses, nous rejoignons des zones plates. Un léger vent arrière transforme les vingt derniers kilomètres en une promenade de plaisir à vive allure. Le premier camping rencontré est fermé, le second se cache sur la plage pratiquement IMGP5874.JPGdans la ville. Nous finirons par le dénicher après plusieurs passages et les renseignements des autochtones. Le kilométrage pour ce jour s'élève à 77km. La ville a du cachet avec ses fortifications qui donnent directement sur la mer. On les suit par de larges esplanades. De nombreuses armées d'invasion ont laissé des traces dans cette cité, qui a été convoitée et conquise au cours des siècles par les Italiens, les Carthaginois, les Phéniciens, les Byzantins, les Arabes les Catalans et sans doute d'autres.

 

5 mai

 

Ce matin petite forme, deux d'entre nous ont des symptômes concordants, mal de tête et nausées. Avons-nous mangé quelque chose qui n'était pas frais? Nous passons la matinée tranquillement. Le départ a lieu à 11heures 30, l'état des deux malades s'améliorant. Le but de la journée se trouve à 48 kilomètres, il s'agit de la petite bourgade de Bosa. Même si la distance n'est pas très importante, l'étape nous marque d'une part du fait de sa beauté, route en hauteur au-dessus de la mer, et d'autre par à cause de ses pentes particulièrement longues et raides. Enfin après avoir bataillé plusieurs heures, une immense descente nous tend les bras. Elle doit nous conduire au point d'étape prévu. Mais le plaisir sera gâché, car l'orage s'invite à la fête et il est particulièrement violent. Nous ne trouvons pas le moindre abri, et stoïquement nous pédalons sous des trombes d'eau. L'absence de construction le long de cet itinéraire est totale, et sous la pluie cela se remarque d'autant plus. Après une petite heure de grosse rincée, le beau temps revient aussi vite qu'il avait été chassé. L'arrivée dans Bosa se fait au milieu des mares laissées par l'orage.

Nous sommes hébergés à l'auberge de jeunesse, spartiate mais fonctionnelle, une chambre à quatre avec lits superposés. Rafik et moi partons pêcher. Outre le goût prononcé pour le sport et la course à pied, nous avons d'autres points communs. Lui est d'origine tunisienne et mon père est né en Algérie, certes de père ardéchois, mais cela n'empêche que nous venons du même creuset de la Méditerranée et que tout nous attire en elle, en particulier la pêche. La petite baie de Bosa est abritée par une large digue sur laquelle viennent se fracasser de grosses vagues. Au débouché d'un petit estuaire aux eaux très remuées, les pêcheurs s'agglutinent, taquinant la dorade et le loup. Pour notre part nous n'attrapons qu'un petit sarran, joli poisson de roche bariolé. Je le décroche avec précaution et le remets à l'eau. Certains pourraient me dire pourquoi embêter les poissons, voire plus, si ce n'est que pour le plaisir de les attraper. Sans doute toute la tradition communiquée par mon père qui me racontait avec une passion non assouvie les pêches merveilleuses qu'il faisait dans son enfance sur les côtes algériennes. Dans ces régions méditerranéennes je me sens bien, ce qui peut paraître un peu paradoxal car je ne rêve que de montagnes et de parois raides. En Corse j'ai plutôt tendance à regarder du côté de la montagne, qui jaillit partout, tandis qu'en Sardaigne mon regard va naturellement vers la mer, même si les reliefs sont parfois escarpés et présentent de belles falaises. La Corse pour moi est une extraordinaire montagne dans la mer, et la Sardaigne consiste en une succession de magnifiques sites côtiers tout du moins sur son versant ouest, la côte est étant plus accidentée. Cependant en Corse, même sa côte plate est dominée de magnifiques pics, enneigés plus de la moitié de l'année. Je ne dis pas qu'elle est plus belle que la Sardaigne, ce type de comparaison n'a pas de sens. Je reprendrai seulement les mots d'un grand navigateur qui a arpenté le monde sous toutes ses coutures et qui déclare « de toutes les contrées dans lesquelles j'ai navigué, les deux plus belles sont la Corse et la Bretagne » et il est breton, alors pensez ce que vous voulez de la Corse!

 

6 mai

 

Très beau temps, le petit déjeuner servi à l'auberge de jeunesse est frugal, mais heureusement nous ajoutons le complément. De petits ennuis techniques nous retardent. Le départ a lieu vers midi. Le démarrage est brutal, une rampe particulièrement raide ouvre le bal. Halte repas très plaisante sur la place du village de Sennariolo, et nous ne dérogeons pas au rite du petit café final, surtout qu'en Sardaigne il est moins cher qu'en France, généralement 80 centimes. La montée reprend jusqu'au village suivant Cuglieri. Ensuite le parcours est un enchantement, une succession de faux plats en descente avec le vent dans le dos. Je m'en donne à cœur-joie sur le grand braquet, une vingtaine de kilomètres parcourus entre 40 et 55 kilomètres par heure en permanence. Le vélo procure dans ces moments un plaisir intense. L'expression filer comme le vent décrit bien la situation. J'ai vraiment la sensation de vitesse, et je m'y connais un peu ayant conduit de grosses motos de façon souvent déraisonnable. Un arrêt est improvisé à S'Archittu, tellement ce petit golfe couleur turquoise entouré de falaises est magnifique. Nous IMGP5891.JPGrepartons sur un bon rythme. La grande ville approche avec son cortège habituel, constructions plus nombreuses, route plus large et un trafic toujours plus dense. Nous n'entrons pas dans Oristano mais partons à l'ouest camper à Torre Grande. Aujourd'hui le compteur marque 72 kilomètres, dont pas mal furent un véritable régal. En particulier les dix derniers kilomètres, vent dans le nez, bien abrités derrière Jean qui comme un tracteur maintenait un bon vingt-cinq de moyenne, on ressent tout le bien-fait de l'effort soutenu au bon niveau sans que cela fasse mal. Il faut dire qu'entre lui et Rafik nous avons deux gros costauds du vélo. Evelyne , toute menue qu'elle est, dans les côtes quelque soit leur inclinaison et leur longueur, elle appuie de façon régulière sur les pédales et je la vois systématiquement disparaître, j'en ferai encore l'expérience au cours des jours à venir dans les montagnes. Mon arme secrète pour refaire mon retard c'est de mettre le grand développement dans les descentes et de forcer comme une brute. J'atteins régulièrement les 60 à l'heure, voire parfois beaucoup plus. Cette sympathique émulation se passe dans la bonne humeur et la décontraction.

Nous envisageons de rester deux nuits sur place afin de visiter tout à loisir les environs demain . En effet à une dizaine de kilomètres à l'ouest se trouve le magnifique site archéologique de la ville de Tharros. Cette dernière il y maintenant deux millénaires était la capitale de l'île. Notre camping est «bunkérisé» par de grandes grilles et un haut mur sur le devant, mais agréable une fois à l'intérieur. Comme d'habitude pas d'affluence, cependant un peu plus de monde que les jours précédents, en particulier des groupes de motards. Un cyclotouriste allemand nous aborde et nous narre son périple commencé cinq semaines plus tôt en Allemagne par une traversée des Alpes jusqu'à Nice.

 

7 mai

 

Comme prévu départ pour Tharros, mais les petites routes nous conduisent sur les bords d'un immense étang utilisé pour la pisciculture. De toute évidence les poissons grouillent, mais nous sommes perdus parmi les hautes herbes, notre chemin ayant subitement disparu. Nous ne restons pas longtemps seuls. Des gardes forestiers équipés d'un 4x4, nous ayant repérés de loin, nous prenant peut-être pour des braconniers, s'arrêtent à notre hauteur. Nous leur expliquons notre situation. Ces derniers très gentiment nous proposent de les suivre et par un véritable labyrinthe de petits chemins en sous-bois ils nous remettront dans la bonne direction. L'itinéraire n'est pas évident, car à plusieurs reprises à la croisée de sentes nous les voyons hésiter. Ensuite, la route sur une dizaine de kilomètres est une splendeur, entre plans d'eau et explosions de fleurs sur des hectares.

Enfin nous atteignons la très belle église San Giovanni. Tharros est à proximité. Une piste en terre conduit à l'extrémité du cap. Le lieu est magique. On imagine facilement la scène, lorsque les premiers Phéniciens abordèrent ce site sept siècles avant notre ère. Ils en IMGP5901.JPGévaluèrent tout de suite le potentiel. En effet jusque vers la fin du premier millénaire après Jésus-Christ, le port fondé prospéra et donna cette très belle cité. Mais les corsaires sarrasins devenant de plus en plus menaçants, un repli vers l'intérieur des terres fut amorcé et la ville périclita. Il en reste des ruines superbes dans un cadre enchanteur, envahies au mois de mai, d'une incroyable densité de fleurs, qui montent à l'assaut du pied de la grande tour ronde bien campée sur la plus haute colline du cap. Site exceptionnel particulièrement surveillé, nous y croisons outre les gardes qui nous ont indiqué notre chemin, des policiers, des carbinieri et des gardes côtes. Je IMGP5905.JPGdéconseille formellement à quiconque d'avoir l'idée d'y envisager le camping sauvage.

Nous décidons ensuite d'aller visiter Oristano, jolie petite ville au centre très pittoresque. De belles places dallées aux formes inhabituelles font la meilleure impression. En ce début d'après-midi les rues sont désertes, sieste oblige et nous avons l'impression d'avoir la cité pour nous seuls.

Journée agréable de visites, nous avons tout de même parcouru 62 kilomètres, mais sans bagage nous n'avons pas l'impression d'avoir roulé. A croire que la déformation du cyclotouriste arrive plus vite qu'on le pense!

 

8 mai

 

Aujourd'hui départ matinal, car l'étape prévue est conséquente. Plus de 100km ponctués de gros dénivelés, avec pour but Fonni, station estivale au pied ou presque de la Punta Marmora, point culminant de l'île. Le mot Punta n'est pas très bien choisi, car si vous imaginez trouver un beau pic vous serez déçu. Il s'agit plutôt du point le plus élevé d'une crête massive, qui pourrait ressembler au Honneck vu sous un certain angle. Donc c'est une belle montagne, en effet je vis avec une Vosgienne, évidemment le Honneck est forcément à l'égal du Daulaghiri, magnifique pyramide qui culmine presque à 8200 mètres!

Nous mettons donc le cap sur le centre de l'île avec la ferme intention d'en atteindre le sommet, qui culmine, certains diront seulement, à 1834 mètres. Cependant se rendre au départ d'une balade à pied en utilisant un vélo ce n'est pas comme s'y rendre en voiture. Cela participe aussi au charme du voyage à bicyclette (je ne sais pas si ce terme fait partie du vocabulaire du cyclo?). Au nord d'Oristano nous ne trouvons pas la petite route repérée sur la carte, c'est donc par une voie à la circulation relativement importante que nous commençons. Rapidement nous réussissons à nous en échapper. Première localité relativement importante, Busachi, les choses sérieuses n'ont pas vraiment débuté. Premier gros incident technique, le dérailleur de Rafik se prend dans les rayons, d'où blocage de la roue et de nombreux dégâts, rayons complètement pliés dérailleur très endommagé. Rafik est un magicien de la mécanique, en une petite heure il remet tout cela d'équerre, et fait notre admiration. La chaleur devient suffocante et la pente raidit. Nous commençons à avoir des doutes quant à la possibilité de rejoindre Fonni ce soir.

Arrêt à l'ombre d'un petit village pour le repas de midi. Comme toujours l'ambiance est très agréable, peu de monde, quelques autochtones attablés sur les minuscules terrasses des débits de boissons. Nous aurons l'occasion de constater aussi bien en Corse qu'en Sardaigne, que les routes côtières sont beaucoup plus fréquentées par les étrangers que les routes intérieures. Ce qui à vrai dire fera notre bonheur. Retour sur les pédales, ça chauffe dur. À la sortie du village de Sorgono nous faisons un arrêt au cimetière pour nous ravitailler en eau. Nos derniers espoirs pour atteindre Fonni ce soir se sont évanouis IMGP5914.JPGdéfinitivement. Teti sera notre lieu d'arrêt. Il s'agit d'un magnifique petit village de montagne. Les habitants très gentiment nous permettent de camper sur le terrain communal dédié aux fêtes du village. Ils viendront même nous brancher l'eau.

L'étape du jour ne s'élève qu'à 85 kilomètres mais la forte proportion de côtes raides et la chaleur nous laissent une impression de journée fatigante et très bien remplie. Cette sensation de bonne fatigue, les muscles un peu endormis, et pas ce sentiment de squelette martyrisé que j'ai après une grosse étape à pied, procure un réel bien-être. Jean parle de vélo-thérapie, et c'est exactement cela. Rassurez-vous, je ne cherche pas un prétexte pour laisser tomber les longues marches. Probablement j'intégrerai plus le vélo dans ma manière de voyager, mais certains grands projets qui me tiennent à cœur ne s'envisagent pas à vélo, comme la Haute Route Pyrénéenne ou terminer la traversée des Alpes, et il m'en reste un grand morceau à parcourir, Chamonix à Trieste.

Une fois de plus la soirée se déroule dans la meilleure convivialité, agrémentée d'un décor superbe au milieu de ce terrain accidenté où la vue porte loin de crête en crête. Mes compagnons de voyage ont tous des expériences sportives et de voyages particulièrement intéressantes, et de plus l'humour, la simplicité et la rusticité font partie de leur qualités. Ce sont les ingrédients assurés d'une bonne partie de rigolade sans jamais à avoir à se tracasser quant aux conditions que l'on rencontrera. Il est étonnant de constater, comme dans certaines conditions une relation intime peut s'établir rapidement. J'ai l'impression sinon de toujours les avoir connus, au moins de les connaître de longue date.

 

9 mai

 

Aujourd'hui direction Fonni et cet après-midi l'escalade de la Punta Marmora est prévue. La journée commence par une belle descente, mais ça ne dure pas. Il nous faut enchaîner avec la raide route de Fonni, heureusement presque déserte. Le décor est splendide, grands espaces verts, un lac de barrage magnifique. Sous le pont qui l'enjambe une multitude de gros poissons fait des ronds à la surface.

La ville est à mille mètres d'altitude, de ce fait la chaleur n'est pas trop forte. Pour la seule fois de notre périple nous faisons appel à l'agritourisme. Une jolie demeure bien positionnée un peu au-dessus de Fonni en direction de la montagne que nous voulons gravir. Si le site est joli, le prix l'est tout autant. Une chambre à quatre lits pour la IMGP5917.JPGmodique somme de 140 euros, certes avec le petit-déjeuner. Malgré des tentatives de négociation, rien n'y fera. Le prix annoncé sur le petit futé est moindre. Cette augmentation est la conséquence probable d'une publicité avantageuse. Nous ne sommes pas en mesure de trop insister ou de chercher une autre solution, si nous voulons suivre le programme. Les bagages déposés, nous reprenons nos vélos pour une belle grimpette jusqu'à l'altitude de 1500 mètres. A partir de ce point le sommet s'atteint à pied. Quelques névés subsistent, que nous nous empressons de fouler. Une première crête est atteinte, de laquelle une descente permet d'en rejoindre une seconde qui conduit au point culminant de l'île. Malgré sa faible altitude la vue porte loin sur les plaines environnantes, mais nous n'arrivons pas à distinguer la mer. Cette région montagneuse est austère, elle me fait un peu penser au Mont Lozère, par la couleur sombre de la roche, ses grandes pentes herbeuses et sa désertification. La redescende est effectuée au pas de course. Il ne faut pas grand chose pour qu'avec Rafik, nous courrions comme des dératés. La vigilance est de mise, car mes chaussures de cycliste, de temps à autre du fait des IMGP5921.JPGparties métalliques du système d'accrochage ont une fâcheuse tendance à déraper sans prévenir sur le rocher. Rafik possède un coffre invraisemblable, certes il a 10 ans de moins, mais ses références en matière de course à pied en font un véritable OCNI (objet courant non identifié). Le plaisir de me défoncer physiquement restera, tant que mon état le permettra, une source de joie immense. Nous retournons dans notre agritourisme, où l'ambiance n'est pas franchement chaleureuse, et en guise de représailles nous préparons notre popote dans la chambre bien que ce soit interdit. Ayant été pris au dépourvu pour les courses, quelques lyophilisés en secours nous permettent un repas somme toute bon et suffisamment copieux.

L'étape de ce jour se monte à 54 kilomètres à vélo, dont une bonne quarantaine en montée raide, plus deux heures de presque course en montagne. Seul soir où je sens un peu mon dos, preuve que le déplacement à pied, certes en courant, traumatise plus que le vélo.

 

10 mai

 

Aujourd'hui nous retrouverons le bord de mer sur la côte est. Nous commençons la journée par un petit-déjeuner original dans une belle salle circulaire surmontée d'une charpente en forme de tente indienne, ce qui donne à la pièce beaucoup de volume et du cachet. Peut-être pour contrebalancer les relations quelque peu conflictuelles de la veille, l'hôtesse nous sert, outre les ingrédients habituels, une magnifique part de ricotta bien nappée de miel, un pur régal!

Nous sommes en pleine forme, pas de doute un lit de temps à autre, cela fait du bien. Après une descente sur Fonni, la route part à l'assaut d'un col sur 15 kilomètres et 300 mètres de dénivelé, presque une formalité. Au col du Monte Pipinari à 1246 mètres il fait frisquet. Nous ne traînons pas et entamons une longue descente. A quelque distance Rafik crève, son pneu est endommagé ainsi que sa gente. Pour cette dernière il s'agit des conséquences de l'incident de l'avant-veille, quand il a du détordre des rayons en forçant.

IMGP5930.JPGNous arrivons sans autre incident après une magnifique étape à un camping idyllique à Tortoli. Les tentes sont installées sur de petites terrasses juste au-dessus d'un golfe à l'eau d'un bleu profond, avec en deuxième plan de grands rochers, plutôt de petites montagnes qui de par leur positionnement donnent toute sa profondeur à cette baie de grande beauté. Pour agrémenter l'ensemble, une magnifique tour sarrasine est érigée juste en face. Elle sera la toute première à recevoir le soleil du matin. Le lieu nous plaisant, et Rafik ayant des réparations importantes à effectuer sur son vélo, nous décidons de passer la journée du lendemain dans cet endroit.

 

11 mai

 

Lever 6 heures et c'est parti pour une partie de pêche. Je ne choisis pas tout de suite le meilleur endroit, mais pour le petit déjeuner nous aurons droit à quelques magnifiques poissons de roche, girelles dont une royale de belle taille et sarrans. Si l'idée semblait surprendre au départ, tout le monde a bien apprécié la chair très fine et ferme de la girelle au petit déjeuner, et contre toute attente, cela passe très bien. Nous ne poussons cependant pas le plaisir jusqu'à arroser cette friture d'un coup de blanc! Journée de farniente sauf pour Rafik qui, ayant acheté pneu, gente et chambre à air, remet tout en état, en particulier le dérailleur qui occasionne quelques difficultés de réglage. La réparation sera efficace car il en sera définitivement fini de ses ennuis mécaniques. En fin d'après-midi nouvelle séance de pêche, et petite friture au dîner qui passe aussi bien que celle du matin. Cette journée dans ce camping est d'autant plus agréable que le personnel est très gentil et particulièrement serviable.

 

12 mai

 

Nous démarrons tôt, l'étape sera longue et agrémentée de nombreuses montées. Avec regret nous quittons ce camping où il fait si bon séjourner. Après avoir fait quelques détours pour quitter Tortoli, le ton est donné, ça monte et ça dure! Au village de Baunel, un premier arrêt ravitaillement est effectué. En 15 kilomètres l'altitude atteinte est de 480 mètres. Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Le point de passage le plus élevé se IMGP5943.JPGsitue à 1017 mètres, mais auparavant quatre cols intermédiaires jalonnent l'itinéraire. La route bien tracée permet une montée régulière sans forcer. Avec l'altitude la végétation change, on pourrait se croire quelque part dans le massif central. Enfin le Passo Gena Silana est atteint. Il nous aura fallu quatre heure pour une quarantaine de kilomètres. On s'attendait à plus difficile.

Au col casse-croûte copieux, des cyclistes de route assez nombreux sont montés par le versant opposé. Une très longue et magnifique descente nous procure un vif plaisir. Le cadre est magnifique, de grandes falaises calcaires étincellent de toutes parts avec la mer en toile de fond. Alors que nous avons quitté la montagne, la route serpente en faux plats descendants au milieu de bocages. Nous profitons de ces conditions très favorables pour se tirer une bourre pas possible, aidés d'un bon coup de vent dans le dos. Que c'est plaisant de débouler à vive allure en ayant mis le grand développement.

Avant d'arriver à Orosei, la route traverse d'immenses carrières de marbre, spectacle impressionnant. En voyant un ouvrier travailler, nous prenons conscience du gigantisme de ces chantiers. La ville d'Orosei, est manifestement très touchée par la proximité des carrières. Le premier camping se trouve à 12 kilomètres. Nous le rejoignons par des pistes, l'accès principal étant fermé à cause d'intempéries récentes. Encore un site étonnant au débouché d'une petite rivière sur une plage de sable blanc, baignée par une mer à l'eau émeraude. Pour ajouter au charme du lieu, le propriétaire est particulièrement accueillant et serviable. Le compteur affiche 106 kilomètres et encore le mien est le plus pessimiste. Nous aurions pu sans fatigue en faire beaucoup plus. C'est peut-être aussi cela le miracle du vélo? A moins que ce soit l'endorphine sécrétée qui commence son travail de fond contre la douleur et pour le bonheur!

 

13 mai

 

Lever aux aurores, j'aimerais bien rapporter quelques poissons pour le petit-déjeuner. Avec Rafik, nous partons ramasser quelques appâts le long des rochers. J'ai le plus grand espoir de faire une belle pêche. Mais contre toute attente pas une seule touche, comme si les poissons désertaient certains endroits. Je suis d'autant plus surpris, que j'avais trouvé quelques escavennes, oubliées par un pêcheur. En effet ces vers sont infaillibles, les poissons se jettent généralement dessus, mais pas ce matin. Cela ne nous empêche pas d'assister à une très jolie apparition du soleil sur une mer et des rochers déserts.

Départ à dix heures, une fois de plus le lieu était très agréable et calme avant les vacances. L'étape du jour ne présente pas de difficulté, et une fois de plus nous avons le vent comme allié. Les 56 kilomètres qui nous mènent à San Teodoro sont un vrai plaisir. Dans ces conditions, on a plus l'impression de pratiquer un sport de glisse que le vélo. Les tentes sont montées en bordure de plage, le vent souffle, des surf-skates font des IMGP5961.JPGacrobaties et montent très haut. En arrière plan sur la mer se découpent deux petites îles, Molara et Tavolara. La seconde est très impressionnante, elle jaillit des flots à la manière d'une flamme et culmine presque à six cents mètres. Comme toujours les oiseaux sont nombreux et nous gratifient d'une multitude de chants très différents, dont le mélange est un régal pour l'oreille.

 

14 mai

 

Ce matin réveil en fanfare par une multitude de corbeaux, et ça dure. Enfin ils décident de s'éloigner et les chants beaucoup plus mélodieux habituels envahissent l'espace. Aujourd'hui, malgré un vent encore favorable, la première partie du trajet sera désagréable. En effet nous approchons d'Olbia et le trafic s'intensifie. Nous avions perdu l'habitude des flots de voitures qui serrent parfois de trop près. La traversée de la ville est heureusement vite effectuée par une voie rapide. Dès la sortie de l'agglomération tout s'arrange, à part le temps qui devient menaçant. Quelques montées bien raides dans un joli décor d'aiguilles granitiques, auxquelles les nuages donnent un air austère du meilleur effet. Pique-nique à l'improviste sur la place du superbe village de San Pantaleo, parmi les maraîchers qui replient leur stands. Ce petit bourg a du cachet de par son architecture et du fait de la proximité d'aiguilles rocheuses, qui semblent émerger directement des toits. Il est des lieux comme celui-là, sans que je définisse très bien pourquoi, qui m' apportent une forme de quiétude ou de plaisir, l'esthétique du site seule ne peut en être la cause. IMGP5967.JPGSans doute une conjonction d'éléments, le village avec ses maisons bien entretenues et le joli pavement de sa place qui est le point haut du bourg, les rochers environnants qui donnent envie de grimper, les maraîchers sympathiques, le temps certes couvert mais clément, ce que nous mangeons qui est très bon, un gros chien gentil un peu collant qui d'un regard concupiscent nous réclame les reliefs de notre repas, le petit bistrot à la terrasse coquette qui nous attend pour le rituel du café, et aussi pour finir cette saine fatigue que distille le vélo dans nos muscles. Le mélange de tous ces facteurs permet d'accéder au nirvana!

Le redémarrage, après cet arrêt de longue durée, n'est pas très difficile, car nous entamons une descente dans laquelle le grand braquet une fois de plus va faire merveille. Il faut rester très prudent car chargé, le vélo nécessite des distances importantes pour s'arrêter, les freins faisant l'effet de doux ralentisseurs. Les 15 derniers kilomètres sont une splendeur, le long d'une minuscule route qui se tient au plus près de très jolis golfes clairs, en enfilade pour le plaisir de la vue. L'étape se termine à Palau en milieu d'après-midi. Le lieu une fois de plus est merveilleux. Nous campons à quelques mètres de l'eau. IMGP5979.JPGEn face l'île de la Maddalena coupe la houle. Ce bras de mer ressemble à un lac immobile, duquel surgissent par-ci par-là de gros rochers granitiques aux formes étranges. Cerise sur le gâteau, l'eau est bonne et j'en profite pour aller ramasser quelques douzaines d'oursins dont nous nous régalons sur le champ.

Le temps est à la pluie et les prévisions pour demain sont mitigées. Nous verrons bien, après les trombes corses nous restons sereins, cela ne pourra pas être pire. Une fois de plus, pris sous le charme du lieu, nous décidons de rester sur place un jour supplémentaire. Nous prendrons le temps de visiter le village, surtout que ce sera jour de marché. Un couple d'Allemands cyclotouristes vient s'installer à quelques mètres. La pluie nous chasse au restaurant, dans lequel la soirée sera exquise.

 

15 mai

 

Très tôt sur le coup des deux heures, je vais m'installer sur le rocher juste à côté de ma tente. Le spectacle est féérique. La luminosité est suffisante pour discerner de façon précise le panorama qui s'offre au regard. La mer est d'huile, le mot est bien approprié, l'absence de toute ride la rend de consistance épaisse. Les lumières de Palau s'associent à celles de l'île de la Maddalena et dessinent les moindres recoins du rivage. Aucun bruit, sauf le va et vient de la navette reliant les deux îles. Même de nuit le trafic ne s'arrête pas, un bateau de taille conséquente au moins une fois par heure dans chaque sens. Que peuvent-ils transporter?

Ce matin pas de précipitation, au petit déjeuner nous dégustons quelques oursins. Ce subtile goût iodé au réveil excite les papilles et met en appétit. Nous partons visiter la ville et son marché. Il s'agit d'une petite cité balnéaire sans caractéristique architecturale spécifique. Les étals pour les touristes sont nombreux, qu'il s'agisse de vêtements, de colliers ou autres bijoux. Le rouge du corail est très présent. Je peux dire que la poste italienne tout du moins celle de cette petite cité sarde est digne de ce que nous vivons souvent en France. Ne trouvant pas de timbre, je me rabats tout naturellement vers le bureau de poste. Il est organisé exactement comme chez nous. Deux files sont formées devant deux employés, espacés d'un mètre sans séparation entre eux. J'en choisis une et attends. Le temps que les 6 personnes me précédant passent. Cela prend au moins vingt minutes. Arrive enfin mon tour, à ma demande de timbres l'employé me fait signe que c'est le guichet d'à côté, devant lequel stationnent maintenant une douzaine de clients. Si je veux des timbres je dois compter facilement une demie-heure de plus. Je remercie et quitte le lieu sans ce que je venais chercher. La standardisation de l'Europe c'est bien, au moins on ne perd pas ses repaires et ses habitudes, ni ses frustrations!

Retour au camping pour le repas, la pluie ne tarde pas à faire son apparition et dure tout l'après-midi. Nous tuons le temps à jouer à la belote. C'est une découverte pour Evelyne, mais elle se débrouille bien, puisque son équipe gagne. Je profite aussi de ce temps libre, pour avancer dans le livre que j'ai emporté, voyage au bout de la nuit de Céline. À plusieurs reprises dans ma vie je l'avais commencé, mais pour la première fois je vais le lire jusqu'au bout. Grande œuvre, on comprend que cet ouvrage ait fait couler tant d'encre. De cette lecture on ressort différent. On y trouve la même désespérance que dans Cioran, mais abordée, entre autre, sans concession sous l'angle de la condition physiologique de l'être humain, ce qui fait frémir d'horreur. Mais c'est tellement vrai, c'est justement cela le plus gênant.

 

 

16 mai

 

Le temps s'écoule rapidement. Cela fait maintenant vingt jours que nous sommes partis de Bastia avec Jean et 12 que nous arpentons la Sardaigne avec Evelyne et Rafik. Tout a une fin. Aujourd'hui sera notre dernier jour de voyage en commun. Demain matin nos routes se séparent. Nous retournerons en Corse et eux prendront la direction de Porto Torres pour rentrer sur Gênes, leurs vacances se finissant. En tant que retraités nous n'avons plus ce problème, bien que les errances ne peuvent se prolonger à l'infini, famille oblige. Je comprends très bien ceux qui partent sans idée précise de retour, ou ceux qui au moment final au lieu de rentrer repartent pour un tour. Ce qui me plaît dans le voyage, c'est de ne pas savoir où je vais dormir le soir. Surtout ne pas programmer et ne jamais réserver les points de chute. La recherche au dernier moment représente un véritable attrait, qui attise la curiosité et qui permet le contact. C'est une des raisons pour lesquelles je voyage souvent seul à pied. L'errance sans contingence donne à mon sens un vrai goût de liberté, ce n'est peut-être qu'une illusion, cependant la sensation ressentie est formidable. Cette liberté est exacerbée par le dépouillement. En effet, le voyage à vélo, et cela est encore plus vrai à pied, implique de limiter au nécessaire ce que l'on emporte. Le fait de vivre un mois avec un environnement matériel restreint tout en ayant une totale autonomie est très reposant. On prend d'autant plus conscience des masses d'objets, souvent plus que superflus que l'on amasse dans nos maisons et qui nous rendent esclaves. Mon père avait l'habitude de dire que la possession est un asservissement, comme je comprends ses mots en voyage à vélo, et encore plus à pied lorsque tout ce que je possède n'excède pas les 10 kilogrammes.

Revenons au 15 mai. L'objectif du jour est la petite ville de Tempio Pausania. Elle se situe à l'intérieur des terres. Nous allons renouer avec les bonnes grimpettes. Mais avant de démarrer, une visite un lieu très pittoresque qui domine notre camping s'impose. Il s'agit du site de Roccia dell'Orso. Énormes rochers posés au sommet d'un tertre, offrant un large IMGP5992.JPGpoint de vue sur les environs, en particulier sur les îles faisant face à Palau. Les formes de ces blocs géants rappellent différents animaux, ours, dinosaure et autres monstres plus ou moins préhistoriques. Comme ils sont très visibles de la mer, ils ont toujours servi de repère aux marins de l'antiquité. De ce fait, ils sont mentionnés dans des écrits anciens . Nous y montons tôt et sommes seuls. Lorsque nous en descendons les premiers cars déversent leurs flots de visiteurs pour la plupart allemands.

Il est temps de mettre le cap sur Tempio. Effectivement ça grimpe dur, mais la route est agréable, pas trop de trafic, chaleur tempérée et cette verdure qui nous entoure de toutes parts. Vers les treize heures nous effectuons quelques courses et mangeons à l'entrée de la ville. Cet après-midi nous aurons tout loisir pour visiter. Cette cité possède un joli centre, bien regroupé autour d'une petite place. De nombreuses constructions, palais églises en granit donnent du caractère à l'ensemble. Nous déambulons dans des ruelles ombragées, enserrées entre des maisons toute en hauteur, un peu à la manière des villes de montagne, comme dans le Dévoluy par exemple. Le nombre d'édifices religieux est important et leurs dimensions souvent imposantes. La promenade est instructive et fort plaisante.

De toute évidence à part l'hôtel il n'est pas possible de trouver de quoi passer la nuit. Nous reprenons la route vers le village d'Aggius, qui se trouve dans un lieu charmant, verdoyant et vallonné. Deux beaux dômes granitiques dominent les maisons. A la sortie du bourg, juste à côté du cimetière sous une futaie, un coin discret et pratique nous permet de nous installer en toute quiétude, après 67 kilomètres pour ce jour.

La proximité du cimetière est très pratique pour l'eau. Evelyne va s'y laver sommairement. Pour ma part je n'ose pas, ayant peur de déclencher la colère, si je me fais découvrir dévêtu dans ce lieu. Cette dernière soirée a des petits relents de nostalgie. Alors que les pâtes cuisent Rafik découvre une sente, qui monte à l'assaut de l'un des dômes granitiques, en courant nous nous y engouffrons. Très vite cela devient raide, mais une main courante aide au déplacement et assure la sécurité. Une centaine de mètres sous le sommet le terrain se redresse et le chemin équipé prend fin. Devant nous une belle dalle en granit fauve inclinée à 60 degrés, parcourue d'une large fissure à la prise franche nous invite à poursuivre. Nous n'hésitons pas longtemps et la remontons les pieds en adhérence les mains bien calées en empoignant son rebord tranchant. Sur ce granit bien rugueux, à gros grains, qu'il est bon se mouvoir. Bien entendu il est préférable de ne pas glisser, donc garder un peu de vigilance et ne pas succomber à l'euphorie du mouvement et à la sensualité du contact. Je me surprends à imaginer que cette dalle fissurée s'élance sur mille mètres, hélas non! Rapidement le rocher se couche et les mains ne sont plus nécessaires, et après quelques contours le sommet est atteint. Une vue magnifique s'étend sur la région, rochers qui pointent au milieu de zones vertes avec des villages disséminés au gré des mouvements de terrain. Mais au fait, il ne faut pas traîner, nous nous sommes enfuis en cachette à deux, alors que le repas était presque prêt. Vite nous repartons et dévalons ces dalles, sur lesquelles de gros blocs sont disposés en équilibre. Evelyne et Jean nous attendaient patiemment pour notre dernier repas en commun. L'endroit est bien choisi, non seulement il est très discret, mais en plus il offre une table et des bancs, le grand confort!

 

17 mai

 

Lever matinal, petit déjeuner gai, nous savons qu'une expérience de deux semaines particulièrement enrichissante dans de nombreux domaines arrive à son terme. Nous réalisons tout étonnés, que cela fait déjà quinze jours que nous roulons ensemble. La fin de cette aventure à quatre est imminente. Pour trois kilomètres, et de plus en descente, notre chemin est encore commun. Ça y est, le voilà le carrefour de la séparation. Nous IMGP6008.JPGnous arrêtons, quelques photos sont prises, on se fait tous une grosse bise. Evelyne et Rafik prennent la route de Castelsardo tandis que Jean et moi partons plein nord pour traverser la région de la Gallura par son centre. Un peu tristes, mais ne pas se poser de question, le voyage continue. Dans un paysage de campagne ponctué de gros rochers de granit fauve puis de porphyre rouge nous retombons rapidement sous le charme de cette nature riante. La Gallura est très jolie en son centre, ce que nous n'avions pas perçu lorsque nous l'avions longée par le bord de mer sur la côte ouest. Une grande descente, grand braquet et nous appuyons à en être étourdis. Je bats mon record de vitesse, 73,5 kilomètres à heure. Le vélo reste bien stable et je n'ai pas vraiment une impression de grande vitesse. Cependant attention, il faut penser à freiner, je vais quasiment à la vitesse des quelques voitures qui me précèdent. Si elles freinent, je n'ai aucune chance d'en faire autant, donc il me faut relâcher. J'aurais peut-être pu gratter un petit quelque chose en plus! Nous rejoignons un peu plus tôt que prévu la grande route en bord de mer, suite à un croisement passé sans doute trop rapidement. Nous débouchons au moment où deux jeunes cyclotouristes allemands passent. Ça y est c'est reparti j'appuie à fond pour les poursuivre. Je faiblis, Jean passe devant et contre le vent garde une bonne vitesse, je m'abrite derrière et le nez dans le guidon je force. Ah là là!! Les vieux ça veut toujours avoir l'illusion que c'est encore jeunes!! J'en connais certaines, qui, si elles me voyaient, ne pourraient s'empêcher de dire que je suis toujours aussi c... que lorsque j'avais vingt ans. C'est peut-être ça le secret de la jeunesse, rester c...? Le trajet jusqu'à San Teresa est enlevé en un temps record. Nous débouchons sur le port vers midi. Le prochain bateau est à 15 heures30. Nous nous installons à l'abri de la chaleur sur le quai et faisons notre dernier repas sarde, avec notre dernière bouteille de vin rouge de l'île. La bouteille y passe aux deux tiers. Est-ce raisonnable? Nous avons encore une trentaine de kilomètres à parcourir en Corse, de Bonifacio à Porto Vecchio. Mais nous avons cinq bonnes heures pour digérer somme toute une quantité de vingt cinq centilitres par tête, même si je pense en avoir bu un peu plus que Jean! A 17 heures nous serons bien en-dessous des 0,5 fatidiques. En effet attention à vélo c'est le même tarif qu'en voiture en cas de dépassement, ce qui est normal. La police a constaté que de plus en plus de gens qui se rendent à des fêtes, sachant qu'ils allaient boire, utilisent un vélo. Ce qui tout naturellement a entraîné une recrudescence des accidents avec ce moyen de déplacement. Donc maintenant les cyclistes sont dans le collimateur, avis aux amateurs!

En attendant de traverser vers la Corse, nous discutons avec un couple qui vient d'effectuer en voiture un périple de 10 jours en Sardaigne. Ils sont enchantés de leur séjour, mais sont contents de rentrer, car ils en ont assez de trop manger dans les agritourismes. On en arrive à un véritable paradoxe en matière de voyage. Je réalise tout le bien-être que procure le voyage spartiate, en ayant un repas consistant par jour, généralement constitué de riz ou de pâtes. Même de riz de basse qualité, en effet il y a quelques jours une Allemande nous a proposé, car ses vacances arrivaient à leur terme, un paquet de deux kilos de riz de la pire qualité. Eh bien! Ces grains cassés qui cuisent mal je m'en régale, et ce n'est pas une histoire de radinerie, probablement le plaisir de la rusticité maximale.

La traversée a lieu à l'heure prévue. L'arrivée sur les falaises de Bonifacio dans l'après-midi alors que les rayons du soleil les frappent perpendiculairement, en les faisant resplendir, est un spectacle époustouflant. La vue de ces maisons toutes petites, serrées IMGP6018.JPGtout en-haut de ce mur blanc stratifié en surplomb donne presque le vertige. On s'attend à les voir basculer dans la mer. Les nombreux gros blocs empilés au pied de la paroi apportent la preuve évidente que la falaise est travaillée par la mer. La rentrée dans le chenal est spectaculaire. Les remparts de la citadelle défilent en nous dominant d'une belle hauteur. Un voilier de grande taille, aux proportions parfaites est à l'escale. Me déplacer en bateau me donne toujours une véritable impression de voyage, surtout lorsqu'on domine d'assez haut les flots. Sur le quai une meute de motos se tient prête à embarquer. Cela réveille chez moi de vieux souvenirs de folie, à l'époque où le permis moto était à seize ans. Dès cet âge mon père m'avait acheté l'une des plus puissantes motos du marché, une T500 Suzuki, gros deux temps, qui m'a donné des émotions dont je garde un souvenir précis presque quarante ans après. Mais et mais de taille, la contre-partie intolérable de cette époque, c'est que nombreux sont mes camarades d'alors, qui n'y ont pas survécu. Ce que l'on retient dans sa vie ce sont surtout ces moments où l'on ne sait pas très bien si on est encore parmi les vivants ou si on a déjà le billet pour l'au-delà en main. L'alpinisme m'a aussi procuré ce genre de sensations mais de façon moins actuelle, l'action étant plus lente, l'analyse de la situation, hors chute de pierres et avalanches, permet de mieux participer au devenir d'une situation qui s'avère hypothétique. En moto l'excès de vitesse est très difficile à gérer, car l'automobiliste, et c'est normal, n'est pas préparé à voir surgir des bolides à des vitesses déraisonnables. J'arrête sur le sujet, car maintenant je suis un adepte inconditionnel du respect de la vitesse sur la route.

Après ces errements philosophico-débiles revenons à la réalité du moment. Le débarquement effectué, nous prenons la direction de Porto Vecchio. Une fois passée la petite montée de sortie de la ville que nous connaissons bien, les vingt cinq kilomètres à venir sont une délectation. Un terrain peu accidenté, agrémenté d'un bon vent favorable, nous permet de filer, je dirais même de nous envoler à plus de vingt de moyenne. Dans les descentes le cinquante est fréquemment atteint et sans forcer, quelle jouissance! En un temps record nous rejoignons un camping à l'entrée de la ville. Le compteur pour ce jour affiche 85 kilomètres. Comme d'habitude l'installation prend quelques minutes, après plus de vingt jours, la manœuvre ne présente plus aucun secret. Et bien entendu encore une fois le site est presque vide. Le mois de mai est un mois idéal, des fleurs partout et presque personne.

Ensuite nous partons visiter cette ville balnéaire pleine de charme. J'y étais venu en novembre de l'année passée pour raison professionnelle et ce mélange des genres me procure une drôle de sensation.

Notre projet pour les jours à venir, est de traverser la Corse par son centre afin de rejoindre Bastia. Comme c'est étrange, depuis que nous avons quitté nos amis et la Sardaigne, j'ai vraiment l'impression d'être engagé dans un voyage nouveau complètement déconnecté de ce que nous venons de vivre. J'imagine facilement que de segmentation en segmentation, on puisse nomadiser un temps non déterminé de découvertes en expériences en perdant la référence au temps. Le secret pour durer et garder sa motivation au cours de ses errances, c'est peut-être de bien connaître son degré de résistance, et rester à un niveau où l'effort est plaisant sans être monotone et sans dépasser sa capacité d'endurance. Bien entendu cela n'exclut nullement un peu de souffrance, due à l'effort ou à la météo, afin de pimenter l'aventure. Alors l'alchimie de l'alliance du corps et de l'esprit, plaisir aidant, fait que l'on n'a plus envie de rentrer à la maison. Je pense au livre de Bruce Chatwin «Anatomie de l'errance»,dans lequel il aborde ce thème éternel du chez soi, qu'il est indispensable d'avoir, pour pouvoir le fuir. Paradoxe de l'être humain, peut-être plus présent chez l'homme que chez la femme, différence jamais facile à concilier dans un couple.

 

18 mai

 

Nous renouons aujourd'hui avec les étapes avec gros dénivelé. La route doit nous conduire à Zonza, puis au col de Bavella. En quittant Porto Vecchio devant un lycée des élèves attendent le début des cours. Que pensent-t-ils de ces deux individus lourdement chargés qui passent devant eux un lundi matin? Pour ma part en les regardant, je me rappelle ma rentrée en sixième au lycée Ampère à Lyon, il y a longtemps, et pourtant j'ai l'impression que c'était hier. La seule chose à en déduire, profiter du moment présent et ne pas hésiter à vivre, ça passe très vite une vie. Avec Jean au cours de nos discussions nous sommes arrivés à la même constatation: on part toujours malgré, car il y a une multitude de raisons pour ne pas partir, qui vont du mal de dos à la famille qui vit cela comme un abandon.

Très vite nous rentrons dans le vif du sujet. L'Ospédale, petit village perché, mille mètres de dénivelé en 15 kilomètres. L'effort se fait intense, la route semble escalader les montagnes jusque dans le ciel, mais le plaisir demeure. Arrivés au pied du village, je dis à Jean «Nous sommes bientôt arrivés». Alors une voix sort de derrière une haie et rajoute « Le dernier kilomètre vous allez voir, je ne vous dis rien». Nous ne voyons personne, les buissons parlent-ils? En Corse tout est possible. C'est bon, nous sommes avertis. Nous commençons par voir que le kilomètre en fait deux, et effectivement la pente est supérieure à 10% avec des épingles demandant de s'arracher. D'autre part la route est IMGP6039.JPGpleine de trous ce qui ne facilite pas l'effort. Et le bouquet, nous contournons le village sans rentrer dedans. Lorsque nous le réalisons il est un peu tard et l'idée de redescendre ne nous effleure pas. Nous arrivons au barrage qui porte le nom du village. Le lieu est magnifique. L'altitude fait que la température est agréable. Un peu plus loin nous décidons d'une halte afin de boire un café dans une buvette. Le gros de l'effort du jour est fait. Pour rejoindre Zonza, nous nous laissons glisser le long d'un itinéraire serpentant dans un décor de rêve, où les montagnes rivalisent de beauté. A un détour de la route, les aiguilles de Bavella apparaissent soudainement, je freine pour pouvoir les admirer. Mes pieds solidarisés à mes pédales sont le dernier de mes soucis, mais pas pour longtemps. Boum! Quatrième chute, et là je me luxe le pouce droit. Ce n'est pas dramatique, j'arrive toujours à tenir fermement mon guidon. Je ne sais pas si tous les cyclotouristes tombent à la même fréquence? Un peu avant Zonza, le camping municipal nous attend, lieu bucolique et accueillant au milieu d'une forêt aux arbres épars. Nous montons nos tentes, déposons nos bagages et partons faire des courses. Le déjeuner sera succulent, constitué de Lonzo et fromage corse, accompagnés de l'incontournable vin rouge corse. L'après-midi est consacré au farniente jusque vers cinq heures. Il est alors temps de s'attaquer au col de Bavella, une dizaine de kilomètres que nous grimpons à un bon rythme. Spectacle sublime que ces aiguilles d'une part granitiques et de l'autre porphyriques. Nous restons une demie-heure à profiter de l'ambiance du lieu. Puis le plaisir de la glissade rapide vers Zonza nous procure de bonnes et belles sensations. Nous avons décidé de revenir sur nos pas, car la descente sur Solenzara, si tentante qu'elle soit, nous aurait éloignés du cœur des montagnes où nous voulons rester. De nouveau à Zonza, l'attrait de la Pietra, la fameuse bière à la châtaigne, est irrésistible. L'étape de demain devrait être dure par des routes peu fréquentées. Nous demandons au barman si la route de Ghisoni est bien celle que nous voyons commencer à quelques mètres de la terrasse du café. Il nous répond surpris « Pas du tout Ghisoni ce n'est pas par là. Il faut passer par la côte». À mon tour d'être étonné. Je lui montre la carte et la route au milieu des montagnes qui passe par les cols de la Vaccia et de Verdé. Alors sa réponse est une IMGP6042.JPGrépartie d'anthologie «Oh! Mais là c'est le nord, on y va jamais». Le tout avec un accent corse à couper au couteau. Le ton est donné, notre route ne sera pas fréquentée. En quelques kilomètres nous sommes de retour au camping. La nuit sera fraîche, j'aurai un peu froid car depuis notre départ j'ai pris l'habitude de dormir hors de mon sac de couchage. Ce jour nous avons fait 70kilomètres, ce qui semble peu, mais l'effort a été intense et la journée bien remplie.

 

19 mai

Lever matinal, il fait froid. Les habits sont les bienvenus pour démarrer. À nouveau la traversée de Zonza, puis nous empruntons la D 420 direction Quenza. Trois autres villages accrochés à la montagne sont traversés avant d'arriver à Aullène. De cet endroit une route minuscule monte en direction du col de la Vaccia. Régulièrement elle suit un fond de vallée puis escalade un pan de montagne à flanc, pour nous conduire vers les 1200 mètres d'altitude au col. Pratiquement personne, seule une moto passe. Nous faisons une pose pour photographier un gros cochon qui paît tranquillement, oui qui paît à la manière d'une vache! D'abord il se montre farouche et ne se laisse pas approcher. Puis de son plein gré, il se rapproche comme s'il avait compris que nous n'allions pas le transformer tout de suite en lonzo et autre coppa. La descente sur le versant opposé est en très mauvais état, goudron déformé et trous partout. Les mains crispées sur les freins, cela devient rapidement un supplice. La chaussée change, de toute défoncée elle passe à toute neuve. L'effet est presque le même, car la couche de gravillons est épaisse. Il est dangereux de rouler sur ce tapis instable, et il indispensable de se servir des freins avec agilité et tact. Tout a un fin, même les tapis de gravillons. Au cours de cette descente nous ne sommes pas allés beaucoup plus vite qu'à la montée. S'offre à nous le village de Zicavo. La halte est la bienvenue. Un groupe de randonneurs est engagé dans la traversée de la Corse d'ouest en est. Après avoir englouti quelques spécialités locales et avoir satisfait au rite du café, malgré la chaleur nous partons à l'assaut du col Verde. Comme pour le précédent, la route monte régulièrement et l'effort demandé n'est jamais brutal. Plus nous montons, plus la vue porte loin, immensité de verdure dans laquelle se cachent de petits villages aux maisons serrées, dominés de montagnes enneigées telles des sentinelles qui veillent et qui contribuent à donner à cette île son caractère unique. Les derniers kilomètres avant le col semblent ne jamais finir, surtout que suite à une mauvaise évaluation, nous nous sommes lancés dans un sprint sur ce qui n'était pas le dernier kilomètre. Enfin le voilà. Un groupe de cyclistes belges à vélo de course avec assistance logistique y stationnent. Nous entamons une discussion animée ponctuée d'éclats de rire. Traditionnellement à cette période de l'année ils partent pour une semaine de vélo. Jean leur indique une route qui les conduira au col de la Vaccia en évitant les gravillons puis les trous. Après avoir pris congé, nous nous laissons emporter dans une descente d'une vingtaine de kilomètres qui nous conduira à Ghisoni. Un peu plus loin nous renseignons deux jeunes cyclotouristes qui verraient d'un bon œil la fin de cette rampe, moment qu'ils attendent avec une certaine impatience. Comme quoi nous ne sommes pas les seuls fous dans ces contrées reculées. IMGP6061.JPGAprès une bonne partie de plaisir Ghisoni est atteint. Très gentiment on nous autorise le camping sur un site laissé à l'abandon ou presque. Le cadre est magnifique. De belles aiguilles rougeoyant au soleil couchant nous offrent un spectacle de premier choix. Le compteur affiche 93 kilomètres pour la journée. Perchés sur notre petite terrasse herbeuse au milieu des arbres nous sommes seuls et nous nous trouvons royalement bien. Autour d'une grosse platée de riz et une bouteille de Patrimonio nous refaisons le monde. Ce type d'errance que nous pratiquons depuis presque un mois, est devenu un mode de vie. Montage et démontage de tentes, repas et toutes les contingences de la logistique ne nous posent plus aucun problème. Nous avons même le confort de posséder une dizaine de lyophilisés qui nous permettraient en cas de besoin au moins quarante huit heures d'autonomie. Au fond de nous, c'est avec un peu d'appréhension que nous sentons la fin du voyage arriver. Même par les montagnes et en plein milieu, la Corse se traverse assez vite. Si besoin, un signe qui ne trompe pas, la carte au 100 000 numéro 74 nous la quitterons demain pour sa sœur la 73. Bastia n'est plus qu'à 80 kilomètres à vol d'oiseau, cependant notre itinéraire en comporte cent de plus. Nous allons faire tout notre possible pour rester cachés sur de petites routes loin de tout, en particulier nous ne passerons pas à Corté.

 

20 mai

La nuit a été excellente, et comme d'habitude le chant des oiseaux nocturnes et diurnes nous a accompagnés. Le temps est très beau ce matin. L'impatience de rouler nous tenaille, poussés par la curiosité. En effet notre itinéraire fait de tels tortillons sur la carte qu'il est difficile d'en évaluer la longueur et la difficulté. Avant de quitter Ghisoni nous effectuons quelques courses dont l'achat d'un magnifique pain. L'itinéraire commence par la descente des profondes gorges qui passent par le défilé de l'Inzecca. Tout est tellement IMGP6069.JPGjoli que nous marquons des arrêts au moins tous les kilomètres. Une petite rivière, courant sur une roche blanche ponctuée de gros blocs polis, joue à cache cache entre ombre et lumière, et tout autour s'étalent de grandes forêts de pins couronnées de montagnes enneigées.

Un minuscule embranchement au bas des gorges et c'est reparti pour 15 kilomètres de montée bien raide jusqu'au village de Vezzani. Dans cette portion de route, nous croisons des cyclistes lancés sur leur vélo de course. L'un d'eux, en nous voyant arque boutés sur nos pédales avec notre gros chargement, s'écrit « Du vélo comme ça, ah non merci!». C'est gentil! Mais il n'imagine pas à côté de quels plaisirs il passe! Cependant la fatigue se ressent et nous oblige à une pose, qui nous ragaillardit. Puis rapidement nous basculons sur l'autre flanc de la montagne. Que cette Corse profonde est belle. De nombreux IMGP6086.JPGvillages s'accrochent aux pentes des montagnes ou colonisent leurs crêtes. De nouveau le fond de la vallée est atteint. Corté n'est qu'à une dizaine de kilomètres, mais nous lui tournons résolument le dos et suivons la nationale sur une courte distance. Un pont, juste derrière à gauche, une route confidentielle nous permet de continuer notre itinéraire buissonnier. Après huit kilomètres raides sous le caniard, nous pénétrons dans un village perché. À sa sortie juste avant les dernières maisons, une petite terrasse. Le bar semble fermé, alors le miracle se produit. Le propriétaire, les 80 ans largement dépassés apparaît et nous invite à prendre place. Les deux heures que nous passons en sa compagnie sont un délice. Tout d'abord avec notre lonzo, nous avons droit au vin qu'il produit, très fruité ayant du corps et pas trop d'alcool. Il est la mémoire du temps passé dans cette région reculée. Il nous parle de la vie à l'époque où le village comptait 550 âmes. Les champs n'étaient pas abandonnés au maquis. Des dizaines de paires de bœufs constituaient l'élément moteur de cette agriculture. Il nous relate l'histoire de ce gendarme ayant passé sa carrière ici, et qui vit maintenant dans une cage à lapins à Nice. Il ne se console pas d'avoir quitté la Corse. Il nous raconte aussi la guerre. Les Italiens qui étaient pire que les Allemands. Ces derniers rentraient à l'église désarmés, par contre les Italiens assistaient à la messe avec leurs fusils. Des rancœurs profondes en sont restées. Puis une fois l'île délivrée, ainsi que quelques milliers de jeunes Corses, il a été mobilisé dans les armées alliées. Il finira la guerre quelque part dans la vallée du Doubs. Nous avons droit à un couplet sur les autonomistes, manifestement il ne les porte pas dans son cœur. Leur chef aurait un père italien et donc ne serait même pas corse. Lorsque nous lui demandons ce que veut dire cette inscription à la peinture que l'on a vue plusieurs fois écrite en gros au beau milieu de la route: FRANCIA FORA. D'un air désabusé il nous apprend que cela signifie, la France dehors, ce que nous supputions. Pour finir il nous offre une myrte, c'est excellent, mais attention la route est encore longue et pentue cet après-midi. Nous le remercions vivement avant de prendre congé. En effet pour une somme modique, il nous a procuré un grand moment de plaisir, satisfaisant pleinement notre palais et notre curiosité.

La route serpente dans la montagne et relie entre eux des villages perdus, qui se cachent dans la végétation. La perspective de toits se découpant sur le ciel le long de crêtes avec en arrière-plan de grandes montagnes enneigées est caractéristique de cette Corse sauvage. À Erbajolo à l'entrée du bourg, une église et devant, une route minuscule la D16 part tout droit dans la pente. Nous avons vraiment l'impression de nous diriger vers nulle part. Un petit carrefour à 1000 mètres d'altitude, un éleveur de porc nous renseigne. Une IMGP6099.JPGdescente d'une raideur inhabituelle, en pleine forêt, permet des perspectives étonnantes. Jean me précède d'une centaine de mètres, j'ai vraiment l'impression qu'il est très très bas. Nous hésitons encore, car la carte ne semble pas en cohérence avec ce que nous a dit l'éleveur. Nous avons l'explication un peu plus tard. La piste que je voulais suivre n'est pas praticable à vélo, car il y a de nombreuses marches pour escalader le col, qui conduit directement au village que nous voulons atteindre. Donc sans aucun remord nous nous engageons sur la route préconisée. Avec le soleil de fin d'après-midi, ce décor de villages agrippés au sommet de rochers est d'une beauté exceptionnelle, le tout baignant dans une lumière diffuse. L'envoutement est total, le charme du lieu nous subjugue. Encore une fois nous avons de la difficulté à avancer tellement à chaque changement de perspective l'émerveillement joue pleinement du fait du spectacle qui se dévoile au regard. Cette féérie est exacerbée par les rayons solaires rasants, qui mettent en relief les couleurs tout en révélant des jeux d'ombres et de lumières à couper le souffle. Il est de ces ambiances exceptionnelles, où l'esprit est complètement accaparé, au point d'en oublier le flot de pensées parasites qui brouille en permanence le fond de l'esprit. On en ressent une forme de plénitude, que l'on aimerait permanente. Mais le charme finit inéluctablement par se rompre. Cela se produit lorsque nous atteignons la très relative grande route D14, à quatre kilomètres de Bustanico, notre IMGP6119.JPGpoint de chute. Le compteur affiche pour ce jour 78 kilomètres et le dénivelé dépasse très probablement les 1200 mètres. Mais comment mesurer dans ce dédale et cet enchevêtrement de routes. Je sais que les puristes me rétorqueront, qu'il suffit d'avoir un GPS. Mais sans doute signe de vieillesse précoce et d'inadaptation au monde moderne, je suis philosophiquement contre. Des arguments je n'en ai pas beaucoup, si ce n'est que les cartes me font rêver et que je revendique le droit de me perdre. D'ailleurs de l'importance de savoir si le dénivelé faisait 1250 ou 1500 mètres? Le village est formé de deux bourgs distants par la route d'un kilomètre, mais quel kilomètre, un bon 12%. Dans la partie haute, un hôtel, niché en pleine pente, nous ouvre ses portes bien que paradoxalement il ne soit pas ouvert. De la chambre, la vue porte en face dans le lointain, sur le massif du Cinto. L'hôtelier est très sympathique et serviable. Le repas typiquement corse qu'il nous concocte est original et fin. En particulier son entrée, dont malheureusement je n'arrive pas à me remémorer le nom. Une pâte au four fourrée d'une multitude d'herbes plus odoriférantes et goûteuses les unes que les autres. L'ensemble de ces saveurs s'alliant, sans s'annihiler mutuellement, pour procurer une explosion de plaisirs en bouche.

 

21 mai

 

A la joie de se trouver dans une région aussi extraordinaire, s'oppose insidieusement l'idée que le voyage va bientôt toucher à sa fin. Mais n'y pensons pas. Aujourd'hui nous rentrons au cœur d'une zone mythique, la Castagniccia. Pour les puristes, et tous les Corses le sont, elle commence au col qui nous domine du haut de ses mille et quelques mètres. Notre très sympathique hôte, dont l'établissement est en bordure mais en dehors de la Casatagniccia, nous fait cette remarque quelque peu désabusée: «Elle commence là-haut la Castagniccia, mais des châtaigniers on en a autant qu'eux!». Réplique mortelle qui ne souffre pas la contestation! L'étape du jour sur la carte est encore matérialisée par une multitude de tortillons difficiles à démêler. Je demande son avis à l'hôtelier qui me répond: «Vous savez pas où c'est la Pooorta, vous y êtes jamais allé à la Pooorta, eh bien moi non plus!» Sur ces entrefaites, le petit déjeuner qu'il nous sert est copieux et de grande qualité. Cet hôtel dans la partie haute de Bustanico, juste posé dans un virage, nous le recommandons tout particulièrement. Et pour ceux qui veulent réserver je peux même donner le numéro de téléphone.

Notre dernière journée, perdus dans la montagne corse, commence et nos attentes ne seront pas déçues. Ce jour est le jeudi de l'Ascension, jour férié, et bien nous ne verrons quasiment personne jusqu'au fameux village de la Porta, seulement quelques autochtones toujours très gentils et prompts à la discussion. Cette route déserte en pleine montagne nous semble presque irréelle. Parfois elle s'envole vers le ciel avec des pourcentages de montée à deux chiffres. Mais notre plaisir est tel, que nous ne ressentons aucune difficulté, tout absorbés à nous imprégner de l'esprit de ce pays hors du commun.

Vers 13heures30 sonne le moment de l'arrêt. Dans une minuscule bourgade à l'ombre d'un châtaigner, nous prenons place sur le muret de la route dans un virage et commençons notre repas. Que l'endroit est paisible, une fontaine prodigue une eau fraîche, et les habitants ont poussé l'attention jusqu'à mettre un verre à la disposition du passant. Bien abrités du soleil qui darde ses rayons, nous avons tout loisir de contempler IMGP6117.JPGune fois encore vers le centre de l'île de grandes montagnes enneigées. Que ce contraste est étonnant par cette chaleur! De l'autre côté de la chaussée une maison carrée possédant une terrasse, sur laquelle deux dames sont installées. L'une d'elles nous apporte très gentiment sur un plateau deux cafés. Un vieux monsieur arrive d'un petit chemin et cherche quelque chose sur le talus herbeux. Intrigué, je lui demande quel est l'objet de son attention. Alors il m'explique que selon la tradition corse, il recherche l'herbe de l'Ascension. Il s'agit d'une petite plante de quelques centimètres, dont on fait un bouquet et que l'on suspend chez soi, en attendant qu'au cours du mois à venir il fleurisse sous la forme de minuscules fleurs blanches. Il m'offre son premier bouquet, que je protège religieusement dans ma sacoche de guidon. Il est arrivé sans dommage à Lyon. Je l'ai suspendu dans mon jardin et effectivement des petites fleurs ressemblant à des étoiles de mer miniatures à six branches commencent à s'épanouir. Pour le moment elles sont vertes, mais vont sans doute évoluer, car il faut un délai d'un mois et pour le moment cela ne fait que deux semaines. Je les regarde de jour en jour avec un plaisir non dissimulé, pensant à ce vieux Corse qui m'a communiqué sa tradition. Une dame se promène le long de la route, elle s'arrête se désaltérer et engage la conversation avec Jean. Elle n'est pas Corse d'origine, mais il y a bien longtemps que son Lot-et-Garonne natal appartient au passé. Son lieu d'habitation est un minuscule groupe de maisons sur une butte, qu'elle nous montre. Elle y demeure depuis bientôt trente ans. L'idée de partir ne l'a jamais effleurée. Dans ces lieux reculés, la distance la protège de la folie du monde. Son discours révèle toute la passion qu'elle éprouve pour ces montagnes privilégiées. Elle fait une comparaison avec la Haute-Ariège, où elle a habité. En effet, on peut trouver des similitudes entre ces régions de montagnes sauvages et désertifiées. La Haute-Ariège je la connais bien et c'est effectivement une région qui me procure de grandes émotions. J'en ai gravi la plupart des sommets, l'Estat point culminant, qui s'élève à 3143 mètres, et aussi le Rouch sauvage tas de cailloux, le Maubermé qui s'élance, plutôt se cabre sur sa partie finale d'un jet sur au moins 600 mètres de dénivelé, le Certescans qui est aussi mystérieux que son nom, le Vallier, sentinelle avancée, sans doute le plus esthétique, le Pic Rouge de Bassiés mon préféré, et nombre d'autres. Les dénivelés sont toujours importants et jamais en dessous des 1600 mètres et cela va jusqu'à plus de 2000, et cerise sur le gâteau la plupart de ces sommets sont généralement déserts et pas toujours équipés en refuges. Oui de toute évidence ces hautes terres corses et ariègeoises ont des points communs, comme si un même esprit y régnait et rentrait en harmonie avec certains êtres.

