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07/11/2012

Souvenirs de jeunesse à moto

                  

                           Souvenirs de moto

 

 

Je mentirais en faisant remonter la frénésie  dès le berceau, cependant la passion des deux roues à moteur m’a pris jeune, alors que j’étais tout juste adolescent. En effet, je me souviens, âgé à peine de quatorze ans,  fréquentant le lycée Ampère à Lyon, je m’émerveillais devant la 450 Honda, l’un des plus rapides bolides de l’époque, vers les années 1969.   Nous habitions Saint-Fons dans la banlieue de Lyon, et je prenais le bus numéro 12 jusqu’à la place Bellecour au centre ville. Le  trajet était fort long dans les embouteillages du matin. De là, à pied  je remontais soit la rue de la République soit les quais pour me rendre au lycée.  A l’époque le concessionnaire Honda se situait à l’angle de la place de la Charité et du quai du Rhône, à l’emplacement exact du Sud, l’une des brasseries de Bocuse. Lorsque je passais devant l’étalage de motos, la forme racée surmontée d’un réservoir bombé tout en courbe de la 450 attirait irrésistiblement mon attention. Les exemplaires exposés à la vente étaient  de deux couleurs, soit noire ou bleu métallique, de toute beauté ! A l’avant du réservoir le magnifique sigle circulaire de la marque, symbolisant une aile, m’hypnotisait littéralement.  Je me disais avec tristesse et impatience, qu’il me faudrait attendre encore deux longues années avant de passer le permis, et dans la foulée espérer posséder une telle bombe. Eh oui ! A cette époque le permis moto toutes catégories s’obtenait dès 16 ans, à un âge où l’on est encore qu’un gamin. Mais heureusement pour mes deux frères et moi, nos parents, même s’ils nourrissaient quelques sérieuses inquiétudes quand aux accidents qui nous guettaient, ils s’astreignaient à ne rien montrer. Donc, ils envisageaient de nous acheter une grosse moto dès que nous aurions l’âge réglementaire de la piloter. Par contre, en ce qui me concerne, lorsque j’ai eu un fils en âge de posséder une moto, l’idée qu’il en demande une,  me plongeait dans un véritable état de terreur. Je savais trop par où j’étais passé et à quoi j’avais réchappé. C’est justement l’histoire que je vais vous raconter.

Ces deux longues années d’attente, je devais les mettre à profit afin de faire quelques économies, base psychologique afin de conduire mon père à rajouter le complément, c'est-à-dire au moins les deux tiers du prix, afin que ce monstre de ferraille, que je contemplais plein de convoitise tous les matins en  me rendant au lycée, soit enfin mien.

Faire des économies, lorsqu’on a 14 ans ? Les moyens, on en a vite fait le tour. Essayer de travailler un peu durant les vacances et économiser sur les quelques argents de poche que me donnaient mes parents. Là, il s’agit des moyens traditionnels, mais en me creusant un peu la tête me viendraient quelques autres idées, pas toujours très honnêtes, qui plus de quarante ans après me font encore un peu honte de l’enfant que j’étais.  Mais considérons qu’il y a prescription. Je vous en reparlerai.

Le travail pendant les vacances, pour un enfant qui ne rêve entre autre chose que de pêche cela n’est pas très facile. Nos voisins, plagistes sur la plage centrale de Saint Raphaël, m’embauchent pour l’été. Commencement du travail à 6 heures et fin le soir vers 18 heures. Me lever tôt n’était pas un problème pour moi, mais passer mes journées à fournir du matériel à des foules denses qui venaient se griller voire se brûler au soleil, cela a été rapidement au dessus de mes forces. L’ennui devenait insupportable. Donc au bout de quatre jours j’ai traîtreusement laissé tomber mes plagistes. Je me suis trouvé un autre travail, nettement plus pénible et physique mais qui me convenait bien mieux. Mettre des patates en filet en manipulant une grosse machine. Tout d’abord, il fallait commencer par trier les pommes de terre, car dans le filet elles devaient être calibrées. C’est là que j’ai découvert que de ces tubercules il en existait de vraiment très grosses. Donc une fois les spécimen hors gabarit écartés, je mettais en branle la machine, qui envoyait dans un grand fracas et un nuage de poussière une giclée de cinq ou dix kilos de pommes de terre, selon le réglage. Elles tombaient dans le filet, que je fermais à l’aide d’une grosse agrafe et je lançais le produit fini sur un tas qui rapidement prenait des dimensions respectables. Certes, le salaire était misérable, et si j’avais dû compter sur ce que me rapportaient les patates, il m’aurait fallu empaqueter et déplacer un véritable Mont Everest ! Mais cela faisait partie de la stratégie plus globale, qui en dernier ressort devait conduire au fait qu’en réalité la moto serait payée en grande partie par mon père.

 

 Les vacances terminées et les menus travaux  arrivés à leur terme, l’école ayant repris, le principal moyen de thésauriser  consistait à économiser le prix du bus que je prenais deux fois par jour pour me rendre au lycée. Le gain, certes n’était pas très important de l’ordre d’un franc, mais il se répétait chaque jour ouvrable. Bien entendu, mes parents ne devaient pas être au courant. Et pour cela, il me fallait partir à l’heure de passage du car. Le trajet était de l’ordre d’une dizaine de kilomètres. Je me souviens de ces courses effrénées à travers les rues de Saint Fons puis de Lyon, le long  de l’itinéraire du bus numéro 12. De façon étonnante, lui et moi mettions à peu près le même temps. Dans la grande ligne droite vers l’hôpital Saint Luc, il me laissait sur place, mais ensuite dans les bouchons je grignotais la distance perdue et vers l’avenue de Saxe nous faisions route commune. Le plus pénible pour moi était de transporter mon cartable, qui était un réel frein au rythme de la course. En effet, devant en saisir la poignée dans l’une de mes mains, je ne pouvais prendre la cadence, tous les membres synchronisés, du coureur de fond. Bien souvent, cette serviette trop chargée de livres et cahiers,  je la mettais sous le bras gauche puis un peu plus loin sous le droit et ainsi de suite. Dans cette position mon rythme de course   était moins entravé, et j’avais moins d’efforts à fournir.

 Bien évidemment un gamin qui court tous les matins sur dix kilomètres le long de l’itinéraire du bus avec son cartable sous le bras, cela finit par se remarquer. Des parents seraient-ils insolvables au point d’imposer ce calvaire à leur enfant. D’autant plus que mon père était très connu comme médecin, par conséquent certaines personnes connaissent ma silhouette. Un jour un patient, intrigué de me voir tous les matins en plein effort, est venu le dire à ma mère. Elle ne l’a pas cru. Elle m’a rapporté l’anecdote en rigolant. Bien entendu, j’ai fait l’étonné et fait mine de ne pas comprendre de quoi il s’agissait. Elle n’a pas poussé plus loin ses investigations, cela lui paraissant par trop loufoque ! A cette époque, mon « look » n’était pas terrible, mais bien à la mode de l’époque. Je portais une longue tignasse blondasse aux cheveux raides que je ne peignais jamais.  Mes dix kilomètres de course matinale en tenue de ville, me transformaient en véritable fontaine chaque matin lorsque j’arrivais au lycée. Je me demande ce que pensaient les professeurs en me voyant arriver dans cet état, pour le moins lamentable. Ce n’était certainement pas la meilleure préparation pour être réceptif aux cours ! Être tout suant et collant dès huit heures du matin et ne pas se changer de la journée, n’est, pour le moins, pas très confortable. Mais outre la grande forme physique que cela m’a apporté, et qui me reste plus de quarante ans plus tard, j’en ai tiré une habitude de la rusticité qui m’est elle aussi restée.

Pour compléter quelque peu ma trésorerie, il m’arrivait de temps à autre de piquer dans la caisse à monnaie de mon père une ou deux pièces de 1 franc. En effet, son  cabinet de médecine était contigu à notre appartement. Dans l’un des tiroirs de son bureau, il avait disposé une grosse boîte pleine de pièces, qui lui servaient à rendre la monnaie. Il m’arrivait donc de venir me servir, avec le raisonnement quelque peu cynique, que ce serait toujours cela qu’il n’aurait pas à débourser le jour où il achèterait la fameuse moto ! Je l’écris avec quelques difficultés et je n’en suis pas fier du tout avec le recul. Ces fautes de jeunesse, qui me laissent un petit goût d’amertume, m’ont amené à être d’une intransigeance absolue en matière d’argent, surtout quand ce n’est pas le mien.

 

Donc mon « chiffre en banque » augmentait doucement à coup de pièces par-ci, par- là. Durant les deux années que dura cette période d’économie, je ne suis pas resté à pied, vers les quinze ans, j’ai récupéré la mobylette de mon frère aîné. Il s’agissait d’une Peugeot trois vitesses. Cet  engin m’a permis de faire mes premières armes sur la route. Bien que la vitesse atteinte ne fût pas énorme, dans les parcours sinueux, je m’amusais déjà bien. Très rapidement on décide de se confronter aux copains, et c’est ainsi que commencent les premières courses. Nous avions un lieu privilégié, un circuit mythique, la route de la corniche entre Cannes et Saint Raphaël. Je me souviens des départs de Cannes même, les sept premiers kilomètres le long des plages, pratiquement en ligne droite. Avec nos engins qui atteignaient le soixante à l’heure maximum, nous étions à fond, en groupe serré, cinq ou six. Les choses sérieuses commençaient en bout de ligne droite, après la longue plage dessinant la baie, avec le premier virage à 90 degrés. Là débutait  la route de la corniche à proprement parler. Bien entendu, dans le groupe compact chacun voulait être le dernier à freiner, et surtout ne pas être le premier. Un jour arriva ce qui très logiquement devait arriver. Personne ne ralentit, et le premier du groupe partit en dérapage de la roue arrière et s’étala. Les autres collés derrière ne purent pas faire grand-chose, et tout le monde finit sur les fesses au milieu du terrain-plein de l’autre côté de la chaussée. Heureusement comme ce fut très souvent le cas, à part quelques petites éraflures sans gravité, personne n’était blessé. Ce genre d’incident se terminait dans des éclats de rire de notre part et dans la stupéfaction des automobilistes qui avaient assisté au spectacle.

Une autre fois sur cette même corniche, étant seul, mais je roulais, comme d’habitude,  le plus vite possible. Du côté d’Agay dans une longue courbe en oméga, je me laisse embarquer par la vitesse et me retrouve derrière la ligne jaune à essayer de ne pas être trop déporté. Face à moi arrive dans ce virage serré un panier à salade. Je lui fonce droit dessus, sans pouvoir modifier ma trajectoire. Le gendarme au volant a le bon réflexe de faire un écart brutal et nous nous évitons de justesse. Je me souviens d’avoir vu tous les gendarmes en train de hurler en levant les bras au ciel dans le véhicule. Mais le temps qu’ils fassent demi-tour  dans cet endroit dangereux j’étais déjà loin.

Je me souviens aussi de la descente de la nationale 7 du côté des Adrets dans l’Estérel, roue arrière en dérapage, plus ou moins saccadé dans tous les virages d’une chaussée en mauvais état. Je finissais par prendre l’habitude de ce genre de conduite et j’en éprouvais un vif plaisir. A cette époque, nous n’envisagions même pas l’idée de mettre un casque, alors que nous terminions assez fréquemment à traîner sur la route au milieu des gerbes d’étincelles de la ferraille qui frotte sur le goudron.

Un jour avec un camarade dénommé Jean-Luc, nous avons effectué notre premier voyage à mobylette de Saint Raphaël jusqu’en vallée d’Aoste. Ce périple a duré deux jours par certains grands cols des Alpes, comme le Mont Cenis et le  Petit Saint Bernard.    Nous avions dormi dans une cabane en pente en bordure de route et le matin au-dessus de nous dans la lumière du soleil levant, la pointe acérée du Mont Pourri nous dominait du haut de ses 3700 mètres. Cette aventure de courte durée m’a profondément marqué, et peut-être est-ce pour cela que maintenant je me lance dans de grands périples à vélo ? Cette nuit au bord de la route du col du Grand Saint Bernard, a sans doute été le facteur déclenchant (à très long retardement) du plaisir fou que j’éprouve durant les périples au long cours, à ne pas savoir où je vais coucher la nuit à venir.

Les deux années se sont écoulées. A 16 ans j’ai passé le permis de conduire. Dans ces temps reculés, ce n’était vraiment pas ruineux. L’investissement consistait en l’achat du code Rousseau et de ne pas oublier le jour du permis de se munir d’un timbre fiscal à 15 francs. Par contre le code il était indispensable de le connaître sur le bout des doigts. On se présentait à l’endroit indiqué avec une moto. Bien entendu, il était hors de question de s’y présenter en la conduisant, mais accompagné par un camarade ou un frère. En ce qui me concerne, ça se présentait mal. Le copain qui devait venir avec sa  180 Yamaha, a fait défaut sans prévenir. Par la suite il s’est excusé, désolé que sa moto ait refusé de démarrer ce matin. Et il n’y avait pas de téléphone portable dans ces temps déjà lointains pour informer des contretemps.

L’examen se décomposait, d’ailleurs comme actuellement en deux parties, théorique et pratique. D’abord le code, assis dans la voiture de l’examinateur, je débite ma leçon par cœur, les X cas de ceci et les Y cas de cela. Je réussis brillamment, on savait à l’époque ce qu’apprendre par cœur signifiait. Cent fois sur le métier passer l’ouvrage. Il me faut ensuite affronter la phase pratique de conduite. Heureusement, un second candidat s’était présenté avec une 250 Suzuki. Il est réticent à me la prêter pour mon test de conduite. Le moniteur s’y met et lui ôte ses dernières hésitations. Me voilà parti, sur un engin que je considérais déjà comme une grosse cylindrée. L’examinateur me demande de faire le tour de la place qui se trouve devant nous. Nous sommes jour de marché. Je pars doucement parmi les ménagères, sac à la main, qui traversent un peu partout. La 250 Suzuki a la particularité de posséder six vitesses, ce qui est quand même beaucoup, pour une moto qui n’est pas vraiment une grosse cylindrée. Bien entendu je n’y suis pas habitué. Très rapidement je n’ai plus aucune idée du rapport sur lequel je me trouve. Surtout ne pas caler et ne pas renverser une ménagère. En jouant sur l’embrayage, je fais mon tour de place et reviens me positionner devant l’examinateur en débrayant, car je ne trouve pas le point mort. D’un tour de poignet rapide je coupe le contact et mets la béquille. Emballé c’est pesé, je suis reçu !

 

Cette formalité effectuée, il ne me restait plus qu’à avoir la moto, ce qui n’a pas tardé. Quelques mois plus tard, bien entendu grâce à mon père je deviens propriétaire d’une splendide T500 Suzuki et non d’une 450 Honda. En effet, nous avions un camarade qui avait ce type de moto et il en était très satisfait. De plus elle était plus puissante que la Honda. Il n’en fallait pas plus pour s’engager vers cette option. C’est ainsi que j’ai fait connaissance des gros deux temps, contrairement à Honda qui fabriquait des moteurs quatre temps. La première particularité d’un moteur deux temps : la puissance n’est délivrée que quand le régime moteur devient important. On a donc l’impression, le temps que les tours montent, que la moto  « ratatouille » et puis d’un coup la puissance arrive, et là on reçoit un véritable coup de pied aux fesses ! La sensation est absolument prodigieuse. Le second rapport s’envolait jusqu’à 120 et le troisième à 160. Le tout dans un hurlement de moteur en surrégime, ce qui nous transportait de joie. La seconde caractéristique de ce type de moteur, il n’y a pas de frein moteur. Ce qui modifie la technique de conduite. De plus la T500 était une machine réputée pour la très mauvaise efficacité de ses freins.   Donc vous avez compris tout l’avantage d’un bolide qui n’a ni frein ni frein moteur, adrénaline assurée ! En effet, très rapidement le réflexe fut non de freiner en cas d’obstacle mais de chercher à esquiver.

Passer sans transition de la mobylette à ce genre d’engin puissant, l’un des plus rapides de son époque comporte pour le moins quelques risques, dont je ne vais pas tarder à faire les frais. Trois jours après avoir eu ce cadeau fabuleux, je circule sur une petite route de campagne dans les environs de Lyon. Je ne roule pas très vite, mais de toute évidence trop vite pour la maîtrise que j’ai de mon cheval d’acier fougueux. Arrive une intersection en Y, j’hésite, à gauche ou à droite ? En finale, l’absence de décision aidant, la moto bondit  entre les deux routes. Elle plonge dans un petit ravin et je percute de face le talus opposé. Je suis projeté la face sur le compteur, que je casse d’un prodigieux « coup de boule », plutôt coup de nez. Je suis pour le moins sonné. Je reste certainement un certain laps de temps dans mon ravin. En effet, le choc a été rude et il me faut reprendre mes  esprits. Enfin, je sors et pars à pied le visage ensanglanté. Un peu plus loin je rejoins une maison, je demande de l’aide. On vient m’aider à sortir la moto qui cependant roule encore, mais  je la laisse. Gentiment une personne me raccompagne en voiture jusqu’au cabinet médical  de mon père. Immédiatement il me prend en charge, quelques points par-ci d’autres par-là. Pour un motard, avoir un père chirurgien, qui de plus a pratiqué la chirurgie de guerre c’est bien pratique ! Puis une fois le travail de couture terminé, il me dit « et ta moto ? ». Je lui réponds que je l’ai laissée à proximité du lieu de ma chute. « Quoi avec ce que tu as, tu ne l’as même pas ramenée ! ». Ni une ni deux, nous voilà repartis en voiture pour ramener immédiatement l’engin. C’est comme cela que juste recousu, tuméfié un peu partout je me suis retrouvé à conduire ma T500. Le soir, de retour à la maison ma mère me voyant dans cet état, pour ne pas l’inquiéter, car elle n’appréciait pas vraiment ce genre d’activité, je lui ai dit que j’étais tombé dans les escaliers. Elle n’a rien dit, mais ne m’a jamais cru. Effectivement pour une chute dans les escaliers le bilan était pour le moins assez lourd. Les plaies étaient de belles dimensions, car j’en garde encore des cicatrices plus de quarante ans après.

Mais je dois dire, rien de tel qu’une belle chute due à la vraie incompétence, pour faire prendre conscience du problème. Mes lacunes de défaut de conduite, je les ai maîtrisées assez vite,  et sur la longue liste des accidents qui ont suivi, je crois que l’inconscience et la folie étaient les causes principales, et non l’incapacité à manœuvrer ma moto. Je dois aussi reconnaître que la chance m’a souvent souri et que j’ai frôlé à maintes reprises les drames les plus terribles. Mais il y a un ange gardien parfois pour les fous. Et il a fait en sorte  que par un mélange de coups de chance, de réflexes et de hasards, souvent je suis  passé plus que limite, mais je suis passé. Parfois quand ça a accroché, je m’en suis tiré   seulement avec quelques égratignures, voire juste un peu plus.

 

Alors a commencé une période de folie qui a duré quelques six années. Elle a réellement pris fin lorsque j’ai commencé ma vie professionnelle à vingt deux ans. Les activités alternaient entre petits tours en ville et grandes randonnées sur route. Mais dans les deux cas une caractéristique constante, « la poignée dans le coin », c'est-à-dire chercher toujours à rouler très vite. A cette époque, déjà ancienne, le début des années 70, la police et la gendarmerie étaient beaucoup moins sévères que maintenant. Il nous arrivait de faire des infractions incroyables en matière d’excès de vitesse et de nous en tirer avec une simple « engueulade ». La liste serait longue si je devais rappeler tous ces arrêts suite à un signe d’un policier. Je ne résiste pas cependant à vous rapporter quelques anecdotes à ce sujet.

Un jour je descendais à Saint Raphaël par la nationale 7. Je traverse à vive allure un village. A la sortie un gendarme me fait signe de me garer, l’air courroucé. Il me demande « à quelle allure roulais-tu ? ». Je ne me souviens pas de la réponse que je lui ai faite, peut-être aucune d’ailleurs. En effet, de toute évidence pour le moins je fonçais, donc que lui répondre ? Alors c’est le policier qui reprend l’initiative et me lance en colère « 163 ! On se couche et on fonce ! »Aïe ! Aïe ! Aïe! Le représentant de la loi n’avait pas l’air du tout content ! Il me passe le savon qui va bien et contre toute attente, il me laisse repartir. Je démarre doucement et durant quelques kilomètres je laisse le moteur en régime lent, le temps de m’éloigner. Puis étant certain d’avoir mis la distance nécessaire entre lui et moi,  pour qu’il ne puisse plus m’entendre, je « lâche les tours ». La moto rugit, et mon parcours en direction de la Côte d’azur reprend à vive allure.

Une autre fois m’étant rendu à la fameuse concentration de moto à Val d’Isère qui s’appelait le Chamois, je rentrais chez mes parents en vacances au bord de la Méditerranée dans l’Estérel. A cette époque, l’autoroute dans la vallée de l’Isère n’existait pas encore, toute la circulation se concentrait sur une simple deux voies le long de la rivière. La route se caractérisait par de longues lignes droites. Sur l’une d’entre elles lancé à fond couché sur ma moto, le menton sur le bouchon à essence du réservoir, je m’engage dans un dépassement en troisième position, une moto étant déjà en train de doubler une voiture devant moi. Ma vitesse dépasse légèrement les 180, le compteur plus optimiste affichant pas loin de 200. Alors que j’ai l’impression d’être déjà presque dans l’herbe sur le côté gauche de la chaussée, un bolide me dépasse à vive allure en quatrième position. Il dépasse allégrement  les 200 ! Il s’agit d’une Munch Mammouth monstre mythique à l’époque. J’imagine la tête de l’automobiliste qui se fait dépasser par une bande de fêlés, échelonnés jusque dans l’herbe !

Un peu plus loin, je rejoins l’une des routes de montagne qui se dirige vers le sud de la France. J’y rencontre un motard chevauchant une 650 Yamaha et nous commençons à faire la course. On ne chôme manifestement pas, dans tous les virages ou presque des étincelles giclent, dues au frottement de la béquille lors des fortes inclinaisons de nos motos. J’ai toujours adoré ce bruit fort et sec de ferraille qui frotte le sol à grande vitesse. Il faut être d’autant plus vigilant que dans ces cas, on n’est pas loin de la limite et les marges de manœuvre sont réduites. Dans une courbe le pilote de la Yamaha fait une erreur et sa moto part tout droit face au précipice. In extremis, il la rattrape  sur un petit espace un peu avant le grand saut. Un peu plus loin, il négocie mieux que moi un virage et prend de l’avance dans une ligne droite avant un village. Je mets « la poignée dans le coin » pour essayer de le rattraper. Mais il n’a pas l’intention de se laisser faire. Il arrive le premier à l’entrée du village, et tout naturellement c’est lui qui se fait cueillir par un gendarme qui surgit sur la chaussée. Je freine tant que je peux et passe devant le gendarme, qui ne me dit rien. Je continue donc ma route en ayant ralenti, dans le but d’attendre mon compagnon de rencontre. Effectivement, quelques kilomètres plus loin, dans mon rétroviseur je le vois grossir. Nous reprenons notre course et quelques dizaines de kilomètres plus loin à nouveau un village en bout de ligne droite. Cette fois je suis devant et n’ai pas l’intention de me laisser doubler. L’histoire se répète presque à l’identique : une ligne droite, un village au bout, deux motos à fond et un gendarme qui fait irruption en gesticulant, consterné par la vitesse et le bruit des engins à fond. Il devait nous entendre arriver depuis un bon bout de temps. Mais la différence comme je l’ai dit, je suis devant. Donc le gendarme m’arrête et pas l’autre motard. Il me demande « en quelle classe tu es ? » En effet à cette époque j’avais tout juste dix sept ans, donc encore un gamin.

-En première Monsieur

-Quelle série

-C Monsieur

-Récite-moi les lois de Mariotte

-eh !!!

-Il est nul en plus !  A part te coucher sur ta moto et faire le fou tu ne sais pas faire grand-chose ?

-……

Après cette conversation pour le moins originale vu les circonstances, je pense que nous allons passer aux choses sérieuses et au PV qui va avec. Eh bien non ! Mon gendarme une fois encore, après m’avoir fait la morale, me fait signe de repartir. Comme l’arrêt avait été d’assez longue durée je n’ai jamais rattrapé la Yamaha. Pourtant, je n’ai pas mis longtemps à reprendre ma route à un rythme de toute évidence bien au-dessus de la vitesse autorisée.

Un autre jour alors que je me rendais une fois encore à Saint-Raphaël par la route Napoléon, au  sommet d’une côte je coupe le moteur et laisse filer ma moto en roue libre sous le seul effet de la gravité. La déclivité est importante, je prends assez rapidement de la vitesse. Après une courbe, une ligne droite de quelques centaines de mètres et la descente prend fin, la route escaladant le relief suivant. Mais dans la dépression un véhicule de gendarmerie. Trop tard pour faire quoi que ce soit. Tout de suite l’un des gendarmes me regarde, intrigué par cette moto qui arrive à vive allure sans  aucun bruit. Tout naturellement je viens m’arrêter à sa hauteur avant le début de la côte. Comme tout détenteur du permis le sait, il est strictement interdit de rouler moteur coupé. Bien entendu cette infraction m’est immédiatement reprochée et j’ai droit à un sermon de plus, certes mérité. Après le contrôle de mes papiers, le gendarme me laisse repartir sans me verbaliser. Je mets  le moteur  en route et dis au revoir au  représentant de la loi et démarre. Il se met alors à crier et à gesticuler. En effet, en partant je n’ai pas regardé dans le rétroviseur, et  je m’apprêtais à  percuter un cycliste qui me dépassait. Le gendarme excédé par ce chauffard aux  commandes d’un gros bolide, me fait des signes de désespoir après avoir évité l’accident que je m’apprêtais à provoquer.

L’axe nord-sud à l’entrée de Lyon représentait aussi un lieu privilégié pour nos « exploits ». Le soir vers les 21 heures lorsque la circulation était à nouveau très fluide il nous arrivait lorsque le vent du sud soufflait de faire des pointes de vitesse du confluent, Rhône Saône, jusqu’après la trémie de Perrache en rentrant dans Lyon. Lorsque nous arrivions dans la partie descendante, qui passe sous la route se dirigeant vers le tunnel de Fourvière,  et qui permet d’accéder à la ville,  on avait vraiment l’impression de sauter au plafond à des vitesses de l’ordre de 180. Un soir alors que je débouchais à cet endroit presque en lévitation, les policiers étaient en train de procéder à des contrôles de vitesse. A l’époque la limitation était de 80 km/h. De toute évidence je dépassais cette vitesse autorisée d’au moins cent à l’heure ! Des voitures étaient arrêtées et les chauffeurs en train de se faire verbaliser. J’ai surgi tellement rapidement qu’aucun policier n’a eu le temps d’amorcer le moindre geste que j’avais déjà disparu dans le lointain, tout en espérant que le feu tricolore au niveau du premier pont soit vert. J’imagine les réflexions des automobilistes en train de se faire sanctionner pour des vitesses légèrement supérieures à la limite et voir la police impuissante à stopper une moto en très grande infraction !

Un soir alors que je sortais de Lyon en direction du sud, après avoir négocié, en frottant la béquille,  le virage très raide de la Mulatière, je m’élance sur l’autoroute en poussant les régimes au maximum. J’ai dit précédemment que la Suzuki T500 avait des freins que l’on pouvait tout au plus qualifier de doux ralentisseurs, de la même manière on aurait pu comparer son phare avant à une lampe de poche de faible puissance. J’avançais plus en me repérant aux formes fantomatiques des rambardes de sécurité, que je visualisais faiblement du fait des lumières de la ville en arrière plan, plutôt qu’en voyant la chaussée. Tout d’un coup sur l’autoroute déserte, je vois des silhouettes s’agiter juste devant moi. Je freine et bien entendu, la vitesse commence à doucement baisser. Je me mets à louvoyer parmi des ombres humaines, afin de ne pas les renverser. Certaines sont équipées de pistolets mitrailleurs ! Je distingue une herse, heureusement la police, car il s’agit bien d’elle, ne panique pas et ne la tire pas et ne me tire pas non plus dessus. Je finis par m’arrêter et je me retrouve avec plusieurs armes braquées sur moi.  On me demande pourquoi je ne me suis pas arrêté plus tôt. C’est très simple, je n’ai rien vu. Manifestement ces policiers devaient  attendre quelques bandits et de ce fait pour ne pas éveiller leur méfiance, ils ne s’étaient pas du tout signalisés dans le noir.  Ils ont contrôlé mes papiers et ont convenu que je n’étais pas entièrement responsable de ce qui venait de se passer. Rétrospectivement lorsque je me remémore cette scène, je ne peux m’empêcher de penser que j’ai de la chance d’une part de ne pas avoir renversé un policier et d’autre part de ne pas m’être fait tirer dessus. Vive le sang froid de la police !

Je vais vous relater un autre jeu stupide que nous pratiquions par temps de brouillard sur autoroute. On mettait la roue avant sur la bande blanche la plus à gauche et on roulait au maximum de ce que nous pouvions avec des visibilités inférieures parfois à cinquante mètres. Cela me fait froid dans le dos, lorsque je pense à notre degré d’inconscience je dirais  même d’irresponsabilité criminelle, mais à 18 ans on s’imagine immortel et  bien souvent le sens des responsabilités et des conséquences de nos imprudences nous échappaient complètement. Donc lancé à vive allure, les yeux rivés sur cette bande blanche comme guide, je me retrouve le temps de quelques secondes au milieu de véhicules qui se sont percutés dans le brouillard et par chance aucun ne s’est trouvé sur ma trajectoire. Ai-je rêvé ou alors suis-je bien passé au milieu d’un joli carambolage ? Je ne suis même pas certain que cela m’ait fait ralentir !

Dans la série les grandes bêtises il nous est arrivé l’aventure suivante. Nous avions l’habitude chaque hiver d’aller faire de l’escalade au Baou de Saint-Janet au-dessus de Nice. Nous partions de Lyon avec nos motos. Un soir du mois de décembre, nous démarrons tardivement Pierre-Yves et moi. Lui conduisait une 250 Suzuki et moi ma T500. Nous n’étions pas encore sortis de Lyon que la moto de Pierre-Yves subit une panne totale d’éclairage. Il est déjà tard et nous voulons grimper demain, donc une moto avec phares suffira. Il va parcourir les 500 kilomètres du trajet deux mètres derrière moi les yeux fixés sur mon feu arrière. Le temps n’était pas beau. Nous avons essuyé la pluie sur de longues distances. Doubler un camion de nuit sous la pluie en moto est une opération pour le moins stressante. A partir d’une certaine distance derrière le camion on n’y voit absolument plus rien, ses énormes roues vous aspergeant d’un véritable rideau d’eau. On perd presque tous ses repères, on est quasiment aveugle et à vive allure de nuit c’est très inquiétant, voire terrorisant. Le seul guide ténu, auquel se raccrocher, est matérialisé par le flanc du camion à quelques dizaines de centimètres. On ne regarde plus devant, mais on garde les yeux rivés sur cette remorque qui défile à proximité. On est souvent tenté de ralentir devant l’absence totale de visibilité. Mais cette nuit, je devais faire d’autant plus attention, que Pierre-Yves sans phare était collé un mètre derrière moi avec seul repère mon phare arrière. Le moindre à-coup de conduite de ma part et il me serait rentré dedans.  Mais tout s’est bien passé et nous sommes arrivés à destination sans le moindre pépin. J’ai été  très étonné, par l’absence de réaction de la police lorsque nous sommes arrivés au péage au sud d’Aix-en-Provence. En effet,  un contrôle était en cours. Une moto sans phare sur l’autoroute à 11 heures du soir en décembre c’est pour le moins curieux. Eh bien, je n’en reviens toujours pas mais ils ne nous ont pas arrêtés, cela était sans tout trop aberrant pour qu’ils réalisent la réalité de notre inconscience!

Un autre jeu très stupide, il nous arrivait de jouer à la moto qui roule toute seule en doublant des voitures à vive allure. On se mettait entièrement sur le cale-pied avant gauche caché derrière le réservoir avec seulement les deux mains sur le guidon. De cette façon,  lorsque nous dépassions les voitures sur route, durant quelques secondes le conducteur voyait une moto sans pilote. Il ne nous remarquait finalement que lorsque nous avions franchement dépassé la voiture. Nous avons peut-être été responsables de crises cardiaques ?

 

Et puis bien sûr, il y a  eu la longue liste des accidents, qui heureusement se sont toujours relativement bien terminés. Entre les chutes à mobylette et les chutes à moto, comme conducteur ou passager, je crois arriver au décompte de 22. Au cours de ces accidents, j’ai subi quelques bobos plus ou moins sérieux, mais jamais de graves traumatismes. Au plus un membre cassé, de quoi être handicapé un mois ou deux, ce qui ne m’empêchait pas de conduire mon deux roues tout en étant plâtré.

Je ne vais pas me lancer dans la longue description de toutes ces chutes mais relater les plus marquantes. Tout d’abord la plus violente, lors d’un trajet que je faisais en tant que passager derrière mon frère qui possédait aussi une Suzuki T500. Nous étions en 1972, je venais juste d’obtenir le bac et j’arrivais à Saint-Raphaël pour les vacances. Sur le pneu arrière de ma moto un drôle de phénomène venait de se produire. Les crampons sans doute du fait d’une gomme trop tendre s’arrachaient, rendant la conduite dangereuse. Mon frère connaissant du côté d’Istres un marchand aux prix doux et aux produits de bonne qualité, nous décidons de partir tous les deux sur sa moto acheter deux pneus. Tout se passe pour le mieux à l’aller. Notre achat effectué, nous rentrons sur Saint-Raphaël. Je suis en place arrière avec les deux pneus passés autour du corps. Sur la nationale 7 un peu avant Brignoles, nous roulons à 120km/h. Sur le bord de la route un véhicule garé, sans crier gare, il fait demi-tour et se met en travers de notre chemin. Mon frère n’a même pas le temps d’actionner les freins que nous le percutons au niveau de la roue avant gauche, qui d’ailleurs sera quasiment arrachée, démontrant la violence du choc.

Je me souviens très bien de cet épisode. Il est gravé dans ma mémoire de façon indélébile. Je vois  la voiture faire demi-tour, mon frère essayer une tentative d’évitement par l’avant et le choc. Mon frère passe par-dessus le véhicule percuté et part très loin du fait de l’énergie cinétique due à la vitesse. Pour ma part, me trouvant à l’arrière, la moto au moment du choc ayant pivoté vers le haut, je pars sur une trajectoire plus haute, m’élevant dans les airs alors que mon frère a été projeté sur une  trajectoire plus directe au ras du sol. Il est donc parti plus loin. Alors que je m’élève, avec mes deux pneus qui me dépassent, je le vois filer plus bas et bien devant moi. Au passage sans doute je heurte le toit de la voiture avec mon pied droit, ce qui m’occasionne une fracture du tibia, à moins que cette blessure ait été occasionnée au moment où je suis retombé sur la route ? La police et les pompiers arrivent rapidement sur les lieux. Je suis emmené à l’hôpital sans urgence, car ma blessure n’inspire pas de crainte particulière. Mon frère lui est indemne. Il a roulé dans les buissons en bordure de route lorsqu’il a atterri. Le lendemain il sera perclus de contusions et aura du mal à se mouvoir, mais absolument aucune plaie. Je me retrouve à l’hôpital de Brignoles et cela ne me plaît pas vraiment. La fracture est diagnostiquée, et on prévoit de me mettre un plâtre. Mes parents ayant été alertés, notre mère vient me voir à l’hôpital, notre père étant lui à Lyon. N’y tenant plus dès le lendemain, un camarade me rendant visite, je me sauve sur son dos et je rentre à Saint-Raphaël, alors que je ne suis toujours pas plâtré. Mon père arrive et me prend en charge afin de le faire, ce qui me soulage, car une fracture laissée à l’air libre occasionne de sérieuses douleurs au moindre mouvement lorsqu’on se déplace à cloche-pied ! Afin de rendre mes déplacements plus confortables, mon père munit mon plâtre d’une petite talonnette en caoutchouc. Je vais trouver cela tellement pratique que très rapidement je retrouve une bonne mobilité. Je vais me sentir si bien, qu’au bout d’une quinzaine de jours je vais même essayer de faire de l’escalade avec mon plâtre, en posant justement cette talonnette en caoutchouc sur les prises. Bien entendu ce n’est absolument pas sa vocation, même si je  sens qu’elle adhère bien au rocher un peu à la manière d’une gomme de chausson d’escalade. Arrive ce qui doit arriver ! Alors que je développe en poussant en appui sur cette talonnette afin d’aller chercher une prise de main plus haut, sous la contrainte de mon poids, elle s’arrache. Je me retrouve pendu quelques mètres plus bas au bout de la corde, car je grimpais en premier. Mes velléités d’escalade s’arrêtèrent là, avec quand même une belle frayeur ! Mais bon puisque l’escalade m’est interdite, je vais me rabattre sur la balade à moto, car mon plâtre ne m’empêche pas de m’en servir et me permet, confort suprême, de me servir du frein arrière, actionné par ma jambe blessée. Bien entendu comme les pépins arrivent en groupe, selon la loi très connue des séries, je ne vais pas tarder à avoir un autre accident. Une voiture vient me percuter alors que j’effectue un dépassement dangereux par la droite à la sortie d’un tunnel sous une voie ferrée. L’auto m’ayant compressé la jambe gauche contre le réservoir de la moto, un gros hématome se développe  à l’intérieur de la cuisse le long de l’os. Mon père étant présent car en vacances, me prend immédiatement en charge et me conduit à l’hôpital de Saint-Raphaël et demande à voir un chirurgien. L’étant lui-même, cela facilite les choses et dans la foulée je suis amené en salle d’opération afin de procéder à la réduction de cet hématome qui grossit de façon inquiétante. Le chirurgien opère, mon père regarde ce qu’il fait par-dessus son épaule. Cela ne dure pas très longtemps et nous rentrons chez nous. Sur le chemin du retour mon père me dit que le chirurgien n’a pas fait du bon travail et qu’il allait y remédier. Sitôt rentrés, j’ai droit à une deuxième intervention sur ma cuisse. Cette fois l’instrument n’est pas le bistouri, mais les ciseaux de cuisine. De la pointe il pique dans l’entaille faite précédemment et l’élargit afin d’extraire des caillots de sang oubliés le long du fémur. Après avoir bien pressé et retiré des corps solides, il met en place un drain toujours à l’aide de sa paire de ciseaux de cuisine. La vocation de ce drain est de permettre d’évacuer tous les corps et autres liquides qui empêcheraient la réduction de l’hématome. Il est très utile d’avoir un père chirurgien lorsqu’on est un motard téméraire et imprudent !