Nous restons deux heures et demie sur notre bord de route et nous n'y perdons pas notre temps. Ces rencontres dues au hasard ce sont les plus belles. S'arracher au sortilège du lieu n'est pas facile, cependant nous reprenons notre route. Après une multitude de virages, tout en bas la Porta apparaît. Une route particulièrement tortueuse nous y IMGP6125.JPGconduit. Cette magnifique petite bourgade nous accueille sur une place très originale bordée d'une magnifique église baroque flanquée d'un grand campanile. Il s'y déroule sinon un concert d'orgue, tout du moins une démonstration et nous prenons place pour un moment de recueillement. En sortant de l'église, auprès d'un barman je m'enquière des possibilités de camper. Il interpelle une femme assise à la terrasse du café en face: «Oh Ginette ! Où ils peuvent aller camper?» Avant qu'elle ait pu s'exprimer, plusieurs voix s'élèvent et répondent: «Sur le terrain de sport à côté des pompiers, il y a tout ce qu'il faut et même de l'eau». Nous remercions et partons nous installer à l'endroit indiqué. Effectivement le site est superbe et très pratique. Que les gens sont gentils dans tous ces villages corses, avec spontanéité toujours heureux de nous rendre service. C'est le dernier soir, demain Bastia, adieu la montagne corse et ses habitants. Nous terminons la soirée dans un petit restaurant typique. Aujourd'hui nous avons parcouru seulement 42 kilomètres, comme si cette région nous ne voulions pas la quitter, et que nos roues collaient à la route pour nous y retenir.

 

22 mai

 

La nuit a été très bonne. Le réveil se fait en fanfare comme si tous les oiseaux de l'Île de Beauté venaient nous dire au revoir. Une multitude de chants différents se superposent et se mélangent. Certains s'apparentent à des sifflements plus ou moins forts sur des modulations diverses, d'autres à des piaillements et certains à de véritables cris presque des hurlements de colère voire des interpellations vindicatives. Je n'avais jamais entendu quelque chose de comparable. Je reste médusé un long moment à écouter tout ce monde animal qui s'éveille. Nous nous levons, prenons le temps de bien petit-déjeuner, comme nous avons pris l'habitude de le faire depuis un mois. Le terrain de foot est entouré jusque haut dans la montagne par des constructions. Une l'église au clocher effilé brille au soleil levant. Le tout est noyé dans la verdure. Et tout là-haut quelques parois rocheuses ajoutent une touche à la beauté du tableau.

Encore une quinzaine de kilomètres et la Castagniccia sera derrière nous. Une magnifique forêt ombragée, garde toute la fraîcheur de la nuit. Nous la parcourons tous sens en éveil, elle nous délivre les derniers parfums. Tout à loisir, nous observons la multitude de porcs se sauvant mollement à notre approche. Cela va du cochon bien rose au sanglier bien gris, avec tous les intermédiaires, tels des patchworks sur pattes. Au fond de la vallée nous voyons grossir la nationale que nous ne voulons pas rejoindre. Aujourd'hui pas de grand braquet dans cette longue descente, mais les freins serrés un peu à la manière du cœur. Inexorablement la grande route approche. Le bruit de la circulation dense se fait de plus en plus prégnant. Et voilà, cette maudite nationale marque la limite de la Castagniccia, que nous quittons bien à regret. Par une succession de montées et de descentes au milieu d'un flot de véhicules dense nous rejoignons Bastia. L'aventure prend fin. Demain départ matinal. Nous passons la nuit dans un camping. Nous nous y sentons mal à l'aise, la transition est trop brutale.

 

23 mai

 

Heureusement nous quittons ce lieu aux aurores pour être à l'heure, heureux de fuir cet endroit que nous ressentons comme hostile. Un petit désagrément, nous ne voyons pas comment éviter de nous engager dans un tunnel interdit aux vélos. Mais grand braquet aidant et gros coup de pédale, nous allons presque aussi vite que les bus, tout du moins dans la première partie qui descend légèrement.

Le bateau manœuvre et se met à quai. Les foules embarquent, nous sommes les seuls à vélo. Nous avons la joie de voir des baleines à la hauteur du cap Corse.

Nous débarquons à 15heures30 à Nice. Jean continue à vélo jusqu'à Saint Raphaël, où il compte prendre le train pour Tarbes. Je sens qu'il n'a pas envie de rentrer. Pour ma part, j'aimerais bien prendre le temps de retourner à Lyon par les Alpes ou les Préalpes, en prenant le temps de digérer seul ce mois fabuleux que nous venons de passer. Mais il faut aussi penser aux autres. Ceux, qui restent et attendent, éprouvent un supplice qui n'en finit pas, une sensation de temps comme immobile.

 

Pour une première expérience à vélo, même si parfois j'ai ressenti la route comme un enchaînement et le trafic comme une menace, j'en retire de multiples satisfactions et je vais renouveler ce genre d'expérience en groupe et seul aussi. Je me verrais bien traverser la France seul uniquement par de toutes petites routes voire des chemins en campant par exemple aux confluents des rivières, endroits généralement aérés presque toujours accueillants. À court terme si tout se passe comme prévu, une grande aventure de deux mois en compagnie de Jean en août et septembre m'attend, mais laissons venir.

 

 

 

23:50 Publié dans voyage à vélo | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : vélo, mer, montagne

26/05/2009

le long du rhône en hiver

IMGP1165.JPG 

Rhône

 

Depuis longtemps l'envie de remonter le Rhône à partir de Lyon me trottait dans la tête. Cette envie m'a été en partie communiquée par le récit de Paul Morand remontant le fleuve sur l'un des tout premiers hydroglisseurs construits. Cela remonte aux années trente. Décidé, le départ est fixé au dimanche 15 janvier.

 

Neuf heures, beau temps en avant. Comme il est étrange de partir, pour ce que l'on considère comme un voyage, à pied de chez soi. J'ai lu le récit d'un pur et dur qui écrivait que le vrai voyageur à pied était celui qui partait et revenait à pied chez lui. A défaut d'être un vrai voyageur à pied, je vais peut-être au moins en être un demi, car le retour est prévu en train. Donc, après un bon kilomètre de trottoir je me retrouve au bord du canal de Jonage. Temps parfait, il fait vraiment très bon pour un mois de janvier. Rapidement, je tombe sur un groupe de pêcheurs , dont l'un vient de sortir une belle carpe d'une dizaine de kilos, nombreuses photos agrémentées de cris de joie et d'éclats de rire. Le rythme est bon, le terrain étant plat. Jour du Seigneur, je croise un bon nombre de promeneurs à pied et à vélo. Enfin, après une quinzaine de kilomètres ayant laissé derrière moi le Grand large, le canal prend fin et commence le Rhône.

 

Au début, tout va bien . Un petit chemin s'insinue entre un terrain de golf et le fleuve, qui à cet endroit est entouré de grandes zones marécageuses. Mais, assez brutalement , la jolie sente se transforme en piste boueuse très noire et très gluante. Je vais me déplacer sur ce terrain désagréable durant une à deux heures. A deux reprises je suis dépassé par des engins pétaradant jetant aux mille vents outre des paquets de décibels, des nuées de gouttes pour le moins salissantes. Ce petit calvaire va prendre fin au confluent de l'Ain.

 

Là, dans un village j'ai du mal à retrouver le bord du fleuve , ayant du l'abandonner pour impraticabilité. Un monsieur très gentiment m'explique, qu'en sautant deux barrières, une pâture et en traversant un petit bosquet, je devrais le retrouver. Me voilà de nouveau au bord de l'eau, mais le chemin est capricieux, et pour me maintenir au plus près, j'essaye de marcher sur les galets, le niveau du fleuve étant faible. Pas facile du tout, c'est instable et ça glisse. Après avoir joué les défricheurs de forêt vierge au niveau d'un petit ru, me voilà de nouveau sur la grand route. Le bruit des voitures est rarement absent, car les deux rives sont proches d'axes routiers passants. Il est 15 heures. Plus de trente kilomètres au podomètre, il est sans doute temps de trouver un point de chute pour la nuit.

 

Dimanche après-midi, seul un bistrot est ouvert. Manifestement c'est le bistrot de garde, vu le prix du coca. Mais enfin, en prime ,j'ai droit à une blague de Coluche, donc politiquement correcte. De plus le tôlier m'indique un petit hôtel dix kilomètres plus loin. Pas de problème, il est 16h, dans une heure et demie je devrais y être. J'emprunte un chemin assez éloigné du Rhône avec en toile de fond la centrale nucléaire du Bugey. Dans mon accoutrement je ne passe pas inaperçu. Un promeneur me dit que l'Himalaya c'est par là. Enfin, j'arrive au patelin, sur la petite place centrale un joli petit hôtel, quelle nuit en perspective après 40 bons kilomètres. Manque de chance, il est fermé le dimanche soir. Pas de panique, je m'adresse à une vieille dame, qui va probablement me tirer d'affaire. Pour commencer, elle me prend pour un SDF quémandant un euro pour se payer une chopine avant sa nuit à la belle étoile. Rassurée, elle ne m'apprendra rien de concret en perspective de la nuit qui avance à grands pas. Dans le village se trouve l'essentiel , une fontaine. Profitant des dernières clartés de cette journée d'hiver, je vais contempler l'église, qui est vraiment imposante, en particulier du fait de son immense clocher rectangulaire. A l'arrière de l'édifice un petit champ en pente à la base duquel un replat se dissimule dans l'obscurité grandissante.

 

IMGP1168.JPGDix minutes plus tard ma petite tente y est installée, et je suis allongé à l'intérieur pour la longue nuit de 14 heures. Un petit coup de téléphone, avec un portable on n'a jamais l'impression d'être seul. J'ai la flemme de me faire à manger. Les cloches sont particulièrement présentes, elles annoncent tous les quarts d'heure et de plus elles doublent tous les messages. A croire que les habitants sont sourds. Malgré ce raffut, pouf je dors.

 

Il est 6 h du matin, je me réveille. Il fait encore nuit. J'en profite pour lire. Il s'agit du livre d'Ella Maillart: Ti Puss. Elle compare son chat à une grosse chenille velue. Huit heures sonnent au clocher. Le jour ne va pas tarder, je plie tout. Que d'humidité, cependant camper en hiver a son charme. Trente minutes plus tard, sac bouclé je démarre. Plongée dans le brouillard du petit matin une enseigne terne au détour d'une rue sombre, un bistrot improbable. Un petit café ne me fera que du bien , cela va faire 24 h que je suis quasiment à la diète totale. Je rentre et là je reconnais le bistrot français. Lorsque je vivais à l'étranger ces ambiances me manquaient. Comme dit Ella Maillart, au fin fond de l'Inde elle reconnaît un Français et bien moi au fin fond de l' Ain , je suis sûr que mon bistrot est français et le premier coup d'œil me le confirme. La tôlière me prend aussi pour un martien, va-t-elle m'indiquer le chemin des étoiles? En tout cas, je n'arrive pas à déterminer si elle a gardé sa chemise de nuit, à moins qu'elle ne soit allée repêcher sa chemise de la semaine dernière dans la machine à laver en panne. Je suis méchant car elle est avenante et son café bon. La clientèle est française, je le confirme. Les uns sont au petit blanc et les experts déjà au gros rouge. Il faut reconnaître que dans cette région de viticulture les deux couleurs se tiennent bien , alors que l'appellation est peu connue.

 

8h30 , je quitte cet endroit bien sympathique. Le jour s'est levé, encore une fois le chemin refuse de me ramener au bord du fleuve. A vrai dire , il n'y a pas de chemin de halage et cela est logique, car le Rhône n'est pas navigable au nord de Lyon. Donc tout parallèle avec la Saône n'est pas possible. Je traverse de grandes zones de pâtures et de champs cultivés, puis j'arrive à proximité d'une grande propriété. Un chemin bordé d'immenses IMGP1170.JPGarbres majestueux contourne le corps principal des bâtiments. Il se dégage dans ce matin doux une atmosphère paisible qui donne un côté très agréable à la marche. Une fois de plus je suis acculé à prendre la route. Un village se dessine quelques kilomètres devant. Je vais bien trouver un petit restaurant . Le bourg est pittoresque et manifestement touristique, mais peut-être pas un lundi du mois de janvier. Un joli restaurant, à la carte alléchante, pas de doute ça m'a l'air superbe. Mais au fait c'est fermé. J'allais tomber dans la facilité. Bon le prochain village est dans un peu moins de dix kilomètres, avant treize heures trente j'y serai. La sortie du village offre une vue magnifique sur le fleuve, qui arbore de belles teintes bleu pastel dues au ciel et aux quelques nuages. Mais rapidement mon itinéraire emprunte un chemin de carrière duquel de vilains bosquets masquent l'eau qui court. Enfin sur l'autre rive, mon lieu escompté. Je traverse un pont duquel je vois une truite chasser de petits poissons. Je remonte la rue principale. Tout est fermé, tout absolument tout. Cela va finir par devenir l'aventure.

 

Je m'installe sur le quai et sors mon réchaud. Ma soupe mijote tranquillement. Au-dessus de moi un petit mur de 1,5 mètre. Des voix d'enfants me font lever les yeux. Quatre petites têtes blondes et moins blondes m'observent avec curiosité. La première question jaillit.

-Que faites-vous Monsieur?

-Je me promène.

-vous venez d'où?

-de Lyon

-à pied?

-oui

-vous mangez quoi?

-de la soupe

-bah!!! Elle est à quoi?

-à la poule

-pourquoi le sachet n'est pas écrit en français?

-parce que je l'ai acheté en Espagne

-pourquoi vous mangez pas un kébab?

Alors le plus déluré de la bande me demande:

-vous voyagez seul?

Je lui réponds par l'affirmative. Il me regarde et me lâche:

-ta chérie te manque pas?

Il n'en fallait pas plus pour que la petite meute soit parcourue d'un grand éclat de rire. Bien en évidence au milieu le premier de la classe ses lunettes droites sur son nez ouvre son rire sur ses dents en zigzag. Il me fait penser au petit orphelin dans les Choristes. La frénésie inhibant la timidité l'un d'eux me lance:

-Monsieur mets ta cagoule

-eh! les anciens on continue à discuter dans le calme et le respect!

-d'accord Monsieur, mais c'est lui qui fait toujours l'idiot

-et au fait vous n'êtes pas à l'école cet après-midi?

-ben non on a une petite grève de deux heures.

Je continue mon repas sous leur regard, puis une voix lointaine les interpelle et ils disparaissent comme ils étaient venus.

 

IMGP1171.JPGRepas terminé, je range tout, nettoie ma gamelle au fleuve et c'est reparti. Une fois de plus, il n'y a que le goudron qui veuille bien accueillir mes chaussures. Quelques kilomètres plus loin, une immense étendue formée par le barrage situé en aval. Je vais remonter cet espace sans grand intérêt. L'été de nombreuses embarcations doivent l'arpenter, mais aujourd'hui c'est le désert. Un mot échangé avec un retraité, en regrets de ne pas avoir été militaire d'active dans l'armée de l'air, me permet d'espérer trouver un petit hôtel au hameau suivant. En effet cela fait 70 km depuis que je suis parti de chez moi, et je n'ai rencontré qu'un bistrot ouvert à l'exclusion de tout autre commerce. Effectivement un petit hôtel au carrefour de deux routes passantes. J'entre, m'installe, commande une bière à la vieille dame en train d'éplucher des haricots verts. Je lui demande s'il est possible d'avoir une chambre pour la nuit. Manifestement elle n'en prend pas la responsabilité et appelle à l'aide. Une belle femme entre, à laquelle je réitère ma question. Elle me répond que l'établissement est complet et repart vaquer à ses occupations. Je passe donc du désert total à la foule la plus absolue, car la bâtisse semble contenir de nombreuses chambres et qui en apparence sont toutes occupées. Bon, tant pis! De dépit je commande une seconde bière. Mon interlocutrice réapparaît et au moment de payer me dit :

-j'ai bien une chambre qui n'est pas en état mais je veux bien vous la laisser, si vous voulez la voir et je vous la laisse pour 20 euros

-ce n'est pas la peine que je la voie, je la prends ou c'est ma tente au bord du Rhône

-ben non! On ne va pas vous laisser dormir dehors.

Lorsque enfin j'émets le désir de rejoindre ma chambre, elle m'accompagne et me laisse découvrir un ensemble superbe avec salle de bain et télévision. Manifestement, au début elle aussi m'avait pris pour un SDF, sans doute insolvable, à la recherche d'un toit pour la nuit. Heureusement elle a révisé son jugement. A sa décharge, on peut se demander ce que vient donc faire en hiver un marcheur au bord du Rhône. Du coup, j'aurai une superbe nuit, gîte et couvert pour une somme modique.

 

Le lendemain matin après une bonne nuit, frais et dispos je décide de couper directement à travers la montagne et de quitter le bord du fleuve qui est encadré d'un peu trop près par le bitume. Rapidement je m'élève et le panorama s'élargit. La vue d'ensemble sur le Rhône est superbe. Les coteaux du Bugey déploient de magnifiques petits vignobles. Une petite rivière très claire, je m'arrête à la recherche de quelques poissons , mais hélas rien. Au moment de repartir un homme manifestement plus très jeune me héle et me demande si j'étais en train d'essayer d'apercevoir quelques truites. «Exactement» je lui réponds. Et là, il me raconte sa jeunesse à traquer le salmonidé dans ce gros ruisseau, et il y a bien longtemps il en ramassait de beaux, mais actuellement la population a périclité en partie à cause des différents produits utilisés pour les cultures. Le chemin serpente le long de pentes escarpées. Je rejoins un GR , et comme toujours dans ces conditions je ne regarde plus la topographie des lieux et me perds dans un petite trace très sauvage qui plonge vers la vallée. De toute évidence mon chemin court le long de la crête quelques centaines de mètres plus haut. En restant à flanc , je devrais rejoindre un petit col par lequel il passe probablement. Je vais jouer les sangliers en suivant des empreintes d'animaux pour me retrouver enfin à ce petit col. Les marques rouges et blanches sont bien là.

 

Il est plus de trois heures de l'après-midi, et j'aimerais bien arriver à Belley avant la nuit. Trois petits mouvements de terrain boisés sont à franchir, et je préférerais ne pas me retrouver en forêt après la tombée de la nuit, car le brouillard tombe vite à cette période de l'année. Donc, mesure immédiate : accélérer le pas. Le sentier est raide, en roche calcaire et orienté au nord donc très humide. Cela ne traîne pas, je prends une grosse gamelle et manque passer par dessus bord. Plus de peur que de mal, je repars en assurant mieux mes pas. Quelques quatre kilomètres plus loin, j'arrive à l'entrée d'un vaste bois, que je dois traverser par une petite sente. Je baisse les yeux sur ma carte à la recherche du bon indice pour ne pas faire l'erreur fatale un peu avant l'obscurité. Comme c'est bizarre je n'y vois rien , où sont mes lunettes. Rapidement je réalise qu'elles sont restées sur le lieu de ma chute, il n'est cependant pas question de faire demi-tour. Dans le noir j'ai peu de chance de les retrouver. Mais pas de panique, depuis que j'ai lu les exploits de Loulou Boulaz avec Louis Lachenal, je fais comme elle et j'ai toujours plusieurs paires de rechange. La perte ne sera pas lourde, car lorsque je marche, je me contente d'une paire de loupes que j'achète trois euros sur le marché de Villeurbanne, réservant mes lunettes à la noble tâche de la lecture de livres et non de cartes. Après quelques petites incertitudes topographiques, à la tombée de la nuit je me trouve à l'entrée de la ville.

 

Rapidement au centre, je demande à une personne où se trouve un hôtel. Cette dernière me répond qu'elle est justement propriétaire de l'hôtel au coin de la rue. Tout est pour le mieux dans le meilleur des monde. Une fois mes affaires déposées dans la chambre et une petite douche prise , il est temps d'aller se restaurer. Je fais la connaissance de l'andouillette du Bugey, ma foi très bonne, et pourtant étant lyonnais , je suis un inconditionnel de la grosse bobosse, donc très exigeant en la matière. Je l'accompagne d'une Mondeuse du Bugey fort bonne, et moi qui croyais que ce cépage était spécifique de Savoie.

 

Après une bonne nuit, le temps du retour à Lyon est arrivé après cent six kilomètres en trois jours. Avant l 'arrivée du car ,qui me conduira à la gare la plus proche, je me promène un peu dans cette petite ville qui se réveille, et finalement je vais m'assoir à l'arrêt du bus . Alors arrive une grosse dame habillée en rose, qui me demande que le car l'attende si elle devait être en retard, car elle a quelques médicaments à acheter. Le bus arrive, je monte, mon gros bonbon rose n'est pas là. Pas d'affolement, il reste dix minutes. Le temps passe, départ dans trois minutes et elle n'est toujours pas en vue. Alors je signale le fait au chauffeur qui me répond qu'il n'a pas de latitude sur les horaires, car le train lui n'attendra pas. Enfin au bout de la rue, je la vois dans son habit de lumière qui essaie de courir. Tout est bien qui finit bien, à vrai dire cela ne fait que commencer .

 

Nous sommes cinq dans le bus, le chauffeur , la dame deux passagers et moi. Dès le départ, notre brave dame nous raconte ses tribulations médicales à grands renforts de gestes et de mimiques. Elle ne nous épargne rien et nous raconte par le menu comment le radiologue la retourne comme une omelette. «Vous comprenez» nous dit-elle « c'est que je n'ai plus dix-huit ans mais soixante quatorze » Elle y va avec tant d'entrain , que je finis par me demander si elle ne va pas nous faire un striptease. Mais non, et une fois que le registre des maladies multiples et diverses est clos, elle attaque les faits divers du matin. Et là, la grosse rigolade continue de plus belle. Elle interpelle le chauffeur:

-Vous vous rendez compte, hier un prisonnier en a mangé un autre qui était dans sa cellule

-Ben quoi ils leur donnent pas à manger en Amérique?

-Mais non, ce n'est pas de faim qu'il l'a mangé mais de haine.

A ce moment du dialogue, le chauffeur freine et s'arrête et les deux passagers descendent. Il est onze heures trente et comme notre grosse dame est polie , elle leur souhaite bon appétit. Je me retiens de leur demander s' ils n'ont pas un petit prisonnier à se mettre sous la dent. La gare est proche. Le retour vers Lyon se fait à faible allure, ce qui me permet de me remplir encore les yeux de nature avant de replonger dans l'affairement urbain. Une fois sur le quai de la gare de la Part Dieu, pour me remettre dans le tempo de la cité, je prends le temps de faire à pied les cinq kilomètres qui me conduiront chez moi.

 

 

10/03/2009

Vercors la Méditerranée à pied

 

 

 

Luc-en-Diois Cassis

 

 

Cette région des Préalpes françaises qui borde le flanc est de la vallée du Rhône est tout a fait étonnante. Elle recèle une multitude de bijoux naturels, qu'il s'agisse de massifs montagneux ou de belles rivières enserrées dans de magnifiques gorges parfois impressionnantes. En la traversant en voiture on la trouve sauvage, mais lorsqu'on prend le temps de l'arpenter par les chemins de traverse à pied et cela en dehors des périodes de vacances, on en évalue toute la solitude dès que l'on quitte le fond des vallées.

Je vais vous conter ce voyage de 9 jours que j'ai eu le plaisir de faire au mois d'octobre 2007.

 

Il est deux heures du matin le mercredi dix octobre, comme souvent avant un départ la nuit n'est pas très bonne. Je prends le gros pavé sur Mazarin, qui a été loué par la critique, et cela à juste titre. Mais ma lecture est distraite par le raffut que fait la pluie sur le toit. A l'époque d'Anne d'Autriche les situations politiques internes et externes étaient inextricables, d'où ma difficulté à me concentrer et à suivre le fil de l'action. Je reprendrai la lecture de ce livre dans de meilleures dispositions intellectuelles. Mais ne pouvant dormir, j'en profite pour terminer un récit plus abordable et cependant fort intéressant, d'une jeune écrivain albanaise: le pays où l'on ne meurt jamais. Le bruit de l'eau sur les tuiles ne semble pas se calmer. Je suis un peu inquiet à l'idée de prendre le train de Lyon pour Luc-en-Diois, point de départ de ma balade jusqu'à la mer. Etre mouillé en été cela se gère assez bien, mais mi-octobre cela devient plus délicat. Enfin mon expérience et mon matériel « high tech » devraient me permettre de survivre dans des conditions acceptables.

 

Vers les sept heures, affublé de mon parapluie je pars prendre le métro. Le train TER, tortillard qui descend la vallée du Rhône est bondé d'une foule hétéroclite, jeunes qui doivent aller à l'école, anciens qui vont à la ville d'à côté, personnes qui partent travailler. Il est toujours étrange d'être habillé en « vacancier » au milieu de gens qui ont pour souci immédiat leurs activités professionnelles de la journée. Les multiples arrêts ne permettent pas toujours à la motrice de bien s'élancer, et j'ai tout loisir de contempler ce merveilleux fleuve et les vignobles réputés qui le dominent, Condrieu, Côtes Roties et Hermitage pour ne citer que les plus fameux. Et dire que le Rhône est durablement contaminé sur tout son cours par une pollution à la dioxine.

 

Alors que je suis absorbé par ces sombres pensées, le jour se lève franchement, la pluie s'est calmée et de grands morceaux de ciel bleu me donnent les meilleurs espoirs pour les jours à venir. Après un changement en gare de Valence, nous nous engageons dans cette magnifique vallée du Diois. Le soleil se fait très présent et prend le contrôle de la situation. Toutes les teintes vives de l'automne éclatent et sont rehaussées par la magie de l'eau et de la lumière. Des taches rouges aux multiples dégradés accompagnées de touches de jaune en pinceaux élancés ponctuent le vert dominant. Les parcelles les plus petites de vigne de clairette de Die s'insinuent jusqu'au tréfonds des anfractuosités des vallons qui s'accrochent de part et d'autre de la voie ferrée. Les magnifiques et austères parois du Vercors se dévoilent, les Trois Becs appelée aussi la Pelle avec sa très impressionnante paroi nord, et un peu plus loin la bien plus redoutable paroi de Glandasse. Beaucoup de souvenirs remontent.

 

14h26 Die, encore un gros quart d'heure et ce sera Luc-en-Diois. Je suis toujours impressionné juste au démarrage d'un parcours de plusieurs jours en solitaire. La mer semble loin et je me demande si je vais y arriver. Pourquoi marcher seul? Cet été 2007, j'ai fait en groupe un trek très agréable de12 jours dans le Haut-Atlas marocain. J'ai beaucoup apprécié, les gens avec lesquels je me trouvais étaient particulièrement agréables et je n'ai décelé aucune tension au sein du groupe. Honteusement, je dois cependant avouer que du fait sans doute d'une certaine paresse intellectuelle, lorsque je suis en groupe et que quelqu'un veut mener la danse, tant qu'il n'y a pas de danger je me désintéresse de l'itinéraire, et maintenant en regardant une carte du Maroc, je suis incapable de situer le lieu de notre randonnée. Donc de toute évidence, le fait de partir seul demande de mobiliser ses facultés intellectuelles et cela constitue déjà une bonne raison de pratiquer la balade dans ces conditions.

 

traversée préalpes oct 2007 001.jpgLe train ralentit et s'arrête à la minuscule gare de Luc. Je suis seul à descendre,rapidement le train s'éloigne et pas âme qui vive en ce lieu. Un léger temps d'adaptation est nécessaire pour faire la transition entre un wagon bondé et bruyant et ce petit quai aux quatre vents. En ce début d'après-midi je traverse le village désert. Par la route en quelques minutes je rejoins le très curieux chaos qui a pour nom le Claps. Il y a quelques dizaines de milliers d'années, voire plus, un gigantesque glissement de terrain s'est produit à partir d'une grande strate calcaire, ce qui a précipité d'énormes blocs au fond de la vallée, qui de ce fait présente une physionomie étonnante. Entre autre traversée préalpes oct 2007 004.jpgdans cet amoncellement de blocs on peut admirer le Saut de la Drôme. Il s'agit en fait d'un ruisseau canalisé, passant sous la route. A la lecture de la carte on pourrait s'attendre à autre chose.

 

Par une route étroite je rejoins Lesches-en-Diois, petit village à partir duquel le GR9 me conduit à Beaurières. A mon entrée dans ce hameau le crépuscule est imminent, le ciel s'est à nouveau obscurci. Il s'agit plutôt de brouillard que de mauvais temps. J'ai marché assez lentement et me sens fatigué, bien que n'ayant pas fait quinze kilomètres. L'accoutumance nécessite un certain délai, demain tout rentrera dans l'ordre. Le premier habitant rencontré m'enlève tout espoir de trouver un point de chute pour la nuit. Je trouve l'indispensable, une fontaine et remplis mes bouteilles. En passant au centre du village, un bistrot épicerie est ouvert, c'est le Pérou. Je pose à nouveau la question du point de chute pour la nuit. Et là miracle, il m'est répondu que le gérant du village de vacances fermé à cette époque est juste sur le trottoir. Il accepte de me passer un mobile home pour la nuit au prix de 15 euros. Je ne dormirai pas dans la forêt envahie par le brouillard. Soirée calme, un couple occupe une autre habitation. Une douche chaude me fait le plus grand bien. Une soupe épaissie à la purée vite engloutie, j'attaque le livre que j'ai emporté : l'éloge des femmes mûres.

 

Lever matinal, visibilité réduite, après un petit déjeuner au bistrot je remonte prendre mes affaires et j'attaque la montée du col de Cabre. Il fait très sombre, on se croirait presque en hiver. Cet effet est du à la brume épaisse qui s'est accumulée dans la vallée. Cependant malgré la pénombre, je remarque dans l'étroit cours d'eau que je longe des petites mares, dans lesquelles des truites détalent à mon passage. A l'immobilité de l'air traversée préalpes oct 2007 015.jpgje sens que le temps est très beau et qu'en prenant un peu d'altitude la clarté du ciel va apparaître. En effet un moment plus tard, les bancs de nuages se déchirent et j'émerge en plein soleil. Les derniers mètres entre brouillard et lumière sont féeriques. Par paliers les arbres passent de teintes grises aux couleurs les plus flamboyantes, le tout éclaboussé de rayons lumineux jouant avec les gouttelettes d'eau en suspension.

 

Je coupe la route goudronnée et que vois-je? Un mastodonte monter à bonne allure, il s'agit d'un camion transportant une belle quantité de mercedes toutes neuves. Décidément la civilisation n'est pas loin. A ce col René Desmaison avait une maison les dernières années de sa vie, j'y pense parce qu'il vient de mourir. D'après ce que j'ai entendu ses cendres vont être dispersées dans le Dévoluy près de montagnes qu'il a beaucoup aimées, le Pic de Bure et la Crête des Bergers, parois que je vais croiser au cours de mon périple.

 

Du col de Cabre il faut encore monter au col de Valdrôme avant de basculer vers le village du même nom. Le chemin est un enchantement entre brume et soleil, j'ai vraiment l'impression de jouer à saute-nuages. Au milieu d'un champ un arbre étrange, sans doute traversée préalpes oct 2007 021.jpgtrès vieux, ressemblant à un noyer, étale son feuillage présentant une large palette de couleurs. Certaines feuilles sont encore bien vertes, d'autres un peu marron comme si elles avaient souffert d'un manque d'eau , d'autres part touffes jetées un peu au hasard sont jaunes ou rouges, vraiment étonnant. Une atmosphère vaporeuse stagne à l'arrière plan, de laquelle surgit une jolie crête dont je n'arrive pas à déterminer le nom.

 

Au village de Valdrôme, le GR part un peu vers l'ouest en évitant la montagne. Cette belle pente me tente et je m'engage plein est afin de gravir ce beau belvédère. Après un tronçon de route goudronnée et un court détour car le chemin est barré à l'entrée d'une propriété, une magnifique sente très sauvage me conduit aux larges espaces des pistes de ski. En suivant un remonte-pente raide j'arrive à proximité du Pas de la Lauze à 1553 mètres d'altitude. L'air est immobile, il se dégage une quiétude prégnante qui va m'accompagner durant neuf jours. Un troupeau de moutons débouche, derrière suit une bergère que je salue. Il est à peu près quatorze heures, c'est la première personne que je rencontre depuis ce matin, le chauffeur du camion je ne l'ai pas vu. Après avoir mangé en prenant mon temps le lieu invitant à la flânerie, je m'engage en descente dans un raidillon où il faut faire attention. Je plonge dans une forêt aux couleurs presque irréelles. Parfois on pense que les peintres forcent sur les teintes et qu'ils osent des contrastes par trop marqués, mais il n'en est rien , il ne font que copier la nature. Un petit coup au moral, un panneau indique Serres, mon point de chute pour ce soir, à 12 ou 14 kilomètres. Mais rapidement l'enchantement du lieu me fait oublier ces contingences bassement matérielles.

 

Un long vallon en sous-bois tapissé de feuilles dans lesquelles mes pieds immergés font bruire le tapis végétal, déroule sa pente régulière, ce contact souple et moelleux au niveau de la plante des pieds est sensuel. Je longe un ruisseau presque asséché, ponctué de temps à autre de petites mares qui attirent à la longue ma curiosité. Je m'approche de traversée préalpes oct 2007 034.jpgl'une d'elles, de taille réduite, trois mètres de long et un de large. L'eau est claire, à chaque extrémité des feuilles couvrent sur une distance de quelques dizaines de centimètres sa surface. Je vois un mouvement provenant de l'un des bords. Une belle truite sort de sous les feuilles et rejoint la partie la plus profonde. Incroyable dans un si faible volume d'eau. Alors de l'autre côté un scénario similaire se produit. La profondeur en bordure est de quelques centimètres seulement. Tandis que je reste sous l'effet de l'étonnement à regarder fixement , la truite qui vient de quitter son abri y retourne. Je me dis qu'il est peut-être temps de tester la pêche à la main. Je m'approche doucement, passe les doigts sous les feuilles et sens la truite dans ma paume. Je la caresse, ne sachant pas de quel côté est la tête. De peur de lui faire mal, n'ayant pas l'intention de la prendre aux ouïes, je me contente de légèrement l'effleurer quelques secondes, puis elle démarre et je vois un magnifique poisson d'une bonne vingtaine de centimètres, tout constellé de points rouges éclatants , regagner le centre de la mare, grande émotion.

 

Au lieu-dit la Montagne j'abandonne le petit vallon et m'engage à flanc. Rapidement la vue se dégage. Un poirier abandonné offre des fruits tout rabougris. J'en cueille un par curiosité. Il est de chair rêche et dure mais il s'en dégage un jus chaud et admirablement sucré, un délice. Au premier plan en contre-bas le village de Sigottier et sa jolie falaise traversée préalpes oct 2007 037.jpgd'escalade. Au second plan, une vision qui m'émeut profondément. Dans cet air calme et pas très limpide de fin d'après-midi se dévoilent dans leur blancheur les magnifiques parois du Pic de Bure et de la Crête des Bergers, au-dessus desquelles depuis quelques jours l'esprit de René Desmaison a choisi sa dernière demeure. Je reste un long moment au pied de ce poirier la gorge serrée ne pouvant continuer à profiter de ce merveilleux nectar.

 

Je m'arrache à l'envoûtement du lieu et reprends mon chemin vers la petite ville de Serres. Au détour d'un mouvement de terrain m'apparaît la crête d'Eyglière qui constitue la première partie de mon étape du lendemain. Comme elle semble tranchante et aérienne, un gros morceau de plaisir en perspective. Le chemin rejoint le fond de la vallée et j'entre dans la ville. En passant devant la mairie je peux admirer la beauté de sa porte en bois. Rapidement je choisis un hôtel, dont l'accueil n'est pas des meilleurs et la proximité de la rue implique d'avoir le sommeil profond. A sa seule décharge, le dîner est très correct même bon. Nuit médiocre, qui découle sans doute du cumul d'une étape longue en début de parcours et du passage de gros camions au centre ville.

 

Vers les huit heures départ en direction de cette belle arête d'Eyglière. Je coupe au plus court, à la sortie de la ville je traverse un champ en contre-bas de la route en direction de traversée préalpes oct 2007 048.jpgla trouée semblant indiquer l'itinéraire. Un petit doute m'assaille, mais rapidement je suis certain d'être sur le bon chemin. La sente en courbes serrées s'élève vers la crête parmi une multitude d' arbustes à feuilles caduques aux teintes les plus variées, jaune, rouge, vert, rose et tous les dégradés passant de l'une à l'autre. Le soleil rasant rehausse les contrastes entre les tons. Je suis sur un sentier comme je ne savais pas qu'il en existait dans le monde réel. Puis succède un passage raide exclusivement rocheux, en calcaire blanc éclatant. Le fil de l'arête est atteint. Elle a fière allure, une grande traversée préalpes oct 2007 049.jpgchevauchée m'attend. La ville blottie au fond de la vallée m'apparaît empanachée d'un brouillard diffus. Plus loin vers le nord, le Dévoluy est encore très présent. Un peu plus à l'est le massif des Ecrins dévoile nombre de ses beaux sommets, parmi lesquels la Barre des Écrins et le Sirac.

 

L'air est immobile, de grandes herbes dorées m'accompagnent tout au long de la montée. Près du sommet en pleine pente, juste devant moi dans de ce foisonnement couleur or une compagnie de bartavelles décolle. Je suis tellement surpris par leur proximité et le bruit fort de leurs battements d'ailes, que j'en prends un coup d'adrénaline. Marcel Pagnol aurait été à ma place ou plutôt son père, il aurait pu faire au moins un triple coup du roi.

 

traversée préalpes oct 2007 057.jpgAu sommet, une halte repas me permet de faire le point. Cette cime a pour nom Rocher de Beaumont, elle constitue un belvédère duquel la vue est de tout premier plan dans toutes les directions. Elle domine la vallée d'à peu près mille mètres. Au loin au deuxième plan vers le sud je discerne la montagne de Chabre que je dois dépasser aujourd'hui. Le parcours me semble long, je me dis que je ne vais pas y arriver et instantanément le moral en prend un coup. Vers le nord et l'est comme je l'ai dit , le regard embrasse le Dévoluy et le massif des Écrins. En direction de l'ouest se déroule un moutonnement de collines et de petites montagnes jusqu'à la vallée du Rhône.

 

traversée préalpes oct 2007 059.jpgEn me tournant de nouveau au sud j'étudie précisément le trajet que j'ai à faire avant la nuit. Pour commencer une longue descente conduit au joli village de Trescléoux. Ensuite de l'autre côté de la vallée se dresse fièrement la Montagne de la Garde. J'envisage de la contourner par l'est et le sud et de rejoindre directement la vallée qui mène à Orpierre. Puis dans le lointain barrant l'horizon d'est en ouest la Montagne de Chabre que je dois franchir par le col de l'Ange. La descente en versant sud vers Bârret-sur-Méouge n'est pas visible.

 

Il faut bien repartir et le premier pas paraît minuscule devant le gigantisme du décor. Le village de Trescléoux grossit et proportionnellement le moral suit. Je quitte la zone peuplée de ces magnifiques grandes herbes aux teintes mordorées. Au détour d'un pré un splendide cheval noir au pelage luisant passe au trot. L'arrivée dans le village est superbe, par un petit chemin schisteux parsemé de touffes de buissons. Il donne vraiment sur le village car on surplombe les toits. A la fontaine, je fais un arrêt de courte durée le temps de prendre de l'eau. J'entame le contournement de la montagne de la Garde. Ma carte au 100 000 manque un peu de précisions pour la traversée de garrigues sans chemin balisé. traversée préalpes oct 2007 065.jpgRapidement cela se termine à l'intuition, en suivant les courbes de niveau puis le long d'un petit oued à sec et encore par des chemins qui vont dans la direction voulue, tout du moins au début. Après plusieurs détours pour sentiers disparaissant dans les fourrés, je débouche directement dans la déchetterie d'Orpierre. J'en reconnais le gardien, car il n'y a pas longtemps nous sommes venus y vider les déchets d'une vieille maison. La route sur quelques kilomètres me conduit au village. J'ai tout loisir d'admirer le fameux Quiquillon présentant une multitude de belles escalades sur une hauteur de cent cinquante mètres. Une fois sur la place centrale, il me faut constater que l'épicerie est fermée et n'ouvrira pas avant seize heures. Je n'ai pas le temps de stationner deux heures, cela compromettrait mon étape du jour.

 

Après une brève halte je repars directement vers le col de l'Ange. Montée longue et diversifiée, d'abord en forêt puis le long d'une sente pierreuse soutenue qui offre de très beaux points de vue et pour terminer à nouveau la forêt durant une petite heure, et bien entendu pas âme qui vive. L'arrivée au col de l'Ange se fait en présence d'un soleil rasant de fin d'après-midi, donnant tout leur éclat aux magnifiques dalles calcaires qui ornent ce passage. Et toujours cet air calme, assis sur cette arête je peux observer en direction du nord une bonne partie du chemin de la journée et vers le sud ce qui m'attend demain. Il s'agit de deux jolis mouvements de terrain, la montagne de Chanteduc et la montagne de Lure, encore cette impression d'éloignement somme toute trompeuse. Tout à mes réflexions, allongé dans l'herbe , perché entre deux vallées je me laisse bercer par la quiétude du temps, pas un souffle d'air et ce soleil généreux qui caresse la peau. Comment imaginer que nous sommes mi-octobre en fin d'après-midi à mille quatre cent mètres d'altitude. M'arracher à ce bonheur me fait violence. Le village de Bârret-sur-Méouge est quelques kilomètres en contre-bas et l'atteindre est rapide. Un peu avant les traversée préalpes oct 2007 075.jpgmaisons, sur un promontoire de faible ampleur les ruines d'une vieille église dressent encore quelques hauts pans de murs. A leur pied un ancien cimetière à l'abandon, peuplé d'herbes folles qui s'allument au soleil couchant, dégage une impression de sérénité qui défie les siècles.

 

Les premières maisons dépassées, je remarque un robinet et un petit carré d'herbe à proximité caché le long d'une haie. En cas de besoin ce sera l'endroit idéal pour monter la traversée préalpes oct 2007 076.jpgtente. Dans un dernier effort le soleil met le feu aux magnifiques boules de feuillage jaune clair des arbres qui m'entourent. Que ce contraste de lumière avec l'ombre ambiante est prononcé.

 

Au débouché sur la place centrale, un hôtel manifestement fermé, voire plus exploité depuis un certain temps. Un camping indiqué, je m'y dirige . Je tombe sur deux hommes en train de s'affairer sur le site. L'un d'eux me permet d'installer ma tente pour la nuit mais il me prévient qu'ils viennent de mettre les installations hors gel et qu'il n'y a plus d'eau. Je leur explique que je peux me passer de tout sauf justement d'eau. Donc je le vois sortir son portable et après un bref dialogue, il me demande si un gîte pour la nuit m'intéresse. Je lui fait remarquer qu'à pied je ne désire pas faire trop de chemin. Il me répond « Aucune importance je vous conduis en voiture ». Nous voilà partis pour le hameau de Salérans. Je suis déposé dans un magnifique petit gîte à l'accueil particulièrement sympathique. J'apprendrai que la personne qui m'a si gentiment conduit est le maire du village. Soirée exquise, repas excellent ,nuit très bonne; un copieux petit déjeuner pris le propriétaire me ramène devant l'hôtel à l'abandon. Il m'explique que leur gîte étant trop petit, début 2008 ils reprennent son épouse et lui l'exploitation de cet établissement. Effectivement au mois d'avril 2008 de passage dans la région je m'y suis arrêté deux nuits et l'accueil était toujours le même. Je le conseille donc très vivement, il se nomme Hôtel de la Méouge, nom emprunté à la petite rivière qui coule dans cette vallée. Ses gorges sont remarquables, offrant par endroits des points de vue époustouflants. Pour ne rien gâcher un magnifique chemin, souvent plus une sente étroite, de temps à autre aérien, permet de contempler de l'intérieur ces gorges sur une bonne distance. Lieu idéal pour venir se mettre au calme quelques jours.

 

Me voilà à nouveau sur le chemin. Les conditions météorologiques sont toujours aussi clémentes. En automne les périodes de beau temps sont souvent très stables. Les orages d'après-midi dus à la chaleur n'ont plus lieu. Rapidement je me retrouve en forêt et j'attaque les huit cents mètres de dénivelé qui conduisent au col de Branche. Les couleurs traversée préalpes oct 2007 081.jpgdes arbres sont toujours aussi belles, les contrastes des plus étonnants, le jaune le plus tendre qui se découpe sur le vert foncé des sapins. Les jeux d'ombre et de lumière ajoutent à la complexité des teintes qui s'emmêlent. Comme souvent, pris sous le charme de la nature qui sans retenue distribue à celui qui veut les regarder ses plus beaux atours, j'oublie toute idée de position. Soudain je tombe sur un panneau indiquant Ribiers. Manifestement ce n'est pas mon itinéraire. Le col de Branche que je dois franchir est plus à l'ouest, donc il me suffit de monter sur la crête qui me domine et de repartir à sa rencontre. Cette erreur d'itinéraire à part une petite demi-heure de marche supplémentaire, m'offrira un des plus magnifiques paysages que j'ai eus l'occasion d'admirer. Cette arête est un enchantement. Les herbes hautes couleur or, dont les teintes sont mises en exergue par le soleil rasant les éclairant à l'horizontale, se détachent sur le ciel bleu au gré des ondulations du terrain. De part et d'autre le regard porte très loin, et je peux distinguer une multitude de silhouettes de montagnes auxquelles je sais raccrocher un nom et cela me remplit de joie. Au second plan la Montagne de Lure est très impressionnante, sa crête est entaillée par le col Saint Vincent, passage que je compte emprunter.

 

traversée préalpes oct 2007 086.jpgCe parcours conduisant au col de Branche, j'aimerais qu'il ne finisse pas tant l'émotion ressentie à chaque pas est puissante. En pleine pente, une prairie dorée au milieu de laquelle un arbre de petite taille au tronc frêle et au feuillage terni par le manque d'eau se découpe sur le ciel clair. Je reste saisi par l'esthétique du lieu et de la disposition des éléments.

 

Une courte déclivité et j'aperçois le chemin que j'ai heureusement manqué, je n'aurais jamais parcouru cette sente pendue dans le ciel si j'avais été plus soucieux de l'itinéraire. Encore un col à passer un peu plus loin, aux environs duquel je rencontre un couple de randonneurs stéphanois et quelques chasseurs en quête de sangliers. Puis une longue descente me mène au village de Saint-Vincent-sur-Jabron. Petit village endormi dans traversée préalpes oct 2007 090.jpglequel seul un bistrot est ouvert. Un steak frites m'est proposé. Les chasseurs rentrent. Manifestement la chasse n'a pas été miraculeuse. Ils m'expliquent qu'avec la sécheresse et l'abandon de la culture du maïs, les cochons sauvages sont partis chercher leur pitance dans d'autres vallées. En effet j'ai pu constater que les signes de sécheresse sont inquiétants, beaucoup d'arbres de toute évidence en souffrent et en portent les stigmates. La terre, pratiquement tout le long de mon itinéraire, est dure et craquelée. Des champignons en une bonne centaine de kilomètres je n'en ai vus que quelques uns isolés, alors que la saison mycologique bat son plein.

 

Après une heure agréablement passée avec ces autochtones qui ne se laissent pas abattre le moral par une mauvaise chasse, je repars tout joyeux et le ventre plein en direction de la Montagne de Lure. Quelques détours plus loin, je me trouve au pied du sentier très raide qui se dirige en direction du col Saint-Vincent. Au milieu de la montée je rencontre un promeneur solitaire de la journée. La discussion que nous engageons me montre qu'il connaît admirablement bien la région. Je lui demande donc si dans le village de Lardiers il est possible de trouver un gîte pour la nuit. Il me dit le plus grand bien d'un restaurant au centre du village sans se prononcer sur l'hébergement. L'établissement qu'il m'indique, les chasseurs venaient de m'en parler avec des trémolos dans la voix. De toute évidence il faut absolument que j'y aille.

 

Le col Saint-Vincent est matérialisé par un petit espace plat et herbeux en forêt. Avec de traversée préalpes oct 2007 093.jpgl'eau ce serait l'endroit rêvé pour bivouaquer, mais cette dernière me manque et les quelques heures de jour me poussent à poursuivre. Souvent dans mes randonnées je dors dehors parce que je n'ai rien trouvé d'autre. Mais paradoxalement les meilleurs souvenirs que je conserve de ces petites aventures ce sont justement ces nuits passées à la belle étoile.

 

Le vallon que j'emprunte pour descendre du col est orienté plein sud. Étant donné l'heure traversée préalpes oct 2007 099.jpgson versant ouest est inondé d'une belle lumière déjà oblique. La végétation, une fois de plus dans ce bain de soleil aux rayons tangents, révèle un foisonnement de teintes. Le calcaire blanc au gré des pierriers apporte une touche de couleur supplémentaire du meilleur effet. Au débouché du vallon apparaît le premier champ de lavande, le midi j'y suis.

 

Une fois dans le village, la curiosité avivée depuis plusieurs heures, je recherche ce fameux restaurant qui se situe au centre. La salle est originale et a beaucoup de charme. Je commande une bière. Je peux manger mais pas dormir. Un gîte à la sortie sud du hameau m'est indiqué, donc à regret je m'y dirige, j'aurais bien tester l'art du cuisinier. Rapidement la courte distance est parcourue. Bien que nous soyons samedi soir il y a de la place, seul c'est rarement un problème. L'accueil est excellent. Le repas du soir comprend, entre autre chose, un magnifique gibier accompagné d'une bonne quantité de chanterelles ramassées sur place, un immense régal.

 

Le lendemain au cours du petit déjeuner, au demeurant fort copieux à base de succulents produits locaux, mon hôtesse, sans rentrer dans de trop grandes précisions, me livrera quelques secrets sur la cueillette d'un champignon mythique, l'amanite des Césars ou oronge. Elle m'indiquera une recette concernant le vin afin d'accompagner au mieux ce produit divin. Une cuillerée à soupe de miel dans une bouteille de vin blanc, quelques heures au frais, le temps que les deux composants se fondent bien , et alors sur ce breuvage toute la palette de saveurs et senteurs de l'oronge vous explose en bouche. Je suis pressé d'essayer, mais hélas cette année du fait du manque d'eau ces merveilleux champignons ne se sont pas montrés.

 

Départ de ce sympathique gîte, de toute évidence certaines personnes ont des talents traversée préalpes oct 2007 115.jpgpour faire le métier d'accueillir et de faire partager un moment très agréable. Il faut se remettre dans le rythme. L'étape d'aujourd'hui doit me conduire au village de Céreste au nord de la montagne du Lubéron. Durant cette marche, peu de choses marquantes me reviennent en mémoire, alors que les chemins suivis sont très agréables. L'arrivée au Hameau du Petit Gabiau mérite cependant quelques développements. Trois magnifiques traversée préalpes oct 2007 114.jpgarbres marquent l'entrée du lieu, les deux premiers au niveau du panneau, un pommier couvert de beaux fruits rouges brillants et un vieux châtaigner au feuillage en boule, qui arbore une couleur vive jaune presque citron. Puis le premier virage à gauche effectué, un chêne manifestement plus que centenaire emplit tout l'espace et déploie un branchage aux multiples ramifications évoquant des dizaines de pieuvres géantes fouillant le ciel de leurs tentacules emmêlés. Au cours de cette étape peu de côtes, le dénivelé est faible, le sol présente un aspect très sec donc traversée préalpes oct 2007 116.jpgune nature qui souffre du manque d'eau et qui présente généralement des couleurs ternes. Souvent je progresse sur route goudronnée, j'ai manqué l'embranchement qui devait me conduire dans les gorges de l'Oppedette et m'en rends compte trop tard, donc un peu plus de goudron. Avancer c'est toujours bon pour le moral et pour cela je n'hésite pas à parcourir des portions de route même lorsqu'elles sont passantes.

 

J'arrive vers les seize heures un dimanche après-midi dans la petite ville de Céreste. Il n'y a pas grand mouvement. Je trouve un hôtel charmant. J'y dépose mes affaires et vais me promener. Dans l'un des bistrots ouverts je bois une grande bière. La conversation des vieux bergers qui se trouvent dans le lieu mérite d'être écoutée. Il est question d'histoires locales du style du pâtre qui avait un scorpion dans son pantalon au réveil ou qui s'était coupé à la serpe le doigt après une morsure de vipère, le tout raconté avec l'accent chantant du midi, un vrai plaisir. Je retourne à l'hôtel pour le dîner. Le menu est de qualité, le vin choisi charpenté. La patronne m'apprend que ce vignoble donne deux vins aux noms différents. Deux frères qui sont brouillés, chacun possédant une ligne de pieds de vigne en alternance et de ce fait deux noms différents pour une seule vigne.

 

Départ vers les huit heures, très vite les premières bosses du Lubéron se présentent. Au traversée préalpes oct 2007 118.jpgcreux de petits vallons des bancs de brume, prenant de belles couleurs avec le soleil levant, traînent paresseusement. Cette montagne je vais simplement la traverser du nord au sud dans sa partie est. Au détour d'une route une jolie publicité sur le vin de la région annonce « vin du Lubéron un bouquet de lumière ». Par la route au plus court je rejoins la petite ville de la Bastide-des-Jourdans. Dans cette agglomération une erreur d'itinéraire une fois de plus va me permettre d'être le témoin d'une scène étonnante. Dans une ruelle, un premier sens interdit est positionné au niveau d'un muret. traversée préalpes oct 2007 127.jpgDeux chats immobiles comme deux sentinelles, pratiquement à hauteur du panneau, attendent les contrevenants. Quelques dizaines de mètres plus loin un nouveau sens interdit avec un petit mur, le tout dans la même configuration, et là ils sont trois bien alignés sur leur derrière à surveiller le civisme du citoyen.

 

Mon point de passage suivant est constitué par le pont de Mirabeau qui franchit la Durance. Pour y parvenir je vais sur une bonne dizaine de kilomètres me diriger en essayant de garder une orientation sud sud est. La carte au cent mille nécessite de rester bien concentré , par temps de brouillard cela deviendrait très sportif. Avant le joli village de Mirabeau, j'étanche ma soif avec une dernière grappe de raisins surmûris oubliée lors de la vendange qui a du avoir lieu quelques semaines auparavant. Ensuite un chemin étroit et pentu conduit en bordure de la Durance à quelques centaines de mètres du pont. Pas moyen de marcher en dehors de la route, la circulation est importante, heureusement traversée préalpes oct 2007 136.jpgque cela ne dure pas. Ce pont possède une particularité rare, chacune de ses quatre piles est située dans un département différent. Il s'agit me semble-t-il du Var, des Bouches-du-Rhône, du Vaucluse et des Alpes de Haute-Provence. Ce passage est un véritable nœud de circulation où l'on franchit route et autoroute.

 

Je me dirige vers Jouques par un chemin agréable à travers la garrigue. Une fois sur place aucune possibilité d'hébergement. Un gîte à quatre kilomètres au lieu-dit le Catalan m'est indiqué. Je m'y rends bien que cela m'écarte de mon chemin. Ces derniers kilomètres m'apparaissent bien longs. Un peu avant de toucher au but, alors que je commence à douter, un coureur me confirme que je suis sur la bonne route. Le site est superbe, l'accueil très gentil, mais il n'y a pas de place. Je demande l'autorisation de camper. Le traversée préalpes oct 2007 141.jpgpropriétaire me propose alors dans un minuscule bâtiment en pierres sèches une chambre qu'il réserve habituellement à la famille et aux amis. Elle est pleine de charme. Il ne pourra pas m'assurer le repas du soir mais il m'autorise à aller me servir dans son jardin qui regorge de trésors, tomates de vieilles espèces, fraises, framboises. Je vais faire un véritable festin. Sur une étagère je trouve un reste de bouteille de vin qui ma foi se boit. Ce gîte fait partie des lieux où je reviendrai me mettre au calme quelques jours.

 

Lever très matinal, l'étape sera longue, je compte aller dormir à Puyloubier sur le versant sud de la Montagne Sainte-Victoire après avoir traversé ses superbes crêtes d'ouest en est. Premier dilemme, soit un chemin évident revenir en arrière soit couper tout droit à travers des reliefs accidentés sur une belle distance avec quasiment aucune information sur ma carte. Rapidement j'opte pour cette deuxième solution, d'abord ce sera plus court ( ce en quoi je me suis trompé) et puis l'aléa de l'itinéraire ajoute au piment de l'aventure.

 

Une ligne à haute tension se dirige à peu près dans la direction de mon itinéraire. Généralement il est possible de marcher assez facilement sous ce type d'infrastructure. Un peu plus loin elle traverse une immense propriété privée, cependant aucune barrière n'interdit le passage. Je continue donc, j'arrive à proximité de zones cultivées, que je contourne et je reprends mon axe de progression. Là, les choses vont se corser. Trois gros chiens me foncent dessus, deux bergers allemands et un bâtard tout noir. Pendant dix bonnes et longues minutes je m'efforce d'avancer tout en assurant mes arrières. L'un des bergers est très agressif, à plusieurs reprises il fait mine de me sauter dessus, à chaque fois je fais front et il s'arrête à moins d'un mètre. Ne pas se laisser encercler, toujours les garder tous les trois du même côté. L'attaque de l'un d'eux risque de déclencher la curée générale. Si je dois en frapper un avec la grosse pierre que j'ai en main, ce sera impérativement le plus agressif, les autres semblant simplement suivre le mouvement. Le gros noir le premier se replie, puis après un dernier baroud d'aboiements rageurs, les deux autres en font de même. Manifestement j'arrive en limite de la propriété qui s'étale sur plusieurs kilomètres carrés en pleine garrigue. La dernière fois où j'ai été soumis à de tels comportements de chiens, je me trouvais dans des montagnes balkaniques et il s 'agissait de trois gros chiens d'origine turque à poil ras, qui avaient l'aspect de véritables bêtes fauves. C'est en regardant les bergers albanais gérer ce genre de monstres que j'ai appris à garder mon calme, à faire front et à réagir aux moments critiques. Mais on n'est jamais sûr de rien, la moindre erreur et c'est la ruée.

 

Une sente étroite montant droit dans la pente se dirige vers un sommet qui culmine aux environs des 800 mètres. Ma carte reste avare d'indications, dans le lointain je vois la crête de la montagne Saint-Victoire couronnée de nuages. Vais-je y arriver aujourd'hui.? Après des détours dans des vallons inextricables, des remontées, des traversées au milieu de barres rocheuses parfois verticales et souvent envahies de broussailles, un brin d'espoir renaît. En effet je distingue en contrebas le château du Grand Sambuc. Pas très loin, d'après la carte, un GR passe qui devrait me conduire rapidement à Vauvenargues au pied de la Sainte-Victoire. Mais cet espoir sera de courte durée. En effet je viens buter sur une haute clôture. Après mon expérience du matin je n'envisage pas de la franchir. Je décide de la contourner vers le nord-ouest. Elle semble se prolonger à l'infini et cela me détourne vraiment de mon itinéraire. De plus, du côté extérieur des broussailles de grande taille ne laissent aucun passage pour la longer. Une bataille va s'engager. Par moments je me retrouve en train de ramper complètement immobilisé sous une végétation épaisse et très piquante. Il me faut même, heureusement rarement pousser mon sac devant comme en spéléologie. Des grosses bouffées de doute m'assaillent. C'est foutu je ne pourrais jamais atteindre la Sainte-Victoire aujourd'hui, alors la traverser il ne faut pas y compter. Mais ne pas réfléchir, m'astreindre simplement à négocier le gros buisson qui m'englue dans ses piquants en attendant de me confronter au suivant. Une véritable hargne s'empare de moi. Après quelques kilomètres de cette bagarre de rue j'arrive à un angle de la clôture. Ma nouvelle direction a une bonne composante sud, ce qui est déjà pas mal. Autre amélioration, un chemin longe le grillage en franchissant une multitude de petites collines d'un grand trait bien rectiligne. Je reprends espoir. Puyloubier redevient envisageable pour ce soir. Je me mets à courir à un bon rythme et le moral remonte en flèche. Je me sens pousser des ailes. Dans une descente raide j'accélère en me laissant entraîner par la gravité et mon impatience de récupérer le temps perdu. Alors l'un de mes pieds accroche une pierre et je décolle. Mais les bras n'étant pas des ailes, l'atterrissage, je devrais dire l'écrasement, suit dans la foulée et il s'avère brutal. A priori rien qui ne m'empêchera de continuer. L'avant-bras droit complètement griffé du coude à la main, le genou droit écorché le tibia du même côté bien tuméfié et la peau de la première phalange du pouce gauche partie comme on aurait enlevé une chaussette, des trous un peu partout dans mon pantalon. Je sors mon spray antiseptique et en arrose abondamment toutes les parties blessées. Vite remis sur pieds, sans me poser de questions je reprends ma course et tout de suite les bonnes sensations reviennent. Il me faut simplement faire attention et ne pas m'emballer dans les descentes. J'arrive enfin à un autre coin du grillage et je prends un cap au sud-est qui devrait me permettre d'intercepter le GR allant à Vauvenargues. En effet quelques kilomètres plus loin après avoir suivi au pif des chemins et des petits vallons présentant la direction adéquate, je rencontre enfin les fameuses traces rouges et blanches. Vers quatorze heures trente je suis à Vauvenargues. Un bassin j'en profite pour nettoyer en profondeur mes plaies. Un grand verre de limonade menthe que je paie sept euros et je repars avec l'intention d'arriver à Puyloubier avant la nuit. Il me reste à peu près trois heures, une heure pour arriver au sommet et deux pour la traversée, cela semble faisable. Je commence dans ma précipitation par me tromper au démarrage de la traversée préalpes oct 2007 155.jpgmontée pourtant évidente, les vingt premières minutes s'envolent inutilement. Mais rapidement je reviens dans la course et j'atteins le sommet de la croix, après être passé au Prieuré. Le soleil est encore assez haut. Dix minutes de discussion passionnée avec un adepte des gros crapahuts, mais il me faut penser à la suite, le temps s'écoulant inexorablement.

 

C'est toujours une grande émotion de se trouver au sommet de cette montagne mythique, bien que ce ne soit pas le point culminant de la chaîne. Au nord je peux contempler la partie déjà accomplie de mon périple de la journée. Heureusement que j'y ai cru malgré mes doutes. Le moral c'est l'essentiel, la bête suit. Au sud-ouest je distingue la mer, là aussi c'est psychologiquement très motivant. Dans ce genre de randonnée, le moment où la Grande Bleue apparaît pour la première fois, on a un peu l'impression de toucher au but. Plein sud à vingt cinq kilomètres la Sainte-Baume déploie sa magnifique crête que je pense parcourir après-demain.

 

Pour le moment, bien que mon objectif soit probablement atteint ce soir, il me faut arpenter cette extraordinaire dentelle de calcaire qui se développe sur quelques huit traversée préalpes oct 2007 164.jpgkilomètres, située en permanence autour des mille mètres d'altitude. Le temps est toujours aussi calme. Cette traversée est un enchantement. Le spectacle à partir des nombreux points de vue donnant sur la face sud, qui plonge en de superbes parois verticales et éclatantes de blancheur, est époustouflant. Et comme toujours à cette heure le soleil rasant exacerbe les contrastes, que c'est beau! J'atteins le Pic des Mouches point culminant avec ses 1011 mètres. Un couple, monté par le nord, s'apprête à profiter du spectacle que va prodiguer le crépuscule. Nous échangeons quelques mots. En contrebas le village de Puyloubier est encore baigné de la lumière solaire. Je m'engage dans la descente en faisant attention à l'euphorie qui peut faire oublier la prudence. Une belle pente, par endroits raide, au rocher lumineux et adhérant conduit au village. Je surplombe les toits encore ensoleillés alors que les rues sont déjà plongées dans la pénombre. Rapidement je découvre le gîte communal. Cette journée restera comme l'étape la plus longue et celle qui m'aura demandé le plus de réactivité devant les imprévus. Elle m'aura demandé douze heures d'efforts soutenus avec très peu d'arrêts.