Je n’avais pas été le seul client de mon père durant les vacances. En effet, un matin au lever nous entendons notre mère pousser des cris lorsqu’elle ouvre la porte de la maison. Sur le paillasson, l’un de nos chats est à l’agonie. Il a réussi à se traîner jusque là dans un très mauvais état, après s’être fait  percuter par une voiture. La famille au complet rapplique. Mon père prend la direction des opérations. Le chat est amené  sur la table de la cuisine, l’auscultation commence. Très rapidement une grosse fracture ouverte au niveau de l’articulation de la patte avant est diagnostiquée Il est nécessaire d’opérer le « gros Mickey » afin de réduire la fracture, et il faut le recoudre dans tous les sens, car il est déchiré de partout.  Avec mes deux frères, nous avons pour mission chacun de tenir fermement une patte valide afin que notre père ait toute latitude de s’occuper du membre cassé. Le chat tente bien de se débattre, mais son état ne lui permet pas d’offrir une forte résistance.  D’une main experte mon père lui remet les os en place et le recoud. Le chat survivra et se remettra très bien de cet accident, il n’en gardera qu’une légère claudication.

Revenons aux accidents, je vais vous en relater un dernier. Il fut sans conséquence mais particulièrement cocasse. Un matin alors que nous sommes à Lyon, nous partons faire de l’escalade à Doizieux avec Robert. Il possède une 350 Honda. Ce jour là je suis passager. Nous sommes en hiver et il fait très froid. Lorsque nous arrivons dans le petit village, le soleil se lève. Nous débouchons sur la place au milieu du bourg et là nous dérapons sur une plaque de verglas et allons rouler contre la fontaine du village. Un pépé assis au soleil en bordure de la placette assiste à la scène. Il nous gratifie du commentaire suivant lorsque nous nous relevons : « Vingt dieux, je suis là depuis une demi-heure dans l’attente de voir si y’en a qui allaient se casser la gueule sur le verglas ! ». Rien à rajouter.

Encore une anecdote qui s’inscrit bien dans le contexte « motard » de l’époque. Notre père dans le but de traiter la charpente de notre villa à Saint Raphaël avait acheté trois grands bidons de 10 litres de xylophène. Cet achat il l’avait effectué à Lyon et lors de sa descente vers la côte pour les vacances d’été, dans le fourbi de la voiture il n’a pas eu la place pour ces trois gros cubes  de métal aux parois très minces. Comme je devais aussi venir dans le sud, il m’a demandé de descendre les trente litres de xylophène. Robert était avec moi. Nous accrochons comme nous le pouvons les trois bidons les uns sur les autres à l’arrière du siège de ma T500 . Cela fait vraiment un bagage de très grande hauteur qui empiète très nettement sur la place du passager. Comme je l’ai précisé les parois de ces récipients sont très fines. Donc rien que le fait de les empiler donne à l’entassement un aspect pour le moins louche. Mais on ne va s’arrêter à ce genre de détails secondaires. On se glisse tous les deux sur la partie de siège qui reste disponible. Il est collé contre les trente litres de xylophène et moi je suis presque assis sur le réservoir. Mais tout va bien, et tellement bien, qu’au lieu de prendre la route la plus facile, l’autoroute du sud et la nationale 7, nous optons par la route Napoléon. En effet, nous ne manquons jamais une occasion d’aller voir des montagnes. Au bout d’une centaine de kilomètres, les chaos de la route ont mis les bidons à rude épreuve et l’un d’eux commence à se fissurer. Le xylophène se met tout naturellement à couler. On sait qu’il tue irrémédiablement les insectes destructeurs de poutres. Par contre nous découvrons les effets qu’il a aussi lorsqu’il a imprégné votre slip ! C’est surtout Robert, le pauvre qui découvre ! On comprend facilement que les termites et autres bestioles n’aiment pas. En effet, ça pique dur !!! Malgré nos déboires nous arriverons à Saint Raphaël avec un peu plus de vingt litres de ce précieux liquide et cela suffira pour la charpente de la villa.

En fouillant dans ma mémoire, beaucoup d’anecdotes remonteraient, comme cette fois où lancés dans une course effrénée le long de la corniche entre Cannes et Saint-Raphaël, Robert et moi, chacun sur sa moto, avons croisé dans un virage sans visibilité un bus par la gauche, ou alors cette autre fois mon frère Marc lancé à vive allure dans une courbe à la visibilité là aussi pour le moins réduite est passé sur le mètre déroulant entre deux gendarmes qui prenaient des mesures suite à un accident, ou encore une séance d’aquaplaning à180km/h en courbe avec reprise de contrôle tenant du miracle au moment de percuter la rambarde de sécurité, et puis aussi ce camarade qui glisse dans une courbe et qui sur les fesses, précédé de sa moto, va faire un Strike comme dans une partie de bowling,  sur une terrasse de café au milieu des chaises et des tables, heureusement il n’y avait pas de client !

 

Ces années de jeunesse à faire les fous à moto, nous y avons survécu car la chance nous a souri avec insolence. Mais il ne faut pas trop la tenter et je m’abstiens maintenant de faire de la moto, même si des esprits tentateurs essayent de me faire retomber dans les démons de la vitesse à deux roues. Mais les conditions ne sont plus les mêmes. La clémence de la police, il n’est plus question d’y compter, la moindre infraction se paie cash ! La chance aussi doit en avoir un peu assez, donc je prône la prudence la plus absolue sur la route. Ces histoires retraçant nos bêtises de jeunesse que je viens de vous relater remontent à des temps révolus, et il serait de très mauvais goût de s’en inspirer.

09:29 Publié dans moto | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : moto, vitesse, t500, 450 honda

15/09/2012

Souvenirs d'enfance, pêche en Provence

                   Souvenirs de pêche en Provence

 

Ma jeunesse je l’ai passée durant de longues années au bord de la mer Méditerranée à Saint Raphaël. Notre père avait fait construire une villa dans ce coin du sud de la France, car très probablement cela lui rappelait sa propre jeunesse en Afrique du Nord. Il nous parlait de cette période avec une grande émotion, et nous contait par le détail les pêches miraculeuses qu’il y faisait. Forts de cet atavisme, mes frères et moi avons vécu avec passion durant une dizaine d’années nos vacances à traquer toutes les espèces de poissons de crustacés et autres poulpes dans le golfe de  Saint Raphaël et ses environs.

 

Tout avait commencé alors que nous étions petits et habitions en bord de mer, après être rentrés d’Allemagne où notre père était médecin militaire. A cette époque les parents n’étaient pas traumatisés par l’enlèvement des enfants et notre mère nous laissait partir à l’école à pied à plus de deux kilomètres, et cela même  en hiver. Nous partions donc de novembre à février de nuit soit par la route du bord de mer ou par celle qui longeait la voie ferrée. Cette dernière était plus courte. Par contre systématiquement nous rentrions par la corniche, déjà fascinés par la mer et ses vagues. Les jours de tempête, je me souviens des embruns qui nous submergeaient et nous procuraient des émotions fortes. Au cours de nos retours le soir, nous avons mené nos premières actions de pêche. En effet en bord de mer, il y avait des restes de briques, abandonnées sans doute lors de constructions de villas de l’autre côté de la route. Certaines de ces briques, cassées ou entières étaient immergées dans quelques dizaines de centimètres d’eau. Elles possédaient une caractéristique,  plusieurs sections creuses. Là résidait tout le secret.  Dans ces trous, des poissons s’y cachaient. Généralement il s’agissait de blennies, poissons que localement on appelle « babec », à prononcer impérativement avec l’accent du midi, au risque de ne pas se faire comprendre. Ces poissons n’étaient pas très gros, entre cinq et dix centimètres, tout au plus. Doucement nous rentrions dans l’eau, en évitant toute éclaboussure. Nous nous baissions et avec précaution positionnions nos mains de part et d’autre de la brique pour en boucher les orifices. Nous sortions de l’eau chargés de notre butin, et là sur le sable ou les graviers, nous vidions   notre parpaing, le cœur battant. Les premiers filets d’eau s’étant écoulés, si la brique était habitée alors un joli poisson multicolore tombait au sol, tout frétillant. Nous le regardions émerveillés, fous de joie. On le ramassait avec douceur pour éviter de le blesser afin de l’admirer de près, puis nous le remettions à l’eau. Nous le regardions s’enfuir en tortillant sa queue dans les quelques centimètres d’eau près de la grève. Bien évidemment nous rentions bien souvent tout mouillés, et notre mère s’en étonnait. Comment aurait-elle imaginé que nous passions notre rentrée de l’école à retourner des briques dans l’eau !

Ces premières expériences, manifestement ont aiguisé nos instincts de pêcheurs, que chacun de nous a enfouis en lui. Il en est né une véritable passion de la traque de toutes les façons possibles et imaginables à la recherche ces pauvres habitants des mers qui ne demandent rien au genre humain. Notre frère aîné s’est montré particulièrement astucieux pour mettre au point toutes sortes de pièges et de lignes. Nous avons donc commencé à demander à nos parents de nous acheter, des cannes à pêche, des fouines, masques, palmes, épuisette, harpons, moulinets, bateau, rames, puis même un moteur, sans compter les ustensiles comme les pots de verre et les bassines qui nous procurèrent aussi de belles parties de pêche. Bien évidemment tout cela s’est fait progressivement, car lors de ces premières expériences à retourner des briques, je n’avais que six ou sept ans.

Notre frère aîné était, comme je viens de le laisser à penser,  l’instigateur de ces séances de pêche effrénées, et bien évidemment il a été le premier à réclamer des instruments  de plus en plus efficaces. Bardés de nos premières cannes à pêche, à bouchon puis de moulinets nous nous sommes lancés à la traque de la friture de roche. Cette population de petits poissons est constituée d’une multitude d’espèces : la girelle, le rouquet, le saran, la vache,  le sarre, le saint-antoine, le sparaillon et bien d’autres. J’ai volontairement oublié la rascasse, poisson emblématique de la bouillabaisse. En effet, cet habitant des rochers on ne le pêchait généralement pas de cette façon, mais en pêche sous-marine. J’y viendrai un peu plus tard.

Je vais donc dans un premier temps vous décrire cette pêche de la friture de roche. L’appât que l’on utilisait le plus fréquemment était l’escavenne, ver de vase ou de sable. Effectivement, nous les recherchions sous les cailloux en bordure de mer, à marée basse, lorsque le lieu de vie de ces vers est découvert. Certains pourraient me rétorquer qu’en méditerranée il n’y a pas de marée. Mais si ! Certes pas très importantes. Lors des grands coefficients,   cela se chiffre en quelques dizaines de centimètres, alors qu’au Mont Saint Michel la montée de l’eau dépasse les dix mètres. Mais cela suffisait pour mettre les escavennes à notre portée. Alors pour attraper ces vers, même presque à sec, ce n’est pas si facile. Il est nécessaire d’avoir acquis une bonne expérience sur leur réaction lorsqu’on retourne le caillou, si on espère s’en saisir. En effet, cette dernière, bien allongée sous sa pierre,  se ménage des galeries afin de fuir rapidement au moindre danger. On se positionne au dessus de la pierre, l’un la soulève fermement et rapidement, l’autre détecte l’escavenne d’un coup d’œil, et la capture prestement. Au cours d’une bonne récolte, on pouvait espérer en ramasser une bonne centaine, point de départ d’une excellente pêche à la friture. Mais cet appât n’était pas le seul, bien que le plus pratique. Nous utilisions aussi les piades, bernards l’ermite  ou bigorneaux. Trois noms pour un même animal. Cependant, Il y en existe deux espèces, les unes à pattes et les autres à lune. A pattes il s’agit du bernard l’ermite « classique » qui a colonisé une coquille à sa taille et qui se déplace à l’aide de ses pattes et pinces sur le sol dans l’eau ou à l’extérieur sur les rochers découverts. La piade à lune est un petit bigorneau ou bulot de tout petit format, comme ceux que l’on consomme avec une mayonnaise. Nous utilisions aussi les arapèdes, patelles ou chapeaux chinois, que l’ont récupérait à l’aide d’un couteau sur les rochers à fleur d’eau. Comme son nom « chapeau chinois » l’indique, cet animal possède une coquille de forme conique. Il adhère fortement au rocher, à l’aide d’un large pied ventouse qui tient toute la surface de son corps, qui constitue en fait sa partie charnue, musculeuse et coriace, qui tient bien à l’hameçon.

Le lieu privilégié pour pratiquer cette pêche se trouvait dans les rochers qui se situent maintenant derrière le nouveau port.  Cette activité est particulièrement agréable pour de nombreuses raisons. Tout d’abord c’est toujours un immense plaisir de se retrouver en bord de mer très tôt le matin. A ces heures matinales, il y fait généralement frais. Un léger vent souffle de la terre vers la mer, phénomène qui s’inversera quelques heures après le lever du soleil, car le sol deviendra plus chaud que la mer. Assister à l’arrivée de l’astre du jour sur l’eau a souvent été pour moi l’une de mes motivations de ces levers matinaux.

La pêche en elle-même est fort ludique. Ces poissons sont dans leur grande majorité voraces et vigoureux. Après avoir lancé la canne, on n’attend généralement pas très longtemps pour avoir les premières  touches. Pour plus d’efficacité on met sur le bas de ligne plusieurs hameçons, et de ce fait bien souvent on obtient deux, voire trois prises à la fois. Les touches sont fortes et les poissons se débattent avec vigueur. On ressent de belles sensations dans les mains, et la vue de son sillon de canne  se pliant au rythme des coups de queue et de nageoires est un vrai régal. Lorsque le poisson émerge, on est souvent déçu de constater qu’il n’est pas très gros. En effet, il s’est débattu avec une telle ardeur que l’on s’attendait à bien plus gros.  Mais cela ne fait rien, la petitesse de la prise est compensée par sa beauté, généralement multicolore, tout particulièrement lorsqu’il s’agit d’une girelle royale aux multiples couleurs étincelantes.

 La plupart du temps, cette pêche prend fin vers les neuf heures du matin, lorsque les vents s’inversent, et que la brise vient alors de la mer. Ce retournement est précédé par une période d’une durée de quelques minutes, voire d’un quart d’heure, au cours de laquelle plus un souffle de vent n’agite la surface de l’eau. La mer est d’huile, prenant une teinte gris laiteux, parfait miroir. Il faut en profiter pour donner les derniers coups de canne et se saisir des ultimes poissons. Alors le vent du large arrive et comme par miracle plus une touche, plus un seul de ces habitants des rochers n’est intéressé par l’escavenne qui garnit votre hameçon.

Il est temps de rentrer. La première chose à faire en arrivant à la maison, c’est de préparer cette friture pour midi. On évide chacun des poissons, certains nécessitent d’être écaillés, d’autres non. On met le tout au réfrigérateur, et il n’y a plus qu’à attendre avec impatience l’heure du repas, qui ne saurait tarder. Alors dès que le gong retentit, on sort le plat du frigo, on roule chacun des poissons dans la farine et on les jette tous dans la poêle à frire. Alors habituellement c’était un peu la bagarre, chacun ayant repéré ceux qui lui feraient le plus plaisir. Pour ma part la girelle est le poisson qui a la chair la plus ferme et la plus savoureuse. Certes elle n’est jamais très grosse, même si certaines royales ne sont pas loin d’atteindre les vingt centimètres.

Pour mon père et moi, la girelle est l’un des poissons à la chair la plus fine, et sa pêche est particulièrement agréable, car sa combativité est stupéfiante. Comme je l’ai dit précédemment on s’imagine avoir attrapé beaucoup plus gros. Durant les premières heures de la matinée durant lesquelles elle mord, c’est un festival ! Pour toutes ses raisons de l’avis de mon père et du mien, cette pêche représente la quintessence de l’activité. Ce n’est absolument pas le point de vue de mon frère Marc. Pour lui, si un poisson ne fait pas un minimum de cinq cents grammes, il considère qu’il n’y a pas de pêche. Donc pour lui l’esprit de la pêche réside dans le gros loup, la grosse dorade, poisson qui pour le premier peut atteindre les huit kilos ou plus et quant au second il dépasse les quatre kilos. Combien de fois avons-nous abordé ce sujet à trois jusqu’à la mort de notre père, récente. Bien entendu la discussion était un véritable débat de sourds. Absolument impossible de trouver le moindre point d’entente. Mais quelles parties de rigolades cela nous a procuré. Le sujet n’était jamais épuisé, pourtant jamais renouvelé, mais cela ne faisait rien, pendant quarante ans et plus nous nous sommes lancés nos arguments à la figure, toujours les mêmes, toujours aussi incompris par le camp adverse, mais toujours aussi hilarants pour tous. Le bonheur dans le fond, il ne faut le chercher au bout du monde ! Une bonne discussion de famille sur un sujet de passion commune, le tout mâtiné d’un semblant de mauvaise foi et d’un soupçon d’esprit obtenu, et on se retrouve dans une querelle à la Pagnol sur  le Vieux Port, pour la plus grande joie des protagonistes.

 

Cette pêche aux poissons de roche, accaparait la majeure partie de nos matinées, en dehors des jours de mistral. Mais lorsqu’il soufflait, nous nous tournions vers d’autres techniques pour assouvir notre passion dévorante et exclusive. Je me souviens qu’à l’époque les périodes de mistral n’étaient pas très fréquentes, mais elles pouvaient être très longues,  sévissant par tranches de soixante douze heures. On a compté jusqu’à neuf jours consécutifs. Outre nous empêcher de prendre girelles et autres poissons de roche, le mistral restreignait très sérieusement la baignade car l’eau descendait à quatorze degrés.

Donc au cours de ces longs moments ventés nous pratiquions deux pêches, absolument étranges, la pêche au pot et celle au trou. Je vais commencer par vous décrire la première, puis vous révélerai toutes les subtilités de la seconde.

La pêche au pot : cette technique nous permettait de traquer le mulet ou muge. Dans certaines zones peu profondes bien protégées du vent, nous disposions nos pièges dans une quarantaine de centimètres d’eau au maximum. De quoi s’agit-il ? On prend un pot à confiture en verre, vide bien sûr, de plus ou moins grande contenance, on le recouvre d’un chiffon blanc, généralement prélevé sur un vieux drap, on le tend bien, et à l’aide d’un élastique on le maintient fermement. Sur cette surface bien lisse, on pratique un trou de quelques centimètres de diamètre. On remplit le pot d’eau, on y ajoute de la farine, on secoue bien, afin d’obtenir une mixture homogène. On n’oublie surtout pas de bien induire le pourtour de l’orifice avec de la pâte de farine. Il ne reste plus qu’à positionner cette nasse artisanale, bien calée au fond. On rejoint le bord et on surveille en attendant les bancs de mulets. Habituellement cela ne saurait tarder, avant qu’ils arrivent en masse. Par le trou se dégage comme une petite fumée blanche, qui attire les poissons. Rapidement ils se retrouvent sur le piège et commencent à sucer les particules de farine. Tout en le faisant certains s’aventurent par le trou dans le pot. Parfois ils sont si nombreux, que l’on de distingue plus une seule parcelle de blanc du morceau de drap. Sans trop attendre on se précipite dans l’eau pour récupérer le récipient. On plaque une main sur l’orifice pour éviter que certains poissons ne s’enfuient. On rejoint le bord, on vide le tout dans un grand sceau. On récolte jusqu’à une dizaine de poissons. Il n’y plus qu’à recommencer l’opération.  Une fois il nous est arrivé d’attraper un poisson deux fois plus long que le pot, la tête au fond, il avait encore la queue qui dépassait largement ! Il nous arrivait d’atteindre le chiffre de 300 mulets en une séance de quelques heures. Nous avons même perfectionné le système, en remplaçant le pot de verre tout simplement par une grosse bassine métallique ! Ce qui augmentait considérablement le nombre et la taille des poissons qui se laissaient piéger.  Mais que faisions-nous de tous ces mulets ? Nous ne les mangions que très rarement et en petite quantité, car ce n’est pas un très bon poisson. Mais alors pourquoi les attraper ? Effectivement à cette époque la pêche « No Kill » (excusez cette expression barbare anglaise, qui signifie que l’on relâche les poissons)  n’était pas un concept encore à la mode. D’abord cette pêche, au pot ou à la bassine, comme la plupart des techniques employées procure un vif plaisir. Courir dans l’eau sortir son pot de l’eau et voir à travers le verre tous ces poissons piégés nous amusait beaucoup. Nous avions trouvé un débouché des plus agréables pour les gourmands de friandises que nous étions. Nous les troquions contre des cacahuètes caramélisées auprès du père « Chnink ». Ce voisin était vendeur de ce type de produits sur les plages des environs et il fabriquait lui-même sa marchandise. Il en avait donc toujours des stocks importants, et tout autour de chez lui régnait une délicieuse odeur de caramel. De plus comme il avait toute une ribambelle de chats qui eux étaient des consommateurs effrénés de muges, nous repartions avec des pleines boîtes à sucre remplies de cacahuètes caramélisées, souvent bien chaudes ! Le marché était comme diraient nos politiques « gagnant-gagnant ».

Durant ces périodes de vent l’autre pêche que nous pratiquions était « la pêche aux trous ». Pratique tout à fait étrange, qui cependant se révélait fort efficace. De quoi s’agissait-il ? Nous prenions un morceau de bambou de quarante centimètres de long et d’une section d’au moins un centimètre, c'est-à-dire absolument pas flexible. A l’une des extrémités, nous attachions du fil de fer tressé, donc lui aussi bien rigide. Cette partie métallique, ne dépassait pas les vingt centimètres, et était disposée perpendiculairement à l’axe du bambou. Tout au bout de ce drôle d’engin de courte taille à angle droit, nous disposions un gros hameçon, que nous appâtions avec une moule ou un morceau de seiche. Equipés de la sorte nous nous déplacions le long des digues, garnies de grosses pierres et nous enfournions la partie métallique    dans les trous. Aussi incroyable que cela paraisse, nous attrapions de belles prises, gros gobies noirs, rouquets, et même belles rascasses.  Les touches étaient brutales et nous extrayions littéralement de sous les pierres nos prises, souvent au plus grand étonnement des gens qui nous regardaient, en se demandant ce que nous pouvions bien fabriquer dans quelques dizaines de centimètres d’eau avec nos drôles d’engins à quatre vingt dix degrés. Je me souviens d’un jour alors qu’un père et sont fils, intrigués s’étaient approchés de moi et me regardaient avec curiosité et interrogation. Soudain une touche puissante me tire sur le poignet, je réagis en remontant ma ligne et là sous leur regard médusé monte un énorme poisson de la forme d’un congre, d’un bon mètre. Je le sors entièrement de son trou et lorsqu’il est bien en vue devant mes spectateurs ébahis, il se décroche et retourne à la mer.  Ils ont très certainement cru, qu’ils venaient de rêver ou que leurs sens de perception avaient été mis défaut ! Je dois préciser pour la bonne compréhension de la scène, que les digues dont je parle, étaient en fait de petites jetées s’avançant de quelques mètres dans la mer, protégées de pierres de taille moyenne. Cela n’avait rien de comparable avec les grandes jetées de port bordées d’énormes rochers de protection. Non, dans nos coins de pêche tout était petit, bien à l’échelle des enfants que nous étions. Tous ces lieux qui font remonter en moi tant de souvenirs n’existent plus. En effet, malheureusement lors de la construction du nouveau port de plaisance à Saint-Raphaël, ils ont été définitivement détruits. Ils se trouvent maintenant quelque part sous le grand parking situé à l’entrée du port devant l’un des bassins accueillant les bateaux. Je me souviens avoir assisté à l’arrivée du premier camion d’une longue série qui durant de longs mois se sont employés à faire disparaître irrémédiablement les sites marins de notre enfance.

Dans un nouveau chapitre, je vais aborder les différentes activités que nous menions à partir d’un bateau ou d’un engin flottant. Nos premières aventures et expériences de pêche dans ce domaine ont été conduites tout d’abord sur un matelas pneumatique, puis un bateau gonflable, même d’un pédalo que nous louions. Puis finalement de manière plus conventionnelle à partir du bateau que notre père nous a acheté, dans un premier temps à la rame et ensuite à la force d’un moteur.

Le matelas pneumatique ne nous permettait que quelques incursions à proximité des côtes. En fait, nous nous déplacions sur des fonds de quelques mètres tout au plus. Allongé sur l’engin, la tête dans l’eau  à l’aide d’un masque nous repérions les poissons posés au fond et laissions  descendre l’appât devant leur gueule et les ferrions dès qu’ils l’avaient attrapé. Je me souviens d’un jour, ayant effectué une mauvaise manœuvre avec ma ligne, l’hameçon s’est pris dans le matelas pneumatique et nous avons bien évidemment coulé !  

Lorsque nous avons eu des embarcations de plus grande dimension, nous avons commencé à nous aventurer plus loin des côtes, et cela de jour comme de nuit. Ces pêches en bateau nous permettaient de prendre des poissons de plus grande taille, que nous allions pêcher dans des eaux plus profondes. La mer méditerranée a la particularité de posséder de grandes profondeurs assez rapidement dès qu’on s’éloigne de la côte.  Par endroits au milieu de ces fonds presque abyssaux, il y a des remontées de fonds alors que la distance à la côte est importante. En particulier au large de Saint-Raphaël il existe un de ces reliefs sous-marins que les pêcheurs appellent « le sec de Fréjus ». Le fond y est de l’ordre de 80 mètres. Pour le rejoindre nous passions sur des gouffres de plusieurs centaines de mètres, où il était exclu que nous puissions lancer nos cannes. Mais situer ces remontées de fond regorgeant de poissons, n’était pas chose aisée, vu la distance à la rive, et nous ne possédions pas encore à cette époque de GPS. Nous nous débrouillions par un système de triangulation entre le clocher de Fréjus et quelques autres points entre le Dramont et  Agay. Nous arrivions à nous repérer grâce à ces caractéristiques du rivage, mais le souvenir précis de ces différents jalons s’est estompé. Bien évidemment lorsque nous nous rendions avec notre petite coquille de noix de trois mètres, dans ces zones en haute mer ou presque, nous étions complètement en dehors de la réglementation maritime. Longueur du bateau et puissance du moteur deux données qui nous interdisaient d’après la loi de nous éloigner de la côte. Mais comme cela ne suffisait pas en terme d’infractions, nous n’avions ni bouée de sauvetage, ni fusée de détresse et pas la moindre réserve au cas où nous serions bloqués en mer sur une longue période. En effet, ce que nous redoutions le plus lors de ces équipées au large, c’était une venue brutale du mistral comme cela arrive assez fréquemment. Dans ce cas nous aurions été poussés au large vers les côtes d’Afrique du Nord. Nous aurions dans ce cas espéré  éventuellement   pouvoir nous échapper en mettant la barre à l’est dans le but de tenter un  accostage au cap du Dramont, combattant ainsi la dérive du vent nous entraînant plein sud, bien au-delà de ce fameux promontoire. Mais rien n’était moins sûr. Heureusement, le cas ne s’est jamais produit, et nous ne saurons jamais si notre manœuvre de secours était viable ou non. Le plus étonnant, c’est que parfois notre père nous accompagnait avec enthousiasme. Il ne semblait pas vraiment considérer qu’il y avait danger. S’il en était conscient, ce qui me semble probable, il l’acceptait tout simplement. Peut-être que son vécu  durant plusieurs guerres, auxquelles il avait participé activement, lui faisait voir la vie sereinement et avec philosophie. Plusieurs de ses amis qui possédaient de gros bateaux n’osaient pas se rendre sur ces lieux de pêche et poussaient de hauts cris lorsque nous leur racontions nos épopées. De toute évidence, ils avaient raison de se méfier. Mais maintenant une cinquantaine d’années plus tard, que de merveilleux souvenirs me reviennent lorsque je me remémore  ces départs, cap au large sur notre frêle embarcation. Parfois le matin au lever du soleil la côte est baignée dans une légère brume, et de ce fait nos repères de triangulation à terre se perdaient  dans une uniformité grise de la côte. Souvent nous étions seuls sur le lieu de pêche donc pas de bateau pour essayer de se recaler. Alors à l’estime nous nous positionnions et si nous n’étions pas sur le « sec de Fréjus » nos lignes qui se déroulaient au-delà des cents mètres de fonds nous le signalaient. Par approximations successives nous finissions toujours par arriver sur notre coin de pêche.

Le bateau nous servait aussi à aller poser un palangre (nous utilisions le masculin alors que le dictionnaire emploie le féminin, mais pour moi le masculin, représente une réminiscence de notre enfance, je continuerai donc à l’employer!) le soir, que nous récupérions le lendemain matin. En quoi consiste un palangre ? Il s’agit d’un corde ou grosse ligne à laquelle sont suspendues des lignes munies chacune d’un hameçon. Le tout reposant sur le fond. Les hameçons espacés decinq mètres   étaient de grande dimension. Généralement nous en mettions cent, donc notre palangre mesurait cinq cents mètres. Nous  utilisions comme appâts de larges morceaux de calamar ou de seiche, ou encore des poissons de taille déjà respectable d’une vingtaine de centimètres. Nous nous rendions un peu avant la tombée de la nuit derrière le Lion de Terre, petite île à proximité du rivage, et dans une dizaine de mètres d’eau entre bancs de sable et d’algues nous déroulions le palangre et l’abandonnions pour quelles heures. Toute la nuit nous rêvions de ce qui allait mordre. A peine le jour levé nous nous précipitions sur notre bateau afin de relever notre pêche. Le matin, même en été il fait assez frais, car auxaurores le vent de terre est souvent assez fort et relativement frais, donnant à la mer une teinte bleue sombre. Dès que nous repérions la bouée balisant le palangre, nous bouillions d’impatience. Le flotteur rapidement ramené sur le bateau, nous commencions à remonter la longue ligne. Au bout d’une nuit dans l’eau,  ordinairement la plupart des appâts avaient été mangés par des poissons, des crabes ou autres habitants des fonds. Alors commençait le moment le plus intéressant de cette pêche, nous regardions avec avidité vers les profondeurs pour apercevoir ce qui remontait. Des reflets blancs encore lointains nous donnaient de grands espoirs. Parfois  lorsque les poissons étaient de grande taille, nous sentions les touches directement dans la ligne alors que la prise était peut-être encore à cent mètres. Le temps de remonter les cinq cents mètres nous prenait une bonne demi-heure voire plus, mais que le plaisir était vif, aiguisé par une curiosité dévorante. L’un de nous tirait le corps principal, l’autre se tenait prêt à alpaguer le gros poisson qui s’apprêtait à faire surface. Mais tous deux, nous avions les yeux fixés le long de cette corde qui s’enfonçait vers les profondeurs, encore toute auréolée des merveilleuses surprises masquées qui nous attendaient. Comme je l’ai dit, le gros poisson est annoncé par des reflets blancs, que nous distinguions par intermittence, du fait des mouvements du poisson et de la transparence variable de l’eau à cause des risées du vent qui opacifiait par instants la surface de l’eau. Ces moments d’attente dans l’incertitude nous ont procuré beaucoup de plaisir de  joie et des coups d’adrénaline. Alors que j’écris ces souvenirs quarante ans plus tard, je sens ces mêmes émotions m’envahir devant mon clavier, et j’en ai le cœur qui bat. Nous échangions nos supputations sur le poisson qui remontait : un sarre, non plutôt un congre, un gros marbré ? Et puis l’instant de vérité arrivait. Bien souvent il s’agissait d’un gros congre, anguille de mer, qui avoisinait le mètre. Nous attrapions aussi quelques belles autres prises. Nous ramenions cela triomphalement à notre mère, qui déjà était soulagée  de nous voir revenir vivants de nos escapades et ensuite se saisissait de notre pêche afin de nous réparer de bons  repas.  

Elle était experte en cuisine, comme d’ailleurs en beaucoup d’autres domaines, mais je n’écris pas une biographie de ma mère. Je vais simplement rappeler l’une de ses recettes, aussi étrange que cela paraisse, le saucisson de poulpe. Avant de vous compter comment nous procédions pour cette pêche, je vous décris sommairement la confection de ce plat dont nous faisions notre quotidien, ou presque, tellement nous en attrapions. Après l’avoir bien battu, afin  de le ramollir, on le découpe en morceaux, on le cuit au court-bouillon, bien assaisonné aux herbes de Provence, que l’on bourrait en grande quantité dans la marmite.  Une fois la cuisson terminé, on met le poulpe dans un chiffon, on en dispose les morceaux tout en longueur, on les enveloppe bien. On ficelle le tout en serrant bien fort. On obtient de la sorte un produit qui a la forme d’un saucisson empaqueté dans une serviette. On laisse sécher vingt quatre heures, et puis c’est prêt à la consommation. On débite alors des tranches comme dans un gros saucisson de Lyon, et c’est fameux.

Nous les attrapions en pêche sous-marine, activité qui nous prenait beaucoup de temps et d’énergie. En effet, les eaux bien que relativement chaudes, lorsque nous restions des heures à traquer en plongeant pour regarder sous les pierres tout ce que l’on voyait, on finissait par éprouver de fortes déperditions de chaleur. Bien souvent, nous sortions de l’eau tout grelotant, les lèvres bleues et la peau couverte de chair de poule. Alors nous nous allongions au soleil pour emmagasiner de nouvelles calories, puis nous repartions pour une deuxième plongée, beaucoup plus courte, notre résistance ayant des limites.

Je reviens aux poulpes. Ces animaux lorsqu’ils étaient en pleine eau, nous les attrapions facilement. Nous ne les tirions même pas au fusil harpon ou à la fouine, nous nous en saisissions et les ramenions au bord. Je me souviens d’un jour en avoir attrapé un,  et voulant continuer à pêcher, je me suis contenté de me le mettre autour du bras, comme il m’arrivait parfois de le faire. Mais cette fois-ci après m’avoir bien enserré le biceps de ses tentacules, au lieu de rester bien sagement, il s’est mis à me mordre profondément dans le muscle. Comme il était de belle taille et que je l’avais laissé  se positionner en toute quiétude, je n’arrivais pas à le décrocher. De son bec pointu il y allait de bon cœur. La douleur devenait très vive et  il redoublait d’ardeur alors que j’essayais de le décoller de ma peau. En désespoir de cause, j’ai nagé le plus rapidement possible vers le bord, ce qui a pris quelques minutes de douleur aigüe. Enfin à terre j’ai pu le saisir et le maîtriser et l’arracher de mon bras. J’avais un beau trou bien profond qui m’a laissé une cicatrice durant des années. Je n’ai plus jamais recommencé ce mode de transport des poulpes !  

Par contre lorsqu’ils ne se déplaçaient pas en pleine eau, ils se cachaient dans leur trou, et là pour les attraper ce n’était pas facile du tout. Leurs trous étaient caractéristiques, tous construits sur le même schéma. Un amoncellement de pierres de petite taille devant une cavité sous un gros rocher. Nous détections ces habitats très facilement, car les cailloux amassés étaient de couleur vive, lisses, tranchant  sur les roches environnantes couvertes d’algues. Nous nous approchions et voyions les deux yeux du poulpe au centre. A son tour dès qu’il nous apercevait, il rabattait sur lui à l’aide de ses ventouses toutes les pierres possibles en se retirant au plus profond de son abri. Nous plongions et essayions de le harponner au mieux. Nous laissions le fusil harpon planté et remontions à la surface. Il nous fallait de nombreux plongeons à le manipuler, le tourner, le secouer pour enfin réussir à le décoller de sa caverne et le remonter. Parfois il se trouvait à quatre ou cinq mètres de profondeur, ce qui nécessitait de longues périodes en apnée afin de réaliser toutes les opérations pour le sortir. Bien souvent au cours de ces actions, nous avions la tête qui tournait après une longue succession de descentes.