 

Dans le gîte, trois personnes de nationalité belge. Un jeune couple venu rendre visite à un légionnaire qui passe sa retraite dans la maison prévue à cet effet pour les anciens légionnaires. La soirée sera très agréable et chargée d'émotion. Cet ancien militaire n'a fait qu'un seul saut en parachute dans sa vie et c'était justement sur Diên Biên Phu. Comme bien souvent chez les gens qui ont vécu des expériences exceptionnelles il fait preuve d'une grande humilité. Pour en revenir aux petits problèmes quotidiens, je dois déployer toute une stratégie pour prendre une douche en mouillant le moins possible la multitude de mes petites plaies.

 

traversée préalpes oct 2007 166.jpgLendemain , traversée de la large plaine entre les deux montagnes, mon but étant l'hostellerie de la Sainte Baume tenue par l'ordre des dominicains. Cette étape par Trets et Saint- Zacharie conduit au pied de la Sainte-Baume. Les dix derniers kilomètres semblent interminables, certes par un chemin pittoresque mais faisant une multitude de détours. Les méfaits de la sécheresse sont de plus en plus visibles, et cela est inquiétant. Enfin l'hostellerie, j'entre et tombe sur une sœur dont le visage dégage une grande sérénité, amplifiée par sa tenue immaculée. A ma question s'il est possible d'être hébergé, elle me demande si j'ai réservé. Je lui réponds que le déplacement à pied sur de longues distances rend toute planification un peu aléatoire. Je précise qu'avec un peu d'eau je peux sans problème aller dormir dehors. Elle m'observe de son regard plein de détermination et de bonté et m'attribue une chambre. La soirée empreinte de quiétude sera un vrai plaisir. Le dîner, accompagné d'un rosé de Provence de grande qualité (détail sans doute) sera très instructif. Nous sommes une petite dizaine de convives à chaque table. J'aurai une discussion intéressante avec un pasteur féminin qui séjourne quelques temps en ce lieu.

 

Dernier jour, après un petit déjeuner pris aussi en commun, chacun part vaquer à ses occupations de la journée. Avec lenteur sentant le bout du chemin arriver, je monte à la grotte de Sainte Marie Madeleine. Cette forêt de la Sainte-Baume est étonnante. On y voit des houx millénaires, de nombreux arbres sont de grande taille et la pénombre est traversée préalpes oct 2007 202.jpgprésente en permanence. Puis, je rejoins la crête, et alors se dévoile un panorama exceptionnel sur trois cent soixante degrés. Au nord la Sainte-Victoire emplit l'espace de toute la splendeur de ses ondulations éclatantes de blancheur, au sud la mer scintille de Toulon jusqu'à Marseille. Là, pour la première fois depuis mon départ un petit courant d'air souffle. Cette arête en pleine lumière, je la parcours en essayant de m'imprégner encore un peu de la joie qui m'a accompagné durant ces neuf jours d'efforts qui apportent tellement à l'esprit. Plus que par le but final qui se rapproche, ma réflexion est accaparée par le désir de pouvoir continuer à accomplir de grandes chevauchées à pied à travers les montagnes. La signification de la pensée de Saint-Exupéry prend tout son sens, l'importance de la démarche et non du but.

 

 

04/03/2009

mes lectures

 

 

La lecture est une activité passionnante, pour ceux qui lisent cela va de soit, elle procure souvent de grandes émotions. Cependant se souvenir avec précision de ses lectures c'est une autre paire de manches. Le but de cette note a pour vocation, de prendre quelques minutes pour fixer par écrit mes impressions sur mes lectures.

 

134) La rage de survivre Trudi Birger  Denoël 1998

Livre relatant l'expérience d'une jeune juive plongée dans l'horreur de la guerre et des camps de concentration. Sa volonté de survivre pour sa vie et celle de sa mère est absolument prodigieuse. Son refus de se soumettre à l'abandon et au désespoir alors que souvent tout semble fini, elle prend des initiatives qui à chaque fois lui permettent de rester en vie et prête à affronter la situation suivante, qui semble aussi sans espoir. Extraordinaire leçon de vie. 

1) Pèlerin d'Orient de François-Xavier de Villemagne

Très beau récit d'un homme dans la trentaine, qui laisse tomber son boulot pour 8 mois et qui part à pied à Jérusalem de Paris. Il traverse dix pays, Allemagne, Autriche, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Turquie, Syrie, Liban, Jordanie et Israël. Très belle aventure, marche presque forcée qu'il mène à vive allure, parfois des étapes supérieures à soixante kilomètres; tout au long il dévoile ses états d'âme sur la signification de ce qu'il fait. Sans faux semblants il dévoile toute sa fierté de tenir le coup, tout en montrant parfois le côté ridicule. Il décrit la vie des populations des différents pays traversés, et cela donne une bonne photographie de l'évolution en cours ou parfois de l'immobilisme de certaines contrées. Dans les moments difficiles, et ce genre d'aventure en comporte de nombreux, pour ne pas dire qu'il s'agit de 7 mois de souffrance, on sent que sa foi le porte et lui permet de ne pas douter du succès. Très intéressant et bien écrit.

 

 

 

2) Un chemin de promesses Édouard et Mathilde Cortès

6000 km à pied et sans argent de Paris à Jérusalem. Livre époustouflant par l'aventure vécue par ce couple, en guise de voyage de noces, certes long 7 mois. Sans gros entraînement et sans savoir si la survie est possible sans argent, ils partent. Ils vivront des moments difficiles, tout particulièrement en Italie du nord. Ils vont traverser 14 pays sans compter la France, Suisse, Italie, Slovénie, Croatie, Bosnie, Monténégro, Kosovo, Macédoine, Bulgarie, Turquie, Syrie, Liban,Jordanie et Israël. Beaucoup de belles citations empruntées à différents auteurs. Cet exploit ils ont pu le mener à son terme grâce en partie à leur foi. Sur ce plan il y a des similitudes avec l'ouvrage précédent.

 

3) Figures de Proue Claude Allègre

Il aborde le destin hors du commun de cinq hommes qui ont très fortement marqué la deuxième partie du xxème siècle. Nehru, De Gaulle, Deng Xiaoping, Gourbatchev et Mendela. Ouvrage très clair, vulgarisation de très bon niveau. Ces cinq récits sont passionnants et se lisent avec avidité. Seul, peut-être les longues explications sur les arcanes du régime soviétique sont un peu rébarbatives et pas toujours faciles à suivre. Excellent livre comme souvent de la part de cet auteur.

 

4) La plupart ne reviendront pas de Eugénio Corti

Très beau livre sur la retraite d'une armée italienne sur le front russe durant l'hiver 1942-1943. On se croirait dans une description de la retraite de Russie de l'armée napoléonienne. Les Allemands qui étaient des alliés des Italiens, sont décrits comme des êtres sans aucune humanité et de véritables bêtes de guerre, montrant un vrai mépris envers les Italiens. Témoignage saisissant, faisant ressortir toute la sensibilité de l'auteur et de l'Italien en général. Ce qui n'empêche pas que le soldat italien soit très courageux lorsque les circonstances le demandent. Écriture splendide que l'on retrouve chez d'autres auteurs  italiens, la guerre dans toutes ses horreurs décrite à travers un regard humain.

 

 

5) Il était une fois l'URSS Dominique Lapierre (POCKET)

Voyage en auto en Union Soviétique en 1957 effectué par l'auteur et un collègue journaliste, accompagnés de leurs épouses. Par un concours de circonstances assez incroyable, ils ont obtenu l'autorisation de pénétrer en URSS, directement par Khrouchtchev. Voyage plein de surprises et très intelligemment mené quant aux différentes rencontres au pays des soviets. Un moment de plaisir malheureusement trop vite consommé.

 

6) Le livre de ma mémoire Danielle Mitterrand Folio

Livre de 400 pages qui se lit bien. La vie de sa famille au début du XX ème siècle est intéressante, sa position de témoin privilégié auprès de François Mitterrand donne un éclairage particulier au personnage. Cependant ses analyses politiques sont souvent limitées  mais permettent de mieux la cerner. En particulier son entretien avec Castro est étonnant, les réponses de ce dernier à ses questions sont surprenantes. On voit une militante très convaincue depuis plus d'un demi-siècle, mais qui ne bouge pas beaucoup dans sa manière de voir, sans doute idéaliste et  faussement naïve. Globalement se lit avec intérêt et donne un témoignage sur des périodes importantes du xx siècle.

 

7) Bouilleurs de Cru   Hippolyte Gancel et Jacques Le Gall Editions Ouest-France

Livre qui relate la traque par le fisc des bouilleurs de cru. Les agents du fisc dénommés rats de cave sont à la recherche de la moindre goutte produite illégalement, et les sanctions sont parfois disproportionnées aux quantités trouvées. Les uns et les autres rivalisent d'ingéniosité et de fourberie dans cette lutte sans merci. Les faits relatés se déroulent entre les deux guerres, et souvent les bouilleurs de cru sont des anciens combattants de la guerre de 14-18 et ils n'ont plus peur de grand chose pour s'opposer aux contrôles. A travers une multitude d'anecdotes, parfois drôles parfois dramatiques, où la tension est toujours présente, on suit le conflit entre ces deux corporations. Témoignage très intéressant de la vie dans nos campagnes au début du xxème siècle.

 

8) Ripoux à Zhengzhou  Zhang Yu   Picquier Poche

Les tribulations de deux polciers dans une grande ville chinoise à notre époque, sans doute une bonne vision de ce que devient la société chinoise où communisme et capitalisme débridé cohabitent sans déranger personne , sauf parfois les honnêtes gens car la corruption et la magouille sévissent dur. Traduit du chinois, bien sûr, ce texte se déroule sur un rythme alerte au gré de situations et de personnages étonnants. Les quelques 400 pages sont avalées rapidement et la lecture en est très agréable.

 

9) Le procès des étoiles Florence Trystram     Petite bibliothèque Payot

Aventures incroyables vécues par un groupe de scienifiques français envoyés  au Pérou en 1735 par l'Académie des sciences afin de mesurer un arc du méridien terrestre. Cette expédition va s'éterniser et ils resteront de nombreuses années en Amérique du Sud, d'ailleurs tous ne reviendront pas. Entre expériences et mesures conduites dans des conditions extrêmes dans les Andes en altitude et des relations humaines conflictuelles empreintes de bassesses et coups tordus, le tout dans un pays où les Français sont regardés comme des concurrents dangereux par les Espagnols, ce récit conduit à toute allure dans un style alerte nous fait vibrer à chacune de ses phrases tout au long de ses 330 pages. Il m'a laissé une forte impression sur des domaines peu connus de la science telle qu'elle se pratiquait il y a plus de deux cents ans.

 

10) Affaires urgentes     Lawrence durrell        Pavillon Poche Robert Laffont

L'auteur nommé attaché de presse à l'ambassade britannique à Belgrade au début de la guerre froide, nous brosse un tableau hilarant de la vie au sein des ambassades. Il décrit de façon savoureuse les relations entre les membres de cette institution. Les anecdotes narrées sont incroyables, qu'il s'agisse du concours de beauté de chiens, de la descente en radeau au cours d'une réception ainsi que de nombreuses autres. La réalité dépasse la fiction.  Un peu plus de 300 pages de bonheur, avec lesquelles on est assuré d'avoir sa dose de rire indispensable à la santé.

 

11) De Gaulle et Churchill  François Kersaudy    tempus

Livre consacré aux relations très complexes entre de Gaulle et Churchill. Ces deux géants du xxème siècle sont amenés à s'opposer pour ce que chacun considère l'intérêt supérieur de leur pays réciproque dans le cadre de la conduite de la guerre. De Gaulle totalement intransigeant  dès qu'il s'agit de la France, face à un Churchill, poutrant très francophile, pris par ses propres problèmes.  Les paroles suivantes en disent long sur la complexité de leurs relations:

Churchill "De Gaulle, un grand homme! Il est arrogant, il est égoïste, il se considère comme le centre de l'univers... il est... vous avez raison, c'est un grand homme!...

De Gaulle "Pauvre Churchill! Il nous trahit, et il nous en veut d'avoir à nous trahir...

Livre de 450 pages qui se lit d'un seul souffle, vaut tous les romans d'aventure et cependant tout est vrai. Un des meilleurs livres que j'ai lus.

 

12) Le commandant d'Auschwitz parle   Rudolph Hoess    la découverte/poche

Les camps de concentration et leur fonctionnement, une multitude de livres en parlent souvent avec précision. Ils sont écrits la plupart du temps par des chercheurs ou des rescapés. Le bourreau y apparait forcément comme un être sans humanité. Mais lorque le livre est écrit justement par un acteur et pas des moindres, le commandant du camp d'Auschwitz, même si ce texte est en  partie écrit pour essayer de se justifier ou d'atténuer sa responsabilité personnelle dans l'extermination des Juifs et d'autres groupes humains, il est  d'abord écrit par un homme. C'est là que se cache l'horreur, un être humain qui ressent des sentiments, qui évalue bien le degré des horreurs qu'il commet ou fait commettre mais qui en pleine conscience s'applique dans son travail.  On prend conscience que non seulement des monstres peuvent commettre des monstruosités mais des êtres humains qui ont une famille et qui aiment leurs enfants. On s'interroge sur la capacité d'un régime à endoctriner l'individu, cela fait réfléchir aux dangers qui guettent toute démocratie qui se croit bien installée dans ses convictions humanistes. Le dérapage est-il impossible? Robert Merle  écrit au sujet de cet ouvrage "Un livre d'une valeur exceptionnelle dans l'histoire de notre temps" ou bien le Déporté rapporte "Ce document exceptionnel est le miroir où se reflète fidèlement le mécanisme de la plus épouvantable machine à tuer que l'humanité ait jamais conçue". Livre qui marque profondément et qui me conduit à lire l'ouvrage suivant: Un si fragile vernis d'humanité  Banalité du mal, banalité du bien.

 

 

13) Vous voulez rire Monsieur Feynman!   Richard P. Feynman    Odile Jacob

Scientifique de tout premier plan, qui a travaillé dans de nombreux domaines de la physique, toujours au tout premier plan. Etre de génie, excentrique curieux de tout , il raconte de façon sublime ses expériences de vie professionnelles ou autres, et ses domaines de prédilection sont multiples. Ce qu'il fait, il le fait à fond. Livre magnifique en dehors des normes, une fois qu'on l'a terminé on est tellement époustouflé que des êtres comme Feynman existent, qu'on a envie de le relire pour être certain que l'on a pas rêvé. Magnifique et plein d'optimisme, il y a quand même des vrais génies sur notre planète, même s'ils le savent ils ne se prennent pas forcément au sérieux. Les 358 pages se lisent trop vite!!!

 

14) Pélerins d'Occident à pied jussqu'à Rome  François-Xavier de Villemagne      Transboréal

Après la lecture de Pélerin d'Orient, la lecture de ce livre s'imposait. En effet l'auteur sept ans après son premier voyage nous invite à nouveau à un voyage à pied de plusieurs mois, au cours duquel il nous livre ses pensées en cheminant. Encore une fois il s'agit d'un bel exploit physique, où au jour le jour il fait des rencontres sans les avoir prévues. Il nous décrit cette Italie qui va le retenir sur la plus grande partie de son chemin, car il ne va pas directement à Rome de Paris. Non il fait un détour de 2000 kilomètres par la Botte. Sa traversée de la France et surtout de la Suisse ne laisse cependant pas indifférent. Joli livre, pourtant moins exotique que le précédent, ce qui est normal car il ne passe que par trois pays au lieu de dix. Mérite la lecture, de nombreuses formules et pensées m'ont fait vibrer, et puis ces grands trajets à pied à notre époque de week-ends lointains et de tours du monde en quelques jours réconcilient avec l'idée de départ.

 

15) Voyage au bout de la nuit    Céline

Livre qui n'a pas besoin de présentation. A plusieurs reprises déjà j'avais essayé de le lire, mais sans doute le moment n'était pas venu, à moins qu'il  faille être dans les bonnes dispositions pour s'attaquer à ce livre. Je comprends pourquoi on a tant écrit sur cet ouvrage. Je dois reconnaître que cette lecture apporte beaucoup même si les idées développées sont extrêment sombres et sans espoir pour l'homme. Mais c'est peut-être cela et que cela la réalité de l'être humain? J'espère que non, comme quoi Céline a l'immense mérite de pousser à la réflexion.

 

16) Mémoires d'un Yakuza   Saga Junichi        Picquier poche

Ce livre fait rentrer dans le monde des gangsters japonais. Il a été écrit par un médecin qui a recueilli les révélations, un peu à la manière d'un leg testamentaire, d'un vieil homme qui avait été un grand chef de gang. On suit le recrutement l'initiation puis l'ascension  avec ses revers, prison par exemple, d'un Yakuza dans le monde du banditisme japonais. Bien écrit, précis décrit une multitude de situations que traverse l'homme au cours de sa vie; très intéressant  cet ouvrage dresse un tableau clair d'un monde que l'on est curieux de connaître.

 

17) Un député ça compte énormément!    Jen-François Copé       Albin Michel

L'auteur dans ce livre explique les mécanismes du fonctionnement de l'assemblée nationale. Sans concession il en révèle les points forts et les points faibles. Il insiste tout particulièremnt sur certaines dérives actuelles, qui nuisent fortement à la crédibilité et à l'efficacité. Il dresse le tableau de ce que devra être le parlement avec la nouvelle réforme approuvée récemment.  Il disséque les rouages   des relations de travail parlement exécutif, et les comportements entre groupes de l'opposition et de la majorité. Très instructif, clair et sans langue de bois, pour compléter faut-il sans doute avoir le pont de vue d'un député de l'opposition. Le président du groupe socialiste devrait se livrer au même exercice, ce serait intéressant.

 

18) Les archives du Président Mitterrand intime    Françoise Carle       éditions du Rocher

Livre très intéressant écrit par une proche de François Mitterrand. Elle nous permet de découvrir le fonctionnement de l'Elysée à travers le travail des conseillers et des différentes affaires traitées. Elle a comme mission de préparer les archives de l'époque Mitterrand . De par ce travail, vues croisées sur une multitude d'activités et de personnages durant plus d'une décennie à travers la planète. D'autre part, étant une intime du Président et de sa famille, elle nous parle de ses vacances à Latché. Original, elle y vient en voiture et dort généralement dedans au grand dam du Président. Elle y venait d'ailleurs avant qu'il soit Président, et y est invitée permanente. Que l'on aime ou pas le personnage de Mitterrand livre très intéressant dont il n'y a pas à douter de l'honnêteté de l'auteur, qui écrit très bien. J'ai beaucoup aimé ses descriptions en particulier des paysages, une fan de montagne  et ses moments privilégiés avec François Mitterrand.

 

19) Aventures en Loire   Bernard Ollivier    éditions Phébus

Bernard Ollivier est très connu pour son magnifique bouquin en trois volumes sur la route de la soie qui s'intitule La longue marche. Dans le livre sur la Loire, il relate son aventure d'un mois à l'été 2008 à pied et en canoë le long de ce fleuve. Il décrit le fleuve et les habitants de ses berges à la rencontre desquels il va. Les contacts humains chaleureux sont l'un des moteurs essentiels de l'aventure selon lui. En particulier la rencontre d'amoureux du fleuve qui lui font découvrir ce milieu est passionnante. Il fait la comparaison du déplacement entre la marche et la canoë, qu'il découvre pour la première fois alors que la marche il l'a expérimentée sur des milliers de kilomètres à travers la planète. D'autre part, comme dans son livre sur la route de la soie, il exprime toute son interrogation devant l'âge qui vient, à l'époque il avait 60 ans, alors qu'en 2008 il en avait 70. Il exprime sa philosophie du voyage à travers une phrase chargée de sens: le voyage est dans la manière et non dans la destination. De toute évidence l'aventure physique et humaine on peut la trouver en France. A lire impérativement quand on se pose des questions sur le voyage et les destinations exotiques qui croit-on sont seules à apporter le grand frisson de l'émotion.

 

20) Un Général suisse contre Hitler   Jon  Kimche         Fayard  1962

Livre particulièrement passionnant, en effet il montre toute la démarche suisse face aux Allemands pendant la deuxième guerre mondiale. On y apprend que l'armée suisse n'a de général que lorsque des guerres éclatent près des frontières. Ce général Henri Guisan a su mener une action prémonitoire pour son pays face à Hitler. Il ne pouvait compter sur son gouvernement et il devait compter contre une partie du pays qui voulait une neutralité stricte voire une position de complaisance avec l'Allemagne. Il fallait compter aussi avec les Suisses qui étaient pronazis.  Il a su mener une politique de fermeté tout en sachant bluffer quand il le fallait et abattre ses cartes en force à d'autres moments. Il a su par une action déterminée empêcher  sinon l'alliance  de la Suisse au moins son invasion par Hitler. On découvre  un de Gaulle suisse. A lire impérativement.

 

21) Les temps sauvages   Joseph Kessel     Gallimard

Comme toujours avec Kessel il s'agit de situations exceptionnelles avec des personnages sortis d'un roman fantastique et pourtant c'est la réalité. Il décrit sa mission militaire au fond de la Russie en 1919 à Vladivostok. Impressionnant, des descriptions de situations à couper le souffle et des sentiments bouleversants.

 

22) Journal d'un préfet pendant l'occupation  Pierre Trouillé    l'Air du Temps collection dirigée par Pierre Lazareff

Livre qui relate au jour le jour le travail d'un préfet de Vichy pendant l'occupation. Il s'agit de l'auteur. Il décrit très clairement son action au quotidien entre le gouvernement de Vichy, les Allemands (gestapo, Wehrmacht, SS) et la résistance. Il montre clairement qu'à tous les niveaux hiérarchiques du gouvernement de Vichy il y a des hommes en place qui font tout leur possible pour lutter contre l'envahisseur. Très beau témoignage sur ce qui s'est passé dans la région de Tulle au cours de la dernière année de guerre. Indispensable pour affiner son jugement sur ce que fut le gouvernement de Vichy et surtout sur l'action menée par certains de ses membres.

 

23) 37 ans avec la pègre  Commissaire Guillaume    Editions des Equateurs 2007 première publication 1938

Un commissaire de police raconte les mémoires de sa vie professionnelle en gros entre les deux guerres. Il fut entre autre durant 7 années dans les années trente le chef de la fameuse "Brigade spéciale" du 36 quai de Orfèvres. Il fut un modèle pour Georges Simenon. Il décrit toutes les catégories de délinquants et délinquantes auxquels il est confronté. Tout y passe, les escrocs, maîtres chanteurs, cambrioleurs, les criminels, les indicateurs, les délinquants mineurs, les condamnés à mort.... Il fait de beaux portraits de toutes ces populations qui enfreignent les lois, et il explique sa façon de procéder pour les interpeler. On a une bonne idée des mœurs de l'époque à travers ces multiples affaires.

 

24) Feux du ciel  Pierre Clostermann        J'ai lu

Ouvrage remarquable écrit par un grand spécialiste des avions, comme pilote et ingénieur de haut niveau. Il retrace à travers ce récit, les évolutions des avions des différents belligérants de la deuxième guerre mondiale. Remarquable, n'a rien à voir avec son célèbre ouvrage "le grand cirque" où il raconte sa bataille d'Angleterre. A lire on y apprend beaucoup de choses. Un passage complètement surréaliste concerne les kamikazes, en particulier lorsqu'ils assistent, au cours de l'une de leur cérémonies rituelles avant de partir se sacrifier en coulant des bateaux US, à l'explosion de la bombe nucléaire de Nagasaki, le 9 août. Eh bien cela ne les perturbe pas autre mesure de voir ce spectacle de l'autre côté de la baie, et ils continuent leurs préparatifs et ils partent pour la dernière attaque de la seconde guerre mondiale. Franchement stupéfiant!!!

 

25) Des fleurs en enfer  Luc Adrian     Presse de la Renaissance

Ce livre raconte l'action d'une fraternité franciscaine dans le Bronx.  Très beau témoignage, manifestement la foi permet de déplacer des montagnes.

 

26) Portraits pour la galerie    Philippe Bouvard       Albin Michel

En quelques lignes ou quelques pages, Philippe Bouvard croque de l'ordre de 140 personnes connues, qu'il a rencontrées voire côtoyées lors de sa longue carrière. Dans un style truculent, il brosse à grands traits des tableaux de personnages, qu'il connait bien. Il livre des petits secrets hilarants, comme par exemple Valery Giscard d'Estaing, qui après avoir invité quelqu'un, le regardait partir du coin de son rideau. S'il affichait une belle voiture alors un contrôle fiscal pouvait survenir, l'auteur en ayant fait l'expérience. Entre autre anecdote, il narre comment Jacques Mesrine s'était intéressé à lui, et l'avait mis en tête de liste de ses futures victimes. Livre à ouvrir à n'importe quelle page  au hasard, et on est sûr de trouver une bonne surprise intéressante et souvent marrante. Médicament très efficace pour les petits coups de blues passagers, à utiliser et réutiliser un peu chaque jour.

 

27) L'enquête Petiot    Commissaire Massu   Librairie Arthéme Fayard 1959

Le commissaire Massu était le chef de la Brigade criminelles du quai des Orfèvres. Il a été chargé de l'affaire Petiot. Il raconte tout le déroulement de l'enquête telle qu'il l'a menée, de la découverte du lieu des crimes par le hasard d'un incendie de chaudière jusqu'à la condamnation du docteur Petiot. Au fur et à mesure de l'avancée de l'enquête il va de surprise en surprise. Bien que nous ayons tous une idée sur les agissements de ce médecin, le déroulement au jour le jour de cette enquête hors norme dans le contexte de la France occupée par les Allemands, dépasse tous es scénarios de polars, et on en frémit en sachant qu'il s'agit d'une histoire vraie.

 

 

28) Chasseurs d'espions Colonel Oreste Pinto J'ai lu

Livre passionnant qui se lit comme un polar, mais tout y est vrai. L'auteur était chargé pendant la deuxième guerre mondiale de démasquer les espions travaillant pour l'Allemagne. Il explique ses méthodes d'investigation à travers de nombreux cas qu'il a vécus. Il décortique les ficelles de son métier. Il en montre les aspects techniques et humains. Chaque espion a sa propre personnalité et les chemins pour le démasquer peuvent différer. Il est important de préciser que la torture physique n'est jamais utilisée et que l'auteur à l'instar des services britanniques, par lesquels il a été formé, met un point d'honneur à ne pas tomber dans les méthodes inhumaines des nazis. Mais la sanction pour l'espion démaqué est généralement la mort. J'ai tellement été intéressé que je l'ai quasiment lu deux fois.

 

 

 

29) Anatomie de l'errance Bruce Chatwin Le Livre de Poche

Livre très dense à lire et relire. Il aborde en apparence une multitude de thèmes que je ne raccroche pas directement à l'errance, mais il y a un lien. Par exemple l'art, quel est le lien avec l'errance? Se déplacer pour voir et surtout d'après ce que j'ai compris la possession et là c'est antagonique avec l'errance qui s'affranchit de biens matériels. On a l'impression à travers cet ouvrage d’en lire plusieurs. Il parle entre autre de gens tout à fait exceptionnels comme Maximilien Tod (que je ne connaissais pas) ou de Malaparte (auteur qui a écrit de magnifiques livres et en particulier un ouvrage de référence Kaputt. Je le compare avec Grossman et ses carnets de guerre sur le front russe durant la deuxième guerre mondiale). Il aborde aussi la vie de Stevenson, comme jamais je n'en avais entendue parler. Tout au long des pages on apprend une foule de choses dans de multiples domaines. A lire et relire dans le désordre cela n'a pas d'importance, il faudrait pouvoir mémoriser la somme de connaissances qu'il nous livre. En tout cas cela me donne envie de lire ses autres ouvrages, comme par exemple le chant des pistes.

 

 

30) La Peur Gabriel Chevallier Editions France Loisirs

Cet écrivain est l'auteur de « Clochemerle», et ce succès paradoxalement a éclipsé cet ouvrage «la Peur». Véritable plaidoyer contre la guerre, il la décrit avec précision. Il décortique les réactions humaines face à ces situations d'apocalypse que sont les grands bombardements, les préparations aux assauts dans l'attente de sortir des tranchées sous la mitraille. Ce livre a la même puissance évocatrice qu'un livre comme «Orage d'acier» d'Ernst Jünger, qui lui par contre, fait en quelque sorte une forme d'apologie de la guerre. Paradoxalement ces deux livres se rejoignent dans la puissance de la narration de situations extrêmes, en étant à l'opposé dans la perception individuelle des auteurs. Tous deux abordent la mort collective au combat, le premier se basant sur le rejet individuel et la peur et le second insistant sur l'exaltation qui naît du combat. Deux volets, deux visions, deux approches d'un même phénomène humain, la guerre dans toute son horreur et son inhumanité. La vie humaine est en sursis au gré des obus et des balles. «La Peur» mériterait la notoriété de «Orage d'acier». Ayant lu de nombreux livres sur la première guerre mondiale, ce sont les deux qui m'ont le plus marqué, par la description des situations vécues, et des réactions engendrées chez l'homme soumis à ces conditions de mort imminente.

 

 

31) Histoire secrète de la mission Rudolf Hess Lord James Douglas-Hamilton Robert Laffont

 

Livre étonnant qui explique les raisons pour lesquelles Hess est parti contre l'avis d’Hitler essayer de négocier la paix avec les Anglais en 1941. Histoire incroyable, déclenchée par deux types d'événements, qui en se conjuguant l'ont conduit en Écosse. D'une part, l'un de ses conseillers, Albrecht Haushofer, bien introduit auprès de certains milieux anglais, de façon involontaire lui en a donné l'idée. D'autre part l'estime d’Hitler à son encontre baissant, il a voulu redorer son blason en tentant d'arrêter la guerre sur le front ouest à la veille du déclenchement de la guerre contre la Russie. De la conjugaison de ces différents événements il en est résulté son départ en Messerschmitt 110 le 10mai 1941.

L'argumentaire déployé semble très plausible. Le livre révèle le personnage étonnant de Haushofer. D'ailleurs dans le livre il est plus question de lui que de Hess. On assiste aussi à toutes les tentatives de positionnement de Himmler pour éventuellement supplanter Hitler en fonction de circonstances qui auraient pu se révéler favorables. Très intéressant, publié en 1971 et en 1972 pour la version française.

 

 

32) Le pouvoir ne se partage pas Conversations avec François Mitterrand           Edouard Balladur Fayard

 

Edouard Balladur, retrace sa relation avec François Mitterrand à l'époque où il était Premier Ministre et Mitterrand Président de la République.

Ce compte-rendu presque au jour le jour montre comment la politique française s'élaborait au cours de ces deux années de cohabitation (mars 93 mai 95). Certains pourront dire c'est facile de reprendre ce qu'aurait dit une personne morte, cependant je trouve un air de sincérité à ce récit. Il en ressort que les actions des hommes politiques, en connaissance de cause, ne sont pas toujours dans l'intérêt de la France, mais inspirés par de basses manœuvres.

La description détaillée du jeu qu'ils jouent dans leurs rapports quasi-journaliers démonte bien le mécanisme de la prise de décision au sommet de l'état durant ces deux années. Il en ressort que ce qui comptait c'était plus de garder les apparences du pouvoir que sa réalité.

On apprend beaucoup de choses sur leurs actions et le cheminement de leurs pensées face aux grands problèmes nationaux et internationaux de ces deux années.

Il met aussi en évidence toute la toxicité de sa propre majorité qui en partie roule pour Chirac et qui essaie de lui nuire pour donner des arguments à Chirac pour les présidentielles de 1995. Les hommes politiques pour nombre d'entre eux ne sortent vraiment pas grandis au travers de ce qu'il écrit.

Bien qu'il n'en parle pas, l'affaire Clearstream regardée à l'aune des chausse-trappes que Chirac lui a tendus lors de la présidentielle de 1995, laisse à penser que certains ont essayé de faire la même chose à Nicolas Sarkozy pour les dernières élections présidentielles en 2005.

Ce livre laisse un malaise, tous pourris, manipulation de l'opinion, le fric seul permet aux grands partis d'émerger, même si leurs leaders n'ont pas d'idées, bien qu'ils soient de grands stratèges pour conduire une campagne. Malheureusement une fois qu'ils détiennent le pouvoir ils ne savent plus très bien qu'en faire, en partie du fait de la démagogie employée pour arriver, qui les empêche de mener une action pour le redressement du pays.

On se demande après ce livre, si cela sert à quelque chose d'aller voter. Je pense à Anne Romanov et son sketch «On ne nous dit pas tout».

En conclusion à lire impérativement

 

 

33) Solos d'amour John Updike

A travers un peu plus d'une dizaine de récits, il raconte toutes sortes d'histoires entre les deux sexes. Cela va du fantasme concernant une rencontre qui date de l'adolescence à l'adultère à travers tous ses stratagèmes et ses mécanismes. Ce qui est intéressant dans ces récits magnifiquement écrits, c'est que l'on y découvre forcément dans la variété des situations décrites des analogies avec sa propre vie. La dernière histoire de loin la plus longue, puisqu'elle doit faire la moitié du livre qui compte 400 pages est un peu monotone. Cependant elle conserve son attrait du fait de la description de la société américaine, dans laquelle l'auteur sait si bien nous plonger. Cette deuxième partie je l'ai lue par curiosité sur cette fameuse société américaine. Mais dans la nôtre nos motivations sont-elles différentes? Écriture pleine de fraîcheur, sans tabou.

 

34) Ambassadeur en mission spéciale    Sir Samuel Hoare       Vent du Large 1948

 

Récit passionnant de l'ambassadeur de Grande Bretagne en Espagne durant la deuxième guerre mondiale. Lieu où se tramèrent et se discutèrent de nombreuses intrigues, les différents interlocuteurs alliés et de l'axe se côtoyaient dans ce pays presque neutre. En effet, il ne l'était pas tout à fait. Les penchants vers l'Allemagne étaient visibles sans ambiguïté. Un volet important des missions de cet ambassadeur était de faire en sorte que Franco ne cède pas à ses ministres pro nazi et aussi à la pression directe d’Hitler qui cherchait à entraîner l'Espagne dans le conflit. Très belle narration, très claire écrite par un acteur de premier ordre, qui œuvra pour la restauration de la démocratie au cours de ce cataclysme qui ravagea le monde durant de nombreuses années.

 

 

35) L'argent des politiques Christophe Dubois Marie-Christine Tabet Albin Michel 2009

 

Un livre de plus qui ne met pas les hommes et femmes politiques à l'honneur. Il révèle une multitude de scandales et de pratiques pour le moins pas très glorieux? Mais on en a déjà tellement vu, lu et entendu que nous ne sommes plus étonnés, sans doute blasés depuis longtemps par le comportement de ce qui paraît-il constitue l'élite du pays. Cependant, une petite note d'espoir au milieu de ce récit où l'avidité règne sans partage, quelques hommes politiques semblent mener un combat de conviction dans le désintéressement. Mais ils ne sont pas nombreux, sans doute les partis n'aiment pas les gens sur lesquels on ne peut faire pression.

 

 

36) Mot de passe «courage»   John Castle   J'ai lu

 

Histoire d'un prisonnier de guerre britannique, qui réussit l'exploit de multiples évasions et aussi de pénétrer dans un camp de concentration et de prendre la place d'un déporté pour vingt quatre heures. Livre digne d'un roman d'aventure au sein des camps de prisonniers et d'extermination nazis. Cette aventure extraordinaire, son auteur la mettra à profit, en étant l'un des témoins du procès de Nuremberg.

 

 

37) Ce que savaient les Alliés Christian Destremau Tempus 2007

 

Livre captivant qui analyse ce que les Alliés savaient de leurs ennemis et de leurs stratégies et exactions durant la deuxième guerre mondiale par les différents télégrammes secrets qu'ils étaient en mesure de décoder. En effet ils étaient en mesure de casser un certain nombre de codes secrets, allemands, japonais, français de Vichy, ainsi que d'autres pays neutres. Roosevelt était-il au courant de l'intention japonaise d'attaquer Pearl Harbour? Dans quelle mesure l'interception de messages diplomatiques japonais a permis aux Américains de se conforter dans l'emploi de la bombe atomique? Que savaient les Alliés sur les camps d'extermination et quelle a été leur action? Que savaient-ils sur le gouvernement de Vichy et la collaboration?  Quel était le résultat sur la population allemande  des bombardements massifs? Toutes ces questions et bien d'autres comme pourquoi n'ont-ils jamais essayé de tuer Hitler, sont étudiées à l'aune de documents qu'ils étaient en mesure de lire grâce aux codes secrets qu'ils réussissaient à casser. Passionnant, se lit comme un vrai roman d'espionnage et il nous aide à mieux cerner les décisions prises par les Alliés en particulier Churchill et Roosevelt durant le deuxième conflit mondial.

 

 

38) Le Lieutenant Méhariste Jean-André Henoux Editions France-Empire 1961

 

Récit très intéressant d'un méhariste qui remplit sa mission de protection des intérêts français dans le désert face à des tribus qui commencent à vouloir s'émanciper de la tutelle française. Sans aborder le problème philosophique de la colonisation, au travers des descriptions du désert, des traditions des peuples qui y vivent et de l'aventure des débuts de l'ère pétrolière dans ces contrées, ce témoignage éclaire par une petite fenêtre ce qui s'est passé dans ces régions en préambule de l'indépendance algérienne. J'ai beaucoup aimé.

 

39) Un Franciscain chez les SS Géréon Goldmann Editions de l’Emmanuel 2008

Parcours tout à fait étonnant d’un Franciscain allemand incorporé au début de la deuxième guerre mondiale dans une unité SS. Il ne reniera pas sa foi malgré toutes les pressions subies. Il fera preuve d’un courage que certains pourraient considérer comme suicidaire. C’est peut-être ce qui le sauvera. En effet son attitude attire de fait une forme de respect chez les nazis. Ils finiront cependant par le chasser et l’envoyer dans la Wehrmacht. Il participera à une multitude d’opérations entre la Pologne, la campagne de France, le front russe et la guerre en Sicile. Il va connaître des péripéties absolument incroyables sur ces différents fronts. Entre être raccompagné dans les lignes allemandes par l’armée russe alors qu’il visitait un pope, ou une messe au débotté en plein affrontement réunissant Allemands Anglais et  Américains; et là encore les Anglais le raccompagnent dans les lignes allemandes après l'office où il distribue les hosties, récupérées dans une église italienne en menaçant le curé qui s'y refusait. Ce ne sont que deux exemples parmi une multitude d’autres où sa vie n’a tenu qu’à un fil. Après ce livre si l’on ne croit pas en Dieu, on est tout du moins interrogatif sur le fait qu’une telle destinée ait pu exister.

 

Livre qui vaut tous les romans de guerre les plus délirants, mais la différence dans le cas présent il s’agit d’une expérience vécue. Outre les aventures improbables que vit l’auteur, il ressort de ce livre une étude de caractères.

 En effet dans des conditions extrêmes la réaction de chacun est particulière face au danger. Qu’il s’agisse d’unsoldat allemand, d’un jeune Polonais, d’un prêtre italien d’un moine français ainsi que d’une quantité d’autres personnages croisés, on assiste au comportement humain du plus sordide au

plus sublime et cela parfoisindépendamment du camp. Un des livres les plus étonnants que j’ai lus.

 

 

40) Ce que je n’ai pas pu dire Jean-Louis Bruguière Robert Laffont 2009

Juge antiterroriste, durant trente années il a été au centre d’une multitude d’affaires criminelles et terroristes qui ont toutes à leur époque été très médiatisées. Il en explique les dessous et le cheminement des enquêtes.

Ses investigations concernant le terrorisme international sont très intéressantes. Il démonte point par point le mécanisme de fonctionnement de cette grande entreprise de destruction de l’Occident qu’est la mouvance terroriste internationale. Ses révélations sur des affaires comme l’attentat du DC10 français sont dignes d’un grand thriller d’espionnage, où il reste le maître du jeu dans des entreprises de déstabilisation et de désinformation. Ses rapports de travail avec une multitude de pays, lui permettent de décrire de façon claire de ce que les autres nations font dans le cadre de cette guerre mondiale. En particulier, son analyse sur l’infiltration des milieux militaires pakistanais par les réseaux terroristes est inquiétante. Sa connaissance d’une multitude de groupes islamistes, de leur fonctionnement, de leurs méthodes, de leurs actions perpétrées ou contrées est absolument prodigieuse. Par moments on croulerait presque sous la profusion des détails, mais ils sont indispensables dans le cadre de son implacable démonstration.

Livre à lire impérativement pour avoir un point de situation complet et actuel sur la guerre mondiale que se livrent l’Occident et le terrorisme en particulier islamique.

 

41) Née d’amours interdites Josiane Kruger Editions Succès du Livre 2006

Sa mère était française et son père soldat allemand. Comme 200000 enfants elle fut confrontée à l’hostilité presque générale, car ces amours interdites étaient considérées comme une trahison. L’auteur raconte de façon remarquable les tourments qui ont été les siens tout au long de sa vie, confrontée aux regards des autres souvent réprobateurs. Très joli texte écrit avec sensibilité, qui a travers son expérience met bien en exergue le déchirement qu’ont vécu tous les enfants ou presque issus de ces « amours interdites ». Son texte est d’autant plus touchant qu’il ouvre sur un grand espoir. En effet elle a rapidement identifié son père qui ne l’avait pas oubliée et les liens entre les familles allemandes et françaises sont devenus très forts.

 

 

 

42) Dictionnaire amoureux du Ciel et de l’Espace Trinh Xuan Thuan Plon Fayard 2009

 

Cet ouvrage de plus de 1000 pages représente une magnifique actualisation sur les questions qui touchent à la matière, inanimée et vivante, de l’infiniment petit à l’infiniment grand. Ses chapitres au nombre approximatif de trois cents abordent des sujets aussi différents que l’expansion de l’univers et les indices qui militent en sa faveur, la théorie des cordes, la conscience humaine, les trous noirs, l’atmosphère terrestre, l’antimatière, une multitude d’hommes de science de l’antiquité à nos jours, Dieu et le temps, beauté et unité de l’univers. Je ne vais pas faire l’énumération des trois cents chapitres, mais chacun d’eux aborde avec clarté une question, l’explique, découvertes et informations récentes à l’appui. Ouvrage de référence pour toute personne s’intéressant à la physique de notre univers et qui se pose des questions sur le pourquoi des choses. Ce type d’ouvrage conduit le lecteur de la science à la philosophie en passant par l’histoire et l’évolution de l’homme et de l’univers qui l’environne. L’auteur véritable puits de connaissances, sait faire partager son savoir et son questionnement. Ouvrage à lire à petites doses pour pouvoir bien assimiler le foisonnement de données et pouvoir méditer tout l’extraordinaire qui se dévoile au fur et à mesure que les pages se tournent. Mérite de devenir une bible à laquelle on s’abreuve en quête de savoir et de réponses à nos questions sur la création de l’univers. Mais la science restera toujours la science aussi poussée soit la connaissance, et des questions fondamentales comme le passage de l’inanimé à l’être vivant et ensuite à la conscience feront appel à la conviction de chacun quant à la réponse à apporter. Ce livre met à disposition un certain nombre de briques et de pistes, et chacun sera libre de les assembler à sa manière, en fonction de sa sensibilité et de sa croyance ou non en Dieu ou en un être supérieur. Ce qui fait retomber sur une question fondamentale, le hasard ou la nécessité. Il l’aborde de façon sublime et apporte une réponse sans appel : l’existence de la conscience n’est pas contingente, mais nécessaire, car l’univers n’a de sens que s’il contient une conscience capable d’appréhender son organisation, sa beauté et son harmonie.

 

43) La Traque des criminels de guerre et moi Carla Del Ponte Edition Héloïse d’Ormesson 2009

Pendant huit ans elle a été procureur général du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda. Au centre d’une multitude d’organisations nationales et internationales avec lesquelles elle dialogue et négocie pied à pied sous la pression des intérêts particuliers et divergents elle conduit ses mises en accusations souvent seule contre tous.

Elle décortique bien les rouages des différents génocides commis sur ces deux théâtres de guerre, en donnant un point de vue éclairé sur les différents génocidaires qu’elle poursuit.

A travers ses différentes tractations avec sa hiérarchie de l’ONU, souvent directement avec le Secrétaire Général, ou avec des organisations internationales comme l’Union Européenne ou l’OTAN, ou directement avec les nations d’Europe ou les USA, et aussi bien entendu avec les pays dont les cherche à arrêter certains ressortissants, elle nous invite à suivre son combat dans toute sa complexité. Indépendamment du mécanisme de fonctionnement du Tribunal international pénal, dont elle nous explique le fonctionnement, on assiste à l’élaboration de la politique internationale à l’aune de la sensibilité des états, chacun ayant ses orientations, et à l’aune des organismes internationaux.

Livre passionnant de ­ 600 pages qui éclaire largement sur un problème grave, les crimes de guerre et génocides et l’impunité, en en dévoilant tous les aspects, pénaux et politiques.

 

44) Neige     Maxence Fermine    arléa     1999

Très joli petit conte d’inspiration japonaise, très agréable à lire. On y apprend entre autre ce qu’est un haïku, petit poème à dix sept syllabes.

 

 

45) Une balle perdue  Joseph Kessel      folio

Cours roman qui se déroule au cours d’une émeute à Barcelone quelques années avant la guerre d’Espagne. Dans des circonstances difficiles, emmêlées et dangereuses, l’auteur campe  un personnage principal entier sans concession qui porte la notion d’honneur d’amour et d’amitié au plus au niveau.  En particulier une réplique du chef terroriste à son jeune disciple qui ne sait plus s’il doit prendre parti pour son ami qui ne partage pas ses convictions est remarquable  et bien dans le ton du livre: un anarchiste est d’abord un homme libre, et à mon sens quand il a un ami, quel qu’il soit, en péril, il reste à ses côté.

 

 

46) Le chef du contre-espionnage nazi parle 1933-1945   Walter Schellenberg    éditions  Julliard 1957

 

L’auteur surnommé Fouché à Berlin, donne à travers ses mémoires une description de première main de ce qu’était le système nazi. Il côtoyait journellement les principaux acteurs tels que Himmler. A travers de multiples anecdotes il dresse une fresque de  tous les grands chefs nazis et porte témoignage sur les grands événements qui marquèrent le nazisme depuis ces débuts jusqu’à sa chute. Le document est d’autant plus intéressant que les responsables de ce niveau n’ont pas été très nombreux à faire part de leurs expériences  concernant cette période sombre de notre histoire.

 

 

 

 

47) L’enfer de Matignon  Raphaëlle Bacqué      Points  2008

Cette journaliste du monde interroge 12 anciens premiers ministres sur leur expérience à ce poste. Tous ces témoignages abordent chacun avec sa sensibilité la fonction de premier ministre. Il en ressort que pour tous, le monde de la politique est pavé d’ennemis et de concurrents, que l’on soit de votre bord ou non. Intéressant, la plupart me sont apparu sympathique, l’un m’a semblé sortir du lot. On voit bien à travers ces différents récits apparaître toute la gesticulation politique française qui ne semble pas très saine.

 

48) Ma captivité en Corée du Nord  Célestin Coyos  Grasset  1954

L’auteur, un missionnaire français raconte son incroyable épopée, 30 mois prisonnier des Coréens du Nord. Lors de la guerre de Corée, lorsque l’armée nord coréenne a conduit une poussée en direction de Séoul, l’auteur, comme de nombreux Occidentaux a été fait prisonnier. Il a ensuite été traîné dans de multiples  sites de détention au gré de ce qui semble plus le hasard qu’une réelle stratégie de ses geôliers. Témoignage très intéressant, Célestin Coyos décrit la vie de misère qu’il mène avec ses compagnons d’infortune dans les montagnes coréennes au climat particulièrement hostile, confronté aux tortures morales de ses gardiens. De ce texte ressort toute la force morale des religieux et religieuses embarqués dans cette aventure. La plupart d’entre eux y laisseront d’ailleurs leur vie.

 

 

49) Les crimes de la Wehhrmacht  Wolfram Wette  Perrin 2009

 

Livre extrêmement instructif sur la réalité de l’action de l’armée allemande au cours de la deuxième guerre mondiale. L’auteur qui est professeur d’histoire contemporaine à la faculté de Fribourg et professeur honoraire de l’université russe de Lipetsk, montre avec une argumentation basée sur des recherches sérieuses, de façon nette l’implication de l’armée allemande auprès des unités SS dans la conduite des exactions perpétrées, en particulier son implication dans le programme d’extermination. Il explique comment à la fin de la guerre l’armée allemande s’est vue disculpée des accusations pesant sur les SS. Les raisons sont internes et externes à l’Allemagne. Internes car le pays a fait bloc pour différentes raisons qu’il explique très bien, et les généraux allemands dans leur immense majorité au cours de leur témoignage ont passé sous silence leur implication personnelle.  Externes, car les alliés occidentaux ont voulu ramener sans contestation possible les Allemands dans leur camp, alors que la menace du communisme se faisait de plus en plus pressante. Livre qui m’a intéressé au plus au point et qui précise sans faux semblant un certain nombre de questions qu’on ne manque pas de se poser sur ce conflit mondial

 

 

50) Le Pacte des assassins  Max Gallo  Livre de Poche 2008

Roman qui est tiré de faits réels. En suivant les aventures de son héroïne comtesse italienne, qui dans la réalité était Margarete Buber-Numann, communiste allemande qui avait fui en URSS et rejoint Lénine puis Staline. Sa vie, véritable roman des plus dramatiques, broyée entre deux systèmes totalitaires, ballotée entre camp de déportation en Sibérie et camp de concentration en Allemagne. Max Gallo avec son écriture toujours très claire et sans détour, nous livre une analyse des rapports germano-soviétiques au moment de l’accord de non-agression qui lia ces deux pays avant le déclenchement de l’opération Barbarossa. Il décortique les mécanismes de ces régimes et met en scène des personnages, certes de second plan, en particulier  certains communistes français, qui permettent de comprendre quelles faiblesses et défauts humains ces régimes monstrueux utilisaient pour imposer leur soi-disant  socialisme qu’il soit national-socialisme ou communisme. L’héroïne, espionne soviétique bien introduite dans les milieux nazis est a même de bien cerner les négociations auxquelles se livrent Hitler et Staline, pour comme dans un immense jeu de poker menteur, être à même de mieux foudroyer l’autre le moment venu. J’ai beaucoup aimé.

 

 

51) Conversations avec Staline  Milovan Djilas   idées nrf Gallimard 1971

 

Livre au titre alléchant, un témoignage direct vécu au contact de Staline. L’auteur est un adjoint de Tito, à ce titre il est amené à plusieurs reprises à se rendre en URSS, pour négocier dans le cadre des relations entre la Yougoslavie et l’URSS. Le témoignage est intéressant, bien que parfois il y ait des longueurs dans la première partie. En effet les entretiens avec Staline ne couvrent qu’une partie de l’ouvrage. Le dernier quart est passionnant, en effet on assiste à des discussions politiques de fond entre le maître du Kremlin et des représentants bulgares et yougoslaves. On comprend sans détour la terreur que Staline  essaie d’imposer à ses interlocuteurs en les soumettant à sa bonne volonté et en leur retirant toute autonomie. Témoignage méritant d’être lu, qui confirme bien l’image que l’on se fait de ce dictateur.

 

 

 

 

52) L’imposture climatique   Claude Allègre  Plon 2010

Livre écrit par un scientifique incontesté même si certains n’adhèrent pas à ses idées. Cependant son argumentation  très fournie interpelle.  Il ne conteste pas la réalité du réchauffement, mais met en cause les conclusions considérant que l’homme est l’exclusif responsable de cette augmentation de la chaleur.  Il explique comment des lobbys  sous couvert d’organisations scientifiques ont confisqué le débat sur cette question, qui nous préoccupe tant, le changement climatique. En particulier, il met en garde contre le mode  de pensée des verts, qui à son sens ne résoudront rien, si ce n’est plonger notre pays, voire l’Europe dans  la récession, alors que ce ne sera pas le cas pour les grands pays de la planète. Ils expliquent bien leur courte vue et leur peur de la technologie qui les amènent à n’avoir aucune confiance dans la capacité inventive de l’homme ; On comprend qu’il explique cette attitude des verts en partie par leur immense lacune en matière de formation scientifique, ce qui les disqualifie pour prendre part au débat concernant le développement de notre monde.  Son argumentation bien étayée me semble très cohérente. Livre fort intéressant qui semble déclencher quelques réactions, que j’ai lues et ne semblent pas aller très loin dans la réfutation de ses affirmations. Des gens comme Nicolas Hulot, qui se font accuser de véritable incompétence, restent à mon sens très amorphes et ne répondent pas. Peut-être est-ce trop tôt, le livre est tout récent, mais si effectivement les tenants de la théorie du réchauffement dû à l’homme sont sûrs de leurs théories devraient apporter une contestation vive et argumentée à ce livre. Affaire à suivre, mais je ne peux que conseiller de le lire, car il porte à réfléchir sur le fonctionnement de nos sociétés et ses modes de pensées.

 

 

 

53) Les dérangements du temps

500 ans de chaud et de froid en Europe

Emmanuel Garnier  PLON  2010

 Agrégé d’histoire et maître de conférences, l’auteur mène depuis quatre ans des recherches sur l’histoire du climat.

A travers une multitude de sources historiques, archives et comptes-rendus  individuels, il décrit le climat au cours des cinq derniers siècles. Il en décèle les éléments les plus caractéristiques, pics de chaleur ou de froid, périodes de canicule ou de refroidissement, et les sécheresses et inondations qui en découlent. Il montre que des événements particuliers comme une éruption volcanique ont eu une réelle influence sur le climat de l’Europe.

Livre très intéressant, bien que parfois difficile à lire, montrant bien l’impact des aléas climatiques sur les populations au cours des siècles passés. Les fluctuations importantes qu’il dévoile à travers son exposé, mettent en lumière que le climat n’est pas une donnée stable, mais qui subit des variations importantes dues à des facteurs complexes, que l’on n’identifie pas facilement la plupart du temps.

Ce livre est un bon complément à la lecture de celui de Claude Allègre « l’imposture climatique ».

Ces lectures, indispensables à mon sens, qui traitent toutes deux de l’évolution du climat, donnent matière à réflexion concernant l’évolution de notre climat, mais en ce qui me concerne je suis bien en peine de me forger une conviction sur le sujet.

Le livre d’Emmanuel Garnier décrit les péripéties du climat sur une longue période, tandis que celui d’Allègre cherche à démontrer que l’action de l’être humain sur les variations climatiques que nous connaissons doit être étudiée dans un contexte beaucoup plus général et plus complexe.

 

 

 

54) La petite demoiselle et autres affaires d’Etat  Christian Prouteau                Michel Lafon 2010

L’ancien créateur et chef du GIGN relate ses treize ans au service du Président de la République. Bien malgré lui il a été entraîné dans cette mission, qu’il a commencé par refuser. Mais François Mitterrand ne lui a pas laissé le choix.

Une fois de plus je lis un livre d’une personne ayant côtoyé Mitterrand de très prêt, et qui n'est pas un politique. De toute évidence il leur laisse une impression très forte et les gens sont tombés sous son charme, même quand ils avaient des à priori très négatifs à son sujet.

Prouteau ne se montre pas tendre avec certains hommes politiques qu’ils a vu agir au cours de son long service à l’Elysée.

De nombreuses   anecdotes pleines de tendresse, en particulier lorsqu'il parle de la Petite demoiselle.

Livre très agréable allant toujours directement aux faits, donnant un éclairage particulier sur les hommes politiques et  qui montre François Mitterrand dans ses rapports humains non politiques. J’ai beaucoup aimé.

 

 

 

55) Eux, les STO Jean-Pierre Vittori  Ramsay   2007

STO trois lettres, acronyme de Service Travail Obligatoire. Plus d’un million de Français, pour la plupart contraints,  sont partis travailler en Allemagne  au cours de la deuxième guerre mondiale.

L’auteur au travers d’une vaste enquête auprès des STO, pas toujours facile à mener, a disséqué tout le processus, en abordant la démarche individuelle devant ce départ en Allemagne, la position du gouvernement de Vichy, des employeurs en France et des Allemands qui en dernier lieu décidaient.

Comme tout ce qui touche à la deuxième guerre mondiale et ce qui s’est passé en France à cette époque, un certain voile est entretenu, qu’il n’est pas toujours facile de lever. Ce problème du STO est un épisode de cette période les moins connus, malgré le million de Français qui y ont été entraînés.

Cette étude démonte bien tous les aspects du mécanisme mis en place. On est en effet loin des clichés de collabo et résistant, le système mis en place et les contraintes de l’époque ne permettent pas de trancher aussi nettement.

En écoutant les STO et en dépouillant les centaines de fiches qu’il a fait remplir on voit se dessiner toute la complexité tintée d’horreur, de dictature et de désinformation de ces longues années d’occupation.

A la fin de cette lecture on a une bonne image de ce qui s’est passé, très intéressant mais nous ne pouvons que souhaiter de ne pas connaître à nouveau de telle période.

 

56) Sexus Economicus     Yvonnick Denoël    nouveau monde éditions   2010

Livre intéressant qui décrit les méthodes employées pour battre la concurrence en matière commerciale en utilisant  des call-girls. Comme on le savait déjà le sexe a été, est et restera ce qui fait courir le monde tout du moins les hommes. Je suis cependant étonné de voir que certains hommes qui passent pour des sexe- symboles font appel aussi à des services tarifés.

 

57) Les secrets d’une redition   Allen Dulles  1967 Calmann-Levy

Allen Dulles  avait été chef de la CIA. Dans ce livre il nous relate son action comme jeune diplomate en Suisse au cours de la seconde guerre mondiale. Durant cette période il a été l’un des acteurs principaux de l’opération « Sunrise ».

Cette opération avait pour but la reddition des troupes allemandes sur le front italien, sans l’accord d’Hitler. Du côté allemand le principal protagoniste a été le général SS Wolff, chef de toutes les formations SS en Italie. Il a du convaincre les autres chefs de composantes militaires, la LuftWaffe et l’armée de terre. Pour l’armée de l’air son chef était acquis depuis longtemps à une reddition, pour l’armée de terre cela a été beaucoup plus compliqué. Le livre relate toutes les péripéties de ces tractations secrètes, entre d’une part des généraux allemands, menacés de mort pour haute trahison, et des autorités anglo-américaines sceptiques, craignant même un traquenard et les Russes essayant de faire capoter l’opération, car ils voulaient être les premiers à envahir l’Italie par la Yougoslavie, afin de la raccrocher au camp communiste.   Livre absolument passionnant où l’on voit très bien décrit le processus compliqué qui a conduit à la cessation des hostilités le 2 mai 1945 sur le front italien. Cet événement outre d’avoir préservé des milliers de vies humaines de tous les camps, a précipité la reddition à l'ouest du maréchal Kesselring qui était le commandant en chef des troupes allemandes sur l’ensemble du front.

Cet ouvrage se lit comme un roman avec des rebondissements dignes du meilleur romancier, comme quoi la réalité dépasse souvent la fiction.

 

 

58) Réflexions et Aventures   Winston Churchill      TEXTO 2008

Winston Churchill, bien évidemment on ne le présente pas. Pour ma part je le considère comme l’homme le plus important du xxème siècle, seul au début, ou presque, il a su réagir et organiser la résistance contre  Hitler et sa folie meurtrière.

Comme il est écrit en préambule, les essais qui composent ce livre ont tous été écrits avant 1932. A travers une vingtaine de chapitres il retrace son expérience vécue durant les événements importants du début du siècle, politiques et militaires. Il apporte un éclairage personnel et très clair sur une multitude de faits historiques connus et dresse les portraits d’acteurs majeurs qu’il a bien souvent côtoyés. Il explique de façon concrète les grands dilemmes auxquels les dirigeants de l’époque, dont il faisait partie ont été confrontés, en particulier durant la première guerre mondiale. Son expérience du  front est étonnante. Il a quitté un poste de responsabilité important en Grande Bretagne pour aller se rendre compte des réalités du terrain durant plusieurs mois dans les tranchées en première ligne avec le grade de commandant.

 Livre particulièrement intéressant qui présente, entre autre, un caractère prémonitoire sur ce qui s’est passé ensuite au xxème, car n’oublions pas qu’il a été écrit dans le premier tiers du siècle dernier.

 

 

59) Une femme à Berlin  Journal 20 avril-22 juin 1945   folio  2002

L’auteur de ce livre a voulu rester anonyme. On en comprend très bien les raisons. Durant deux mois cette jeune Berlinoise a tenu un journal, du 20 avril au 22 juin 1945. Son récit commence un peu avant l’arrivée des troupes soviétique.

Au jour le jour, sans faux semblant elle va décrire la vie des habitants et surtout des habitantes de la ville d’abord sous les bombardements et ensuite sous la coupe de l’armée rouge. Elle explique les relations qui vont s’établir entre les soldats soviétiques et les femmes allemandes.

Dans une Allemagne complètement détruite où la survie est liée en particulier à la recherche de la nourriture et d’un minimum de sécurité, elle montre les rapports qui se lient entre hommes et femmes. Tout d’abord  basées sur le viol systématique sans contrepartie, ces relations vont évoluer vers une forme de prostitution forcée contre nourriture et protection relative contre la systématisation du viol et la banalisation de la terreur par tout militaire de passage.

Durant deux mois on assiste au basculement de l’état nazi sous les bombes au retour à la paix avec la transition militaire russe et son mode de fonctionnement. Ce témoignage  particulièrement intéressant montre bien l’adaptation forcée et la réaction des femmes allemandes confrontées à l’armée rouge qui arrivait à Berlin.

60) Journal d’un Conjuré 1938-1944  Ulrich von Hassell     Belin

Ulrich von Hassell était un diplomate allemand, qui fut ambassadeur à Rome de 1932 à 1938. Du fait de sa position critique envers le système nazi, Hitler le démit de ses fonctions. De retour en Allemagne il tient un compte-rendu régulier de tous ses entretiens avec les personnages qui détiennent une partie de pouvoir dans le régime national-socialiste, qu’il s’agisse de civils ou de militaires.

Il montre très clairement les interrogations que ne manquaient pas de se poser bon nombre de personnages allemands. Mais il montre aussi le système totalitaire qui plonge chacun dans la terreur et empêche toute action concertée. Mais il montre aussi que les ambitions personnelles étaient un frein à l’opposition, car au gré des succès ou des échecs militaires nombreux dans un premier temps pensaient la victoire allemande possible. Quand tout espoir s’était envolé, des idées comme reddition avec conditions ont aussi joué en défaveur d’un coup d’état ou d’un attentat. Il montre aussi très bien le système de surveillance de la gestapo.

En septembre 1944 il fut condamné à mort et exécuté. Ce témoignage est l’un des rares qui nous décrive de l’intérieur ce qui agitait les Allemands au cours de la deuxième guerre mondiale. Ouvrage passionnant que je recommande fortement.

61) Mirage contre Mig   Ben Dan  J’ai Lu  1967

Ce livre raconte l’incroyable action de l’armée de l’air israélienne au cours de la guerre des 6 jours en juin 1967. En effet avec un effectif réduit de l’ordre de 150 avions de combat, tous français dont la moitié de Mirage III, les forces aériennes israéliennes ont détruit les armées de l’air de 4 pays arabes en l’espace quasiment d’une seule matinée, en commençant par un double raid massif sur l’Egypte. Puis les quatre jours suivants les avions d’Israël ont participé à l’appui des troupes au sol et à la démoralisation des armées de terre ennemies. Les chefs militaires et les pilotes israéliens ont fait preuve d’une clairvoyance, d’un courage et d’une détermination exceptionnels.