Mais au cours de ces séances de pêche sous-marine en apnée nous ne pourchassions pas uniquement les poulpes, mais tous les poissons. Chacune des espèces avait ses habitudes et ses réflexes. Par exemple le racao, joli poisson multicolore qui pouvait atteindre une belle taille, fuyait au ras du fond en direction d’un rocher ou d’un banc d’algues pour se cacher. Généralement, il s’arrêtait dès qu’il n’était plus en vue directe de son poursuivant. Nous repérions donc précisément l’endroit où nous l’avions vu disparaître. On prenait notre souffle en surface et nous plongions en fixant ce point sachant qu’il n’était pas loin, immobile se croyant sauvé. Nous descendions en effectuant le moins de gestes possibles, et bien souvent, entre les algues ou juste dans une cavité rocheuse nous le distinguions. Alors il fallait évaluer précisément la distance à laquelle on allait tirer. En effet trop loin, la vitesse de la flèche s’amortissant rapidement, il s’enfuyait avant d’être touché, trop près, alors il réalisait qu’on l’avait découvert et il disparaissait pour de bon avant que nous ayons appuyé sur la gâchette. Exceptionnellement il m’est arrivé après avoir vu disparaître un racao dans des posidonies,  de ne pas le voir une fois avoir plongé et cependant de tirer au juger à travers le champ d’algues au point exact de sa disparition, et de le harponner.  Au son produit je savais si je l’avais attrapé avant de l’avoir vu. En effet, lorsque nous touchions notre cible, outre le fait de voir la flèche perforer le poisson, un son caractéristique de fréquence rapide était généré, comme un froissement  de papier épais.

On recherchait tout particulièrement, la rascasse. Elle représente le symbole du poisson de Méditerranée et la base d’une bonne bouillabaisse. Lorsqu’elle était vue, elle était prise, car immobile. Mais il était très difficile de l’apercevoir, car toujours cachée sous de gros rochers dans de vastes cavités, et sa couleur mimétique la rendait pratiquement indétectable. Donc nous plongions sous de gros rochers, les poumons gonflés d’air et nous scrutions tous les recoins avec attention. Parfois nous la distinguions directement et d’autres fois, elle avait la mauvaise idée en nous voyant de se déplacer de quelques dizaines de centimètres, alors que nous ne l’avions absolument pas détectée, ce qui llui était  fatal.   Mais une fois au bout du fusil, il nous fallait faire bien attention car ce poisson de roche est couvert de grosses épines venimeuses, dont la piqure est douloureuse.

Les soles et autres limandes, poissons vivant sur de vastes bancs de sable nécessitaient aussi une grande vigilance, car leur mimétisme avec le sable était total. On distinguait la forme du poisson plat caractéristique sur l’étendue sableuse et jusqu’au moment où nous l’avions au bout de la flèche, nous ne pouvions jamais être sûr qu’il s’agissait d’une sole ou bien d’un simple dessin sur le sable.

Je pourrai vous parler d’une multitude d’autres poissons avec leurs habitudes bien spécifiques que nous avions appris à connaître. Tout l’intérêt de cette pêche, outre la beauté des fonds marins et de l’eau qui était très claire à cette époque, consistait à rivaliser d’astuces avec ces multitudes de poissons, qui bien souvent après nous avoir nargués nous échappaient.

 Nous pratiquions aussi une pêche interdite et qui laissait par contre bien peu de chances aux poissons, la pêche sous-marine de nuit. Le fusil harpon dans une main, une forte torche étanche dans l’autre nous écumions les profondeurs obscures. Le long pinceau lumineux fouillait l’eau, les cavités et les algues. Les poissons restaient étrangement immobiles et il nous suffisait  de nous approcher et de les tirer. Certaines espèces, comme le sarre, extrêmement  difficiles à approcher de jour, devenaient des proies très faciles après le coucher du soleil. Notre mère n’était pas toujours  rassurée de nous voir partir et nous enfoncer dans la nuit pour des activités dans l’eau et de plus dans l’illégalité alors que nous n’avions pas quinze ans. Cependant son petit côté rebelle, faisait qu’au fond d’elle-même, une fois son angoisse surmontée, elle était fière de nous et riait de bon cœur à la narration de nos « exploits ». Il nous est arrivé à plusieurs reprises de passer pas très loin de l’interception par la police maritime qui patrouillait de temps en temps, à bord d’un bateau qui s’appelait, je crois me souvenir, le capitaine Blazy.

Cette pêche nocturne était parfois très impressionnante, en particulier lorsque nous la pratiquions autour du Lion de Mer, petit rocher situé à huit cents mètres de la côte. Nous le rejoignions avec notre barque à la rame sans aucune lumière. Nous scrutions la surface, en essayant au maximum de ne pas nous trouver sur la trajectoire de gros bateaux dont nous distinguions très nettement les lumières. A quelques reprises nous nous sommes fait de belles frayeurs en voyant des embarcations rapides foncer dans la nuit directement sur nous. Mais cela ne nous arrêtait pas. Je crois même que  cette traversée, aux risques de collision bien réels, faisait pour nous partie du jeu. Pour rien au monde nous nous serions privés de cette prise d’adrénaline à l’aller comme au retour. Mais il est vrai qu’au moment  de renter, souvent tardivement en plein milieu de la nuit la mer était déserte.                                        

Une fois le rocher, le Lion de Mer, atteint, l’un de nous se glissait dans l’eau équipé, l’autre le suivait de près en ramant le plus doucement possible, pour ne pas effrayer les poissons et ne pas nous faire remarquer d’éventuelles personnes se trouvant sur l’île. Les fonds étaient immédiatement très importants, trente mètres et plus. Le faisceau de notre torche éclairait les immenses parois blanches qui s’enfonçaient dans le noir absolu des grandes profondeurs, d’autant plus sombres de nuit. Que cela était impressionnant, bien souvent avec notre imagination débordante, on pensait à de gros monstres attirés par notre lumière, sortant de leurs abîmes et se jetant sur nous. La pêche nous la pratiquions donc le long de cette immense falaise qui s’enfonçait à perte de vue. Lorsque nous détections un poisson, souvent une rascasse rouge, dont la couleur trahissait la présence sur cette roche blanche, nous plongions pour l’avoir à portée de tir. Le fait de descendre en apnée vers ces fonds insondables, tout angoissés, le regard fixé sur notre cible, nous  éprouvions des sensations très fortes. Une fois le poisson tiré, le plongeur remontait, du bateau tout proche le frère prenait le fusil et en passait un autre chargé et la pêche continuait.  Je garde de ces séances nocturnes des souvenirs forts, et parfois je me demande si je n’ai pas rêvé. Un soir alors que nous étions en pleine action, nous avons distingué un bateau que nous pensions être le capitane Blazy. Toute affaire cessante  cap au large et par un grand détour en passant par l’autre petite île de la baie, le Lion de terre nous prenons la fuite. Alors que nous sommes en pleine mer, que sous nous se trouvent de grands fonds d’une centaine de mètres, d’un coup une immense lumière nous prend en son centre. Un projecteur de grande portée nous aurait-il désignés comme cible ? Manifestement non. Un sous-marin alors ? En effet, la lumière ne vient pas du haut mais du bas. Nous sommes au milieu d’une immense gerbe lumineuse qui monte des profondeurs, alors que sur la mer la nuit est épaisse. Grosse trouille ! Mais qu’est-ce que c’est ? Le sous-marin va nous renverser ? Tout autour des bruits de clapotis se font entendre, le sous-marin fait-il surface ? Nous réalisons alors que cette lumière a été produite par un banc de gros poissons dérangés sans doute par notre passage et qui se sont précipités à la surface, alors qu’ils étaient à une dizaine de mètres de profondeur. En effet, l’explication est simple, tout mouvement dans l’eau de nuit génère un déplacement de planctons qui s’illuminent. Nous sommes habitués à ce phénomène, mais à faible ampleur. Autour de nos palmes de nuit de petites lucioles sont présentes, entraînées en courbes gracieuses par le déplacement. Elles nous accompagnent en permanence. Donc un banc important de gros poissons, qui subitement se mettent en marche à grande vitesse, génère une multitude de points de lumière en mouvement, qui donnent l’impression d’un énorme spot lumineux nous prenant en chasse.  De ce soir, nous nous souviendrons longtemps mon frère Marc et moi.

Nous avons vécu d’autres expériences où l’adrénaline coulait à flots. Une nuit sombre, alors que l’orage se prépare, nous décidons de partir quand même sur notre bateau. Mon frère me dit que par ce temps électrique les poissons mordent encore plus. Nous longeons la côte. Les premiers coups de tonnerre particulièrement violents accompagnés de gigantesques éclairs se répercutent sur la mer dans un grondement qui n’en finit pas. Au loin, nous voyons un éclair frapper la corniche et tous les lampadaires s’éteignent. La nuit devient encore plus épaisse. Nous commençons à sentir que ça risque de chauffer pour notre matricule. Nous accostons sur un petit rocher à partir duquel nous comptons pêcher. Je suis à l’avant. J’amortis l’arrivée du bateau  sur le caillou. J’ai un pied sur le rocher et l’autre à bord. Alors un terrible coup de tonnerre au milieu d’un flash de grande puissance nous percute littéralement. Le bateau fait un bond, nous nous retrouvons tous deux dessus, à plusieurs mètres de notre point de débarquement envisagé. Que s’est-il vraiment passé ? Nous ne savons pas. Je me souviens d’un mouvement brusque de recul, provoqué par quel mystère ? Nous gardons un souvenir confus de ces quelques secondes où manifestement la foudre nous a  frôlés. Même mon frère qui est un acharné, dur à faire changer d’avis a décidé de rendre les armes ce soir-là et de rentrer sagement se coucher.

La nuit nous pratiquions aussi la pêche au congre à la canne. Nous n’y allions pas très souvent car le congre, espèce de gros serpent de mer ne nous attirait pas particulièrement. Mais il y avait un inconvénient majeur, c’est que la nuit nous nous faisions dévorer par les moustiques. Cependant, de temps à autre prenant notre courage à deux mains nous allions sur le Lion de Terre et taquinions les congres et autres  murènes. Les touches étaient toujours conséquentes et nous avions la sensation d’avoir un tracteur au bout du fil lorsque nous en ferrions un. Sur cette île, outre les moustiques nous avions à faire face aux rats. Ils avaient toutes les audaces et venaient jusque dans nos sacs nous voler nos appâts.

Des souvenirs durant cette période de notre enfance, que nous avons passée au bord de la mer, j’en ai bien d’autres. Je me souviens en particulier de ce jour où me baladant seul sur la promenade qui domine la mer, je regardais de l’autre côté de la baie en direction du massif des Maures. Un orage était en cours, de gros nuages noirs écrasaient les montagnes de leur masse chargée de menaces. Je contemplais les éclairs illuminer le ciel. Soudainement là-bas de l’autre côté de la baie à une vingtaine de kilomètres, un immense éclair particulièrement brillant s’est dressé, et s’est matérialisé à l’effigie humaine.  À ma grande stupeur la Vierge éblouissante m’est apparue, monumentale dans le ciel, visage incliné vers le sol, auréolée d’un voile lumineux. Cette immense apparition sans doute de courte durée s’est imprimée profondément en ma mémoire et j’en conserve un souvenir précis, encore très présent. Qu’ai-je réellement vu ? Je ne donne pas d’explication à cette expérience vécue il y a plus de quarante ans, mais n’en conteste pas la réalité, l’acceptant pour ce qu’elle est. Cela s’est passé alors que devant moi s’étendaient les vastes espaces, théâtres  de nos passions de jeunesse.

La pêche, nous la pratiquions le plus souvent en mer. Cependant, de temps en temps nous nous y adonnions en rivières et lacs. Du côté d’Agay un petit cours d’eau au régime méditerranéen, dont je ne me rappelle pas du nom venait de l’Estérel et se jetait en mer. Nous y traquions les chevennes et autres petits poissons blancs dans les grandes mares qui apparaissaient en période d’étiage. Parfois à la main sous les cailloux nous les cherchions, et il nous arrivait de nous saisir de serpents, ce qui nous remplissait d’effroi. Heureusement jamais nous n’avons été piqués. Le lac artificiel de Saint Cassien, nous a aussi apporté  de belles satisfactions, le plus souvent au cours de pratiques franchement illicites. Je me souviens de parties de pêche avec masque et fusil harpon, ce qui est strictement interdit en eau douce. Dans ces temps anciens, le barrage était récent et l’eau encore très claire, ce qui permettait avec un masque d’obtenir une bonne visibilité. Un jour mon frère Marc a plongé en direction de l’une des vannes du barrage, où se tenait un énorme brochet, qu’il a tiré. Mais ce dernier s’est enfui et s’est décroché de la flèche. Nous étions vraiment inconscients, car si les techniciens avaient ouvert la vanne, cela l’aurait irrémédiablement conduit à la noyade par aspiration vers le fond et entraîné en direction des turbines. Mais il y avait un dieu pour les imprudents cette fois-là encore!

Vers le bout de ce lac, là où l’eau est peu profonde, en hiver la surface est gelée, nous y traquions les brochets à la main. Nous nous avancions sur la glace et les voyions par transparence sous la couche de glace pas très épaisse. Nous faisions un trou, y plongions le bras et allions prendre de beaux brochets à la main. Mais dans une eau à zéro degré les doigts s’engourdissaient très vite et rapidement nous étions incapables de faire pression sur les poissons que nous saisissions, et de ce fait tout engourdis qu’ils étaient, ils réussissaient à nous échapper.  Cependant nous en capturions assez pour remplir notre bassin, qui se transformait en vivier. Et au cours de ces actions pas très glorieuses, j’en conviens, nous n’avons jamais été surpris par un garde-pêche.

Voilà pourquoi encore maintenant et assidûment,  lorsque je m’approche d’un plan d’eau douce ou salée, je ne peux m’empêcher d’en scruter les recoins à la recherche de ses habitants. Et c’est toujours avec le même plaisir que je découvre d’un pont une truite qui ressemble à s’y méprendre aux cailloux sur lesquels elle fait du surplace en attendant une proie, ou alors d’un quai quelques bars ou dorades qui passent furtivement entre des bateaux arrimés dans un port. Heureux, ceux dont les grandes joies et passions, qui ont conditionné leur jeunesse,  les habiteront jusqu’au dernier souffle. Malheureux ceux, que ces vagues de jubilation venues de l’enfance, n’atteignent plus, car elles sont un puissant réconfort et antidote aux  épreuves de la vie. 

19/08/2012

Oisans Sauvage Passion d'une vie

                             Oisans Sauvage Passion d'une vie           

 

Le massif de l’Oisans restera pour moi cette région montagneuse privilégiée, que j’ai appris à connaître dès mon plus jeune âge, grâce à mon père, qui nourrissait une passion pour cette terre sauvage du Haut Dauphiné. Cependant, cette préférence ne tient pas à la précocité de ma découverte, mais bien aux caractéristiques extraordinaires de ce territoire. Sans vouloir les énumérer, je me contenterai de laisser courir l'écriture au fil des émotions, que fait naître cette région chez l'amoureux de la nature, de la montagne et des grands espaces. 

Sa diversité liée à son immensité, en fait un massif aux multiples visages, du nord au sud, forts différents. Pour s’en convaincre deux points d’observation, l’un au nord le plateau d’Emparis, et l’autre au sud à partir de Champoléon, vous révèlent deux aspects opposés. Du premier endroit, le regard embrasse les extraordinaires faces nord de la Meije et du Râteau, parois sombres, auréolées de neige même au cœur de l’été, s’élevant majestueusement par delà de vastes glaciers chaotiques, bardés d’impressionnantes crevasses.

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Du sud, au contraire vous découvrez une immense vallée sèche qui vient buter sur le Sirac et son interminable crête en dents de scie qui approche les 3500 mètres d’altitude. Là, au cœur de l’été tout n’est que roches arides, écrasées de chaleur. On pourrait s’imaginer dans un désert, bien loin de nos régions tempérées.  Ces deux caractères d’une même région m’ont toujours fasciné. Le long de la Durance qui borde ces montagnes à l’est on est déjà dans le midi, presque en Provence. Le thym et d’autres herbes  aromatiques embaument les chemins et les pierriers.

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Par contre, lorsque vous descendez du col du Lautaret, les prairies et les austères parois vous rappellent que vous êtes dans les Alpes du nord, où règne une climatologie différente. Pourtant, il  s’agit d’une même et unique région montagneuse, le massif des Ecrins ou de l’Oisans. Deux noms pour un même espace. Les Ecrins, car il s’agit du sommet culminant, et qui de plus  dépasse les 4000 mètres. On l’appelait aussi, il y a fort longtemps le massif du Pelvoux, à l’époque on pensait, à tort,  que ce sommet plus visible que les Ecrins était le point culminant. L’origine du nom Oisans, quant à lui, se réfère à la peuplade qui vivait dans ces contrées avant la conquête romaine. Deux dénominations pour une même région aux deux visages, rien de plus naturel !

Après avoir regardé ces montagnes de leur périphérie, rentrons en leur cœur. Deux vallées grandioses nous conduisent au centre de ce sanctuaire. D’un côté la vallée de la Bérarde et de l’autre celle de Vallouise.  Tout en cheminant le long de chacune de ces routes remontant ces vallées, lentement les points de vue s’affinent et les grands sommets deviennent toujours plus imposants. Pêle-mêle,  apparaissent  la Meije, la Barre des Ecrins, l’Ailefroide, le Pelvoux, et de nombreuses autres éminences rocheuses ou neigeuses. Ces deux axes d’entrée sont en été très fréquentés. Mais, dès que vous vous éloignez des routes, des chemins et des rares escalades à la mode vous vous retrouvez seuls ou presque face à ces immensités de roche et de glace.ecrins,pelvoux,paroi,coup de sabre,refuge du sélé

 En matière d’escalade les usages et les pratiques ont évolué. Avec le développement d’une multitude de voies de varappe à proximité des routes en fond de vallée aussi bien à la Bérarde qu’à Vallouise, les grimpeurs désertent les grandes voies d’alpinisme. En effet, le jeu n’est pas le même. D’un côté un excellent rocher avec de très courtes marches d’approche, de l’autre de grandes parois austères aux approches interminables, souvent défendues par des glaciers particulièrement hostiles en été, lorsque la glace dure et dénudée de toute trace de neige barre l’accès au rocher. Pour se confronter aux premières, un lever  tardif suffit, par contre pour aller à la rencontre des secondes, un réveil très matinal s’impose, suivi d’une gigantesque marche que l’on commence de nuit dans la caillasse. Ce départ aux aurores constitue un préalable indispensable, car l’expédition sera longue. Dans le premier cas, on est plus à la recherche du joli parcours technique, et dans le second plus à la quête d’une confrontation à la nature sauvage, par définition hostile à l’homme. Là, un jugement sûr et le sens de la lecture du rocher sont indispensables, afin de mettre de son côté de bonnes chances de réussite. Mais, il n’est pas question de juger une pratique à l’aune de l’autre.ecrins,pelvoux,paroi,coup de sabre,refuge du sélé Cela me rappelle un débat sur le classement des sociétés humaines. La grand question étant : y-a-t-il des sociétés supérieures à d’autres ? Par définition la question est stupide, car chaque société se juge, et par conséquent classe les autres, en fonction de ses propres critères. On se mord très vite la queue dans ce genre de débat. Bien évidemment, la confrontation entre les sociétés et leurs modes de vie différents crée des mésententes voire des ruptures, mais je ne vais pas aborder ce sujet qui nous emmènerait très loin des montagnes.

Je reviens au cœur du massif de l’Oisans et tout particulièrement vers un groupe de montagnes que j’ai regardé depuis ma plus tendre enfance et dont je n’avais gravi jusqu’à ce jour aucun des sommets. Il s’agit de cette immense arête qui s’étire sur plusieurs kilomètres, dont les pointements frisent les 4000 mètres sans toutefois les atteindre.  Tout au long de cette dentelle de pierre, on égrène des noms qui font rêver : Pelvoux avec ses deux cimes, Puiseux et Durand, le Pic Sans Nom (qui a quand même un nom !), le Coup de Sabre et la longue arête des Ailfroides avec leur terrible et sombre face nord-ouest, qui s’élève d’un jet sur 1,2 kilomètre de roche à pic. Cette immense vague de pierre domine le glacier noir, ainsi nommé car en été il est entièrement recouvert de débris morainiques, qui lui donnent cette couleur noire. Je l’ai à plusieurs reprises remonté les yeux levés vers ces pics acérés, presque inaccessibles, en songeant aux récits épiques des alpinistes qui les premiers se sont lancés à l’assaut de ces faces. ecrins,pelvoux,paroi,coup de sabre,refuge du sélé

Sur l’autre bord de ce glacier j’avais il a déjà longtemps gravi deux montagnes célèbres, tout d’abord le pilier sud des Ecrins qui culmine à 4102 mètres, et le Pic Coolidge plus modeste avec ses 3775 mètres, mais qui constitue un belvédère de tout premier plan pour admirer les grands sommets qui l’entourent. Cela m’avait laissé, au cours de longues marches, tout le loisir de contempler ce décor extraordinaire.

Cet été, Christophe me propose d’aller escalader la face sud du Coup de Sabre. Cela fait déjà très longtemps que je n’ai pas fait une voie de cette ampleur en haute montagne. Certes, au cours de ces dernières années nous avons gravi ensemble des voies techniquement aussi difficiles, voire plus, mais qui ne nécessitaient pas une telle marche d’approche de plus de 1700 mètres et qui atteignaient une altitude plus modeste. Je me suis empressé d’accepter la proposition, et voilà comment nous nous retrouvons au village d’Ailefroide en partance pour le refuge du Sélé, lieu d’où nous partirons demain matin pour notre ascension.

Tout au long de ce parcours sur sentier en ce début d’après-midi de chaleur, des souvenirs anciens me reviennent en mémoire au fur et à mesure de notre progression. Je me souviens d’une magnifique course à ski de randonnée en direction de la pointe des Bœufs Rouges, par des conditions de neige fabuleuses, qui nous permettaient une progression rapide. Je me remémore aussi l’ascension du très étroit couloir du Pelas-Vernet, qui se cache au fond d’une faille profonde. Tout cela remonte à plus de trente ans, cependant les souvenirs sont très présents et précis. Certaines expériences vous marquent de façon indélébile au-delà des jours qui s’écoulent.  Une vie est balisée un peu à la manière d’une côte dans le brouillard, ponctuée de phares afin de permettre la poursuite de sa route vers un futur peuplé d’incertitudes. Le temps passe vite !ecrins,pelvoux,paroi,coup de sabre,refuge du sélé

Voilà aussi ce que je viens chercher en acceptant la proposition de mon guide. Je suis à la recherche du souvenir, faisant revivre des sensations fortes éprouvées dans ce massif montagneux, il y a déjà bien longtemps. Tout à ma réflexion, nous avançons rapidement et en deux heures et demie nous atteignons le refuge du Sélé. C’est la première fois que je m’y rends. Ces dernières années, je ne fréquentais plus trop les refuges, de peur de la surpopulation, entraînant des nuits très inconfortables, dans la chaleur des dortoirs et dans le bruit des ronfleurs. Mais les modifications des habitudes des randonneurs et des grimpeurs, ainsi que des conditions d’enneigement ont amené à une fréquentation beaucoup moins importante de nombre de refuges de haute montagne. Cela n’est pas pour me déplaire, bien que ce soit fort triste pour les gardiens de ces refuges, qui exercent ce métier avec conviction, un peu à la manière d’un sacerdoce.

Ce soir, nous sommes une petite dizaine, ce qui est très peu en pleine saison estivale. Une cordée part pour la traversée du col du Sélé. Etant donné le faible enneigement et la longue distance sur glace vive cette randonnée représente à mon sens un véritable calvaire. Très logiquement les candidats ne se bousculent pas. Deux grimpeurs envisagent une escalade dans la face sud de  Sialouze, réputée pour son rocher de grande qualité, ce qui est tout à fait remarquable pour l’Oisans, dont la réputation est plutôt liée au rocher incertain. Un guide et son client ont jeté leur dévolu sur la voie normale d’Ailefroide.  Avec ces derniers, à cinq heures du matin nous partirons ensemble, nos chemins étant communs les premières heures. Cela ne fait pas grand monde pour cette bâtisse à large capacité. Demain soir, au grand désespoir du gardien, ils ne seront que trois, alors que nous sommes presque au week-end du 15 août, traditionnellement l’un des plus fréquentés.

Le repas du soir sera animé, discussion intéressante sur la montagne et autres sujets à connotation plus professionnelle. Nous aurons droit à du chamois en sauce, je ne sais pas s’il a été braconné dans le coin ? A la fin du repas le gardien, fort sympathique, nous fera un sérieux appel pour nous offrir un génépi maison. Mais nous résisterons et ignorerons son invitation. En effet, il détient une fameuse réputation, dont certains grimpeurs ne se sont pas relevés, étant redescendus du refuge avec une sérieuse gueule de bois, en oubliant jusqu’à la paroi pour laquelle ils étaient venus !

4heures30 lever, petit déjeuner sans entrain avec du pain pour le moins plus très frais, agrémenté d’un peu de beurre et d’une minuscule portion de confiture. A ces moments très matinaux, la faim n’est pour le moins pas très forte. Je me force donc à engloutir quelques tranches de pain. Dans le refuge nous nous équipons de nos baudriers dans un léger cliquetis métallique, dû aux mousquetons qui s’entrechoquent.ecrins,pelvoux,paroi,coup de sabre,refuge du sélé

Nous attaquons la marche d’approche de nuit. Très vite le chemin conduit dans de petites barres rocheuses. Seul le halo de la lampe frontale permet de discerner les quelques mètres qui nous entourent. Ces marches sur terrain raide de nuit, alors que l’on vient juste de se réveiller, que les muscles sont encore froids et les mouvements mal assurés, sont impressionnantes et pas toujours très agréables. Dans une nuit opaque on s’imagine se promener au-dessus de vides abyssaux, toujours un peu tendu à l’idée de faire un faux pas, qui vous précipiterait vers une mort probable. Il n’en faut pas plus pour que le cerveau se réveille franchement et que la vigilance devienne extrême, à la recherche de prises de pied et de main au milieu des ténèbres. Cependant ces marches de nuit, un peu à tâtons, entouré d’immenses parois dont on ne distingue que les gigantesques silhouettes noir d’encre, qui se dessinent sur les étoiles, font partie intégrante des émotions que l’on vient chercher dans ces quêtes de sommets de haute montagne. On avance dans sa minuscule bulle de lumière, un peu à l’aveugle au milieu de ce décor d’immenses parois peuplées d’à-pics que l’on côtoie,  à la manière d’un funambule qui ne distinguerait pas toujours très bien le filin sur lequel il est en équilibre.   Ces absences de références précises, au milieu d’ombres qui migrent et se modifient au fil de vos pas font naître des illusions qui peuvent procurer de vrais vertiges, les informations fournies par les yeux et celles fournies par l’oreille interne pouvant différer. Voilà ce que représentent pour moi ces départs nocturnes, sur ce qui n’est plus des chemins et pas encore de l’escalade à proprement parler.ecrins,pelvoux,paroi,coup de sabre,refuge du sélé

Heureusement, le jour ne tarde pas à se lever et cela rend la progression plus agréable. Les montagnes révèlent enfin leurs formes véritables. Éperons, faces et étendues glaciaires se différencient lentement dans une pénombre de moins en moins intense. Le ciel passe du noir profond au bleu, et enfin une teinte rouge sombre prend le dessus. Ce rouge devient de plus en plus vif, et cède à son tour devant le jaune, annonce imminente de l’apparition du soleil. Les faces rocheuses, par leurs teintes, en commençant par le sommet et avec un certain décalage dans le temps, suivent l’éclairement amorcé dans le ciel. De noires, elles virent au gris puis le rouge à son tour passe par tous les dégradés, pour enfin déboucher sur la véritable couleur de ce gneiss de l’Oisans, qui révèle une multitude de couleurs de l’ocre au vert pâle dû à certains lichens, sans oublier le rouge couleur rouille généré par certains oxydes de fer. Les glaciers dévoilent leurs véritables conditions. Ayant pris de l’altitude nous pouvons les observer du haut. Très nettement les parties de glace vive tranchent par leur froide couleur métallique bleutée  sur les parties enneigées, plus blanches, quoique saupoudrées de débris de poussière dus  à l’érosion très active dans ces zones de fortes amplitudes thermiques.ecrins,pelvoux,paroi,coup de sabre,refuge du sélé

Après avoir contourné un vaste éperon, nous dépassons l’ancien refuge. Cette apparition d’une époque révolue nous plonge une centaine d’années dans le passé. Nous nous attendrions presque à voir sortir quelques alpinistes à chapeau, chaussés de chaussures à clous et portant des cordes en chanvre. Mais non, rien ne bouge, seuls peut-être les esprits des premiers ascensionnistes de ces cimes de l’Oisans se cachent encore parmi ce décor fantastique ?   Un vaste vallon se découvre, et devant nous  se dressent l’Ailefroide, le Coup de Sabre, le Pic sans Nom et son avant-poste l’aiguille de Sialouze. Le lieu est étrangement calme, Alors que 1500 mètres plus bas la vallée grouille de touristes, nous sommes seuls à contempler ce spectacle de la montagne qu’incendie le soleil. Il fait bon, pas un brin d’air. D’un pas alerte nous franchissons les quelques centaines de mètres qui nous séparent du glacier. Lorsque nous l’atteignons, nous chaussons les crampons pour parcourir une glace dure mais heureusement peu raide. Rapidement elle cède la place à la neige, ce qui rend notre progression plus confortable. Plus nous approchons du pied de la paroi, plus  elle nous semble immense du haut de ses presque 400 mètres. La neige se redresse en finale, alors que nous touchons au rocher.ecrins,pelvoux,paroi,coup de sabre,refuge du sélé

Le départ de notre escalade n’est pas évident à trouver. En effet, on recherche toujours le premier piton qui indique le démarrage. Dans le cas présent il se situe à une quinzaine de mètres du sol et ne se distingue pas très bien. Christophe l’identifie cependant assez rapidement, après quelques tâtonnements dans une pente de neige raide.  Nous soufflons, car le gardien nous a dit que la veille une cordée d’Anglais n’avait pas réussi à localiser le départ.

Nous enlevons nos crampons et nos chaussures de montagne, et enfilons nos chaussons d’escalade L’opération est assez aisée, car la neige fait un replat juste avant le rocher. Ce n’est pas toujours le cas, et parfois il faut faire tout un tas d’acrobaties dans une pente raide, en faisant attention de ne pas tomber et de ne pas laisser filer crampons ou chaussures dans la pente ou pire dans une crevasse. Rien de tel aujourd’hui, et c’est sans stress particulier que je me prépare.

Christophe attaque la première longueur et arrive à bout de corde sans avoir trouvé de vrai relais pour me faire venir. Assuré sur un seul piton il me demande de démarrer. Dans cette première longueur le rocher est constitué d’un granit sans grain assez glissant. La sensation est  désagréable aux pieds, car justement ces derniers manquent d’adhérence. Mais l’escalade n’est pas trop difficile et le passage n’oppose pas de vraie difficulté. Après une vingtaine de mètres, je marque l’arrêt à mon tour, pour que Christophe reprenne sa progression à la recherche d’un vrai relais. Après une longue dalle à faible inclinaison, il trouve enfin ce qu’il cherche. Et tout au long de notre escalade, nous n’aurons plus de mauvaise surprise et les points d’arrêts sécurisés par au moins deux pitons se succéderont régulièrement. Après les cent premiers mètres, le granit glissant laisse soudainement la place à un joli gneiss coloré, au gros grain sur lequel les chaussons d’escalade font merveille.ecrins,pelvoux,paroi,coup de sabre,refuge du sélé

La paroi  est toujours très raide, pas très loin de la verticale, même par petites sections surplombante. L’itinéraire reste bien balisé par les pitons en place. Cependant ce rocher demande de la recherche dans le positionnement, car les prises bien souvent ne sont pas directes. Il faut alors recourir à des tractions en opposition sur des fissures que l’on prend latéralement ou par en dessous. Cela demande des efforts importants dans les doigts et les avant-bras. Pour moi qui n’ai pas un gros entraînement cela va virer dans la onzième et  dernière longueur à la ‘ bagarre de rue’ et c’est à la limite des crampes dans les doigts que je vais me hisser sur ce sommet qui frôle les 3700 mètres d’altitude à un mètre près. 

La vue y est saisissante de toutes parts. Là-bas  au nord dans le lointain le Mont Blanc affiche sa silhouette, toute de blancheur, si caractéristique. Juste à nos pieds l’immense glacier noir déroule sa surface de cailloux. Juste en face la gigantesque face sud des Ecrins nous domine de plus de 400 mètres. Nous sommes encadrés le long de notre arête, d’un côté par le pic sans Nom et de l’autre  par l’Ailefroide. Loin au sud le Sirac déploie sa grande crête si particulière. La fatigue a fait son effet et tout content de me trouver en ce lieu aérien, j’ai du mal à m’alimenter. Cependant je dois me forcer, car une longue descente en rappel nous attend. Bien souvent, les accidents arrivent au cours de ces manœuvres du fait du relâchement de la vigilance dû à la fatigue.ecrins,pelvoux,paroi,coup de sabre,refuge du sélé

Christophe se lance dans le premier rappel, puis vient mon tour. Un dernier regard circulaire du haut de ce pic et je me laisse glisser le long de la corde. Ces opérations de descente sur un vide de plusieurs centaines de mètres sont toujours impressionnantes, bien que généralement techniquement faciles. D’où l’importance de ne pas se laisser gagner par la routine qui peut conduire à l’erreur, que l’on croirait impossible, et qui malheureusement se produit, même au détriment des plus forts. Et c’est ainsi que l’on se retrouve précipité dans le vide pour un dernier grand vol. Nos onze rappels se passent sans incident, si ce n’est une corde bloquée au cours du premier, et une petite manœuvre à quinze mètres du glacier, du fait de notre corde trop courte  de cinquante centimètres pour rejoindre le dernier piton, ce qui a impliqué un petit pas d’équilibriste sans assurance.

Enfin nous voilà de retour sur la neige. Durant notre escalade la glace sous-jacente  a bougé, et l’une de mes chaussures posée à même le sol s’est déplacée, enfoncée dans une petite dépression. Il n’aurait pas fallu grand-chose pour qu’elle soit précipitée dans la rimaye, profonde crevasse à la séparation de la glace et du rocher. Je n’ose imaginer comment j’aurais redescendu ce glacier avec une seule chaussure de montagne, les chaussons d’escalade, n’étant pas du tout, mais alors pas du tout prévus à cet effet. Mais la montagne s’est montrée encore une fois clémente à mon égard.ecrins,pelvoux,paroi,coup de sabre,refuge du sélé

Il ne nous reste plus qu’à nous lancer dans une immense descente de 1700 mètres de dénivelé, en passant par le refuge, afin de retrouver la voiture tout en bas dans la vallée. A 19 heures nous atteignons le refuge. Plus que 1000mètres  de dénivelé à descendre. Ils vont me sembler très longs. La montagne a été désertée par les randonneurs, montés pour la journée au refuge. Les chamois ont repris possession des lieux et ils ne sont pas farouches du tout.  Nous les approchons à quelques dizaines de mètres et ils continuent sans trop d’inquiétude à brouter herbe et feuillage. Une mère et son petit, juchés sur une légère crête juste au-dessus du chemin nous regardent passer avec curiosité. La nuit nous surprendra dans la descente, que nous finissons par trouver interminable.  Dans les passages en forêt, la pénombre se fait bien réelle. Enfin entre les troncs d’arbres, nous voyons apparaître les lumières du camping. Ça y est nous en avons fini, la voiture nous attend bien sagement. Il est 21heure30. Depuis cinq heures du matin, nous ne nous sommes pratiquement pas arrêtés et c’est avec plaisir que je m’assois dans mon véhicule. Il ne nous reste plus qu’à retourner à Gap qui est distante de 80 kilomètres. La nuit est particulièrement limpide et nous sommes le 11 août, période des pluies d’étoiles filantes. J’en verrai une belle alors que je conduis. Dernier petit clin d’œil de la nature au cours de cette journée bien remplie.ecrins,pelvoux,paroi,coup de sabre,refuge du sélé

Alors que je suis rentré chez moi depuis deux jours, je prends le (vieux) guide du massif des Ecrins de Lucien Devies et Maurice Laloue. Pour moi ce livre de couleur rouge, édité en 1946, représente une véritable bible du massif. A le lire, c’est toute l’histoire de la découverte de ces montagnes que l’on suit. Les dessins des parois à l’encre sont très précis. Page 61, sur une demi-feuille le Pic Sans Nom, entouré de la Pointe Puiseux et  du Pic du Coup de Sabre, affiche sa grandiose face nord. Le Pic du Coup de Sabre est dénommé Petit Pic Sans Nom. Une correction à l’encre bleue rectifie cette erreur d’appellation. Je reconnais cette écriture, c’est celle de mon père qui avait acheté ce livre en 1956. Je sais que son esprit est encore là-haut. Il m’avait demandé d’aller répandre ses cendres sur un sommet de la région. Il avait finalement changé d’avis, de peur que je prenne des risques en accomplissant ses dernières volontés. Cette rectification à l’encre bleue, d’une écriture ferme et droite, est la preuve, qu’au cours de cette plongée de ces deux derniers jours au cœur de ce sanctuaire, il était là, et qu’il participait à mon plaisir, bien que ma pratique de l’escalade extrême lui ait toujours provoqué une certaine crainte pour mon intégrité physique.