Livre époustouflant.  

 

 

62) Les Diplomates  Franck Renaud    éditions nouveau monde   2010

 

 Livre qui fait une analyse actuelle de l’état de fonctionnement des ambassades françaises et de leur ministère le « Quai d’Orsay ».

La diplomatie française comme les autres secteurs est touchée de plein fouet par les restrictions budgétaires qui entraînent coupures dans les projets et diminution du nombre de personnes affectées à l’étranger dans les représentations françaises.

L’auteur par une multitude de cas concrets nous montre l’action et la vie de ces personnels considérés par beaucoup comme des nantis payés royalement.

Il ressort de cet ouvrage, que l’on trouve de tout dans nos ambassade et au ministère des affaires étrangères, du  très bon et du moins bon. Ce qui peut choquer c’est que la compétence n’est pas forcément le critère principal de promotion et de maintien dans des emplois très lucratifs. Les puissants réseaux internes sont à l’action et maintiennent contre vents et marées leurs affidés. On touche du doigt toute la puissance bureaucratique de notre système français qui ne se laisse pas réformer sans remous.

Tout contribuable soucieux de l’utilisation des ses impôts se doit de lire et ouvrage afin de se faire sa propre idée de l’efficacité de cette grosse machine qu’est le Quai d’Orsay ».

 

63) Mes valises diplomatiques  Brigid Keenan   Petite Bibliothèque Payot 2005

 L’auteur de ce livre est femme de diplomate. Elle raconte  sa vie au fil des affectations de son mari un peu partout sur la terre. Outre le fait d’être mariée à un diplomate, elle est journaliste et malgré les difficultés que cela lui pose, elle arrive à garder quelques contacts professionnels.

Elle fait ressortir admirablement la vie des ces expatriés que sont les personnels des ambassades. Elle y met une belle touche d’humour. Elle donne des éclairages très intéressants sur les différents pays qu’elle a habités généralement plusieurs années.

Livre de presque 400 pages qui se lit comme un véritable roman d’aventures, où les rebondissements se succèdent pour la plus grand plaisir du lecteur. Et bien entendu, l’intérêt provient aussi du fait qu’il s’agit d’une histoire vécue au fil d’une vie.

Bien souvent les livres de la collection Petite Bibliothèque Payot qui relatent des histoires d’aventures vécues sont particulièrement intéressants, et celui-ci ne déroge pas à la règle.

 64) Le tour du Chili à vélo Régine Bienvenue et Pierre Devaux  La Manufacture 1987

Ce livre racontant le périple à vélo de ce couple à travers le Chili est proprement époustouflant. Bien souvent ils sont sur des chemins à peine carrossables, et parfois durant des jours ils errent dans les montagnes en altitude hors de tout tracé en portant leurs bagages puis leurs vélos. Le poids de leurs montures était incroyablement élevé 80 kilogrammes, ce qui en aurait arrêté plus d’un. Eux au contraire ça semblait leur donner de la motivation, ils ont même  emmené leurs engins avec bagages à 6000 mètres. Ils ont bivouaqué dans les endroits les plus invraisemblables,  par des températures qui ont frôlé les -30, souvent en espérant trouver ravitaillement et eau à très court terme, sous peine de mourir.   Absolument fabuleux, récit de deux cyclistes qui montrent une ténacité vraiment au-dessus de la moyenne.

 

65) l'Assassinat de Trotski  Pierre Broue  Editions Complexe

Dans cet ouvrage l'auteur retrace tout le déroulement des faits qui ont conduit à cet assassinat hors norme d'un coup de piolet. Bien évidemment Staline  était le commanditaire de cette action. De nombreuses préparations aussi bien logistiques que d'influence ont été nécessaires, après un certain nombre d'échecs, dont le dernier quelques mois avant ce jour fatidique pour mener ce projet à bien. Livre très bien renseigné qui parfois du fait des détails est difficile à lire. Mais il éclaire sur l'un des événements importants du XX siècle.

 

66) La guerre en 40 questions Le Grand-Amiral Dönitz                              La Table Ronde  1969

Livre remarquable, un officier général qui a détenu de grandes responsabilités de commandement explique en trois cents pages, au travers de questions qui lui sont posées, son action durant la deuxième guerre mondiale.  Responsable durant la première moitié de ce conflit de la guerre sous-marine, il en donne des éclairements précis. Il explique toutes les décisions non prises qui ont conduit au fait que les Allemands n’ont pas triomphé dans le domaine de la guerre sous-marine, malgré les 2800 navires alliés coulés par les sous-mariniers. On en tremble rétrospectivement, en pensant que s’il avait été écouté plus tôt par l’amiral Raeder, le chef de la marine et par Hitler, la guerre aurait pu prendre une autre tournure. On comprend toute l’importance stratégique qu’avaient les convois maritimes anglais et américains, ce qu’il avait bien perçu, alors qu’heureusement ses chefs n’avaient pas sa vision claire. On comprend aussi les grands soucis qui étaient ceux de Churchill en constatant cette puissance sous-marine allemande qui risquait d’avoir les conséquences les plus funestes pour l’issue du conflit mondial, si les alliés ne découvraient pas le moyen technologique permettant la détection des sous-marins.

Il explique très clairement sa position d’officier allemand par rapport à la morale dans un tel conflit. Mais  je reste  sceptique, quand il affirme ne rien avoir su concernant les monstrueuses exactions perpétrées par les nazis.

Très intéressant témoignage à lire impérativement. 

 

 

67) Vivre avec de Gaulle   Michel Tauriac    Pocket 2008

Les derniers témoins racontent

Livre de plus de 700 pages qui nous fait découvrir le général de Gaulle dans les différents aspects de sa vie, militaire, civile et personnelle. De nombreuses personnes portent témoignage de ce qu’elles ont vécu auprès du général. On y découvre un homme, qui avait une vraie vision d’avenir pour la France, mais cela tout le monde le sait. Ce récit révèle aussi un homme d’une grande sensibilité et d’une grande humanité qui savait par ses convictions et par sa rigueur faire adhérer ses subordonnés. Ce livre se boit littéralement comme un nectar qui revigore dans notre période où nous ne sentons plus chez nos hommes et femmes politiques d’autres convictions que celles conditionnées par l’audimat et qui s’alignent en fonction des réactions de l’opinion à certaines idées.

 

68) Histoire des Services secrets Britanniques Gordon Thomas J’ai Lu 2008

Dans ce livre d’un peu plus de 600 pages l’auteur relate les temps forts des fameux services secrets intérieurs et extérieurs britanniques, avec sa kyrielle d’espions retournés soit par les pays de l’est ou de l’ouest. Il y aborde aussi les relations de la Grande Bretagne dans ce domaine avec les autres services secrets en particulier américains, FBI, CIA, NSA. Ouvrage passionnant qui se lit comme un véritable polar, où si l’on n’y prenait garde on se croirait dans une œuvre de pure fiction d’un auteur à l’imagination débordante. Mais non il s’agit de la simple réalité, qui comme on le voit vaut tous les romans de fiction.

 

 

 

69) Londres appelle Pôle Nord  H.J.Giskes    Plon  1958

Histoire tout à fait étonnante, écrite par l’un des chefs du contre-espionnage allemand aux Pays-Bas durant la deuxième guerre mondiale. Il relate son travail en Hollande, lorsqu’il pilotait un groupe de résistants retournés et qui induisaient Londres en erreur. De ce fait les parachutages de personnes et de matériel tombaient systématiquement entre les mains de l’armée d’occupation. Le plus étonnant c’est que le réseau retourné pensait avoir donné les indices nécessaires à leurs correspondants en Grande Bretagne, permettant de réaliser sans ambigüité qu’ils étaient sous contrôle ennemi. Mais des disfonctionnements ont conduit au fait que durant une très longue période l’ennemi a bénéficié de cette avantage.  Encore une histoire réelle digne du meilleur polar.

 

70) Erich von Manstein  Benoît Lemay  Tempus  2010

aventure,randonnée,marche,diplomatie,guerre,justiceDans cet ouvrage de 700 pages l’auteur de façon magistrale explique la réalité  de la Wehrmacht durant la deuxième guerre mondiale, à travers une biographie du feld-maréchal Manstein. Il ressort de cette analyse que les militaires de haut rang allemands durant la seconde guerre mondiale, ont suivi voire précédé Hitler dans sa guerre de conquête. De même l’auteur fait ressortir toute l’habileté de ces officiers généraux qui ont écrit leurs mémoires à l’issue du conflit, afin de réhabiliter l’armée allemande et  de  bien la démarquant de la SS et de la gestapo. La réalité semble contredire ces documents écrits par des acteurs allemands de premier plan. Mais il n’était pas non plus de l’intérêt  des alliés après la guerre de trop s’opposer à l’opinion allemande qui était contre ces chasses aux sorcières. En effet dans cette période de guerre froide est-ouest, il fallait ancrer l’Allemagne Fédérale sans ambigüité au camp occidental et l’intégrer à l’OTAN, d’où l’acceptation de l’idée d’une armée allemande  et de ses chefs qui s’étaient bien conduits durant la guerre. Très intéressant à lire et porte à considérer d’un regard différent les mémoires des grands chefs militaires allemands, qui disent n’avoir eu connaissance de la conduite inhumaine du régime qu’à la fin du conflit. A lire impérativement pour essayer de comprendre comment des hommes intelligents acceptent de se soumettre à un régime assassin et après sa destruction comment afin de se justifier ils travestissent en partie la réalité. L’auteur montre aussi au cours de son étude comment Hitler tenait ses officiers généraux par l’argent et les avantages. On prend conscience que tout système dictatorial s’il sait bien mettre en valeur l’élite du pays peut assoir sa politique inhumaine avec l’aval d’une grande partie de cette élite. Voilà ce que montre en 700 pages ce livre. Puisse-t-il  avoir tort au moins partiellement, car cela fait froid dans le dos. Livre très instructif que je recommande.

 

 

71) Le dernier mort de Mitterrand Raphaëlle Bacqué  Grasset Albin Michel

Livre très intéressant qui rentre dans le système de fonctionnement de la cour autour de Mitterrand. Ce livre a soulevé quelques contestations, mais d’après ce que j’ai lu, elles restent pour la plupart dans le détail.  Cet ouvrage apporte une perspective de plus à la découverte de la vie compliquée et secrète de François Mitterrand. Se lit comme un véritable roman, et l’écriture est de belle facture. Petit livre à lire immédiatement.

 

 

72) Le Chemin des âmes Joseph Boyden   Le Livre de Poche 2004

 aventure,randonnée,marche,diplomatie,guerre,justiceCe livre est le récit de deux Indiens qui sortent de leur forêt du Canada et qui s’engagent dans l’armée canadienne au cours de la première guerre mondiale. Très vite de par leurs qualités de chasseur et de tireur ils vont  être pris comme tireur d’élite. Ils s’infiltreront à de nombreuses reprises entre les lignes de tranchées à la recherche de leur gibier. Le récit au fil des chapitres se déplace alternativement des lieux du premier conflit mondial aux grandes forêts canadiennes. Il y a un lien évident entre ces différents endroits. On comprend comment ces deux hommes adaptent leurs connaissances ancestrales aux besoins de la guerre de tranchées.   L’auteur nous révèle toute la psychologie de ces habitants de la forêt et leur mode de pensée au profit de la guerre moderne, tout du moins ce qu’elle était au début du vingtième siècle. Magnifique récit qui finit sur une note très morale même si la guerre peut transformer un être humain en chasseur d’autres êtres humains, au point de ne plus avoir d’autre raison de vivre que celle de la recherche du plaisir de  tuer ses semblables. Magnifique ouvrage que l’on dévore d’un seul coup, bien qu’il fasse presque cinq cents pages.

 

 

 

 

73) Journal impoli Un siècle au Galop  Christian Millau

Editions du ROCHER 2011

Eh oui il s’agit du fameux auteur du guide Gault et Millau, il écrit de façon remarquable. J’ai découvert ce livre par hasard en me baladant le long du quai de Saône un dimanche après-midi au gré des bouquinistes.

L’auteur a connu une vie époustouflante au cours de laquelle il a côtoyé une multitude de personnages célèbres, voire plus. Au fil des jours il croque en quelques mots les individus et il fait des synthèses de situations qui pour le moins ne relèvent pas de la langue de bois. Dans notre société où la parole est, de façon  hypocrite, de plus en plus bâillonnée, cette écriture de haut vol qui ne se soucie pas des canons de la « bien-pensance », est une cure de jouvence. Il y fait preuve dans certains paragraphes, d’une érudition très poussée, qui peut parfois dépasser les capacités du lecteur de base que je suis. Mais sur les 700 pages de cet ouvrage volumineux l’immense majorité me sont apparues d’une grande limpidité, et outre m’avoir appris beaucoup de choses m’ont régalé et bien souvent m’ont fait éclater de rire. Un grand livre que je relirai certainement tellement le plaisir a été grand par les anecdotes savoureuses et le savoir dispensé de taille.

 

74) Le puzzle de l’émigration  Malika Sorel   Mille et une nuits 2007

Malika Sorel est française d’origine maghrébine. Ayant passé une bonne partie de sa vie dans son pays d’origine elle vit actuellement en France et a la nationalité française.

Avec une multitude d’arguments elle fait une analyse très convaincante des difficultés qui touchent nos banlieues et des fractions de la société qui en découlent. Sans rentrer dans le détail pour ne pas  trahir sa pensée car la question est très compliquée, cet ouvrage est à méditer. Nos hommes politiques auraient dû s’en inspirer, alors que les voies choisies qu’elles soient de droite et de gauche sont toutes inspirées par le  fait qu’il faut mettre plus d’argent pour aider les migrants. Malika Sorel montre très clairement que la volonté d’appartenance à une même identité qui est la nation est au centre du problème et qu’il est utopique d’imaginer que le bien-être matériel est le seul facteur qui va pousser à adhérer à un mode de vie. Elle pose très clairement la signification de deux mots s’insérer et s’intégrer, qui sont fondamentalement différents, car ne faisant pas appel de la part de l’individu aux mêmes types d’envies. A vouloir faire en sorte que la nationalité soit un cadeau que nous faisons largement sous couvert d’humanisme, en réalité il s’agit peut-être d’une fausse bonne idée qui plonge les jeunes générations d’immigrants dans le désarroi du fait de leurs racines et d’une culture de leurs ancêtres très différentes.

Livre très clair, sur un sujet complexe, qui débroussaille la route à suivre. Mais cela demanderait un vrai courage de la part de nos politiques pour arriver à une solution à cette immense question du vivre ensemble sur un même sol.

 

 

75) Au cœur de l’antiterrorisme Marc Trevidic JCLatès  2011

 

aventure,randonnée,marche,diplomatie,guerre,justiceL’auteur dans cet ouvrage aborde les différents aspects de son métier de juge traitant des affaires de terrorisme. Sans rentrer dans le détail des grandes affaires en cours, secret de l’instruction oblige, il nous fait vivre son engagement dans la lutte contre le terrorisme, en mettant des hommes en scène, qu’il s’agisse des terroristes eux-mêmes, des victimes de ces attentas, des services secrets français et étrangers, des justices d’autres pays. Il nous entretient aussi  des politiques qui ne cherchent pas toujours à faire émerger la vérité pour différentes raisons, souvent du fait du positionnement politique de notre pays à un moment donné sur la scène internationale. Parfois sa pensée est un peu difficile à suivre,  lorsqu’on n’a pas une  bonne formation juridique, ce qui est mon cas, car le fonctionnement de notre système judiciaire est plein de subtilités pour le néophyte. Témoignage très intéressant qui fait suite au très beau livre  du juge Bruguière.

 

 

76) Servir le peuple Yan Lianke   Picquier poche 2009

 

Ce roman tourne en dérision une formule typique du régime maoïste, qui est « comment servir le peuple ». D’ailleurs on ne s’y est pas trompé en Chine car le livre a été immédiatement interdit. En effet sous couvert de cette formule, après certes certaines pressions, le personnage principal de l’ouvrage suit ce précepte pour assouvir les envies sexuelles de l’épouse de son chef militaire. Il y parvient très bien et cela déclenche chez lui et sa maîtresse le déverrouillage de conditionnements fortement imprimés par la société chinoise. Ils s’attaquent à la figure mythique de Mao,  en en détruisant les portraits, ce qui les renforce dans leur envies d’émancipation.   Le roman fait apparaître tout l’absurde de la pensée mettant en exergue l’idéal communiste altruiste (pour ceux qui adhèrent seulement), derrière lequel en réalité se dissimule l’appétit de matérialisme. J’ai passé un très bon moment.

 

77) La Compagnie des femmes Yves Simon  Stock 2011

aventure,randonnée,marche,diplomatie,guerre,justiceYves Simon je m’en souvenais comme chanteur et puis en regardant une émission littéraire « la grande librairie » je l’ai écouté parler de son dernier livre. Il en parlait très bien, je l’ai acheté et l’ai lu et je n’ai pas été déçu.

Au cours d’un voyage tout à fait improvisé sur une route que l’on ne considère pas comme une destination de voyage, tout au plus comme un calvaire indispensable en préambule au voyage, l’autoroute Paris Marseille, il nous emmène très loin dans les rencontres impromptues et les sentiments. Il décrit avec brio cette magie qui naît de la rencontre au gré du hasard de deux êtres qui vont rentrer en harmonie, qu’elle se concrétise (cette magie) physiquement ou non. Chacun de nous à cette lecture verra remonter à la surface des souvenirs voire des aspirations, des états d’âme, des agitations, des exaltations. Ces rencontres, particulièrement avec des femmes, mais pas toujours, au détriment d’une vie affective bien établie montre cette quête de rencontres, de laquelle naît l’enchantement de l’apport à l’autre. Il aborde très subtilement les différentes approches en fonction de l’âge. De l’éphémère de la rencontre passagère se concrétisent des ressentis immortels.  Très beau livre magnifiquement écrit plein d’une forme de nostalgie qui apporte un grand plaisir.

 

 

78) Le Premier Amour  Véronique Olmi  Le Livre de Poche 2009

 

 

aventure,randonnée,marche,diplomatie,guerre,justiceJe découvre cet auteur. Le livre aborde un thème bien à la mode dans notre société où les quadras et plus aiment à se retourner sur leur passé, en particulier affectif. A croire que l’on s’imagine tous que l’on est passé à côté du grand amour à un moment donné, preuve s’il en est que beaucoup ne sont pas au top dans leur peau.

 

 

Elle effleure nombre de problèmes bien actuels, les handicapés que nous ne sommes plus en mesure de garder chez nous, ce qui sous-tend  à mots couverts sans doute la gestion de la vieillesse dans nos sociétés, les paumés de tous genres que l’on côtoie au hasard de nos déplacements, et surtout nos interrogations existentielles. Le thème est bien alléchant, mais la pensée n’est pas poussée assez loin et reste très superficielle. Je dirais en guise de conclusion, en désaccord avec les critiques dithyrambiques du Point et du Figaro littéraire, heureusement que le livre n’est pas trop épais, ce qui m’a permis de persévérer jusqu’à la fin.

 

 

 

79) Messieurs les avocats  Pierre Malan  Albin Michel 1955

 

 

aventure,randonnée,marche,diplomatie,guerre,justicePetit livre truculent par le thème abordé, la vie d’un barreau d’une ville française. On y voit vivre les avocats plongés dans leurs intrigues et leurs petites magouilles sur fond d’élection du Bâtonnier. Les multiples péripéties et rebonds sont des plus hilarants et la chute est impitoyable quand à la hauteur d’âme et à la déontologie des personnages.

 

 

80) La conspiration oubliée  Terry Parssinen Robert Laffont 2004

 

 

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Cet ouvrage retrace l’histoire secrète du complot de 1938 contre Hitler. Ce récit très concis, raconte au jour le jour l’action de certains chefs allemands et pas des moindres, qui sentant venir la catastrophe, si Hitler appliquait sa politique.  Nombreux sont les acteurs de ce complot malheureusement avorté, qui se retrouveront impliqués plus ou moins directement dans celui de juillet 1944.

 

Récit particulièrement fourni en détails, montrant très bien l’évolution d’une bonne partie des chefs allemands au gré des hésitations des démocraties occidentales, France et Grande Bretagne.  Les contacts jusqu’aux accords de Munich, sont restés très étroits entre les putschistes et les Britanniques. Ces derniers sous la direction de Chamberlain ont adopté une politique de conciliation, qui a été très nuisible à l’action de prise de pouvoir par les opposants au nazisme. Paradoxalement, c’est un dernier compromis très temporaire de la part d’Hitler qui a empêché l’opération d’avoir lieu.

 

Livre particulièrement clair qui donne un bel éclairage sur une période particulièrement difficile en Europe.

 

 

 

81) Histoire des commandos de 1945 à nos jours  Pierre Montagnon Pygmalion 2003

 

 

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En 19 chapitres, l’auteur décrit 19 actions de commandos qui ont marqué la deuxième période du xx siècle. Parmi celles-ci bien évidemment la prise d’otages  durant les jeux olympiques de Munich, l’opération  à Entebbe, les Falkland, la traque des SCUD en Irak, la prise de l’Airbus à Marseille et bien d’autres…

 

Se lit comme un roman, je l’ai trouvé très intéressant, bien que tout ce qui est raconté est généralement bien connu, car ces faits ont souvent été fortement médiatisés.

 

 

 

82) L’été en enfer  Napoléon lll dans la tourmente Nicolas Chaudun Actes Sud 2011

 

Ce livre relate la chute du Second Empire au cours de la défaite française en 1870. On y suit l’empereur sur les champs de bataille. Etant très malade de calculs qui le font terriblement souffrir, c’est un homme  fortement diminué qui est décrit dans ce conflit qui concrétise sa déchéance, physique morale et de pouvoir. Cet ouvrage est particulièrement instructif sur le déroulement des combats dans certains lieux comme par exemple Sedan. Les désaccords au sein du gouvernement et les intrigues qui en découlent sont aussi expliqués.

 Cette lecture parfois difficile, bien que passionnante, fait naître  un malaise devant cet empereur à l’agonie cherchant à se faire tuer sur les champs de bataille, afin de pouvoir échapper à la déchéance du pays et à son propre avilissement. Ce vœu ne sera pas exhaussé et il subira l’ignominie de la captivité.                                                                                                               Cet ouvrage m’a fait connaître certains côtés de cette période d’histoire de France que l’on vit encore de nos jours avec douleur.

 

 

83) Les généraux allemands parlent Basil H. Liddell Hart  Tempus 2011

Dans cet ouvrage conséquent (550 pages) il est question des rapports d’Hitler avec ses généraux dans la conduite de la guerre. Mais afin de ne pas embrouiller le débat, ne sont abordés que les problèmes techniques de guerre, découlant de la tactique et la stratégie. Les problèmes d’éthique et d’adhésion aux idées nazies sont à peine effleurés, ce qui permet aux intervenants de se concentrer sur les problèmes techniques et de ce fait ils livrent leur pensée sans chercher à masquer certaines de leurs actions qui seraient répréhensibles.

Livre dense, qui passe en revue toutes les grandes batailles de la seconde guerre mondiale, vues du côté des généraux allemands survivants. On a confirmation d’un état-major des armées sous la direction de Keitel et Jodl, totalement inexistant et sous la domination totale du Fürher. L’armée de l’air du fait de la personnalité particulière de Göring pouvait être un frein très net à une stratégie d’ensemble. La marine il n’en est que très peu  traité dans l’ouvrage. L’essentiel de cette étude consiste en les positions des généraux de l’armée de terre et la manière dont ils ont dirigé les grandes batailles du III Reich.

Deux écoles s’affrontaient au sein des chefs, les jeunes et les anciens. Les jeunes plus orientés vers l’emploi des armes moderne avec la mécanisation accrue, étaient poussés vers la guerre de mouvement. Les anciens plus traditionnels, marqués par les guerres de position, étaient moins entreprenants. Hitler donnait sa préférence aux jeunes et à leur courage et leur inventivité, mais il restait ce qu’il était un dictateur, et il imposait pratiquement toujours en finale son point de vue. Alors il perturbait grandement les opérations et bien souvent les décisions qu’il imposait étaient catastrophiques pour l’armée allemande. Cependant il était capable d’avoir des intuitions de génie, mais dans leur réalisation il pouvait par des décisions inappropriées empêcher le succès escompté.

Autre volet de ce livre particulièrement intéressant : l’appréciation de la part des généraux allemands sur leurs homologues alliés, et la critique  concernant les décisions prises par ces généraux alliés qui leur étaient opposés.

Très bel ouvrage, qui malgré le sujet difficile se lit facilement.

 

 

 

84) Le mec de la tombe d’à côté  Katarina Mazetti 2009 Babel

 

Sous couvert d’un titre surprenant ce livre relate une histoire de couple  qui ne se passe pas sans problème. L’éternelle question des centres d’intérêt qui finit par amener un questionnement sur la relation. Est aussi abordé dans cet ouvrage la difficulté pour un agriculteur de garder une femme, surtout quand elle vient de la ville, situation connue dans tous les pays occidentaux. Le style est alerte et la lecture est agréable. L’humour et la dérision affleurent en permanence.

 

 

85) La valse des gueules cassées Guillaume Prévost  Grands Détectives 2010

 

J’ai du mal à émettre une critique sur ce livre, en effet le polar je n’en lis pratiquement jamais car ce n’est pas du tout le genre de lecture qui m’attire.

 

L’intrigue est bien conduite. Le contexte, la police dans le Paris après la première guerre mondiale. On y déambule dans les catacombes et on y côtoie les gueules cassées ces grands blessés du visage.

 

86) L’esprit du chemin Olivier Lemire Transboréal 2011

Livre au titre prometteur, surtout qu’il s’agit de voyage à pied à travers la France, thème qui m’est particulièrement cher. L’auteur fixe son itinéraire de façon très originale, il va de lieu en lieu ayant une signification, comme par exemple le Corps, la Sagesse, l’Amitié…

Très curieux, c’est avec empressement que j’ai attaqué la lecture de ce livre. Mais contrairement à d’autres récits de marche au long cours, rapidement la monotonie s’est installée, allant de paire avec la routine et le manque de relief des contacts noués. Peut-être n’étais-je pas bien disposé mais ce voyage aux sources du bonheur, car le point final de ce voyage se situe à la source de la rivière Bonheur dans le Massif Central, ne m’a pas conduit au nirvana escompté, à tel point que je n’ai lu que 200 pages, l’ouvrage en comptant 280. Peut-être vais-je attendre un peu et au moins en lire la fin. Toute l’alchimie de la lecture réside dans le coup de foudre qui vient ou ne vient pas. Et pourtant dans le cas présent tous les ingrédients semblaient réunis !

87) Longues peines  Jean Teulé  Pocket 2001
 

Dans ce court roman l'auteur aborde la vie en milieu carcéral. Qu'il s'agisse des prisonniers ou des gardins, il aborde avec une langue sans détour la vie en prison. On y entre dans le mode de pensée des uns et des autres. On y assiste à la vie au quotidien de tout ce peuple des prisons, les dangers, les sévices les réactions, les regards des uns un sur les autres, avec pour couronner le tout un directeur de prison dont la femme devient folle. Livre fort qui ne laisse pas insensible, écrit par un auteur de grand talent.

 

87) Longues peines Jean Teulé  Pocket 2001

 

Dans ce roman l’auteur aborde la vie en prison, où se côtoient gardiens et prisonniers. Ces deux catégories de personnes vivent des vies qui sans se ressembler totalement ont des points communs. Dans cet univers de violence et de contrainte, chacun essaie de s’adapter au moins mal, ce qui n’est pas toujours possible, comme on le verra. Jean Teulé nous fait bien ressentir l’atmosphère de ce monde clos qu’est une prison. A travers la narration au quotidien de la vie des uns et des autres, qui fait ressortir toute l’humanité à travers ses qualités et ses défauts, nous assistons au déroulement d’anecdotes surprenantes, parfois drôles, tristes, cyniques, attendrissantes ou sur un autre registre très violentes. De toute évidence, l’écrivain s’est inspiré de la réalité et ce petit livre aide à se faire une idée sur le monde carcéral.

 

88) Le naufrage de la Méduse Alexandre Corréal Jean-Baptiste Savigny  folio 2005

Dans cet ouvrage les deux auteurs qui sont deux des rescapés de ce terrible naufrage de la  frégate la Méduse, qui se déroula en 1816 sur des hauts fonds à proximité des côtes mauritaniennes, font le compte-rendu de ce qui s’est passé. Le but de ce rapport était de faire condamner le commandant du bateau qui a manifestement fait preuve de grande incompétence, d’entêtement, et en définitive d’extrême lâcheté en abandonnant à leur sort 150 personnes sur un radeau désemparé, et cela dans des conditions apocalyptiques. Au départ sur le radeau, les occupants avaient de l’eau jusqu’à mi-poitrine. Au fur et à mesure les occupants étant de moins en moins nombreux, le radeau sort progressivement de l’eau. 0 la fin ils n’étaient plus que trente. Ce récit, véridique, pas toujours facile à lire du fait du style employé, est totalement hallucinant. Il est impératif de le lire pour bien comprendre ce qu’a été l’aventure de ce radeau de la Méduse, que Delacroix a immortalisé sur l’un de ses plus magnifiques tableaux.

 

89) Le Lièvre de Patagonie Claude Lanzmann  folio 2009

Ouvrage majeur de plus de 700 pages, dans lequel l’auteur parcourt le xx siècle au travers de son expérience personnelle. On peut parler d’autobiographie dans laquelle Lanzmann parle de grands personnages et de grands faits historiques, et surtout les éclaire sous un jour particulier et personnel. Rentrer dans le détail du livre n’est pas possible, il aborde la résistance, la guerre, Israël, il décrit avec précision la vie de gens comme Sartre ou Simone de Beauvoir. Une partie non négligeable de l’œuvre retrace son aventure concernant l’élaboration du film Shoah, alors on touche là des sommets.

Œuvre majeure, d’une densité incroyable, écrite dans une langue magnifique, l’un des livres qui m’a le plus marqué. On est dans la narration de destins hors du commun, qui à la manière d’un Joseph Kessel, ont traversé le XX siècle comme acteurs sinon majeurs, tout du moins comme témoins privilégiés.

 

 

90) Patients, si vous saviez Christian Lehemann Nouvelle édition mise à jour                   première édition 2003

 

Témoignage d’un médecin généraliste, très bien argumenté, on suit le praticien au jour le jour dans une première partie. Au travers des différents clients qu’il reçoit nous nous faisons une bonne idée des différents volets du métier de généraliste et des difficultés qui sont les siennes au quotidien. Dans une seconde partie il aborde les grands problèmes d’ordre plus politique auxquels le praticien généraliste est confronté. J’ai eu plus de mal dans cette partie plus technique et moins directement tournée vers l’individu au singulier.

 

Ce récit m’a beaucoup apporté sur la perception de la médecine générale de nos jours et des difficultés et des responsabilités lourdes que cela implique dans un contexte de temps toujours plus contraint d’une civilisation en accélération.

 

 

 

91) Histoire de la Gestapo Jacques Delarue  nouveau monde poche 2011         première édition Fayard 1962

 

Comme il est écrit en quatrième de couverture, il s’agit d’un ouvrage de référence. Plus de 600 pages, tout au long desquelles dans un langage clair et précis, l’organisation et les hommes qui la composent sont étudiés. J’avais un peu peur de me trouver face à un de ces livres très techniques touffus et difficiles à lire. Absolument pas, ayant déjà pas mal lu sur cette organisation monstrueuse, assise du nazisme, eh bien cela m’a clarifié les idées sur de nombreux sujets organisationnels, évènementiels ou de personnalités. Ouvrage que je recommande tout particulièrement.

 

92) Churchill  François Bédarida   Pluriel 1999

Très belle biographie de Winston Churchill, l’un des acteurs majeurs du xx ème siècle. Il a vécu pas loin d’une centaine d’années et s’est trouvé mêlé comme militaire sur le terrain ou comme politique à tous les grands conflits du siècle passé, qu’il s’agisse de guerres coloniales ou des deux guerres mondiales. Homme politique à la carrière particulièrement longue, où les grands succès et les échecs retentissants se sont succédé. Livre qui montre bien toute l’influence que Churchill a exercé sur notre monde à des moments où peu d’hommes étaient en mesure d’assurer d’immenses responsabilités lourdes de conséquences. A lire impérativement.

 

93)Naples 44 Norman Lewis Phébus libretto 1978

Témoignage absolument passionnant d'un militaire anglais sur la ville de Naples et la vie locale lors de la libération alors que les troupes alliées viennent de débarquer. Il y a séjourné plus d'un an de 1943 à 1944. Travaillant dans le renseignement et les contacts avec la population civile, il voit les Italiens de cette région vivre au jour le jour. Son récit est un étonnement permanent pour le lecteur. A lire impérativement, il a d'ailleurs fait l'unanimité de la critique, et a été classé parmi les dix meilleurs livres consacrés à la dernière guerre mondiale.

 

94) Hiroshima , bombe A    Knebel et Bailey    J'ai lu

Livre qui se lit comme un grand roman d'aventure, mais il  raconte une histoire vraie, l'histoire de la construction des deux premières bombes atomiques.  Ouvrage instructif .

 

 

95)  Aventures d’un espion japonais au Tibet  Hisao Kimura Scott Berry     Petite Bibliothèque Payot 2005

 

Ce livre relate la fabuleuse aventure d’un Japonais durant la deuxième guerre mondiale à travers l’Asie centrale. Ce récit  est en quelque sorte la synthèse de deux livres extraordinaires, le grand jeu et Croisière set caravanes. Le premier de ces deux ouvrages décrit la guerre que se livrent les espions russes et anglais dans ces lointaines contrées au XIX siècle et le second est l’un des très beaux récits de voyage de Ella Maillart à travers l’Asie centrale dans les années trente.

 

Comparativement au premier ouvrage, comme les espions russes et anglais il est un clandestin qui joue sa vie, s’il venait à être démasqué. Et  sa similarité avec le livre d’Ella Maillart provient de ces immenses déplacements à chameau qu’il effectue à travers ce continent.

 

Le plus qu’apporte l’ouvrage d’Hisao Kimura, c’est qu’il connaît parfaitement les langues et peut se faire passer pour un Mongol et de ce fait il pénètre beaucoup plus loin dans la culture, les modes de vie et de pensée ainsi que  les secrets de ces régions. Très grand livre.

 

 

96) HHhH   Laurent Binet

 

Ouvrage surprenant et très bien documenté. L’auteur s’attache à montrer l’être abjecte qu’était Heydrich dans le contexte de l’attentat qui lui coûta la vie. Il décrit très bien d’un côté le mode de fonctionnement nazi et de l’autre la préparation de l’action qui entraîna la mort de la « bête blonde ». Ayant déjà lu un certain nombre d’ouvrages sur le chef de la gestapo et des services secrets nazis, second de Himmler, je trouve que cet ouvrage est une excellente synthèse, agrémentée de tous les doutes de l’écrivain devant la page blanche. Sur certains côtés, tout  en étant beaucoup moins monumental, cet ouvrage me rappelle les bienveillantes, qui traite de la seconde guerre mondiale et du fonctionnement de la dictature nazie dans son ensemble.  Je recommande cet ouvrage. Je ne révélerai pas pourquoi ce livre a pour titre HHhH, le lecteur aura tout loisir de le découvrir.

 

 

97) Le camp des Saints      Jean Raspail      le livre de poche

 

Ce livre raconte à travers un cas particulier, comment nos sociétés démocratiques sont mal préparées à un envahissement massif du territoire européen, à partir du moment où cette invasion se fait sans agression. Ce livre porte nécessairement à réfléchir sur la vulnérabilité de nos sociétés et nous fait prendre conscience que les civilisations sont périssables et remplaçables par d’autres qui savent s’imposer, que ce soit par la force ou autrement.  Cela me fait penser à un autre livre de gros volume  Effondrement, dans lequel l’auteur étudie à travers de nombreux exemples comment des sociétés se sont écroulées ou au contraire ont su faire face à un moment de leur développement, alors qu’elles étaient confrontées à des évolutions majeures.

 

 

 

98) Les Geishas      Robert  Guillain   arléa diffusion Seuil

 

L’auteur est français, mais il connait remarquablement bien le Japon et ses coutumes. Il a travaillé longtemps dans ce pays, ce qui lui a permis de pénétrer la haute société  et ses us et coutumes. Il a donc fréquenté ce monde particulier des Geishas et il nous en révèle tous les fondements et les fonctionnements. Voyage passionnant dans un monde très loin des canons occidentaux. Très instructif  sur les relations hommes femmes dans l’Empire du soleil levant, société oscillant entre brutalité, égoïsme et sécheresse de cœur d’une part, et raffinements extrêmes d’autre part.

 

 

99) L’art français de la guerre  Alexis Jenni  Gallimard 2011

 

Ce livre volumineux est tout à fait étonnant, non parce qu’il a obtenu cette année le prix  Goncourt, mais pour son style et le sujet abordé, et la manière dont il l’est.

 

Le style, l’auteur a vraiment une originalité, il dit et redit puis répète, toujours sous des angles légèrement différents et le message pénètre d’autant plus. On aurait pu imaginer que cette manière de faire soit rébarbative en étant répétitive, il n’en est rien, au contraire cela conforte la structure du livre.

 

Le sujet, comme annoncé dans le titre, il est question des guerres menées par la France depuis la deuxième guerre mondiale jusqu’à nos jours. A travers une succession de narrations de combats et de la vie de nos soldats sur tous ces théâtres d’opérations, en particulier l’Algérie et l’Indochine, l’auteur explicite le lien fort et compliqué qui nous unit à nos ex colonies. Il décrit au travers de ce filtre  nos relations et sentiments actuels dans la France d’aujourd’hui à l’égard des Français d’origine étrangère. Il a le talent d’expliciter les deux côtés du problème, position du côté des pro et des anti. Chacun à travers ces écrits sera capable de se faire sa propre idée ou de se sentir conforté dans ses analyses. En tout cas, les interrogations soulevées ne laissent pas indifférent et poussent à la réflexion.

 

Ouvrage de grand intérêt que l’on dévore d’un coup, l’un des plus originaux que j’ai lus. J’ai beaucoup aimé l’ensemble, et j’ai été littéralement envoûté par le chapitre ayant trait à la guerre d’Indochine.

 

 

100) Ma Fantastique Histoire  Eddie Chapman      TEXTO 2011

Récit absolument extraordinaire d’un truand anglais, qui se retrouve par les hasards de la guerre agent double britannique durant la deuxième guerre mondiale.

Témoignage passionnant, l’auteur nous décrit cette période passée entre services secrets britanniques et allemands, avec beaucoup de détails très intéressants sur les conditions de vie et de travail durant cette période difficile. J’ai beaucoup aimé. 

 

 

101) Mercenaire de la République  Franck Hugo  nouveau monde poche 2011

Un mercenaire raconte sa vie durant quinze années de combat sur tous les théâtres de conflits récents,  Birmanie, Bosnie, Croatie, Côte d’Ivoire, Irak et d’autres.

 

Il décrit ce qu’il fait, retranscrit l’ambiance, expose les exactions qui sont commises par tous les camps. Il livre les motivations qui sont les siennes, et ce n’est pas toujours l’argent, mais aussi une recherche de vie aventureuse où l’adrénaline est le moteur, et parfois l’engagement philosophique n’est pas absent.

 

Il donne aussi son avis sur la position des gouvernants dans des actions secrètes, où il fait ressortir les reculades et lâchetés, les retournements de situations et les lâchages.

 

Très intéressant, un très beau témoignage personnel, sans doute un peu partial, dans les eaux troubles de la politique et le mercenariat. Ce dernier a pris une nouvelle dimension au cours des décennies passées, avec de grandes agences internationales qui ont en quelque sorte ‘privatisé’ les conflits.

 

102) Le Bonheur au bout du guidon  Christophe Cousin Arthaud 2005

Joli témoignage d’un cycliste au long cours, qui relate d’où vient son envie de partir puis au long de ses roues il nous décrit les pays qu’il traverse  et les gens qu’il rencontre  durant son voyage de plus de deux ans.

 

103) Hammerstein ou l’intransigeance  Hans Magnus Enzensberger folio 2010

Très intéressante étude sur la résistance au nazisme exercée par un général allemand de haut rang. Non seulement lui, mais aussi sa famille nombreuse a été impliquée dans cette action de refus de la politique de Hitler.   

 Ce livre souligne bien les contacts très étroits que militaires russes et allemands entretenaient avant le déclenchement des hostilités entre les deux pays.

 Grâce aux archives russes qui se sont ouvertes durant quelques années on a un éclairage nouveau sur les actions d’un certain nombre de personnes, qui se sont opposées à la dictature nazie. En particulier on peut suivre l’action des filles du général Hammerstein engagées dans le communisme.

Ouvrage conséquent de 400 pages, écrit dans un style original, mettant en scène, par moments, des acteurs à titre posthume par le biais de discussions avec l’auteur. Un livre très utile, par son angle d’approche,  pour la compréhension des événements qui ont lourdement marqué cette époque du milieu du xx siècle.

 

 

 

 

104) Un Suisse au service d’Hitler  François Lobsieger  Albatros 1985

 

Livre pour le moins surprenant d’un Suisse qui avec le recul des années (1985) revient sur son expérience dans une unité de Waffen SS. Il relate son engagement auprès d’Hitler et son adhésion au nazisme avec une réelle candeur. Certes une candeur de jeunesse, alors que l’on n’avait pas encore fait le bilan de ce régime fou et exterminateur peut se comprendre. Je trouve ce récit particulièrement peu courageux, on dirait une guerre où la violence est presque absente de la part des Allemands. Mais alors que nous savons bien maintenant ce qu’était ce régime et sa politique, et quelles ont été ses exactions et ses abominations, je trouve ce témoignage presque à la limite du négationnisme. L’auteur exprime le regret que les alliés occidentaux ne se soient pas rapprochés de l’Allemagne pour combattre le bolchévisme. Et tout est de cet acabit. On croit rêver. Il joue sans doute sur l’ambigüité  entre ce qu’il pensait à vingt ans et   ce qu’il pense aujourd’hui ? Son témoignage apparait très distordu par rapport aux récits que de grands auteurs ont fait des événements abordés. Je pense en particulier à Malaparte et Grosmann, sans parler d’une multitude d’acteurs qui dès 1940 avaient compris quelle était la vision européenne des nazis avec leurs différentes catégories d’Untermenschen.

 

La justice suisse a été relativement clémente, car elle l’a condamné à seulement 2 ans de prison.

 

Livre qui me laisse une sensation étrange, dont l’auteur à mon sens ne dit pas la vérité, à moins que l’horreur et l’erreur de son engagement l’aient rendu amnésique, manière comme une autre de survivre. 

 

 

105) Eichmann à Jérusalem   Hannah Arendt    folio histoire

 

Livre majeur sur la logique d’extermination nazie. Ce procès montre un être moyen, qui respecte des règlements et des ordres et organise le plus grand des crimes, la déportation en masse des Juifs vers les camps d’extermination.  Hannah Arendt montre bien comment un petit bureaucrate se transforme en organisateur d’extermination. La pensée d’Hannah Arendt ne se laisse pas facilement pénétrer  à la première lecture, tellement elle est dense et de ce fait soulève une multitude de questions, parfois dérangeantes sur ce qu’un petit homme ordinaire, donc sans doute un grand nombre d’entre nous, est prêt à faire selon le contexte dans lequel il est plongé. Il me faudra relire cet ouvrage pour en saisir toute la dimension.

 

 

 106) Appui Feu en Afghanistan Sgt Paul ‘Bommer’ Grahame et Damiens Lews NIMROD 2011

 Ce livre à l’écriture sur un mode parlé, décrit comment se passe la coordination entre les avions de combat de l’OTAN et les soldats au sol dans la guerre en Afghanistan. Outre des descriptions à caractères assez techniques qui montrent clairement comment on procède, le personnage principal décrit très bien ce qu’il ressent dans ce conflit très particulier de la haute technologie contre des talibans aux moyens rudimentaires. Mais on ne peut éviter de se faire la réflexion suivante : malgré la disproportion des moyens, l’OTAN ne semble pas en mesure d’écraser définitivement les talibans. A lire, même partiellement en piochant quelques chapitres au hasard, pour se faire une idée de ce conflit dans lequel nous sommes impliqués.

 

107) La guerre secrète, tome 1 origines des moyens spéciaux et premières victoires alliées  Anthony cave Brown    tempus  2012

 Première édition de ce livre en Grande Bretagne 1975, a été depuis traduit en français et édité à plusieurs reprises. Ce premier tome de  plus de 600 pages dépasse et de loin tous les romans sur la guerre, par l’enchevêtrement des relations entre alliés et ennemis, en particulier du côté allemand le rôle joué par les adhérents de Schwarze  Kapelle, les opposants à Hitler.

A travers toutes ces opérations d’intoxication, de ruses, complots, décodages de codes secrets à peine imaginables, on se rend compte que les Alliés, Churchill en tête, comptaient très largement sur le fait d’induire les Allemands en erreur afin de gagner la guerre.

Livre très dense  aux multiples opérations, et ce n’est que le premier tome, mais je crois que je vais très vite le relire tellement ce que l’on y apprend est incroyable et nous fait appréhender la puissance allemande  et le danger que cela représentait pour la victoire sur le nazisme à sa juste valeur durant la deuxième guerre mondiale.

 

 

 

 

108) au diable la culpabilité !  Yves-Alexandre Thalmann jouvence Editions 2009

 

Livre intéressant qui démonte le mécanisme de la culpabilité, qu’elle soit due à  de bonnes raisons ou non. L’hypothèse sur laquelle s’appuie l’auteur pour développer son argumentation, met en exergue le lien entre culpabilité et sentiment de toute puissance de la personne qui culpabilise. Effectivement dans cette argumentation  de nombreuses réflexions et un certain nombre d’exemples m’ont interpelé, et m’ont fait progresser dans ce sentiment de culpabilité qui nous taraude plus ou moins fréquemment et plus ou moins intensément par rapport aux décisions que l’on prend ou non, des actions que l’on mène ou non au cours  de notre vie dans nos rapports aux autres. Je vais sans doute le lire une seconde fois et pousser plus loin la réflexion sur ce sujet en  me penchant sur des ouvrages référencés par l’auteur. 

 

 

109) Baron Rouge et Cigogne Blanche   Patrick de Gmeline

 

Cette très intéressante étude comparative des deux as de guerre de la première guerre mondiale, Manfred Richthofen et René Fonck explique ce qu’ont été ces deux pilotes de chasse tout au long de leur vie.

 

Autant Richthofen est resté une figure mondialement connue, autant Fonck est pratiquement tombé dans les oubliettes de l’histoire. Cette différence de traitement s’explique par le fait que le premier a été tué en 1918 au combat et que le second a accepté des missions sous le gouvernement Pétain. Pour Richthofen le fait d’être un héros mort aux commandes de son avion, tout naturellement il est auréolé de la gloire du combattant ayant donné sa vie pour un idéal. Et de ce fait, il n’a pas été impliqué dans la deuxième guerre mondiale, ce qui aurait pu ternir son prestige. Aurait-il pris le chemin de certains de ses compagnons de combat comme Goering ? René Fonck, pour sa part, ayant survécu il est jugé de manière très sévère pour avoir accepté des missions de la part de Pétain, alors qu’il a été un résistant reconnu. Pour cela il a été presque banni des mémoires, au point qu’aucune promotion de l’Ecole de l’Air ne porte son nom, alors qu’il fut le plus remarquable pilote français de la première guerre mondiale.

 

Ce livre très détaillé et remarquablement documenté réhabilite ce grand pilote et patriote qu’était René Fonck, tout au long de ce long récit  (516 pages) qui est écrit en menant de front les  biographies de deux hommes très différents mais qui se rejoignaient dans la dextérité du pilotage de leur avion.

 

 

 

 

110) De l’urgence d’être REACtionnaire  Ivan Rioufol     puf 2012

Petit ouvrage critique sur notre société et ses orientations prises sous le dictat de la pensée unique et du manque de courage. Que l’on soit de gauche ou de droite, que l’on soutienne un candidat quelconque parmi les dix qui se présentent, il n’est pas inutile de lire ce petit traité très actuel, écrit par un journaliste à la pensée claire, qui de plus ne se revendique d’aucun extrémisme. Je le conseille vivement

 

111) Le retour du Général Benoît Duteurtre   folio 2010

Petit ouvrage de politique fiction, le retour du général de Gaulle dans notre France déboussolée, engluée dans une Europe qui perd ses repères dans une mondialisation galopante. Son arrivée comme son départ sont pour le moins surprenants, mais l’évolution de notre société même si dans le livre elle est sans doute caricaturée doit nous faire réfléchir sur la capacité de nos dirigeants à appréhender le futur. Un petit moment de plaisir sur ton humoristique.

 

 

112) La Vengeance du wombat  Kenneth Cook  Le Livre de Poche 2010

 

Auteur australien que je ne connaissais pas. En farfouillant dans les librairies en particulier chez Decitre à Lyon, je suis tombé sur ce petit livre au titre plein de mystère. La vengeance du wombat n’est que la première des 14 histoires qu’il nous livre, et qui sont le fruit de ses pérégrinations dans le bush, toutes plus extraordinaires et déjantées les unes que els autres, mais vraies !!! Tout commence toujours ou presque dans un bar perdu dans un coin de désert croulant sous une chaleur suffocante et là, apparaît un pilier de bar qui va l’entraîner dans les aventures les plus folles, à la chasse au crocodile, au buffle, au serpent etc. Rarement un livre m’a fait autant rire par les aventures décrites avec un art consommé du gag. Il a écrit au moins six autres livres que je vais m’empresser d’aller acheter.

 

 

 

113) La guerre secrète II, du jour J à la fin du III Reich Anthony Cave Brown Tempus 2012

 

   Dans ce second volume tout aussi épais que le premier, 630 pages l’auteur nous décrit avec minutie tous les acarnes des opérations d’intoxication et de mystifications mises sur pied par les Alliés en vue de l’invasion de l’Europe par la France. Livre absolument époustouflant, écrit avec une grande clarté, on chemine dans le montage des opérations majeures, Fortitude, Bodyguard, Neptune. On en suit le déroulement avec les accrocs qui les émaillent, on voit comment les chefs des services secrets britanniques de situations considérées comme désespérées, exploitent leurs propres failles pour maintenir les Allemands dans l’erreur. On vit avec les principaux acteurs, anglais, américains, allemands ainsi que d’autres nations, en particulier de Gaulle,  tout au long de ces événements majeurs qui se sont déroulés dans la dernière année de guerre. Cela dépasse tous les romans d’espionnage. A lire plus qu’impérativement.

 

 

        114) La femme qui résiste Anne Lauvergeon témoignage Plon 2012

          Dans cet ouvrage l’auteur, ancienne patronne d’Aréva raconte son parcours professionnel. Elle a côtoyé de très près trois présidents de la République. Son poste à la tête  du plus important groupe nucléaire mondial l’a mise au cœur de grands enjeux financiers, économiques et industriels. Elle dresse un tableau qui n’est pas toujours à l’avantage de nos politiques. Concernant Le dernier Président, carrément elle dénonce une volonté de faire passer des intérêts particuliers devant l’intérêt commun du pays. Il serait intéressant d’avoir la version de la partie adverse et de ceux qui ont conduit à sa non reconduction à la tête d’Aréva. Livre intéressant,  écrit par une femme de tout premier plan, mais sa sortie peu avant le deuxième tour des élections est-il fortuit ?

 

 

 

        115)  Globalia    Jean-Christophe Rufin   Folio  2004

 

          Dans cet ouvrage l’auteur élabore une société démocratique parfaite qui          est une caricature de nos démocraties occidentales. Sous des traits parodiques, il met l’accent sur tous les travers des règles de nos sociétés et de nos comportements. C’est une critique à peine voilée du politiquement correct, qui recèle en son sein la graine du totalitarisme, au profit d’une petite minorité qui manipule une majorité.. Il assaisonne cela d’une histoire d’amour à l’eau de rose. Le livre au lieu de faire 500 pages, pourrait délivrer son messager en 200. Mais peut-être suis-je entraîné par le tourment du temps qui passe, alors que l’on peut prendre le temps de lire 500 pages?

 

 

 

         116) Histoire d’un Allemand  souvenir 1914-1933 Sebastian  Haffner  BABEL

 

          Ce témoignage de tout premier plan d’un jeune étudiant en droit décrit de manière très claire la montée du nazisme et son acceptation par le peuple allemand, alors que la majorité n’adhère pas à ces thèses. A travers son analyse de la société allemande au cours de cette période d’une vingtaine d’année on suit pas à pas la progression de l’emprise  d’Hitler et de ses idées d’apocalypse sur l’un des peuples les plus évolués de la planète. On prend conscience des mécanismes de pression insidieux qui se mettent en marche et qui broient les individus. Ouvrage remarquable qui doit nous faire réfléchir aux basculements toujours possibles qui guettent nos sociétés, alors que nous restons incrédules jusqu’au point de non-retour. Livre que je recommande tout particulièrement à tous ceux qui se demandent comment les régimes totalitaires et monstrueux peuvent prendre le pouvoir dans des sociétés démocratiques.

 

 

                  117) Le dernier Ennemi  Richard Hillary  TEXTO 2010

 

         Ce livre a été écrit en 1942 par un jeune pilote de la RAF, qui avait tout juste 20 ans en 1939. Dans son récit il aborde toutes les grandes questions que suscitent les conditions extrêmes de la guerre. L’engagement immédiat qui a été le sien, les hésitations de l’un de ses camarades qui se pensait un pacifiste inconditionnel, la mort de ses camardes aviateurs, son combat contre la souffrance après avoir été gravement brûlé au combat, la réaction des proches des disparus, et beaucoup d’autres situations amènent à des descriptions et des réflexions qui font tout l’intérêt de cet ouvrage. L’auteur n’a pas survécu à la guerre, mort au cours d’un exercice de nuit en 1943.

 

 

 

              118) Le voyage d’automne François Dufay  tempus 2000

 

         Cet ouvrage relate le voyage effectué par un groupe d’intellectuels français de premier plan en Allemagne au cours du mois d’octobre 1941sur l’invitation de Goebbels. Bien évidemment ce dernier a eu cette initiative dans le cadre du développement de la propagande nazie tous azimuts. Ce qui est surprenant à la première analyse, c’est que de grands intellectuels se soient laissés instrumentaliser aussi facilement. Mais au cours  de la lecture on voit apparaître les motivations de chacun qui souvent ne sont pas dénuées d’intérêt personnel, Goebbels et ses sbires promettant certaines faveurs, comme la facilité d’édition d’ouvrages pour ceux qui se plient avec complaisance au jeu. Livre très intéressant qui montre que l’on peut être un esprit bien fait, mais ne pas saisir une situation donnée dans son ensemble, ou essayer de profiter d’opportunités pour le moins douteuses. Certes, il est facile de parler  de cette période de l’occupation maintenant en donnant des avis péremptoires bien assis dans un fauteuil à l’abri de tout danger, mais on assiste cependant de la part d’intellectuels de haut niveau à des défaillances et à des compromissions, dues à la manipulation et aussi à la complaisance intéressée. Livre particulièrement intéressant pour essayer de saisir l’un des volets de cette relation entretenue par certains milieux avec l’occupant.

 

 

119) Einsatzgruppen les commandos de la mort nazis  Michaël Prazan Editions du Seuil 2010

           Livre volumineux de près de 600 pages qui retrace les actions menées par les commandos de la mort nazis sur l’arrière du front de l’est en suivant la Wehrmacht. L’auteur est parti à la recherche des derniers témoins, aussi bien du côté des victimes que des bourreaux.

         Tous ces témoignages que l’auteur a réussi à accumuler non sans peine, les participants aux tueries ne parlent pas facilement et souvent s’y refusent, jettent une lumière sans concession sur le déroulement de ces tueries. Ce qui ressort de ce récit, outre un tableau saisissant et cette aptitude de l’homme à détruire, c’est une vérité difficile à regarder en face : ces pogromes commis durant la seconde guerre mondiale ne l’étaient pas uniquement par les Allemands mais nombre d’habitants des pays envahis ont prêté leur concours de manière active. 

         Ce récit plus que bien documenté me semble un témoignage de tout premier plan sur les horreurs commises pendant la seconde guerre mondiale, et il pousse chacun des lecteurs à la réflexion sur l’homme et son aptitude au mal, au vu de faits qui nous semblent impossibles de la part d’êtres humains tellement ils sont horribles et commis en masse.

 

 

 120) La Bête et la Belle Thierry Jonquet  folio policier 1985

         Court récit de 150 pages, mais c’est noir, noir, noir voire plus. Mais derrière ce tableau apocalyptique se cache un humour, même s’il est lui aussi assez noir, il fait rire. Ce genre de récit de crimes dépeint une société, la notre, qui ne fait pas de cadeau. Ames sensibles s’abstenir. Je lis rarement des polars, je crois que je vais attendre un peu pour le suivant. Mais je conseille la lecture de cet ouvrage très surprenant, même si le scatologique dégouline à longueur de pages ! 

 

 

 

121) Journal d’un mauvais Français  Christian Millau  éditions du Rocher 2012

 

          Après son journal impoli un siècle au galop, on pense avoir fait le tour de la question de ce type de chronique. On se dit c’est un peu comme « les  Visiteurs », comme ça a bien marché on tente un numéro deux, ça se vendra toujours.

 

          Malgré tout, ayant été tellement emballé par  son journal impoli, j’achète le journal d’un mauvais Français. Immédiatement je suis retombé sous le charme de la pensée claire, parfois dure, toujours très logique et pleine de bon sens, avec une énorme louche d’humour ! Son écriture est fluide et lorsqu’il décide de faire du style c’est superbe. Livre qui m’a comblé et qui par moments m’a tellement fait rire que j’étais dans l’incapacité d’en lire à haute voix les passages concernés à mes proches tellement je riais. Même s’il met en exergue toutes les incohérences de notre monde, on ne déprime pas. Au contraire à lire impérativement cela remplace tous les antidépresseurs, à la recherche d’un ciel bleu.

 

122) Policiers français sous l'occupation Jean-Marc Berlière     tempus 2009

Ouvrage de plus de 400 pages qui relate les actions de la police française durant la deuxième guerre mondiale en France. Livre, qui aborde une partie douloureuse de l'histoire de notre pays. Cette lecture fait prendre conscience de la complexité de juger du comportement de l'un ou l'autre. Entre vrais collaborateurs, petits fonctionnaires zélés, simples policiers qui avaient peur pour leur vie et celles de leur famille et vrais résistants qui avaient pour ordre de garder leur poste pour plus d'efficacité de la résistance, les pistes sont parfois si embrouillées, qu'il est difficile de faire la lumière. Chacun se forgera sa propre conviction mais cette lecture est particulièrement instructive concernant une grande administration plongée dans la tourmente sous  la contrainte de l'envahisseur allemand.

 

123) Remonter la Marne Jean-Paul Kauffman   fayard 2013

 

Je suis très intéressé par les récits de pérégrination à pied, et tout particulièrement lorsque le but du voyage est de remonter un cours d'eau sur la totalité de son parcours.

La narration d'une telle expérience n'est pas aisée, car elle se heurte rapidement au banal en tombant dans le piège d'une description au premier degré de ce que l'on rencontre en route. Ce piège, à mon sens, n'a pas été évité sur la plus grande partie du livre. Les émotions personnelles ressortent assez peu, il a préféré jouer l'historien en relatant des faits de guerre, surtout concernant 14-18, ou rappeler les personnages illustres qui ont vécu dans les villes traversées par cette rivière, qui est la plus longue de France.

Il fait une description non dénuée d'intérêt de la Marne . Mais cela manque un peu de spontanéité et aussi d'un peu de sentiment. On pourrait presque imaginer qu'il est parti dans l'aventure sur commande de son éditeur.

Dans les trente dernières pages, il entre à mon sens dans le sujet. Il vibre au rythme des émotions qu'il ressent et sait les transmettre à travers les mots. La dernière page est sublime, elle transcrit bien en quelques phrases toute la force de l'entreprise qui arrive à son terme, le beau rêve qui devient réalité et qui disparaît à jamais.

 

124) Ma République se meurt  Jeannette Bougrab  Grasset 2013

Dans ce livre l'auteur nous dévoile son parcours et comment elle a été perçue de par ses origines algériennes. On sent dans ce récit son profond attachement à sa nationalité française. Elle exprime bien tous les sous-entendus de bien des personnes, en particulier d'un certain nombre de politiques sur la façon de s'exprimer sur le racisme et ce qui va avec. 

Son père est très présent dans son récit. Soldat harki dans l'armée française, multi-médaillé, il a toujours été l'exemple à suivre.

Elle aborde le mal vivre et les problèmes vécus par les jeunes d'origine étrangère. Elle fait un état des lieux avec lequel je suis d'accord. Dans son analyse, contrairement à Malika Sorel, elle aborde assez peu les causes profondes de cette fracture de notre société. On reste un peu sur notre faim, car de la part d'une personne de sa compétence et de sa position, on aurait aimé qu'elle aille plus loin dans le démontage des mécanismes du vivre ensemble ou du non-vivre ensemble.

Ce témoignage est cependant très intéressant, écrit par une femme de toute évidence de caractère et de conviction. Si elle écrit un nouveau livre, je ne manquerais pas de le lire.

 

125) CAHIERS Capitaine Coignet    arléa

Récits époustouflant d'un militaire de l'armée napoléonienne, qui a participé à 48 batailles sans être blessé. En outre, il a été le tout premier à être décoré de la légion d'honneur. Au départ simple soldat, de par son comportement particulièrement courageux et les faits d'armes accomplis, il intègre la Garde impériale. Puis il occupera plusieurs postes au sein de l'état major comme officier.  

L'un des aspects les plus intéressants de ce récit, provient du fait que l'auteur était dans le cadre ses affectations toujours très proche de Napoléon. Il relate ses rapports personnels avec l'Empereur durant les différentes campagnes. Ce témoignage sous cet angle particulier nous montre la grande proximité de Napoléon avec ses soldats. 

Ce livre a été écrit alors que son auteur avait 72 ans. Après un tel laps de temps il n'est pas exclu que sa perception de la réalité ait évolué dans un sens ou un autre. Cependant on est tenu en haleine tout au long de ses 463 pages!

Livre de souvenirs portant sur l'une des périodes majeures de l'histoire de France, portant sur un vécu au plus près de l'évènement durant de longues années. L'un des plus intéressants ouvrages que j'ai lus sur cette période.

 

126) Limonov   Emmanuel Carrère  2011 folio

 

A travers la vie d'un Russe, qui a taversé une période très agitée de son pays, on est conduit à travers les grands soubresauts  de l'Union Soviétique puis de la Russie. Livre de presque cinq cents pages qui se lit comme un roman, à la différence que les faits sont bien réels. Comme tous ces personnages à la destinée tortueuse, Limonov au cours de cinquante vies en une, sur tous les continents il a vécu des expériences où passion et danger étaient ses compagnons de tous les jours. 

On se croie dans les grandes sagas à la russe, comme vie et destin, ou plutôt dans leur prolongement dans le temps. On y croise les dirigeants russes qui ont marqué les trente dernières années, éclairés au travers d'anecdotes inédites.

J'ai beaucoup aimé.

 

127) Les amazones de la République  Renaud Revel  2013

Ce livre dévoile à travers une multitude d'anecdotes les rapports entre journalistes femmes et les hommes politiques au plus au niveau de l'Etat, c'est-à-dire les Présidents de la République. Le livre commence avec Giscard , mais il sera surtout question de Mitterrand et Chirac, même si leurs successeurs font aussi l'objet de quelques pages. 

instructif, même si le petit côté voyeuriste est indéniable.

 

128) Carnets de la  guerre Marguerite Duras  2006 folio

Livre très intéressants, écrit entre 1943 et 1949, sur les expériences de vie de ce grand écrivain. Elle y décrit  son enfance en Indochine, puis différentes expériences ultérieures. Très belle écriture, pour le premier livre que je lis de Marguerite Duras, cela me donne vraiment envie de faire connaissance avec son oeuvre.

 

129)  La Route Cormac Mccarthy  POINTS  2007

La survie d'un père et de son fils dans un monde pratiquement vidé de toute vie après l'apocalypse. L'auteur est un maître en matière d'ambiance, pas besoin de film pour visualiser le décor dans lequel ces deux êtres se déplacent  à la poursuite de leur survie dans ce monde mort où au détour des villages abandonnés et des forêts brûlées le danger surgit. L'auteur maîtrise si bien son art, que tout le long de la lecture on reste sous l'emprise du suspens et du malaise, mais on continue le chemin dans ce monde couleur cendre. Cependant on éprouve un fort soulagement lorsqu'on termine la dernière page, tellement on s'était identifié à ces eux êtres. Un livre qui ne laisse pas indifférent et qui laisse des traces aux lecteurs.

 

130) La chevauchée des steppes  Sylvain Tesson Priscilla Telmon Pocket 2013

Dans cet ouvrage les auteurs racontent leur traversée à cheval des ex-républiques d'Asie centrale à cheval. A travers leurs aventures et les rappels historiques nombreux ,ils nous invitent à les suivre sur des routes souvent désertiques et méconnues, qui ont vu une histoire souvent brutale façonner les territoires et les êtres humains. C'est avec grand intérêt que je les ai accompagnés tout au long de ces trois cents pages.

 

131)Les  Frères Littolff  Claude Perrin De Normandie-Niemen à la tuyère Leduc Les éditions de l'officine 2003

Livre très intéressant pour ceux qui s'intéressent à l'aéronautique aussi bien militaire que civile.

Le premier des frères Albert a été un as de la deuxième guerre mondiale. il a fait partie des pilotes envoyés par le général de Gaulle pour se battre auprès des Russes contre l'armée allemande. On suit tout le cheminement de la constitution de cette unité qui a fortement participé à la gloire des ailes françaises.

Le second frère Yvan, aussi pilote hors paire, a vécu une aventure différente, plus technique, le développement de la tuyère thermopropulsive.

Les deux volets de ce livre sont passionnant. Ces pilotes ont donné leur nom à une promotion de pilotes d'essai. Ils sont lorrains originaires de la petite ville de Cornimont, charmante bourgade au fond des forêts vosgiennes

 

132)Carnets de Guerre 1914-1919 Ernst Jünger  Christian Bourgeois Editeur 2014

Ces carnets de guerre volumineux, plus de 500 pages, qui viennent récemment d'être traduits de l'allemand sont franchement époustouflants. C'est à partir de ces chroniques au jour le jour, consignées bien souvent sous le feu des canons, que l'auteur a tiré la substance de base pour écrire ses livres, parmi les plus marquants de la littérature de guerre, orages d'acier ou le boqueteau 125.

Ernst Jünger est sans doute l'un des rares militaires de tous les camps confondus qui ait une telle expérience en première ligne, où il a passé la plus grande partie de la guerre. il en a été éloigné à plusieurs reprises le temps d'être soigné des sept blessures qu'il a contractées. Les descriptions précises et sans pudeur de ce qu'il voit et accomplit dans cette zone d’apocalypse  qu'est la proximité de l'ennemi dans les tranchées, personne d'autre n'en fait une telle relation. Très probablement, il s'agit de l'ouvrage qui permet le mieux d'approcher dans toutes ses dimensions le calvaire que vécurent les hommes durant cette très longue première guerre mondiale.

Que l'on soit profondément pacifiste ou non, cet ouvrage est un incontournable pour essayer d'approcher le vécu physique et psychique du combattant au cours d'un tel bouleversement, vu au prisme particulier d'un combattant exceptionnel.

 

133) La pointe du couteau Gérard Chaliand Points 2011

Dans ce livre de plus de 500 pages l'auteur nous embarque dans des aventures incroyables au cœur d'une multitude de conflits, guérillas et insurrections qui ont émaillés le XX siècle. Il est question d'Algérie, Vietnam,Afghanistan, Guinée-Bissau, Jordanie, Kurdistan, Colombie, Israël etc.

Comme militant engagé, toutes ces conflits il les a vécus de l'intérieur au contact des leaders qui déclenchaient ces actions. Il éclaire d'un jour très intéressant ces périodes mouvementées. il y apporte de plus une touche d'humanité  et dévoile les traits de sa nature d'homme libre et passionné. Magnifique ouvrage, superbe sur le plan littéraire et très instructif sur le plan historique. A lire impérativement quand on s'intéresse aux péripéties de la politique mondiale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

13/02/2009

Traversée des Pyrénées à pied

 

 

 

Traversée des Pyrénées juin 2006

 

Je vais avec plus de deux ans de recul relater ma traversée des Pyrénées effectuée sur 22 jours, essentiellement au mois de juin, commencée à Banyuls et terminée début juillet à Combo-les-bains.

 

Comme souvent cette aventure a commencé par un trajet en train au départ de Lyon. Pour me laisser le temps, tout en prévoyant un programme très ambitieux, j'avais dit à ma famille que je partais pour deux mois. N'ayant pas essuyé de reproches directs quant à cette durée somme toute longue surtout en été, j'ai cependant bien vu dans certains regards de l'étonnement et peut-être aussi un peu de peur. Pourquoi grand dieu a-t-il besoin de partir seul dans les montagnes? L'absence de question évite toute justification. D'ailleurs quelle est la justification au fait de partir seul? Y en a-t-il une ou plusieurs? Je ne saurais donner de réponse certaine car les idées restent assez confuses dans mon cerveau. Peut-être à la cinquantaine se prouver que le corps est encore jeune, vivre une aventure tout en restant dans des normes connues, n'avoir à s'occuper que de soi, une recherche relative de solitude? Probablement un mélange de tout cela. Bien sûr avant de partir, j'éprouve des doutes et aussi des remords, car je sais que certaines personnes ressentent ces moments du départ avec douleur, à la manière d'un abandon. Mais inexorablement j'essaie de durcir ma carapace et de ne pas trop réfléchir. Puis le premier pas étant effectué, le cœur devient plus léger.

 

Le trajet en train, direction le sud, permet de m'absorber d'une part dans une lecture intéressante en espagnol, car le gros de ma traversée je compte la faire dans le pays de Don Quichotte, et d'autre part dans la contemplation du paysage et tout spécialement du Rhône. Ce fleuve exerce sur moi une véritable attirance. De grands écrivains, comme Bosco ou Clavel, en ont fait des descriptions époustouflantes et y ont situé certains de leurs romans.

Je me souviens aussi des parties de pêche effrénées avec mon frère dans notre jeunesse, où nous attrapions toutes sortes de poissons en particulier de gros brochets, pêchés de façon tout à fait irrégulière. En effet dans le port Edouard Herriot à Lyon pendant les grandes chaleurs de l'été de gros poissons s'immobilisaient à la surface. Traîtreusement, avec des cannes au lancer équipées de gros hameçons triples, après avoir bien visé nous les crochetions en travers du corps, pas très académique comme procédé mais très efficace. Heureusement ces poissons avaient pratiquement toujours la vie sauve, car leur chair sentait horriblement le pétrole. Il nous arrivait parfois de les ramener à la maison et de squatter la baignoire où durant quelques jours ces habitants du Rhône se trouvaient emprisonnés à la grande colère de notre mère et dans la joie dissimulée de notre père. Puis un jour les bornes ont été dépassées, le nombre de gros brochets et autres carnassiers attrapés étant tel, que nous sommes allés dérober mon frère et moi un fût de deux cents litres vide, qui se trouvait sur le chantier dans la rue au pied de notre appartement. Nous l'avons installé au milieu de ma chambre, rempli d'eau et y avons mis nos gros poissons. Sans doute attiré par nos exclamations de joie, notre père est entré dans la chambre et a marqué l'arrêt devant ce gros bidon rouge pour le moins pas très propre. Puis rapidement reprenant ses esprits, contrairement à la baignoire qui le faisait rire, dans le cas présent son visage exprimait plutôt de la colère et de la consternation devant la stupidité de ses enfants. Nous eûmes l'ordre impératif et exécutoire dans les plus brefs délais de rapporter notre aquarium sur son chantier et de nettoyer par la même occasion la grosse tache de goudron ou d'hydrocarbure qui marquait le centre de la chambre. Tous ces souvenirs de lecture ou d'histoires vécues me permettent de m'éloigner par la pensée des miens et d'oublier ma culpabilité en les abandonnant.

 

Contrairement à l'année dernière le trajet se passe sans problème. En effet au cours du mois de septembre 2005, j'avais accompli une randonnée d'une semaine à partir de ce joli petit port méditerranéen. J'avais loupé la correspondance en gare de Béziers, à cause de ce que l'on appelle pudiquement un accident de personne. Deux heures d'attente, que j'avais mises à profit pour me promener dans la ville. Il est étrange de penser que l'on profite d'une opportunité de découvrir un lieu parce qu'une personne qui n'avait plus la force ou l'envie de vivre s'est jetée sous un train.

Me voilà donc vers les 13 heures en gare de Banyuls. Bien que la première étape soit longue pour un après-midi, je prends mon temps. Je descends sur la plage et vais au contact de l'eau. J'y trempe la main et les pieds mais n'ai pas le courage de me baigner. On ressent toujours une impression étrange, mélange d'appréhension de doute et d'excitation, au moment de partir seul dans un projet d'une certaine ampleur. Surtout, comme je l'ai, dit mon plan est assez ambitieux. Je compte suivre la HRP jusque vers Puigcerda, puis mettre le cap sur la Serra des Cadi et musarder par la suite dans certains massifs espagnols comme le Cotiella, puis rattraper la HRP du côté de Gavarnie et je projette même de remonter la plage de la frontière jusqu'à Arcachon. Mais rapidement, ce que je n'avais pas anticipé, c'est que pour le moral, indépendamment du temps qui souvent n'a pas été de la partie, j'ai besoin de voir sur ma carte la distance se creuser derrière moi et diminuer en direction de l'Atlantique. Toute ma vie j'ai été conditionné pour ne pas prendre le temps et on ne change pas facilement. J'ai presque honte de dire que durant cette traversée, ma plus grande joie bien souvent consistait à visualiser sur ma carte routière au 1 000 000 le trajet de la journée et de constater que cela représentait un espace très significatif à cette échelle d'un pays. Donc progressivement, me trouvant un certain nombre d'excuses, le temps, la famille, mes parents, mon fils qui commençait un stage à Lyon vers le 10 juillet, ce fut la ligne droite ou presque qui dicta mon itinéraire. Ce mode de pensée ne s'est pas imposé immédiatement mais s'est insinué lentement au cours de la première semaine.

 

 

Premier jour

 

Vers les 14 heures je démarre. Cet après-midi je compte rejoindre le refuge au pied du Pic de Neulos en suivant le GR 10. Je connais l'itinéraire pour l'avoir suivi l'an dernier. Aujourd'hui le temps est beau et stable alors que la fois précédente rapidement je fus pris dans le brouillard et la pluie. J'avais trouvé la cabane à la nuit tombante, alors que se déclenchait un orage d'une violence extrême. J'apprendrai plus tard que cette nuit de septembre 2005, les départements environnants avaient été mis en vigilance rouge. Un grand arbre avait été fracassé par la foudre à proximité de l'abri. Dire qu'il s'en était fallu de peu que je le trouve, alors que j'errais dans le brouillard, la nuit et la pluie. Cette étape est longue, plus de mille mètres de dénivelé et il me faut 6 heures à un bon rythme pour y parvenir. A part un couple doublé, que je reverrai trois jours plus tard sur le Canigou, je ne rencontre personne. Une fois arrivé, croyant que le couple me rejoindrait pour la nuit je m'installe dans un coin. Personne ne vient. Je suis et resterai seul, avec une vue magnifique sur la Méditerranée qui s'étale à l'infini. Au cours de cette traversée ce sera la seule nuit où je n'aurai pas de compagnie. Bien souvent, lors de grandes étapes les journées se dérouleront dans la solitude mais le soir il y aura toujours une âme qui vive avec qui discuter, sauf pour cette première étape. La fois précédente, la nuit de l'orage, il y avait cinq personnes, quatre jeunes Hollandais et un saltimbanque qui terminait la traversée des Pyrénées par le GR 10. Son périple avait duré deux mois avec un sac de 20 kilogrammes. Il s'arrêtait dans les villages pour présenter des spectacles et se faire quelque argent pour continuer son voyage. Nous avions passé une nuit merveilleuse à se raconter une multitude d'histoires vécues, et le matin chacun était reparti sur son chemin, de brouillard et de pluie pour une semaine en ce qui me concernait. Maintenant un an plus tard, la nuit est paisible, troublée par nul bruit.

 

 

Deuxième Jour

 

Lever matinal, temps superbe, l'étape du jour me conduira aux Illas. L'humeur est au beau fixe, s'éveiller dans cette cabane aux quatre vents sans un bruit, seul avec le soleil distillant déjà sa chaleur bienfaisante. Je contourne le Pic de Neulos par une trace plus qu'une sente. Seules quelques vaches paissent tranquillement dans ce terrain raide et broussailleux. Une fois sur la crête comme l'année précédente je me fais entraîner sur ce qui me semble un détournement de GR pour passer devant un gîte. A six heures du soir le détour qui invite à l'arrêt très bien, mais à sept heures du matin c'est moins agréable. En effet cet itinéraire détourné me force à suivre sur plusieurs kilomètres une route goudronnée. Heureusement il est possible par endroits de couper directement à travers la forêt. Donc me voilà pour une bonne distance sur la route, comme consolation cela permet d'étalonner le podomètre. Le mien est pas mal, à vingt mètres près il correspond aux bornes kilométriques, et cela sur presque dix kilomètres. Seul agrément je passe deux sources bien fraîches auxquelles je me désaltère avec bonheur. Arrivée au col du Perthus, que de monde!!! De véritables files d'autobus s'entassent sur les parkings, desquels se déverse une multitude se ruant sur cigarettes et alcools. Dans un gigantesque supermarché je m'achète deux petites boîtes et quelques fruits pour mon repas de midi. En effet, ce soir aux Illas je compte aller au restaurant du bourg dont je garde un très bon souvenir. Vite je reprends mon chemin, ça grimpe dur dans les ruelles. Enfin je suis sorti et emprunte une petite route qui passe au pied du fort de Bellegarde. Un petit cimetière m'interpelle, j'y entre par un portillon qui grince. Comme il est étrange! Les tombes, toutes très vieilles, sont alignées le long du mur d'enceinte, laissant de ce fait un immense espace libre, comme si le lieu n'avait pas encore servi ou presque. Les tombes sont presque toutes surmontées de hautes et maigres croix auxquelles sont accrochées des cocardes tricolores. Mon étonnement est grand lorsque je constate que les dates indiquées remontent à la révolution et manifestement la plupart des défunts sont des militaires. Quelques tombes sont minuscules et dévoilent la présence d'enfants. Que ce lieu est étrange et calme, si proche cependant de la folie consommatrice. Je quitte l'endroit quelque peu songeur. Un peu plus loin j'aperçois des ruines. Il s'agit de la voie romaine qui allait en Espagne. De nombreux vestiges sont visibles, très bien conservés pour certains. Le plus impressionnant, ce sont les traces de roues de char encore bien visibles sur le rocher. En moins d'un kilomètre deux sites exceptionnels méritent une visite. Je m'arrête, mange mes boîtes de sardines et mes fruits. Le chemin pour aller jusqu'aux Illas n'est pas très agréable, large piste serpentant à flanc, succession de montées dans la poussière. L'arrivée au village se fait par une grande descente en lacets, cela semble interminable. Le gîte est loué à un groupe, donc ce sera camping sur un petit terrain communal, où je serai seul. La douche je la prendrai sous le pont du village, là où la rivière fait une petite mare. Le lieu est assez discret, de plus il n'y a pas grand monde. Cette traversée des Pyrénées qui va me prendre vingt deux jours, je ne pensais pas y rencontrer si peu de monde. En effet à part quelques sites connus comme le Canigou, les Aiguilles Tortes ou la vallée d'Ordesa, les étapes seront très souvent solitaires, et si elles ne le sont pas complètement, les humains rencontrés se comptent sur les doigts de la main. Ceux qui me marqueront, ce sont les marcheurs solitaires. J'en croiserai cinq, quatre qui traversent les Pyrénées dans l'autre sens, trois Anglais et un Français, et le cinquième un vieil Allemand qui emprunte la voie du Somport vers Saint Jacques de Compostelle. Ces rencontres sont toujours des moments de grande émotion. J'aurai l'occasion d'y revenir. Il est étonnant comme ces trajets, seul, à travers les montagnes laissent une marque profonde en soi. En effet cela fait maintenant plus de deux ans que j'ai effectué ce périple, et bien, le fait de le dérouler en l'écrivant, une multitude de sensations et de détails me reviennent à l'esprit. Je suis stupéfait de voir que malgré le recul du temps, le fil ténu et éphémère mais de plus de sept cent kilomètres, de ma trace dans ces montagnes s'est incrusté à ce point en mon esprit. L'exercice d'écriture est d'autant plus difficile, que je n'ai pratiquement pas fait de photos. En effet, ces dernières sont un outil prodigieux pour la narration d'un récit. Mais c'est peut-être un peu tricher, car longtemps après, écrit-on par rapport aux sensations que ces photos évoquent à l'instant où on les regarde, ou bien font-elles réellement remonter le vécu et la perception au moment de leur prise? Sans doute un peu des deux. Mais si on n'en possède pas, le fil d'Ariane de la piste fait ressurgir les émotions du moment de l'action, le récit en est sans doute plus véridique.

Donc comme prévu, petit repas gastronomique aux Illas dans une auberge à la salle grande et bien aménagée, une ancienne grange restaurée de main de maître. Après cet agréable moment, je fais un tour pour localiser le chemin du lendemain. Je repère un monument à la mémoire des personnes qui rejoignaient l'Angleterre via l'Espagne durant la deuxième guerre mondiale, car le village était l'un des lieux de passage, cela me remémore de nombreux livres et films.

 

 

Troisième jour

 

L'étape sera longue, je compte remonter la belle forêt qui domine le village, passer en Espagne, rejoindre le Roc de France par l'ermitage de la Salinas puis terminer l'étape à Arles-sur- Tech. La montée en sous-bois est magnifique tôt le matin lorsque les rayons du soleil sont encore obliques. Début juin, les feuilles sont encore toutes jeunes et présentent un joli vert tendre. Je ne peux m'empêcher de scruter les touffes de mousse, car je verrais bien des giroles s'y cacher. Une fois en Espagne, une piste large et de bonne inclinaison conduit à l'ermitage. Il est désert mais plus embêtant, la source est tarie et moi qui comptais m'y ravitailler … Tant pis, direction le Rocher de France. Après quelques petites hésitations dans les broussailles, je n'ai pour le moment que la carte au cent millième de l'IGN, je tombe sur un bon chemin qui me conduit sur le petit sommet à 1450 mètres. J'en profite pour me restaurer en contemplant le versant qui doit me conduire à l'étape du soir. Il a l'air immense et plein de replis. En effet cette descente jusqu'à la petite rivière, le Tech, est interminable. Heureusement en pleine chaleur de l'après-midi je rencontre une source qui suinte d'un rocher, que cette eau fraîche est agréable. Cela donne un bon coup de fouet au moral. J'arrive dans la ville d'Amélie-les-bains. Ce fond de vallée est très chaud, le goudron fond. Je commence par suivre la route, mais rapidement du fait de la chaleur et du trafic important je rejoins le lit de la rivière et continue à même les galets. Le rivage par endroits présente de véritables murs de végétation, il me faut donc marcher dans l'eau heureusement peu profonde. Cela procure une sensation étrange de se dire que l'on est en train de traverser les Pyrénées à pied et de se traîner à un rythme d'escargot à glisser sur des pierres moussues en essayant de ne pas piquer une tête. Je finis par abandonner et pars à la perpendiculaire à travers les fourrés à la recherche d'un chemin. Rapidement je tombe sur une multitude de traces praticables.

A l'entrée de Arles-sur-Tech je retrouve le Gr 10. Cette petite cité est superbe, le chemin se faufile dans des lieux pittoresques, en particulier des petits jardins potagers. Halte dans un camping dans le haut du village, il n'y a presque personne. Le mois de juin ce n'est pas encore les vacances. Je mets mes sandales et retourne me promener dans le village. J'y fais quelques emplettes et vais m'installer à la terrasse d'un restaurant à l'architecture superbe, une ancienne bâtisse en pierre rénovée. La soirée sera nostalgique, car durant l'après-midi mon maudit portable m'a appris la mort d'une personne qui m'était chère. Il y a des moments dont on se souvient toute sa vie eh bien je me souviendrai toujours exactement du lieu et de l'instant où cette triste nouvelle m'a atteint. Je mange cependant avec appétit une gigantesque pizza suivie d'une grosse glace. Je remonte à mon camping sous l'orage qui menace et rapidement m'endors.

 

 

Quatrième jour

 

Lever matinal, pas un bruit, petit déjeuner froid englouti rapidement et tout de suite l'immense dénivelé de la journée commence. J'ai l'intention de rejoindre la HRP en passant par le Serra del Roc Nègre à 2714 mètres alors que mon point de départ se situe juste à 300 mètres. Je chemine par des chemins qui se faufilent parmi les restes de vieilles mines, excavations et charpentes métalliques en ruines. Rapidement la chaleur est suffocante, le temps est à l'orage. Je dénivelle rapidement mais je souffre. Le sac me semble pesant, les crêtes apparaissent lointaines, et cela d'autant plus que l'air est saturé d'humidité et prend un aspect laiteux qui augmente l'impression d'éloignement. Le sentiment d'avoir vu trop grand pour la journée commence à m'effleurer. Cependant le rythme rapide me permet de garder le moral. Toujours cette horrible habitude d'avoir les yeux rivés sur la montre et l'altimètre et en déduire des dénivelés horaires. Au moins cela a la vertu d'occuper l'esprit. J'envie ce garçon qui lorsqu'il part pour de grands périples ne s'encombre d'aucun instrument même pas d'une montre, quelle liberté il doit éprouver! Mais pourquoi je n'arrive pas à en faire autant ? La végétation change, des prairies parsemées de jolies fleurs remplacent la garrigue. Un petit ruisseau que je longe, et hop! une jolie truite détale. J'atteins la route qui conduit au col de Cirière. Au gîte en réfection un peu en-dessous je me ravitaille en eau et me renseigne sur l'évolution du temps pour l'après-midi. Rien de rassurant, mais rien d'étonnant, des orages violents sont attendus. S'engager sur les crêtes ne serait pas raisonnable. Je décide donc de rester sur le GR10 et me lancer dans le contournement du Canigou. Le col est rapidement rejoint. Ensuite le chemin s'accroche au versant nord-est de la montagne. Que le lieu est impressionnant ! Le Canigou est vraiment la sentinelle des Pyrénées bien avancée dans les plaines. Les flancs sont très raides et travaillés. Par endroits je traverse de petites gorges au fond desquelles coulent des ruisseaux. Par temps de grosse pluie le passage ne doit plus être praticable sans risque. J'arrive à une petite bâtisse devant laquelle se trouve une magnifique fontaine. J'aurais pu éviter de transporter mes deux ou trois litres d'eau. Un peu plus loin je rejoins le couple vu la première journée, je ne les avais pas reconnus, eux par contre me remettent bien. Il y a quelques promeneurs sur ce magnifique sentier. Je double deux femmes qui me cèdent leur énorme chien blanc, genre Patou, pas méchant mais très collant. Bivouaquer en se serrant dans son poil volumineux doit être agréable, mais je n'en ai pas l'intention. Arrive un croisement de chemins, où le refuge des Cortalets est indiqué par deux itinéraires. Je choisis le plus haut. Alors que je remonte une crête vers les 2300 mètres, un orage violent s'abat. Je dépasse un couple de Belges qui s'abrite dans une petite anfractuosité et mon gros Patou décide de rester avec eux. Une très violente averse de grêle me force à m'arrêter sous le premier sapin et à mettre mon sac à dos sur ma tête. Le tonnerre gronde autour de moi, quelques arbres foudroyés montrent que l'endroit est malsain. Mais la grosseur des grêlons est telle que je n'ose bouger malgré le risque lié à la foudre. L'averse est si violente que mon arbre ne me protège pas vraiment et les morceaux de glace rebondissent dans tous les sens et m'attaquent par le bas. Très rapidement, n'étant pas très habillé la déperdition de chaleur est importante et je commence à me sentir en danger si cela devait durer. Je décide malgré la tourmente de repartir en courant au mieux, car au moins je produirai un peu de chaleur. Heureusement quelques minutes plus tard aussi rapidement qu'elle était apparue la grêle s'arrête. Il était temps, cela a duré une vingtaine de minutes. La montagne est magnifique dans son hostilité, sur les sommets environnants le tonnerre roule en faisant vibrer jusqu'au sol. Après la traversée de quelques pierriers instables et glissants j'arrive au refuge. Une foule immense s'y trouve. En effet c'est la fête des feux de la Saint Jean. Demain tout ce beau monde montera son bois au sommet du Canigou pour faire un immense feu de joie. Les Catalans sont comme les Basques, le bois ils aiment ça, et ils se mettent à plusieurs pour monter des bûches énormes. Très vite je me rends compte que je n'ai pas du tout envie de passer la nuit ici. Il n'est que quatre ou cinq heures, je continue donc jusqu'au refuge de Bonne-Aigue petite cabane qui doit être moins peuplée. On me conseille cependant de prendre de l'eau car la source de Bonne-Aigue , contrairement à son nom, n'est pas toujours bonne fille et peut se montrer avare, ce qui sera le cas. Encore une ou deux heures de chemin escarpé, durant lesquelles je chemine presque accroché au ciel en dominant la plaine, située très loin en-dessous. Enfin au détour d'un pli du terrain le petit abri se dévoile sur son éperon. J'y suis seul. Une vue magnifique sur le sommet du Canigou s'offre au regard. Heureux d'arriver, ce sera l'une des plus longues étapes de ma traversée et la plus éprouvante, à cause du temps d'abord étouffant et puis cet orage très impressionnant. Je cherche la source et la découvre enfin juste devant le refuge, mais elle est à sec. J'ai été bien inspiré de prendre trois litres d'eau au refuge précédent. Je m'installe, fais un feu dans le fourneau et me cuisine une grosse purée et bien au chaud dans mon duvet je poursuis la lecture de Croisières et Caravanes d'Ella Maillard. C'était quand même autre chose quand elle traversait dans les années trente l'Asie à pied en dormant deux semaines durant dehors en hiver dans l'Himalaya, en ayant pour tout refuge le flanc de son chameau. Je me dis que mes petites souffrances c'est de la rigolade.

Alors qu'il fait encore bien jour, j'entends du bruit. Je ne serai pas seul cette nuit. Un couple de jeunes gens arrive. Voyant l'exiguïté des lieux, ils décident d'aller planter leur tente sur un replat à proximité. Après s'être installés ils viennent me chercher et m'invitent à partager une bouteille de blanquette de Limoux. Assis dans l'herbe à côté de leur tente nous avons une discussion animée. Incroyable, lui vient de faire une thèse sur les mafias albanaises. Je ne dirais pas que je suis très fort sur ce sujet mais j'ai habité trois ans en Albanie et donc le thème m'intéresse. Cette soirée mémorable et très sympathique me revigore et me laissera un souvenir impérissable. La nuit tombée depuis un bon moment, nous rejoignons chacun notre sac de couchage.

 

 

Cinquième jour

 

Après une bonne nuit, je me sens en pleine forme, la longue marche d'hier n'a laissé aucune trace. Mes amis dorment toujours, je laisse un petit mot de remerciements sur l'un de leurs sacs et leur souhaite une bonne montée au Canigou. Comme toujours lorsque je suis un GR, je pars bille en tête sans rien regarder, sauf dans le cas présent, un dernier regard à ce minuscule refuge agrémenté d'une petite tente. Rapidement je traverse un éboulis et fais détaler toute une harde d'isards. Le chemin pénètre en forêt. Il semble peu utilisé, bizarre pour un GR. Mais l'ambiance est tellement extraordinaire et mystérieuse que pris par l'envoûtement du lieu je m'y enfonce toujours plus profondément. De plus en plus de branches obstruent la sente de plus en plus étroite. Je finis par perdre toute trace. De toute évidence je ne suis plus sur le chemin. Cependant ma carte au 100 000 ne me dit pas si je me situe au-dessus ou au-dessous de mon itinéraire . Le plus simple, faire marche arrière jusqu'à ce que je retrouve la sacro-sainte trace rouge et blanche. En effet je n'aurais pas dû traverser la zone d'éboulis. Le chemin à cet endroit monte une petite crête très raide et poursuit en pente très soutenue. Mais comme souvent, cette erreur m'a permis d'abord de voir de très près ces beaux animaux que sont les isards et de passer une heure dans une forêt mystérieuse très peu fréquentée. J'atteins un collet haut perché que je distinguais très bien du refuge, et je bascule sur un autre versant de la montagne, toujours aussi joli et aérien. Rapidement je rejoins l'un des itinéraires qui conduisent au point culminant. De ce fait je croise de nombreuses personnes qui s'y rendent. Le refuge de Mariailles apparait. Je suis un peu déçu, il a l'air d'être jeté à même le bord du chemin. J'en avais une idée magnifique, ayant lu un article particulièrement élogieux sur sa gardienne, ce qui tout naturellement me rendait le lieu très sympathique. Je ne m'y arrête pas et descends à un bon rythme jusqu'à Farga. Que ce petit hameau est accueillant, des fleurs partout, des champs remplis d'immenses herbes bien vertes, et une fontaine. Une eau fraîche agréable à boire, mais il serait préférable qu'elle soit plus chaude, car on en absorbe plus facilement une grande quantité, et lorsqu'on fait des efforts c'est par litre qu'il faut s'hydrater. Ensuite par une grosse chaleur je remonte au col de Mantet. 900 mètres de dénivelé en zigzaguant avec la route goudronnée par des petits raidillons. Le col fait très pelé, le village du même nom est blotti quelques centaines de mètres plus bas. Un gîte très agréable m'accueille. La soirée est particulièrement exquise. L'hôtesse cuisine très bien , et à quatre, un couple étant présent, nous refaisons le monde jusque tard dans la nuit. Je rejoins un lit moelleux et je tombe sur un livre de Troyat, dont je ne me souviens plus du titre, mais il me passionne tellement que j'en lis les trois quart avant de m'endormir.

 

 

Sixième jour

 

Le temps semble beau, après un petit déjeuner copieux me voilà parti à travers les alpages. Le paysage est très différent de ce que j'ai vu sur le tour du Canigou. On retrouve la moyenne montagne que je qualifierai de classique. Rapidement je passe le col del Pal, qui domine le village de 900 mètres. Je redescends au refuge de la Carança. Il est au confluent de plusieurs vallées, et les vaches innombrables l'assaillissent littéralement. On m'avait prévenu que la source pouvait être contaminée du fait du grand nombre de bovins. Je constate que j'ai perdu l'une de mes superbes sandales, achetées 70 euros au Vieux Campeur. Je suis très mécontent, je les ai attachées sur mon sac. Alors s'est-elle décrochée ou dans la précipitation du départ l'ai-je oubliée au gîte? Cela me perturbe, comme quoi il ne faut pas grand chose. Alors dans ma colère à partir du refuge j'accélère et remonte un joli vallon. Je ne croise pas grand monde puis viennent face à moi des pêcheurs. Tiens c'est bizarre! Mon itinéraire de la journée ne comporte pas de lac. Je leur demande d'où ils arrivent. Bien évidemment de l'étang de la Carança. C'est le bouquet, je n'ai pas pris la bonne vallée. Il faudrait bien que je finisse par prendre l'habitude de regarder la carte de temps en temps de façon plus rigoureuse. En effet je suis juste sous le lac j'ai bien dû faire quatre cents mètres de dénivelé. Pas de panique, c'était très joli. Je m'arrête donc et commence à casser la croûte. Au moment de reprendre le chemin du refuge un autre pêcheur descend. Nous engageons la conversation et j'aurai droit à un superbe cours sur la truite fario de souche pyrénéenne. Il m'explique tout sur sa reproduction et sa pêche. Encore une fois l'erreur est très bénéfique. De retour au refuge je reprends mon chemin qui est franchement très évident. Le col se situe 600 mètres plus haut. Son accès est raide, coupant en permanence une piste qui fait de grands détours. Une fois arrivé, un vent froid et désagréable m'enlève toute envie de faire une pause. Ce temps pour le moins pas très agréable, je vais le subir quasiment jusqu'à l'Atlantique. Je prends cependant le temps de regarder ma carte et de constater que le Gr fait une immense boucle en fond de vallée. Je décide de traverser directement et de rejoindre le chemin sur le mouvement de terrain suivant. Je visualise l'itinéraire que je veux suivre et c'est parti. Arrivé en fond de vallon, j'attaque directement la pente en face et après une bonne suée je retrouve les traces rouges et blanches. Il ne me reste plus qu'à me laisser conduire au village de Planes. Le gîte est ouvert. Je bois une bière en compagnie d'un habitué de la région. Il me raconte une histoire étonnante qui corrobore ce que j'ai vécu trois jours auparavant. Il me fait part de son expérience des chutes de pression très brutales du côté du Pic de Costabonne. Effectivement lorsque j'étais près du Pic de France, mon altimètre affichait des variations d'altitude très brusques et importantes. J'ai tout de suite pensé qu'il ne fonctionnait plus. Eh bien non, il s'agissait du phénomène que l'on me décrit. Pas étonnant, m'a-t-il dit, que j'ai subi un orage aussi violent sur le Canigou.

Le repas du soir sera moins raffiné que celui de la veille. Je me trouve avec un Canadien qui finit ses vacances et qui repart le lendemain. Il éclate de rire quand il constate que je n'ai qu'une sandale et un pied nu. Nous passons la soirée devant la télévision, coupe du monde oblige. La France va gagner, et ce n'est pas le dernier match que je regarderai.

 

 

Septième jour

 

L'étape du jour doit me conduire en Espagne, pays dans lequel je resterai jusqu'au pays Basque. L'itinéraire remonte le vallée de Mont Louis jusqu'à la frontière. Manifestement j'ai une baisse de moral, pourtant tout va bien physiquement. Le chemin parcouru jusqu'à présent était très beau, la marche agréable, les haltes du soir toujours bonnes et souvent pleines de surprises. Eh bien non, malgré ces 6 jours prometteurs d'une belle traversée je suis envahi par un coup de blues. Le plus étrange, c'est que je ne sais pas pourquoi. Allez, ne pas se poser de question et marcher, on verra après. J'abandonne le GR 10 à partir d'aujourd'hui pour ne le retrouver que vers Saint-Jean-Pied-de-Port. La marche en forêt est plaisante. De l'autre côté de la vallée j'aperçois le fameux four solaire d'Odeillo. Ayant coupé mon téléphone portable depuis hier matin, je l'ouvre, des fois que ma famille s'inquiète en ne pouvant me contacter. J'ai effectivement un message d'un camarade qui me propose des activités professionnelles à Lyon et Paris. De toute évidence cela attendra mon retour. Je savoure l'immense privilège que cela représente de ne plus être soumis au dictat de devoir gagner sa vie et de vivre sans peur excessive du lendemain. Après tout, cela dépend aussi de ses envies et du niveau auquel on fixe ses besoins. Mais la contrepartie de ne plus se sentir tendu vers un but professionnel, c'est peut-être de devoir occuper son temps libre. C'est sans doute là que se niche une partie de mon vague à l'âme. L'allure n'est pas très rapide. Je fais une halte à même le tapis d'aiguilles de pins et engage une longue conversation téléphonique avec une personne qui m'est chère et qui me connait bien. Sans doute suis-je à la recherche d'un appui dans la signification de la traversée que je fais? En tout cas la discussion porte ses fruits. Je trouve une interlocutrice qui est un avocat sans concession de la poursuite de l'entreprise. Plus de doute, debout et marche.

Je m'arrête dans le village de Eyne et mange la boîte de thon que je traîne depuis Tech. C'est pénible car on se met de l'huile partout et ensuite il faut trouver une poubelle, car pas question de remettre dans le sac cette boîte de conserve toute dégoulinante. N'en voyant pas dans les environs, je mets le tout dans un sac plastique que j'accroche sur le sac à dos. Dans ce village, l'année précédente, j' avais pris le fameux train jaune, expérience très intéressante. J'étais le seul voyageur sur le quai, le train est arrivé à faible allure et s'arrêta. Le chauffeur sortit la tête et me demanda si je voulais monter. Je lui répondis par l'affirmative et il m'enguirlanda presque en me faisant remarquer que normalement le train ne marque l'arrêt en gare que si on lui fait signe, et qu'il n'est pas devin et ne peut connaître mes intentions. Je devais donc m'estimer heureux qu'il se soit arrêté car de plus c'était le dernier de la journée.

Après ce rappel de mes souvenirs, je repars. Avec la journée qui avance, la chaleur augmente. Après m'être perdu dans des champs cultivés, qui de toute évidence se sont appropriés le chemin, n'osant pas couper directement parmi les épis de blé, je fais moult détours. J'arrive enfin à Bourg Madame et passe la frontière. Manifestement les douaniers regardent les gens, est-ce dû au contrôle de l'immigration clandestine en Europe ? A Piugcerda je m'arrête et me mets à l'ombre dans un café. Pour ce sacro-saint moral à retrouver et à consolider, je sens qu'il faut que j'avance un grand coup,

comme cela je serai irrémédiablement lancé dans l'aventure. Donc première décision, je laisse tomber le long détour par la Serra de Cadi et je file directement sur La Seu d'Urgel, en partie sur la route et en partie par des chemins qui traversent de petites villes un peu désaxées. L'important c'est qu'il n'y ait pas trop de montées et que le mouvement vers l'ouest soit significatif. A la sortie de l'agglomération, je distingue très nettement à une vingtaine de kilomètres au sud la barre impressionnante de la Serra des Cadi, sur une trentaine de kilomètres elle se lève d'est en ouest en une vague toujours au-dessus des 2000 mètres, et même pour sa moitié ouest toujours au-dessus des 2500 mètres. Résolument je m'engage sur la route à grande circulation, je vois un panneau qui indique 60 km alors que ma carte en indique un peu plus de 50 pour la ville de La Seu D'Urgel. Un super marché, j'achète une bouteille de banga de deux litres que je descends presque d'un coup, cela fait repas et boisson. Sur le goudron c'est une véritable canicule, avec la réverbération de la chaleur, les 35 degrés sont à mon avis atteints. Un grand magasin de chaussures dans une zone commerciale, j'en profite pour m'acheter des tongs pour remplacer mes sandales. Il y a des soldes, j'ai deux paires pour 7 euros mais je n'en veux qu'une. Dans mon espagnol hésitant j'explique qu'une seule suffit et que je ne désire pas en porter deux jusqu'à l'Atlantique. La charmante vendeuse finit par m'en vendre une paire pour 4 euros. Je retourne dans la fournaise avec l'intention de bien avancer avant le soir. Après une dizaine de kilomètres je me laisse tenter par le joli village de Ger qui domine la route, et pars à la recherche d'un logement. Le bistrot, dans lequel j'entre, loue des chambres certes à des prix non-modiques, mais de qualité. Pour une journée sans moral l'étape a été cependant importante. Je me promène dans cette petite cité toute en pente et termine dans un petit estanco. On est bien en Espagne et l'ambiance est très sympathique.

 

 

Huitième jour

 

Au réveil, il fait presque nuit, cela ne provient pas de l'heure matinale mais de l'épaisseur des nuages. Je reprends la route à grande circulation sur une dizaine de kilomètres et me dirige vers la petite ville de Bellver de Cerdanya. Jolie agglomération à l'architecture de cachet avec ses belles maisons en pierre, ses magasins bien achalandés et sa foule qui se presse dans les rues. Une brume épaisse tombe, assortie d'une bruine tenace. Une route très peu fréquentée me permet de gagner dix kilomètres loin du raffut de la circulation. Cela me donne l'occasion de découvrir la belle église de Santà Eugènia de Nerellà. Vers les treize heures, retour sur la grand route à l'entrée de la ville de Martinet. Dans un bistrot comme on en trouve dans toutes les grandes cités européennes je profite d'une accélération des précipitations pour faire une pause. Sensation étonnante que de faire de longues distances à pied le long de grands axes routiers. Je pense à tous ces récits de voyage où durant des semaines voire plus l'itinéraire se déroule dans le souffle et les aspersions des camions lancés à toute allure. Je me remémore en particulier un pèlerin parti de Lyon pour Jérusalem et qui avait traversé une bonne partie de l'Italie dans ces conditions, ou encore Bernard Ollivier qui au cours de sa longue marche appréhendait la traversée des tunnels non éclairés quelque part au fond de l'Asie.

Ma carte au 50 000 me permet de voir qu'un petit chemin se faufile entre la montagne et la rivière sur la rive opposée à la route, encore quelques kilomètres de gagnés loin des monstres d'acier puants et bruyants. Ensuite, après un bref retour sur cette N260 apparaît un camping à même le bord de la route. Bien qu'il ne soit pas tard je décide de m'y arrêter. Le temps s'est amélioré et rapidement la chaleur sèche le sol. Manifestement il n'y a pas grand monde, à tel point qu'il est impossible d'acheter quoique ce soit, le restaurant et l'épicerie étant fermés, donc ce soir mon réchaud me servira pour chauffer ma purée soupe, habituelle dans ces circonstances. C'est très simple à faire, c'est comestible, ça cale sérieusement, que demander de plus? Je m'installe au bord de la rivière sous un rayon de soleil et je m'y trouve très bien. J'observe les petits verrons qui farfouillent les gravillons dans quelques centimètres d'eau un peu à l'écart du courant principal du cours d'eau. Soudain, sortant des profondeurs agitées par le courant, une belle truite fait un passage rapide mais ne réussit pas à attraper une proie. Être le témoin d'une scène de ce type, somme toute banale dans la nature, me remplit de joie, et c'est très bon pour le moral.

 

 

Neuvième jour

 

L'étape de ce jour doit me conduire au moins à La Seu D'Urgel. Afin de continuer à bien avancer tout se fera par la route. D'ailleurs, vu l'endroit où je me trouve, il n'y a pas d'autre choix. La vallée est encaissée, la route domine d'assez haut, aucune possibilité de progression près de la rivière et le versant raide ne permet pas de prendre des chemins en amont. Donc je me lance sur le bitume, tôt le matin peu de circulation et température clémente. Surprenant je trouve du plaisir à avancer comme cela sur une route nationale. D'ailleurs par endroits les points de vue sont magnifiques. Un seul tunnel se présente, évitable par l'ancienne route. Par endroits l'espace derrière le rail de sécurité ne permet pas de marcher, car il y a presque directement le vide. J'avance donc sur la route bien collé au bord métallique, m'immobilisant lorsque un camion arrive, ou même j'enjambe le rail et attends qu'il soit passé pour revenir sur le goudron. A un moment, marchant sur la chaussée, je vois arriver face à moi un cycliste et derrière lui à vive allure un camion survient. Vu l'étroitesse des lieux je réalise que si le vélo fait un écart pour m'éviter, il court un grand risque de se faire écraser par le bolide lancé à 100 à l'heure. Je saute précipitamment le rail, le cycliste y reste collé et le camion le frôle dans un grondement.

Vers les onze heures j'atteins la petite ville désirée depuis avant-hier. L'entrée se fait le long de belles allées verdoyantes qui longent le cours d'eau. Je traverse cette agglomération qui s'étale sur un bon kilomètre, puis près de la sortie je fais une halte dans un restaurant. Il se situe à un carrefour particulièrement passant, en effet l'une des routes remonte directement au Pas de la Case. Bien qu'ayant bu deux bières et mangé comme un boa, je repars sous le cagnard. J'emprunte le GR7 sur une dizaine de kilomètres. Bien que remontant la vallée qui conduit au Pas de la Case, le trafic n'est pas gênant, le chemin étant souvent à bonne distance de l'asphalte. Un embranchement de vallées apparaît, et là se niche la Farga de Moles et son camping. Site agréable dans un décor verdoyant. Le mois de juin est une période propice à la balade car les fonds de vallées ne sont pas encore brûlés par les chaleurs et les sécheresses de l'été. Ce soir, encore un match de foot, je ne me souviens plus quelles étaient les équipes en compétition.

 

 

Dixième jour

 

Aujourd'hui l'aventure reprend. En effet je vais essayer de rejoindre au mieux le Val D'aran en dehors de tout itinéraire balisé. Pour corser la chose, il me manque un bout de carte sur une bonne distance. Mais de la fin de ma première carte je devrais voir une montagne caractéristique qui se trouve sur la seconde. Tout commence par une petite route qui serpente dans une vallée étroite. Un gros chien décide de m'accompagner, il me suivra deux bonnes heures. Passé un premier village, j'arrive à Civis et prends une sente qui monte raide. Alors je dis à mon compagnon à quatre pattes de retourner chez lui. Il n'en fallait pas plus pour qu'il fasse demi-tour, à moins que de lui-même il ait décidé de s'arrêter à la fin du goudron. Le chemin suit des flancs arides et escarpés, la solitude est vraiment présente. Le col de Confluent est atteint, un peu plus de 2000 mètres d'altitude, et je suis en bout de carte. Très bien, est-ce que mon pronostic s'avère exact ? Effectivement, une vallée se présente avec un large débouché vers la gauche et une montagne sur la droite avec un petit col, qui doit correspondre à celui que je compte rejoindre. Dans la partie manquante je rencontre même un hameau désert, mais équipé d'une belle fontaine, qui est la bienvenue car je manque d'eau depuis plusieurs heures. Une fois près d'une rivière je repars à l'assaut du versant opposé vers le col identifié. Étant dans la forêt sur le flanc de la montagne, évidemment mon lieu de passage désiré disparaît du champ de vision. Il me faut partir à l'estime, dans un immense versant encombré d'arbres abattus à enjamber. J'ai le sentiment que je ne vais pas y arriver. Je me traîne de tronc en tronc en essayant de les escalader le plus rapidement possible sans dépenser trop d'énergie et sans me blesser. Après un moment qui me semble une éternité, les troncs s'espacent et je pressens la fin du calvaire. J'atteins une prairie encaissée dans un vallon, au fond duquel court un ruisseau. Je décide de le suivre, en effet il monte c'est bien et de plus le cheminement est dégagé. Ce sont déjà des éléments très favorables. Mais est-ce que de plus ce vallon aura le bon goût de conduire là où je veux aller ? En tout cas après le supplice que je viens de vivre, avancer à bonne vitesse sur une herbe souple procure un grand plaisir. Certes la pente est raide et irrégulière d'où un champ de vision très restreint. La direction me semble bonne, et de fait après une petite heure de montée je tombe pile sur un collet qui se découvre au tout dernier moment. Je sors ma nouvelle carte et miracle, ce que je vois devant moi correspond exactement à ce qui est décrit. Dans la vallée tout en bas deux villages Burg et Tirvia. Ce dernier aux environs des 900 mètres, donc quelques 1400 mètres en aval. A vol d'oiseau la distance est de l'ordre de huit kilomètres. Ma carte n'indique qu'une vague piste en pointillé, que je ne trouve pas. Mais la descente se fait à travers prés et broussailles. Toujours un passage se découvre au dernier moment, un vrai bonheur, une petite trace de ci delà laissée par des animaux sauvages ou domestiques et hop quelques mètres de gagnés. Au détour d'une ruine noyée dans de grandes herbes, une grosse couleuvre me détale dans les pieds. L'après-midi est beau, quelques petits nuages épars signe de stabilité, pas d'orage à craindre, le vent froid qui m'accompagne un jour sur deux est absent. Cette étape avec son caractère particulier est l'une de celles qui me laissera un des meilleurs souvenirs. Sur la trentaine de kilomètres, voire plus, parcourus, je n'ai rencontré qu'une femme le matin en passant un premier village. Nos montagnes européennes, dès que l'on sort des grands axes de randonnée à la mode, sont presque désertes. J'aurai l'occasion de le constater encore au cours d'étapes à venir dans des variantes du GR 11. Arrivée au village de Tirvia, écrasé sous la chaleur de milieu d'après-midi. Euréka!! Il y a un petit hôtel à la façade sympathique qui donne sur la place centrale. Je commence par boire une bonne bière, car l'eau a été rare aujourd'hui. En effet, j'ai évité de faire le plein à la rivière, n'utilisant les cachets qu'à la dernière extrémité. L'eau en montagne, je la bois sans traitement lorsqu'elle sort de terre ou de la roche, considérant que le passage dans le sol est un filtre. De même je la bois à l'air libre lorsqu'elle court au-dessus de la zone de végétation si elle ne provient pas d'un lac.

Soirée agréable, menu de qualité, il faut dire qu'après un effort comme celui d'aujourd'hui tout aliment a la saveur de ce que Bocuse vous propose. Le propriétaire est tout étonné de ma réponse lorsqu'il me demande où je vais. De toute évidence je suis en dehors des routes habituelles de la traversée des Pyrénées.

 

 

Onzième jour

 

De l'hôtel, je distingue très bien en face, de l'autre côté de la vallée le début de mon étape. Ma carte m'indique qu'une sente conduit au petit pic qui nous domine fièrement. D'abord rejoindre le fond de la vallée. Soit suivre la route qui fait un détour ou couper directement dans la pente qui donne directement sur la rivière. Je m'avance au bout du plateau sur lequel se trouve le village pour me faire une idée de la praticabilité d'un passage direct. Une grosse centaine de mètres dans une pente très raide, mais de nombreux arbres. L'affaire semble jouable. En effet la végétation et le sol meuble me permettent de rejoindre le lit de la rivière facilement. Une fois en bas pas d'autre possibilité que de traverser, heureusement la profondeur et le courant sont faibles. La petite zone à la confluence de quatre vallées est prestement traversée et je m'engage dans la forêt qui doit me conduire au Pic de l'Orri , quelques six cents mètres plus haut. De toute évidence ce sentier n'attire pas les foules. De temps à autre une vague trace, mais le plus souvent la progression est conduite par les zones de moindre résistance végétale. Je débouche à un collet, j'y laisse mon sac et continue. J'ai un peu l'impression d'être le premier à fouler ce sommet modeste qui culmine à 1444 mètres. Je découvre un vaste panorama. Mon belvédère est de tout premier ordre pour visualiser le reste de mon étape du jour. Cela commence par plusieurs kilomètres à flanc parmi buissons et épines sans cheminement bien établi. Au gré des zones aérées je zigzague avec par endroits de petits soucis, car ça pique vite et fort. Pourvu que je ne soit pas obligé de rebrousser chemin. En effet je distingue bien une route dans la vallée bien plus bas, mais la descente directe me semble particulièrement exposée sur des terrains raides où la chute serait sans doute mortelle. Donc persévérer sur cet immense pan de montagne. J'aperçois un reste de chemin creusé à même la roche. Je l'atteins en me hissant à travers piquants et ronces. Je le suis quelques dizaines de mètres et soudain au niveau d'une gorge, il n'est plus praticable et toute progression est interdite. Demi-tour dans cette jungle. Je sens que le village aperçu du sommet n'est plus très loin, il y a forcément un passage, car je constate de nombreuses traces d'ovins et de bovins. En effet, une rupture de pente de quelques mètres me donne accès au fond de cette petite gorge escarpée, et rapidement sur l'autre versant un bon chemin s'amorce et me conduit en quelques centaines de mètres au centre d'un joli bourg bien restauré. Je fais une pause au lavoir, bien au frais. Mon horizon s'éclaircit. Une route aérienne descend lentement vers la grande vallée que je dois remonter quelque temps avant de rejoindre sur le versant opposé la station estivale d'Espot, l'un des points d'entrée dans ce magnifique parc national d'Aigüestortes. Encore quelques heures de marche sans histoire mais fort agréables avant d'arriver à Espot. J'en profite pour m'acheter un bâton, qui malheureusement n'est pas très solide malgré son prix, et qui ne durera que le temps d'une étape un tiers. Je le garderai cependant bien qu'ayant perdu le quart inférieur. A la sortie du village, un camping accueillant presque désert, même dans des endroits touristiques comme celui-là au mois de juin ce n'est pas encore les vacances. Avec la majorité des quinquas européens à la retraite je m'attendais à trouver plus de monde. Le camping dans ces conditions de faible affluence est une activité très supportable même agréable. Seul petit ennui, ma tente est mono-paroi et la condensation est importante même toute ouverte, donc cela nécessite durant la journée de guetter un rayon de soleil pour faire sécher le tout. En été cela ne pose généralement pas de problème.

 

 

Douzième jour

 

Quelques gouttes durant la nuit ont claqué sur la toile, mais rien de grave. Ce matin le temps est correct. Départ matinal. Deux gentilles dames me proposent de me déposer au bout de la route, avec le sourire je refuse. Il faut bien reconnaître que cette piste de 4 ou 5 kilomètres qui conduit au parking de départ de randonnées magnifiques n'est pas des plus intéressantes, mais la traversée doit se faire intégralement à pied. Enfin arrive la barrière d'interdiction de passage des véhicules. Peu de distance après, le premier lac, il est de belle taille. Je le longe par la droite et vers le fond le chemin s'élève dans des escarpements. Ces zones granitiques où gros blocs et sapins alternent sont magnifiques. En une succession de montées et descentes je passe de nombreux lacs de toutes formes. Les petits cols que je franchis, sont à chaque fois de magnifiques points d'observation de cette région exceptionnelle. Au bord d'une étendue d'eau perchée je fais une halte, le site est vraiment extraordinaire, de toutes parts des lacs s'étalent. La zone est si vaste qu'il est facile de s'éloigner du chemin balisé et de se déplacer sur de larges plaques granitiques qui offrent un cheminement généralement aisé et qui permettent des vues plongeantes sur les plans d'eau. Une dernière montée raide avant de descendre sur le refuge de la Restanca, situé juste au pied du Montarto, magnifique montagne du sommet de laquelle on peut apercevoir jusqu'à 80 lacs. Il y a bien longtemps, j'y étais monté en hiver, tout était recouvert d'une épaisse couche de neige, je ne peux donc pas confirmer que l'on peut vraiment en compter 80. Le refuge est bondé, étant seul je suis accepté, par contre généralement en groupe l'hébergement demande de l'anticipation. Si j'étais courageux je me contenterais d'y manger et repartirais dormir plus haut sur un replat de la HRP. Mais le temps qui se couvre et la pluie qui s'annonce m'enlèvent tout courage et je vais choisir la nuit dans un petit dortoir bondé.

 

 

Treizième jour

 

Nuit difficile entre bruit de pluie violente et raclements de gorges multiples, au matin les désagréments de la surpopulation, malgré une envie pressante pas moyen de trouver des toilettes libres, donc courir à l'extérieur se cacher au moins mal et si possible au plus loin du refuge. Je fuis rapidement une fois le petit déjeuner pris. Sur cette portion de la HRP je suis seul car le temps n'est pas beau, il pleut mais la visibilité reste correcte. Une demi-heure après être parti je tombe sur mon premier solitaire en sens inverse. Il s'agit d'un Anglais qui vient de se faire saucer toute la nuit pratiquement sans matériel. Il est tellement trempé qu'il est en short et tee-shirt, mais ça le fait rigoler et sa volonté d'atteindre la Méditerranée n'est pas entamée. Nous discutons une dizaine de minutes et reprenons chacun notre chemin. Je suis plein d'admiration pour ces British que rien n'émeut. Le parcours de la HRP, c'est souvent magnifique. J'en connais quelques passages en particulier ceux d'Ariège vers le Mont Rouch, grandiose. Aujourd'hui ce tronçon par temps hostile fait ressortir toute la beauté de ce monde de pierre et d'eau. Les cairns sont assez nombreux et il n'y a aucun problème de cheminement, il faut dire que le fait de longer des lacs facilite l'orientation. Passage raide pour arriver à un col à 2510 mètres, la pluie s'intensifie. La descente est glissante, attention de ne pas aller trop vite. Encore des lacs et retour sur le Gr 11, où de nouveau je croise quelques groupes de randonneurs sous leur cape. Je constate que mon bâton est tordu et qu'il me manque la partie inférieure, tant pis il m'est toujours possible de m'y appuyer. Je longe le lac de Rius et m'engage dans une longue descente sous une forte pluie. Le fond de la vallée est atteint, le chemin débouche à proximité de l'entrée du tunnel de Viehla. Il n'est que midi ou un peu plus, vais-je rester dans cet endroit en attendant des conditions meilleures? Par ce temps il est exclu de continuer par la HRP, et le GR11 passe deux cols dont le plus haut est à 2720, ce qui fait pour l'après-midi un dénivelé cumulé de plus de 1800 mètres. J'hésite, vais visiter le refuge, et l'impatience me dominant, je décide de partir, il sera toujours temps de redescendre ou de m'arrêter dans le petit refuge d'Anglos perdu quelque part entre deux lacs à 2300 mètres. C'est parti, je descends la grand route jusqu'à un lac de barrage. A droite l'itinéraire escalade une forêt raide. Les nuages accrochent tous les reliefs, cependant la pluie cesse. Je quitte le goudron à treize heures trente, ce qui laisse de la marge avant la nuit. Immédiatement j'adopte un bon rythme sur ce sentier qui monte droit. Je me sens bien, l'air est frais, le cadre est grandiose et un peu mystérieux. En une heure j'abats plus de 600 mètres de dénivelé sans vraiment forcer, je commence à croire que je peux basculer ce soir du côté de Benasque. Sans que mon allure ne se modifie j'atteins le premier lac et je vois la petite cabane d'Anglos. Effectivement par temps de brouillard elle doit être difficile à trouver, mais cet après-midi on s'oriente vers une embellie. Je croise un couple de Hollandais. Ils viennent de faire une étape épuisante et espèrent rejoindre le fond de la vallée ce soir. Les lacs se succèdent, vu du haut ils ont des reflets lugubres à cause des nuages, et comme la pierre les entourant est sombre et mouillée l'ambiance est particulièrement austère. J'aborde la zone où seule la caillasse survit. Le premier col se présente. De ce lieu, je vois très nettement le second, pente de cailloux raide. Pour le rejoindre il me faut redescendre à un petit lac qui apparaît comme un trou noir. Que la montagne est belle dans ces conditions. Au niveau du lac une abondante source sourd de sous de grosses pierres, je m'abreuve longuement. La remontée pour atteindre le col de Ballibierna à 2720 mètres me demande presque une heure, la fatigue commençant à se faire sentir. La vue s'étend à un immense vallon dominé par l'Aneto. Les Pyrénées de toute évidence sont de hautes montagnes. Ce coin est très sauvage. Une pause bien méritée me permet de m'imprégner de l'esprit du lieu. Il n'y a rien de tel qu'un peu de stress engendré par des conditions douteuses pour déclencher le turbo. Maintenant retour au calme, pas de doute je dormirai dans la vallée qui conduit à Benasque. La descente promet d'être longue. Elle commence par un incroyable chaos de gros blocs qui obligent à de nombreux sauts. Attention de ne pas glisser sur la pierre détrempée car la chute est souvent très mauvaise et une fracture de la jambe ici risque d'être particulièrement inconfortable. Je contourne un lac toujours au milieu de ce chaos de blocs, presque de l'escalade au-dessus de l'eau. Avec un peu de neige le passage doit être scabreux. Enfin j'arrive sur un terrain un peu plus conforme à la randonnée, une immense descente commence. Ce versant sud de l'Aneto est très vaste et l'on ne prend pas bien conscience des distances. Je rentre dans une forêt de pins clairsemés. Sur le bord du chemin un couple de jeunes est assis, je leur demande si le refuge de Coronas est encore loin, ils me disent que j'y suis presque. Cependant il me faut encore un temps que je trouve interminable pour le rejoindre.

Enfin, le voilà, il s'agit d'une cabane carrée sans aménagement aucun, mais au moins elle est propre. Souvent je passe de petits abris dans un état de saleté repoussant, encombrés d'une multitude d'objets hétéroclites, et il ne me viendrait pas à l'idée d'y dormir, à moins d'être confronté à des conditions apocalyptiques. Dans le cas présent rien de tel, le lieu est accueillant, deux Espagnols y sont déjà installés. Après les avoir salués, un petit tour à la rivière pour me laver et par chance juste sous un rayon de soleil réapparu. Un peu plus tard une bande de jeunes Français arrive. Demain ils veulent faire l'Aneto. La soirée sera agréable à discuter de choses et d'autres, en particulier d'études et de métiers. Je suis frappé par les remarques et la désillusion d'une fille d'une vingtaine d'années qui est sûre que ses études ne lui donneront aucun débouché dans la vie. Pourquoi avoir choisi cette filière et y persévérer ? Mystère !!!

 

 

Quatorzième jour

 

Les Français partent très tôt pour leur ascension, un peu plus tard les Espagnols suivent le Gr11 en direction de l'est. Je me retrouve seul, vers les sept heures je reprends mon chemin. Tout d'abord une piste en fond de vallée me conduit jusqu'au Rio Esera. Un peu au-dessus de Benasque, arrêt dans un camping où il est possible de se ravitailler. Le chemin contourne par l'est et le nord l'impressionnant massif des Posets qui culmine à 3369 mètres. L'air est froid et le vent âpre. Quelques rares randonneurs croisés, la montagne a décidé d'être sinon hostile tout au moins désagréable. Apparaît le refuge d'Estos, j'y bois un coca-cola à l'abri du froid puis en avant direction le Puerto de Gistain. Les dernières centaines de mètres sont enneigées, mais la portance est bonne et l'allure n'est pas ralentie. Ce col perdu à plus de 2600 mètres a un petit air de lointain, mais les courants d'air ne me donnent aucune envie de m'attarder. Je me hâte de descendre au refuge de Biados. La carte présente une imprécision, en effet le chemin est indiqué rive gauche, alors je m'entête à progresser de ce côté mais la marche devient difficile et dangereuse, alors que de l'autre côté se trouve un beau sentier. Après avoir joué les funambules sur des roulements à billes pentus, je retourne traverser la rivière en amont et rejoins après quelques kilomètres le refuge de Biados. Il est temps d'arriver, un orage se déclenche. En face dans ces nuées, les Posets sont très impressionnants. L'accueil est sympathique le repas copieux et au diable la tempérance, je bois entièrement ma superbe bouteille de Rioja. Donc évidemment pour plusieurs raisons la nuit sera excellente, de plus je suis seul dans le dortoir.

 

 

Quinzième jour

 

Départ de bonne heure par beau temps, l'air est frais et toujours cette bise désagréable. Je reste sur le GR11, le seul col de la journée se trouve 800 mètres au-dessus. Après avoir cheminé dans une forêt à l'abri du vent je me trouve de nouveau confronté à ses assauts. Le seul avantage, on n'a pas trop chaud, dans le fond le rythme doit en être amélioré. Au cours de la montée deux jeunes sont arrêtés pour se faire chauffer du thé. Ils sont en train de galérer sur la HRP, affublés de sacs énormes, et la nuit qu'ils viennent de vivre n'a pas été très confortable. Je leur souhaite bon courage pour la suite et me remets en route. A proximité du col je rencontre mon deuxième solitaire. Il s'agit d'un pur et dur. Bien qu'ayant dépassé la soixantaine il porte un sac de 20 kilogrammes et met un point d'honneur à passer toutes les nuits sous tente. Cette dernière est d'ailleurs particulièrement robuste et pèse dans les trois kilos. Nous entamons la conversation, ayant eu des métiers assez proches, nous nous découvrons des connaissances communes, le monde est petit. Il me met en garde concernant la variante qui passe dans le flanc sud-est du Mont Perdu. C'est justement là que j'espère passer. Il s'avérera que son évaluation était un peu alarmiste, tout du moins par temps correct. Nous envisageons même de casser la croûte ensemble, mais la fraîcheur ambiante nous rappelle vite à l'ordre. Nous reprenons donc chacun notre chemin. Le col, qui domine un petit lac, est vite atteint. Le lieu est austère. Je croise deux personnes et me dépêche dans la descente pour me réchauffer. 1000 mètres de dénivelé me mènent à la route de Bielsa pas très loin du tunnel frontière. En fond de vallée la température est plus clémente. Ne comptant pas faire tous les détours du GR, je prends la route jusqu'à Bielsa afin de rejoindre directement la vallée de Pineta. Durant cette dernière partie un automobiliste s'arrête et me propose de monter, je lui explique ma démarche, et le gratifie d'un grand merci. Même si je refuse cela fait toujours plaisir.