11/07/2012

Venise Thonon-les-Bains à vélo juin 2012

                       Venise Thonon  juin 2012 

 

Encore un périple à vélo, avec l’habitude les voyages finissent par se ressembler, c’est tout du moins la première impression. On part, on pédale, tendu  vers le but à atteindre, déjà rompu à la manœuvre par l’habitude de milliers de kilomètres parcourus à deux roues. Mais en fait, il n’en est rien, l’aventure est à chaque fois différente pour de multiples raisons. Je n’en citerai que quelques unes, des plus évidentes: la météorologie, variable majeure, déterminant le niveau de plaisir ou de souffrance, les compagnons qui sont différents d’une fois à l’autre d’où entente ou non, la forme physique du moment qui conditionne totalement l’expérience, les pays traversés qui par leur diversité impriment chacun une trace particulière sur le voyage.


venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenaRentrant tout juste des Pyrénées où nous avons effectué une merveilleuse chevauchée à huit sur un certain nombre de cols mythiques comme le Tourmalet, l’Aubisque, l'Aspin, Marie Blanque et bien d’autres me voilà de retour à Lyon pour un bref repos de deux jours. Gérard me rejoint et nous préparons nos vélos pour un embarquement très matinal en direction de Venise, point de départ de ce nouveau circuit à deux roues à travers les montagnes alpines. Emballer son vélo, dans un carton aux dimensions réglementaires, semble au premier coup d’œil mission impossible. Mais pas de panique, une fois les roues démontées, la selle baissée, le guidon desserré, le porte-bagages avant retiré, car inutile cette fois en Europe, eh bien le miracle s’accomplit et tout rentre, et le carton se ferme sans difficulté. Il suffit de le renforcer avec la quantité de scotch de déménagement qui convient et le tour est joué.

Mon nouveau camarade je l’ai connu via internet et le site voyage forum. En effet, lorsque j’ai décidé de me lancer dans cette traversée afin de terminer le parcours entrepris l’année précédente de Thonon à Nice, ma compagne outre le fait de me voir partir, appréhendait que je me lance seul dansvenise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardena l’aventure. J’ai donc mis une petite annonce sur ce fameux site de voyage, VF,  et j’ai eu deux réponses. Le premier candidat ne convenait pas, car il s’agissait d’un cycliste avec vélo de course qui comptait parcourir cet itinéraire sans bagages en effectuant des étapes très longues. Je m’inscris dans une  démarche de cyclotourisme, roulant assez lentement, avec sacoches relativement lourdes, ce qui procure une capacité d’autonomie permettant le camping et le bivouac. Cyclistes de route et cyclotouristes n’ont pas la même philosophie du voyage, d’où généralement difficulté d’harmonisation. Par contre mon deuxième contact, Gérard, s’inscrivait tout à fait dans l’esprit  de l’errance à vélo en toute liberté. Après quelques échanges écrits puis téléphoniques, nous permettant d’envisager avec  succès un voyage en commun, un rendez-vous physique est pris. Nous nous retrouvons un soir dans un  restaurant du Jura et faisons plus ample connaissance. Tout se passe pour le mieux et nous voilà deux mois plus tard à boucler nos cartons en vue de prendre l’avion demain matin à 6 heures à l’aéroport de Saint-Exupéry à Lyon.

Internet a révolutionné beaucoup de domaines de nos vies professionnelles, affectives et de loisir. En effet, pour  des grandes balades de ce type à vélo, les candidats prêts à partir ne sont pas nombreux et de plus à une date donnée, cela devient la quadrature du cercle. Mais voilà, le petit message lancé dans le virtuel se concrétise par un compagnon en chair et en os avec lequel je vais vivre une magnifique aventure de 11 jours. N’oublions pas, qu’internet c’est aussi les amis fictifs que l’on a jamais vus et que l’on verra probablement jamais mais que l’on comptabilise dans une liste d’amis qui parfois est pléthorique !  Ne jugeons pas, le net, chacun en fait l’emploi qui lui convient, ou semble lui convenir, mais nous en sommes tous, ou presque, fortement tributaires. Nous n’échappons pas aux évolutions de notre monde !

9 juin, 3h30 du matin, ça fait tôt ! Debout, on enfourne les cartons contenant nos vélos et nos bagages dans ma voiture, un vrai petit camion ! Mon neveu nous accompagne à l'aéroport afin de ramener le véhicule. Nous avons décidé de procéder de la sorte, afin de ne pas être prisonniers de réservation d’avion pour le retour. En effet, ce dernier se fera à vélo jusqu’à Thonon-les-Bains et de là nous rentrerons à Lyon par l’un des nombreux TER qui relient les deux villes.  Les formalités d’embarquement vélos et sacoches sont effectuées sans difficulté, ce qui nous enlève un poids. Tous ceux qui ont voyagé en avion avec leur vélo connaissent les tracasseries de dernier moment, qui généralement ne manquent pas de faire monter le rythme cardiaque et demandent des réponses rapides et efficaces. Mais aujourd’hui, rien de tout cela et tranquillement nous rejoignons la zone de transit.

venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenaNotre avion décolle avec une demi-heure de retard, mais fait surprenant sur un si petit trajet, il arrivera à remonter ce handicap et se posera à l’heure. Bien entendu, l’arrivée à l’aéroport de Venise est un spectacle à ne pas manquer. L’avion en approche survole la lagune et on cherche du regard cette ville incroyable, unique au monde construite réellement au beau milieu de l’eau. Tant que l’on ne l’a pas vue du ciel, on a du mal à imaginer  cette cité au beau milieu de sa lagune, époustouflant ! Il y a six mois j’y ai séjourné quelques jours. Mon plus grand plaisir avait consisté à passer mes journées à bord des  bateaux transports en commun, dénommés « vaporetto », à circuler d’île en île, ou le long des canaux de Venise à contempler les innombrables palais. Aujourd’hui alors que l’avion est en approche finale, je vois défiler le palais des Doges, la place Saint Marc, et en arrière fond je distingue l’île du Lido où nous avions passé quelques nuits dans un hôtel superbe, et incroyable mais vrai, aux prix doux !

Les roues touchent, le poser se fait sans heurt. Arrêtons de rêver de vaporetto, de palais des Doges et autres douceurs de ce lieu unique, car nous sommes là, paradoxalement, pour nous en éloigner le plus rapidement possible afin de rejoindre les montagnes et les nombreux cols qui s’égrènent le long desvenise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardena mille kilomètres qui nous séparent du lac Léman. Toujours une petite angoisse en récupérant les vélos, y-a-t-il de la casse ?  Une détérioration devient rapidement un handicap nécessitant réparation, qu’il s’agisse d’un rayon cassé, d’un porte-bagages tordu, d’une poignée de frein déformée, sans parler du gros pépin, du cadre déformé car il a été percuté par un corps étranger de forte masse. Jean, mon mentor en cyclorando, m’a  plusieurs fois relaté cet exemple de cadre définitivement tordu empêchant toute utilisation du vélo ! Nous récupérons nos cartons dans un lieu approprié aux bagages encombrants et nous installons dans un recoin calme de l’aéroport en vue de remonter nos vélos. A la première inspection des emballages tout semble normal, le remontage nous le confirmera. Gérard a vite fait de mettre sa monture en ordre de marche. En ce qui me concerne, ayant dû procéder à un démontage plus important, il me faut logiquement plus de temps afin d’être prêt. En finale, je dois batailler avec les patins de freins qui refusent de se mettre dans leur position avant démontage, un frottement important sur les jantes persistant. Donc, je commence à modifier les serrages des câbles, et après quelques ajustements, mon vélo est opérationnel. Il est 9h30.

Nous voilà à l’air libre. Nous identifions rapidement la route à prendre, en direction de Trieste dans un premier temps. Le ciel  semble clément bien que gris. Les prévisions météorologiques consultées la veille se présentaient sous de bons augures. Les premiers kilomètres sont parcourus le long d’un axe à forte densité. La chaussée n’est pas toujours très large, pas d’espace de protection pour les vélos. Heureusement, un léger vent favorable nous accompagne, ce qui nous permet de rouler à vive allure. Cependant les camions et les caravanes nous frôlent parfois dangereusement. Les propriétaires de ces dernières ne semblent pas toujours avoir le gabarit de leur maison sur roues dans l’œil.  La voiture étant passée, l’engin tracté ne peut que passer lui aussi ! Gérard étant devant moi, je vois une voiture le doubler en dehors de toutes les règles de sécurité, et la caravane, au gabarit légèrement plus important, j’ai vraiment l’impression qu’elle va le renverser. Il s’en est fallu de quelques centimètres. Mon compagnon n’a pas vraiment réalisé, mais en ce qui me concerne mon rythme cardiaque a fait un bond. Pourvu que ce calvaire ne dure pas trop longtemps. De plus, pour ne rien arranger, le temps devient menaçant et une petite bruine intermittente s’invite. Durant les premiers kilomètres  d’un voyage, où l‘on sait que l’on va affronter des difficultés conséquentes, se retrouver confronté à des conditions météorologiques et de circulation relativement hostiles, fait clairement prendre conscience des risques d’échec, au cas où la situation évoluerait défavorablement. Comme toujours à vélo on se sent très dépendant des intempéries, on prie pour que le mauvais temps et la pluie, voire la neige, ne s’acharnent pas trop sur nous. Dans ces moments de doute et de concentration pour combattre l’adversité, on se sent vivre et en communication avec les éléments et notre corps.

Pour le moment le ciel se contente de rester menaçant et d’humidifier la route. Après trente kilomètres, nous atteignons la petite ville de San Dona de Piave, et comme par miracle la circulation devient bien venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenamoins dense, moins inquiétante.  Nous faisons quelques courses dans un super marché, prenons du jambon cru, particulièrement savoureux pour un prix défiant toute concurrence. De vastes plaines s'étirent en direction du nord, et les premières silhouettes de relief se lèvent devant nous. N’oublions pas que nous sommes venus traverser les Alpes par une longue succession de cols, des fois que ces premières étendues plates nous le fassent oublier.

Vers midi, la pluie s’intensifie, nous nous abritons dans une allée couverte au centre d’un village et tranquillement nous savourons notre sublime jambon italien. Un petit café juste à côté, nous y prenons notre premier expresso. Par chance les précipitations s’arrêtent et nous voilà de nouveau en route. La cadence est  bonne. Une petite ville est atteinte, un passage à niveau est fermé. Des trombes d’eau, un véritable déluge s’abat sans prévenir. Vite, une fois encore un petit porche nous abrite. La barrière reste fermée, bien que le train soit passé, mais vu le temps nous ne sommes pas pressés de repartir.  L’ondée, phénomène par définition éphémère, se calme, mais la barrière du passage à niveau ne se lève pas. Cela doit bien faire un quart d’heure que la route est coupée. Les gens semblent y être habitués car aucune voiture ne reste, les rares qui arrivent font immédiatement demi-tour. Bizarre, bizarre ! On décide de passer sous l’obstacle et de franchir les voies ferrées. Mais à ce moment le chemin se libère et nous n’aurons pas à commettre cette infraction, qui est à la source de nombreux accidents mortels de par le monde.

Nous reprenons notre itinéraire le long d’une vallée qui longe les montagnes. La nature  très verte est la preuve des journées pluvieuses qui viennent de s’écouler. En début d’après-midi, les nuages se venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenadéchirent et le soleil fait de belles apparitions, rien de tel pour nous donner un moral d’acier. Vers 18 heures après 113 kilomètres, certes avec très peu de côtes nous arrivons dans la charmante ville de Maniago. Sur la place centrale de belle taille, une jolie auberge « Albergo Montenegro » nous offrira le gîte et le couvert pour un prix comparable à ce que l’on trouve en France. Nous aurons droit à une magnifique platée de pâtes bien dans la tradition italienne. Nous nous régalons. La serveuse est fort sympathique et nous parle de son pays la Roumanie. Pour une première journée nous sommes satisfaits, car levés depuis 3 heures du matin, après un trajet en avion, nous nous attendions à une petite forme. Eh bien ! Rien du tout ce fut la grande forme.

Deuxième jour 76 km Maniago  Sauris de Sopra 1500 m de dénivelé

Le temps en ce début de matinée semble correct mais les prévisions sont pessimistes et les dernières pluies datent de peu de temps, le sol étant détrempé. Nous allons attaquer notre premier col « Passo Rest ». Il n’est pas très élevé, 1052 mètres mais nous partons de 300 mètres et la route est  vallonnée avant d’arriver au pied de l’obstacle.  La circulation a complètement disparu et ce début de deuxième étape est particulièrement agréable, en direction d’une montagne qui se fait de plus en plus présente. venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenaCe col est magnifique, la route est étroite et s’élève à travers une forêt dense et profonde, dominée de grandes falaises. La pente est raide, je me traîne à cinq à l’heure, Gérard plus rapide me distance sans attendre et je le vois disparaître, comme ce sera généralement le cas à chaque longue côte de notre périple. Autant je roule bien sur le plat, autant dès que des pentes se présentent, j’ai l’impression d’être cloué sur place. Cela est sans doute dû à ma quasi absence d’entraînement au cours de l’année. En effet, je n’arrive pas à me motiver pour des sorties à vélo de la journée. Il me faut absolument cette notion d’errance sans savoir où je vais dormir le soir pour que ce sport revête de l’intérêt. Mais bien que je monte à faible vitesse, je suis en mesure de tenir des heures, donc armé de patience je m’attaque à ce premier col d’une longue série.  Une succession de virages en épingle à cheveux escalade une pente raide. Le ciel s’assombrit, la pluie commence à tomber et quelques kilomètres avant le col, des trombes s’abattent et ne semblent pas vouloir cesser. Je passe le point le plus haut complètement trempé. Aucun abri en vue, Gérard a donc, de toute évidence, décidé de continuer. Je me lance dans la descente. Rapidement je suis transi, les freins n’ont pratiquement plus aucune efficacité. D’après la carte la descente s’étire sur une dizaine de kilomètres jusqu’à la prochaine ville. Je rêve de trouver un bar où m’abriter de cevenise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardena froid qui me transperce. Le nez sur la route, le visage baissé au maximum pour éviter les piqures des gouttes énormes qui me cinglent la peau, mon champ de vision est réduit au minimum dans cette ambiance brouillardeuse et hostile.

Un virage, une voix m’interpelle, je lève la tête. J’aperçois un terre-plein, sur lequel un panneau supportant une carte de la région, le tout surmonté par un minuscule haut-vent de trente centimètres. Gérard s’est littéralement collé contre la carte et essaie de se protéger des intempéries. Il me propose de le rejoindre et d’en faire de même de l’autre côté. Nous nous retrouvons donc collés chacun d’un côté d’un grand panneau de bois, cherchant un abri incertain sous nos  avant-toits de faible dimension. Le lieu n’est pas idéal pour le repas de midi, tant pis. Nous nous passons la nourriture de la main à la main sans nous voir chacun caché de son côté. Dans ces moments on ne peut s’empêcher d’imaginer ce qui se passerait si le col au lieu de culminer à 1052 mètres, dépassait les 2500. Je préfère prendre ce gros mauvais temps maintenant que plus tard. Mais l’un n’excluant pas l’autre, il ne nous reste qu’à souhaiter  avoir de la chance lors des grandes montées à venir.  Le temps de manger notre charcuterie italienne, en évitant les gouttières qui nous dégoulinent sur la tête et les épaules, la pluie faiblit. On reprend notre chemin dans des conditions plus favorables. Mais la descente s’arrête vite et nous voilà dans des côtes sévères, étonnant pour une descente de col. Mais le soleil pointe à travers de gros nuages et une atmosphère chaude nous enveloppe. Que cela est bon, lorsqu’on est trempé et que l’on grelotte. En levant les yeux, on réalise que de toute évidence cette accalmie ne sera pas de longue durée, vu la couleur du ciel en général. Enfin, nous plongeons vers la vallée et rejoignons la ville d’Ampezzo. Ce nom chantant nous avertit que nous rentrons dans ce venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenafabuleux massif des Dolomites, qui recèle nombre de montagnes connues universellement dans le monde de l’escalade : Tre Cime, Marmolada, Civetta, Catinaccio, Tofana di Rozes et bien d’autres. Que de souvenirs d’ascensions époustouflantes me reviennent en mémoire. Je pense entre autre à la voie Cassin à la Cima ovest di Lavaredo toute en surplomb, ou au Spigolo Gialo doigt de 300 ou 400 mètres qui défie presque la gravité. Mais pour pouvoir profiter des panoramas grandioses qui nous attendent, le beau temps serait indispensable. Hélas, ce ne sera pas le cas, car les deux jours à venir vont être les plus éprouvants de notre traversée lors du passage de cols à plus de 2000 mètres.

D’Ampezzo après avoir bu un capuccino, nous attaquons la longue pente qui conduit au Passo d. Mauria, quelques 800 mètres plus haut.  Le temps n’est pas beau, mais que la montagne est impressionnante lorsque les nuages et les grandes parois s’associent pour la beauté de la nature. Quelques tunnels, malgré mes appréhensions, ils sont les bienvenus, car il n’y pleut pas et de plus l’éclairage est important, ce qui limite le danger. Au village de Sauris de Sopra la fatigue commence à se faire sentir et il ne faut pas s’attendre à rencontrer d’hébergement en direction du col. Une auberge agréable tenue venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenapar un Français nous offre un confort appréciable à un prix correct. Seul petit inconvénient, il n’y a pas de chauffage, donc pas question de faire sécher nos affaires. En ce qui me concerne j’ai des rechanges, bien isolées dans des sacs de congélation, mais il est toujours agréable de reprendre la route au matin avec l’ensemble de ses habits secs. En effet, des vêtements restant mouillés plusieurs jours finissent par moisir.

Dans ce village on est en pays germanique. Tout y fait penser, l’architecture, la représentation des légendes  germaniques lutins, gnomes et autre Nibelungen. Et pour renforcer cette impression, la plupart des gens parlent allemand ou un dialecte approchant. Donc aucun problème de communication. Il y a une dizaine d’années j’avais de bonnes bases en italien, mais le manque de venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenapratique me rend toute conversation dans cette langue très difficile. Je me suis aperçu que souvent les Italiens parlent français ou anglais, et dans cette région l’allemand, donc tous les problèmes de compréhension sont aplanis. De plus, lorsque j’essaie de leur parler italien, très vite je m’exprime en espagnol et ils comprennent toujours ! Mais je mets un point d’honneur à utiliser les formules de politesse italiennes, même si plus souvent que je ne le voudrais cela dérape vers des ‘por favor’ ou autre gracias !

 

Troisième jour  Sauris de Sopra au Passo Falzarego 87 km 1600m de dénivelé

Ce matin après un petit déjeuner sympathique en présence de l’hôtelier et son épouse, nous reprenons notre traversée dans une ambiance blafarde et brouillardeuse qui ne n’est pas de très bon augure. En effet, quelques kilomètres plus loin, la pluie se met de la partie et elle nous gratifiera de sa présence généreuse toute la journée. Le premier col, Passo d. Mauria (1298 m) est atteint. Nous ne traînons pas, venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenales nuages accrochent tous les reliefs. Heureusement qu’il ne fait pas trop froid, car c’est la neige que nous pourrions avoir. Vu les conditions météorologiques exécrables, il est impératif de modifier notre itinéraire, optant pour la route passant le plus bas. Bien évidemment il s’agit d’une route à grande circulation qui va nous conduire à Cortina d’Ampezzo. La ronde des camions commence. En temps normal ce n’est pas très plaisant d’être frôlé par ces monstres hurlants, mais sous la pluie cela devient un véritable calvaire.  Une côte raide sur une quatre voies, je reste cloué, Gérard disparait. La route s’engouffre dans un tunnel étroit au trafic intense, l’horreur. Sur plus d’un kilomètre je vais vraiment avoir peur, le vélo n’a absolument pas sa place dans ces antres de Lucifer. Sitôt sorti, je constate qu’un second se présente, heureusement plus court. Un embranchement à droite, direction de Cortina, le trafic se réduit, le gros du flot descendant vers Belluno. Au passage d’un village Gérard m’appelle, il a repéré la piste cyclable que l’hôtelier lui a indiquée, et qui doit nous conduire jusqu’à Cortina. Je n’avais rien vu et sans son intervention j’aurais continué sans jamais voir cette vélo-route qui restera un peu au-dessus de l’itinéraire automobile.

Ne plus devoir être soumis au stress de la circulation est psychiquement reposant ; cependant la pluie est toujours très présente. Les sommets sont accrochés  et les beaux pics de calcaire qui s’élancent dans le ciel restent désespérément cachés. Cette piste cyclable emprunte une ancienne voie ferrée datant du début du XX siècle. Nous passons de charmants tunnels aux petites dimensions. On pourrait se croire sur une voie ferrée pour train miniature. Nous profitons de l’un de ses tunnels pour effectuer venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenanotre pause casse-croûte  bien à l’abri de la pluie. Depuis trois jours elle nous accompagne,  nous commençons à nous poser des questions. Le moral reste bon, car malgré les conditions hostiles nous avançons. Sur cette piste de nombreux vélos de location circulent, la pluie ne rebute pas les amateurs. Cela me rappelle les Allemands sur le bord du Danube, que rien n’arrête.  Un léger répit dans les précipitations nous permet de reprendre goût à l’effort du pédalage. Cortina d’Ampezzo est atteinte. Quel dommage que la vue soit si restreinte. Les journées sont longues en juin et il n’est pas très tard. Nous faisons une halte réparatrice dans un bar au pied du col de Fazarego, qui culmine quelques 900 mètres plus haut. Plus rien ne semble nous arrêter. Nous sommes trempés mais nous avançons. Vers les 2000 mètres venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenad’altitude le froid devient plus vif et la pluie redouble d’intensité, comme pour nous empêcher d’atteindre ce col à 2117 mètres. Malgré les éléments adverses, nous y arrivons. Nous trouvons refuge dans une petite chapelle aux quatre vents, juste le temps de retirer nos vêtements trempés avant d’entamer la descente. Les nuages se déchirent et quelques grandes parois verticales se laissent admirer. Les Dolomites, paysage montagnard unique ! Nous faisons quelques kilomètres et sur le bord de la route un hôtel au look de château de la Belle au Bois Dormant nous invite à l’arrêt. Encore une journée riche en efforts et coups de pluie.

 

Quatrième jour  Passo Falzarego à Castelrotto 63km 1100 m de dénivelé

Ce matin les conditions météo sont déplorables et les prévisions détestables. Il tombe des cordes. Avec une certaine impatience, nous attendons dans le garage de l’hôtel, prêts à démarrer,  en regardant rebondir la pluie sur la route. Elle est si intense, que sur le goudron une pellicule d’eau ruisselle en venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenavagues plus ou moins épaisses. Nous n’allons pas partir sous ce déluge, nous sommes indécis, mais l’immobilité n’est jamais très bonne pour le moral. Après une dizaine de minutes d’attente, nous décidons de nous lancer et de parcourir la distance que l’on pourra. C’est la première fois que je démarre sous des trombes. Nous commençons à vraiment nous interroger. Cela fait déjà une belle distance dans ces conditions difficiles. Serions-nous lancés dans la première traversée des Alpes à vélo en intégrale par mauvais temps ? En cinq minutes je suis trempé. Une fois que c’est fait, on ne craint plus de l’être. Mais la déperdition de chaleur, poursuit son action sur l’organisme. A froid en descente cela ne traîne pas pour se mettre à grelotter. La couche nuageuse est si épaisse qu’on ressent une impression de nuit tombant. Cependant, il faut bien reconnaître que dans ces conditions la nature est de toute beauté. De grands bancs de brumes traînent le long des pentes abruptes de la vallée. Le vert des prés et des sapins prend une teinte sombre, presque épaisse, qui tranche sur le blanc cotonneux des bancs de brume. Les intempéries donnent toujours un air mystérieux à la montagne. Nous atteignons le village de Pieve de Livinallongo, qui se situe au pied du col à venir, le Passo Campolongo, qui culmine à 1875 mètres. Le dénivelé n’est pas très important de l’ordre de 400 mètres.  Une fois de plus la montée sevenise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardena fera sous une pluie battante. En côte même trempé on se réchauffe en appuyant sur les pédales, mais dans la descente à venir, je sais d’expérience qu’une fois de plus le froid va sévir. Comme prévu, c’est transi que j’atteins le village de Corvara. Autant une belle descente à vélo par temps sec procure un immense plaisir, autant le même exercice sous une pluie glacée est un véritable calvaire sous les aiguilles des gouttes et les  morsures du froid, sans oublier les freins qui ne répondent quasiment plus sur un vélo chargé. Mais voilà cela fait partie des plaisirs de ce mode de voyage, où les caprices de la Terre revêtent toute leur signification. Se soumettre aux aléas du temps est un luxe, auquel on est de plus en plus réticent à s’exposer, recherche inconditionnelle du confort oblige.  Il faut rester philosophe malgré les conditions adverses. Une fois au bas du col, je n’arrive plus à réprimer les tremblements de mon corps, Gérard a l’air en meilleur état. Ses habits semblent plus efficaces que les miens. J’opterais pour me lancer directement dans l’ascension du col suivant le Passo Gardena, à  2121 mètres, de peur de n’avoir pas le courage de repartir après une halte. Mais Gérard s’y refuse, nous nous abritons dans un café. Cette halte est en fait la bienvenue, cela me permet de me réchauffer. Une heure plus tard nous reprenons la route en direction du Passo Gardena. Nous sommes au cœur du massif des Dolomites. Une multitude de grandes parois nous cerne de tous côtés. Les une après les autres, elles se dévoilent par intermittence parmi les brumes, tels d’immenses spectres aux dimensions gigantesques. Je venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenareconnais des montagnes que j’ai gravies il y plus de trente ans. Malgré les années ces souvenirs forts sont toujours très présents dans ma mémoire.   Une accalmie rend une partie de cette montée agréable, le soleil pointe par moments quelques rayons timides. Le paysage est grandiose. Mais hélas, l’embellie sera de courte durée et c’est sous de véritables bourrasques que j’atteins le col. Tout autour, ce ne sont que gigantesques masses rocheuses fantomatiques qui jouent à cache-cache avec les nuées poussées par le vent. Malgré l’inconfort de la situation je ne puis m’empêcher de marquer l’arrêt afin de m’imprégner de ces panoramas dantesques, et de les immortaliser par quelques photos.

Gérard m’attend un peu plus bas, vaguement abrité. Nous ne traînons pas et entamons la descente vers la belle vallée du val Gardena. Les freins à disques de mon compagnon manifestent de sérieux signe de fin de vie. Il n’est pas content, car ils avaient été contrôlés avant le départ de cette balade que l’on imaginait très exigeante pour les mâchoires de freins. Mais la chance nous sourit à Santa Cristina, un préparateur va lui changer les pièces défectueuses. Nous voilà repartis dans une longue descente.venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardena L’altitude diminuant, la température augmente et le froid devient plus supportable. Mes tremblements incoercibles s’arrêtent d’eux-mêmes et je me sens beaucoup mieux. La crispation,  contre laquelle je lutte accroché à mon guidon, disparait elle aussi. Arrivés à Ortisei ou St Ulrich nous prenons une petite route à gauche en direction de Castelrotto ou Kästelruth. Dans ces régions tous les lieux ont leur dénomination italienne et germanique. Pour ajouter au très net caractère allemand, les constructions sont vraiment de tradition germanique ou autrichienne, grands bâtiments peints de couleurs claires, avec de magnifiques fresques.

Cette petite route que nous amorçons, nous surprend d’entrée de jeu par sa raideur. Certains passages dépassent allégrement les 15%. Après une journée déjà éprouvante, c’est  le coup de grâce. Nous constatons que nous n’avons pas mangé à midi et il est 17 heures. En pleine côte un arrêt s’impose car l’hypoglycémie guette. Après nous être sustentés les forces reviennent et nous atteignons notre troisième col de la journée, le Passo  Pinei à 1437 mètres. Il ne nous reste plus qu’à nous laisser entraîner vers le magnifique village de Castelrotto alors qu’en cette fin d’après-midi le venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenacalme météorologique est revenu et que le soleil fait de grandes apparitions qui nous apportent chaleur et route sèche.

Ce petit village est adorable, il me fait penser en miniature à la ville de Königsberg au bord du Danube. Partout ce ne sont que splendides maisons aux décorations aux couleurs vives et de bon goût, remarquablement entretenues. Notre hôtel est une merveille, l’accueil y est de premier ordre. L’endroit est touristique. Un groupe d’Américains se fait particulièrement remarquer par leur accent auquel j’ai du mal à m’habituer. Je ne sais pas si cela est dû à notre heure d’arrivée tardive, plus de 18 heures, mais j’ai droit à une superbe suite avec petit déjeuner gargantuesque pour la modique somme de 44 euros. Nous partons nous promener à travers les ruelles et les petites places de venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenace village de contes de fées.  Le temps semble vouloir évoluer enfin vers le beau. Mieux vaut tard que jamais. Nous n’aurons pas vu grand chose des Dolomites que nous quitterons définitivement demain matin. Cela nous donnera un motif pour y revenir. D’ailleurs il n’est pas impossible que nous revenions pour un tour beaucoup plus approfondi de cette région par la multitude de ses cols haut perchés.

 

Cinquième jour Castelrotto à Prato allo Stelvio 113 km 600 m de dénivelé

 Après un magnifique petit déjeuner au cours duquel j’engloutis pain, croissants, fromages frais dur et blanc, œufs à la coque, jambon, saucisson, et autres gâteaux couverts de confiture et de beurre, le tout noyé dans un déluge de jus d’orange de café et de thé, je me sens d’attaque pour une nouvelle journée, prêt à affronter sans mollir les imprévus de la route. Nous en avons perdu l’habitude mais le soleil a repris possession du ciel. Nous effectuons nos derniers tours de roue dans les Dolomites, avant de plonger vers la ville de Bolzano. Nous quittons définitivement le Haut Adige. J’ai du mal à pédaler, la venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenatête levée, le regard scrutant à la recherche d’itinéraires d’escalade au milieu de ces immenses à-pics qui nous dominent. Je me projette déjà dans mes  prochains desseins, une semaine d’escalade à mon retour de ce périple. Mais une chose après l’autre ! Carpe diem, oui profitons de l’instant présent. Après quelques petites côtes en début de parcours, juste pour nous échauffer, une magnifique route sinueuse en encorbellement dans une falaise très raide nous conduit par une superbe descente jusqu’à l’entrée de Bolzano. Par moments, quelques centaines de mètres plus bas nous pouvons discerner une véritable procession de camions à touche-touche sur la grande route de fond de vallée, que nous allons nécessairement rejoindre. Cela ne manque pas de nous inquiéter. Va-t-on devoir emprunter une routevenise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardena très passante sur une longue distance, au milieu du bruit et de la pollution ? Eh bien non ! Avec joie nous allons découvrir au peu avant la grande ville de Bolzano une magnifique piste cyclable qui va nous conduire une centaine de kilomètres plus loin au pied de ce col mythique, le Stlevio, qui avec ses 2758 mètres est un concurrent sérieux à l’Iseran pour le titre de plus haut col d’Europe. Certains connaisseurs pourraient me rétorquer, que le plus haut c’est Restefond la Bonette. Eh bien pas exact ! La route de Restefond la Bonette, qui fait le tour d’un pic, est la plus haute d’Europe, mais le col de la Bonette qui donne accès aux deux versants de cette montagne culmine juste au-dessus de 2700mètres. 

Nous voilà sur cette piste cyclable incroyable, qui bien séparée du trafic important de cette vallée passante, nous fait franchir routes et autoroute par des ouvrages successifs, en longeant une rivière au courant rapide, qui donne l’occasion de très jolis coup d’œil. La traversée de Bolzano est un peu brouillonne, bien que constamment sur piste cyclable. A plusieurs reprises nous demandons notre chemin au croisement de plusieurs pistes, fréquentées par de nombreux cyclistes. Si certains voient que nous sommes français et nous répondent dans notre langue, la majorité semble préférer l’allemand venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenaà l’italien. Une fois sortis de la ville, nous remontons à vive allure en direction de Merano. Les cols des derniers jours nous ont donné une belle forme et nous pédalons de bon cœur sur cette vélo route presque plate, du moins pour le moment. Une heure et quelques minutes nous suffisent pour atteindre  la ville de Merano à une trentaine de kilomètres au nord de Bolzano. Nombreux sont les cyclistes que nous croisons et c’est la première fois que je vois une telle concentration de voyageurs avec sacoches. Sont-ils tous sur un même itinéraire, ou cette piste est-elle le passage commun d’une multitude d’itinéraires ? Je ne pense pas que toutes ces personnes soient lancées dans la traversée des Alpes en sens inverse du nôtre.

Alors que nous avions des appréhensions concernant cette étape de liaison en fond de vallée, nous effectuons un trajet superbe, bien conçu pour le vélo. À partir de Merano, de temps en temps quelques petits raidillons nous font prendre par paliers les 600 mètres de dénivelé qui séparent Bolzano de notre point d’arrivée au pied du Stelvio.  Nous rencontrons un Allemand lancé dans une traversée de longue venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenahaleine du sud de l’Italie jusqu’en Hollande. Nous faisons quelques kilomètres en sa compagnie, jusqu’à Prato, terme de notre étape du jour. Lui est un pur, il va camper, nous un peu plus embourgeoisés nous optons pour l’hôtel, avec comme alibi, l’étape difficile et mythique du Stelvio programmée le  lendemain.

 

Sixième jour Prato allo Stelvio à Valdidentro 58 km 2300 m de dénivelé

Ce matin encore le temps est au beau fixe. Hier matin nous avions eu l’information, que le col du Stelvio était fermé à la circulation du fait des très mauvaises conditions météorologiques de cette dernière semaine. Mais notre moral était gonflé à bloc, et devoir pousser ou porter nos vélos quelques centaines de mètres dans la neige, ne représentait pas à nos yeux une raison pour renoncer. Mais bonne nouvelle, ce matin le col est de nouveau ouvert. La montée se déroule le long de 25 kilomètres et quelques 1800 mètres de dénivelé. Nous attaquons alors qu’il fait encore  frais. Le premier tiers suit venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenaun fond de vallée au milieu d’une forêt. Nous apercevons les hauts sommets qui nous dominent, la perspective plongeante ne nous permettant pas de saisir toute l’ampleur de ces vastes domaines glaciaires. La circulation de motos et de voitures de sport des plus luxueuses est intense. Par moments, on se croirait vraiment au milieu d’une compétition tellement les machines surpuissantes en pleine action sont présentes en grand nombre.

Quelques cyclistes avec vélo de route nous doublent. Nous rejoignons un cyclotouriste tchèque qui effectue la dernière étape de son voyage au départ de son pays. Devant nous un immense pan de montagne apparait en bout de vallée, une incroyable succession d’épingles à cheveux en zèbre toute la pente. C’est bien par là que nous allons monter ? Pas de doute ! Virage après virage le champ de vision s’élargit, de vastes zones enneigées striées de grandes crevasses et bornées d’immenses séracs se dévoilent au fur et à mesure. Le spectacle est si captivant que je ne vois pas les kilomètres défiler, le regard perdu un peu partout là-haut.  Je dépasse une cycliste allemande de Cologne, très sympathique. Nous échangeons quelques mots, lorsque les vrombissements des motos nous laissent quelques instants de répit. Je n’ai jamais vu un tel trafic de « gros cubes » de tous genres, Harley et autres customs, grandes routières, sportives, roadsters …

Cette montée est un vrai régal et une pensée très machiste me fait rire. Un très bon camarade m’avait dit un jour, je te propose de créer un club : le MMPG. De quoi s’agit-il ? Sigle très explicite pour : Montagne, Moto, Pinard, Gonzesse !! Pas très futé, j’en conviens ! Mais dans cette montée trois des éléments, avec ma charmante cycliste de Cologne, sont réunis. Mais il est vrai que le quatrième, le Pinard, ne serait peut-être pas le bien venu dans cette rampe de longue haleine ! Les virages et envenise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardena particulier ceux que je viens de franchir accaparent de nouveau mon esprit. La perspective en contrebas est franchement époustouflante. Par endroits, on ne voit que superposition de tronçons de route parallèles. Une route comme celle-là, je n’en avais jamais imaginé. Dans les quelques derniers kilomètres, la neige est présente sur le bord de la route. Des inscriptions au sol, 1000, puis 500, puis 200 et enfin 100. Ça y est, le sommet arrive. Incroyable, une foule immense, principalement des motards. Cela me replonge une quarantaine d’années dans le passé, à l’époque des grands concentrations, en particulier je pense à celle dénommée le Chamois qui se déroulait vers le 14 juillet à Val d’Isère.