Au milieu de cette magnifique vallée je m'arrête dans un camping. Après m'être installé et avoir pris une douche chaude, la première depuis quatre jours, je vais m'installer dans la grande salle de restauration. Là, rapidement, je comprends la raison de l'excitation générale, ce soir il y a Espagne France. Je constate que je suis le seul Français. Après avoir mangé, tout le monde se retrouve devant le poste de télévision. Je sens que ça va être chaud. Le match commence. Les Espagnols marquent le premier but, déclenchement de hurlements. Ça se calme, le match continue. Les Français égalisent, je marque ma joie en levant les bras. Une vingtaine de têtes à la mine sombre me regarde d'un air réprobateur, presque hostile. J'abandonne immédiatement mon sourire. Le match continue, les Français marquent une deuxième fois, toutes les têtes se tournent à nouveau vers moi, je fais bien attention de ne manifester aucun signe de joie. Le match continue, les Français mettent un troisième but, je fais comme si je ne l'avais pas vu, par contre tous les Espagnols s'en vont, il est vrai que nous sommes pratiquement en fin de partie. Lorsque presque tout le monde a déserté la pièce et que la partie s'achève effectivement, une vieille dame s'approche et me dit avec un fort accent belge «ah! c'est bien ils ont gagné». Il y avait donc au moins deux supporters dans la salle. Je rejoins ma tente tout joyeux, mais c'est sous une averse que je m'endors. Cela est un peu inquiétant, car l'étape de demain par mauvais temps cela risque d'être scabreux.

 

 

Seizième jour

 

Je me lève avec le jour, ayant bien l'intention de profiter de la plus petite fenêtre de beau temps. Tout est calme, mais à l'humidité dans l'air on sent bien que cela n'est que provisoire. Le décor est fantastique, ces trois vallées que sont Pineta, Ordessa et la Niscle représentent pour moi parmi les sites de montagne les plus beaux que j'ai vus dans ma vie. Et justement l'étape de ce jour me permettra de les côtoyer toutes les trois, si la visibilité se maintient. Les cinq ou six kilomètres de goudron sont rapidement avalés, presque au pas de course. Au niveau du refuge de Pineta, 90 degrés gauche et direction l'immense paroi à remonter pour accéder au col de Niscle, 1300 mètres plus haut. Il me faut d'abord traverser le rio Cinca en enlevant mes chaussures, et la montée débute. Le sentier est époustouflant, la pente démarre raide pour ne faiblir qu'au col. Immense moment de bonheur que de parcourir ce chemin aérien avec le soleil qui apparaît à l'horizon, tout baigné de teintes rouges qui ne sont pas annonciatrices de beau temps. Je suis seul, depuis le réveil je n'ai vu personne, même sur les kilomètres de route pas une voiture. Heureusement d'ailleurs car je crois bien que je me serais laissé tenté, tant je suis pressé de passer avant la pluie, au moins arriver au refuge de Goriz. Le plaisir prend le dessus, par endroits il est obligatoire de mettre les mains pour progresser. Parfois en regardant au-dessus on reste perplexe quant à l'itinéraire tellement le flanc de la montagne est escarpé. Mais au fur et à mesure de la progression un chemin toujours tracé se dévoile. La montée est rapide et le panorama s'élargissant à vue d'œil procure une sensation très agréable. Arrivée au col vers les huit ou neuf heures du matin. Le décor d'un côté sur Pineta et de l'autre sur la Niscle est très impressionnant. Malgré le temps qui évolue, je marque un arrêt pour profiter de ce spectacle rare. Le Gr11 plonge directement, tandis que mon itinéraire part sur la droite pour aller se faufiler entre des barres rocheuses sur les flancs du Mont Perdu. D'ici cela semble vertigineux, mais je sais que l'équipement facilitera grandement la tâche. Un peu avant le câble je croise trois personnes, dont l'une de toute évidence a été très impressionnée. Je me hâte car le temps se couvre et par temps de brouillard sur le versant sud du Mont Perdu ça devient ''paumatoire''. J'arrive au fameux passage contre lequel mon solitaire d'hier m'avait mis en garde. J'y croise un groupe de Français, originaires du Puy-En-Velay, la veille ils ont gravi le Mont Perdu. Bien évidemment il n'est question que du match de foot d'hier, car au refuge ils se sont sentis très frustrés sans télévision. On en profite pour rigoler un grand coup, puis avec empressement nous reprenons notre chemin.

J'aborde de grandes zones de pierriers dans lesquelles il est facile de perdre le sentier tout en gardant la bonne direction, lorsque la visibilité est bonne. Plus j'avance, pratiquement à niveau en tournant autour du Mont Perdu, plus la grande faille comme coupée d'un grand coup de sabre d'Ordesa prend de l'ampleur. Il me semble distinguer sur le versant droit de cette gorge grandiose la fameuse ''fara des flores'' sur laquelle je ne souviens avoir bivouaqué à côté d'un isard à moins que ce ne soit un bouquetin, en effet je garde le souvenir d'un animal de belle taille. Manifestement j'étais à un endroit qu'il affectionnait, car il ne voulait pas partir, à son corps défendant l'herbe était douce malgré l'altitude et le sol plat. Je me souviens aussi que dans ces grands à pics par endroits la densité d'édelweiss était telle qu'il n'était pas toujours possible d'éviter de les fouler. La pluie qui commence à marteler le sol me tire de ma rêverie. Me hâter d'arriver au refuge, pour le moment la visibilité est toujours bonne. Je prends réellement conscience que dans le brouillard dans ces parages, il faut coller à l'altimètre en espérant buter sur le refuge. Heureusement je ne suis pas acculé à ces extrémités. Enfin je l'aperçois. Je m'y engouffre, il est bondé. Il n'est pas loin de midi, je déjeune avec appétit, la matinée a été bien remplie. Le mauvais temps s'installe franchement, mais plus rien à craindre, un très bon chemin sans risque d'erreur va me permettre de descendre.

J'espère ce soir être sorti de ce lieu magnifique mais très touristique. Je parcours une quinzaine de kilomètres entre cascades et parois géantes, le tout dans une foule presque compacte et sous des cataractes avec de temps en temps le tonnerre qui se répercute entre les montagnes. Enfin j'arrive au parking, incroyable, il y a des centaines de voitures et de cars. Il faut bien reconnaître que le site est époustouflant par son gigantisme. Malgré la pluie je n'ai pu m'empêcher de scruter sous tous ses angles ce miracle de la nature. Heureusement que le brouillard ne s'est pas mis de la partie, le spectacle en aurait été vraiment affecté, et j'en aurais ressenti une grande frustration.

Une fois les aires de stationnement dépassées, vite m'éloigner, d'après ma carte un chemin se faufile sous la route. Je ne le trouve pas, donc encore 4 ou 5 kilomètres de goudron dans un trafic important. Une conductrice s'arrête pour me prendre et dans mon espagnol hésitant je lui répète que je veux aller de la Méditerranée à l'Atlantique uniquement à pied. Je la remercie et elle me gratifie d'un joli sourire.

Une fois arrivé à la naissance de la vallée d'Ordesa, je tourne à droite direction le nord, et j'abandonne le gros du flot de touristes qui prend la direction opposée. D'un pas alerte je remonte une gorge encaissée. Et là je tombe sur mon troisième arpenteur solitaire. Il s'agit d'un Anglais plus très jeune, élégamment habillé à la langue parfaite d'Oxford ou de Cambridge. En tous cas il parle très distinctement et la langue de Shakespeare dans ces conditions c'est un vrai plaisir. Il a une connaissance encyclopédique des montagnes françaises, et il agrémente sa conversation de petits éclats de rire francs et sonores. Il ne fait pas vraiment dans le flegme. A regret je reprends ma route , j'aurais bien passé la soirée avec lui à l'écouter me conter ses aventures alpestres.

Quelques kilomètres plus haut je tombe sur un petit camping très accueillant. Manifestement l'endroit a aussi eu sa ration d'eau aujourd'hui. Trouver une place pas complètement mouillée pour installer ma tente relève de la gageure. Pas grave, ma tente est bien étanche, trop d'ailleurs. Le restaurant est une merveille, le cadre et le menu ainsi que la gentillesse du personnel me ravissent. Quand je pense aux deux premiers solitaires rencontrés, je me rends compte que contrairement à eux je ne voyage pas à la dure et me laisse vite tenter par les petits plaisirs mis sur ma route. J'en aurai une autre preuve encore plus éclatante dans deux jours, en croisant un vieil Allemand. Je comprendrai toute la signification du mot Sparsamkeit (économie). Pour le moment sans complexe je m'empiffre de mets délicieux, charcuterie fine, légumes cuits juste ce qu'il faut, une magnifique côte bien épaisse et saignante, le tout arrosé d'un Rioja capiteux et fruité d'une belle longueur en bouche. Une fois le repas terminé, baigné d'une douce torpeur, j'essaie de me glisser dans ma tente sans trop me mouiller. Je m'endors sans doute vite , car je n'ai plus aucun souvenir de cette nuit.

 

 

Dix-septième jour

 

Je me réveille bien reposé mais passablement humide, l'air étant tellement saturé en humidité que par capillarité ou autre phénomène physique il a imprégné tous les tissus. Pas de panique, ce n'est pas ce matin que je peux faire sécher mes affaires. Deux possibilités, soit vers midi je me trouve à un endroit bien ensoleillé et au cours d'une sieste d'une heure j'étale le tout, à moins d'arriver relativement tôt cet après-midi et tout aérer à ce moment. Le temps est très beau, le ciel limpide, il fait frais, de bons critères de beau temps. L'étape de ce jour va être particulière sauvage. Je vais longer par le nord les sierras Turbon et Tendegnera ( j'écris gn à la place de n avec tilde, car mon clavier ne comporte pas ce signe). Je ne vais pas voir une seule personne de toute la journée. A vrai dire pour être précis j'apercevrai dans le lointain deux personnes en train d'atteindre le pic de Tendegnera.

Je commence par remonter la route une petite heure et je bifurque à gauche dans un magnifique vallon à l'herbe grasse et aux fleurs nombreuses. La fleur qui va m'accompagner tout au long de cette traversée c'est l'iris des Pyrénées au bleu mauve profond, sans oublier quelques exemplaires jaunes. Je suis encadré de belles faces rocheuses éclatantes parfois aux teintes très claires. Je distingue bien sur le bord droit du vallon le col que je veux atteindre. Je rejoins le petit refuge d'Otal, qui est un véritable taudis et à partir de là le chemin disparaît. Peu de temps auparavant j'ai bien vu quelques vagues traces rouges et blanches certes bien abimées mais bien réelles. Devant moi une pente raide de 500 mètres de dénivelé au-dessus de laquelle un replat semble conduire au col. J'attaque directement, l'herbe se met à glisser. Par endroits je rejoins de petites zones rocheuses qui me permettent de mieux me stabiliser, mais ce n'est jamais difficile bien que les cent derniers mètres deviennent très raides. Comme par miracle je débouche sur un petit replat où une sente mène au col. Un fois arrivé à ce lieu de passage, j'embrasse du regard toute la Sierra Telegnera. Immenses parois calcaires sombres presque noires couvertes de stries horizontales, quelle austérité cette chaîne dégage ! Comme tout grimpeur j'essaie d'imaginer des itinéraires dans ces murs lugubres, rarement montagnes m'ont inspiré cette sorte d'effroi. Il fait bon, j'ai bien avancé je m'octroie une pause dans cet endroit enchanté entouré de roches de toutes les couleurs, cela me rappelle un lieu magique côtoyé comme dans un rêve en Afghanistan.

Par un temps qui se maintient au beau fixe, j'entreprends la descente d'un immense vallon, d'abord à travers pierriers puis par une sente qui serpente dans l'herbe et les cailloux. Au-dessus de moi en permanence les grandes faces sombres striées en forme de pelles de la Sierra Telegnera jettent un regard froid. Une petite stèle adossée à un rocher rappelle la mémoire d'un jeune Anglais qui a voulu dompter ses murs froids. Et toujours pas âme qui vive dans cette nature grandiose. Un petit refuge en bord de chemin montre le même état de saleté que ceux croisés jusqu'à maintenant. L'altitude diminue et la chaleur augmente. Vers les quatorze heures je quitte le royaume désert de la montagne pour me trouver subitement précipité dans le monde bruyant des hommes. Sans transition ou presque je passe des prairies fleuries à une grande carrière surchauffée dans laquelle de nombreux camions soulèvent des nuages de poussière. Me voilà sur le bitume et en quelques kilomètres sous une chaleur torride je rejoins la petite ville d'Escarill. A l'entrée de l'agglomération je m'assois à l'abri dans le premier bistrot. Je commande une grande bière. Le serveur est un grand noir avenant, et bien évidemment la conversation s'engage au sujet du prochain match, France Brésil. Il est sceptique sur la capacité des Français à triompher de cette équipe mythique, bien qu'ils aient déjà joliment réussi cet exploit en 1998 par 3-0 en finale. On verra bien, l'épreuve se déroule dans deux jours. Pour le moment je reprends la marche et traverse cette petite ville endormie sous la chaleur d'un soleil vertical. A l'extrémité nord de cette cité, un grand camping étale sa multitude de mobil homes et de grandes tentes. Une place m'est indiquée, j'y déploie mes affaires, qui vont sécher rapidement. Ma tente montée ressemble à un microbe au milieu de mastodontes.

 

 

Dix-huitième jour

 

Très bonne nuit, aucun bruit, le camping est presque désert, pourtant le mois de juillet n'est pas loin et vu les infrastructures nous sommes dans une région touristique. Peut-être cette ville sert-elle de dortoir au profit de la petite station de ski traversée hier ? Ce matin tout est très sec, ayant dormi tente grande ouverte la condensation est faible. Temps superbe, il me faudra vite quitter ce fond de vallée avant la chaleur. Le temps moyen et froid que j'ai eu jusqu'à présent m'a rendu l'entreprise plus facile. En effet, souvent au cours de narrations concernant le versant sud des Pyrénées ce qui ressort c'est la chaleur présentée comme un facteur de souffrance. Au moins je ne peux pas dire la même chose. Sac rapidement bouclé j'abandonne le camping encore endormi. En quelques centaines de mètres une piste matérialisée sur ma carte est atteinte. Elle suit une petite rivière au pied d'une barre rocheuse. Plein d'espoir sur la beauté des kilomètres à venir, à l'idée que le chemin passe en plein dans cette jolie falaise. Je traverse le cours d'eau sur un barrage. La sente devient minuscule et puis elle disparaît complètement. J'insiste, et commence à escalader des rochers moussus dans une forêt d'arbustes agressifs. Après une demi-heure de bagarre, trempé de sueur et constellé d'épines de toutes sortes je fais demi-tour. De toute évidence pas de chemin. En regardant la falaise qui me domine, je me dit que si un itinéraire s'y faufilait j'en verrais bien quelques traces. Quand on ne sent vraiment pas la chose il ne faut pas s'entêter et avoir le courage de tout reprendre à zéro. Donc je rebrousse chemin et me retrouve devant mon camping une heure plus tard. Une route étroite et tortueuse part à l'ouest et me permet d'avancer dans le flanc de montagne qui doit me donner accès à un grand lac. Donc pas de panique, en faisant un azimut brutal plein ouest je tombe forcément sur ce plan d'eau de belle dimension. La route bifurque au sud, je pars plein champs dans des pentes raides. Je rejoins le lit aride d'un petit torrent qui me permet de déniveler rapidement malgré l'instabilité du sol. J'atteins un collet, duquel un vaste panorama se découvre. Ouf! mon lac est bien là. Mais au fond presque à l'infini je distingue le col par lequel je compte passer. La distance m'apparait énorme, un instant de doute me saisit, d'autant plus que je dois commencer par faire le tour du lac, qui fait quelques kilomètres. Comme toujours dans ces moments de doute, en écartant les doigts sur la carte, je me rassure en constatant que mon col est à moins de dix kilomètres topo. Ce serait bien le diable si en trois heures de marche rapide je n'y arrivais pas. Le calvaire du contournement commence, pas trop mal, même plutôt bien jusqu'au barrage, où je m'arrête pour contempler quelques poissons. Mais une fois de l'autre côté une sente boueuse inclinée vers le lac et complètement défoncée par les troupeaux de vaches va me donner le plaisir d'une bonne partie de glissades et de ''tordages'' de chevilles, toujours avec le risque de piquer au mieux une tête dans la boue et au pire la bouse. Enfin le supplice prend fin. Le collado de Escarra du haut de ses deux mille trois cent et quelques mètres semble déjà plus près. En deux petites heures avec parfois des doutes sur l'itinéraire, j'y suis. La dernière demi-heure est interminable à me casser les mollets sur de grosses mottes de terre. Ces Sierras espagnoles sont absolument magnifiques, jaillissements minéraux sauvages. Aujourd'hui encore je n'ai pas aperçu un être humain, seulement de loin de nombreuses vaches, mais à part cela pas un être vivant mis à part quelques grands oiseaux. Des rochers aux formes étranges ornent les crêtes qui m'entourent. Le contraste entre les fonds de vallons verts et fleuris et ces crêtes arides et déchiquetées est frappant. La rapidité avec laquelle on passe d'une ambiance à l'autre est aussi source d'étonnement.

Encore une immense vallée se présente à moi. Quelques deux kilomètres plus bas je retrouve le Gr 11, mais pas plus de monde. La gorge se resserre en ondulant, ce qui est du meilleur effet esthétique. La grande vallée perpendiculaire conduisant au Somport n'est plus très loin. Un peu avant de la rejoindre, le Gr 11 d'après ma carte tourne à droite en restant en hauteur. J'en perds la trace et me dirige vers un petit fort gardé par des militaires en armes, afin de me renseigner. Ils n'ont pas l'intention de me parler et me signifient sans ambigüité de m'arrêter à distance. Assurent-ils la protection d'explosifs, me prennent-ils pour un représentant de l'ETA prêt à remplir mon sac de pains de dynamite? Le problème du terrorisme est bien réel en Espagne, j'obtempère immédiatement et m'éloigne. Mais alors où passer? Une route part plein sud rejoindre la vallée mais quel détour pour moi qui remonte au nord. Le fort est sur un terre-plein duquel en contre-bas je vois le Rio Aragon. En piquant directement , je peux le rejoindre en une centaine de mètres. Mais c'est raide et instable. Dans ma jeunesse j'étais champion de course sur pierriers pentus, c'est le moment de voir si j'ai perdu le sens de l'équilibre au milieu d'un flot de caillasses dégoulinantes. C'est parti, je reste debout et j'y mets tout mon honneur, car du haut de leurs remparts les militaires m'observent, donc il n'est pas question de m'étaler. Ça se maîtrise bien, de plus la taille des cailloux augmente, ce qui améliore les appuis et hop je me récupère en-bas, et les têtes sont toujours là-haut. Je leur tirerais bien la langue tout heureux de ne pas leur avoir donné la joie de m'étaler tout au long de cette pente sévère.

Un sentier comme je les aime en bord de rivière, protégé du soleil me remet en direction du col du Somport. De temps à autre des raidillons en caillasses raides et brûlantes me font suer. Et là, dans un passage en plein soleil je rencontre mon quatrième solitaire. Il ne s'agit pas d'un ''traverseur'' de Pyrénées, mais d'un pèlerin vers Saint-Jacques de Compostelle par la voie du Somport. Il est d'âge avancé, à mon sens au moins soixante dix ans et de nationalité allemande. Son matériel semble dater de Mathusalem, et de toute évidence il peine sous la charge et la chaleur. Nous engageons la conversation, il m'explique sa démarche. Je perçois toute la force des mots Sparsamkeit et Armut (économie et pauvreté), lorsqu'elles sont subies volontairement. Cet homme dégageait une force et une sérénité dans son adversité, j'en suis resté tout chaviré. Manifestement nous ne faisons pas tous les mêmes voyages! Au contact de tels êtres j'ai presque honte de ce que je fais. Faut-il pratiquer le voyage en faisant vœu de pauvreté pour toucher au sublime, peut-être ? Cela demande-t-il beaucoup de courage ou une grande foi ? Peut-être les deux ? Ce contact restera gravé en moi de façon indélébile, pourtant nous n'avons pas parlé plus de cinq minutes. De la vertu des chemins que l'on ne trouve pas. Moi, le touriste pressé à la démarche stakhanoviste je repars un peu ébranlé. Plongé dans mes pensées, j'arrive devant un ouvrage de captation qui laisse couler un grand jet frais. Je m'en arrose et bois à satiété. Peu après, en faisant un court détour j'arrive à un petit camping perché, il est adorable et, comble de bonheur, je suis le seul client. Je m'installe dans l'herbe constellée de fleurs, que demander de plus ? Je rejoins le petit bistrot et le patron me raconte une multitude de choses, que j'écoute religieusement en descendant quelques bières. J'essaie de ne pas trop penser au vieil Allemand pour ne pas avoir mauvaise conscience, mais la bière fraîche c'est quand même bon. Dans la conversation, je lui demande s'il fait à manger. Il me répond par la négative mais il me vante la qualité du Parador qui se trouve un ou deux kilomètres plus bas. Entre ma purée soupe et une petite marche à pied, mon cœur ne balance pas longtemps, en avant. Ce monumental bâtiment de l'époque franquiste me fait penser à certains pays ex-communistes. L'accueil est très correct, le personnel stylé, le menu offre un large choix et la nourriture est de qualité et le Rioja toujours aussi facile à boire, le tout pour un rapport qualité-prix imbattable et sans doute introuvable en France, qui n'est pourtant pas loin. Donc une fois encore je m'en mets plein la lampe et, la nuit bien avancée, tout guilleret, je rejoins ma tente.

 

 

Dix-neuvième jour

 

Les montagnes qui dominent le camping sur le versant opposé sont extraordinaires. Hier du fait du contre-jour, je ne les avais pas vraiment vues telles qu'elles sont. Aujourd'hui toutes éclairées par le soleil du matin, elles montrent une multitude de recoins, et leurs formes tourmentées et acérées montent à l'assaut du ciel. Jusqu'au col du Somport, c'est à dire durant une petite heure je suis sur le sentier de Compostelle en sens inverse. Je croise donc quelques pèlerins, dont un, un peu excentrique, qui commence à me questionner et à noter mes réponses. Aïe aïe aïe ! je suis loin de mon vieil Allemand économe entre autre de ses paroles. Les installations du col sont vastes, je les traverse et poursuis plein ouest par le Gr11. La marche est agréable. Le chemin fait un immense détour au fond d'une gorge boisée. Un peu avant le lac d'Estanes, je rencontre mon dernier solitaire. Encore un Anglais qui suit la HRP. La traversée du pays basque avec vingt mètres de visibilité dans un terrain sans point vraiment caractéristique lui a laissé un souvenir profond. Le contournement du lac est pittoresque et très agréable. Je débouche à un petit collet et pris par le rythme, mon attention focalise une trace qui va m'éloigner de l'itinéraire. Je traverse un pierrier sous une barre rocheuse. Il semble qu'une vire la parcoure une cinquantaine de mètres plus haut. Des fois on prend ses désirs pour des réalités. Le chemin doit être sur cette vire. Je remonte une pente caillouteuse raide et attaque la paroi. Les pieds sont en adhérence et il faut me tracter avec les bras, mais je continue. Une pierre siffle. Je lève la tête et vois une harde d'isards sur une pente à ma verticale qui me lance des pierres. Je reprends mes esprits. Mais qu'est-ce que je fais en train de faire de l'escalade à la recherche du Gr ? je fatigue !!! Je redescends en faisant attention. De toute évidence au collet j'ai loupé l'itinéraire qui devait plonger devant la grosse pierre que j'ai contournée. Mais je ne fais pas demi-tour. Je continue sur le pierrier précité et j'oblique vers la falaise au-dessus de laquelle je me trouve pour essayer d'y trouver un passage. Une gorge profonde et très pentue donne accès à la large plaine que je dois suivre. Les premiers mètres presque verticaux sont en terre avec quelques végétaux, puis j'aborde des rochers très raides mais d'excellente qualité, encore de l'escalade mais les prises sont franches. Un petit passage vertical et un dernier pas nécessitant de s'étirer au maximum, et pour moi qui ne suis pas souple c'est le calvaire, et enfin je prends pied au fond de cette gorge austère et rejoins l'herbe. Il serait temps que je fasse un peu plus attention, ne pas être capable de suivre un chemin somme toute bien balisé, il y a du souci à se faire. Là encore l'erreur m'a fait parcourir des recoins très jolis. Je descends cette large vallée, orientée au nord, peuplée de vaches s'égayant au milieu de zones marécageuses. Je croise de nombreux promeneurs. Coude à 90 degrés gauche vers l'ouest, un petit à pic et au-dessous une piste au terminus de laquelle de nombreuses voitures s'entassent. Durant cinq ou six kilomètres je la suis. Elle est poussiéreuse et exposée en plein soleil. Le rendement baisse et je fais un sérieux effort pour avancer. Arrivé au bout de cette vallée, le chemin part plein ouest. Je suis la route, orientée au sud, qui descend trois kilomètres plus bas à un camping. Un peu avant d'y arriver une source jaillit d'un rocher. Je me mouille la tête et bois largement. Une fois au camping, le coin est délabré et à l'abandon. Une très mauvaise sensation me submerge, ce lieu m'est très hostile. Bien qu'il soit seize ou dix-sept heures, marche arrière et je retourne chercher le chemin et pars directement sur l'étape suivante. Incroyable, l'esprit mobilisé par l'étape nouvelle, la fatigue disparaît et je me sens comme neuf. Une fois de plus je perds mon itinéraire, attiré dans le vallon qui conduit aux aiguilles d'Ansabère. Un berger me confirme l'erreur. En tirant directement dans la pente plein sud et en gardant le cap parfois à la boussole tellement ce vallon à tendance à me ramener trop à droite, je finis par retrouver le bon vallon et le col de Petraficha. La lumière est extraordinaire, le temps change, un orage se prépare, que la montagne est belle dans ces conditions, surtout lorsqu'on est seul. Du col, la Sierra d'Alano se dévoile dans toute la splendeur de ses multiples faces blanches. Je vis un grand dépaysement sur ce chemin. Je passe un petit refuge dans lequel un jeune couple se prépare à passer la nuit. Il est sordide et son état lamentable me dissuade de m'y arrêter. La pluie arrive, je presse le pas. Le village de Zuriza n'est plus qu'à quelques kilomètres. Je fonce tant que je peux sur la piste. La pluie s'accélère et à nouveau de véritables trombes. Je vais faire quelque chose à ne pas faire. Un petit pont, je m'abrite dessous. J'enlève mon sac mais je guette en amont si le flux d'eau n'augmente pas brusquement, ayant repéré une petite pente pour fuir à la première alerte. Effectivement le niveau monte mais de quelques centimètres seulement, enfin le déluge s'interrompt. Je reprends la piste et arrive dans le village. Je m'imaginais au bout du monde et bien non, une foule compacte se presse au camping. Mais d'où sortent-ils? En trois heures de marche je n'ai vu que quatre personnes en comptant le berger. De toute évidence c'est un lieu prisé des Espagnols. Une fois encore je m'installe sur un terrain complètement détrempé. Mais que la région est jolie, des près bien verts couverts de fleurs, et le tout entouré de magnifiques montagnes bien rangées en ligne, toutes brillantes de pluie sous le soleil du soir. Vite une télé, c'est France Brésil! Un chahut incroyable dans une immense salle, la plupart n'étant plus intéressés depuis l'élimination de l'Espagne, mais tout le monde passe et repasse les bras chargés de nourriture et de gros bocks de bière. Dans le fond j'aime bien ces foules bruyantes secouées de gros rires. Il n'est pas toujours facile de suivre dans ce mouvement permanent le déroulement de la partie.

 

 

Vingtième jour

 

Une journée magnifique s'annonce. Vite sur pied, c'est parti pour la journée. Mais d'où sortent tous ces gens. Au collet où je dois quitter la route à quelque distance du camping, de nombreuses voitures stationnent. Le chemin commence à grouiller de randonneurs. Bien que cette partie de l'itinéraire semble très jolie, une petite route à l'allure plus calme la contourne. Je n'hésite pas longtemps, et c'est comme cela que je parcours quelques kilomètres de goudron avant de plonger dans une jolie gorge en sous-bois, qui me conduit à la charmante petite ville d'Izaba. J'effectue un arrêt sur la place centrale, où des enfants s'amusent. La fontaine est la bienvenue. A la sortie de l'agglomération un sentier pentu mène à l'église ''Nusestra Senora de Idoia''. Nous sommes le premier dimanche de juillet, et c'est le jour de la procession annuelle. De nombreux croyants en habits traditionnels montent à la petite église. J'y pénètre et dépose mon obole. Ce que je n'avais pas prévu, c'est que ma pièce provoque le déclenchement de la lumière , qui éclaire vivement l'espace qui sans cela reste sombre. Moi qui voulais passer inaperçu, c'est loupé. Je ne m'attarde pas. Dès que le mur d'enceinte est dépassé, comme par enchantement je retrouve la solitude qui m'a accompagné sur la majeure partie de ma traversée. Le chemin parcourt une magnifique forêt escarpée, composée d'arbres à feuilles caduques. Le col de Kakueta est atteint. Là, plus de doute le pays basque commence. D'un coup la fin me semble approcher. Les crêtes s'arrondissent et s'adoucissent. La vue se dégage presque jusqu'à l'infini. Le Pic d'Orhy, pyramide culminant à 2017 mètres, marque l'entrée dans la dernière ligne droite, signe psychologique fort que j'attends depuis le départ de Banyuls. Pour le moment il se situe au nord-ouest par rapport à ma position. Au cours d'une marche enthousiaste orientée à l'ouest le long d'une piste entourée de pinèdes, il va se positionner plein nord puis il se déplace vers l'est. Ce mouvement apparent du Pic d'Orhy que je dépasse me procure un immense plaisir, la vie dans le fond c'est pas trop compliqué! Une grande descente donne accès au village d'Ochagavia. Petite bourgade à l'architecture carrée. Les maisons sont magnifiques, massives et bien entretenues. Les portes souvent ouvertes laissent voir des intérieurs raffinés, de jolis meubles en bois et de magnifiques plafonds à la française, dont les poutres bien entretenues donnent un réel cachet à l'ensemble. Je demande si un magasin d'alimentation est ouvert, il m'est répondu «hoy domingo». J'avais oublié. De plus, pas de camping, alors c'est forcé et contraint (tout du moins ma conscience est sauve en pensant au vieil Allemand) que je me dirige vers un charmant petit hôtel au bord de la rivière près du centre. Il est bien dans le style des intérieurs aperçus, cossu et de très bon goût. Toutes les prestations sont de qualité et le prix modique. Un groupe d'Anglais lancés dans la traversée des Pyrénées à vélo y séjourne aussi.

 

 

Vingt-et-unième jour

 

Un petit jour triste et brouillardeux se lève. Je n'y couperai pas à la navigation au radar. De plus à partir d'aujourd'hui j'abandonne mes cartes confortables au 50 000 pour passer à la 100 000 de l'IGN numéro 69. Après un copieux petit déjeuner je m'enfonce dans les brumes. Tout relief a disparu. Sans difficulté je rejoins le monastère qui domine sur une petite crête. Puis en avant vers la Sierra de Abodi, vaste croupe orientée est ouest. Un large chemin non mentionné sur ma carte coupe cette montagne à mi-pente. Le Gr le suit. Mais après une bonne heure de marche cela me semble bizarre, j'aurais dû commencer à monter vers le sommet. De toute évidence je l'ai encore perdu. Je fais marche arrière jusqu'à un petit bois et là, la progression à la boussole commence. Les joies du pays basque. Je ne devrais pas tarder à intercepter la crête et en la suivant je devrais couper le chemin. Je n'aurai pas la peine d'atteindre le sommet, je tombe sur un piquet peint aux sacro-saintes couleurs rouge et blanche. Mais une fois de plus l'erreur m'aura été bénéfique. En effet dans un champ, je suis tombé sur des vautours. Au sol ils ressemblent à de gros dindons à long cou. Mais dès qu'ils déploient les ailes et prennent leur envol le spectacle est de toute beauté.

Une fois au sommet de cette sierra, le brouillard se déchire par intermittence, ce qui me permet de voir l'immense pan de forêt à descendre. A nouveau le balisage m'échappe, ce n'est pas grave car une rivière et un grand lac doivent me servir de barrière d'arrêt. Dans mon sac, toutes mes affaires sont réparties dans des sachets de congélation de différentes tailles, je dois même pouvoir traverser une rivière à la nage sans mouiller grand chose, mais enfin si possible éviter et localiser le pont. Je retrouve la petite route qui conduit au point de franchissement. Je tombe dans une clairière sur une belle poussée de cèpes de Bordeaux, oui des vrais boletus edulis. Malheur, que faire ! Je ne peux les ramasser, durant la vingtaine de kilomètres que je compte encore parcourir ils seront réduits en bouillie. Il paraît que cru c'est bon, c'est l'occasion d'essayer. J'en repère un joli bien ferme et je le croque à pleines dents. Au début on sent bien ce fumet subtil et fort du cèpe, mais rapidement la consistance en bouche donne une sensation de mélasse un peu cartonneuse difficile à mâcher. Je n'aurais peut-être pas dû en engouffrer un si gros morceau. Mais j'arrive au bout de mon champignon, et en attaque un second. Là par contre, je vais déclarer forfait avant de l'avoir terminé. La mort dans l'âme j'abandonne le reste de la petite troupe à gros pieds. Je me dis qu'ils feront peut-être la joie d'un chercheur, s'il ne tarde pas trop.

J'arrive au pont, traverse et longe la rivière jusqu'au lac. Je croise quelques promeneurs. Le brouillard retombe de plus belle. Le chemin suit un bras du plan d'eau, qui vient tangenter la frontière. Cinquante mètres de visibilité c'est rigolo, mais pas trop longtemps. Soit je reste sur le Gr 11 et ses mille mètres d'altitude dans la purée de pois, soit je pique sur la France et rejoins le village d'Estérençuby dans la vallée. Option France, je passe par dessus une clôture à vaches et me retrouve sur un petit parking. Plusieurs voitures stationnent. Toutes les plaques d'immatriculation sont françaises, c'est le seul indice qui me confirme que j'ai changé de pays. Le brouillard, lui il s'en fout de la frontière. Par une petite route, encombrée de belles grosses vaches blanches, qui serpente au fond d'une petite dépression je progresse vers le nord. La visibilité baisse de plus en plus. Des points de repère caractéristiques de la carte à proximité de la route restent invisibles. Avec la multitude de courbes je ne me situe plus exactement et pourtant je voudrais bien intercepter le Gr10.

Enfin je le vois. Sans encombre il me conduit au village. Par beau temps ce parcours sur de grosses bosses doit être sublime, mais cet après-midi les yeux rivés sur de l'herbe mouillée et glissante dans un paysage fantomatique, ce n'est pas ce qu'il y a de mieux. Ne nous plaignons pas, l'ambiance n'en est pas moins superbe avec son petit côté mystérieux qui cache tout au regard. Imaginer sans voir laisse libre cours à tous les phantasmes. Arrivée dans le village, il fait sombre, les maisons serrées dans le brouillard sont presque lugubres. Un petit hôtel, je m'y précipite. Un pur et dur, qui commence une traversée s'est installé au bord de la route, je suis bien content de ne pas faire de même. Ce soir encore, une équipe de cyclistes, français cette fois, est engagée dans la traversée des Pyrénées. Ils espèrent mettre une semaine.

 

 

Vingt-deuxième jour

 

La météo ne prévoit aucun changement pour les jours à venir, brouillard à partir de 600 mètres d'altitude. Pas de problème j'ai toujours rêvé longer la Nive, car cette rivière comme l'Adour m'a toujours intrigué. Donc je rejoins Saint-Jean-Pied-de-Port et de là je longe la rivière. Déception, pas de chemin, je suis acculé à rester sur la route tout au long jusqu'à Combo-les-Bains. Et là, première semaine de juillet le flot des touristes a commencé. Dans un vacarme permanent je vais rejoindre cette station thermale et d'un coup l'envie s'en va pour de bon. J'ai vraiment quitté les Pyrénées. Rejoindre les plages,et les remonter au milieu des baigneurs avec mon piolet dans le dos, c'est une histoire à me faire mettre la camisole de force et terminer chez les fous. Dans le fond j'ai bien fait de ne pas ''gâcher'' cette superbe balade Biarritz Arcachon par le bord de mer, car je la ferai avec un camarade en février 2008 et nous avons passé cinq jours superbes sur des plages désertes et durant des bivouacs sous la gelée blanche. L'étape jusqu'à Combo est longue, le goudron ça finit par casser les pattes. Pour la première fois en trois semaines j'ai des courbatures. La fin du parcours se fait sous la pluie. Cette nuit encore l'hôtel, monter la tente sous des trombes je n'en ai pas envie. Un coup de téléphone pour consulter les horaires de train, et demain en trois changements je rentre chez moi.

 

En conclusion je dirai qu'en écrivant ce récit avec deux ans et demi de recul, je suis étonné de la fraîcheur des souvenirs que j'en conserve. Sans doute le fait d'être seul y est pour quelque chose. En effet en montagne sans compagnon, on est plus exposé aux aléas et l'accident peut être beaucoup plus lourd de conséquences. Instinctivement on intègre cette situation et les sens sont plus en éveil. Cette concentration accrue favorise un meilleur contact avec la nature, et nous imprègne au delà de ce que l'on pense. Bien sûr je ne ferai pas l'apologie de ce genre de pratiques, qui ont leurs inconvénients et qui sont souvent réprouvées, normes de sécurité obligent, cependant ces grandes balades en solitaire en montagne apportent beaucoup. Partir seul et durant trois semaines, n'avoir à s'occuper que de soi et focaliser toute son attention au point de vue matériel uniquement autour de la dizaine de sacs de congélation que l'on transporte dans son sac à dos, représente un immense repos de l'esprit. Pas de voiture, pas de papiers envahissants, personne avec qui négocier, pas de perte de temps à retourner une masse d'affaires. On ne possède que le strict nécessaire, les déballages et les rangements ne prennent pas de temps. On se sent comme affranchi d'une dimension matérielle, cependant se sachant autonome. Si j'aime partager des joies en montagne devant des paysages fantastiques et faire découvrir les lieux que j'aime, m'y trouver seul m'apporte une émotion qui m'est vitale.

 

 

27/01/2009

Tour des Annapurna et Katmandou

IMGP4826.JPG 

Un voyage en groupe, un voyage de presque un mois, c'est une longue période. Lorsque le groupe est constitué de 11 personnes cela fait 22 paires d'yeux et 22 paires d'oreilles sans compter tout le reste, un nombre considérable de capteurs surtout dans un pays comme le Népal , alors comment rendre compte de tout ce qui a été vu, entendu, senti, ressenti, alors que les activités y ont été denses et variées? IMGP4628.JPGVisite de la capitale sous toutes ses coutures ou plutôt sous tous ses monastères et autres dieux en particulier Ganesh pour n'en citer qu'un , mais pas le moindre, puisque c'est le dieu des voyageurs et de la sagesse, les trajets aller et retour de Katmandou au lieu du trek, la manière de conduire pour le moins surprenante pour ne pas dire inquiétante. Cette conduite automobile me rappelle un vieil Albanais de langue grecque que je conduisais sur des routes tortueuses et vertigineuses, et qui à chaque virage murmurait ''siga siga'' (doucement doucement en grec) en se signant. Mais entre la manière de conduire dans ces deux pays il y a une différence non négligeable, même si les Albanais comme les Népalais roulent n'importe où, et même si la visibilité n'est pas un élément vraiment pris en compte lors d'une décision de dépassement. La différence de taille provient tout simplement du fait que, contrairement aux Népalais les Albanais roulent souvent à fond la caisse!!! Je reviens à l'énumération des activités : un trek de 18 jours autour des Annnapurna véritable dépaysement avec cette végétation qui s'étage de la jungle au désert de cailloux et de neige en passant par de belles pinèdes qui font penser à la Haute Provence au Vercors ou à la vallée de la Durance, et puis cette plongée dans l'architecture locale différente d'un vallée à l'autre au gré des ethnies qui peuplent ces hauts lieux, et ce foisonnement de sites religieux, et encore cette foule constante que l'on côtoie en commençant par notre guide, ses adjoints, nos porteurs et ceux des autres, les autochtones de tous genres, et l'immense sarabande de trekkeurs comme nous, coulant tel un immense fleuve à jet continu au milieu d'une multitude hétéroclite de charges en mouvement à deux jambes ou quatre pattes, les premières étant souvent plus volumineuses et plus lourdes que les secondes.

 

Après cette première impression jetée à la volée comment faire un compte-rendu dans lequel les 11 protagonistes puissent s'y retrouver? En effet chacun de nous est venu avec son acquis, a vécu son voyage , en apparence même si nous avons à peu près tous fait la même chose, chacun en fonction de sa sensibilité, de sa forme du moment, de son rapport aux autres, de ce qu'il recherche dans la marche, de ce qui l'attire en montagne , en fonction de ces quelques facteurs et de bien d'autres a fait son propre voyage qui lui colle à la peau plutôt à l'âme de façon très intime. Alors comment dans ces condition relater une histoire forcément complexe et multiforme et se faire le porte-parole d'une bande, surtout lorsqu'elle recèle 10 Basques, sans risquer les foudres rédemptrices?

 

Bien entendu, il serait théoriquement possible de relater l'ensemble des anecdotes et petites misères vécues par chacun, ce qui mettrait des petits cailloux tels ceux du Petit Poucet pour baliser la piste népalaise, où chacun pourrait voir remonter à fleur de mémoire les émotions qu'il a éprouvées à tel endroit ou à tel moment. Cela semble cependant difficile à moins d'écrire à 22 mains, alors là on n'est pas sorti de l'auberge, surtout qu'elle serait vraiment espagnole, on n'y trouve que ce qu'on y amène, mais après tout pourquoi pas ? Peut-être commencer à écrire à deux mains une première trame, que chacun enrichira de ce qu'il a vécu et de ce qu'il veut bien écrire sur ses camarades, petites vacheries ou petites rigolades, par exemple en vrac, le pied dans la bouse, pour ne pas dire plus, bien collante au mauvais moment, la belle gamelle au réveil sur la glace, le litre d'eau dans le duvet, la grosse raclée du gnome à la belote, la traversée de la passerelle abhorrée pendant que quelques gros méchants la font balancer en rigolant bêtement, le gros piment qui emporte la bouche à faire pleurer, la vilaine insomnie qui pousse à faire son sac à une heure du matin, le lamentable incident de Spaghetto qui comme son nom ne l'indique pas était allemand, Ganesh en folie, la reine du marchandage à qui l'on propose un petit coup de marijuana et qui refuse, la chaussure qui gratte un peu trop le pied au point de l'ouvrir à grands coups de couteau, le manque d'appétit ou de sommeil en altitude, le gros coup de bambou passager, la découverte des cochons et la passion presque charnelle qui s'en suit, la fixation sur le net et la chute du CAC 40, une petite biture et Bali Balo devant des Népalaises hilares. Manifestement on se rend compte que tout le monde peut en prendre plein la poire et même avec du rab en se creusant un tant soit peu les méninges.

 

La question est de savoir si un compte-rendu de voyage doit être un règlement de compte envers ses petits camarades, sources de frustration et de désagrément ? Je ne le pense pas, surtout que je n'ai pas ressenti de tensions particulières IMGP4633.JPGdans l'équipe que nous formions. Alors peut-être devrions-nous demander à la belle Alsacienne accorte et prolixe, rencontrée sur le chemin du lac Tilicho de nous initier au conflit de groupe, car elle en a vécu plusieurs. Expérience manifestement désagréable puisque cela la motive pour partir seule dorénavant.

 

Tout simplement, je vais relater ce que j'ai ressenti au cours de ce voyage, au fur et à mesure de notre cheminement. Je vais au maximum mettre des noms de lieux et des dates, ce qui servira de bornes métriques et temporelles. Cependant les impressions décrites et les pensées qui me traversent l'esprit au gré des émotions et des situations me sont sans doute très personnelles et tous ne s'y retrouveront pas. Je dirais même pire, certains endroits que j'ai trouvés superbes comme cette grande plaine caillouteuse, venteuse et poussiéreuse m'ont procuré beaucoup de plaisir, ce qui n'a pas été le cas de tout le monde, vu les remarques entendues. J'expliquerai peut-être pourquoi. Sans doute un peu et c'est un début de réponse, car j'ai fait mienne la formule de Kasansakis « Un jour où je n'ai pas souffert est un jour où je n'ai pas vécu». Après ce préambule quelque peu verbeux je me lance dans une tentative de narration de notre périple.

 

29/09/08

Tout a commencé non par une nuit sans lune où David Vincent avait perdu un chemin que jamais il ne trouva, mais par un regroupement à l'aéroport Charles de Gaulle. Un trajet par Quatar Air lines avec une escale à Doha. Trajet qui nous a semblé long.

 

30/09/08

Un atterrissage à Katmandou en fin d'après-midi. Tous les yeux aux hublots à essayer de percevoir les géants de la terre et aussi un petit coup d'œil vers la ville pour s'en faire une première impression. Elle est immense, une multitude d'habitations, aux formes géométriques et de petite dimension de couleur terre, se pressent et s'entassent les unes sur les autres. On se croirait dans un film d'anticipation où l'on crée par images de synthèse des villes du futur replongées dans la préhistoire où tout s'enchevêtre dans une espèce d'abandon accentué par l'accumulation des siècles d'anarchie. Cette première impression est fugace, le temps d'un virage, puis l'avion ayant redressé pour s'aligner sur la piste le blanc de l'aile est le seul spectacle. Un fois débarqués, les formalités sont assez rapidement effectuées. Tout de suite le calme de la IMGP4707.JPGpopulation nous frappe. Les policiers et autres douaniers sont souriants et n'ont pas un mot plus haut que l'autre. Cependant nous ne pouvons nous empêcher de sourire en voyant la destination des photos qui nous sont demandées. En effet nombre d'entre elles jonchent le sol d'un bureau. Les méandres paperassiers de toute bureaucratie sont sans doute les mêmes partout sur notre planète. Mais bon, ne critiquons pas, tout s'est passé dans le calme et en un temps court. Une fois hors de l'aéroport, la foule dense des pays asiatiques est bien là. Au-dessus de la couche de pollution apparaissent dans le soleil couchant de grandes dents enneigées. Notre guide nous attend et le traditionnel collier de petits œillets oranges nous est mis à chacun autour du cou. Le premier contact est agréable et tout de suite nous sentons la confiance que nous pouvons apporter à Nepal Trek Ecology. Cette impression ne fera que se renforcer au cours du voyage.

 

Les bagages chargés, nous partons pour notre hôtel. Premier étonnement on conduit à gauche. La circulation est très dense, foule de voitures, motos, vélos et piétons. Plus nous rentrons dans la ville, plus le trafic est dense, les distances de sécurité et de croisement sont ajustées au centimètre. Cela fait une drôle d'impression. Le paroxysme se produit à quelques cent mètres de notre destination, un bouchon incroyable où vélos piétons et motos constituant le gros de la masse nous immobilise une demie-heure pour faire le simple tour d'une minuscule place qui tient lieu de rond-point. Fourmillement inconcevable, impression accentuée par une panne d'électricité qui plonge l'endroit dans une pénombre prononcée, de laquelle, seuls, sortent les phares des véhicules. Ce grouillement anarchique se passe dans le calme, pas un cri pas une contestation, des ombres calmes, résignées, habituées se faufilent avec leurs deux roues dans cet invraisemblable enchevêtrement. Sur les motos souvent trois personnes, un homme une femme et un enfant. Ce dernier endormi en se cramponnant à sa mère ou au guidon. Les policiers, englués dans ce flot, gardent leur calme et font un certain nombre de gestes qui se veulent des signes de réglementation de la circulation, auxquels personne ne semble faire attention. Une moto avec trois passagers se retrouve bloquée devant le policier qui ne remarque même pas le gamin agrippé au guidon en train de somnoler à quelques centimètres de lui. L'ambiance est donnée . Ouf ! Arrivée à l'hôtel. Il est caché dans une petite impasse. Nous passons une grille et le calme nous tombe dessus. Contraste étonnant en quelques mètres. Nous passons d'un monde surprenant à quelque chose de beaucoup plus occidental donc moins rigolo. Les chambres sont correctes, nous nous retrouvons entre Occidentaux. Le vrai voyage n'aurait-il pas été d'aller loger dans la masse grouillante? Enfin le lieu est sympathique, ne critiquons pas. Les premières formalités sont conduites sous la direction du représentant de l'agence de trek. Le premier dîner nous surprend un peu par la quantité de piment utilisée , même si certaine en redemande. Tout de suite il est possible de remarquer les deux pupitres internet. Et je réaliserai à quel point nous sommes dépendants de ce mode ce communication et d'information par le taux d'utilisation que je constaterai tout au long du voyage. En effet au cours du trek, ce sera une de mes sources d'étonnement de voir des cafés internet partout dans la montagne. Nous avons du mal à nous extirper de nos habitudes. Pourtant Nicolas Bouvier un des grands maîtres du voyage avait pour formule : la vertu d'un voyage c'est de purger la vie avant de la garnir. Peut-être devrions-nous nous en inspirer un peu plus ou combattre nos réflexes de vie qui nous poursuivent jusqu'au bout du monde. Un proverbe afghan, qui dit à peu près « les Occidentaux ont toutes les montres mais nous avons tout le temps » devrait nous porter à réfléchir un peu plus sur nos pulsions de l'immédiat.

 

01/10/08

Le lendemain, après une bonne nuit, petit tour au lever du jour dans la ville encore calme dans les environs de l'hôtel. Un café pris dans un minuscule endroit niché sous une cage d'escalier. Retour à l'hôtel pour la visite organisée. Ce sera une journée dense, pleine d'étonnement, appréciée diversement. Mais le dépaysement sera total, notre accompagnateur parlant correctement le français, sera très surprenant par moments, lorsqu'il nous demande d'exposer notre vie affective et ce qui va avec. Il ne récolte que des sourires surpris et amusés. Nous visitons plusieurs sites majeurs de la ville et nous pouvons juger de son étendue. J'imagine ce que doivent représenter des villes comme Calcutta ou toute autre grande cité asiatique, c'est un peu effrayant. En matière de pollution pour la planète le pire est à venir. Toutes nos mesures de pays riches pour réduire le taux de CO2 sont vraiment dérisoires lorsqu'on constate le développement du tiers monde vers l'industrialisation et la modernisation.

 

Le premier lieu visité pour l'immense majorité d'entre nous provoque un véritable choc culturel, il s'agit de la colline du temple de Swayambunath ou temple des singes. Au sortir IMGP4635.JPGdu minibus tout commence par la montée des 365 marches qui conduisent au sommet sur lequel se presse une multitude de temples. Tout au long de cet immense escalier, le spectacle est extraordinaire et très diversifié. Les couleurs vives des différentes statues de Bouddha qui jalonnent la pente attirent le regard, le doré et le bleu dominent. Ensuite les singes constituent le premier spectacle, ils se déplacent en petites bandes, les mères portant leur petit accroché sur le dos ou sous le ventre. Leur lieu de prédilection étant le sommet des petits shorten. Ils ne marquent pas beaucoup de crainte envers les hommes, cependant il est déconseillé d'essayer de les toucher. Leur mâchoire conséquente est assez dissuasive. A aucun moment nous n'avons ressenti d'agressivité à notre encontre. D'ailleurs cette attitude très pacifique et peu farouche est de règle chez tous les êtres vivants que nous avons rencontrés, hommes et animaux. Les quelques dizaines de marches en finale se redressent et nous débouchons sur un grand stûpa. Nous découvrons nos premiers moulins à prière et nous en donnons à cœur joie. Un incroyable enchevêtrement d'édifices religieux colonise ce tertre. Bouddhisme et hindouisme cohabitent en parfaite harmonie, les temples servant généralement aux deux religions. Puis nous nous dirigeons vers le monastère occupé par des moines sur la bosse d'à côté. Pour y accéder nous traversons le jardin au nom évocateur et sans équivoque de jardin des rencontres. Une inscription en népalais pour le moins voyante délivre un message qui nous reste incompréhensible dans cet alphabet curieux. Demandant la signification au guide, ce dernier après avoir lu se marre comme une baleine. Puis ayant fini de rire il nous dit que le panneau prévient que tout acte sexuel en cet endroit donnera lieu à une amende. Une myriade de drapeaux de prières ou mentras flotte au vent, accrochés le long de ficelles qui vont d'arbres en arbres. Une vieille dame fait une offrande sous forme de pain et de riz à une divinité locale. Un singe très intéressé par le rite mange IMGP4657.JPGau fur et à mesure les aliments déposés. S'il s'était agi d'un éléphant au lieu d'un singe, j'aurais tout de suite reconnu Ganesh. Lorsque nous sommes à l'entrée du monastère des bruits nous parviennent, des chants religieux rythmés au gré d'instruments à percussion et à vent. Le niveau sonore est conséquent. Notre guide nous invite à entrer en enlevant nos chaussures. Les participants sont exclusivement des moines de tous âges, comme avec Tintin de 7 à 77ans. Les jeunes sont préposés aux instruments et ils y vont de bon cœur sur leur tambour et autre trompette. Je discerne un petit moinillon, dix ans maximum qui prend un malin plaisir à souffler comme une brute dans son instrument à vent en le mettant juste dans l'oreille du moine qui est devant lui. Ce dernier finit par se retourner et éloigne l'orifice de sortie de ce clairon de son tympan. Mais le moinillon ne le voit pas du même œil et revient à la charge. Tout cela se passe dans une décontraction générale et les sourires fleurissent souvent sur les visages de ces moines.

 

Nous descendons la colline et visitons trois énormes statues de Vishnu, Ganesh et de la IMGP4663.JPGdéesse Parvati. Elles sont resplendissantes, repeintes plusieurs fois par an afin de garder leur couleurs dans cette pollution généralisée. Sur les soubassements des statues la gamme des couleurs est large, le rose et le vert très présents ainsi que le rouge. Une multitude de scènes mettant en jeu les dieux locaux orne la base de ces édifices géants.

 

Nous nous rendons ensuite au temple de Pashupati, le plus grand temple hindouiste du Népal. L'entrée en est interdite aux non hindouistes. Nous pouvons le contempler de l'extérieur. Un énorme taureau pour le moins placide se tient non loin de l'entrée. C'est l'animal sacré par excellence car c'est la monture de Vishnu. Même s'il a l'air tranquille, IMGP4687.JPGnous faisons un écart pour le contourner. Puis à proximité nous visitons l'hospice où les vieilles gens sans famille viennent finir leur existence. Il se dégage de ce lieu une impression étrange cependant il y règne la sérénité. Puis nous passons sans transition de l'hospice au bord de la rivière, où une crémation a lieu. Le corps en train de brûler est couvert d'herbe et nous ne le distinguons pas. Mais rapidement les herbes s'étant consumées apparaît un spectacle qui s'est gravé précisément en ma mémoire mais que je ne décrirai pas. Cependant cela n'appelle aucune réaction de dégoût ou d'effroi, non, on s'inscrit tout naturellement dans le cycle de la vie et de la mort. Bien que cette dernière soit un événement triste dans les religions bouddhiste et hindouiste, le rite mortuaire est moins empreint de tabou que dans notre société occidentale et le spectacle est public. Cela aide sans doute à mieux l'accepter et gérer la période de deuil de façon moins douloureuse. D'ailleurs sans doute pour faire un pied de nez à la mort le petit temple qui domine la rivière est orné de scènes du Kama Sûtra représentées avec précision et pour le moins torrides.

 

Puis après cette matinée bien chargée, nous n'avons pas l'appétit coupé, bien au contraire, nous nous rendons dans un restaurant à la vue étonnante sur Barddhanath IMGP4706.JPGStûpa. Il s'agit tout simplement du plus grand Stûpa du Népal. Il est de dimensions conséquentes et toujours peint de neuf, ce qui contraste vraiment dans ce pays de poussière et de façades grises. Au cours du repas nous abordons avec notre guide de nombreux sujets et lorsque nous lui demandons des indications sur les montagnes qui entourent la ville de Katmandou et qui affichent des altitudes de l'ordre des 2800 mètres, donc 1500 mètres au-dessus de nous, il nous reprend et parle de collines. Mais son sujet favori, c'est la sexualité des Occidentaux, questions auxquelles nous ne voulons pas répondre laissant sa curiosité non satisfaite. Après le repas nous visitons le Boudh Stupa Thanka Center. Le thanka est le nom de ces bannières à motifs religieux que l'on voit sur tous les monastères. Les motifs en sont, soit des figures géométriques, soit des scènes représentant les diverses divinités dans leurs activités. Le travail est effectué avec un pinceau de très petite taille, la précision est extrême. Nous nous laissons prendre sous le charme et plusieurs d'entre nous repartent avec un joli thanka. Puis retour à l'hôtel en milieu d'après-midi, nous en avons tous plein les basques (sans jeu de mots) après cette première journée dans Katmandou. Demain sera le grand jour, départ matinal pour le trek tant attendu du tour des Annapurna.

 

02/10/08

Après une bonne nuit, lever matinal, copieux petit déjeuner et nous voilà tous réunis pour le grand départ. Nos porteurs s'activent et amoncellent nos bagages sur le toit. Notre guide Bir Singh nous explique la situation et nous donne les dernières recommandations. Le minibus s'ébranle et nous voilà plongés dans ce terrible trafic. Il nous faut presque une heure pour nous extirper de la ville. Mais la circulation ne se calme pas pour autant. La période de fête nationale bat son plein et nombreux sont ceux qui partent festoyer dans leur village natal. Il en découle un immense embouteillage et dès qu'un espace se libère IMGP4725.JPGtous les véhicules essaient de s'y introduire. Il en résulte une anarchie totale, plusieurs files dans le même sens, j'en ai comptées jusqu'à quatre, voire cinq et plus, sans laisser de possibilité de croisement. Mais tout cela se passe sans le moindre cri, et à un rythme d'escargot, ce double flux finit par s'écouler .Nous atteignons ce fameux col qui fait bouchon d'étranglement. La route descend au fond d'une vallée luxuriante. Nous marquons une halte pour le repas de midi et arrivons à Besisahar point de départ de notre tour des Annapurna. Il s'agit d'une petite ville perchée une centaine de mètres au-dessus de la rivière. L'électricité y arrive, le portable passe encore et il y a plusieurs cafés internet, ce que nous retrouverons pratiquement à toutes les étapes. On ne quitte pas si facilement notre mode de vie, il s'est en effet glissé dans toutes les parties du monde.

 

03/10/08

Après un sommeil réparateur, le moment tant attendu du départ a sonné. Nos porteurs au nombre de six s'emparent de leur charge et partent devant. Restent avec nous notre guide et ses deux aides. En effet il y a toute une technique d'accompagnement d'un groupe important comme le notre, constitué de onze personnes. Un guide devant, un en arrière, ainsi on contrôle tout, pas d'erreur d'itinéraire et pas de traînard ou blessé que l'on pourrait oublier. Et le secret du troisième homme, il est chargé de courir au-devant réserver les restaurants ou les hôtels. Tout au long des dix huit jours ce ballet s'accomplira sans heurt et sans surprise. Alors que nous nous rassemblons pour partir, nous engageons la conversation avec un grand Australien parlant le français que nous rencontrerons encore de nombreuses fois au cours des jours à venir.

Enfin on démarre. Le temps est beau, une couche nuageuse peu épaisse mais suffisante nous cache les grandes montagnes qui dominent la vallée. Très rapidement les rizières sont partout, vert tendre, en terrasses. Les cigales à la stridulation étonnante et parfois très forte ne laissent pas de nous étonner. Le rythme de leur cri est si régulier que l'on pourrait croire à quelque bruit provenant d'un courant alternatif. Le plus étonnant dans le bruit de ces cigales, c'est qu'au fur et à mesure de la montée en altitude il se modifiera pour en finale vers les 3200 mètres ressembler à celui des cigales françaises. Première passerelle , elle est de belle taille solidement construite et même si cela bouge un peu la IMGP4738.JPGtraversée est aisée. Nous marquons une première pause dans un village au pied d'un arbre extraordinaire, un Pipol, arbre sacré. Il va souvent de pair avec le Simol, autre arbre sacré. Assis à son pied monumental au tronc torturé comme composé d'immenses lianes qui se seraient fondues les unes aux autres, nous ne restons pas longtemps seuls. Une foule de gamins joyeux nous envahit. Les appareils photo crépitent. A nos pieds de jeunes garçons jouent aux billes. L'un d'eux est d'une adresse redoutable. Il met une agate sur son index gauche et, de sa main droite, il tire la bille en arrière tout en visant. A chaque fois, la cible à plusieurs mètres est atteinte. Des Français arrivent, il s'agit d'un père et de son fils, ils entreprennent le trek en autonome, l'ayant déjà fait, accompagnés, l'année dernière. Manifestement il ne faut pas vouloir venir chercher la solitude dans ce genre de promenades. Nous reprenons notre chemin et pouvons admirer l'architecture locale, petite maison au toit de chaume, noyée tout simplement dans un champ de riz dont les tiges hautes grimpent pratiquement aux murs. Au détour du chemin se présente une petite étable de bois aux formes esthétiques, habitée au rez de chaussée par un gros buffle qui nous regarde passer comme les vaches les trains. Il y a une sous-pente encombrée d'une multitude d'objets parmi lesquels de grosses hottes de portage en osier. Le chemin prend de la hauteur et, de surplomber ces champs de riz au vert presque fluorescent, au milieu desquels se perdent quelques petits hameaux aux maisons serrées, permet un spectacle du plus bel effet.

Nous rencontrons notre premier shorten (petit édifice religieux) bien posé au milieu du chemin. Il faut bien passer à gauche, un Népalais se lave avec énergie à la source qui coule juste devant.

 

Une caractéristique du chemin et cela tout le long de la première semaine, voire un peu plus, tient à la configuration de la vallée très encaissée. En effet nous évoluons sur des pentes raides, même très raides et surplombons souvent des à-pics. Donc bien évidemment la chute se révélerait particulièrement dangereuse voire fatale, d'où une vigilance à conserver malgré le dépaysement qui nous pousse à regarder partout, sauf devant nos pieds. De plus, sur ce chemin qui remonte la vallée sur de très grandes distances, on croise beaucoup de monde et d'animaux. Notre guide nous met particulièrement en garde en ce qui concerne le croisement des mules. Toujours se trouver du côté montagne. En effet elles portent des charges volumineuses et dès qu'elles ont passé la tête à votre niveau elles ont tendance à forcer le passage et si l'on se trouve du côté vide on peut facilement bénéficier d'un billet de dernier envol de la part d'un inoffensif sac de riz ou de farine. Mais malgré la mise en garde, il est des situations où l'on se retrouve du mauvais côté et mieux vaut avoir le réflexe rapide. J'en ferai la stressante expérience.

 

Arrêt à midi à Bhulbhule, village typique ressemblant à tous ceux que nous verrons sur ce versant. Une rue principale dans laquelle se pressent les restaurants et hôtels à un ou deux étages maximum, le tout annoncé par une multitude de panneaux en anglais. Le sol est recouvert d'un dallage propre et en bon état, ce qui donne un air sympathique à l'ensemble du petit bourg. Déjeuner sur une superbe terrasse dominant le torrent. Juste en-dessous une passerelle sur laquelle le trafic est intense, porteurs, habitants du villages, nombreux animaux de bât, et aussi des groupes importants de touristes. On n'a pas l'impression d'être à l'autre bout du monde. Mais tout le contraste de la situation provient du point de vue sur lequel on pointe le regard, et là il est possible de changer de monde. Nous pouvons admirer cette végétation luxuriante qui dévoile juste en contre-bas de notre perchoir ses papayers, caféiers, bananiers, bambous géants et beaucoup d'autres arbres que nous n'identifions pas. Au-dessus, les contreforts du Manaslu se découvrent en immenses champs de neige et de glace raides qui semblent monter jusqu'au ciel. Nous ne nous situons qu'à 840 mètres d'altitude et ces montagnes nous surplombent du haut de leur 7000 mètres et plus. Au cours des jours à venir je vais rester souvent le regard perdu quelque part là-haut à imaginer plein de choses où souffrance et bonheur se mêlent. Le fond de cette vallée luxuriante est enserré par des flancs abrupts sur des milliers de mètres, mais pas un endroit qui ne soit colonisé par cette végétation dense.

 

Après cette pause bien agréable, nous reprenons notre chemin sur quelques kilomètres qui IMGP4750.JPGnous conduisent à Nadje, sympathique endroit où nous logeons dans de petits bungalows posés à même la rizière. Bir Singh nous fait visiter le village situé au peu au-dessus. Il nous conduit chez un vieux paysan de 87 ans qui a passé 6 ans dans l'armée britannique, il s'agit de l'un de ces fameux Gourhkas, guerriers réputés. Nous avons aussi droit à un petit exposé sur les rites funéraires. Lorsqu'il y a du bois, pas de problème, nous avons vu. Mais dans les régions désertiques comme le Dolpo ou le Mustang, le rite est différent. Après avoir coupé le corps en morceaux, on fait appel aux oiseaux, et ces derniers viennent les enlever. Cependant on garde un petit bout que l'on brûle avec un peu de bois afin d'être en mesure de respecter la tradition des cendres à la rivière.

 

La soirée sera très agréable, il fait bon, pas d'insecte indésirable, un très bon plat de gros raviolis fourrés. Ensuite nous assistons, et participons à un spectacle de chants et de danses organisé par les femmes du village. Il s'en suivra des danses endiablées ponctuées d'immenses éclats de rire, nos porteurs se révéleront excellents pour cet exercice dans lequel le mouvement des bras et des mains, levés au-dessus de la tête, imitant des serpents et autres bestioles se tortillant en des mouvements souples et aléatoires, joue un rôle déterminant.

 

04/10/08

Le matin départ à 7h30. La marche se poursuit le long de cette vallée aux pentes raides où chemin et escaliers alternent. Arrêt au village de Bahundanda. Après avoir franchi quelques marches raides on se retrouve sur la petite place bien pavée du ''centre-ville''. On se croirait à l'attente de la benne de l'Aiguille du Midi tant la densité de trekkeurs faisant halte est importante. Le français est la langue qui domine, il y a au bas-mot un bon tiers de nos compatriotes. Pour ajouter à l'impression les petites échoppes vendent même du Bordeaux château du Parc, c'est le bouquet!!!

En ce début de trek, les différents groupes d'Occidentaux ont un peu tendance à se regarder en chien de faïence, sans doute pensant que ce flot de Blancs atténue la sensation d'exotisme. Mais au fil des jours les visages se détendront et les sourires apparaîtront et les conversations se noueront. L'intérêt de ce genre de balade ne réside pas dans la solitude, qu'on ne rencontre pas, mais dans la découverte d'une nature gigantesque et d'une civilisation aux traditions différentes. Les Népalais, malgré l'envahissement touristique auquel ils sont soumis, restent très accueillants et lorsqu'ils ne sont pas les premiers à vous gratifier d'un ''Namasté'', ils s'empressent de répondre à votre salut.

 

11h30, arrêt à Khanigaon pour le déjeuner. Le temps se couvre et dans cette vallée très encaissée il fait sombre. Une halte de courte durée, le temps de prendre une boisson dans une baraque perchée sur un éperon qui risque au cours des prochaines moussons de rejoindre la rivière quelques centaines de mètres plus bas. En effet le chemin traverse des zones d'éboulement énormes et la stabilisation du terrain pour construire une route carrossable ne semble pas pour demain. Deux gros engins de terrassement sont bloqués après que la route qu'ils ont construite dans ce secteur soit partie avec un glissement de terrain qui a ravagé tout un flanc de montagne. De notre éperon instable le chemin très aérien mais large conduit en légère descente à Jagat, notre point de chute pour la nuit. Le IMGP4766.JPGvillage au milieu d'une masse d'arbres est resserré sur un petit replat dans un coude de la vallée. Arrivée dans Jagat en milieu d'après-midi. Surprenante petite ville presque exclusivement constituée d'hôtels aux couleurs vives et qui s'élèvent sur plusieurs étages. En fin d'après-midi des foules de trekkeurs déambulent en attendant le repas du soir. Il fait toujours bon, l'altitude n'est que de 1300 mètres. Le spectacle est impressionnant, on ressent sans les voir toute la puissance des géants de la terre qui écrasent ce lieu du haut de leur éclatante blancheur.

 

05/10/08

Nuit très correcte pour tous, les affres du manque d'air sont pour plus tard. Petit déjeuner particulièrement consistant, à base de céréales, mais il n'a pas fait l'unanimité. Cependant, pour ceux qui sont arrivés au bout de leur grosse platée, la faim n'est pas près de les tarauder. Dès le départ nous sommes plongés dans une forêt luxuriante sur un chemin raide, d'où de toutes parts dégoulinent des torrents plus ou moins importants. Le bananier semble être l'arbre dominant dans ce fouillis végétal. Sur le sentier, que de monde, une véritable procession où s'imbriquent trekkeurs au petit sac et porteurs très lourdement chargés. En fonction de leur charge, la couleur ou le poids on détermine avec IMGP4774.JPGquelle agence ils travaillent. Je ne sais pas si cela nous déculpabilise, mais nous ne devons pas dépasser les dix kilos par individu à donner au porteur et celui-là ne doit pas porter plus de deux sacs en plus de ses affaires personnelles, ce qui normalement conduit à une charge de 25 kilogrammes maximum. Je ne suis pas certain que ce soit le cas, mais le poids reste raisonnable, même si nos porteurs par moments semblent tirer sérieusement sur la bête. Certains qui transportent du matériel technique ou du ravitaillement pour les hôtels sont littéralement écrasés sous des montagnes. Souvent les chargements sont constitués de tuyaux, soit en morceaux de 3 ou 4 mètres ou en gros rouleaux, le tout dépasse très probablement les 70 kilogrammes par individu. Ils avancent d'un pas lent, faisant bien attention à l'encombrement de leur fardeau. Parfois ils se déplacent en travers car la paroi est trop proche et les tuyaux frottent. Dire qu'ils cheminent souvent une semaine arnachés de la sorte. De temps à autre, ils s'arrêtent et tombent assis sur une pierre, leur lourde cargaison au sol, le regard perdu dans le vide de la fatigue.

 

Nous quittons le district de Jangjung et rentrons dans celui de Manang. Le changement de région est matérialisé par la présence d'un camp militaire. La vallée qui était très étroite s'élargit en une vaste zone plate sur laquelle la rivière s'étale en de multiples bras. Nous IMGP4782.JPGfaisons halte dans ce lieu aéré au village de Tal. Nous trouvons le repas excellent, constitué de pain, riz, patates et genre de poireaux, cependant le tout très épicé. Ce village qui s'étale un peu plus que les précédents est menacé par la rivière. En effet cette dernière fait une large courbe au niveau des maisons. A la période de la mousson ces berges de galets et de terre n'offrent pas une résistance suffisante à l'impétuosité des flots, d'où une érosion rapide. Pour limiter le phénomène des digues en pierres, perpendiculaires au courant, ont été érigées pour déplacer le lieu principal d'écoulement des eaux.

 

Après le déjeuner, deux heures de marche nous conduiront à Dharapani. La luxuriance de la végétation nous accompagne toujours. Le chemin est particulièrement encombré par IMGP4785.JPGhommes et bêtes. Des convois de vingt mules et plus forment des bouchons où chacun essaie de se faufiler. Attention cependant à ne pas être éjecté du chemin , car la hauteur de chute est importante et le torrent énorme est d'un puissance que je n'ai jamais vue dans nos montagnes. Juste avant l'arrivée à l'étape nous croisons deux jeunes Népalaises sur un cheval. Elles ont fière allure sur leur monture sur ce sentier particulièrement aérien, tout faux pas les précipiterait dans le vide. Mais elles affichent une belle sérénité et une maîtrise certaine. A notre entrée dans le village la pluie jusqu'à présent faible s'intensifie et nous sommes tout heureux de nous abriter.

 

De notre chambre la vue sur le torrent est de tout premier ordre. Il se dégage de cette eau en furie une force impressionnante. Pas une parcelle de torrent qui ne soit un jaillissement d'écume. La pluie s'étant calmée nous partons à la découverte du village. Il se situe à 1800 mètres d'altitude. Doucement, mais de façon perceptible, la végétation change. Des espèces plus familières, comme le pin, apparaissent. La vallée après s'être élargie est de nouveau très resserrée. En perdant de leur luxuriance, ces grands pans austères ont un petit air d'Ariège, sans doute en plus grand, mais ne sous-estimons pas ce département où les montagnes affichent des dénivelés très importants entre le fond des vallées et leur sommet.

 

Le village, outre les buffles et les trekkeurs ne présente pas d'activité particulière. Nous goûtons une tarte à la courge. La première impression est un petit goût de foin, mais à la seconde bouchée tout rentre dans l'ordre et nous la trouvons bonne. Quelques cavaliers passent à vive allure sur le dallage en pente et mouillé. Nous croisons à nouveau des porteurs de tuyaux, assis en attente d'un lieu de repos pour la nuit. Leur regard est ce qui attire le plus l'attention. Il trahit leur fatigue. Retour à l'hôtel, dîner de bonne qualité, grosse platée de spaghettis et il y aura même du gruyère ou quelque chose d'équivalent. Il s'en suivra une partie de belote acharnée comme bien souvent le soir au cours de ce mois d'octobre. Mais alors s'affrontent les adeptes de la succession de parties bordéliques où l'on ne comptabilise rien et les gardiens de la doctrine ''belotesque'' qui impose qu'une partie se joue en mille points. L'histoire n'a pas retenu lesquels ont réussi à imposer leur point de vue. Mais les éclats de rire ont été les grands vainqueurs.

 

Le confort de ces lodges est très acceptable, souvent la douche est chaude, la nourriture copieuse et bonne. L'absence de viande passe très bien et semble même bénéfique à l'organisme. Les chambres prévues pour deux voire trois personnes permettent généralement un sommeil acceptable. Détail peut-être trivial dans les toilettes souvent à la turque, le petit robinet à hauteur de genou est un facteur d'hygiène supérieur au papier toilette.

 

06/10/08

La nuit très pluvieuse n'a pas perturbé notre sommeil. Ce matin il fait très beau. Au petit déjeuner une bonne grosse crêpe à la farine de sarrasin, arrosée d'une nappe de miel met tout le monde de bonne humeur. Il faut dire que le petit déjeuner de la veille avait laissé quelques appréhensions chez certains d'entre nous.

 

Sur le bleu du ciel se détachent quelques sommets aux environs des 5000 mètres, ils sont légèrement teintés de blanc suite aux précipitations de cette nuit. A la sortie du village un petit sentier sur la droite indique la direction du Manaslu. On distingue une vallée très IMGP4806.JPGétroite dans laquelle une petite trace matérialise le chemin. Ce trek est paraît-il très joli et peu parcouru. Le monde est petit, mi-novembre en déplacement pour raisons professionnelles, alors que j'attrapais mon TGV d'extrême justesse à l'aéroport Charles de Gaulle, je tombe sur un homme qui manifestement rentre de quelque montagne éloignée. Ma curiosité me pousse à lui demander d'où il vient et il me répond du tour du Manaslu. Et là comme un flash cette petite vallée m'apparaît.

Au-dessus de ce vallon, flottant par dessus les nuées, les premières sentinelles des géants de la terre apparaissent. Cette présence si proche, voilée dans les nuages en mouvement est presque irréelle. Les distances sont difficiles à apprécier. Tout rapprochement avec les Pyrénées ou les Alpes serait trompeur. On pénètre lentement dans le monde des montagnes géantes. La luxuriance fait place à l'étage alpin. Nous traversons une belle forêt de feuillus comme on en trouve en France. D'ailleurs plusieurs d'entre nous trouveront cette étape très belle sans doute du fait de l'ambiance créée par la présence de ces arbres qui rappelle nos belles forêts. Et toujours ces porteurs qui croulent sous leur fardeau énorme, de tuyaux de canalisation, de montagnes de cartons empilés où, pèle-mêle, on distingue canettes de bière , coca-cola, bouteilles d'eau ou sacs de farine et autres aliments. Bien souvent ces hommes sont en tongs, gardant leurs chaussures pour plus tard lorsque le froid sera plus vif.

 

Midi, arrêt à l'Himalayan restaurant, pâtes riz et pommes de terre, on se régale et cela va tenir au ventre. Et dire que parfois je me moque gentiment de ma belle-sœur qui systématiquement allie riz et pommes de terre, eh bien nous faisons encore plus fort car nous y rajoutons aussi des pâtes. Cet après-midi le temps est menaçant, la visibilité verticale s'amenuise, le sentiment d'enfermement entre ces parois, disparaissant dans les nuages quelques centaines de mètres plus haut, est réel. Après une marche courte, à peu près une heure trente, apparaît le village de Shame, terminus de l'étape du jour. Il est temps d'arriver, car la pluie devient violente. L'altitude est proche de 2700 et la température descend. Une petite laine sera la bienvenue. Le village est vaste . Comme partout les édifices religieux sont nombreux. Cependant une originalité, un gros moulin à prières de couleurs très vives, mu par l'eau d'un petit canal, tourne en plein air. Au-dessus une immense dent rocheuse, sombre et dégoulinante luit faiblement dans la nuit qui tombe. Ce spectacle grandiose nous fait prendre conscience de notre petitesse. Toujours ce paradoxe, une nature sauvage et gigantesque, vierge de traces humaines, sur laquelle le regard se promène à la recherche d'un quelconque mystère , et au sein de ce village une foule de touristes déambule.

 

7/10/2008

Lever 6 heures, peu de clarté, il fait sombre, la couche nuageuse semble très importante. Cette journée commence sous de mauvais augures. Un groupe d'Asiatiques, Japonais ou Coréens fait une séance de gymnastique de réveil du corps. Le moniteur invite gentiment ceux d'entre nous présents à se joindre à leurs exercices, à la plus grande joie de tous. Petit déjeuner pris, comme tous les matins le départ s'effectue vers les 7 heures. Et là, miracle, de grandes taches bleues déchirent le gris sombre du ciel. Une lumière vive s'installe petit à petit. A la sortie du village un magnifique stûpa semble matérialiser l'entrée dans le sanctuaire de la haute montagne. Une sensation nouvelle m'étreint, comme si les jours précédents représentaient la marche initiatique qui permet l'accès à ces zones d'altitude. Pleins d'espoir, l'envie de voir apparaître les sommets satellites de l'Annapurna se fait pressante. D'un coup en pleine lumière du haut de ses 7937 mètres l'Annapurna 2 nous écrase. Vision époustouflante, elle sera la première d'une longue série, où vont se mêler des noms célèbres lus dans de nombreuses revues et livres. Nous effectuons un premier arrêt à Bhratang. Certains d'entre nous s'empiffrent d'énormes croissants au demeurant bons, mais je dirais que pour ma part le régime patates à tous les repas même le matin me retire toute velléité de dévorer ces grosses pâtisseries. Nous retrouvons le père et le fils du sud-ouest, ce dernier croulant sous son gros sac et le père toujours la même gouaille. Il faut qu'ils l'adorent ce tour pour le faire pour la seconde fois en un an. Les grands sommets se font de plus en plus présents. Au niveau d'une passerelle, un point de vue étonnant sur la pyramide de l'Annapurna 2 se dévoile. On en perd toute notion de distance. J'essaie d'imaginer la grosseur d'un alpiniste pendu dans ce dédale de glace et de rocher. Il est difficile de détacher le regard d'un tel spectacle. L'itinéraire traverse une belle forêt de pins, dont les aiguilles font un tapis au sol. La fraîcheur de l'air rend la marche très agréable. On pourrait se croire, bien entendu si on ne lève pas la tête, quelque part en Ubaye ou Tinée pas très loin de la Méditerranée. Étonnant direz-vous ces références fréquentes aux montagnes françaises. Je répondrais simplement, on compare avec ce que l'on connaît, et ces magnifiques montagnes de France je les adore.

 

Revenons à l'Himalaya, sur la droite de la vallée une immense dalle schisteuse, inclinée à cinquante degrés, luit de ruissellements dus aux précipitations nocturnes. Elle s'élance sur plusieurs centaines de mètres et sa partie sommitale qui IMGP4808.JPGavoisine les 5000 mètres , voire un peu plus, est saupoudrée de neige. Le contraste entre le gris du rocher et la blancheur éclatante de la neige est du meilleur effet. Pour ajouter au pittoresque du paysage, des bancs de nuages semblent par moments flotter sur le rocher, donnant une touche de mystère à cette paroi. Le yéti pourrait s'y tenir tapi et regarder cette bande d'intrus qui, à flots serrés, profane son sanctuaire, mais peut-être avec le capitaine Haddock à ses trousses.

 

Le repas de midi est pris sous forme de sandwiches à Dhikur Pokhari. L'altimètre indique plus de trois mille mètres, cependant la chaleur est intense. Au-dessus, l'Annapurna 2 déploie sa gigantesque face nord qui domine de 5000 mètres. La progression reprend le long d'une vallée large, à l'aspect sec presque aride. La similitude avec le haut val de la Durance est frappante. Même formation géologique et même type de végétation un peu dispersée qui essaie de s'accrocher à ce terrain hostile. Le chemin franchit un pont traditionnel fait de bois. Contrairement à la plupart de ses congénères, il n'est pas doublé d'une passerelle métallique. En effet il est, à chaque fois que ce spectacle se présente, surprenant de constater cette cohabitation de l'ancienne construction de bois et de la passerelle métallique qui incarne l'arrivée de la civilisation moderne dans cette vallée reculée. D'ailleurs la modernité nous poursuit aussi sous forme de fils électriques qui ne s'arrêteront qu'au-dessus des 4000 mètres d'altitude.

 

Notre guide nous conduit à Upper Pisang avant de rejoindre le but de notre étape qui est Lower Pisang. Village étonnant, constitué de maisons alignées par niveau, à la manière d'une succession de marches d'escalier. Au-dessus trône un magnifique temple qui vient d'être reconstruit. La vue en face sur la chaîne des Annapurna est vraiment époustouflante. Face à nous se développent dans toute leur splendeur les gigantesques séracs des Annapurna 2, 3 et 4. Vers le bas, de IMGP4823.JPGl'esplanade du monastère, les champs de céréales montrent toute la gamme de leurs couleurs au gré de la culture pratiquée. Ils sont de petites dimensions et s'imbriquent les uns les autres en un joli patchwork. Les couleurs dominantes sont le vert et une teinte intermédiaire entre le rouge et la rouille, qui trahit la présence du sarrasin. A cette altitude, 3200 mètres, en France il n'y a plus que des cailloux de la neige et de la glace. Après une visite intéressante et un point de vue de toute beauté auquel il est difficile de s'arracher, le chemin conduit à Lower Pisang, quelques cent mètres plus bas. Nous le parcourons les yeux encore tout éblouis de ces immensités glaciaires. Au cours de cette courte descente, un immense moulin à prière nous donne tout loisir d'exprimer notre piété. Une fois dans le village, un escalier raide impose un dernier effort, une soixantaine de marches pour accéder à notre hôtel. Que cela paraît long et que le souffle semble court,et l'altitude n'est que de 3200 mètres. Certains se posent même des questions pour la suite. Mais heureusement ce ne sera qu'une sensation passagère et cet état de fatigue ne se manifestera plus.

 

Notre arrivée effectuée de bonne heure, quatorze heures, nous avons tout loisir de nous imprégner de l'esprit du lieu. Je découvre la randonnée en prenant le temps. Généralement je marche jusqu'à épuisement soit de mes forces soit de la lumière du jour. Eh bien ce que nous pratiquons là, loin des chronomètres et des kilomètres parcourus un œil sur l'altimètre et l'autre sur le podomètre, est un vrai plaisir. On est plus à l'écoute de la nature qui nous entoure que de son corps qui souffre. J'en profite pour faire une petite balade seul. Je monte vers un gros shorten au blanc éclatant par une petite sente que je finis par perdre. Les derniers mètres je les parcours à travers les buissons. Il s'agit d'un monument à la mémoire de 12 alpinistes, 11 Allemands et 1 Népalais, leur guide , emportés pendant leur sommeil au Pisang Pic en 1994. Les noms, onze hommes et une femme , cette dernière s'appelait Christine, sont alignés au-dessus d'une épitaphe en allemand. Cette langue forte prend dans ce contexte toute sa puissance. Rien ne rappelle la chrétienté, seul l'esprit de la montagne à travers la culture bouddhiste accompagne ces alpinistes vers leur dernière demeure. Face au petit tertre sur lequel se tient ce lieu de recueil, le Pisang Pic ou Jong Ri, du haut de ses 6091 mètres dans la lumière rasante de cette fin d'après midi, rayonne sur la vallée de toute sa puissance. « Il est des lieux où souffle l'esprit.» Je ressens toute la profondeur de cette phrase. Me vient à l'esprit le petit cimetière de Saint Christophe-en-Oisans, au-dessus duquel la Tête de Lauranour tient lieu de fanal et veille sur ces montagnards jeunes et moins jeunes, professionnels ou amateurs, qui ont succombé à leur passion sur les pics de cette magnifique vallée du Vénéon. La mort d'un alpiniste est cruelle car ses proches perdent un être cher. Mais cet être, en quête d'absolu, a quitté cette terre dans un moment d'intense activité. Ce départ s'inscrit presque logiquement dans son mode de vie. Saint-Exupéry a dit « on ne peut mourir que pour cela seul qui nous permet de vivre».Tout absorbé par mes réflexions et la contemplation de la montagne, j'ai du mal à quitter ce site. De plus, depuis notre départ, c'est la première fois que je me retrouve seul. Doucement j'amorce la descente vers le village qui n'est pas très éloigné , presque en retenant mes pas, conscient que l'envoûtement va se rompre .

 

Retour à l'hôtel, plongée dans un monde bruyant, nombreux trekkeurs attablés, absorbés dans leurs cartes, leurs livres, leurs discussions ou dans leurs jeux de cartes ou d'échecs. Sans transition je me joins à eux et nous entamons une partie de belote endiablée. La discrétion ne nous étouffe pas toujours!!! Mais nous ne sommes pas seuls à être bruyants, une télévision braille dans la pièce. Bollywood est très présent. Une multitude de Népalais, hypnotisés par le petit écran, captent par tous leurs sens images et sons. Comme on le constatera souvent, les grands thèmes de films sont au nombre de deux, les histoires d'amour et les combats de Kung-Fu ou autres arts martiaux. C'est étonnant de constater que ce peuple si pacifique soit à ce point intéressé par les films de castagne. Ce soir pour le dîner comme d'habitude pâtes et patates mais nous allons remplacer le riz par de la purée, contre toute attente patates et purée font bon ménage.

 

8/10/2008

L'habitude étant maintenant prise, branle-bas à 6 heures, petit déjeuner copieux, encore quelques patates avec beaucoup d'ail, très efficace paraît-il contre le mal des montagnes. La vallée reste large et la pente du chemin faible. Les cigales au bruit si entêtant ont disparu depuis hier, et le silence parfois nous étonne comme s'il y manquait une présence. Les deux flancs de montagne sont pour le moins très différents. A droite, la végétation et la physionomie du terrain rappellent les Alpes du sud, on y voit même des demoiselles coiffées comme au bord du lac de Serre-Ponçon. Mais un coup d'œil à gauche enlève toute illusion sur le lieu. Une barrière impressionnante frôlant les 8000 mètres barre la vue et oblige à regarder très haut pour voir le ciel. Le GanggaPurna qui jusqu'à présent était caché par une arête nous apparaît dans toute sa majesté. Sa forme et ses lignes sont à la hauteur de l'esthétique de son nom, qui se martèle en deux syllabes.

 

Cette gigantesque vague de glace hérissée de nombreux sommets entre 7000 et 8000 mètres, tient une place importante IMGP4826.JPGdans la première ascension de l'Annapurna. En effet elle ne figurait pas sur la carte indienne utilisée par Maurice Herzog et son équipe lors de leur expédition en 1950. Cette lacune leur a causé beaucoup de tracas, des détours immenses, qui les ont égarés dans des impasses. En effet ils butaient sur ces reliefs alors qu'ils ignoraient leur existence.

 

L'étape de ce jour est courte et le dénivelé peu important, le long d'une large vallée à la faible déclivité, ponctuée d'une multitude de shorten, stûpa, moulins à prières et inscriptions religieuses en cinq couleurs sur des plaques d'ardoise. Ces cinq couleurs sont: le bleu, blanc, rouge, vert et jaune qui représentent les cinq éléments que sont le ciel, l'eau, le feu, la vie et la terre, si je ne me trompe pas. Le village de Braga est atteint. De grandes prairies colonisent toute la vallée et de nombreux animaux y paissent tranquillement. En particulier des yaks et leurs femelles, les naks, les premiers au pelage sombre, et ces dernières à la toison claire toute ébouriffée. Déjeuner au pied du village très IMGP4846.JPGcaractéristique. Il se blottit contre une falaise à la pierre très lumineuse qui s'élance en dents acérées vers le ciel. Du restaurant agréable où nous profitons de notre rituel plat de féculents, nous avons tout le temps de regarder ces maisons alignées et comme ouvertes sur le vide. Ce village n'est habité qu'en été, dès la venue de la neige les habitants vont hiverner dans des régions plus tempérées. Seuls quelques-uns restent pour assurer le gardiennage du lieu. Toutes ces petites cités d'altitude en zone tibétaine foisonnent de drapeaux de prière. Lorsqu'on monte sur les toits ces étoffes innombrables,flottant au vent, font prendre conscience de la très forte piété dont ce peuple est épris.

 

La montée dans Braga se fait par une petite prairie sur laquelle deux époques se côtoient. L'ancestrale avec ses troupeaux, ses stûpa et ses femmes qui battent le linge et l'étendent à même le sol au soleil à laquelle se superpose la moderne avec ses fils électriques, ses paraboles et ses panneaux solaires. Bir Singh, notre guide, nous a demandé de nous munir de IMGP4863.JPGlampes frontales pour visiter un très vieux monastère. La richesse de la statuaire est immense. A première vue, les effigies des divinités locales semblent identiques, mais la gestuelle est différente. Du fait des 64 positions des mains que nécessite la prière, chaque statue a une signification propre. De même les livres de prières sont rangés dans leur bibliothèque et leur nombre est important. La symbolique religieuse aux couleurs vives rehausse les murs sombres. De nombreux mandalas ornent le lieu. Je prends conscience de l'importante richesse accumulée au fil du temps dans les monastères. Je réalise aussi le grand dommage causé par la destruction presque systématique de toute une tradition séculaire au Tibet. Hier, j'ai terminé le livre d'une Française grande connaisseuse de ces régions. Elle décrit le travail de sape conduit au Tibet, qu'elle observe depuis trente ans. Des bâtiments emblématiques comme le Potala sont mis en exergue, pour en faire des lieux musées ancrant dans les esprits l'idée d'un monde révolu, alors qu'en même temps l'anéantissement d'une société est mené méthodiquement, en particulier par la destruction de son patrimoine religieux. Par ces actions, il est recherché une perte de l'identité et des traditions qui soudent un peuple, cela permettrait d'atténuer voire faire disparaître toute résistance à la suprématie chinoise.

 

En quittant ce lieu très attachant, par une courte marche nous atteignons la mythique Manang, ville ceinturée de champs en terrasses, où la culture du sarrasin domine. L'activité est intense, aussi bien du fait des autochtones que par la présence des nombreux touristes qui déambulent. Plusieurs d'entre nous profitent du cordonnier qui pour une somme modique rapièce nos chaussures. J'atteste que le travail est de qualité car la pièce de cuir cousue sur ma chaussure droite va tenir les dix jours suivants et sans aucun doute beaucoup plus longtemps. Le nombre d'échoppes est étonnant et on trouve de tout. Des effets de montagne au prix défiant toute concurrence, des super vestes North Face à douze euros. IMGP4871.JPGCependant le pantalon fluo acheté par l'un d'entre nous deux jours auparavant, va voir sa vie prolongée d'une journée, car notre ange gardien, Krishna l'adjoint de notre guide s'assure tous les matins que nous n'avons rien oublié. Mais dans ce cas précis il ne s'agissait pas d'un oubli, donc demain il faudra essayer de tromper sa vigilance pour se défaire de ce superbe pantalon à six euros!!! Krishna est professeur de mathématiques et durant les vacances il se transforme en guide. Le décor est grandiose, nous embrassons d'un seul regard la chaîne de l'Annapurna 2 jusqu'au Tilicho Peak. La tombée de la nuit est un enchantement, le ciel s'est entièrement découvert, et les immenses glaciers se parent de belles couleurs roses alors que dans la vallée la pénombre règne déjà.

 

De la vertu de la lenteur, titre d'un livre qui se prête bien aux circonstances. Nous allons passer une journée complète dans ce village. Cela peut paraître long et inutile, mais le temps, cet élément qui nous manque et nous conditionne tant, nous les Occidentaux, nous avons du mal à l'apprivoiser. Apprendre à s'en affranchir ou lui redonner du sens à travers l'inaction est une chose qui nous fait violence. Mais lorsqu'on se laisse faire, passés nos premiers réflexes acquis, eh bien on éprouve sinon du bonheur, grand mot, au moins du bien-être.

 

D'autre part l'utilité de partir seul et sans guide sur ce type de trek très fréquenté, à mon avis, perd son sens. En effet l'intérêt du voyage seul consiste justement dans le fait d'être seul, ce qui n'est pratiquement jamais le cas sur le tour des Annapurna. Le cheminement ne présentant aucune difficulté le guide peut sembler inutile. Je ne le crois pas, par sa bonne connaissance de la région il permet de bien s'imprégner de la vie de ces contrées, bien mieux que si l'on se passait de ses services. D'autre part, en étant seul, les vieux démons occidentaux me rattraperaient vite et les étapes s'allongeraient, flattant l'égo mais nuisant à l'harmonie du voyage. Vu le ravitaillement et le grand nombre de lodges disponibles en permanence, il est tout à fait possible de faire cette balade en individuel avec un sac de six ou sept kilos maximum en ayant le nécessaire, mais je préfère en cet instant la lenteur en me laissant guider par un Népalais qui aime son pays et qui est fier de ses montagnes.

Aller vite en montagne relève du plaisir de sentir son corps fonctionner lorsqu'on le pousse à ses limites, l'effet de phénomènes chimiques qui déclenchent l'excitation par l'effort soutenu que l'on impose à son corps. Aller lentement laisse l'esprit vagabonder au gré de ce que le regard croise. Cela permet aussi de ne pas hésiter à faire des détours, le chronomètre n'étant plus en jeu, pas de temps à battre ou de rythme à maintenir, perdre du temps n'a plus de signification. Tout naturellement, la curiosité reste plus disponible pour l'environnement dans lequel on pénètre par la marche. Ce moyen de déplacement, de nombreux écrivains voyageurs l'affirment, est le seul vrai moyen de voyager. Lui seul donne accès par sa lenteur à la communion avec les lieux et les gens qui les habitent. Alors se mettre à courir et se croire sur une piste de 400 mètres les yeux sur l'altimètre et le chronomètre c'est, peut-être un peu, dévoyer le sens initial de la marche. Je crois qu'il n'y a pas de préférence ou de priorité à fixer. Tout simplement en fonction de ses dispositions et de ses aspirations du moment, courir dans la nature sur de grandes distances ou se laisser guider à petit rythme les sens en éveil sont deux manières de rester au contact de la planète Terre, habitude que l'on a tendance à perdre dans nos sociétés modernes.

 

 

09/10/2008

Malgré les 3500 mètres le sommeil a été excellent, l'effet de l'altitude ne se manifeste pas encore. Le premier coup d'œil au réveil vers les Annapurna et le GanggaPurna, sur lesquels le soleil descend, est saisissant. Ce matin, lever à huit heures, donc immense plaisir de rester allongé sur mon lit à contempler le lever du jour puis l'arrivée du soleil qui fait passer ces IMGP4865.JPGgigantesques pentes de glace par toutes les couleurs du rose au blanc éclatant. Je surveille avec attention le moment où le premier rayon de l'astre du jour illuminera la pointe de chacune des montagnes, instant magique.

 

L'hôtel du Yak, dans lequel nous séjournons, est très grand et s'élève sur plusieurs étages. La salle de restauration est au second. Contrairement à l'étape précédente, il n'y a pas de télévision qui diffuse ses décibels. Partout sur la ville, nous avons vue sur les fils électriques, panneaux solaires, paraboles et autres modernités, et tout cela juxtaposé aux shorten, stûpa, moulins à prières et monastères. Mais cette intrusion de la modernité n'enlève rien à la grandeur du site et à la gentillesse de ses habitants. Jamais nous n'avons entendu le moindre éclat de voix. Les gens semblent ne pas connaître la dispute. La violence est absente de leurs mœurs. Ce trait de caractère a déteint sur le monde animal, en particulier les chiens, qui ne montrent aucune crainte ni agressivité envers l'homme. Ce sont des animaux sacrés au même titre que le taureau, en effet si ce dernier symbolise la monture de Shiva, les chiens sont les gardiens des temples. Vous les trouvez alanguis à l'entrée de tout édifice religieux. Vous les frôlez au centimètre près, ils ne bougent pas une oreille et n'entrouvrent pas un œil, cela dénote une très profonde confiance dans tout être qui les approche.

 

Journée d'acclimatation à Manang, cependant une excursion sur les pentes du GanggaPurna est prévue. Départ neuf heures, descente à la rivière puis montée au flanc de la montagne. Nous allons dépasser les 4000 mètres pour la première fois de notre trek. Tout se passe très bien, personne n'éprouve de difficulté et cela donne bon espoir à chacun pour la suite et en particulier pour le passage du Thorong La à 5420 mètres qui doit avoir lieu dans quatre jours. Le temps reste partiellement couvert, mais cela n'empêche pas de voir l'immense cascade de séracs de la face nord du GanggaPurna qui nous domine de quelques 3500 mètres. A nos pieds de gigantesques moraines quasiment verticales, dans lesquelles de très gros cailloux tiennent par l'opération du Saint Esprit, ou plutôt dans ces régions bouddhistes par l'opération de Ganesh qui est le dieu des voyageurs, donc chargé de nous protéger. Nous devons avouer qu'au cours de ces dix huit jours il accomplira un bon travail car aucun d'entre nous ne connaîtra d'incident notoire, pourtant à onze les risques sont forcément multipliés. Le point le plus haut atteint ce jour est matérialisé par un shorten au pied d'un petit bois d'arbres à feuilles caduques, dont le jaune de la frondaison confirme que l'automne est arrivé. Quelques flocons tombent et la température fraîchit. Nous redescendons de deux cents mètres et déjeunons à une petite cabane. Le point de vue sur Manang est de tout premier ordre, ensemble de maisons étiré en longueur, bordé à sa base par une falaise de faible hauteur, le tout enserré d'une multitude de champs cultivés en terrasses. Heureusement au cours du repas le temps s'améliore car nous sommes en plein air.

 

Vers les treize heures, il est prévu d'assister à une cérémonie religieuse dans le village. Cet office est conséquence directe de la fête nationale. En effet, à cette occasion exceptionnellement des animaux sont tués pour être mangés. Donc après ces festins il est nécessaire de demander pardon pour la mort des bêtes ainsi disparues. Le monastère est de belles dimensions, richement décoré. Les piliers de ce que l'on peut appeler la nef principale sont constitués de troncs d'arbres peints aux cinq couleurs de la religion. Il y a déjà beaucoup de monde. Les moines sont alignés de part et d'autre de l'allée centrale, le plus ancien au fond à droite sur un fauteuil imposant. Sur la partie gauche en arrière de nombreux fidèles sont assis, en majorité des femmes d'un certain âge. Les jeunes comme dans d'autres religions se désintéresseraient-ils de la spiritualité? Nous sommes installés du côté droit en arrière de la double rangée de moines. D'autres fidèles viennent se positionner derrière nous, dont quelques hommes. Alors que la cérémonie va commencer, un groupe de jeunes hommes arrive, du fait qu'ils n'enlèvent pas leurs chaussures des remarques leur sont adressées. Le ton est plus amical que vindicatif et ils obtempèrent dans des petits gloussement de rire de la part de l'ensemble des participants. Enfin la célébration débute. La ferveur est évidente. Les moulins à prières manuels entrent en action. Les moines psalmodient leurs chants et la foule reprend en chœur. Les instruments de musique à vent et à percussion rythment la prière. Derrière nous, un fidèle qui de toute évidence n'est pas à jeun accompagne ses murmures de prières de bâillements nombreux appuyés et très bruyants. Personne ne semble le remarquer ou plutôt chacun feint de ne pas l'entendre. Du lait de yak est distribué à l'assistance népalaise, et pour nos gosiers occidentaux délicats du thé noir sucré. Les chants continuent et consistent en une psalmodie sur un ton doux et triste, ponctuée de coups de cloche. Puis chacun s'absorbe dans ses prières et certains des fidèles prononcent quelques paroles sur un rythme qui nous paraît anarchique, mais qui probablement répond à une tradition bien établie de longue date. Ce qui ressort d'une telle cérémonie, c'est la sérénité et la douceur de l'ensemble des participants. Tout se passe dans le calme et la ferveur, ce qui n' a pas empêché les petits rires joyeux d'éclater de temps à autre avant le début.

 

A la sortie du monastère nous retrouvons l'éclat des montagnes avec le plein retour du soleil. Regarder les drapeaux de IMGP4880.JPGprières multicolores flotter devant les Annapurna est un spectacle envoûtant dont on ne se lasse pas. L'après-midi n'étant qu'à peine entamé, nous avons tout loisir de farfouiller dans les recoins de ce village, ou bien d'aller s'absorber devant un écran à la recherche des dernières nouvelles fournies par le net. Eh oui internet nous poursuit jusqu'ici. Certains vont monter à un monastère bien visible sur son promontoire. Il est malheureusement fermé mais le point de vue est de toute beauté.

 

Retour à l'hôtel où les cartes et les livres sortent. Il est intéressant de voyager ainsi en groupe au moins pour une raison. Chacun apporte un ou deux livres, ce qui permet les échanges. De ce fait on est amené à découvrir des auteurs que l'on n'aurait jamais abordés. Cela peut occasionner des révélations ou des déceptions . En particulier un auteur révélé récemment et très en vogue dont les livres envahissent toutes les librairies ne m'inspirait pas. Tout d'abord cet excès de publicité qui s'apparente à un véritable matraquage est très désagréable, d'autre part la grosseur de l'écriture et le faible nombre de pages est un facteur défavorable. Donc au moins pour ces raisons je n'avais jamais envisagé l'achat d'ouvrage de cet écrivain. L'occasion m'étant donnée d'en avoir un, la curiosité me pousse à voir de quoi il retourne. Heureusement qu'il est court, car je ne sais pas, si c'est à cause de mon QI défaillant, incapable de permettre une lecture du second voire troisième degré ou alors de la véritable nullité de l'écrit, mais je suis resté vraiment dubitatif devant ce récit qui se termine en apothéose avec Dieu et le diable qui deviennent grands pères et qui en sont très contents. Faut-il y déceler un message qui va nous apporter la révélation? Mais heureusement d'autres livres apporteront à l'ensemble du groupe un véritable plaisir, j'en citerai deux: l'oracle de la luna magnifique épopée se déroulant au 17 ème siècle en Méditerranée où les religions catholique, protestante, orthodoxe et musulmane sont abordées de façon très intéressante et le second ouvrage Annapurna premier 8000 à lire ou relire impérativement au cours de ce tour de cette fameuse montagne. On en comprend d'autant plus les difficultés énormes rencontrées par Herzog et son équipe que l'on se situe au cœur du massif montagneux dont il est question. Pour ce dernier ouvrage émotion assurée si vous l'avez dans votre sac.

 

10/10/2008

Cette nuit la difficulté à respirer ne s'est toujours pas manifestée. Il faut dire que nous montons à un rythme lent bien adapté à l'acclimatation en douceur. Une fois de plus le petit déjeuner sera diversement apprécié. Il est constitué d'un gros bol de tsempa qui est du millet grillé puis broyé et mélangé à du lait. Ça ressemble un peu à de la blédine, en tout cas cette mixture va tenir au ventre.

IMGP4890.JPGDépart rituel à 7 heures dans un décor toujours aussi grandiose. La rivière a creusé profondément une couche morainique et a établi son lit en une multitude de ramifications sur une petite vallée en U. Le contraste entre les veines d'eau bleu foncé, le lit de galets gris clair et les parois de moraines ocres piquetées de buissons verts, le tout dominé par la blancheur de la face nord est du Tilicho Peak est saisissant. Le chemin court à flanc vers le fond de cette vallée qui doit nous conduire au plus haut lac du monde. Parfois nous sommes dominés par des pentes de terre verticales, desquelles de grosses pierres semblent prêtes à nous fondre dessus. En période de fortes pluies le coin doit être malsain. Le long du chemin côtoyant les à-pics divers animaux paissent paisiblement.

 

Arrêt à Khangsar à plus de 3700 mètres. En montant, la vue s'élargit et le Tilicho Peak grandit face à nous. Les toits des maisons du village sont constellés de drapeaux de prières qui claquent au vent. Les cultures montent encore quelques centaines de mètres jusque vers les 4000 mètres . Il règne une activité importante dans les champs de sarrasin pour le IMGP4901.JPGramassage et sur les toits pour le séchage. Se fait entendre, un peu partout, le bruit des scies en action, pourtant des arbres je n'en vois pas beaucoup. Sans doute travaillent-ils des matériaux montés à dos d'homme? Il monte de ce peuple besogneux un murmure de voix qui témoigne de l'activité humaine.

 

Nous reprenons le chemin, la vallée se resserre, les montagnes se font plus proches. Nous ne pouvons visiter un monastère car il est fermé. Arrêt pour le déjeuner au Tilicho hôtel, la terrasse est un magnifique balcon duquel nous contemplons tout à loisir la très sauvage vallée qui conduit au plus haut lac du monde. En ce lieu nous reviendrons dormir demain soir au retour du Tilcho lac. Une bonne partie de nos affaires est laissée et nous ne prenons que le strict minimum pour 24 heures. Une fois notre habituelle platée de féculents absorbée dans la bonne humeur générale, la marche reprend. Bir Singh nous met en garde sur la difficulté des passages qui viennent. En effet après une heure de marche en montées et descentes sur un chemin étroit et pénible, nous abordons une zone redressée. Le chemin à flanc se transforme en minuscule sente sur pentes instables. Il nous est demandé de marcher espacés, certains pierriers étant particulièrement croulants. Effectivement, durant un ou deux kilomètres nous jouons les funambules sur une espèce de poussière glissante au-dessus d'éboulis qu'il ne faudrait pas dévaler sur les fesses. Certains endroits sont très impressionnants, tout particulièrement dans les très IMGP4906.JPGraides et heureusement peu nombreuses descentes qui ponctuent l'itinéraire. Dans ces lieux, on ressent la désagréable impression d'être en limite d'adhérence de nos semelles et nous imaginons ce qui pourrait résulter d'un dérapage intempestif. Le site est grandiose dans son austérité, plus aucune végétation, du fait sans doute d'une combinaison entre l'altitude et l'érosion sévissant sur ces terres raides.

 

La rivière que nous surplombons de quelques centaines de mètres fut le témoin d'une expérience vécue par Maurice Herzog il y a maintenant 58 ans. Alors qu'avec une équipe à la recherche d'un itinéraire vers l'Annapurna il bivouaquait au lac Tilicho, il était descendu seul à Manang à la recherche de nourriture. Arrivé au village, il constata que la misère était telle que personne n'était en mesure de lui vendre quoi que ce soit, chaque kilo de céréales étant indispensable à la population menacée de famine. Donc il repart sans rien, pressé de rejoindre ses compagnons afin d'accélérer le retour sur la vallée au pied du Dhaulagiri, car à leur tour ils pouvaient être menacés de famine. Il se lance donc dans la remontée de la rivière en fin d'après-midi, à un moment il est obligé de la traverser. L'opération ne se passe pas très bien, il en ressort tout mouillé. Sur ces entrefaites la nuit arrive, et trempé il attendra en grelottant que le jour se lève pour retrouver son équipe. Comme je le répète il est indispensable de se munir du livre premier 8000 lors de ce trek. Toute l'histoire de cette poignée d'alpinistes, parmi les meilleurs de leur époque, ponctuera de ses anecdotes, exploits et drames votre voyage. En particulier, on réalise à quel point la vallée a changé depuis un demi-siècle. Manang, actuellement avec ses nombreux hôtels et sa multitude de magasins, n'a plus rien à voir avec ce village vivant en autarcie, sous la menace permanente de la carence d'aliments.

 

Enfin, après avoir tourné une crête, nous voyons arriver la fin de notre petit calvaire sur ces roulements à bille en pente et sans filet. Encore une petite difficulté, sous la forme d'un court passage très raide au-dessus d'un couloir particulièrement vertigineux, où le fait de pencher le corps en avant afin de mettre un pied au sol donne l'impression d'être en position pour le grand plongeon. La pente faiblit, la végétation colonise à nouveau le terrain, certes rabougrie, mais cela stabilise les pierres. Le fameux Camp Base se dévoile, bâtiment en béton de belles dimensions qui fait tout à fait penser à certains refuges des Alpes. De toute évidence nous ne serons pas seuls.

 

Comme à chaque fois que nous arrivons à l'étape, Bir Singh nous impose de monter de cent cinquante mètres de dénivelé, paraît-t-il que cela nous facilitera la nuit. Ce soir, le rassemblement pour le départ de cette montée préparatoire à l'endormissement se fait difficilement. Ça renâcle, ceux qui attendent commencent à avoir froid, l'altitude est de 4100 mètres. Enfin le groupe est constitué, oui nous sommes bien onze, pas de tire-au-flanc. Le sentier est pentu le long d'une ancienne moraine, des contestations montent . Mais le spectacle étant magnifique et l'effet bénéfique attendu, la colonne monte tant bien que mal. Mais à la fin de la file on commence à traîner et d'un coup la révolte contamine tout le monde et la marche arrière est enclenchée. Les conditions dans les dortoirs sont difficiles, en effet il ne s'agit plus de chambres. Nous sommes 4 dans l'un et 7 dans l'autre. L'espace entre chaque lit se mesure en centimètres. La température baisse ce qui sera apprécié en pleine nuit vu l'exiguïté des pièces. Le sommeil, pour certains pour ne pas dire pour tous, malgré les exercices préparatoires de montée , sera pour le moins léger. Pour ma part je vais passer de longues heures, caché dans mon sac de couchage, à lire, heureusement le livre est passionnant, ce qui fait que cette situation inconfortable ne me dérange pas vraiment.

 

11/10/2008

Lever matinal, 4h15, départ 5 heures. Cet horaire matinal est imposé par le fait que vers les huit heures du matin des vents violents se lèvent aux cols situés vers les 5000 mètres, ce qui est désagréable et pour bien profiter il est préférable d'y être avant. Les premiers mètres se font de nuit à la frontale. Les immenses glaciers dans cette pénombre n'en sont que plus impressionnants et majestueux. Rapidement la frontale n'est plus nécessaire, le jour se levant. Le chemin est bien tracé, mais l'altitude se fait sentir au souffle. Toute tentative de courir se solde par un emballement du rythme cardiaque et le retour au calme se fait longuement attendre. Donc garder un pas lent sans chercher l'exploit. Avec le jour, le soleil pointe et IMGP4911.JPGéclaire le haut de la face nord-est du Tilicho Peak. Le spectacle est grandiose, ces immenses cascades de glace toutes proches qui nous dominent de trois mille mètres, prennent des couleurs roses et jaunes. De petits nuages n'enlevant rien au décor ajoutent au mystère de ces hauteurs de la terre gelées. Vers 4900 mètres nous rencontrons la neige, la pente diminue et l'itinéraire suit un large vallon presque plat. Quelques petites mares sont dépassées puis dans toute son imposante étendue apparaît le lac le plus haut du monde. Sa couleur est d'un bleu profond, de grands glaciers tout juste issus de pentes vertigineuses forment de hautes barres de séracs à même le bord du lac au contact de l'eau. Nous nous trouvons vraiment au cœur de très hautes montagnes. Chacun de nous se souviendra toute sa vie de ce lieu magique. Nous nous situons sur un petit promontoire cinquante mètres au-dessus du niveau du lac, ce qui nous permet d'en apprécier toutes les caractéristiques. De plus, comme toujours au Népal, les endroits particuliers sont constellés de drapeaux de prières, qui ajoutent à la grandeur du lieu par la spiritualité qu'ils inspirent. Un panneau nous indique les chiffres suivants: longueur 4 kilomètres, largeur 1,2 kilomètre, altitude 4919, soit 1107 mètres au-dessus du lac Titicaca. Il fait bon, pas encore de vent. Notre joie éclate, nous prenons conscience que notre projet prend forme et s'inscrit dans la réalité. Trois Français montés seuls nous expliquent que leur guide et leurs porteurs se sont sentis mal et qu'ils ont renoncé à monter. Comme quoi, il faut sans doute faire attention au choix des accompagnateurs. En ce qui nous concerne rien de tout cela, même les porteurs sont montés, bien que nous redescendions par le même chemin, notre guide se préoccupant de leur formation.

 

IMGP4915.JPGLe moment arrive où il nous faut quitter ce lieu. Le soleil commence à cogner malgré l'altitude, nous courons dans les grands champs de neige. A l'est la vue porte très loin, la vallée remontée depuis plusieurs jours se déroule à nos pieds. En toile de fond se dresse le Manaslu premier des trois 8000 que nous aurons le bonheur de voir. Une fois au Base Camp vers les dix heures, une petite collation nous est servie. Aujourd'hui il y a déjà pas mal de monde qui est monté, et cet après-midi va apporter son nouveau lot. Certains risquent de dormir dehors. Une fois rassasiés avec une légère appréhension nous reprenons la sente vertigineuse, mais comme toujours l'effet sera moindre au retour, cependant nous ne relâchons pas notre attention. Une fois retrouvé le chemin plus carrossable, nous marquons une petite pause. Pour la première fois, le plaisir nous sera offert de voir les fameux «blue sheeps» ou chamois de l'Himalaya, au pelage remarquable gris très clair aux reflets bleutés. Retour à l'hôtel Tilicho. Sa construction n'est pas achevée, première conséquence pas d'eau aux douches, cela ne fera que deux jours sans se laver, pas vraiment un drame. Même si cela donne un petit coup au moral, la mi-parcours compense cet état d'âme ondulant. En effet déjà neuf jours de marche, on ne dirait pas, le temps semble voler, donc profiter de chaque instant et ne surtout pas perdre de temps à se lamenter.

 

Garder le moral et sa bonne humeur est fondamental, d'abord pour soi et puis pour la cohésion du groupe. Nous avons croisé hier une Alsacienne qui se déplaçait seule avec son guide et un porteur. Nous nous sommes entretenus quelques minutes. Outre le fait de nous vanter la splendeur du spectacle qui nous attendait au lac, elle nous a fait part de ses expériences de voyages. Nous étions, en effet, intrigués de la voir seule, elle nous a donné l'explication suivante : pour la septième fois elle vient au Népal, au début en voyages de groupe, mais les deux dernières fois des dissensions graves entre les participants ont rendu l'atmosphère très désagréable. Donc il faut toujours faire attention lors d'activités collectives de préserver la cohésion, de bien respecter les petites habitudes et faiblesses que nécessairement nous avons tous. Lorsque les participants se connaissent avant de partir c'est déjà un petit gage d'entente. Par contre, quand les agences en fonction des besoins et des demandes, forment des groupes d'étrangers cela peut devenir délicat, et il peut en résulter que ce qui devait être une partie de plaisir se transforme en calvaire. Toujours garder à l'esprit que sans cohésion dans un groupe il est illusoire de vouloir trouver une satisfaction dans une randonnée collective, donc la tolérance, la bienveillance et la bonne humeur s'imposent. Je crois que nous étions tous bien conscients de ces facteurs.

 

12/10/2008

Comme pratiquement tous les matins, la montagne nous accueille au réveil par sa majesté et ses immenses pics étincelants. Depuis plusieurs jours le panorama a pour toile de fond ces géants que sont les Annapurna, le Ganggapurna et d'autres sommets, mais le regard ne se lasse pas de parcourir ces immensités de rocs et de glace, toujours intrigué par le fait d'imaginer la grosseur d'un homme accroché quelque part dans ces faces démesurées.

 

L'étape de ce jour doit nous ramener dans la vallée qui conduit au Thorong La. Pour ce faire, le chemin choisi emprunte un raccourci, qui en quelque sorte coupe dans la partie charnue du Y que font les deux vallées. Cet itinéraire est peu parcouru et nous n'y rencontrons pratiquement personne. Au sommet du mouvement de terrain entre les deux combes un vaste replat, sur lequel se blottit un vieux village. Les toits de ses maisons se découpent sur les blancheurs du GanggaPurna en IMGP4931.JPGarrière-plan. Un important troupeau de moutons se déverse sur une petite prairie. L'air est calme, le soleil éclatant, on sent le lieu habité par les forces de la nature. Un peu plus loin, le panorama s'ouvre largement sur la vallée principale et celle-ci est ponctuée de tous les villages que nous avons traversés au cours de la montée. Le Pisang Peak tient lieu de sentinelle avancée. Malgré son altitude relativement faible, ses formes élancées le font émerger, presque surgir, au-dessus de la vallée. Le point culminant de notre trek nous apparaît clairement, de jour en jour toujours plus proche. Après-demain devrait être le grand jour. Par une marche de flanc nous rejoignons l'itinéraire principal, quelques kilomètres en amont de Manang. La grosse affluence que nous avons quittée depuis deux jours est retrouvée.

 

Arrêt vers les onze heures à Yak Kharka, nous ne sommes pas pressés, l'étape de l'après-midi étant courte. Arrivée de bonne heure à Ledar où nous passerons la nuit à l'hôtel Cherri Lattar. Notre petite montée rituelle de bien-être n'est pas oubliée.

Nous avons tout loisir de prendre notre temps. J'attaque mon troisième livre, et le fait de s'adonner à cette activité dans ce décor est un réel plaisir. Il est même décuplé par le fait d'être absorbé dans un récit qui n'a rien à voir ni avec le lieu ni avec l'époque. Je comprends mieux pourquoi de grands voyageurs, comme Paul Morand, toujours sur les routes, se déplaçaient avec des malles pleines de livres.

 

Et c'est là qu'en fin d'après-midi, alors que tout se passait pour le mieux, que le lamentable incident de Spaghetto se déroula. Sans rentrer dans les détails, alors qu'en absence de douche nous étions partis nous laver dans un ruisseau, très pudiquement, sans mélanger les sexes en respectant des espacements décents, le très impudique Spaghetto apparut et exhiba son vermicelle (grosseur avant cuisson) au joli sexe et bien évidemment à une distance que la morale et le savoir-vivre réprouvent totalement. Il s'ensuivit de la gêne de la part de la personne soumise à ce spectacle rapproché et de la IMGP4936.JPGcolère de la part de ses compagnons. Mais heureusement, Ganesh, une fois de plus, veillait à assurer et maintenir contre vents et marées la bonne humeur en vengeant les pauvres trekkeurs que nous sommes de cet affront perpétré par un étranger. En effet, paraît-il, la vengeance est un plat qui se mange froid, mais en l'occurrence elle se but assaisonnée. Notre malotru, content de ses agissements ou voyant qu'il ne déclenchait pas l'effet escompté, remonta le ruisseau et but avidement à même le courant. Un peu estomaqués nous le regardions, et là Ganesh se manifesta. Quelques dizaines de mètres au-dessus de notre goujat, de derrière un rocher se dessina une belle paire de fesses blanches mais masculines et l'eau fut consciencieusement assaisonnée alors que le buveur était tout absorbé à son occupation. Nous étions aux anges et le petit talweg retentit d'un immense éclat de rire dont Spaghetto cherche toujours la raison.

 

Le soir, repas habituel à base de féculents. Il commence à faire froid, l'altitude est de 4200 mètres. La gentille infirmière de notre groupe vole au secours d'une jolie nordique en perdition. Le traitement administré sera efficace car nous reverrons la patiente toute souriante à l'assaut des pentes terminales du Thorong La.

La nuit, tout du moins en ce qui me concerne, est pénible. La difficulté à respirer se fait sentir, et tout particulièrement au moment de sombrer dans le sommeil. Il s'ensuit une espèce de suffocation et une impossibilité de s'endormir, cela crée même une forme d'angoisse. Le meilleur antidote consiste à se lever et partir se promener dans la nuit. Là, le spectacle est extraordinaire, la voie lactée comme si on la touchait, tellement nette qu'elle apparaît en trois dimensions. Clou du spectacle, une étoile filante de belle taille parcourt la voûte céleste dans toute sa largeur. Comme quoi le désagrément peut être générateur de plaisir.

 

13/10/2008

L'étape du jour est de courte durée, deux heures de marche. Le temps toujours aussi beau, le décor grandiose et au-dessus du sentier le Throng La qui se rapproche. Nous sentons que le point principal de notre randonnée va bientôt être atteint. Sur le chemin une foule nombreuse crée de véritables encombrements.

 

Arrivée à Thorung Phedi à dix heures trente du matin, le site est constitué de nombreuses constructions capables d'héberger plusieurs centaines de marcheurs. Le froid est un peu plus vif, nous nous situons à 4450 mètres. Un grand panneau à IMGP4945.JPGl'entrée de ce village d'altitude met en garde contre le mal des montagnes, en décrit les symptômes et donne les conseils adéquats en cas d'atteinte. Dans la salle de restauration des courants d'air froids nous rappellent que nous sommes en montagne, il faut dire que la température agréable qui nous accompagne depuis notre départ nous l'avait fait un peu oublier.

 

Repas du soir, grosse platée de pâtes au fromage, certains doivent se forcer à manger, de toute évidence l'altitude n'y est pas pour rien. Chacun est un peu tendu dans la perspective des 900 mètres de dénivelé du lendemain qui doivent nous conduire à plus de 5400 mètres. La nuit est un vrai calvaire. A l'endormissement un phénomène d'apnée me réveille brutalement à chaque fois. Les parades, lire ce qui empêche de s'endormir ou aller se promener. Là encore le décor nocturne est féerique, alors que notre versant de montagne est plongé dans une pénombre épaisse, car la lune est cachée par une paroi rocheuse, en face les glaciers de l'immense barrière, qui s'étend de l'Annapurna 2 au Tilicho Peak, brillent de tous leurs feux sous l'éclairage lunaire. Dans ce monde minéral où tout bruit est absent à cette heure tardive, le contraste entre recoins très sombres et zones largement illuminées est un spectacle étonnant. On ne peut rester toute la nuit dehors car la fatigue se fait sentir, donc la seule alternative consiste à prendre patience en restant allongé entre éveil et étouffement. Heureusement l'attente ne sera pas trop longue car le départ est prévu très tôt.

 

14/102008

Lever 3 heures, Bir Singh passe dans toutes les chambres pour s'assurer que nous nous levons tous. La salle de restauration est vraiment encombrée, on se croirait au départ d'une course classique dans un refuge du massif du Mont Blanc au mois d'août. Ce matin encore, il n'est pas facile de manger. Le départ est prévu à quatre heures, et, respectant l'horaire, la marche débute. Un cheval et son conducteur nous accompagnent pour cette étape en cas de défaillance. Dans la pente raide une multitude de lampes frontales regroupées par dizaines matérialisent le sentier. Là plus de doute on se croit sur la voie normale du Mont Blanc ou des Écrins un jour d'affluence. High Camp est atteint au lever du jour, la neige fait son apparition au sol. Nous en foulons les premières plaques en faisant attention car elle est gelée et la pente, par endroits, assez raide. La température tombe. Le chemin remonte en biais une gigantesque moraine, bien plus immense que celles que l'on peut voir dans les Alpes.

Le jour se lève franchement, le soleil commence à allumer les pentes du Thorung Peak, moment merveilleux où l'on sent la montagne passer de l'hostilité à la clémence alors que le but n'est pas atteint, mais les derniers doutes s'estompent et la réussite semble acquise. Vers les 5000 mètres halte à la première cabane à thé, petit bâtiment rectangulaire fait de IMGP4952.JPGpierres, à l'intérieur duquel une foule compacte s'agglutine à la recherche d'un peu de chaleur et de liquide. Malgré l'altitude et le froid il s'en dégage une odeur peu agréable. Je préfère attendre dehors. Nous reprenons notre marche pour la dernière étape. La chaleur augmente avec la montée de l'astre du jour. Le chemin, empruntant des moraines caillouteuses à l'inclinaison capricieuse, est entièrement déneigé, alors que la partie opposée du vallon est couverte d'une couche blanche, uniforme. Le souffle se fait court, les derniers cent mètres parcourus avec lenteur dans l'effort procurent une joie immense à l'idée d'une réussite imminente. La luminosité est intense, avivée par la couleur claire des pierriers que nous remontons ainsi que par l'éclat des plaques de neige.

 

Le plus étonnant c'est le nombre de porteurs lourdement chargés, et d'après notre guide certains transportent des denrées d'une vallée à l'autre, le chemin doit être plus court en passant par là. Alors qu'avec nos petits sacs sur le dos nous peinons, les Népalais avancent à la même vitesse voire plus vite avec 50 ou 60 kilos sur le dos. Près de l'arrivée je marche avec un groupe de porteurs, l'un a trois sacs sur le dos le tout couronné de tout un matériel de cuisine, un autre porte une IMGP4959.JPGénorme charge jaune sur laquelle est posé un gros sac de farine qui pèse au moins dix kilos. Ils avancent complètement penchés en avant pour ne pas se faire déséquilibrer. Dans cette dernière étape, tous ont remplacé leurs tongs par des chaussures plus confortables.

Le col apparaît, vaste zone dégagée légèrement enneigée au confluent de deux immenses vallées. De part et d'autre nous dominent le Yakwakang, presque 6500 mètres et le Thorung Peak, 6144 mètres. Sur les pentes de ce dernier se distingue très nettement une trace de montée récente. L'itinéraire semble peu difficile et sans danger objectif, des pentes qui ne dépassent pas les quarante degrés.

 

A notre arrivée à la passe une foule joyeuse s'y presse. Là encore, la multitude de drapeaux de prières est la première chose qui attire le regard. La stèle de belles dimensions donnant l'altitude et vous félicitant d'avoir réussi cette ascension est littéralement noyée sous des épaisseurs de tissus multicolores. Chaque groupe sacrifie avec frénésie au rite de la photo IMGP4969.JPGau pied du monument matérialisant le col. Bien entendu, nous concernant, un drapeau basque est sorti, ce qui intrigue certains. Une Française me demande de quel pays nous venons.