Il fait bon, nous savourons notre plaisir au point culminant de notre traversée. Tout bon moment venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenan’ayant pas vocation d’éternité, nous entreprenons la descente sur le versant opposé avec l’intention de profiter de l’occasion afin de se faire un gros plaisir à fond de train. Je ne serai pas déçu. La couche de neige est plus importante de ce côté de la montagne que de celui  de la  montée, sans doute question d’orientation et de pente. Les vélos de course et les motos sont nombreux. L’état de la route permet de belles prises de vitesse, je frôle fréquemment les 70 à l’heure. Vers le milieu de la descente, un groupe d’une dizaine de cyclistes se trouve à une centaine de mètres devant moi. Un groupe de 8 motos me double et les rattrape. Le revêtement devenant de moindre qualité, les pneus de course demandent des précautions, les cyclistes freinent, les deux groupes de vélos et motos se mélangent. Mes pneus schwalbe extrême, beaucoup plus robustes, ne nécessitent pas tant de précautions. J’appuie à fond sur les pédales, grand développement. À gauche de la chaussée un espace reste libre, je m’y engouffre, compteur presque à 70. Quelques dizaines de mètres plus loin, une suite de courbes pas très prononcées, ça doit passer sans freiner, mais impérativement les doubler tous, vélos et motos, avant la première courbe.  Une moto fait mine de déboîter, mais elle s’abstient, m’a-telle vu dans son rétro ? Ça y est, je suis devant. Pas un coup de frein, j’enchaîne les courbes. Derrière j’entends hurler les moteurs de motos. Quel bordel ça doit être ? Pas le temps de me retourner, juste regarder la route un peu cahoteuse et négocier au mieux les virages.  Le vrombissement me rejoint. Grande courbe à droite, je suis au milieu des motos. L’une d’entre elles, exactement à ma hauteur sur l’extérieur, prend la courbe à ma vitesse. On a la même inclinaison. Grosse jouissance. Le passager hilare, me regarde levenise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardena pouce en l’air. Pas le temps de répondre, gaffe, je n’ai pas des freins de moto, ne pas en percuter une. Suit un virage à gauche, je me retrouve en extérieur  entre la rambarde de sécurité et la moto. Cette dernière se laisse quelques instants embarquer. Aïe, je vois mon espace vital virer au néant ! Le pilote réagit et penche brutalement à gauche, ce qui me libère un passage. Suivent deux épingles à cheveux. Je coupe dans la première, tandis que les motos élargissent le virage. La seconde on la passe de façon un peu brouillonne des motos un peu partout. Eh voilà, ça va être fini pour moi, une grande ligne droite suit. Les monstres vont me foudroyer sur place. Mais non, gentiment ils se rangent tous en bordure de route pour se regrouper. Je les double et à mon tour quelques centaines de mètres plus loin je m’arrête afin d’attendre Gérard. Dans un premier temps les motos passent à faible vitesse et me font de petits signes amicaux auxquels je réponds avec le sourire. Ensuite arrive Gérard, qui me dit « tu as loupé l’embranchement que nous devons prendre en direction du Passo Foscagno ». Tout accaparé de joie au milieu de ma horde sauvage, je n’avais même pas vu qu’il y avait un croisement ! Tout plaisir a son prix, en l’occurrence il s’agira d’un kilomètre de remontée en plus.

D’un coup la fatigue me tombe dessus. Il fait très chaud et on vient de monter le Stelvio à bon train, et de plus de le descendre comme des furieux ! De plus à part quelques barres de mars et autre pâte d’amande, nous n’avons rien à manger. Après quelques kilomètres de montée, sur la gauche un village venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenaest indiqué. Il y a un restaurant. Mais il faut descendre une belle côte, ce qui impliquera logiquement de la remonter. Tant pis, on y va. Le restaurant est fermé, ainsi que l’épicerie se situant à côté. Nous nous contentons de nos quelques sucreries. Cependant une fontaine nous permet de nous ravitailler en eau fraîche. Après une halte salvatrice, nous repartons dans une pente raide sous un soleil de plomb pour une dizaine de kilomètres. Tout ce que nous ferons aujourd’hui nous n’aurons pas à le faire demain. Même si ce raisonnement a quelques raisons de nous motiver, au village de Valdidentro nous nous arrêtons dans une auberge à l’aspect patibulaire, mais qui se révélera très bonne et pas chère.

 

Septième jour Valdidentro Chiavenna 119 km  2000 m de dénivelé

Ce matin le temps est encore une fois magnifique. Nous démarrons directement en côte. Je ressens la fatigue des jours précédents et cette première montée de près de 800 mètres pour 15 kilomètres, je la trouve longue. De plus le trafic de camions est relativement intense, ce qui n’est jamais agréable. Le panorama par contre, se révèle magnifique, en particulier vers la Cima de Piazzi qui nous domine du haut de ses 3439 mètres, et qui étale ses grandes masses glacières au soleil éclatant. Le col de Foscagno est enfin atteint après une longue rampe finale. Il culmine tout de même à2291mètres. De là,venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardena nous apercevons le suivant à quelques kilomètres, le Passo Eira qui s’élève à 2208 mètres. Après une belle descente et une courte remontée de quelques deux cents mètres, mais forts pentus, nous empochons notre deuxième col de la journée.

Une belle descente nous conduit dans le village de Livigno, à la configuration étrange, tout en longueur. Un peu au-dessus nous effectuons un agréable pique-nique dans l’herbe, au milieu des vaches. La montagne par beau temps, on l’apprécie franchement après quatre jours de pluie. Nous voilà partis pour la troisième ascension de la journée. Il s’agit de rejoindre la Forcala di Livigno, située à 14 kilomètres du village et 500 mètres plus haut à 2315 mètres. Le vent nous est défavorable, ce qui rend la montée d’autant plus difficile. Une immense vallée se présente devant nous. On peut voir pratiquement le col à une dizaine de kilomètres, ce qui donne une idée claire de la vitesse de fourmi à laquelle nous montons. Le vélo tourisme est avant tout une école de patience. Ne pas chercher à se presser, en profiter pour regarder ce qui nous entoure et s’imprégner de cette nature que nous traversons à la force de nos cuisses. Je suis toujours étonné de constater, qu’au cours de ces longs voyages, le long de côtes infinies, alors que l’on en bave du matin au soir, sous le joug du froid ou de la chaleur, du trafic, du vent, de la fatigue et de la soif, les journées passent à une vitesse affolante. Je ne suis jamais blasé de ces périples de forçats, toujours curieux de découvrir ce qui se cache derrière le prochain virage, ou la prochaine montagne. L’immense rampe finale me rappelle le col de la Colombière dont nous ne voyions pas la fin avec Evelyne, lors de notre parcours de la  Route des  Grandes Alpes de Thonon-les-Bains  à Nice, l’année dernière.

Enfin le col est atteint. La vue y est magnifique sur le massif de la Bernina, l’un des sommets de plus de venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardena4000 mètres des Alpes. D’ailleurs le col du même nom sera le quatrième de la journée avant de plonger sur Saint Moritz et la Suisse aux prix prohibitifs. Nous passons la frontière italienne sans contrôle et plongeons dans un vallon de toute beauté, aux flancs arides aux grandes pentes minérales, où la végétation est totalement absente. Quatre kilomètre d’une superbe descente, puis le poste frontière suisse, lui aussi non gardé, et en quatre kilomètres d’une route acrobatique nous rejoignons le Passo Bernina à 2330 mètres d’altitude. Les montagnes qui nous entourent nous écrasent du haut de leurs quatre mille mètres. Une longue descente nous conduit à Saint Moritz. Nous dépassons la ville dans l’espoir de trouver un logement à prix acceptable. La moindre chambre d’hôtel est à deux cents euros, et encore après remise. On nous propose une chambre chez l’habitant pour cent soixante euros avec WC sur le palier. J’ai vraiment l’impression qu’on nous prend pour des pigeons. La Suisse ce n’est pas la même Europe que la nôtre, celle qui est en faillite. Après hésitation, sur le fait de faire demi-tour et retourner dans un camping, je propose à Gérard de tenter de rejoindre la ville italienne de Chiavenna qui est à 40 kilomètres, alors qu’il est déjà six heures du soir. Mais la route devrait descendre pratiquement tout levenise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardena temps de 1800 mètres à 333 mètres. Effectivement, après quelques kilomètres de plat à lutter contre un fort vent de face, nous abordons une immense descente, où nous voyons les épingles à cheveux s’empiler presque jusqu’à l’infini. Nous avons bon espoir de rejoindre Chiavenna en un peu plus d’une heure. Cette immense descente est un vrai plaisir, j’en profite pour doubler toute une file de voitures ralentie par un car qui négocient les virages difficiles à faible allure. Le dépassement du bus en coupant dans une épingle se fait rapidement. La route est toute à moi pour plusieurs kilomètres et je dépasse allégrement les 70km/h. Les cent kilomètres sont atteints, et c’est avec près de 120 au compteur que nous rentrons dans cette petite ville italienne perdue au milieu d’un océan de gigantesques montagnes, ce qui lui donne un charme saisissant. Les derniers kilomètres parcourus le long d’une étroite ruelle aux murs multi centenaires sont une pure merveille.  On pourrait presque se croire dans une vallée reculée perdu quelque part au pied de l’Annapurna. Je ressens la même émotion devant ces terres qui s’envolent vers d’inaccessibles altitudes tout autour.  Nous éprouvons quelques difficultés à trouver une place dans un hôtel à cette heure tardive de 19 heures. Finalement, tout s’arrange et pour un prix fort venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenaacceptable nous obtenons une chambre confortable, équipée d’un petit balcon, duquel la vue est magnifique sur les environs, en particulier sur la vieille église qui se situe juste en face. Nous partons dîner dans les rues étroites de la vieille ville, qui ont un charme fou. La soirée est très agréable, parmi des Italiens et Italiennes pleins de joie de vivre. Souvent, on m’a dit que les Italiens représentaient le peuple le plus joyeux de la terre, je le crois volontiers. Nous nous louons d’avoir osé faire ces quarante kilomètres et de nous être  échappés de cette Suisse et de ses prix déments.

 

Huitième jour Chiavenna Bivouac 30km avant Lugano 100 km 2550 m de dénivelé

L’étape du jour risque d’être difficile, voire la plus longue de notre périple en matière de dénivelé. Nous comptons passer deux cols, dans un premier temps le Passo Spluga (2113 m) et ses 1780 mètres de dénivelé et ensuite le Passo San Bernadino (2066m) avec 600 mètres de dénivelé. Cela signifie, que s’il venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenan’y avait aucune descente au cours de la montée de ces deux cols nous serions déjà à 2400 mètres de dénivelé. Nous verrons bien. Nous décidons cependant de partir relativement tôt, vers les 8h15. D’entrée la pente est très soutenue, sans replat pour souffler. De plus à ces basses altitudes la température, dès le matin, est importante, et c’est dans une atmosphère étouffante que nous entamons notre longue étape. Comme toujours je me cale sur mon petit plateau à 22 dents et mon plus grand pignon et je mouline en attendant que les kilomètres défilent et l’altitude augmente. Après une dizaine de kilomètres nous faisons une halte dans un petit village et achetons les ingrédients pour notre repas de midi. Nous avons très nettement un faible pour la charcuterie italienne. Ma botte secrète une grosse bouteille de deux litres d’un « banga » bien sucré, qui me permettra de palier les coups de fringale, qui risquent de se manifester dans la journée, ici ou là.  A la sortie du village, une grande descente vient casser le rythme. En effet, ce sera une centaine de mètres supplémentaires à ajouter à la longue liste de la journée.

Nous abordons l’un des passages les plus extraordinaires de notre traversée. La route s’engage en lacets dans une véritable paroi.  Une succession d’épingles serrées ponctuées de tunnels s’élève de façon vertigineuse. Malgré la raideur, l’enthousiasme est tel que je pédale sans aucune fatigue, trop impatient de découvrir le point de vue du prochain virage ou de la sortie du prochain tunnel. Les virages sont si serrés que cette portion de route est interdite à tous véhicule plus volumineux qu’une venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenavoiture. Les motos sont nombreuses à emprunter cet itinéraire qui monte dans le ciel. Après cette partie particulièrement spectaculaire, la route traverse de grandes prairies avant de rejoindre un vaste replat occupé par un lac.  Vient en bouquet terminal un dernier raidillon qui conduit au col qui culmine à 2113. Bien que cette altitude ne soit pas très élevée, cette montée représente l’une des plus longues et des plus extraordinaires que j’ai accomplies.

Bien installés, nous faisons notre pause casse-croûte en regardant  les nombreux deux roues, à moteur ou non, qui passent. Nous reprenons notre route avec la ferme intention de passer le col suivant le Grand S. Bernardino. La descente que nous effectuons est très belle. La route une fois de plus offre des perspectives stupéfiantes sur ses séries de lacets. Une fois au pied, nous nous arrêtons prendre une consommation dans un café bien agréable. Pas de doute nous sommes bien revenus en Suisse, un capuccino et un coca  pour la modique somme de 8,28 euros. Il faut dire que le franc suisse a quasiment la valeur de l’euro.

Ne nous laissons pas polluer par des pensées négatives. Nous remontons une longue vallée par une piste cyclable bucolique à travers forêt, mais la pente par endroits demande de ne pas relâcher la pression sur les pédales ! Nous arrivons au pied du col. Un panneau annonce : 8 km et 450 m de dénivelé. Le tracé de la route est optimal pour les vélos. Une succession d’épingles entrecoupées de longues lignes droites à la pente modérée. Cela nous permet de prendre un bon rythme et de le maintenir sans avoir à développer des efforts surhumains. Les deux derniers kilomètres sont exposés à un vent défavorable. Cela nous ralentit à peine. L’arrivée au col est de toute beauté. Le soleil commence à baisser sur ce décor de grandes montagnes, ce qui donne des teintes douces qui tirent venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenavers le rose. Un lac de belles dimensions occupe le replat au niveau du col. Des pêcheurs en barque rentrent, mais ils cachent bien leurs prises, donc le mystère restera sur le succès de leur pêche.

Il est déjà tard. La carte indique un camping au village de San Bernardino. Ce dernier se trouve quelques kilomètres sous le col. Si nous devons camper, je préfère perdre de l’altitude et aller dormir beaucoup plus bas, ce qui devrait être plus confortable en matière de température. Toute envie de nous arrêter nous est immédiatement ôtée, lorsque nous voyons le camping en question. Entassement de maisonnettes aux teintes sombres, qui font plus penser à un camp au mieux de rétention qu’à un lieu de villégiature. Le suivant se situe à une trentaine de kilomètres dans le val Mesolcina à Roveredo. Cela ne devrait pas nous poser de problème de le rejoindre ce soir, car la route ne fait que descendre. Cependant, en ce dimanche soir nous n’avons rien à manger, et pas question de trouver une épicerie ouverte. Nous décidons de nous arrêter au premier restaurant rencontré, de commencer par nous sustenter, puis de rejoindre le camping. Dans un premier temps nous nous arrêtons dans un motel à l’aspect glauque. Ils ne font pas à manger le soir. Par curiosité nous leur demandons le prix d’une chambre à deux lits. La réponse ne nous étonne plus : 102 francs suisses ou 97 euros. On me proposerait la nuit gratuitement, je ne sais pas si j’accepterais, il est des lieux qui n’inspirent vraiment pas ! Un peu plus loin à la sortie d’un village, un restaurant, tout ce qu’il y a de plus simple. Pour un repas modeste, quelques branches de céleri, une assiette de pâtes deux boules de glace, un coca, un verre de vin et une camomille, cela nous revient à 68 euros à deux. Décidément la Suisse ce n’est pas un pays pour le reste des Européens. Demain nous allons manger à peu près la même chose en Italie et cela nous coûtera 21 euros ! Outre la douloureuse, la serveuse nous apporte la bonne nouvelle que le camping que nous venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenacomptons rejoindre n’existe plus. Donc, nous n’avons plus le choix, ce soir ce sera camping sauvage. Il ne nous reste plus qu’à trouver un coin tranquille. Nous nous éloignons de la route principale, en longeant un chemin de terre qui suit la rivière,  puis après quelques hésitations nous trouvons un emplacement convenable en bordure de piste. Au loin, il y a bien quelques chiens qui aboient, sentant notre présence, mais rapidement ils nous intègrent dans leur environnement. La nuit sera calme.

Neuvième jour environs de Roveredo  à Varzo 90km 1000 m de dénivelé

C’est un peu collants que nous nous réveillons, la nuit a été particulièrement chaude, et l’absence de douche après les gros efforts de la veille n’a pas été très agréable. Nous faisons un brin de toilette à la rivière et reprenons notre chemin. Au premier village, nous déjeunons dans un bistrot. Nous nous attendons une fois de plus au coup de bambou. Il n’en n’est rien, le prix payé est raisonnable pour ce que nous avons bu et mangé. Une trentaine de kilomètres plus loin, nous rentrons dans Locarno. Nousvenise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardena prenons le temps de descendre au bord du lac, qui est de belles dimensions. Puis avant de continuer notre avancée vers l’ouest nous effectuons un tour au centre ville. Une grande place entourée de maisons multicolores, aux teintes pastel  est du plus bel effet. 

A la sortie d la ville nous nous dirigeons vers Losone. Pour quelques kilomètres nous nous retrouvons sur l’autoroute, ce qui est franchement désagréable. Heureusement cela ne dure pas. Nous prenons alors la direction d’Intragna. L’arrivée dans ce village se fait par une petite route en côte très raide. Nous l’estimons au moins à 15%. Encore une dizaine de kilomètres puis  nous franchissons la frontière une fois de plus et nous retrouvons en Italie. Une route, qui sans avoir l’air, monte sur une vingtaine de kilomètres. La chaleur est accablante. Tout au long de ce parcours la vue sur la rivière que nous dominons est superbe. D’ailleurs vu le nombre de motos, on comprend que l’on est encore sur un tronçon très touristique. Enfin, une longue descente nous conduit au pied du col du Simplon. Un long tunnel tout en descente, et bien éclairé. Je prends une belle vitesse, mon compteur indique 76km/h. J’ai une très vive sensation de vitesse. Plus aucune voiture ne me double, il me semble que la vitesse est limitée à 70. Vais-je prendre un PV pour excès de vitesse ? De celui-là je pourrais être fier ! Nous voilà à Crevoladossola,  démarrage pour le Simplon, dernier grand col de 1800 mètres de dénivelé. Nous en faisons les 8 premiers kilomètres ce soir, ce sera toujours cela de moins demain. C’est fatigués par la forte chaleur que nous arrivons au village de Varzo. Nous rentrons dans ce bourg par un petit chemin, tellement raide que c’est à pied que je termine. Cela ne m’était jamais arrivé. Nous trouvons un logement chez l’habitant au prix très modéré pour une belle prestation dans une maison au jardin de toute beauté.

Dixième jour Varzo à Sion 109 km, 1500 m de dénivelé

L’étape de ce jour peut être qualifiée de plus pénible de notre traversée. Large route qui donne l’illusion  de pente modérée, alors que je me traîne à six ou sept à l’heure.  Cette lenteur, alors que l’on n’a pas une impression de raideur, est démoralisante. Je mets cela sur le compte de la méforme. Mais si se venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenaprend la peine de me retourner, je constate que la vallée se creuse réellement. La circulation est assez importante, ce col étant un lieu de passage fréquenté entre Italie et Suisse. Une partie du trafic est absorbé par le tunnel ferroviaire, mais tous les camions n’utilisent pas le rail. En matière de tunnels la route de ce col est aussi bien fournie. Certains sont très longs, plusieurs kilomètres. Le bruit des moteurs résonne. On ne perçoit pas dans quel sens les véhicules viennent. Le grondement s’amplifie, et lorsqu’un camion me rattrape, la dernière phase de rapprochement est un vrai calvaire. Je me pose toujours la question de savoir s’il peut m’accrocher. Puis dans un bruit infernal il me dépasse souvent dans un nuage de fumée, car en montée il doit développer une grande puissance. Non, franchement,  cette montée du Simplon ne me restera pas comme un joli moment de plaisir, mais venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenaplutôt comme quelques heures pénibles passées sur une route hostile. Tout a une fin, même les expériences désagréables, le sommet est atteint. Une longue descente nous conduit dans la vallée du Rhône à Brig. Nous y trouvons une piste cyclable. Son tracé n’est pas très cohérent, il traverse la vallée, pourtant large, dans tous les sens. Nous avons vraiment l’impression de faire des tours et des détours sans toujours beaucoup avancer vers l’ouest. Nous aurons même la surprise de nous retrouver à escalader un vignoble abrupt en nous éloignant franchement du fleuve. Cette erreur nous conduit à une impasse. Soit faire un immense détour pour rejoindre le fond de la vallée, ou alors couper directement à travers vignobles et buissons en retenant nos vélos dans des pentes de terre très raides, et même les porter en traversant des bois d’acacias, dont les épines sont particulièrement redoutables. Nous optons pour la seconde option. Tout venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenan’est pas à critiquer dans ce tronçon de la vallée du Rhône. Par moments de beaux passages pas toujours goudronnés nous permettent de suivre le Rhône qui est presque un torrent de montagne, à l’abri des frondaisons. Camping les citronniers à Sion, l’accueil est particulièrement bon, nous le conseillons vivement.

Onzième jour  Sion Thonon 119 km  900m de dénivelé

Aujourd’hui nous abordons la dernière étape de notre traversée. Je suis toujours surpris de constater que l’on rentre vite dans le voyage à vélo, et que l’on n’a pas toujours envie d’en sortir. Je me verrais bien continuer vers Nice ou vers Vienne en Autriche.  Mais voilà, lorsqu’on a fixé des dates il faut s’y tenir, car la famille vit souvent ces absences avec une forme de souffrance.  

Nous reprenons dans  un premier temps la piste cyclable du Rhône.  Ce matin la vallée nous apparaitvenise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardena beaucoup plus riante et la cycloroute plus agréable. Après une soixantaine de kilomètres nous atteignons la ville de Monthey. De là il reste à franchir le dernier col de notre périple, le Pas de Morgins. Certes comparé au Stelvio, un dénivelé de 800 mètres représente une difficulté modérée. Mais nous avons déjà plus de soixante kilomètres dans les jambes depuis le départ de l’étape, d’autre part c’est le onzième jour que nous roulons sans repos et nous allons franchir l’obstacle aux heures les plus chaudes, entre midi et deux heures de l’après-midi. La pente s’avère très soutenue, particulièrement dans les premiers kilomètres.  Vers quatorze heures, je franchis ce col à l’altitude modérée, 1369 mètres. Gérard est déjà passé depuis un bon moment. Il m’attend à la terrasse d’un café au premier village rencontré dans la descente.

Il ne nous reste plus qu’à nous laisser emporter par la pente en direction de la gare de Thonon.  Quelques petites pluies irrégulières nous apportent rafraîchissement sans désagrément. Mauvaise surprise à 17 kilomètres de notre but, la route est totalement coupée. Cela nous force à un détour qui venise,stugla,vélo,bernina,simplon,stelvio,dolomites,val gardenacommence par six kilomètres de montée. Nous rejoignons par la suite une magnifique petite route toute en virages dans une pente raide qui nous conduit à Thonon. Nous traversons rapidement les bouchons de cette petite ville et notre aventure prend fin devant la gare, là où elle avait commencé en septembre dernier en direction de Nice.

 

 

25/04/2012

Une semaine à Chypre en avril

                                Une semaine à Chypre avril 2012

 

Nous sommes partis pour une semaine à Chypre, île de quelques  9100 kilomètres carrés et possédant une population d’un peu plus d’un million d’habitants. Nous avons choisi cette destination car à cette époque de l’année nous voulions aller dans une contrée où il ne ferait pas très froid.

Lundi 9 avril

Nous voilà donc débarquant à la nuit tombée à Larnaka. Nous y sommes attendus, on nous remet les différents documents de notre voyage prévoyant sept nuits sur place, deux à Larnaka, deux à  Limassol et trois à Paphos. Ces formalités vite expédiées, nous prenons possession de notre véhicule de location, une Ford focus. Elle se révélera être un véritable veau, pas plus de 110 sur autoroute et  dans les nombreuses côtes de l’île souvent nous nous traînerons à moins de cinquante à l’heure.  P4110052.JPGMais ce ne sera pas plus mal, car on circule à gauche et les autochtones ont tendance à rouler très mal et se garent n’importe comment. Donc la prudence sera de mise à chaque instant. Ce premier soir, nous voilà partis du parking des voitures de location à la recherche de notre hôtel quelque part dans Larnaka. Cela me fait bizarre, ce véhicule avec volant à droite et levier de vitesses à gauche. Les premiers kilomètres nécessitent une accoutumance. En effet, je ne suis pas du tout habitué à passer les vitesses de la main gauche. Ce n’est pas brillant au début, et Adrien mon passager avant se charge de manœuvrer ce satané levier de  vitesses. Les quelques dix kilomètres pour se rendre à notre hôtel en bord de mer, en pleine ville, nous demandent quelques tours et détours. S’engager dans des grands ronds-points par la gauche me fait violence mais enfin il faudra s’y faire. Nous voilà enfin arrivés. La partie de la ville où nous nous trouvons n’a aucune caractéristique, lieu de tourisme sans cachet ressemblant à tout ce que l’on peut trouver, là où la mondialisation s’est  installée.  Notre hôtel, deux étoiles, se dénomme les palmiers, notre chambre donne sur une ruelle glauque, très bruyante, un café genre dancing distille ses braillements et les clients quelque peu éméchés nous gratifient de leurs cris et rires lorsqu’ils quittent l’endroit ou tout simplement lorsqu’ils s’en grillent une devant.

Mardi 10

La nuit fut cependant acceptable. La salle de restauration pour le petit déjeuner était belle et claire avec vue sur la mer. Pour notre première journée nous décidons d’aller visiter la capitale Nicosie, avant de rejoindre Limassol, où nous séjournerons deux nuits. Nous empruntons l’autoroute et en quelques quatre-vingt kilomètres nous voilà rendus dans la dernière ville au monde à être partagée entre deux pays.P4100011.JPG En effet, en 1974 les Turcs ont envahi la partie nord de l’île et l’occupent toujours. Nous laissons la voiture dans un parking dans la zone grecque et partons en direction de l’un des différents points de passage à pied. Là, nous nous mêlons aux touristes qui attendent pour se faire délivrer le papier qui  permettra de passer de l’autre côté. Les douanières turques me font penser à certaines grosses matrones croisées dans les administrations des pays de l’est !   Mais tout se passe rapidement, et munis de notre sésame nous franchissons la ligne verte et nous trouvons brusquement dans une ambiance beaucoup plus balkanique et orientale. Nous avons pris le temps de visiter quelques bâtiments, un ancien caravansérail transformé en centre commercial, une mosquée construite à partir d’une église, un peu à la manière de Sainte Sophie à Istanbul. 

P4100023.JPG Dans un restaurant turc dont la terrasse était envahie de chats nous nous sommes restaurés et reposés. Avant de quitter la ville, une promenade nous a perdus  dans les vieux quartiers turcs, qui par leur architecture me rappelaient un peu les villes albanaises.  Une dernière visite de mosquée dans la partie grecque, je suis intrigué par une grosse horloge sous laquelle de nombreuses heures sont affichées. Piqué de curiosité,  je m’adresse à l’imam qui me renseigne, il s’agit des heures de prière. Chaque jour elles sont modifiées, alignées sur les horaires du lever et du coucher du soleil.    Il est temps de retourner à la voiture pour prendre la route de Limassol.

P4100031.JPGNous commençons par prendre une mauvaise direction, une route assez étroite et très passante, une circulation rapide, les distances de sécurité complètement ignorées, et tout cela en circulant à gauche, un vrai cauchemar ! Nous finissons par nous retrouver et prendre l’autoroute. Rouler dans ces conditions est très fatigant.  Heureusement, les parcours ne sont jamais bien longs. Après une heure de route et quelques quatre-vingt kilomètres nous rejoignons Limassol. Notre hôtel  ne se trouve pas très loin du bord de mer, dans un immense espace de blocs en béton d’une quinzaine d’étages. Très surprenant, nous qui pensions visiter une  île avec des petits ports typiques !  Nous sommes bien installés, mais une fois de plus nous réalisons la défiguration consécutive à la construction débridée. Je commence à vraiment comprendre les Corses qui s’opposent avec acharnement et parfois avec violence aux promoteurs, prêts à toutes les mutilations de la nature pour gagner toujours plus d’argent.  Le buffet de l’hôtel est gargantuesque, et bien entendu nous ne savons pas nous réfréner et nous nous empiffrons.P4100034.JPG Ces vacances, où tous les soirs et tous les matins nous sommes tentés par d’énormes tas de victuailles, sont d’autant plus terribles que nous ne savons absolument pas y résister ! Aïe ! Aïe ! Aïe! Où sont nos vœux pieux d’écologie !

Mercredi 11

Nous avons la journée entière pour rayonner autour de Limassol. Dans un premier temps, nous nous dirigeons vers la presqu’île  à l’ouest de la ville. Là se trouve un salar. Chouette ! Cela me rappellera la Bolivie et ses vastes étendues de sel. Mais à cette époque de l’année, il s’agit d’un grand lac, le long duquel nous nous déplaçons en voiture sur un sol dur, compacté par les roues des véhicules. Le lieu est pratiquement désert. P4110042.JPGEn bord de mer, un bar restaurant. Nous y faisons halte pour prendre un café. Une pluie diluvienne, comme seules les régions méditerranéennes en ont le secret, s’abat. Du toit, une véritable cascade descend dans un grand fracas, phénomène très impressionnant, bien qu’il soit de courte durée. Les couleurs de la mer et du ciel sont extraordinaires, présentant toutes les gammes du blanc au gris anthracite. Nous ne pouvons aller au bout de cette presqu’île, en effet une base militaire anglaise y est installée. De grandes clôtures en barrent donc l’accès. Le nombre de militaires britanniques semble important, nous verrons d’autres installations de grandes dimensions.

 Nous quittons ce petit bout de terre désert,  après avoir bien sali notre voiture de projections d’eau sableuse et boueuse. Nous prenons la direction du site archéologique de Kourion, qui se situe à une quinzaine de kilomètres à l’ouest. Chaque fois que l’altitude est faible, la campagne chypriote regorge d’arbres fruitiers, tout particulièrement les orangers y pullulent. A l’intérieur des villes, par endroits les trottoirs sont jonchés de ces fruits tombés. Le site archéologique est de toute beauté, perché sur des monticules permettant une vue extraordinaire sur la côte escarpée qui s’étend en contrebas.P4110056.JPG Lieu majeur de l’île, nous n’y sommes bien évidemment pas seuls. Les mosaïques, bien protégées sont conservées dans de bonnes conditions et elles se révèlent magnifiques. Nous aurons l’occasion d’en voir d’autres de tout premier plan à Paphos. Le ciel tourmenté permet des contrastes particulièrement esthétiques entre colonnes de pierre, mer et nuages. Un temps incertain peut parfois apporter le désagrément de la pluie, mais la luminosité et les contrastes qui en découlent, donnent toute leur splendeur à la nature et aux constructions humaines qui s'y cachent. Par contre, un ciel d’azur uniformise les couleurs et les rend ternes, mais il est plus agréable de de promener sous un doux soleil.  

Nous nous arrêtons dans un village où nous déjeunons dans un restaurant tenu par une anglaise. Nous découvrons le mezzé, menu particulièrement copieux, les plats de viandes et de crudités défilent, défilent presqu’à l’infini. On peut en compter une trentaine !  En ce qui nous concerne, ils étaient un peu moins nombreux, mais en comptabilisant les différentes sauces, multiples légumes et viandes, cela faisait déjà pas mal. Puis retour à Limassol où nous retrouvons notre hôtel 4 étoiles, logé dans son immense barre d’immeubles. Cela doit sans doute donner un avant-goût d’une visite dans les pays du Golfe.

P4110045.JPG Cela me rappelle la période où j’ai travaillé en Arabie Saoudite !  Afin de parfaire notre digestion et faire un peu d’exercice physique nous partons pour une longue promenade le long du bord de mer. Large esplanade, sur laquelle court une piste cyclable, nous nous déplaçons entre mer et béton. Sur l’eau de nombreux bateaux, sans doute pétroliers et transports de fret, sont ancrés et attendent sagement leur tour de rejoindre le port. Nous sommes en pleine semaine pascale et de gros œufs sont disposés en un vaste champ. Nous aurons l’occasion d’en voir à plusieurs reprises. Notre randonnée nous conduit dans la vieille ville en pleins travaux. Il est étonnant de voir une multitude de gros véhicules souvent neufs, BMW, Porsche Cayenne, Audi etc. La crise européenne,  voire mondiale, ne frappe manifestement pas tous les Chypriotes ! Peut-être s’agit-il de riches étrangers expatriés, fuyant les taxations, résidant sur l’île ?

Jeudi 12

Durant ce troisième jour à Chypre, notre exploration nous conduit en son centre. Le point culminant se dénomme le Mont Olympe et atteint presque les deux mille mètres d’altitude. Lorsque l’avion était en approche de l’aéroport de Larnaka, nous l’avons survolé, il était encore bien enneigé. P4120070.JPG La route que nous prenons n’est pas trop passante et la conduite est presque agréable, mais demande cependant de l’attention. En effet, dès que je passe en mode réflexe, j’ai tendance à me mettre à conduire à droite. A plusieurs reprises le passager avant (et parfois l’une des passagères arrière prenant la relève) me rappelle qu’il faut rester à gauche. Je me souviens de ce jour en Ecosse, il y a déjà bien longtemps, sans la présence d’esprit de mon fils qui m’avait pris le volant, car à ses injonctions « à gauche Papa », je tournais stupidement la tête et cherchais du regard quelque curiosité naturelle, ça se serait très mal terminé. Alors, devant mon incompréhension  mon fils, dans une courbe prononcée à la visibilité limitée, a ramené la voiture à gauche d’un coup de volant, et quelques secondes après nous croisions un véhicule se déplaçant à vive allure. Nous l’avions échappé belle. Cela m’avait profondément marqué et depuis je n’aime pas du tout devoir conduire dans les pays où l’on roule à gauche.

Nous voilà dans la neige, à la petite station de ski au pied du Mont Olympe, effectivement le manteau neigeux est encore épais. Le lieu n’est pas très caractéristique, quelques bâtiments modernes. Nous nous arrêtons prendre un café.  De ce promontoire nous bénéficions d’une vue panoramique. Devant nous jusqu’à la mer à une cinquantaine de kilomètres, la montagne déroule ses pentes couvertes de pins, de façon régulière. Aucune paroi rocheuse ne vient apporter une touche montagnarde à cet immense déroulé d’arbres. Ensuite, nous partons à la découverte des villages qui s’accrochent sur ces montagnes. Nous ne leur trouvons pas un charme particulier, ni par leur situation ni par leur agencement ni leur architecture. Cependant, nous aurons le plaisir de visiter deux vieilles églises orthodoxes, dont les fresques multicentenaires sont de toute beauté et dans un bel état de conservation.P4120074.JPG Dans le village de Pedoulas nous déjeunons, comme d’habitude de façon presque pantagruélique. Cependant je fais particulièrement attention au vin, car conduite à gauche oblige, je dois redoubler de précaution.

Nous prenons la route de Paphos, à travers la montagne par un chemin sinueux sans trop de circulation. Non décidément les paysages, bien que sauvages, ne m’enthousiasment pas. Cela me fait un peu penser à la garrigue entre la vallée du Rhône et Nîmes. Pas de grandes parois pour rehausser ces vastes moutonnements couverts de végétation méditerranéenne. Je suis peut-être sévère, mais c’est ce que je ressens. Quelques kilomètres avant la ville de notre destination nous rejoignons l’autoroute et rapidement nous sommes dans la circulation de l’agglomération. Nous avons quelque peine à trouver notre lieu de chute pour les trois nuits à venir. Il ne s’agit pas d’un hôtel, mais d’un petit appartement dans un village de vacances. Exactement ce que nous n’aimons pas, Danielle semble catastrophée ! Décidément nous sommes bien formatés et pas faciles à contenter. Bon enfin, pour nous consoler, les buffets seront toujours aussi copieux et nous nous situons juste entre deux sites archéologiques que nous irons visiter sans prendre la voiture.P4120080.JPG  D’autre part, la mer est toute proche, bien que nous ne la voyions pas. Cela me donnera l’occasion d’aller y jeter ma canne à pêche et d’attraper quelques poissons aux couleurs vives, comme la méditerranée en recèle tant. Mais très précautionneusement je les décrocherai et leur rendrai leur liberté, d’ailleurs ils ne demanderont pas leur reste pour s’enfuir non à tire-d’aile mais à « tire-nageoire ».

Vendredi 13

Ouille ! Vendredi 13, heureusement aujourd’hui nous ne prévoyons que des déplacements à pied, car superstition et conduite à gauche doivent probablement constituer un mélange détonnant, que je n’ai pas envie d’expérimenter !

P4130099.JPGNous partons donc à pied pour le site archéologique des tombeaux des rois. Nom qui pourrait prêter à sourire, car justement il n’y a jamais eu le moindre os de roi enseveli dans ce lieu.  Ce nom est dû à la grandeur des constructions. Il s’agit en fait d'une coutume des riches  de ces époques lointaines qui se faisaient porter en terre de cette façon, entre le 3ème siècle avant J.C jusqu’au 3ème siècle après J.C. Ce mode d’ensevelissement dans de grandes demeures creusées en sous-sol à même la roche est hérité de la tradition ancienne égyptienne, qui voulait que les morts puissent évoluer dans des espaces qui leur rappelaient leur vie de leur vivant. Sur cet immense espace face à la mer, on descend dans de multiples cryptes, qui  pour certaines  sont sculptées de magnifiques colonnes qui rendent la grandeur et le luxe des villas qu’occupaient les défunts lors de leur passage terrestre.P4130106.JPG La roche est de couleur ocre, et l’on imagine d’autant mieux les déserts où s’épanouissent les merveilles égyptiennes.

Après une matinée déjà bien chargée à courir à travers les tombes, nous décidons de partir cette fois-ci encore à pied vers le vaste  site archéologique de l’ancienne ville de Paphos. De note lieu de résidence nous y accédons par une promenade de quelques deux kilomètres qui nous conduit au port de la ville. L’entrée du site se trouve pratiquement sur le port. L’endroit est très vaste, la visite vaut vraiment le détour pour aller admirer ses magnifiques mosaïques de grandes dimensions et de parfaite conservation. Elles racontent des scènes de la mythologie grecque, de mortels ou de dieux  s’adonnant à leurs passions, comme la chasse.P4130138.JPG

 

 

 

Samedi 14

Nous partons pour la visite de la presqu’île d’Akamos  à l’ouest de Chypre.  La fontaine d’Aphrodite est l’une des curiosités du lieu. Il s’agit d’une source sortant d’une petite falaise et remplissant un bassin au pied des rochers. L’endroit est joli, la vue sur la mer vaste.  A Polis nous aimerions visiter l’église Agios Andronitos, mais malheureusement elle est fermée. Son extérieur était cependant prometteur. Nous remontons ensuite le long de la côte un peu plus au nord vers San Barbara, où nous déjeunons d’un mezzé de poissons. Là encore le nombre de plats est impressionnant, poissons nombreux, poulpes, et nous accompagnons tout cela d’un excellent vin blanc local. Nous hésitons à poursuivre vers le nord en direction de la vallée des cèdres, mais personne n’est prêt à me relayer au volant, et nous reprenons la route de Paphos. P4140146.JPGDans la périphérie de cette dernière nous nous rendons dans le village de Geroskipou, dont l’église est réputée. Nous ne serons pas déçus. Extérieurement et intérieurement elle est l’une des plus esthétiques qu’il m’ait été donné de contempler. Elle date du IX siècle et son état de conservation, comme celui de ses fresques, est excellent. Comme nous sommes en période pascale, sur la place de l’église de gros œufs multicolores accompagnés d'énormes poules et poussins aux tons pour le moins criards se laissent admirer. Un gros bûcher au bois bien sec n’attend que l’étincelle du soir pour embraser la fête.P4140153.JPG

Dimanche 15

Dernier jour à Chypre, nous rejoignons Larnaka, car nous prenons l’avion demain matin. Nous y arrivons un peu avant midi, jour de la Pâque orthodoxe. Nous avons  droit à midi à un buffet spécial fête avec un agneau pascal à la broche qui embaume la terrasse de l’hôtel. Des danseurs et danseuses aux habits traditionnels hauts en couleurs nous offrent un spectacle à base de danses et musiques grecques, qui me rappellent avec nostalgie le temps où  P4140154.JPGj’habitais dans les Balkans en Albanie.P4150183.JPG

L’après-midi sera calme, j’en profiterai pour aller prendre un bain de mer. Je suis seul, la piscine couverte, elle, étant comble. L’entrée dans l’eau est difficile, mais une fois que j’y suis, que c’est bon !

Lundi 16

Dès huit heures nous nous pointons à l’aéroport. Pour commencer, il nous faut rendre notre véhicule de location. On nous avait dit de le laisser sur le parking en déposant les clefs sous le tapis passager avant. Mais ce parking est bondé, ce qui nous oblige à laisser notre Ford Focus en double file. Mais les loueurs ne l’entendent pas comme cela. En effet, notre agence s’appelle San Andreas et aucun emplacement ne lui est attribué, donc nous nous faisons chasser par les institutionnels comme Europcar.P4110062.JPG En désespoir de cause, après quelques mots échangés, presque en catimini, nous abandonnons notre véhicule et nous enfuyons presque. Cela ne fait pas très sérieux, et nous ne recommanderons pas forcément ce type d’agence.

Les derniers souvenirs que j’ai de cette semaine, ce sont les îles de la Mer Egée que nous survolons durant le retour.  Visions fabuleuses de ces myriades de terres disséminées dans la mer. Peut-être un futur projet ?

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25/02/2012

Briançon Nice par le GR5 au printemps

 

Briançon Nice

 

 

Tout a commencé par un trajet en train, Lyon Briançon. Une épopée, en effet huit heures de transport, un premier changement à Grenoble, puis un TER faisant toutes les petites gares jusqu'à Gap. Une fois dans cette ville sans que cela soit prévu arrêt définitif du train et poursuite du voyage, après une petite heure d'attente, en bus. Huit heures pour effectuer 250 kilomètres. On est loin du Paris Lyon et ses 450 kilomètres en moins de deux heures. Mais il serait dommage d'aller plus vite, car le paysage est tellement diversifié d'une part au départ de Grenoble en direction du Vercors puis dans cet immense contour des massifs du Dévoluy et de l'Oisans, qui dévoilent au fur et à mesure du cheminement une partie de leurs joyaux . Je débarque à 18h à la gare.

 

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Le temps n'est pas très engageant mais en juin, bien que la journée soit bien avancée, il reste quatre heures de jour. Je vais donc aller dormir quelque part au pied du col des Ayes. La montée est magnifique, des fleurs partout.

 

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Ce long vallon n'est absolument pas monotone, de plus la forme est bonne et j'avance vite. Le temps est de plus en plus menaçant, puis il se met à pleuvoir des hallebardes. Pas de panique, mon altimètre indique 2350 m, cela suffira pour aujourd'hui. Je m'abrite sous le double toît de ma tente sorti à la hâte. J'attends la fin de l'averse, persuadé que c'est une question de minutes. Mais après une demie-heure passée recroquevillé et enroulé sous cette bâche protectrice, la vigueur de la pluie ne faiblit pas et les frissons me gagnent. Donc l'installation aura lieu sous des trombes, beau baptême pour cette nouvelle tente. Enfin je suis dessous mais mouillé, je m'enfonce dans mon duvet. Je commence par avoir un peu froid, il est 21h. Manifestement mon abri est étanche et bien aéré, ce qui sera une garantie de non condensation, bien que cela implique une petite déperdition de chaleur. Une fois bien allongé, les qualités calorifiques de mon sac de couchage font rapidement effet, et comme bien souvent dans ces conditions j'ai la flemme de me faire à manger et je m'endors.

 

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Réveil avec le jour. Pas de bruit d'eau sur la toile, la luminosité est intense, je sors la tête, grand ciel bleu. Joie immense de se trouver comme cela en pleine montagne et se sentir complètement à sa place dans ce décor majestueux. A l'ouest l'Oisans apparaît dans toute sa majesté. La tente épatante, elle n'a absolument pas pris l'eau et pas produit de condensation non plus. Pourtant elle ne pèse qu'un kilo deux cents avec piquets, de plus l'espace intérieur est très grand. J'aurai même l'occasion de l'expérimenter avec un bon confort durant trois nuits huit moins plus tard à deux en hiver avec un camarade de bonne corpulence. Vive la toile à parachute.

 

 

 

Au-dessus, le col des Ayes, en une petite demie-heure j'y suis, il est barré par un gros névé. Temps splendide, absence de vent, mon itinéraire vers le sud se découvre jusqu'au delà du Pic de la Font-Sancte. A mes pieds la vallée d'Arvieux. Quel bonheur de marcher sur ce chemin souvent si fréquenté et qui est désert à cette période de l'année. La limpidité de l'air après une bonne nuit de pluie donne un aspect très avenant au paysage.

 

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Arvieux est vite dépassé. A la sortie du village le chemin se dirige vers la gauche, son tracé est matérialisé par une petite sente très agréable bordée de sapins. Au niveau du lac après le bourg des Maisons, je rencontre un homme lourdement chargé qui suit le même itinéraire que moi. Manifestement il en a plein les bottes, vu la grosseur de sa charge et de ses chaussures, cela me semble normal. Originaire de Saint-Etienne il a empreinté le matériel à son fils pour se mettre quelques jours en rupture de société. Après avoir échangé quelques considérations d'ordre général je le laisse et m'engage dans la descente sur Château Queyras.

 

La pente est raide. Subitement on sent les prémices des Alpes du sud. Le sol semble moins gras, les arbres plus secs, les senteurs même se modifient légèrement. Enfin Château Queyras se dévoile juste au détour d'un lacet. J'ai presque l'impression de survoler les bâtiments tellement la déclivité est importante.

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Je débouche sur la route et rentre dans le village. Oh! Surprise tout est fermé , pas de ravitaillement. Un bistrot est ouvert, la tenancière avenante me propose de me servir une boisson mais rien de solide. Cela m'embête car depuis hier matin lors de mon départ de Lyon, je n'ai pas mangé grand chose. Il est treize heures et j'aimerais bien pousser jusqu'à Ceillac, cela fait encore un bon bout de chemin, surtout le ventre creux. Alors gentiment, elle m'avoue qu'elle a bien quelques boîtes qu'elle destinait aux promenades dans les environs avec son mari. Donc enfin quelque chose de solide à se mettre sous la dent, il s'agit de thon à l'escabèche par dessus lequel je bois un coca cola et deux cafés bien sucrés, pas très équilibré mais ça donne du combustible. Alors que je déguste mon second café , mon Stéphanois arrive et comme moi, il est affamé. Mais là, la charmante dame reste intraitable et ne lui propose que du liquide, de l'intérêt égoïste d'être le premier. Sa boisson prise, nous nous retrouvons ensemble dehors. Rapidement le point de départ du chemin, semblant très raide, qui conduit au col du Fromage est atteint.

 

 

Peu de temps après je me retrouve seul, la marche est agréable et la satisfaction grande de constater que le dénivelé est vite avalé. Je ressens une fois encore ce plaisir immense que procure la sensation de s'élever d'un pas alerte en contemplant le panorama toujours plus vaste, alors que la machine fonctionne bien. Le temps change, de gros nuages commencent à s'accumuler à grande vitesse, et de fortes bourrasques de vent se lèvent. Un petit grain accompagné d'une pluie serrée me cingle le visage. Mais le rythme rapide me permet d'interpréter cette ondée comme un simple refroidissement supplémentaire du moteur. Là aussi l'impression est très agréable de se faire mouiller sans que cela altère en aucune manière le moral. Le lieu est assez escarpé ,de grandes ravines bordent le chemin. Le col de Fromage est atteint dans un début de petite tourmente et rapidement je m'engage dans la descente sur Ceillac.

 

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Soudainement les nuages se déchirent et le soleil fait de belles apparitions intermittentes. Sur ce versant il n'y a plus un brin de vent. Je distingue très bien les toits gris de Ceillac qui brillent sous les rayons du soleil. Là encore la marche n'est que plaisir, bien qu'il faille faire attention de ne pas glisser sur le sol gorgé d'eau. Le vert de l'herbe mouillée, ponctué de perles brillantes multicolores, que sont les fleurs, ressort de façon intense à la lumière. Une fois dans le village j'essaie de me remémorer le gîte sympathique dans lequel j'avais l'habitude de venir il y a plus de vingt ans. Mais ma mémoire me trahit quelque peu et je me décide au hasard pour l'un de ceux que propose le lieu.

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Il me semble que c'est bien celui que je fréquentais mais je ne peux l'affirmer. Il n'est pas tard, un lit m'est attribué dans un dortoir . Une douche réconfortante me délasse, puis je m'allonge en attendant l'heure du souper. Il ne fait pas de doute que deux autres lits sont occupés, la masse d'affaires hétéroclites que j'y vois, l'indique sans ambiguïté. En effet deux jeunes entrent, nous entamons la discussion et ils m'expliquent qu'ils effectuent un stage de fin de formation d'une école de travaux publics. Cette formation consiste à participer au travail de conception d'une équipe construisant une nouvelle via ferrata. Ils ont l'air tout à fait enchantés par leur activité qui va s'étaler sur plusieurs semaines. A dix neuf heures l'heure du souper ayant sonné, je me dirige vers la salle de restauration. Il y a beaucoup de monde, mais de jeunes peu. Notre société est un peu inquiétante , tandis que les trentenaires en bavent au boulot de nombreux quinquas, dont je fais partie, profitent paisiblement d'une retraite sans doute bien méritée. Mais cela me laisse un certain malaise. La nourriture est copieuse et excellente, le vin gouleyant à souhait coule presque à flot. Une fois regagné le dortoir, le sommeil me prend rapidement.

 

Après une nuit paisible et un copieux petit déjeuner l'esprit tendu vers le but de l'étape de ce jour, Fouillouze, je me retrouve dehors. Je constate que la journée à venir s'avère magnifique. Tellement sûr de l'itinéraire, sans regarder la carte, je pars tête baissée pour rejoindre un petit vallon qui doit me conduire au pied de la Font- Sancte. A vrai dire je viens buter sur les premières pentes de la pointe de Saume. Mais j'insiste et cherche à rejoindre mon vallon par la droite . Après un bon kilomètre, je me dis que ma direction plein ouest ne semble pas coïncider avec l'itinéraire. Je m'arrête , sors la carte. En effet j'ai fait un 180 degrés à la sortie du gîte en me focalisant sur un vallon qui n'était pas le bon. Demi-tour, faire une telle erreur sur un chemin comme le GR5 pas jojo!!! Enfin personne ne le saura. Rapidement j'atteins le départ du chemin qui monte au col Girardin, plus de mille mètres de dénivelé en perspective. Le soleil darde sur la pierre, il fait chaud dès le matin. Mais la vexation due à mon erreur m'a fouetté les sangs et j'attaque à vive allure , sur un rythme de 600 mètres à l'heure, seul moyen de me réhabiliter à mes yeux. Avoir un fonctionnement binaire permet parfois de se réconcilier à bon compte avec soi-même. Je double à fond de train un certain nombre de groupes d'anciens, attention j'en ferai bientôt partie. La cascade de la Pisse dévale toute couverte d'écume resplendissante parmi les mélèzes et autres rhododendrons. Son cours est ponctué de gros blocs qui ne la freinent pas , étant donné la raideur de la pente. Son courant déclenche un souffle d'air frais du meilleur effet sur la peau.

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Je débouche sur le replat du lac des Près. Petite étendue d'eau peu profonde , entourée d'herbe constellée de gentianes sauvages au mauve profond. Site au-dessus duquel trône majestueusement le Pic de la Font-Sancte du haut de ses presque 3400 mètres.

 

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L'étape suivante, en cheminant le long des pistes de ski, me conduit au lac Sainte Anne avec sa jolie petite chapelle dédiée à la sainte du même nom. Ce coin merveilleux me rappelle de bons souvenirs et le prénom Anne a toujours tenu une place très importante dans le cœur des hommes de ma famille depuis plusieurs générations, et je ne déroge pas à la règle. De la chapelle un peu surélevée on contemple ce lac turquoise à la forme circulaire enserré dans un site presque minéral. Pas une ride n'en perturbe la surface parfaite. Quelques centaines de mètres au-dessus, le col Giradin se protège par une pente raide de caillasses aux couleurs sombres, piquetée de plaques de neige. Le ciel s'assombrit, cela donne un caractère d'austérité au lieu. Il est extraordinaire de constater l'influence de la présence ou de l'absence d'un rayon de soleil quant'au ressenti que l'on éprouve en regardant un paysage de montagne.

 

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Du col , la vue plonge dans la vallée de l'Ubaye. Je ne m'attarde pas, un petit air frais désagréable me fait quitter les lieux et m'engager à la rencontre de cette belle vallée très encaissée entre de sévères parois rocheuses qui à ma connaissance sont peu parcourues, mise à part la Pierre Andrée. Quelques centaines de mètres sous le col, je rencontre une marmotte pour le moins pas farouche. J'ai constaté que d'une vallée à l'autre le comportement de ces charmants animaux était différent. Je me demande si les cols ne sont pas des frontières délimitant les pays de marmottes, zones à partir desquelles des règles spécifiques sont édictées. Je distingue nettement le groupe de maisons bien groupées de la Chalp.

 

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Le chemin se fait plus raide et semble se diriger directement sur le village, alors que la carte indique un contournement par l'ouest, ce qui fait deux kilomètres de moins. Il faut dire que pour des contingences de poids j'utilise les cartes au 100 000 de l'IGN, dont la vocation principale n'est pas d'indiquer les GR. A plusieurs reprises, il m'est arrivé d'y relever des imprécisions, sans doute dues à des modifications qui n'ont pas été prises en compte. En effet parfois pour des problèmes d'érosion, les tracés sont modifiés, d'autres fois ce sont des propriétaires qui ne veulent plus laisser le chemin traverser leur terre, à moins qu'au contraire ce ne soit par commodité de conduire les randonneurs près de lieux de logement et de restauration.

 

La sente est bordée par endroits de grands cairns dépassant le mètre de hauteur, qui donnent un petit air himalayen, d'autant plus que la vallée de l'Ubaye se développe à l'ouest sur une grande distance.

 

Donc n'ayant pas l'intention de faire le détour, je m'engage dans le petit ruisseau à ma droite qui descend directement à la route. Manifestement il n'y aucune trace d'ancien chemin. C'est raide et ça glisse. De brèves interruptions presque verticales sont à négocier avec prudence. Un petit saut à faire pour me rétablir sur un pan d'herbe raide. A la réception, le pied droit dérape et se tord, j'accompagne le mouvement en faisant un roulé-boulé. Je m'immobilise quelques mètres plus bas. Je prends ma cheville et la masse. De toute évidence il y a plus de peur que de mal. Les réflexes acquis en trente années de pratique du parachutisme m'ont probablement permis une anticipation salvatrice. La morale de cette histoire, pour vouloir gagner une demie-heure , on risque de ne jamais arriver. Mais philosophe je me remémore la pensée de Saint-Exupéry de l'importance de la démarche et non du but, donc de l'intérêt d'arriver!!!

 

Une fois à la route je vais suivre ce vallon durant à peu près huit kilomètres jusqu'au fameux pont de Fouillouze, qui enjambe une gorge étroite absolument splendide. Je rencontre un chien de berger qui décide de m'accompagner. Le premier petit village traversé, la Barge, avec ses maisons un peu délabrées surmontées de ces hautes faces rocheuses sombres dégage une impression forte, d'autant plus qu'il n'y a pas âme qui vive. Au centre une magnifique petite église, qui manifestement souffre de la rigueur du climat local, au nom évocateur de Notre Dame des Neiges renforce encore la puissance de l'ambiance.

 

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Puis un peu plus loin sur la droite, le Grand Bec de la Blachière se fait de plus en plus imposant au fur et à mesure que je m'en rapproche. Cette belle face élancée est couronnée d'une crête très dentelée caractéristique.

 

Dans un champ deux jeunes randonneurs se restaurent. J'en profite pour leur céder mon chien qui me suit maintenant depuis plusieurs kilomètres, quémandent en permanence le jet de bâtons, exercice finissant par être fatigant. Manifestement il semble les avoir adoptés. Traîtreusement j'accélère le pas avec un sourire sardonique. Un kilomètre plus loin je me sens définitivement délivré de mon compagnon . Le pont en arc de cercle commence à être bien visible. Il est franchement étonnant au-dessus de cette gorge étroite aux hautes falaises sinueuses. Je recherche le meilleur angle pour effectuer quelques photos ce qui me conduit un peu en dehors de la route. Je réalise que je n'ai rien mangé et très peu bu depuis le matin, j'en profite pour faire une petite halte. Au moment de repartir, que vois-je arriver, mon jeune couple de randonneurs accompagné du chien qui se précipite vers moi. Bon tout est à refaire, c'est peut-être eux maintenant qui arborent un petit sourire sardonique. Ils cheminent un peu devant moi. Je les retrouve au pont, d'où la vue sur le torrent est vraiment impressionnante. Nous restons un moment pris par la beauté du site, échangeant quelques mots. Ils m'apprennent que leur destination est Nice et que ce soir, ils ont l'intention d'aller bivouaquer un peu au-dessus du village.

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Je me décide à fuir le premier par le sentier raide montant directement à Fouillouze. Une fois de plus je mets la PC (post-combustion) avec l'espoir de leur abandonner notre ami. Ça dénivelle vite, en contre-bas je les vois et ne relâche pas mon effort. Ils se mettent en route, ils marchent quasiment au pas, très proches l'un de l'autre à un rythme pour le moins rapide. Au détour d'un lacet, juste éclairée par un rayon de soleil apparaît une vieille bergerie à moitié détruite. Des poutres ,en équilibre instable ,semblent indiquer toutes les directions de la terre dans leur posture totalement erratique. Une partie du toit métallique dissipe un éclat étrange. Le tout se découpe sur une vaste paroi rocheuse blanche éclairée d'une lumière vive filtrant entre deux nuages. Je suis saisi par le spectacle et reste un bon moment contemplatif.

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Alors j'entends une cavalcade, c'est notre camarade qui rapplique à fond. Je l'interpelle d'une voix autoritaire, il s'arrête et se cache à une cinquantaine de mètres derrière un arbre, croyant que je ne le vois pas. Alors je lui crie «retourne à ta maison». A ces mots il sort de sa cachette et repart tristement vers le bas. Je constate que les deux jeunes ne chôment pas et que la compétition a commencé. En gardant notre espacement nous atteignons rapidement le hameau. La première bâtisse sur laquelle je bute est le gîte d'étape. Je décide de m'y arrêter, il est presque désert. Le jeune couple a continué stoïquement alors que le temps se fait de plus en plus menaçant. Le lieu est très agréable. Il est assez tôt, vers les seize heures. Après une bière bien fraîche, alors que l'ondée a pris fin, sur les conseils du propriétaire je rejoins un petit promontoire duquel je pourrai passer mon appel téléphonique journalier. Petit rite que je m'impose, lorsque cela est possible, pour rassurer ma famille qui ne goûte pas vraiment mon plaisir de la balade seul. Oh stupeur! Je tombe sur mon camarade chien, nos regards se croisent, mais manifestement je ne fais plus partie de ses fréquentations, c'est une bonne nouvelle.

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Le repas est très bon, la maison a une gamme de cartes postales, ayant trait à la nature vraiment remarquable. Nulle part ailleurs je n'ai vu de telles choses, j'en profite pour en envoyer plusieurs. Lorsque qu'un lit m'a été attribué dans l'après-midi, j'étais seul dans le dortoir. Au cours du dîner je vois passer dans l'encoignure de la porte un être un peu étrange avec un sac qui ne ressemble pas à celui d'un arpenteur de l'Alpe. Une fois bien rassasié, je rejoins mon lit, et de l'autre côté du dortoir je reconnais le sac entrevu rapidement. Je m'installe en laissant la lumière allumée, mais au bout d'un bon moment le propriétaire du dit sac ne venant pas j'éteins. Je sombre à moitié dans le sommeil, lorsque je sens une présence dans la pièce. Alors je dis «n'hésitez pas, il n'y a pas de problème allumez». Une voix monocorde, froide et inquiétante me répond «la lumière me fait peur». Ce type de contact peu engageant, me réveille immédiatement. J'entends quelques bruits assez diffus, puis plus rien . Manifestement mon «drôle de client doit être couché». Je n'en reste pas moins relativement troublé. Nous sommes seuls et son intonation m'a vraiment surpris. Le silence s'installe, rien ne semble se produire. S'est-il endormi? Probablement, mon imagination me joue des tours. Puis d'un coup, dans le noir cette voix si particulière se fait entendre très clairement et s'adresse à moi:

-Puisque vous semblez ne pas dormir, on pourrait discuter!

-Si vous voulez, posez la première question

-Quel est votre but dans la vie?

-Etant donné l'heure ce type de question ne me semble pas à propos.

Un silence s'ensuit, mon interlocuteur aurait-il été vexé par ma réplique sèche au ton sans doute un peu irrité? Dans le doute , je considère que la discussion a tourné court et je me prépare à m'endormir. Alors à nouveau cette voix monocorde comme désincarnée et angoissante s'élève dans la nuit:

-Connaissez-vous le club des entendeurs de voix?

Alors là plus de doute , je suis en présence d'un être à la recherche d'un absolu qui n'est pas le mien. Je lui réponds simplement non. Il me demande alors si j'ai déjà entendu des voix. Là, ça devient vraiment inquiétant. Je lui réponds par la négative, n'ayant qu'une envie, qu'il se taise. Il poursuit son monologue par une suite de phrases plus ou moins incohérentes. Il commencerait à me foutre plus ou moins la trouille. Soit je me lève et vais dormir ailleurs ou j'essaie de m'endormir en espérant qu'il ne bouge pas de la nuit. Étant de nature assez fataliste et de plus fatigué j'opte pour ce deuxième choix.

 

Le jour se lève, je me réveille et oh miracle! je suis en vie. Mon lascar que je distingue dans le jour naissant dort à poings fermés. Sans bruit je rassemble mes affaires et quitte le dortoir. Une fois installé devant un plantureux petit déjeuner, je dis au patron «vous avez de drôles de clients».Cela le fait sourire. De toute évidence il avait jaugé le quidam et ne l'avait pas jugé dangereux. On est vite suspicieux dans notre société. Je m'en veux presque. D'ailleurs ces rencontres donnent du piquant au voyage et dans les souvenirs elles laissent une petite note qui fait sourire. Ce gîte je le recommande fortement.

 

Une fois dehors, les ondes positives de la montagne me lavent radicalement les méninges. En levant la tête, je vois le Brec de Chamberon qui domine de sa pyramide massive et tronquée très reconnaissable. Je remonte la rue du village, à la sortie de ce dernier une jolie petite église se laisse admirer, puis l'espace du grand vallon qui conduit au col du Vallonnet, m'ouvre tous les espoirs d'une belle journée de plaisir.

 

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Le ciel est gris vers le sud et relativement dégagé au nord. De grands bancs de brouillard s'accrochent aux murailles rocheuses. Ayant l'intention de dépasser le col de la Cavale après l'Arche, je prie pour que le temps se maintienne. Étant encore assez tôt en saison, de larges traces de neige profitant de toutes les petites anfractuosités constellent de façon anarchique le cirque.

 

Le sentier bien dessiné permet d'entrée d'afficher un bon rythme. Très vite au-dessus de moi, se dessine le couple, toujours aussi synchronisé. Je force l'allure mais nous gardons nos distances. L'air frais du matin rend cette course agréable. De nombreux ouvrages militaires datant de la seconde guerre mondiale, du genre souterrains ou abris, jalonnent le terrain. Je débouche au col, il n'y a personne.

 

Un peu plus loin, au bord d'un petit lac, je les vois arrêtés. De loin je leur fais signe et continue mon chemin. Le site est magnifique, les nuages donnent une impression de haute montagne. L'eau prend des reflets presque noirs. La face ouest de la Tête du Sautron en contre-jour a fière allure. Après une légère descente, à nouveau l'itinéraire monte en direction du col de Mallemort.

 

Ce vallon assez long est emprunté par un large chemin, qui a servi à construire d'importants ouvrages militaires. Au pied du col un grand casernement en ruine rappelle que des centaines de soldats ont attendu et combattu dans ces lieux à 2500 mètres d'altitude. Au-dessus domine la Tête de Viraysse du haut de ses 2765 mètres. L'ampleur du fort militaire qui y a été construit m'intrigue. Que d'efforts a-t-il fallu développer pour conduire ces travaux à terme.

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Plongé dans mes pensées, j'attaque les dernières pentes du col, et là face à moi je vois arriver un individu en short, qui en vient. Nous nous arrêtons et engageons la conversation. Il est parti de Menton, cela fait plus d'une semaine. Il a subi un temps exécrable pratiquement tout le temps, dormi dehors devant des refuges fermés. Il n'a plus que quelques croûtes de fromage à manger. Il se demande ce qu'il fait là alors que nous sommes en période de vacances scolaires dans le Nord et que ses enfants l'attendent. Mais qu'est-ce que ses yeux pétillent!!! Nous rigolons une vingtaine de minutes. Je l'assure d'une belle étape gastronomique à Fouillouze, puis nous reprenons notre route, lui vers Mondane et moi vers la mer. Le col de Mallemort est raide et de petite dimension. J'y fait une courte halte, le fond de l'air est frais,le Chti est en short, à croire que c'est le grand nord là-bas. L'itinéraire se dévoile très nettement jusqu'au col de la Cavale. Que cela semble loin, et dire que j'ai déjà 1200 ou 1400 mètres de dénivelé dans les jambes. Tout en-bas le village de Larche se dessine dans tous ses détails.

 

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Au moment où je m'arrache à ce spectacle, les deux jeunes arrivent au col. La descente jusqu'au village me semble longue et monotone. Parfois des petits coups au moral, heureusement temporaires, rendent la marche plus pénible. Sans doute cela me vient d'avoir entrevu dans le lointain les nuages , qui enveloppent le col de la Cavale. Une fois au village, comme d'habitude rien d'ouvert, même pas de quoi boire un café. Je m'assois près de la fontaine en me couvrant et mange un mars arrosé d'un bon litre d'eau. Mes deux jeunes arrivent et semblent embêtés car ils auraient bien aimé faire quelques provisions. A croire qu'en dehors des deux mois d'été les Alpes sont désertes. Cela m'étonne d'autant plus, que la route du col de l'Arche occasionne du passage.

 

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Je m'engage en direction de l'Italie en suivant le goudron sur quelque distance, puis une petite route sur la droite me permet de franchir l'Ubayette et de rejoindre en quatre kilomètres le vallon de la Cavale. Là un parking marque le terminus pour les véhicules à moteur. Un chemin succède à cette route monotone et la pente devient plus importante. Monter est toujours bon pour le mental. En effet, en montagne l'étalon c'est plus souvent le dénivelé que la distance parcourue, ce type de raisonnement rend les longues distances à plat pénibles, car presque considérées comme une perte de temps. Je rencontre un groupe d'enfants accompagnés de leurs institutrices. Je dis «bonjour Mesdames». Elles me répondent gentiment, mais les bambins regardent leurs chaussures, je réalise que j'ai oublié de les saluer et ils l'ont bien noté. Trop tard pour rattraper le coup. Je ferai plus attention la prochaine fois. Je me souviens de ce jour , où une petite fille m'avait répondu «bonjour monsieur le randonneur».

 

Ce long vallon est agréable, les jeux de lumière provoqués par les conditions météorologiques sont du meilleur effet. Je rejoins un groupe de promeneurs qui donne des carottes aux marmottes. Il paraît que le chocolat leur fait du mal, sans doute pas les légumes. Je marque un arrêt au lac du Lauzanier. Ce petit lac entouré de pelouse, marque la dernière limite de la végétation avant la caillasse aride. Le ciel est noir, le vent souffle, l'itinéraire se dirige très nettement vers la neige. Si les conditions se dégradent cela risque de devenir sportif.

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D'un pas alerte je repars en espérant faire le maximum de trajet hors du brouillard. De toute façon une fois au col, il est peu probable que je trouve de la neige en versant sud. Le chemin serpente entre de gros blocs, parmi lesquels des marmottes presque indifférentes à ma présence se roulent dans les rares plaques d'herbe.

 

J'arrive à un cirque austère où trois petits lacs s'étalent au pied du col , le site est grandiose. Le vent chasse les brumes et la visibilité devient excellente. Deux chamois détalent. Les deux cents derniers mètres dans la caillasse et la neige sont pénibles, le col se rapproche lentement. En contre-bas un magnifique lac minuscule, caché jusqu'à présent, encore partiellement gelé se détache sur la neige et quelques grosses pierres.

 

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Enfin le col, son altitude avoisine les 2700 mètres. La fatigue commence à se faire sentir. La vue vers le sud porte jusqu'au Mont Mounier. Cela paraît être au bout du monde. On verra bien. L'expérience me dit que ce n'est pas si loin. Sur la carte au 100 000, mon étalonnage à grands coups de main déployée me donne pratiquement toujours une bonne approximation des temps de parcours. Dans le cas présent cela fait une «grosse patte», à la louche 25 kilomètres à vol d'oiseau, avec certes un certain nombre de cols. Après un petit repos à l'abri du vent, il est temps de partir si je ne veux pas m'endormir. Que ce versant est raide. Le chemin se faufile au-dessus de barres, la neige rendrait la marche dangereuse, heureusement il n'y en a pas la moindre trace. Quelque cinq cents mètres plus bas, deux petits lacs circulaires en bordure de sentier donnent une touche particulière à ce vallon à l'aspect désolé. Je distingue très nettement un vaste replat à partir duquel le chemin remonte en lacets serrés jusqu'au col de la Fourche. Il reste encore plusieurs heures de jour, je devrais sans problème le dépasser.

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Un peu avant d'arriver à cette prairie, alors que je dévale à bonne allure, mon pied gauche roule sur de petits cailloux. Par réflexe, tout naturellement je prends un appui arrière sur mon bâton gauche, mais ce dernier ne rencontre que le vide. Me voilà parti en salto demi-arrière dans un petit à-pic. Après une chute de deux bons mètres j'atterris épaule en premier sur une pierre. Je reste sonné, n'osant bougé, pensant m'être blessé. Reprenant mes esprits, je tente les premiers mouvements, ça marche et ça ne fait pas mal. Le sac a du amortir une partie du choc. Mais je ne peux pas continuer à prendre une grosse gamelle par jour, cela va forcément mal se terminer. Sans autre atteinte qu'un petit coup au moral, je rejoins la prairie au pied du col des Fourches. Brusquement un accès de fatigue m'écrase, l'émotion et la faim. Je décide de m'arrêter, et monte ma tente.

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Je réalise que mon podomètre a disparu. Une fois remonté jusqu'au lieu de la chute je ne trouve rien. A ce moment le jeune couple arrive. Je pense qu'ils vont faire comme moi et bivouaquer au pied du col. Mais non, ils continuent, et je suis triste à l'idée de me retrouver seul. Je les regarde enchaîner les lacets, ils sont vraiment impressionnants, depuis deux jours je les vois progresser, rigoureusement dans la même attitude, à cinquante centimètres l'un de l'autre , avançant au pas à vive allure. Ils ont rapidement avalé la distance les séparant du col et alors ils disparaissent de mon champ de vision. Je me dis avec un petit pincement au cœur que je serai seul ce soir, mais c'est bien ce que je viens chercher. Je me lave au torrent, c'est frisquet, puis une gamelle de purée avec une soupe rapidement avalée, je m'enfonce dans mon sac de couchage. Regarder tomber la nuit seul en montagne est un plaisir à chaque fois renouvelé. Le spectacle est d'autant plus intéressant ce soir, que je peux observer tout à loisir une harde de chamois qui semble se préparer à passer la nuit à proximité. Quelques gouttes de pluie font bruire la toile de tente. Le sommeil me gagne.

 

Six heures du matin, j'ouvre les yeux. Les conditions météorologiques semblent bonnes. Mes affaires rapidement pliées je démarre en mangeant une barre de chocolat. Une certaine fatigue subsiste. Je passe un petit ravin au pied du col. Une petite bergerie en équilibre n'attend que la prochaine forte crue du ruisseau pour être emportée. Les lacets sont vite négociés dans cette petite sente très raide. Je débouche au col, qui se situe à 2261 mètres avec les premiers rayons du soleil. Là je suis accueilli par une succession de forts, dont les meurtrières à mitrailleuses me jettent de sombres regards.

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La route du fameux col de Restefond la Bonnette,le plus haut de France, déroule ses virages serrés. Je la suis quelques dizaines de mètres, jusqu'aux ruines d'un grand camp militaire. Je la quitte et me dirige vers le refuge de Bousiéyas et Saint-Dalmas-le-Sélevage. Et là, au sortir du groupe de bâtiments, sur un petit promontoire herbeux tout inondé de soleil, je vois la tente du jeune couple. Manifestement, ils ne sont pas levés, profitent-ils de ce moment sublime, lorsque le soleil apparaissant vient vous caresser? Je me fais discret et m'éloigne rapidement. Le chemin est mal défini et passe au-milieu de grandes touffes d'herbe mouillée. Attention de ne pas commencer la journée par une roulade.

 

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J'arrive sur le coup des sept heures du matin au refuge de Bousiéyas. Il a un aspect très sympathique de chalet partiellement en bois. Un escalier extérieur conduit à la salle de restauration. J'ouvre la porte , la pièce est petite et semble bondée. En réalité deux groupes prennent leur petit déjeuner, deux couples de Français et cinq Allemands.

 

La jeune tenancière me propose gentiment un copieux et succulent chocolat au lait accompagné d'un pain moelleux et de confitures faites sur place, un vrai régal. Les Allemands quittent la salle et nous restons à discuter. Les personnes présentes sont intriguées de me voir arriver de si bon matin. Elles me font presque regretter de ne pas avoir poussé jusqu'au gîte hier. En effet elles me décrivent par le menu l'excellent repas qui leur a été servi, dont le clou fut la magnifique omelette aux mousserons ramassés à proximité. La gardienne nous dévoile une partie des trésors de la région, qu'il s'agisse de promenades, de visites de villages ou de cueillettes de champignons. Une heure très agréable s'écoule, et je me sens bien requinqué. Par la fenêtre je vois le groupe d'Allemands qui attaque la montée du col de la Colombière. De toute évidence ils empruntent le GR5.

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Un fois dehors, je me sens en pleine forme et ne tarde pa à les rattraper. Je discute un moment en allemand avec la femme qui marche en tête. Puis je reprends mon rythme et lâche rapidement le groupe. Comme souvent je regarde mes chaussures et fonce. Au détour d'un virage que vois-je mes Allemands qui arrivent à mon niveau par un chemin à quatre vingt dix degrés. Je me suis précipité, comme j'en ai trop l'habitude, sans voir que le chemin de randonnée prenait un raccourci. Je m'exclame «Incredible, nein unmöglich was habe ich gemacht» et tous d'éclater de rire. Cela me permet de rattraper l'Allemande de tête et de reprendre la conversation. Elle avance d'un pas alerte mais ne peut abandonner ses compagnons. J'apprends qu'ils viennent d'Allemagne à pied en faisant un tronçon chaque année. Là ce sera la dernière étape, car ils ont aussi comme destination Nice. Je reprends ma marche solitaire et rejoins rapidement le col de la Colombière qui est à plus de deux mille deux cent mètres. L'air est calme, il fait un temps merveilleux. Je ne résiste pas à l'envie de monter sur le petit sommet qui me domine et qui a pour nom la Tête de Vinaigre. De ce point j'embrasse un vaste panorama, aussi bien sur le chemin que j'ai parcouru que sur celui à venir. Tout au fond, je vois le petit emplacement où j'ai passé la nuit, que surplombe le col de la Cavale. Au sud le Mont Mounier barre l'horizon. Le groupe d'Allemands arrive au col, mais ne réalise pas que je suis sur le petit sommet.