 

L'air est calme, à huit heures le vent ne s'est pas encore levé. Nous stationnons un bon moment savourant notre plaisir, pour dix d'entre nous c'est un record d'altitude. La carte indique en toute modestie « World's biggest pass».

Puis arrive l'instant de quitter cet endroit vers lequel notre esprit était tendu depuis de nombreux jours. Une descente au dénivelé important nous attend. Ce soir nous dormirons à Muktinath à 3760 mètres. Ce qui frappe immédiatement sur ce versant, c'est l'aridité. En effet cette zone est moins touchée par la mousson, et plus au nord se situe le Mustang, qui n'est pas atteint par les pluies annuelles. Nous commençons par descendre d'immenses pierriers dans un vallon large et austère durant trois heures. Halte agréable à Chanbarbu à 4200 mètres où nous déjeunons.

 

Nous avons la joie de voir à nouveau les fameux blue sheeps. Quelques individus paissent tranquillement dans la pente caillouteuse en face de notre terrasse de restaurant. Une fois le chemin repris, nous croisons deux Basques, c'est l'exultation. Un peu avant d'arriver à Muktinath au détour d'une crête se dévoile le Dhaulagiri dans toute sa splendeur du haut de ses 8172 mètres. Cette apparition donne un coup de poing à l'estomac. Une gigantesque pyramide, un Cervin à la puissance 5, s'élève sur le versant opposé. L'impression est d'autant plus forte qu'il est seul, détaché de toute autre chaîne de montagnes. Au cours des quatre jours à venir, il nous accompagnera et nous aurons tout le loisir de le découvrir sur trois de ses faces.

 

Arrivée à Muktinath, notre guide nous conduit à trois temples, le premier aux 109 fontaines, le second avec flammes dans l'eau et en dernier la source de la Kali Gandaki. Le village est très différent de ceux traversés jusqu'à présent. Il s'étale sur une immense terrasse comme une grosse marche posée dans la pente. Avec l'altitude décroissante, les températures deviennent plus confortables.

 

La tombée de la nuit sur le Dhaulagiri est fascinante. Sa face nord-ouest semble surgir au-dessus des toits. A cette heure IMGP4978.JPGelle n'est plus éclairée, le soleil se situant à l'ouest. L'effet obtenu est étonnant. Une grande pyramide noire isolée se découpe sur le ciel bleu profond. Toute notion d'échelle s'estompe. On ne sait plus s'il s'agit d'un huit mille émergeant dans toute sa grandeur ou d'un terril juste posé derrière la dernière maison du village. Sommes-nous à Saint-Étienne ou dans l'Himalaya? Très forte impression, le regard reste accroché à ce spectacle jusqu'à ce que tout se dissolve dans l'obscurité.

L'hôtel Caravan est agréable, le repas du soir animé, chacun se libère définitivement de ses petites appréhensions concernant cette journée qui représentait le moment clef de notre voyage. Deux Suisses de Lausanne mangent avec nous et l'ambiance est joyeuse.

 

15/10/2008

 

Il est impératif de ne pas manquer le lever du soleil sur le Dhaulagiri. Le ciel est clair, un petit nuage se promène, l'air est frais et la grande pyramide surplombe le paysage. Elle est déjà éblouissante sans soleil. Au sommet, une pointe de lumière se pose et le grand spectacle commence. L'embrasement de la paroi progresse à vue d'œil, en quelques dix minutes toute la face sur ses milliers de mètres réfléchit les rayons de l'astre du jour. Instant magique je reste pétrifié comme hypnotisé. De tous les points du village cette montagne aux formes si parfaites est visible, comme si son esprit veillait sur le lieu.

 

Comme d'habitude départ matinal, à la différence des jours précédents nous descendons. A Jakot visite d'un dispensaire tenu par un Américain, mais cela ne soulève pas l'enthousiasme, cependant l'herboristerie est intéressante. La descente reprend dans un monde semi-désertique. Un petit cours d'eau traverse la piste, en effet les voitures, certes peu nombreuses, ont fait leur apparition. Un joli petit bosquet d'essences caduques aux feuilles multicolores nous rappelle que même dans ce désert l'automne est arrivé. De nombreux Népalais se dirigent vers la vallée. Un moine tient par la main un jeune garçon, une recrue qui rejoint son monastère et un nouveau mode de vie.

 

Au détour du chemin un promontoire, en contre-bas bien caché par la rupture de pente, le très joli village de Kagbeni. Il se trouve niché au confluent de trois vallées formant un Y. Le contraste est fort entre les cailloux gris de cette zone désertique IMGP5025.JPGet les multiples couleurs des champs qui colonisent les environs du village. Toujours de petits champs de céréales, de couleurs uniformes allant du vert au brun, se serrent les uns à côté des autres. Des vergers très reconnaissables à leurs arbres en boules sont regroupés et ne se mélangent pas avec le blé et le sarrasin.

 

Ce bourg appartenait il y a une centaine d'années au Tibet. Le Népal, après un conflit armé, l'a rattaché à son territoire ainsi que la région du Mustang. A Kagbeni se trouve le check-point d'entrée dans cette vallée. La taxe payée est versée au roi du Népal, depuis que les maoïstes ont pris le pouvoir et décidé de ne plus subventionner directement ce dernier. Comme quoi même les maoïstes népalais sont pacifiques. Dans tout autre pays, après un coup d'état de ce genre, au mieux le roi aurait eu la possibilité de s'enfuir et plus probablement il aurait été interné voire exécuté. Eh bien pas au Népal, un royaume lui a été attribué avec droit de perception de taxes pour assurer son train de vie.

 

Dans un petit hôtel restaurant nous prenons un thé, l'intérieur est joliment construit en bois, sur les étagères une multitude d'ustensiles de cuisine en différents métaux principalement cuivre et étain, le tout très propre. Visite dans les ruelles étroites, l'architecture est ancienne, aucun bâtiment de type lodge aux couleurs clinquantes. La sobriété ressort par IMGP5039.JPGl'absence de couleurs vives. Seule, lançant un éclat de lumière sur cet ensemble de ruelles ternes et sombres, la splendide face nord du Nilgiri, qui domine du haut de ses 7061 mètres.

 

Nous poursuivons notre marche le long de la Kali Gandaki, rivière mythique, aux eaux sombres, qui arrive du Mustang. La vallée est caillouteuse et poussiéreuse. Le vent se lève et souffle de face. L'itinéraire suit une immense plaine plate et monotone, le lit de galets que nous foulons se perd dans le lointain. Le serpent humain ondule sur des kilomètres au milieu des tourbillons soulevés par l'air. La piste longe des vergers à l'abandon, les murets se sont écroulés et les pierres les constituant se sont répandues sur le chemin. Il en ressort une impression de désolation. Sur la gauche, un large vallon minéral et asséché permet de jeter un dernier regard sur le Thorong La Peak, un petit pincement au cœur. Cette marche caillouteuse et ventée certains ne vont pas l'apprécier, pour ma part elle me plaît bien. En effet ces vastes espaces permettent de laisser vagabonder l'esprit et donnent peut-être un tout petit avant-goût des grands déserts d'Asie.

 

La ville de Jomsom n'étant plus très loin nous croisons des groupes de touristes fraîchement arrivés par avion par son aéroport. Un couple d'Américains, accompagné d'un guide et d'un porteur, la femme se semble pas convaincue par la beauté de ce tas de cailloux parcouru par des nuées de poussière. Un peu plus loin, un beau Népalais à la silhouette svelte porte le sac d'une rousse au visage pâle. Va-t-il l'emmener visiter les solitudes du Mustang? A tous ces groupes un petit salut est donné. Aux Népalais je ne déroge pas à la règle du Namasté, aux autres un bonjour en français. Les réactions sont diverses. Ceux qui répondent Hi ou morning, ceux qui disent bonjour avec un fort accent étranger et qui ajoutent «comment ça va» en souriant, et puis il y a ceux, heureusement peu nombreux, qui vous regardent avec un air réprobateur, leur yeux trahissant des pensée du genre: espèce de prétentieux de Français vous pourriez vous conformer à la règle traditionnelle du salut du pays ou au moins parler dans la seule langue internationale.

 

Deux cavaliers nous dépassent d'une chevauchée alerte. Les véhicules, voitures et motos sont de plus en plus fréquents. Les 4x4 sont lourdement chargés, de nombreuses personnes sur le toit. Il s'agit généralement de porteurs, leurs têtes dodelinent en synchronisation parfaite au gré des secousses occasionnées par les pierres de la piste. Des motos de temps à autre nous dépassent. Dans le vent nous ne les entendons pas toujours arriver et ne nous poussons pas à temps. Le chauffeur, sans impatience, se met au pas du marcheur, puis ce dernier se rend compte d'une présence et s'écarte, alors le motocycliste accélère.

 

Une immense passerelle enjambe la Kali Gandaki. A l'une de ses extrémités une vieille femme à l'abri relatif d'un muret expose quelques pommes à la vente. Arrivée à Jomsom, c'est vraiment le pays du vent, il y souffle avec force. Sur le pont nous conduisant au centre, les drapeaux de prières sont à l'horizontale.

Des chevaux sont à l'attache en pleine rue centrale, étroite et bien pavée. Un troupeau de yaks chargés passe. Tout ce beau monde se croise en se faufilant les uns entre les autres sans précipitation et sans se bousculer. Une fois le troupeau passé, je vois avec étonnement un chien profondément endormi au beau milieu des pavés. Manifestement il n'a pas bougé lors du passage des yaks, pourtant ils étaient nombreux et le passage réduit.

 

La ville de Josom, outre sa piste d'aviation, héberge l'école népalaise d'alpinisme militaire. Sur une grande falaise aux couleurs fauves il est écrit en lettres immenses à la peinture blanche de façon très inesthétique : welcome for climbing. IMGP5060.JPGNous déjeunons près du centre dans un restaurant envahi d'Occidentaux. Nous reprenons notre chemin venteux et poussiéreux. Le temps se fait plus menaçant et la vallée se resserre. Paysage austère, vent violent, ciel menaçant, on se sent au bout du monde. Enfin au pied d'une falaise apparaît Marpha, étape du jour. Entrée dans le village s'effectue par un magnifique shorten à porche. Ces constructions sont toujours flambant neuves, car repeintes plusieurs fois par an.

 

L'hôtel Dhaulagiri nous accueille, il est coquet et possède une jolie cour intérieure. Cependant, les chambres sont carcérales, surtout lorsqu'on y loge à trois. Les lits couvrent plus de la moitié de la surface de la pièce. Une unique minuscule fenêtre, qui donne sur un hall intérieur, rompt la monotonie des murs. Mais cela n'a pas beaucoup d'importance, ce n'est pas le confort que nous sommes venus chercher. Altitude 2670 mètres, les sensations d'étouffement ont complètement disparu. Le village est pittoresque, outre les très nombreuses boutiques, un monastère, que l'on atteint après un long escalier, domine. Le point de vue y est magnifique, d'une part sur la vallée, les toits des maisons et sur la falaise au pied de laquelle le village est construit.

 

16/10/2008

A six heures la population s'éveille. Les femmes s'activent et époussettent la devanture de leur échoppe. Geste que l'on retrouve dans tous les pays. On soulève la poussière afin qu'elle se dépose un peu plus loin. Le soleil se lève sur la pointe acérée du Nilgiri qui règne, à plus de 7000 mètres, sur ses pentes de rocs et de glace, hautes de plusieurs kilomètres.

 

Les trekkeurs sur cette portion sont moins nombreux, car pour nombre d'entre eux la randonnée s'est arrêtée à l'aéroport de Jomsom. Le désert cède la place à la forêt, et la vallée devient plus riante, abandonnant son austérité. La rivière semble perdue au milieu de son immense lit. A la période de la mousson elle recouvre toute la plaine. Le spectacle doit être de toute beauté.

 

La halte à midi a lieu à Kokhethani, sans surprise nous mangeons quelques légumes accompagnés de pâtes. De notre terrasse nous avons tout loisir de contempler l'immense versant est du Dhaulagiri, dont un impressionnant glacier occupe une large partie. C'est justement sur cet itinéraire que l'équipe de Maurice Herzog fit une tentative en 1950 avant de se tourner vers l'Annapurna. Dans son livre, il y consacre un long chapitre. Avec Lionel Terray et plusieurs sherpas ils ont remonté cette cascade de glace sur une distance importante. Les risques étaient énormes, du fait de l'instabilité des séracs. Les sherpas, qui découvraient l'escalade sur glace, ont montré des capacités d'adaptation étonnantes. Cependant il y eut quelques chutes, heureusement enrayées à temps. Sur cette cime se sont écrites de grandes pages de l'histoire de l'alpinisme en Himalaya. La première ascension de cette montagne fut accomplie 10 ans après que les Français menèrent IMGP5085.JPGcette première exploration. Depuis, plusieurs tentatives ont été couronnées de succès, mais le prix payé est élevé. Deux grandes catastrophes ont frappé des équipes américaine et japonaise. Pour la première, l'accident s'est produit sur l'immense arête est qui se développe sous nos yeux, sept alpinistes moururent, c'était en 1969. Il fallut attendre l'année 1970 pour que ce sommet soit foulé une seconde fois par l'homme. En 1975 un second drame se déroula sur l'arête sud-ouest, où cinq Japonais périrent. D'autres accidents ont eu pour décor ces lieux. Chantal Mauduit, très grande alpiniste française, y perdit la vie avec un sherpa dans une avalanche en mai 1998. Elle avait mis sa notoriété au service de l'association «Chantal Mauduit Namasté», qui venait en aide aux enfants Népalais. Mais pour terminer sur une note optimiste, l'homme cherchant toujours à aller plus loin dans l'exploit, la première ascension solitaire a été accomplie par un Slovène en 1999. Non, cette immense pyramide ne peut pas laisser insensible, tant d'hommes et de femmes, pris sous son charme, y ont laissé leur vie. Mais d'autres qui en sont revenus ont connu un bonheur immense dans cette réalisation.

 

Le regard se perd dans cette face gigantesque qui se développe sur près de 6000 mètres, en effet l'altitude à laquelle nous nous situons est de l'ordre de 2500 mètres et le sommet culmine à 8172 mètres. Cette région recèle les plus hauts dénivelés de la planète.

 

Il est temps de briser l'enchantement, de fuir le sortilège qui pèse sur l'endroit et de reprendre le chemin. Piste large sur laquelle les convois de mules sont nombreux. Les animaux sont chargés d'une multitude de ballots en tout genre et même des bouteilles de gaz. Des trains entiers de mules sont dédiés au transport des céréales ou des pommes à destination du Mustang. La charge normale est constituée de deux sacs de 22 kilogrammes. Ce mode de transport n'a pas fait disparaître IMGP5092.JPGles porteurs toujours nombreux. Nous en croisons quatre, marchant les uns derrière les autres avec très peu d'espacement, qui ont sur le dos un nombre invraisemblable de gros cartons empilés.

Nous traversons une immense cascade qui descend du Dhaulagiri, ses eaux puissantes explosent tout au long de la pente en gerbes d'écume éblouissante. Sur une passerelle, encombrement de mules, deux convois se croisent.

 

Au village de Lete apparaît pour la première fois au regard l'Annapurna du haut de ses 8056 mètres. Jusqu'à présent ses satellites, qui l'encadrent de près, nous le cachaient. Un peu après les dernières maisons, un glissement de terrain a emporté la route. Des travaux de réparation sont en cours, mais vu l'étendue des dégâts sur ces pentes raides et instables, l'accès restera interdit aux véhicules au moins plusieurs semaines. Nous arrivons à Ghasa et logeons à l'hôtel Florida. Un groupe d'Ukrainiens y arrive en même temps que nous. Nous aurons l'occasion de les voir à l'action sur la bière et le rhum, les femmes tiennent autant que les hommes. Petit tour dans le village avant le repas. La température est douce, l'altitude avoisine les 2000 mètres. Cette journée de marche nous a fait basculer définitivement des zones désertiques à la forêt IMGP5109.JPGluxuriante. De grands sapins ainsi que d'autres essences colonisent les immenses pans de montagne. Une cime très impressionnante, le Bharth Chuli ou Fang, voisin immédiat de l'Annapurna nous surplombe de ses 7647 mètres, cela fait plus de 5600 mètres au-dessus. Les pentes n'en finissent pas de se développer. Pas de doute, nous sommes dans la vallée la plus profonde du monde. Le sommet, dans la lumière déclinante, se perd dans les hauteurs, la pénombre a déjà envahi la vallée qu'il illumine encore tel un phare attirant le regard des alpinistes vers des altitudes lointaines.

 

17/10/2008

Après une nuit agréable (maintenant on les trouve facilement bonnes) la journée est marquée par la rencontre d'une multitude de convois de mules, aux chargements hétéroclites, presque une énumération à la Prévert : pommes, riz, sarrasin, ciment, bouteilles de gaz...La bête de tête a toujours un très joli licol aux couleurs vives, formé d'un bandeau qui enserre la tête sous les oreilles et d'un petit napperon qui descend entre les yeux.

 

Les cigales réapparaissent et leurs stridulations emplissent à nouveau l'espace. Les bananiers donnent une touche exotique. Les premiers bus font leur apparition bien qu'il ne s'agisse encore que d'une piste défoncée et boueuse par endroits. La Kali Gandaki aux eaux presque noires chargées de terre rejoint l'un de ses affluents, la Nilgit Khola aux eaux turquoises. Elle descend de la face nord de l'Annapurna. Le flot tumultueux et sombre a vite fait d'engloutir la belle Nilgit IMGP5121.JPGKhola. A regarder le lit profond de cette rivière on ne peut que se souvenir des souffrances endurées lors du retour de l'Annapurna par Herzog et Lachenal, ayant subi tous deux des gelures graves aux membres. Ils étaient incapables de marcher et les sherpas ont accompli de véritables prodiges pour les descendre dans ces escarpements, parfois à dos d'homme sur des terrains très raides, où la chute n'aurait pas pardonnée. Le calvaire dura de longues journées car à cette époque il n'y avait pas d'évacuation en hélicoptère.

 

Des écoliers croisés en chemin épluchent des mandarines en marchant, dont l'écorce diffuse une odeur très agréable. Nous arrivons vers les quinze heures à Tatopani et là nous attend une surprise, des eaux naturellement chaudes. Tous, nous nous précipitons vers ces bassins miraculeux. Le premier présente une eau plutôt glauque dans laquelle des corps indéterminés sont en suspension. Cela ne fait rien , il est trop bon de s'y immerger. Les Ukrainiens ont la même idée, et cela nous permettra de voir la belle Irina et ses compagnons s'adonner aux plaisirs de l'eau chaude.

 

Au-dessus du village l'immense pyramide effilée et sombre, car rocheuse, du Nilgiri South attire irrésistiblement le regard. IMGP5156.JPGLà encore le dénivelé est effarant : 6839-1190 donne 5649 !!! Chaque village semble posséder sa grande montagne.

 

18/10/2008

Frais et dispos, cette longue journée se présente sous les meilleurs augures. Ce sera tout simplement le plus fort dénivelé de ces 18 jours de marche, 1700 mètres et cela principalement le long de grandes marches. Les marches permettent de déniveler rapidement, mais la contrepartie n'est pas négligeable, on est en permanence en rupture d'élan car l'immense escalier est irrégulier dans toutes les dimensions, hauteur et largeur. Mais un bon rythme est rapidement pris par tous. Nous avons quitté la vallée de la Kali Gandaki, que l'on voit tout en bas enchâssée entre les flancs de ces deux géants de plus de 8000 que sont l'Annapurna et le Dhaulagiri.

 

Notre objectif de ce jour est le village de Ghorepani, point de départ de Poon Hill endroit réputé pour ses levers de soleil sur les grands sommets de la région. Le chemin en escalier fait par moments des S, qui permettent de surplomber l'itinéraire accompli. De toute évidence le serpent humain s'est reconstitué, nous sommes à la jonction de différents treks. Les cultures colonisent de nouveau les pentes. Riz, sarrasin et millet s'étalent sur des terrasses plus ou moins vastes. Les IMGP5174.JPGarbres sont magnifiques. Certains présentent un tronc étonnant, immense et rectiligne, au niveau du sol quatre mètres de circonférence et subitement vers les six sept mètres il enfle en massue et double pratiquement de diamètre. Le chemin traverse une forêt de rhododendrons géants, véritables arbres dont la hauteur atteint les quinze mètres.

Nous nous élevons dans ce décor riant où le vert domine, en arrière plan le Dhaulagiri émerge toujours plus majestueux au fur et à mesure de notre progression. En effet, du fait de la perspective, toutes les crêtes, autres que ce 8000, ont tendance à s'écraser, lui seul résistant à l'effet de la relativité dû à notre montée.

 

L'après-midi, le temps se couvre et la partie supérieure des montagnes disparaît. La fatigue commence à se faire sentir. Ghorepani est enfin atteint, étonnant ensemble de maisons toutes d'un bleu criard, blotti un pied d'un petit col. L'hôtel Kamala nous héberge. Il est d'aspect rustique et très mal insonorisé. Toute la nuit il y régnera un véritable vacarme, entre ceux qui se couchent très tard, ceux qui se lèvent très tôt et les allées et venues permanentes aux toilettes.

 

19/10/2008

Lever 5 heures, nous ne prenons pas le temps de petit-déjeuner, juste une légère collation. Pourquoi sommes-nous si pressés? Il s'agit de monter de 300 mètres de dénivelé pour aller assister au lever du jour à partir du fameux point de panorama, qui se dénomme Poon Hill. Début de marche de nuit, rapidement les ténèbres se déchirent. Mais ne va-t-on pas louper le début du spectacle? A cette idée le pas s'accélère automatiquement. A un moment, seul sur le chemin, je recherche même un raccourci, et ainsi je me retrouve dans une forêt de bambous très dense. Rage, erreur au mauvais moment. A l'estime je prends une direction d'interception du chemin et je fonce tête baissée. J'arrive à une petite arête de laquelle en contre-bas le chemin m'attend. Sagement je ne cherche plus à couper au plus court.

 

Notre guide avait tout bien prévu, nous sommes en position pour le lever du soleil et rien n'a commencé. Le nombre de IMGP5197.JPGspectateurs est de l'ordre de deux cents. La vue panoramique est époustouflante, trois 8000 mètres et plusieurs 7000 mètres. Le Dhaulagiri est touché le premier par les rayons solaires ensuite vient le tour de l'Annapurna et de ses satellites. Les appareils photos crépitent, des milliers de vues sont prises au cours d'une telle séance qui dure une petite heure. Ensuite le serpent humain déserte le lieu, tout content d'avoir eu une vue dégagée sur un site exceptionnel. Nous croisons quelques rhododendrons géants, qui paraît-il au printemps sont magnifiques, tels de grosses boules de fleurs.

 

Retour au village, petit déjeuner dans la bonne humeur puis nous quittons notre hôtel et le village de Ghorepani. Rapidement le petit col, qui se situe juste au-dessus des habitations, est atteint et nous basculons définitivement vers les basses plaines après un dernier coup d'œil au Dhaulagiri. Durant trois heures, par une interminable marche le long d'un escalier géant, nous plongeons dans la forêt luxuriante et les champs de céréales qui s'étagent sur les deux versants de la vallée. Les villages, épars, semblent comme isolés au milieu de cette marée verte qui essaie de les dévorer jusqu'en leur centre. La chaleur redevient forte. Arrivée à Tikhedhungga, altitude 1500, nous avons le sentiment d'être plongés dans un aquarium de verdure. Les flancs de montagne pentus montent très haut dans le ciel et restent couverts de végétation malgré la raideur du terrain et l'altitude, d'où cette impression, que nous éprouvons, d'être enserrés au milieu de gigantesques vagues vertes.

 

L'hôtelier nous accueille en français, langue qu'il maîtrise bien, il est volubile et gai. Il m'étonne franchement en me parlant des petites villes de l'agglomération lyonnaise comme Saint-Didier-au- Mont-D'or ou Caluire. Lorsqu'il me révèle qu'il a habité plusieurs mois dans la région je comprends la raison de sa connaissance des lieux.

L'hôtel est agréable, il possède de vastes terrasses à même la rue principale, desquelles le trafic se voit et s'entend , en particulier le raclement sur le pavé des sabots du flot incessant de mules, qui ne s'arrête qu'avec la nuit.

 

Une petite escapade va nous procurer une émotion très forte, alors que le ciel s'est totalement obscurci et que seule, ou presque, la voûte céleste donne un peu de clarté à cette vallée étroite. En effet en levant les yeux, les étoiles scintillent non seulement dans ce que nous croyons être le ciel, mais aussi dans les pentes, comme si certaines d'entre elles descendaient la nuit furtivement pour se reposer dans les champs. En y regardant de plus près, nous réalisons que des IMGP5218.JPGmaisons isolées, mais ayant l'électricité sont disséminées un peu partout dans les hauteurs. Ces habitations aux lumières ténues se confondent, à un léger jaune près, avec les astres. Il est nécessaire de faire un effort afin de percevoir la délimitation entre les étoiles et la lumière artificielle. Cela est d'autant plus difficile que la distribution des maisons est aléatoire et suit des lignes brisées en fonction des accidents du terrain et des effets de perspective. Dans une telle situation on reste un long moment à s'émerveiller des illusions de perception qui semblaient impensables tant qu'on ne les a pas expérimentées.

 

20/10/2008

Nous nous réveillons en sachant que c'est le dernier jour de marche, plutôt les derniers moments, car dans trois heures nous serons à la route et la suite se fera par car. Nous profitons donc de cette courte étape pour nous imprégner un peu plus de l'ambiance de cette expérience de 18 jours autour des Annapurna. Cela restera une belle aventure, même si le flot des touristes fut continu. La part de rêve n'a pas été altérée. Il suffisait de lever les yeux vers ces terres inaccessibles, et alors l'imagination et le souvenir des livres lus faisaient le reste. Bien que nous soyons tous épris de solitude, mes amis basques dans leurs montagnes aux recoins mystérieux peu parcourus et moi dans mes balades solitaires, la présence importante de nos congénères occidentaux ne nous a pas gênés. Outre la capacité à s'échapper par la pensée, la forte présence de notre guide, de ses adjoints et de nos porteurs, nous a conduit à une bonne imprégnation des lieux et des hommes de ce pays.

 

Une dernière passerelle, la montagne sacrée Fish Tail apparaît et au même moment la route, le village de Nayapul, c'est la IMGP5230.JPGfin. Nous attendons le bus. Au cours du trajet vers la ville de Pokhara, certains d'entre nous feront une expérience intéressante sur le toit du véhicule avec les porteurs. Dans la joie et l'inconscience collective à de nombreuses reprises, il faut se plaquer à la tôle, en se glissant entre les bagages, pour éviter branches d'arbres et fils électriques. A deux reprises je me fais gratter le dos par des branches basses. Ces plongeons et rampings nous arrachent ainsi qu'aux porteurs des rires prononcés. Manifestement les hommes sont bien partout les mêmes, ce sont toujours les petites et grosses bêtises qui les font rire, meilleur antidote à l'ennui.

Arrivée à Pokhara, nous descendons dans un bel hôtel, de bon standing et ironie du sort, ce sera le seul endroit où nous verrons des cafards et pas des petits, on pourrait croire des hannetons. Cette ville est un immense bazar pour Occidentaux et nous faisons chauffer la carte bleue en achetant bijoux de toutes sortes, tissus que l'on nous vend pour du cachemire, sans oublier les tapis de laine qui reprennent des scènes de chasse à la manière d'un bel iranien.

 

Le soir, repas agréable et à nouveau, la magie de la danse avec nos porteurs nous prend sous son charme. Ils se trémoussent comme des serpents et nous passons un moment fabuleux à essayer de les imiter.

 

21/10/2008

Trajet de retour vers Katmandou, la circulation est toujours aussi anarchique. Notre chauffeur semble avoir un radar, un peu à la manière d'un sondeur à poissons mais pour les voitures, car il dépasse sans visibilité et ça passe toujours, heureusement la vitesse n'est jamais excessive. Mais enfin, deux bus face à face, même à trente à l'heure, mieux vaut ne pas tester. La soirée se termine dans les locaux de Nepal Trek Ecology, où nous attend une surprise. En effet c'est l'anniversaire de deux d'entre nous et le directeur d'agence nous offre un gros gâteau. Le soir nous quittons nos amis népalais qui nous ont si gentiment et efficacement accompagnés, nous sommes tous un peu tristes.

 

Les quatre jours suivants nous retrouvons notre guide de la ville et visitons de nombreux sites dans et aux environs de la capitale. Nous nous étions dit que quatre jours en finale à Katmandou, ça allait être difficile à meubler, surtout après ce spectacle grandiose des Annapurna. Lors de notre arrivée, la première journée au cours des nombreuses visites effectuées nous pensions avoir vu l'essentiel. Eh bien non, cette agglomération et ses environs recèlent une multitude de trésors architecturaux qu'il est très intéressant de voir, l'ancienne capitale de Patan, le village newari de Bungamati,celui de Khokana d'allure moyenâgeuse. Les temples dédiés à toutes les divinités bouddhistes ou hindouistes sont légion, à Dakshinkali ou Pharping où se trouve la grotte de Rempoché. Dans cette vaste zone, de nombreux artisans travaillant toutes sortes de matériaux, laine, terre, bois ou métal présentent de beaux ouvrages. Et puis, il y a aussi cette atmosphère particulière au moment de la récolte du riz. Partout, les rues et places des villages sont envahies de bâches sur lesquelles des tas de grains de riz sèchent. Des femmes s'activent avec des tamis pour séparer le grain de l'ivraie. Il y a aussi ce magnifique musée sur le bouddhisme, aux statues remarquablement mises en valeur, tout particulièrement un Bouddha, dont on dirait que le métal a été poli durant des siècles. Mais je ne me lancerai pas dans une description précise de ces quatre jours de visite, car cela augmenterait ce texte, déjà fort long, de quelques pages supplémentaires. Juste pour terminer, le dernier dîner dans un restaurant typique, où en fin de repas les serveurs ont laissé tomber leurs assiettes et couverts, et avec une spontanéité incroyable, se sont mis à danser comme des serpents et, déjà expérimentés, nous avons tous suivi dans la sarabande.

 

Le 26 au soir, nous nous retrouvons à l'aéroport dans la longue queue des trekkeurs qui rentrent. Nous avons peine à imaginer que nous venons de passer presque un mois au Népal. L'avion décolle de nuit, donc pas de dernière image. Après un transfert à Doha, l'atterrissage a lieu à l'horaire prévu, 6h30 à Charles de Gaulle. Anecdote cocasse, nous sortons de l'avion avec des personnes vues au départ à l'aéroport un mois plus tôt, et que nous reverrons sur le trek. Elles habitent Millau, j'ai une grosse pensée pour le Causse Méjean, endroit sublime. Notre groupe éclate, chacun pressé de prendre son train pour rentrer à la maison dans l'attente de nouvelles aventures.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

19/01/2009

nuit imprévue en Afghanistan

 

Passage imprévu en Afghanistan.                                                                                      Un jour, il y a maintenant bien longtemps (1976) nous volions à bord d'un avion militaire de Téhéran vers un aéroport au Pakistan , mais du fait d'un retard à cause d'une panne, la nuit venant et l'aéroport de destination ne pouvant nous accueillir nous avons opté pour un atterrissage en Afghanistan. Branle-bas de combat, d'abord refus, puis après discussion autorisation. Il s'agissait d'un terrain militaire encombré d'une multitude de vieux appareils soviétiques.
Sitôt au sol, on nous prévient que dès le lever du jour nous devrons repartir et trois options nous sont proposées pour passer la nuit, l'avion, un bâtiment ou une petite pelouse à quelque distance de l'aéronef. Trois groupes sont rapidement constitués. Nous sommes un petit nombre à opter pour la pelouse. Nous nous installons. A chacun des quatre coins de notre carré d'herbe une sentinelle équipée d'un superbe fusil surmonté d'une baïonnette se positionne. La nuit va tomber, le paysage qui nous entoure est d'une beauté sauvage que je n'ai jamais vue ailleurs. Une succession de chaînes de montagnes dans un monde minéral, qui prend une multitude de couleurs des plus vives aux plus sombres avec une prédominance des mauves. Je suis resté comme hypnotisé jusqu'à ce que la nuit soit totale. J'ai éprouvé pendant ce coucher de soleil dans ce monde figé une des plus fortes émotions de ma vie. Enfin vient le moment de s'endormir. Sporadiquement les sentinelles, pourtant proches les unes des autres, s'appelaient, ce qui ne favorisait le sommeil. A un moment de la nuit , il me vient un besoin naturel, heureusement pas le plus important. Je me lève avec précaution, immédiatement un garde me met en joue. Je m'immobilise en attendant qu'il soit sur moi et essaie de lui expliquer par gestes mon problème. Il finit par comprendre et me fait signe de me diriger vers le bord de la pelouse et me demande de stopper au plus près. Il se positionne juste derrière moi , juste l'espace de me mettre son fusil dans le dos. Cela a eu un effet pour le moins inhibiteur, donc logiquement les choses ont commencé à prendre du temps. L'impatience le gagnant, mon charmant garde a commencé à élever la voix et comme ça ne suffisait pas à me débloquer il m'a donné des petits coups de baïonnette dans les reins. J'ai protesté, il s'est un peu reculé puis enfin j'ai pu regagner mon coin d'herbe et replonger dans les bras de Morphée. Le lendemain matin je me suis réveillé au bruit des moteurs de notre avion qui démarraient. J'ai sauté dedans et rapidement nous sommes partis. Je me suis collé au hublot pour profiter une dernière fois de ce spectacle de montagnes sauvages, qui restera dans ma mémoire comme un rêve magnifique.

28/12/2008

Albanie nostalgie

 

Albanie impressions et nostalgie

 

Le récit que je vais vous faire , consiste en un certain nombre de flashes et de sensations qui ont été les miens après trois années passées dans ce pays , entre 1999 et 2002. Ma perception des choses peut être plus ou moins erronée,voire partiale. Il est en effet sur un sujet aussi vaste , très difficile d'appréhender la situation en faisant abstraction de sa propre perception. D'ailleurs y a-t-il qu'une seule réalité?

 

Comme pour beaucoup de Français , l'Albanie représentait pour moi un pays très mystérieux dont on ne savait rien, et ce mystère m'a toujours attiré. C'est entre autre ce qui m'a conduit à me porter candidat pour aller y travailler.

 

Ce mystère était entretenu du fait de la conjonction d'une multitude de facteurs. Ma curiosité avait en outre été avivée par une discussion avec un pilote un peu avant mon arrivée à Tirana. Vers les années 1980 alors qu'il convoyait un avion vers la Grèce, survolant la mer Adriatique, il regardait très intrigué vers la gauche, car sa carte ne mentionnait qu'une vaste zone grise. De quoi laisser libre cours à tous les fantasmes.

 

L'Albanie représentait à mes yeux un pays du sud couvert de grandes montagnes désertes et hostiles avec la mer bleue en toile de fond comme en Grèce. Ce en quoi je ne m'étais pas trompé. L'hiver la montagne enneigée tombe dans la mer ionienne , et oui, l'Albanie, baignée par deux mers, l'Adriatique et l'Ionienne, ne s'étend que sur 28000 kilomètres carrés. L'Albanie, à l'image de ses habitants, n'a pas de complexe et s'affiche à l'image des grands. Sa population est de l'ordre de trois millions d'habitants, si proches et si différents d'un bout à l'autre du pays. Pays de bandits depuis la plus haute antiquité, où déjà à l'époque de la splendeur de l'Empire Ottoman les militaires turcs craignaient d'être affectés. Certaines des vallées du nord sont restées catholiques, car les sultans toujours pragmatiques, connaissaient le prix à payer pour réduire quelques tribus prêtes à tout pour garder leur indépendance. On se croirait presque en Gaule au temps d' Astérix et Obélix.

 

L'Albanie évoquait aussi pour moi un pays qui après un régime communiste particulièrement dur, venait de s'ouvrir au monde extérieur et dans lequel tout restait à faire. Enver Hoja avait poussé le culte de la personnalité très loin mais peut-être pas plus loin qu'un Staline ou un Ceausescu. Entre parenthèse , concernant ces deux personnages , je conseille les livres suivants:Béria vie et mort du chef de la police secrète soviétique de Thaddeus Wittlin (Elsevier Séquoia) et Horizons rouges dans les coulisses de la maison Ceausescu par l'ancien chef des services secrets roumains, le Général Ion Pacepa (presse pocket). Revenons à nos moutons!!! Là je débarquai avec ma formation et mes idées cartésiennes dans un monde bien différent de ce que je connaissais.

 

L'Albanie, c'est tout d'abord ce peuple marqué par cinquante ans d'un système aberrant et monstrueux, où la terreur et la délation s'étaient insinuées jusque dans la cellule familiale. Plus personne n'osait parler même à ses proches. La littérature albanaise actuelle est très fortement focalisée sur la narration de ce passé douloureux, à la manière d'un patient en séance de psychothérapie. Les auteurs à ne pas manquer sont Kadaré (Avril brisé, le général de l'armée morte...), Fatos Kongoli (peau de chien), Maks Velo, Ylet Aliçka (slogans de pierre) et Jusuj Vrioni. Ce dernier était jusqu'à sa mort, en 2001, le traducteur officiel d' Ismaël Kadaré. Il parlait un français parfait, dans les années trente il avait été major de sa promotion à HEC. Il est l'auteur d'un seul livre (à ma connaissance) à caractère biographique« Mondes effacés, souvenirs d'un Européen». Un soir je l'avais raccompagné de Dürres à Tirana et j'aurais aimé que le trajet soit cent fois plus long, tant sa conversation était passionnante.

 

L'Albanie, c'est aussi et surtout le pays de la rumeur, où il n'est jamais possible de situer la frontière entre la légende et la réalité. Des événements si déconcertants pour notre forme de pensée s'y sont passés et s'y passent encore.

Lorsque vous vous déplacez , on vous prévient que les risques d'agression sont toujours si importants, que de nombreux Albanais n'osent pas bouger. Mais lorsque vous prenez votre courage à deux mains et que vous vous aventurez sur les routes pour vous rendre dans ces fameuses vallées perdues, où les troupes ottomanes avaient du reculer, vous découvrez une réalité albanaise bien différente de notre rationalité, qui met des frontières bien marquées entre ce pays et ses voisins.

L'Albanie, c'est cet homme qui vous aborde de nuit dans un village à l'aspect lugubre et plongé dans une pénombre épaisse, et qui vous demande dans sa langue «t'as de quoi manger, t'as de quoi dormir», il ressent chez vous une certaine crainte et il vous offre spontanément le gîte et le couvert, dût-il vous donner son repas et se passer de manger.

C'est aussi ce gamin qui habite au Monténégro et qui passe la rivière à gué pour venir à l'école dans un village du côté albanais.

C'est aussi ces petits Albanais d'Albanie, que vous voyez jouer au football sous un mirador, et tout surpris vous réalisez que ce dernier est en Macédoine et que normalement il est destiné à empêcher les Albanais de passer la frontière.

C'est aussi ce camion lourdement chargé qui arrive directement du Kossovo. Alors qu'il n'y a pas de route, il apparaît brutalement au bout du champ en pente, surchargé et penchant dangereusement.

Mais l'Albanie, c'est aussi cet Albanais du sud , qui lorsque vous lui adressez la parole dans sa langue, fait semblant de ne pas comprendre et dans le meilleur des cas vous répond en grec, et qui traite d'Ottoman celui qui parle albanais. J'ai vécu des situations cocasses, posant une question en albanais, mon interlocuteur albanais me répondant en grec en demandant à mon épouse de traduire en français. Attention selon les villages dans la région de Dhërmi, de ne pas confondre entre « kali nirta »et « mirë mbrema », bonne nuit en grec ou bonsoir en albanais.

Cependant, les Albanais ce sont toujours des gens très accueillants qui , bien souvent même s'ils n'ont rien ,vous offrent tout. Ferais-je une comparaison avec une réunion de cadres supérieurs en France, où chacun à la pause fait bien attention de ne pas payer le café de son collègue à trente centimes d'euros. J'arrête là les comparaisons, mais cela m'a fait ressentir un malaise profond quant à notre société.

Ce sont aussi, toujours des gens déchirés par ce passé terrible , qui n'en a épargné aucun et qui les a tous marqués de façon irrémédiable. Des familles toujours à la recherche de leurs morts, tués par le système répressif du dictateur Enver Hoja, qui dans leur quête d'indices payent les meurtriers. Quarante huit camps d'internement , 80 000 ou100 000 prisonniers politiques , internés ou relégués. La différence est simple, soit le camp de concentration avec barbelés ou l'exil dans une région éloignée avec interdiction de la quitter. Beaucoup d'Albanais croisent dans la rue et vous montrent leurs geôliers de l'époque communiste. De façon paradoxale, dans ce pays où la violence peut exploser brutalement, bourreaux et victimes cohabitent dans le calme, alors que la loi du Kanun (vendetta locale) maintient toujours cloîtrées de nombreuses familles dans la crainte de la vengeance par le sang. Ce qui se rapporte au passé tragique communiste semble être exclu du processus de vengeance. Sans doute avons-nous eu des démarches similaires dans d'autres circonstances en Europe de l'Ouest.

L'Albanie, c'est aussi le procureur général d'une ville du nord qui un dimanche vous accompagne un gros pistolet à la ceinture , suivi de près par son garde du corps, et qui à chaque halte vous offre un double raki et, lorsque de temps en temps retentissent dans la montagne des tirs à la mitrailleuse lourde, il vous dit en souriant qu'il s'agit d'un mariage. Ce même procureur, lorsque le lundi matin, il vous fait visiter le palais de justice , vous explique que pour juger et condamner un bandit dangereux , il fait venir un juge de Tirana qui quittera le lieu du jugement immédiatement après la sentence pour éviter une rétorsion fatale immédiate de la part de la famille.

L'Albanie , c'est aussi cette vallée reculée à l'extrême pointe nord du pays, où se situe le village de Vermosh. Le vieux berger qui vous offre le café , vous demande des nouvelles de la guerre. Vous lui demandez de quelle guerre il s'agit? Bien évidemment de la guerre en Afghanistan, s'empresse-t-il de vous répondre , tout étonné de votre incertitude .Puis d'un air malin , il vous précise qu'il a une fille qui habite à Miami et un fils à New York, quant au troisième enfant , un garçon casanier, il s'est arrêté à Rome. Ensuite il sort son téléphone portable, et vous montre d'un air moqueur sur la colline du côté monténégrin, le relais téléphonique serbe qui lui permet de communiquer avec ses enfants. Lorsque vous vous éloignez presque en pleine forêt de quelques dizaines de mètres de sa ferme, vous tombez sur le Monténégro et là apparaît un soldat serbe pas décidé à accepter le moindre franchissement de frontière. Son arme individuelle avec un baïonnette bien brillante vous enlève toute envie de plaisanter bien qu'il ne se montre pas menaçant. Mais depuis, le Monténégro a obtenu son indépendance et cela a peut-être changé.

L'Albanie, c'est aussi les slogans de pierre, immenses inscriptions faites de cailloux peints en blanc et accrochés au plus haut aux flancs des montagnes, afin que l'on puisse s'imprégner de loin de la propagande du régime disparu d'Enver Hoja. Bien qu'à l'abandon depuis l'écroulement du régime au début des années quatre vingt dix, ces « œuvres » sont toujours très visibles .Certaines sont immenses et ont demandé pour leur construction le déplacements de centaines de personnes, qui devaient effectuer de nombreuses heures de marche pour arriver sur le site de travail, qui parfois durait plusieurs semaines du fait du gigantisme de certaines de ces inscriptions.

L'Albanie , c'est aussi ces centaines de milliers de bunkers, soit petits pour le soldat soit gros pour une pièce d'artillerie, qui à eux seuls mériteraient un livre, sans parler de ces pieux métalliques en queue de cochon qui hérissaient le pays dans l'attente de percer les pieds des parachutistes de l'OTAN ou du Pacte de Varsovie. Du col de la route menant de Saranda à Girokastra, vous pouvez en dénombrer d'un seul coup d'œil plus de 600. Le regard embrasse en contrebas une large vallée faisant face à la Grèce.

L'Albanie, c'est encore la ville de Korça, coincée entre la Macédoine et la Grèce, où reposent 640 soldats français, tombés au cours des guerres balkaniques. Ville de tradition française du fait de notre forte présence entre les deux guerres mondiales. Chaque année pour la commémoration du 11 novembre, l'attaché de défense français au côté de l'ambassadeur de France organise une cérémonie militaire, empreinte d'une grande émotion et il est difficile de retenir ses larmes lorsque les anciens élèves du lycée français entonnent leur répertoire de chansons françaises.

 

Outre ces clichés qui restent déconnectés de l'instant présent, l'Albanie actuelle est caractéristique d'un pays passé sans transition du communisme le plus absolu à l'ère du capitalisme le plus effréné, où liberté individuelle signifie pour beaucoup le droit de faire tout et n'importe quoi pour s'enrichir. Cette frénésie de liberté s'alimente à la source d'une double frustration, interne et externe. Interne, du fait du long régime carcéral imposé depuis la fin de la deuxième guerre mondiale; externe, à cause du dépeçage (selon le point de vue albanais mais, à mon sens, ils ont de bons arguments, lire à ce sujet le merveilleux livre du diplomate français Justin Godard « l'Albanie 1921 » Presses Universitaires de France), dépeçage donc de la zone de peuplement albanais décidé par les grandes puissances et ratifié par le traité de Londres en 1913 à la veille de la première guerre mondiale. Attention, je ne me range pas à leurs arguments, je dis simplement qu'ils existent. Les problèmes de territorialité dans les Balkans sont insolubles, car deux conceptions s'affrontent, la notion de nationalisme liée à une entité territoriale définie et fortement conceptualisée en Europe occidentale au 19 ème siècle et le concept ottoman permettant à des peuples de religions différentes de vivre sur un même territoire pourvu qu'ils acceptent la vassalité à l'Empire Ottoman. Chaque peuple en remontant dans son passé trouve de bons arguments pour revendiquer la terre sur laquelle il habite. Lire à ce sujet le livre très intéressant de Jean-Arnault Dérens « Balkans: la crise éditions Gallimard ». Pour stopper toute polémique, de cet état de fait, il résulte une grande confusion, exacerbée par le dysfonctionnement profond d'une société dans laquelle tout sens civique a disparu, car il est assimilé à un comportement communiste. Tirana est l'exemple le plus flagrant de développement anarchique. Cette ville de 700 000 habitants, y compris la conurbation qui englobe quasiment Dürres, à la démographie galopante due à l'exode rural pour cause de misère voit les immeubles pousser comme des champignons. Mais les capacités en eau et électricité ne suivent pas la demande et ne seront pas effectives avant longtemps, parce que les immeubles sont construits sur fonds privés et que les investissements structurants relèvent de fonds publics nationaux ou internationaux. Parler d'un pays pauvre n'est pas exact, dans la mesure où le prix du mètre carré est conséquent en ville, et tout s'achète en cash , en payant au fur et à mesure de la construction du bâtiment. Les voitures luxueuses sont légion, et même volées, elles ont un coût, car la longue chaîne des compromissions nécessaires pour passer les frontières et falsifier les papiers implique paiement. Ces modes de fonctionnement ne sont pas l'apanage exclusif de ce pays. Cela existe dans tous les pays qui viennent de quitter le communisme, et si l'on y regarde de près nos démocraties occidentales n'ont pas de leçons à donner. Sans citer de nom, chacun de nous aura immédiatement à l'esprit les traits de certains de nos hommes ou femmes en pointe qui ont été ou sont mêlés à des histoires pour le moins scabreuses. Cela me rappelle cette anecdote: tous les matins , un traducteur fait une synthèse des différents articles de la presse albanaise à l'intention de l'ambassadeur de France et de ses collaborateurs. Et ce matin hilarité générale, au lieu de traduire par république bananière, l'interprète a transcrit république en forme de banane.

 

L'Albanie, à l'image particulièrement ternie à l'étranger, outre ses maffieux très violents, est constituée d'une multitude de gens honnêtes et travailleurs, qui pour partie, ayant perdu espoir en leur pays sont partis travailler à l'étranger temporairement ou définitivement, légalement ou illégalement. De ce fait, une proportion non négligeable de l'élite intellectuelle fuit le pays à flot continu depuis dix ans. Tout le développement du pays en souffre gravement. La grande aspiration de l'Albanie consiste en l'intégration euro-atlantique. Ce sera sans doute à terme le moyen de réunir dans la paix les communautés serbe et albanaises. Je mets ces dernières au pluriel, car entre les différents pays des Balkans, Monténégro, Kossovo, Macédoine et Albanie il n'y a pas forcément une convergence de vue totale, mais c'est un autre sujet. Les choses évolueront lentement. J'en veux pour exemple, « les Comitadjis » livre qu'Albert Londres écrivit dans les années 20 au sujet de ces extrémistes croates agissant au sein des différents pays de la région et qui est loin d'être démodé un siècle plus tard.

 

L'Albanie que je vous ai présentée de façon peut-être partiale et de toute évidence partielle, car il y aurait tant de choses à dire,restera pour moi un pays fascinant. Terre sauvage et mystérieuse, pétrie d'archaïsmes, jetée dans le monde moderne, peuple balkanique, capable du meilleur comme du pire, semblable à ses voisins ,qui tous vivent sur les vestiges d'une grandeur passée réelle ou imaginaire. Ce pays je l'ai profondément aimé, bien qu'on puisse en dire tout et son contraire, non parce que je m'y promenais comme un privilégié, mais en bonne partie parce que le peuple albanais m'a appris à redécouvrir un certain nombre de valeurs, que nous avons perdues en Europe de l'Ouest en partie à cause de la suspicion voire la peur que nous inspire notre semblable.

 

S'il n'y avait qu'un livre à conseiller: « Guide de l'Albanie » par Gilbert Gardes aux Éditions la Manufacture.

27/12/2008

plages girondines

 

Un matin du mois de janvier 2006, je me lève en même temps que mon frère vers les six heures du matin. Son épouse, raffinement suprême, nous prépare un petit déjeuner confortable. Lui part au boulot et moi marcher deux jours sur le bord de l'océan.

 

Mon frère monte dans sa voiture un peu dubitatif quant à cette idée de remonter jusqu'à la pointe de Grave à pied en hiver, surtout qu'il gèle. Pierrette en nous regardant partir dans la nuit, lui en voiture et moi à pied, rigole, en effet cela fait plus de trente ans qu'elle me prend pour un fou, pas méchant mais fou quand même. Au bout du petit chemin il tourne à droite en direction de Bordeaux et moi je m'engage à gauche vers le centre du village du Porge.

 

Dès que le bruit du moteur de sa voiture décroît, le silence reprend rapidement tous ses droits. A cette heure matinale le froid mordant et la nuit noire règnent en maîtres. Pas un chat dehors! Au centre près de l'église, une petite route se dirige plein ouest droit sur la mer. Cet itinéraire, qui permet d'atteindre la plage du Porge en une dizaine de kilomètres, est à cette heure et à cette époque totalement désert. Route caractéristique de cette région, les pins m'encerclent et seul l'axe de la chaussée dessine une brêche dans ce mur végétal.

 

Ciel très clair, de nombreuses étoiles, pas de vent, cristaux de givre luisant sur l'asphalte, je me sens prodigieusement bien, tout à fait à ma place. Les conditions de marche sont idéales. Mon pas est alerte. Je marque une petite halte au niveau du pont qui enjambe le canal reliant le lac de Lacanau au Bassin d'Arcachon. L'eau est immobile, tel un miroir reflétant de façon diffuse la clarté hivernale du ciel. Pas un bruit, je prête l'oreille et n'entends pas le moindre bruissement en provenance de l'océan. Bien que le rivage se trouve encore à plus de cinq kilomètres, cela signifie que le calme règne sur la plage. En effet mon frère à bien plus de dix kilomètres donne avec une bonne précision la hauteur de la houle, bien sûr en hiver en l'absence de tout son parasite. M'arracher à la contemplation de ce ruban liquide noir sans une ride me demande un effort. Dans cette quiétude, des scrupules m'assaillent à l'idée de me remettre en marche, de peur de briser ce sortilège par le raclement de mes semelles. Cependant je réussis à rompre le charme et me mets en mouvement.

 

Rapidement après avoir dépassé les campings déserts, le parking devant la dune est atteint. Plus de dix kilomètres en moins d'une heure trente, c'est un bon début. Une véritable frénésie s'empare de moi, l'envie se fait pressante de passer cette barrière de sable qui m'empêche IMGP0396.JPGde voir la mer. Une fois surmonté le dernier pointement de la dune, l'immensité de l'océan, en se révélant d'un coup, produit invariablement la même émotion puissante. Le jour vient de se lever. Toujours la même curiosité quant au détail devant ce spectacle, quelle est la hauteur de la houle? Sans doute la déformation due aux séances de pêche.

 

Je dévale la pente et commence à peiner dans le sable en direction de la partie de la plage léchée par les vagues. En effet, sur cette bande mouillée toujours étroite à marée haute et souvent très large à marée basse, la progression est facile et particulièrement agréable, car le sol est ferme et la caresse des vagues omniprésente. Devant moi vers le nord la visibilité faible, du fait de l'humidité et du sable en suspension, me donne l'impression de me diriger vers nulle part. Je trouve à l'air un peu de cet aspect qu'il prend souvent en Afrique. La vue, qui ne porte pas très loin, est rapidement noyée dans un brouillard diffus de couleur brun clair. Il ne me reste plus qu'à remonter vers le nord sur soixante dix kilomètres avec pour seuls éléments le ciel le sable et l'eau. En effet à ma droite la dune masque la forêt. Cette absence de repère donne un caractère très étrange à la marche.

 

A vrai dire, les oiseaux sont les seuls jalons rendant un peu de matérialité à ces trois éléments sable, ciel et eau qui s'entremêlent sans laisser distinguer de limite bien nette entre eux. Des mouettes et des petits oiseaux dont j'ignore le nom peuplent la grève. Les premières sont en grandes bandes, qui au fur et à mesure que je m'approche, s'éloignent en petits vols et se reposent sur la plage un peu plus loin, IMGP0391.JPGm'accompagnant . Après une succession de quelques bonds de faible ampleur, voyant que l'intrus n'a pas l'intention de s'arrêter, par un large mouvement courbe, elles me survolent et viennent se positionner derrière moi. Quant aux petits oiseaux, ils s'affairent d'un pas court et rageur en se pressant juste au ras des vagues. Leur long bec fouille le sable en permanence à la frange des flots. Les contempler permet de constater que les ondulations de la mer au contact du rivage prennent des formes multiples. La grosse masse d'eau qui déferle d'un coup sur le sable, l'écume qui remonte plus ou moins lentement, la petite risée qui s'étale de manière imperceptible parfois sur une grande distance, et chacun de ces mouvements entraîne de la part de ces volatiles de faible taille une course plus ou moins longue, plus ou moins précipitée.

 

Après quelques kilomètres, je dirais presque malheureusement, dans le lointain la station balnéaire de Lacanau commence à se dessiner, faisant disparaître le côté irréel de cette randonnée, en me rendant des supports tangibles auxquels le regard peut s'accrocher. Cependant la ville grossit lentement, comme si elle avançait avec moi. Puis je distingue une personne au bord de l'eau.

 

Je rentre dans le bourg. Il est dix heures, déjà plus de vingt kilomètres. Je m'arrête boire un café dans le seul bar ouvert. Avec mon sac à dos je suscite de la curiosité par ce matin froid du début de janvier. Rapidement je réalise que le rythme a été rapide et de fait j'envisage d'aller jusqu'à Hourtin ce soir. Mais vais-je y trouver de l'eau? Ne pas se louper car l'eau de mer même pas la peine d'y mettre des pastilles d'épuration, elle ne se boit pas. Je prends trois litres supplémentaires et c'est reparti. A nouveau cette impression fascinante de se diriger vers le néant. Je me sens merveilleusement bien. Nous sommes vendredi, je pense à tous ces gens qui s'empilent dans les villes alors que j'ai le privilège de me trouver seul dans cette nature immense. La France est le plus beau pays du monde, de telles sensations pourquoi vouloir les chercher de l'autre côté de la planète, alors que si près on se sent tellement loin. La plus concrète impression de vie, c'est cette adaptation à la nature. Je suis comme le renard, l'après-midi est bien entamée et dans moins de deux heures il fera nuit, je sais que je vais rejoindre le couvert de la forêt et me coucher à même la mousse. Attendre sans anxiété la tombée de la nuit qui va entraîner une longue immobilité, et faire corps avec la nature, ce sont à mon sens les plus sublimes récompenses du promeneur solitaire.

 

Apparaît le village, je repasse la dune et marche les derniers kilomètres sur le chemin qui emprunte la vieille piste allemande du mur de l'Atlantique. Une fois parmi les maisons, je retourne sur la plage pour une dernière salutation à l'astre du jour, puis recherche sans trop y croire un bistrot. J'ai de la chance, je tombe sur une petite épicerie faisant débit de boissons. J'en profite pour boire un chocolat chaud et acheter une brique de soupe. Le patron me demande si je suis sur le chemin de Compostelle, car il y a une variante qui longe la côte girondine, le départ se situant en Hollande. D'ailleurs je me souviens avoir interrogé trois jeunes marcheurs, assis au pied de l'église du Porge. Ils venaient de Belgique et allaient à Saint-Jacques. Pour ma part je me rendais seulement à la boulangerie pour acheter du pain. Par solidarité envers les pèlerins, je leur ai offert à chacun un gros gâteau, qu'ils se sont empressés d'engloutir. Le chien voyant que je l'avais oublié me jeta un regard implorant, mais en réalité je n'avais pas osé l'inclure, sachant que le sucre lui ferait du mal. Donc, revenons à notre tenancier. Après quelques échanges, nous nous saluons.

 

Je sors de l'épicerie et me mets à la recherche d'un point de chute pour la nuit. Il ne va pas falloir traîner si je veux monter ma tente de jour. Juste à la sortie du village une petite bosse touffue, j'enjambe la craste en bordure de route et rejoins le sommet. Superbe, une petite surface plane et moussue enserrée entre les arbres me dévoile tous ses secrets. Je me souviens du conseil de mon frère, s'assurer de ne pas stationner sur les sentes de passage des sangliers, parce que lorsqu'ils déboulent, ils foncent, tente ou pas. Très vite je suis installé, la soupe chauffe, je me sens bien dans mon sac de couchage, le mot gemütlich me vient à l'esprit pour décrire la sensation que je ressens dans mon petit chez moi. J'ai emporté une méthode de grec et je m'en donne à cœur joie. Par moment au cours de la journée dans ma marche sans repère je déclamais de grandes phrases de mon petit livre afin de les mémoriser plus facilement. Une fois la soupe chaude, je l'engouffre en me brûlant. Normalement je devrais m'écrouler de sommeil, mais comme souvent lorsque l'effort a été important, plus de quarante cinq kilomètres, le repos tarde à venir. L'hiver les nuits dehors ne sont jamais très confortables, en particulier du fait de la condensation dans la toile de tente, tout particulièrement dans une forêt. Mais cela n'entame en rien ma joie et mon plaisir. Enfin je m'endors puis au jour naissant IMGP0400.JPGj'ouvre les yeux. Tout est calme, pas le moindre bruit émis par la civilisation. Je bois directement à la brique le reste de soupe, plie tout et repars parmi les pins. Je me trouve sur le chemin de Saint-Jacques en sens inverse. Mais son parcours, d'une part est pénible à cause du sable instable sous les pieds, et d'autre part il ne passe pas assez près de la grève à mon goût. Donc virage à gauche vers l'ouest et sus à la dune. Vite, vite le sommet, oui la mer est toujours là! Je dévale et cours vers l'eau. Aujourd'hui les vagues sont plus conséquentes. Que ce spectacle de l'océan désert est grandiose! La mer vide de bateau me rappelle l'Albanie. A nouveau le miracle se produit, je marche vers nulle part, que cette sensation est étrange et agréable! Je perds la notion des distances et du temps. La commune de Montalivet est à une vingtaine de kilomètres. Après trois heures de marche face au flou, à nouveau le regard se pose sur des repères et l'enchantement change de nature. La plage n'est pas uniforme en matière de déclivité. Par endroits elle est vraiment plate et l'eau se retire très loin. Je marche parmi une foison de petites mares et de petits bras d'eau , parfois il me faut sauter, je dois même enlever mes chaussures pour traverser une petite rivière au courant vif. La marée descendante découvre de larges portions de sable et je vais me perdre parmi les baïnes. Les multitudes de petites rigoles ont creusé le sable à la manière de grands canyons en miniature. Avec à peine un peu d'imagination, je me prends à l'idée d'être au hublot d'un avion survolant une région particulièrement érodée à perte de vue.

 

 

Vers midi je suis au village. Un bistrot est ouvert, une foule compacte s'y agglutine et joue au tiercé. L'ambiance est survoltée, j'aime le contraste, comme le sucré salé d'une bonne cuisine.Je me sens bien dans cette cohue d'anciens qui s'affairent sur leur bulletin dans la perspective de ramasser le pactole. Moi, mon pactole je le ramasse depuis hier à pleines jambes et à plein regard. Je reste un bon moment, toujours fasciné par cette frénésie joyeuse déclenchée par le jeu d'argent.

 

La localité suivante, Soulac, se trouve à une quinzaine de kilomètres. La fatigue commence à se faire sentir. La côte change de configuration. Elle n'est plus rectiligne mais s'incurve en mouvements amples. Le sable est parsemé de gros blocs compacts et sombres. La dune semble s'élever. Je décide de la rejoindre afin de profiter d'une perspective différente. J'emprunte un petit chemin qui enchaîne montées et descentes interminablement. Le sable fin et sec rend la marche pénible, tout particulièrement lors des montées. Brutalement je bute sur un parking. L'entrée en ville se fait par une longue allée rectiligne. Arrivé au centre, je me pose la question , vais-je à l'hôtel? Le premier sur mon chemin est fermé. En face se trouve la gare. Il est quinze heures, pas de train avant demain matin, c'est le Far West. Je prends froid, la fatigue aidant je sors mon portable et appelle Sainte Pierrette qui, une grosse heure après, apparaît toute souriante et m'emporte dans sa belle voiture bien chauffée. L'atlantique en Gironde j'adore!

 

PS: Je ne suis pas allé jusqu'à la Pointe de Grave. En effet bien souvent je m'arrête avant la fin de ce que je prévois, car ce goût d'inachevé m'évite la douleur du rêve qui disparaît avec le dernier pas. Par exemple lorsque j'ai traversé les Pyrénées, au départ m'étant trempé dans la Méditerranée, je me suis arrêté à dix kilomètres de l'Océan, car là un grand rêve prenait fin et la tristesse m'envahissait. Je me souviens de ma petite enfance, lorsque je fréquentais assidûment les Alpes avec mon père, je contemplais nombre de belles parois. Celle qui me fascinait le plus était la splendide et très esthétique face sud de la Meije, qui jaillit sur huit cent mètres. Puis un jour, à vingt deux ans, j'en ai caressé le rocher fauve. Cette montagne qui avait bercé tous les rêves les plus fous de mon enfance, qui représentait la consécration de l'alpiniste, je venais d'en faire l'escalade. Assis au sommet, après quelques secondes d'exaltation, un sentiment de tristesse m'avait saisi. Que restait-il de mon beau rêve maintenant qu'il était devenu réalité?

 

Je pense souvent à la citation de Saint-Exupéry que je cite hélas avec approximation: seule compte la démarche, car c'est elle qui dure et non le but qui n'est qu'illusion du voyageur qui va de crête en crête pensant que l'objectif seul est important.