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Le chemin descendant sur Saint-Dalmas-le-Selvage est une petite sente à flanc qui du point où je me trouve est impressionnante. Mon interlocutrice, manifestement laisse ses compagnons et se

lance dans une course effrénée vers le village. Je quitte mon belvédère et rejoins rapidement la petite troupe qui s'est mise en mouvement. Il faut faire attention , car par endroits la chute ne pardonnerait pas.

 

L'influence du climat méditerranéen se fait nettement sentir. Le sol devient de plus en plus aride, surtout sur ce raide versant sud. Cela n'empêche pas de jolies petites fleurs comme la clématite alpine de s'accrocher parmi les cailloux, ou bien une jolie petite touffe de marguerites naines de s'épanouir.

 

Un peu avant le village de grands genêts donnent une belle touche jaune sur le fond rouge d'un vaste champ de coquelicots, le tout sous un soleil radieux aux rayons encore obliques. Cette arrivée dans ce joli hameau est une splendeur.

 

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Je descends une petite rue qui me conduit à la place centrale. Là assise, mon Allemande toute étonnée de me voir arriver par derrière, elle me croyait déjà loin. Je lui demande quelle sera leur point de chute pour ce soir, Saint-Etienne-de-Tinée. Elle m'indique même le nom de leur hôtel. Pour ma part j'ai l'intention de pousser jusqu'à la Roya.

 

Je reprends mon chemin dans une nature en pleine explosion. Ces derniers temps, les épisodes de pluie ont alterné avec les moments de soleil . Le résultat ne s'est pas fait attendre , des fleurs multicolores envahissent les moindres recoins, et même de gros mais vraiment très gros champignons se laissent admirer.

 

 

Le chemin est encore long jusqu'à Saint-Etienne-de-Tinée. En effet, il faut franchir un autre mouvement de terrain et amorcer une descente importante, la ville se situant vers les mille mètres d'altitude. Le temps s'est amélioré, mais une chaleur orageuse rend la marche pénible, et cela d'autant plus en perdant de l'altitude.

 

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Vers treize heures je me trouve sur la place centrale. L'idée de repartir après déjeuner ne m'enthousiasme plus. La Roya me semble subitement très loin. Je me mets à la recherche d'un hôtel. Les premiers essais sont infructueux et alors on me conseille d'aller à l'hôtel que m'a indiqué l'Allemande. En effet une chambre m'est proposée. Je m'installe sur la terrasse pour déjeuner.

 

Tout à loisir je peux observer les différents types de touristes qui s'arrêtent. Les marcheurs comme moi, peu nombreux, les cyclistes, les motards, les automobilistes, les campingcaristes. J'imagine ces fonds de vallée à vélo avec cette circulation dense, ce ne doit pas toujours être une partie de plaisir, mais chacun ses motivations.

 

L'étape de la journée aura été relativement courte, mais mon organisme a sans doute besoin d'un peu de répit après deux grosses étapes en début de randonnée. Dans l'après-midi le groupe d'Allemands arrive. Le soir nous dînerons ensemble dans une ambiance très sympathique, même si le vin n'était pas très bon.

 

Lever matinal, en ce qui me concerne, car j'espère dépasser le mont Mounier, au moins aller jusqu'au refuge de la Vacherie et pourquoi pas atteindre Saint-Sauveur- sur-Tinée. Le temps est particulièrement mauvais, les prévisions l'avaient prédit. Seul rayon de soleil, l'Allemande s'est levée et vient déjeuner avec moi. Moment très agréable, elle connaît bien les Pyrénées, ce qui est aussi mon cas ayant habité dix ans à Toulouse. Elle me parle en français et je m'efforce de lui répondre en allemand. Le moment de se séparer arrive, je sors , toque un petit coup au carreau en guise d'au-revoir et nous échangeons un dernier regard.

 

Ce fond de vallée encaissé complètement envahi de gros nuages menaçants ne m'est pas très sympathique. Je sens que la journée va être sportive. La forme est de retour. La montée à la station d'Auron se fait sous une pluie régulière mais modérée, pourvu que cela continue comme cela , c'est encore acceptable.

 

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Une fois dans le village, les conditions empirent. La montée au col du Blainon, qui est raide, est accomplie sous de véritables trombes. Je commence à douter de la possibilité d'arriver jusqu'au refuge de la Vacherie aujourd'hui. Des multitudes de fleurs rutilent sous la pluie malgré la pénombre due à la couche nuageuse épaisse. Je longe un immense champ de myosotis. La nature par conditions humides est toujours resplendissante. Pour pouvoir l'admirer ainsi, j'accepte volontiers de me faire mouiller. Je me souviens d'un article lu dans une revue de montagne, il y a maintenant bien longtemps qui s'intitulait «réhabilitons la pluie». J'en comprends bien la philosophie aujourd'hui. Le gîte de la Roya n'est plus très loin et il sera toujours temps d'évaluer la situation.

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Je bascule dans le vallon du même nom. La visibilité est réduite, les chutes d'eau redoublent et par dessus le marché le tonnerre fait son apparition. Des nuées tournent dans la vallée, le grondement s'approche puis s'éloigne. Je n'aime pas beaucoup ce genre d'ambiance, même si cela donne une forte impression. Alors à trois quatre reprises des éclairs frappent à proximité , à une distance de l'ordre de la centaine de mètres, avec un bruit de déchirement suivi d'un claquement sec.

 

Une grande croix lugubre se dresse dans la tourmente, je n'ose interpréter cette apparition comme un présage. La trouille aidant, je détale dans le but de rejoindre le plus rapidement possible un abri dans le village. Quand on court on a moins peur, mais peut-être augmente-on les risques? Mais je ne suis pas en état de réfléchir.

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Enfin le village, la route est une véritable rivière, l'eau passe au-dessus des chaussures. Personne pour m'indiquer le gîte, les quelques minutes afin de le situer me semblent une éternité. Je m'y engouffre. Il est désert. Je m'installe et me change. Le gérant qui était en train de travailler dans les étages arrive. Je commande un repas et il me raconte la vie dans le village et me décrit la population qui fréquente son établissement. Depuis le début de l'année il a vu passer une trentaine de groupes, généralement de deux personnes ou de solitaires qui se lançaient sur la traversée des Alpes. Pour l'un des couples il s'agissait de leur voyage de noces.

Vers les trois heures de l'après-midi le temps change brusquement. La pluie s'arrête, les nuages se déchirent laissant en partie la place à un magnifique ciel bleu. Je m'installe sur la terrasse. La motivation pour repartir n'est pas grande. Un groupe d'une vingtaine de randonneurs pas tous jeunes, le plus âgés a plus de soixante dix ans arrive à grands renfort d'éclats de rire. Ils étaient partis avec l'intention de traverser le col de Crousette et de se faire récupérer de l'autre côté. Juste sous le col, ils se sont retrouvés au milieu de l'orage. Trois d'entre eux se sont sentis mal. L'accompagnateur a demandé aux valides de redescendre jusqu'à une bergerie et s'est occupé de gérer les trois personnes en difficulté. Tout s'est bien terminé, mais tous s'en souviendront. Le bus étant revenu les chercher, seul reste l'accompagnateur. Il me racontera sa matinée. C'est la première fois de sa vie qu'il rencontre de telles conditions. Son récit est très impressionnant, pourtant il s'agit d'un professionnel calme et expérimenté. Métier difficile, si le matin il prend la décision de ne pas partir et que le temps s'améliore il sera cloué au pilori, mais s'il engage son groupe et qu'il arrive un accident le juge ne le loupera pas. Je n'aimerais pas être à sa place.

 

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Vers les dix sept heures les Allemands arrivent. La soirée sera encore très agréable, cependant j'écouterai surtout l'accompagnateur qui parle si bien de sa région. Le lendemain matin alors que le groupe d'Allemands est déjà parti je m'attarde encore à écouter les histoires de la vallée. Enfin il est temps de quitter ce gîte à l'accueil particulièrement chaleureux. Après deux jours de faible activité, je me sens en grosse forme. La montée au col de Crousette se fait à un rythme rapide, plus de 600 mètres à l'heure. Je double les Allemands, fais une dernière photo en me disant que cette fois il est fort possible que nous ne nous revoyions plus. Le chemin du col est très joli, le tracé bien dessiné, l'eau ruisselle partout en petites cascades lumineuses.

 

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Une fois au col, le chemin continue à monter en direction de l'arête sud du Mounier et la passe au-dessus des deux mille sept cents mètres. De magnifiques petites fleurs s'accrochent à la caillaisse à cette altitude. Le contraste entre leurs couleurs et le gris de ce monde minéral est extraordinaire.

 

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La vue vers le sud ne me permet pas encore de distinguer la mer, bien qu'il n'y ait plus de point plus haut. La descente est longue, de plus il y a un joli raidillon à remonter avant d'arriver au refuge de la Vacherie.

 

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Vers les treize heures, j'y fais halte. Il vient juste d'ouvrir pour la saison. La gardienne me prépare une succulente omelette aux mousserons, qu'elle a ramassés. L'itinéraire jusqu'au village de Roure n'est pas très attractif. De plus, le fait de quitter les zones d'altitude est toujours un peu frustrant, on a l'impression d'être moins en montagne. Le village est magnifique. En finale la vue sur la vallée est très impressionnante. La traversée de ce hameau perché est magnifique. Les Allemands ont prévu d'y faire halte cette nuit. Je ne suis pas certain qu'ils y arriveront, l'un d'entre eux ayant mal aux pieds. Il est encore tôt et j'espère bien atteindre Saint Sauveur , voire Rimplas de l'autre côté de la vallée de la Tinée. La sortie du Roure est pittoresque, le long d'un petit sentier aérien en encorbellement entre le vide et les façades de belles vieilles maisons.

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L'altitude de Saint Sauveur est de l'ordre de quatre cents mètres, et la remontée sur Rimplas semble bien longue, vue de ce côté de la vallée.

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Une fois au bord de la Tinée, la température est vraiment estivale, c'est le cagnard du midi. Je croise un couple de Hollandais à la recherche d'un camping. Je leur indique mais il avait l'air fermé. Avant les vacances ce n'est manifestement pas les vacances. J'attaque les quatre ou cinq cents mètres de dénivelé qui conduisent au village de Rimplas. Malgré la chaleur et la distance dans les jambes l'allure reste soutenue. Les champignons devaient être supervitaminés. Cinquante minutes plus tard , j'arrive dans ce magnifique village médiéval. A l'entrée dominant le chemin, un hôtel m'attire inexorablement. De la fenêtre de ma chambre j'ai une vue imprenable sur le Mont Mounier et de ce fait sur une bonne partie de l'itinéraire de la journée. On est toujours étonné de voir ce qu'on arrive à faire à pied.

 

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Le propriétaire ne lésine pas sur la qualité ni sur la quantité. De plus sa conversation est un enchantement , ancien baroudeur devant l'éternel il me tient en haleine toute la soirée.

 

Après une nuit réparatrice et un bon petit déjeuner, l'étape du jour devrait me conduire à Utelle. Le patron doute que j'y arrive. Ce n'est pas grave car j'ai ma tente et je devrais trouver de l'eau. Le sentier commence par descendre, toujours désagréable lorsqu'on ne l'avait pas prévu. Il me faut trois heures pour arriver à Saint Dalmas et la montagne n'a pas encore commencé. Par moment, on a l'impression de se traîner puis ensuite l'itinéraire se déroule comme par enchantement. Donc, ne pas se laisser abattre le moral. La montée au col des deux Caïres est rondement menée. Au milieu rencontre avec deux couples, ils m'offrent gentiment des abricots secs. Une fois au col, une vision tant désirée m'apparaît: la mer.

 

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Le chemin jusqu'à Utelle, bien qu'encore long procure un vif plaisir. En effet il se déroule en permanence le long d'une crête aérienne, bordée à l'est par la Vésubie et à l'ouest par la Tinée puis par le Var. La pluie se met de la partie et les immenses volutes de nuages m'enveloppant par intermittence procurent une belle impression. Je monte au Brec d'Utelle. Malheureusement la visibilité ne dépasse pas cinquante mètres. Vers les dix sept heures j'arrive à Utelle, magnifique village perché.

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Le gîte municipal est très original. La visite du hameau et en particulier de son église est très intéressante. Un bon moment passé dans le bistrot de la place à déguster les spécialités locales, solides et liquides, et à écouter les histoires du cru, me ravit. L'ambiance sympathique me fait presque oublier que demain ma balade prend fin.

 

Départ matinal, sans faire de bruit car deux personnes dorment. Cette dernière étape se déroule vraiment dans le midi, ce qui est évident. A la sortie du village, un regard à l'est ne laisse aucun doute sur le mauvais temps qui reste accroché au Mercantour. Le chemin zigzague parmi des formations de calcaire blanc, comme on en trouve sur les chemins de la Sainte Victoire ou de la Sainte Baume. Il est par moments très aérien, surplombant la vallée de la Vésubie de plusieurs centaines de mètres.

 

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Les dénivelés sont importants. La descente dans la vallée est interminable. Je rencontre un premier olivier à proximité d'une jolie petite chapelle. Elle est dédiée à Saint Antoine. Son clocher est joli et semble d'inspiration bourguignonne.

 

 

Le pont par lequel je franchis la rivière est à moins de deux cents mètres d'altitude. J'arrive dans le village de Levens. Je croise un solitaire de langue anglaise, j'ai l'impression qu'il va loin. Mais alors que je termine mon voyage, je n'ose l'interroger sur son but car il attaque seulement son projet. Je me perds dans les rues et sors par le mauvais côté. Mon orientation plein ouest ne me dit rien qui vaille. Je remonte la route sur un bon kilomètre et retrouve le chemin. La densité des maisons commence à ne plus laisser la vue errer parmi les fleurs, les arbres et les rochers. Une rencontre avec un couple en train d'achever un périple de dix jours autour de la Vésubie m'offre une discussion intéressante. Ils me proposent aussi très gentiment des abricots . Après quelques raccourcis et libertés prises par rapport au tracé du GR5 , je négocie mon passage sur une propriété privée. Le village d'Aspremont me fait prendre conscience que la fin est imminente. Dernière défense du chemin, des taons qui piquent même lorsqu'on marche, je n'avais jamais vu, plutôt senti.

 

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La dernière bosse jusqu'à Nice je la fais en courant. Sur le plateau au pied du Mont Chauve, je distingue deux silhouettes rapprochées, qui me font penser au jeune couple. J'accélère franchement avec l'espoir de les rattraper. Mais ils disparaissent, ai-je rêvé? La grande ville s'étale à mes pieds. Une fois dans les premiers faubourgs, je sors mon portable et appelle ma cousine. Du côté de mon père nous sommes pieds-noirs. Donc, dans la bonne tradition de là-bas, les femmes sont des vraies mamans bien présentes et très affectueuses. Je vais passer deux jours d'enfer dans cette belle ville animée, aie aie aie mon fils!!!

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02/12/2011

La Provence par les grosses bosses à vélo

                               

En cet automne 2011, l’apocalypse s’abat sur la Provence, pluies diluviennes, vent d’est particulièrement violent, cent trente kilomètres à l’heure, qui soulève des vagues énormes jusqu’à sept mètres de haut, ce n’est pas le moment de mettre le nez dehors. Et pourtant, je me dis qu’après la tempête le calme revient. Je surveille donc la météo et je  constate qu’à partir du dix novembre une fenêtre favorable devrait se présenter pour une petite virée de quelques 600 kilomètres à vélo à travers la Provence. Les bulletins météo annoncent un anticyclone qui devrait tenir à distance le mauvais temps de ces hautes terres de Provence. Il ne m’en faut pas plus pour décider de mon départ. Le tour envisagé passera  par les grosses bosses de Provence, le Ventoux, la montagne de Lure, le Verdon, le massif des Maures et la Sainte Baume. 

Et voilà, malgré les doutes l’appel est le plus fort. Le train démarre, une fois de plus un périple commence par la gare de la Part Dieu. Cette fois, je prends la direction de la Haute-Provence pour un périple à vélo. Ce sera mon premier voyage à deux roues en solitaire. Je suis un peu inquiet, car à vélo avec sacoches on se sent  vulnérable au vol.  J’ai déjà été victime de vol en groupe au Pérou  et cette expérience m’a fortement traumatisé, alors seul j’hésite. Mais pas de panique, j’ai lu les comptes-rendus d’un certain nombre de cyclotouristes au long cours qui ne  se sont pas tout fait piller, même si parfois cela arrive. Je pense en particulier à cette jeune institutrice qui avait obtenu une année sabbatique pour faire un tour du monde à vélo. Ses élèves lui avaient fait la remarque suivante «  Maîtresse vous n’êtes pas sportive, comment allez-vous réussir pour faire le tour du monde à vélo?». Cette jeune femme était vraiment pleine de ressources, en effet en Amérique du Sud avant de prendre l’avion pour la Chine, elle accroche sa monture à un poteau pour aller satisfaire un besoin naturel. Au retour, elle constate que le poteau a été arraché, son vélo et tout son matériel disparus. Choc pour beaucoup. Pour elle pas vraiment, elle prend son avion pour l’Empire du Milieu, et une fois sur place, elle rachète l’indispensable, dont le vélo, et elle poursuit son périple ! En me remémorant cette histoire j’ai presque honte d’être poltron. Voilà les pensées qui me viennent à l’esprit  alors que la vallée du Rhône défile en direction d’Orange, point de départ de ma balade provençale par les bosses.

 

 

Premier jour : Orange Sault par le Ventoux 90 km

9h30, je sors du train. Une fois sur le quai, il me faut avec tout mon barda passer par le passage souterrain, ce  n’est pas facile, car entre les bagages et  le vélo l’ensemble fait trente cinq kilos. En effet, à cette période de l’année je m’attends à trouver certaines zones désertes et par précaution j’ai pris de quoi bivouaquer dans de bonnes  conditions. Une fois sur la chaussée devant la gare, la luminosité du sud m’inonde. Je comprends les gens qui rêvent de venir prendre leur retraite dans ces régions de grande lumière. Comme toujours, jeté comme cela sur la route au sortir d’un transport en commun, il faut se repérer et décider de la direction à prendre. Le soleil encore assez bas sur l’horizon m’indique l’est. D’autre part, des bruits de réacteurs d’avions de combat me permettent de situer la base aérienne 115. Il ne m’en faut pas plus pour « recaler les gyros ».

Dès que je roule, toutes mes appréhensions s’envolent, la joie de la découverte et de l’effort physique s’impose impérativement à moi, et l’euphorie me submerge. Il est étonnant de constater comme les états d’âme sont fluctuants d’un instant à l’autre en fonction de conditions  qui nous sembleraient de peu d’importance dans d’autres circonstances.

Le temps est splendide, la météo qui annonçait des ondées continues durant la journée s’est vraiment trompée. Je suis rapidement hors de la ville. Le Ventoux Provence à vélo novembre 2011 041.jpgapparait mystérieux,  il est difficile d’en évaluer les dimensions. Il est d’autant plus énigmatique, qu’il  cache son sommet dans de grandes volutes de nuages pommelés au ras du relief. J’ai l’impression de découvrir un grand volcan d’Amérique du Sud. J’ai du mal à imaginer que dans quelques heures je dois me retrouver là-haut sous cette chape de brume.

La campagne sort de son humidité nocturne d’automne, les vignes entrecoupées de leurs grandes haies de cyprès me confirment que je me trouve dans cette magnifique région viticole des côtes du Rhône. Les dentelles de Montmirail si caractéristiques se font très présentes. La base de l’armée de l’air n’est pas loin. Je passe devant les balises de bout de piste. Un Mirage 2000 me survole dans un dernier virage serré, un second lui succède dans un rugissement au décollage. Il me vient droit dessus, puis entame une montée brutale dans un vrombissement de l’air. Trente années passées au sein de ce milieu particulier et envoûtant me reviennent à l’esprit. Je me remémore une multitude d’expériences humaines et techniques extraordinaires que j’ai vécues lorsque j’étais en activité. Mais le but de mon article n’est pas de faire de la pub pour l’armée de l’air, quoi que !  Je mettrais peut-être un jour en ligne des articles, relatant des voyages parmi les hommes dans la guerre. 

Je continue ma route en abandonnant mes amours passées, et au fil de mes roues des noms délicieux défilent, Violés, Vaqueras, Gigondas, Baume-les-Venise, le Provence à vélo novembre 2011 025.jpggratin de l’appellation des côtes du Rhône Village.  Je me laisse prendre par le sortilège de ces vignobles  et des petits chemins qui les traversent. Je finis par douter de mon itinéraire, bien que là-bas au loin la masse imposante du Ventoux balise la direction à la manière d’un phare géant. A un croisement de chemins, une voiture, je m’approche et veux demander à sa conductrice la direction à suivre. Elle ne me regarde pas et démarre rapidement, manifestement apeurée. J’avais failli oublier dans quel monde de peur nous vivons, sans doute traumatisés par toutes les horreurs que nous infligent les journaux et la télévision.

Les kilomètres commencent à s’accumuler au compteur, mais mon étape de la journée n’est-elle pas trop ambitieuse? Cela fait deux mois que je n’ai pas pris mon vélo. Il est vrai que ma dernière balade était un bel entraînement, la route des Grandes Alpes, mais cela fait deux mois. Je n’arrive pas à prendre mon vélo pour une balade de la journée, il me faut impérativement ce parfum d’aventure pour avoir le courage de faire du sport.

Deux cyclistes me doublent, intrigués par mon chargement ils engagent la conversation. Ils restent circonspects, lorsque je leur annonce mon intention de passer le Ventoux aujourd’hui. L’un d’eux m’indique une petite chapelle où il me sera possible de bivouaquer à l’abri près du sommet. Cela me motive d’autant plus pour atteindre la cime au cours de cette première étape. Cette chapelle, de plus, porte un nom mythique pour moi, Sainte Anne, nom de la villa de mes parents. Déjà midi, j’ai effectué cinquante kilomètres, Malaucène apparaît. Village sacré des fous du Ventoux, aujourd’hui je suis surpris de ne pas y voir de cyclistes. Je me souviens de ce lieu en juin au milieu de nuées de prétendants pour ce sommet roi. Avant l’effort qui m’attend il me faut reprendre des forces. J’effectue une pause gastronomique agréable chez Max. A treize heures j’attaque la côte la plus célèbre du cyclisme, 21 kilomètres annoncés, qui seront en réalité 23. Je sais que cela risque d’être dur, de plus avec un double handicap, déjà cinquante kilomètres dans les jambes et vingt kilos de bagages. Mais je compte sur mon minuscule plateau qui me permet de monter aux arbres afin de passer les longues rampes très raides.

Je pars sur un rythme alerte le long d’une route déserte. L’allure reste bonne sur les premiers kilomètres. Je m’élève rapidement au-dessus de la vallée, l’horizon s’élargit. Je suis surpris de ne voir personne sur cet itinéraire mondialement réputé parmi les passionnés de vélo.  Au cours de la montée et de la descente je ne verrai que cinq cyclistes, mais j’y reviendrai.  Je passe assez confiant un panneau explicatif, qui me permet de déduire que l’effort sera à peu près équivalent à celui nécessaire pour gravir le col de la Bonnette. Connaissant ce dernier pour l’avoir gravi en septembre, je me dis que tout ira bien.  Je croise mon premier cycliste, plutôt une cycliste qui fonce en descente. Après 12 kilomètres je bute sur Provence à vélo novembre 2011 032.jpgdes pentes à 12% de moyenne. Je ne sais pas si le chiffre 12 est maudit, mais je prends un coup de « bambou » tel que je n’en ai jamais connu. Je me dis que je ne serais pas en mesure d’atteindre le sommet aujourd’hui. Je m’arrête donc. J’ai du mal à marcher tellement l’intérieur des cuisses me brûle, saturation d’acide lactique. Je recherche un endroit à peu près plat pour monter ma tente. Il est 3h30, encore deux heures de jour. Mais je ne trouve rien.

 Je reprends mon vélo avec l’intention de m’arrêter dès que je trouverai un endroit propice pour l’établissement d’un bivouac. Mais rien ne vient. Cependant,  la forme, elle, revient doucement, peut-être du fait que la pente se couche, bien qu’elle reste voisine des 10%.  Je rentre dans les brumes sommitales, un cycliste me double. Je suis dans la zone où il me faut maintenant passer le sommet. Le crépuscule me surprend dans les dernières difficultés. L’atmosphère est franchement austère. Dans la pénombre à un kilomètre du sommet  un cycliste répare son vélo. Je lui demande s’il a besoin d’aide. Il me fait comprendre qu’il ne comprend pas. Alors je lui demande «  Do you need some help ? ». Sa réponse est très claire « No thank you ». Il me montre sa chambre à air neuve. Au fond de moi, je me dis ouf ! En effet, si j’avais dû m’arrêter tout transpirant à la nuit tombante avec le froid qui s’intensifie, j’aurais eu du mal à repartir. Mais voilà, il se débrouille et je continue dans un brouillard crépusculaire. Je distingue à peine dans les nuages les grandes antennes du sommet, tels d’immenses fantômes qui cherchent à se dérober au regard. Le vélo procure des sensations dignes de courses en montagne. Mon intention est de rapidement trouver dans la descente la fameuse chapelle pour me mettre à l’abri.  Alors que je me laisse glisser sur le versant sud, deux cyclistes sans lumière dans la nuit me croisent, probablement rejoignent-ils  la station juste au-dessus, dont on distingue l’éclairage dans le brouillard.

Je scrute dans le noir le bord de la route à la recherche de cette chapelle, mais je n’aperçois rien. Après un ou deux kilomètres je perds tout espoir. Je m’arrête pour m’habiller car le froid devient intense. Je ne vois pas du tout où je pourrais m’arrêter dans ces pentes raides pour organiser un bivouac. Entre les volutes de brume, par intermittence, tout en bas dans la vallée du Rhône je distingue une multitude de villes et villages éclairés. L’impression est saisissante. Que fais-je de nuit au sommet de cette montagne ? Le miracle alors se produit, les nuages se déchirent, et de la crête qui me domine à l’est une belle grosse pleine lune émerge et diffuse une lumière suffisante pour envisager de nuit une descente vers Sault, distante de 26 kilomètres.

Dans cette atmosphère particulière entre rayons pâles de la lune et passages de brume, je m’engage dans une descente à travers un monde flou presque irréel. Les grands pierriers blancs, caractéristiques du sommet du Ventoux réfléchissent faiblement la lumière lunaire, atténuée par la nébulosité. Par endroits, des pans de montagne restent plongés dans le noir complet et je perds toute référence quant au tracé de la chaussée. Puis, au détour d’un virage serré, du à un mouvement de terrain, la clarté revient. Elle paraît extrême en comparaison de l’absence de lumière que je laisse derrière moi. Je suis de nouveau en mesure de bien visualiser les contours de la route, mais pas d’en percevoir les trous et les bancs de gravier. Cependant, je me laisse entraîner par la pente, et la vitesse me semble importante, bien que la luminosité trop faible ne me permette pas de lire l’indication donnée par mon compteur. Dans ces moments la concentration est maximale, tous les sens aux aguets, les réflexes en alerte, toujours prêt à réagir au moindre incident qui pourrait conduire à la chute.

Avec plaisir je vois les lumières du village de Sault grossir. En moins d’une heure je le rejoins, en tenant compte de la petite montée finale, qui me demande un dernier coup de collier. Ce village très fréquenté en été, est à cette époque de l’année déserté,  presque mort. Le premier hôtel rencontré est fermé. Une ombre rapide passe dans une petite rue en pente. Avant qu’elle ne disparaisse dans la pénombre au coin d’une maison, je me lance à sa poursuite et l’interroge sur les possibilités d’hébergement. Très gentiment m’est indiqué ce qui est sans doute le seul hôtel ouvert en ce mois de novembre. Rapidement je le trouve, la réception est ouverte. J’entre coiffé de ma cagoule noire, achetée dans la région d’Ayacucho, zone d’éclosion du sentier lumineux péruvien.  A cette heure tardive, Je vois des regards interrogateurs se porter sur moi. Je dis en préambule « il ne s’agit pas d’un hold-up ». Manifestement les propriétaires ont le sens de l’humour, car ils se mettent à sourire. Je retire ma cagoule et demande une chambre. Il n’y a pas de problème, et à partir de ce moment la pression se relâche. En effet, je ne me sentais pas trop repartir à la recherche d’un emplacement pour monter ma tente par le froid vif qui s’installe.

L’étape aura été proche d’une centaine de kilomètres, et c’était la première. Cela fait deux mois que je n’ai pas touché mon vélo, et je manque probablement d’un minimum d’entraînement, même si ma dernière randonnée à vélo était la traversée des Alpes françaises. J’ai vraiment dû puiser tout au fond de moi pour surmonter ma faiblesse dans le passage raide du Ventoux. Je ne me souviens pas être allé chercher si profond l’énergie de poursuivre. Je sais que l’étape que je me suis fixée demain est conséquente, avec l’escalade du versant nord de la Montagne de Lure, petite sœur du Ventoux, dont la montée est réputée infinie, plus de 25 kilomètres. J’espère que cette première journée ne me laissera pas trop de courbatures, pour ne pas souffrir exagérément demain?

 Pour le moment détente, tout d’abord une douche chaude qui me fait le plus grand bien, puis un bon repas. Je mange une succulente andouillette de Troyes, très fine, avec un assaisonnement aux herbes particulièrement réussi. J’adore et pourtant je suis lyonnais et l’andouillette j’ai la prétention d’en connaître non un boyau mais un rayon ! Un peu chauvin, je suis contraint d’avouer, avec difficulté cependant, que je l’ai trouvée meilleure que celles que j’ai l’habitude de manger dans la région lyonnaise !

 

Deuxième jour : Sault Forcalquier par la montagne de Lure  116 km

Provence à vélo novembre 2011 034.jpgCe matin le temps est magnifique, l’air limpide, immobile, très frais et vivifiant, comme seule l’arrière saison sait en dispenser sur ces hauts plateaux du pays provençal. On les connaît en été écrasés de chaleur et de sécheresse, mais souvent on ignore que ce sont des pays rudes par le froid et les intempéries. Des auteurs comme Giono ou Bosco les ont décrits merveilleusement ainsi que leurs habitants, dans des livres comme « les  âmes fortes ».

Le miracle de la nuit a fait son effet. Je n’ai plus mal nulle part et me sens en pleine forme. Je démarre bien équipé, mais rapidement l’effort et le soleil me font transpirer. Il est temps de retirer les couches d’habits, bonnet et gants. Une douce chaleur se substitue au froid, permettant de pédaler dans d’excellentes conditions. Sur la route en direction de Trinit aucune circulation, seules de loin en loin des voitures de chasseurs sont garées. Ces véhicules sont reconnaissables à leurs grandes cages, dans lesquelles les chiens de chasse sont transportés. Parfois le silence est ponctué d’un coup de feu lointain. Les forêts de feuillus perdent leurs frondaisons, et prennent cette teinte d’automne dépassé aux tons bruns sans éclat, avec toutefois par places un arbre ou arbuste, qui résiste encore, en arborant une couleur vive, jaune ou rouge. Les près à l’herbe déjà brûlée par le froid, sont mouillés de la forte humidité nocturne. Le soleil rasant met en exergue les milliers de toiles d’araignées, qui piégeaient les insectes au ras des herbes à la belle saison.

Derrière moi le Ventoux domine au-dessus de ces immenses espaces. Comme souvent cette imposante masse au sommet pierreux est couronnée d’une chape de nuages. Que cette montagne est impressionnante, on a toujours autant de difficulté à en cerner les dimensions. J’ai du mal à réaliser que la nuit dernière j’étais au sommet et que j’ai descendu de nuit son immense arête sud. Je nourris l’espoir de revenir un jour favorable, justement de jour et sans nuage, pour pouvoir bénéficier de l’immense panorama de ce sommet unique.

Provence à vélo novembre 2011 040.jpgAu sortir du village de Trinit à l’ambiance très provençale, j’attaque mon premier col de la journée. Il se dénomme « col de l’Homme Mort ». La route monte modérément sur cinq kilomètres sous une douce chaleur. La vue sur ces régions s’élargit  et j’éprouve tout le bonheur de pédaler. A un bon rythme je viens à bout de cette première petite difficulté.   Une fois le col atteint, je cède au rite de la photo de mon vélo devant le panneau indicateur, donnant le nom et l’altitude, qui est de 1213 mètres.

Le versant nord est austère et encore à l’ombre. Le froid se fait de nouveau piquant. La route est mouillée et couverte par endroits de feuilles. Il n’est pas impossible que quelques plaques de verglas traîtresses se cachent dans un virage ou l’autre. Je m’engage dans cette descente vers la vallée du Jabron avec prudence. Soudain au détour d’un virage, dans une éclaircie de la forêt,  les Alpes fraîchement  enneigées, éclatantes de soleil, me sautent au visage et barrent l’horizon. Je crois reconnaître la silhouette caractéristique de la face sud des Ecrins au-dessus de ce foisonnement de pics acérés.

Cette neige et ces montagnes réveillent en moi une multitude de souvenirs de Provence à vélo novembre 2011 045.jpggrands bonheurs et cependant j’ai une pensée pour ce guide et sa cliente qui viennent de perdre la vie dans la face nord des Grande Jorasses, au sommet  d’une voie dénommée le Linceul.  Ce nom est dû à la physionomie de la face, grande pente de glace  qui borde la muraille nord des Grandes Jorasses. Elle avait été gravie pour la première fois par René Desmaison  en 1968. Ce dernier, décédé il y a quelques années, a dans ses dernières volontés demandé que ses cendres soient dispersées dans le massif du Dévoluy au pied du Pic de Bure, qui se cache pas très loin d’ici au creux de ces immenses plissements préalpins.

A mes pieds la vallée du Jabron se développe presque jusqu’à l’infini en direction de l’est vers Sisteron.  Encore lointaine la masse sombre de la face nord de la Montagne de Lure s’impose.  Cette montagne présente des similitudes avec le Ventoux. Elle possède le même  pierrier sommital de roche calcaire éclatante, les mêmes forêts qui montent à l’assaut jusqu’à la caillasse finale, ainsi que cette chape  de nuages qui ajoute au tableau une touche secrète et austère.

Je laisse sur ma gauche la ville de Séderon et m’engage vers le petit col de la Pigière, qui en quelques kilomètres me permet de réellement plonger dans cette Provence à vélo novembre 2011 049.jpgbelle vallée du Jabron. Je traverse plusieurs villages, au nom chantant bien de la région, Saint Vincent ou Noyer-sur-Jabron. La rivière par endroits présente de très jolis points de vue sur ses gorges étroites à l’eau claire et froide. L’automne semble moins avancé que sur le plateau que je viens de quitter. De nombreux arbres gardent encore des parures éclatantes, certains révèlent des couleurs extraordinaires, mélange de pourpre de rose et de rouge éclatant.

Arrivé à Noyer-sur-Jabron, j’emprunte une toute petite route sur  la rive droite de Provence à vélo novembre 2011 058.jpgla rivière qui conduit en quelques kilomètres au pied de la Montagne de Lure. Arrivé au village de Valbelle, je pique-nique de restes que j’ai pris chez moi, un vieux fromage et une miche de pain quelque peu rassie. Il est 13h30. J’attaque la longue montée de l’ordre de 25 kilomètres. D’après une amie grande spécialiste de la région à vélo, cette section est difficile. Ce n’est pas pour rien qu’on la dénomme la petite sœur du Ventoux, qui lui est le Mont Blanc des cyclistes. Le dénivelé de ce versant dans lequel je m’engage est tout de même de 1200 mètres, le Ventoux par Malaucène approche les 1600 mètres.

J’espère que je vais arriver au sommet avant la nuit et ne pas revivre une expérience de descente nocturne. L’itinéraire serpente dans une grande forêt au gré des plis du terrain. Il y a de l’activité, les chercheurs de champignons s’activent sur les traces de la chanterelle cendrée. La montée sans être jamais très raide, un kilomètre seulement à 9%, est cependant interminable. Bien que la circulation soit pratiquement absente, je suis doublé par une bande de bikers en Harley, j’en compte une bonne quarantaine. Du haut de leur machine, les mains en l’air perchées sur des guidons aux formes invraisemblables, et pour certains les pieds presque au ciel, tellement les cale-pieds sont hauts, ils ne me jettent même pas un regard. Quel est ce débile même pas capable de conduire une moto et obligé de grimper ces montagnes à vélo avec ses gros sacs! Je ne m’en offusque pas, car souvent les vrais et purs bikers en Harley considèrent les autres motards comme des espèces de renégats, alors les vélos ! Mais je n’ai pas envie d’ouvrir une polémique sur les motos. Dans ma jeunesse, lorsque j’étais un motard fou (22 accidents en deux roues à moteur), les clans se répartissaient en possesseurs de japonaises, allemandes, italiennes et anglaises. Ces derniers sur leurs bécanes vibrantes et ruisselantes d’huile se considéraient comme les plus purs.  Mais ne nous battons pas, il y a prescription cela fait presque quarante ans.

Comme hier, quelques kilomètres sous le sommet je rentre dans le brouillard et Provence à vélo novembre 2011 065.jpgla clarté tombe d’un coup. Que cette montagne peut se révéler hostile dans ces conditions ! Cela accroit la sensation de vivre une expérience étonnante. Les conditions rencontrées constituent un élément prépondérant quant à la manière dont l’aventure va s’imprimer dans notre mémoire. Je constate,  une fois de plus, qu’en France on peut éprouver le sentiment de se trouver très loin. Enfin, après cette très longue montée, sans prévenir le panneau du Pas de Graille surgit  de la grisaille. Etrange ! sous le panneau, une borne kilométrique indique ce même col à plus de trois kilomètres. De toute évidence la montée continue. Dans ces derniers kilomètres au milieu de la caillasse je gagne encore cent trente mètres de dénivelé. Enfin, le point haut de la route est atteint, 1720 mètres. Il fait froid et humide. Je me couvre rapidement, rajoute sous mon casque ma cagoule et enfile des gants bien chauds. Au moment de me lancer dans la pente, une voiture s’arrête au sommet et l’un des passagers s’étonne de trouver un vélo en cet endroit par ces conditions fraîches et crépusculaires.

Une descente d’une vingtaine de kilomètres me conduit au village de Saint-Etienne-les-Orgues. J’ai bon espoir de dénicher un point de chute pour la nuit. Eh bien non ! De toute évidence tout est fermé, aucune chance de trouver un toit. Ce soir ça se complique. J’ai déjà exactement cent kilomètres dans les cuisses et plus très envie de pédaler, surtout de nuit.  Mais j’ai encore moins envie de dormir dehors. Que faire pour tenter d’y échapper ? La ville de Forcalquier se trouve à seize kilomètres, j’espère que la route descend. Je me lance dans la direction de cette ville. Le premier tiers se déroule le long d’une belle départementale peu fréquentée légèrement descendante, et j’appuie à fond sur les pédales. Mais cela va se corser. En effet, je rejoins une route où le trafic est important. La nuit s’est opacifiée et une côte de plusieurs  kilomètres termine le parcours. Je sais que mes phares magnétiques ne sont pas très puissants, d’où danger. Ils le sont d’autant moins en montée, car plus je suis lent moins ils éclairent. Les voitures qui viennent en sens inverse me voient souvent tardivement, donc me gratifient de leurs pleins phares. Ce qui me plonge juste après le croisement dans le noir le plus total durant quelques secondes, le temps que les pupilles se dilatent de nouveau dans la nuit.  J’imagine que ceux qui arrivent par derrière me voient aussi avec peu de recul, malgré ma veste aux bandes légèrement fluorescentes. Lorsque les bas-côtés sont libres je me mets toujours en situation de me jeter rapidement hors de la route. Mais malheureusement dans cette longue montée terminale, un rail de sécurité m’interdit toute fuite à droite en cas de freinage intempestif dans mon dos, et cela est d’autant plus angoissant que je suis condamné à une vitesse d’escargot. Le temps me paraît long.  J’appuie au maximum sur les pédales, à la limite de l’asphyxie, cherchant à me soustraire le plus rapidement à cette situation dangereuse. Mon seul repère provient des véhicules devant moi, cela me permet de réaliser que la côte n’est pas finie. Puis d’un coup le calvaire prend fin, le point haut de la route est atteint. La ville et ses lumières surgissent du néant et la clarté se fait. Ouf ! Je me laisse glisser vers cette petite ville baignée de lumière. En ce 11 novembre, j’espère trouver un hôtel ouvert car j’ai nettement dépassé les cent kilomètres et l’idée de devoir sortir de l’agglomération pour chercher un point de bivouac, m’effraie quelque peu.

J’arrive au centre ville. L’activité est faible, un premier hôtel est fermé, alors je distingue un peu plus loin l’enseigne allumée d’un autre établissement. Je m’y dirige, descends de mon vélo et entre. L’accueil est immédiatement sympathique, un gros chat vient se frotter. Pour moi, c’est de très bon augure, en effet la première impression sera confirmée. Il me faudra encore sortir pour manger. Je fais la distance minimale. Un restaurant affiche « la cuisine de Maman ». Je m’attends à des spécialités provençales, elles seront marocaines. Je choisis un tajine succulent, au citron vert et olives, suivi d’une glace amande et miel.  Fourbu, après cette étape de 116 kilomètres je rejoins ma chambre. Comme souvent après des efforts intenses, il est difficile de s’endormir.

 

Troisième jour : Forcalquier Moustiers-Sainte-Marie  58 km

En ce troisième jour, du fait de l’avance prise hier, l’étape sera courte. En quelque sorte je la qualifierai de transition entre deux massifs montagneux. En effet, la grosse bosse suivante se dénomme les gorges du Verdon.   Je compte venir me positionner à leur pied ce soir, dans la perspective d’une étape difficile demain. Je fais quelques achats, pain, bananes ainsi qu’un médicament pour les brûlures d’estomac, le saucisson du midi ne passant pas toujours bien.  Le temps est encore parfait. L’itinéraire commence par une longue descente en direction de la Durance. Il est toujours agréable de commencer sa journée de vélo en descendant, ça donne le moral et cela permet de s’échauffer sans brutalité.

La ville d’Oraison est vite atteinte. Juste à son entrée je traverse la Durance, qui garde le long de ses bancs de sable les traces des fortes précipitations de la semaine dernière. En effet, de multiples souches et troncs  échoués sont disséminés tout au long de son vaste lit de graviers, ainsi que d’autres détritus moins écologiques, du genre vieux pneus.

Un peu au sud d’Oraison, je m’engage sur la D907, petite route qui part plein est entre garrigues et prairies. Ca y est, cela fleure bon la Provence, telle qu’on la conçoit. Ce temps d’automne stable à l’air immobile, ni chaud ni froid, juste une sensation de fraîcheur au débouché d’un vallon ombragé, ou une légère chaleur sous le soleil, représente l’idéal pour un cycliste. Après une dizaine de kilomètres Provence à vélo novembre 2011 066.jpgau fond d’une petite vallée trop vite parcourue, sur la droite se distingue le village du Brunet. Il s’accroche aux pentes donnant accès au plateau de Valensole. Quelques kilomètres raides le long d’une minuscule route en lacets, et d’un coup un vaste panorama se dévoile alors que la côte se termine.

 Que ce plateau est magnifique. Alors qu’il est réputé pour son vent, par chance ce jour le calme est total. Tout là-bas à l’est les grandes falaises du Verdon bouchent l’horizon. Cela me permet de contempler une partie de mon étape de demain.  Ce lieu  est plein de mystères, nombreuses sont les histoires d’OVNI  et de rencontres extraterrestres qui y sont associées. D’autre part, dans son sol durant une trentaine d’années, la France y a caché ses missiles balistiques nucléaires sol-sol, regroupés au sein du 1er GMS (groupement de missiles balistiques), qui dépendait de l’armée de l’air. Bien entendu ces fusées faisaient fantasmer et les groupes pacifistes s’implantaient dans la région afin d’être sur place pour manifester contre ce type d’armement. Cela procure de nombreuses raisons pour nimber cette terre austère et déserte d’un côté mystérieux.

J’emprunte un chemin de terre qui me conduit au cœur de cette zone, et m’arrête en bordure de forêt pour déjeuner. Le silence est total, la vue porte très loin.  Mais rien d’étrange ou de bizarre ne se manifeste. Pas de Martien pour venir partager mon fromage franchement moisi, mon saucisson très poivré  ou ma banane talée, snif ! Je reprends ma route, et comme souvent lorsque je traverse  des lieux de Provence à vélo novembre 2011 070.jpgcaractère affirmé, j’ai tendance à ralentir pour en profiter plus longtemps. Les immenses champs de lavande s’étalent à l’infini, pas très odorants en cette saison. J’arrive sur un groupe de chênes truffiers protégés par une barrière, sur laquelle de grands panneaux rouges annoncent « arme à feu ». En ces régions, la guerre du diamant noir de toute évidence fait rage. Je me souviens d’un roman dans lequel un vieux paysan faisait croire aux acquéreurs  d’un domaine que rien n’y poussait. Chaque année en cachette, il allait dérober les champignons aux propriétaires qui ne se méfiaient pas. Puis, un jour ils ont découvert le pot aux roses, tombant sur ce voisin « aux manières policées », tentant de soustraire à leur curiosité un panier rempli de belles grosses truffes !

En ces vastes espaces je me sens bien, une forme de plénitude. Il est étrange que je ne conçoive le vélo qu’à travers l’errance. J’ai beaucoup de mal à planifier une balade de la journée. Et si cela m’arrive, il est fort à parier que je ne me lèverais pas. J’ai besoin de cette sensation de voyage pour pleinement apprécier mon Provence à vélo novembre 2011 068.jpgeffort physique. Il faudrait peut-être qu’un jour je me fasse psychanalyser, mais à mon âge c’est sans doute trop tard ! Aujourd’hui j’ai tout mon temps, l’étape étant deux fois plus courte qu’hier, de plus avec un dénivelé très faible. Pas un bruit, un calme impressionnant, un paysage de toute beauté, je pédale dans un endroit merveilleux, c’est sans doute cela le bonheur!

J’atteins le village de Puimoisson en bordure est du plateau, il ne me reste plus que 12 kilomètres à parcourir avant Moustiers. Je prends mon temps, m’installe à une terrasse de café au soleil et déguste tranquillement un petit noir, tout en écoutant le village vivre. Je suis ravi de ces voies chantantes, bien du midi, qui s’esclaffent en grands rires. Il y a des coins, où malgré les angoisses suscitées par nos sociétés détraquées aux dettes abyssales, certains ont décidé de prendre malgré tout la vie du bon côté et savent faire preuve d’une insouciance salvatrice.

La fin du parcours est une simple formalité, je me laisse entraîner par la pente vers cette jolie petite cité de Moustiers-Sainte-Marie, accrochée à la falaise, célèbre pour ses faïences. Elle constitue le point d’entrée idéal pour visiter les gorges du Verdon. Arrivant pour une fois de bonne heure, je me rends au syndicat d’initiative afin de choisir un hôtel confortable. En effet, l’hôtel des Restanques est très confortable et admirablement bien situé.  Mais à cette période il me faudra retourner au cœur du village pour dîner. La réceptionniste très gentiment me réserve une table à la Treille Muscate, restaurant à la salle magnifiquement agencée sur la place de l’église. Il n’est que 3h30, je continue à prendre mon temps, douche et farniente devant la télé. Puis je pars à la découverte, plutôt redécouverte de ce village dans lequel je suis déjà venu plusieurs fois. Mais je ne Provence à vélo novembre 2011 083.jpgsuis jamais monté jusqu’à sa chapelle  perchée au beau milieu de la grande falaise qui domine les maisons. Un chemin empierré aérien y conduit. Les premières mentions de la chapelle notre Dame de Beauvoir, connue dans les temps anciens  sous le nom de Notre-Dame d’Entre-Roches, remontent au IX siècle. Elle est l’une des rares chapelles « à répit » que l’on trouve en Provence. On désigne de la sorte les chapelles qui permettent les suscitations d’enfants. C'est-à-dire que l’on y apportait les enfants mort-nés, afin de les faire ressusciter quelques instants, le temps de les baptiser. Il était ensuite possible de les faire inhumer religieusement, assurant alors le salut de leur âme. Je suis aussi très ému à la lecture de certains ex-voto, par exemple celui d’ « Une maman pour ses trois enfants revenus de la guerre ».

Le lieu est impressionnant, surtout au moment où vient la nuit. Je suis seul et regarde l’ombre emplir les grandes falaises qui me surplombent. Avec un vieux réflexe de grimpeur, je recherche les itinéraires d’escalade possibles, parmi ces Provence à vélo novembre 2011 095.jpgdalles et ces fissures. Mais très probablement la varappe est interdite en ce lieu trop proche des habitations. Puis je redescends flâner dans le village, admirant les magnifiques motifs sur les objets en faïence d’une grande finesse que l’on trouve dans nombre de boutiques. Enfin arrive l’heure du dîner et je rejoins mon restaurant, dont on m’a fait l’éloge. Je suis ravi par les ravioles au foie gras et les pieds paquets, ces derniers étant la spécialité du cuisinier. J’y reviendrai en famille.  

 

Quatrième jour : Moustiers Fréjus par le Verdon 122 km

Un petit-déjeuner consistant me prépare aux durs efforts de la journée. A côté de moi, quatre Chinois discutent avec animation. Bien entendu je ne comprends pas le moindre mot, langue aux intonations et sonorités étranges. Je quitte la salle de restauration, je prépare mon vélo sur la terrasse. Mes chinois, voyant le volume de mes bagages, se précipitent et demandent à être pris en photo à tour de rôle devant ce drôle d’équipage. Tout hilares, ils se prennent en photo, devant ce qu’ils considèrent sans doute comme un coolie français qui part pour quelques trafics marchands ! Quand ils montreront ces photos à leurs proches, ils resteront probablement perplexes devant les motivations qui poussent certains à voyager à vélo plutôt qu’en voiture. Chez eux la voiture étant le symbole de la réussite, il s’en immatricule en Chine, selon un article lu l’année dernière,  14 000 par jour !

Provence à vélo novembre 2011 129.jpgCe matin l’air est frais. Comme hier je débute par une longue descente, qui cette fois me conduit au bord du lac de Sainte-Croix. Un vent contraire, vif et piquant, me ralentit. Il ne va pas durer, car il est généré par le débouché des gorges que je rejoins en quelques kilomètres. En ce matin froid les abords du lac dégagent une grande quiétude. Le soleil est toujours caché par la masse du massif montagneux du Verdon. Les arbres aux feuilles jaunes se découpent sur le bleu pâle de l’eau. Le pont, marquant le début des gorges  en bordure du lac, est un lieu idéal pour admirer cette splendeur de la nature. A cette heure matinale, les jeux de lumières et d’ombres sur l’eau et les immenses parois délivrent, dans une belle communion, un spectacle grandiose. Provence à vélo novembre 2011 131.jpgCette première prise de contact  avec ces gorges, que je connais pourtant bien, me stupéfie.

Une fois dépassé le pont, le vent se calme. Un peu plus loin, j’attaque la longue montée qui me conduira au sommet de cette immense saignée naturelle, que l’eau a mis des millions d’années à creuser. La forme est bonne et je suis très motivé par les splendeurs à venir. D’abord j’atteins le village d’Aiguines, qui offre un magnifique point de vue sur le lac. Puis, je continue en direction de la Corniche Sublime, d’où une multitude de panoramas époustouflants se découvrent au fur et à mesure de la progression. Mais la côte est soutenue et longue, ce qui nécessite des efforts, cependant mon petit plateau accomplit des miracles. Je passe tout d’abord le col d’Illoire, déjà cinq cents mètres de dénivelé au-dessus du lac. A voir toutes ces grandes falaises, d’innombrables souvenirs d’escalade me viennent en mémoire. Les grandes  voies classiques de la falaise de l’Escalés, haute de plus de 300 mètres défilent. Des itinéraires aux noms restés mythiques, la Demande, les Ecureuils, Provence à vélo novembre 2011 149.jpgLuna-Bong, et bien d’autres. Celle qui m’a laissé le plus beau souvenir, ULA, une fissure, verticale voire surplombante, de toute beauté qui s’élève au-dessus d’une dalle de 40 mètres, d’un seul jet sur 280 mètres d’une escalade soutenue de toute beauté, sur un rocher extraordinaire. Cela me donne envie d’y retourner grimper, pour me replonger dans l’ambiance de ces temps passés. Mais les habitudes d’escalade ont changé, maintenant on accède aux voies par le haut en rappel et l’on ne daigne pas toujours faire ces grandes escalades dans leur totalité, se concentrant sur des entreprises de moindre hauteur, mais redoutablement plus difficiles techniquement.

Provence à vélo novembre 2011 152.jpgA tous les virages ou presque je m’arrête et scrute  ces grandes falaises à la recherche de souvenirs d’expériences et d’émotions passées dans ces replis secrets de la roche. La route monte bien au-dessus du col et dépasse les 1200 mètres. Il y fait frais, d’autant plus que je transpire. Arrivé enfin au point haut de la Corniche Sublime, je n’arrive pas à prendre de la vitesse en descente, le regard toujours tourné vers ce canyon stupéfiant. Dans un virage deux cyclistes avec des drôles de vélos à petites roues. Ouhaou ! Il s’agit d’un couple d’Australiens effectuant un tour de France d’une année. On discute un moment avec passion de nos expériences à deux roues. Mais le temps passe, Provence à vélo novembre 2011 150.jpget si je veux atteindre Fréjus avant la nuit il me faudra encore sérieusement appuyer sur les pédales.

Je fais une halte au pont de l’Artuby, où le saut à l’élastique bat son plein. Mais bien vite je repars en direction de Comps. Le vent est contraire et ça monte. Je commence à douter de la possibilité d’être en bord de mer ce soir. A quatorze heures je suis à Comps-sur-Artuby. Je ne m’y arrête pas, sachant qu’avant le bord de mer je n’aurai aucune alternative au bivouac, et il me reste 70 kilomètres à franchir. Certes, ça devrait descendre, mais à priori quelques montées sont au programme. Après une descente en sortie de village, je traverse de nouveau la rivière Artuby, sur le camp militaire de Canjuers. Une montée de plusieurs kilomètres, heureusement pas trop raide, suit. Je prends la départementale 19, direction Barjemon. De là, j’opte malgré l’heure tardive pour une minuscule route passant par Claviers, petit village perché. Le temps passe vite, cependant les kilomètres s’enchaînent. Je reprends espoir. Quinze kilomètres après ce dernier village, Saint-Paul en forêt, que je rejoins par un magnifique parcours en sous-bois. J’ai tout loisir Provence à vélo novembre 2011 151.jpgd’observer les chercheurs de champignons. J’en interroge un, qui manifestement en a quelques-uns dans un sac plastique. Il me fait cette réponse hilarante avec un magnifique accent du midi : « Je n’ai ramassé que des mauvais ».  La réponse n’autorise aucune réplique. Je m’éloigne le sourire aux lèvres. Un peu plus loin, un autre chercheur porte un panier. Dès qu’il m’aperçoit, il le cache vite, des fois que je voie ce qu’il recèle.  L’arrivée au village se fait par un raidillon carabiné et je suis près des cent kilomètres. Il m’en reste encore un peu plus d’une vingtaine avant d’atteindre Fréjus. La course contre la montre avec la tombée de la nuit est lancée. Là-bas sur ma droite, je vois le soleil se coucher derrière le rocher caractéristique de Roquebrune-sur-Argens. La mer m’apparait. Ca y est, je suis dans la zone industrielle de Fréjus. En ce dimanche soir, la circulation est intense. En effet, nombreux sont ceux qui ont profité du beau temps retrouvé, après de très fortes intempéries, pour aller se promener. A la suite de pas mal de détours, j’arrive en bordure de mer, en même temps que la nuit. Mon compteur affiche 122 km pour la journée. Je trouve rapidement un hôtel simple, mange tout aussi vite et me couche.

 

Cinquième jour : Fréjus Sollies-Pont  92 km

Une fois de plus la nuit a fait son travail réparateur et c’est assez frais que je me prépare à traverser le massif des Maures. Les prévisions météorologiques sont encore favorables pour ce jour, mais une dégradation est prévue pour demain. J’ai tendance à m’y fier, car le vent d’est souffle, et dans la région c’est annonciateur de pluie. Pour le moment, à court terme, ce vent va m’être très utile, car il va me pousser généreusement tout au long de la journée.

Je démarre tranquillement par les quais du port en regardant les bateaux. Je rejoins ensuite la route de Saint-Aygulf et je longe  le bord de mer pendant quarante kilomètres jusqu’à Port-Grimaud. Toutes ces cités balnéaires, Saint-Aygulf, les Issambres, Sainte-Maxime me rappellent ma jeunesse lorsque nous passions toutes nos vacances à la pêche, que ce soit du bord, en sous-marine ou en bateau. A regarder la mer défiler, je sais à quoi ressemblent les fonds sous cette surface qui les cache. Les fonds marins que nous connaissions le mieux, c’étaient ceux qui se trouvent maintenant sous les parkings et zones commerciales du nouveau port de Saint-Raphaël. Dans notre jeunesse ces infrastructures n’existaient pas, et leur construction a été accomplie au détriment des zones maritimes côtières. Nos merveilleux coins de pêche ont été définitivement ensevelis. Je me souviens avoir vu les premiers gros camions qui sont venus déverser leur cargaison de terre et de caillasse en détruisant tous ces merveilleux endroits, bancs de sable, massifs d’algues, groupes de rochers aux trous poissonneux qui enchantaient notre jeunesse.  Plus de quarante ans après je les  visualise toujours en imagination sous ces parkings et magasins, avec les noms que nous leur donnions mes frères et moi : le casse-croûte, le casse-pipe, les montagnes, la digue, la grille,  la mare à mulets, la petite-plage, le trou etc.

Ne nous laissons pas envahir par la nostalgie. Je quitte le bord de mer et Provence à vélo novembre 2011 157.jpgm’engage après Grimaud sur la petite route au milieu des Maures qui conduit à Collobrières. Le parcours mène de crête en crête au gré des mouvements de terrain. A cette époque cette région est admirable. Du fait des fortes intempéries des semaines passées, l’eau ruisselle de toutes parts. Des cascades et ruisseaux bruissent tout au long du chemin. Je ne reconnais pas les Maures, que je connaissais pour leur sécheresse, qui engendre des incendies apocalyptiques. D’ailleurs au détour d’un virage je tombe sur une petite aire aménagée, sur laquelle a été érigé un monument commémoratif aux trois pompiers qui en ce lieu ont perdu la vie alors qu’ils combattaient l’un de ces gigantesques feux attisés par le mistral.

Cette forêt recèle des richesses, tout d’abord le chêne liège, ensuite l’arbouse, les châtaigniers et bien sûr les champignons friands de ce sol granitique :                                                                                  

 Provence à vélo novembre 2011 169.jpgLe chêne liège, on le trouve tout au long de la route. Il est l’élément essentiel de la forêt. On le reconnait très bien à son écorce claire (avant exploitation) qui fait de gros bourrelets tout au long du tronc. Mais après exploitation, les troncs sont beaucoup plus lisses, moins volumineux et de couleur sombre.                                                                                                                                                     L’arbouse, grosse baie  à la peau rouge couverte de petites protubérances, qui pousse sur un arbuste l’arbousier. Ce fruit, fréquent en zone méditerranéenne, murit en novembre. Cela veut dire qu’en ce jour il y en a partout autour de moi. Sa chair est orange, de la consistance d’une purée ferme, elle s’écrase mollement en Provence à vélo novembre 2011 163.jpgbouche. Le goût de cette baie est doux et excellent. Je ne me prive pas de m’en gaver, ce qui me tiendra lieu de repas de midi. Parfois il me faut escalader des talus pour aller les récupérer.

Le châtaigner, véritable industrie de la région, fait la richesse des villages des environs. On y confectionne marrons glacés, glaces et autres produits dérivés de la farine de châtaigne.   Attention à ne pas s’arrêter n’importe où pour cueillir ce fruit, car les propriétaires des arbres ne seraient pas forcément d’accord. D’ailleurs ils le précisent par des panneaux et entourent leurs châtaigniers de barrières.                                                                                                                                                                   Les champignons, sanguins et cèpes sont très prisés dans le coin. Je vois bien quelques chercheurs, mais manifestement ce n’est pas miraculeux. Soit-disant qu’il aurait trop plu ?  

On n’a pas le temps de s’ennuyer le long de cette petite route, de laquelle par places on peut voir la mer. Je passe le col  de Taillude à plus de 400 mètres. J’entame la descente sur Collobrières, capitale de la châtaigne, dont la fête attire beaucoup de monde. Avant d’y pénétrer, à une centaine de mètres des premières maisons, un cycliste, sans doute un ouvrier agricole arrive à ma rencontre. Au moment où il me croise il me lance d’un ton enjoué «  va-y p’tit gars ! C’est bientôt ! ». Nous sourions tous les deux. En cette fin novembre le village est froid et presque désert. Les feuilles mortes balaient les ruelles mouillées du bourg. On sent que l’hiver est en marche pour venir s’installer. Je poursuis ma route jusqu’à Provence à vélo novembre 2011 164.jpgPierrefeu-du-Var, à la bordure ouest du massif des Maures. Je donne donc mes derniers coups de pédale dans ce joli petit massif si caractéristique de Provence.     

Je cherche un hôtel à Cuers, mais sans succès. Je descends en direction de Toulon et en trouve enfin un en périphérie de Solliès-Pont. Il draine une clientèle de gens qui viennent travailler dans la région, donc rien de très bucolique.  Mais si le temps devait se dégrader demain et virer à la pluie, je pourrais rapidement rejoindre la gare d’Hyères ou de Toulon, ce qui est un atout appréciable. En effet, les pluies de novembre ne sont généralement pas très agréables à vélo.  

  Sixième jour : Solliès-Pont Cassis par la Sainte-Baume 85 km

Ce matin, contrairement aux prévisions météorologiques, le temps est beau et le dernier bulletin semble infirmer celui de la veille. Donc pas de fuite vers Toulon, mais je vais reprendre mon itinéraire en direction de la Sainte Baume. Je quitte l’hôtel par une toute petite route, qui à travers bosses et creux me conduit    par des raccourcis sur la route de Belgentier. Mon corps a pris l’habitude des efforts journaliers intenses, et je me sens une forme olympique. Sur un bon rythme je me lance dans une longue côte à la pente modérée. La route est passante, mais heureusement souvent la bande latérale pour cycliste rend  l’exercice plus agréable. Les villages défilent, Méounes, la Roquebrussanne. Dans les environs de ce dernier j’observe un hélicoptère de combat Tigre à l’entraînement. Il fait de longues  stations sans mouvement, peut-être les pilotes s’entraînent-ils à maîtriser leurs systèmes d’armement toujours plus perfectionnés, donc nécessitant d’autant plus d’apprentissage ?

Je quitte  la route à fort trafic et me dirige par un itinéraire presque désert vers le village de Mazaugues. Les côtes se font plus sévères. Une grande descente et me Provence à vélo novembre 2011 175.jpgvoilà dans ce   joli village. Une épicerie, qui outre la vente de quelques ingrédients, tient lieu de café. Je m’installe près du chauffage électrique, car il fait froid et je suis mouillé de transpiration. Je regarde les clients défiler et écoute l’épicière me raconter la vie du village. Le nom Mazaugues vient de masse d’eau, raison pour laquelle la sécheresse ne sévit généralement  pas en ces lieux. Il parait qu’on y trouve même des champignons en été ! Je passe un bon moment, et alors que je démarre une cycliste du coin entame la discussion et me parle de ses désirs de grands voyages à vélos, pour le moment bridés du fait de sa situation de mère de famille d’enfants terribles. Elle se contente de sorties à la journée avec son club, ce qui est déjà bien dans cette région très accidentée. Je lui raconte ce récit d’un homme qui à 73 ans a fait seul  le tour du Maroc à vélo. Donc pas de panique, elle a encore trente ou quarante ans pour réaliser ses rêves les plus fous !

On me prévient que ça va monter dur pour rejoindre le versant nord de la Sainte Baume. En effet, sur huit kilomètres la pente moyenne est soutenue, mais le paysage est merveilleux. Là aussi de l’eau  ruisselle de toutes parts. Je passe devant l’une de ces fameuses glacières, qui servaient à alimenter la ville de Provence à vélo novembre 2011 177.jpgMarseille en glace tout au long de l’année. Ce versant nord de la Sainte  Baume est très froid, et cette caractéristique a été exploitée aux siècles précédents pour produire de la glace. De grandes constructions cylindriques bien protégées au nord et semi-enterrées recevaient en fin d’automne de grandes quantités d’eau qui gelait durant l’hiver et que l’on gardait au frais durant des mois, jusqu’à l’hiver suivant. On en débitait des pains de glace que l’on livrait par charriots à la ville, et voilà comment dans les temps anciens on trouvait de la glace  en été pour mettre les poissons au frais à Marseille. Est-ce que à cette époque le pastis existait ? Si la réponse est négative, les glaçons devaient s’ennuyer !

Une fois la côte terminée, la longue crête de la Sainte Baume apparait et je distingue ses antennes caractéristiques.  Blottie au pied des falaises la magnifique forêt aux arbres millénaires se dévoile avec ses couleurs d’automne. Je m’arrête au monastère. J’y suis déjà venu à plusieurs reprises. J’y ai même dormi lors d’une grande traversée à pied. L’accueil y avait été de tout premier Provence à vélo novembre 2011 192.jpgplan par les Dominicains, tout particulières par les sœurs dans leurs longs vêtements immaculés. Elles affichent une sérénité qui est très communicative. À leur contact comme un rayonnement réconfortant  vous atteint. Ne pas hésiter à y faire halte pour la nuit. J’ai du mal à reprendre mon chemin, il est des lieux où souffle l’esprit.

Je suis bientôt au bout de mon périple. Je continue de longer cette magnifique montagne jusqu’au col de l’Espigoulier. Là-bas au nord une autre immense vague de calcaire blanc surgit, il s’agit de la Montagne Sainte-Victoire, haut lieu de Provence, que le peintre Sézanne a fait connaître mondialement. Une fois au col, toute la ville de Marseille s’étale à mes pieds, la côte méditerranéenne se dévoile des Calanques jusqu’à la Ciotat en passant par le célèbre cap Canaille, plus haute falaise maritime d’Europe. Au-dessus de moi, baignée de soleil, la face nord-ouest  de Bartagne, très réputée parmi les grimpeurs,  montre tous ses reliefs. Je me prends à repérer les Provence à vélo novembre 2011 211.jpgnombreuses escalades que j’y ai effectuées. Je me laisse entraîner dans une descente raide et sinueuse vers le village de Gémenos dans un cadre de toute beauté où foisonnent les falaises.

Encore quelques kilomètres de montée en direction du col de l’Ange et ensuite vers Roquefort-la-Bédoule. Dans cette dernière côte je fais la course avec deux cyclistes, certes plus très jeunes.  Puis, en six kilomètres de descente je rejoins la gare de Cassis, point final de mon périple de six jours dans ce pays farouche de Provence entre mer et montagne. J’ai éprouvé beaucoup de plaisir au cours de ces 570 kilomètres tout au long de ces massifs réputés et pourtant sauvages de France. Comme toujours, lorsqu’un beau projet arrive à sa conclusion, on se sent un peu orphelin d’un beau rêve devenu réalité. Il faut alors vite envisager le suivant pour ne pas laisser une vague sensation de vide vous envahir. Mon prochain périple commence à prendre forme dans mon esprit, mais c’est une autre histoire.

22/10/2011

La Route des Grandes Alpes à vélo septembre 2011

 

 

Route des Grandes Alpes

 

Je n’aurais jamais imaginé, il y a seulement quelques années, que je réaliserais à vélo cette route de Thonon-les-Bains à Nice en passant par les plus grands cols des Alpes. En effet, pour moi les routes des Alpes représentaient uniquement des chemins d’accès pour me rendre au départ des escalades que je projetais. Ces fonds de vallées, comme par exemple la Maurienne, encombrés d’usines plus ou moins en déréliction sont tristes et font penser à Zola et aux conditions ouvrières du XIX siècle. L’idée de séjourner dans ces endroits plus que le temps strictement nécessaire à un passage rapide en voiture, ne me serait jamais venue. La montagne pour moi reste synonyme d’air pur, d’absence de bruit, de gaz d’échappement, de béton ou de goudron, donc tout le contraire de ce que l’on rencontre fréquemment tout au long de cette route mythique. La montagne je me suis toujours imaginé que pour en apprécier toute la dimension il est nécessaire de la découvrir en solitaire loin des chemins battus.

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Fort de cet état d’esprit, comment peut-on en arriver à suivre ce ruban d’asphalte sur 666 kilomètres (ce qu’a indiqué mon compteur) ? Il n’y a pas si longtemps, j’aurais probablement déclaré, de façon tout à fait péremptoire, que ce projet était une ineptie contraire à ma philosophie, et que jamais oh ! grand jamais,  je ne me lancerais dans ce genre d’aventure ! Comme quoi, bien se mettre en mémoire la fameuse formule : ne jamais dire fontaine je ne boirai pas de ton eau. Oui, car ce 31 août 2011, je suis avec Evelyne au départ de ce fameux itinéraire, qui de plus fête ses cent ans.

Comment puis-je donc m’engager dans un projet, qui il n’y a pas si longtemps semblait si peu en concordance avec ma conception et mes aspirations en matière de voyage ?

Différents facteurs se sont liés, je dirais même ligués pour m’amener à un tel revirement. Tout d’abord, mes premières expériences à vélo, qui m’ont fait découvrir le fabuleux plaisir de l’effort sans fin le long de grandes montées, m’ont amené à ne penser qu’en termes d’effort, en quelque sorte déconnecté de l’environnement. Ensuite, des discussions avec des cyclotouristes, en particulier Jean mon acolyte de la traversée de l’Europe et des Andes. Cette route il l’a faite à plusieurs reprises, et il en parle avec passion et son regard s’illumine aux noms de Galibier, Iseran, Izoard,  la Bonnette etc. D’autre part, les fabuleuses images qui chaque année à l’occasion du tour de France reviennent durant presque un mois, m’ont aussi sans doute profondément influencé, jusqu’à vouloir imiter ces forçats de la petite reine. Il faut dire que les reportages présentés à cette occasion par les équipes embarquées à bord d’hélicoptères, sont d’une qualité et d’un esthétisme exceptionnels. Ils ne nous montrent pas seulement les Alpes, mais la France entière. On découvre les richesses architecturales et naturelles de ce pays incomparable qu’est la France ! Garde à vous on entonne la Marseillaise!iseran,galibier,izoard,vars,turini,colombière,aravis,saint martin,saisies,cormet de roselend,restefond

Ces facteurs, lentement, ont mûri dans mon esprit, pour finalement déclencher des envies et des émotions nouvelles, m’amenant à une vision des choses sous un angle différent,  d’où un basculement radical d’opinion. Et de plus, au moment de concrétiser ce projet, l’envie de partir vivre une aventure  orientée vers l’effort physique avec Evelyne, compagne de vélo sûre, toujours volontaire et de bonne humeur, n’a fait que précipiter le départ. Une fois que la décision fut prise, pas grand-chose à planifier, plus rien à faire que pédaler, car tout est bien balisé. Mais j’ai pris conscience que ce trajet à travers les Alpes que je connais bien, allait aussi sans doute représenter l’essentiel, la mémoire de mon père. En effet, il n’y a pas un massif que je n’ai fréquenté avec lui. Je savais qu’à chaque détour de la route ou du haut des cols je contemplerais des sommets que j’avais gravis en sa compagnie, ou dont il m’avait parlé avec passion. Et là, à partir de ce moment, ce dessein s’est inscrit en moi à la manière d’un pèlerinage à la quête de ce père  qui m’a ouvert à la vie et qui m’a insufflé ma plus grande passion, l’alpinisme.

Voilà comment je me retrouve au départ de cette route mythique, l’année de son centenaire. Concernant cette date anniversaire, il faut rester prudent. En effet, de nombreux événements significatifs sont révélés lorsqu’on se penche sur l’histoire de cet itinéraire des grands cols. Les travaux avaient commencé au XIX siècle. C’est en 1911 que les premiers voyages ont été organisés par la compagnie PCM (Compagnie des Chemins de Fer de Paris Lyon à la Méditerranée), bien que certains tronçons ne fussent pas totalement aménagés. J’imagine qu’à l’époque de ces premiers périples organisés, les privilégiés qui en profitèrent, firent un voyage époustouflant à travers des régions très peu médiatisées en ces temps, et que le décor qu’ils découvrirent du haut de l’Iseran ou du Galibier  les marqua durablement. En effet à notre époque, lorsque nous partons dans des contrées lointaines, nous avons déjà vu une multitude de photos ou de reportages, qui embellissent souvent la réalité, ce qui nous prépare à ce que nous allons découvrir. Au début du XX siècle, la publicité et autres représentations en images étaient moins développées, d’où probablement une émotion décuplée devant des paysages grandioses, dont on ne se faisait aucune idée quant à la splendeur et la grandeur.

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Tout évolue, donc cette route mythique s’est transformée en itinéraire touristique de masse, certes magnifique mais plus vraiment exotique. Il en est de même des grandes voies d’alpinisme.  Je pense tout particulièrement à la Meije, que l’on découvre du col du Galibier, et qui culmine presque à 4000 mètres. La première traversée des longues arêtes de ce sommet a été réalisée le 26 juillet 1883 par le grand guide de l’Oisans le Père Gaspard. Le sommet avait été atteint en 1877 par ce même guide accompagné d’un jeune alpiniste, Boileau de Castelnau. En cette fin du XIX siècle, cette entreprise passait pour un exploit d’exception, alors que de nos jours, sans minimiser l’engagement qu’elle implique, elle est classée tout simplement AD (assez difficile). C'est-à-dire qu’elle ne présente aucune difficulté technique d’escalade pour les virtuoses de notre époque, bien que l’enneigement puisse présenter un danger redoutable.

Voilà en quelques mille mots les pensées qui m’habitent au départ de cette chevauchée de cols en cols, du Léman à la mer, tout au long des 666 kilomètres et des 15000 mètres de dénivelé qui nous attendent.

 

Premier Jour : Thonon-les-Bains  Cluses 60 km

Un peu avant midi le train nous dépose en gare de Thonon-les-Bains. Les TER Bombardier sont vraiment pratiques pour les cyclistes. En effet, en plus de permettre une vue panoramique au voyageur, ils offrent toutes les commodités pour les vélos. Pas de marches exigües et très raides à franchir en effectuant des efforts surhumains. On pénètre  du quai dans le wagon en faisant rouler sa bicyclette sans changement de niveau. Ensuite, il suffit de l’accrocher dans le coin prévu à cet effet, et inutile de décrocher les sacoches et autres bagages. Oui, je fais de la publicité pour la SNCF !

Pour cet après-midi, nous avons l’intention de rejoindre les Gets, à peu près quarante kilomètres. Ce qui pour une étape de la demi-journée devrait constituer une mise en jambe en douceur. Cependant sur notre carte nous éprouvons des difficultés à évaluer le dénivelé, la montée sera-t-elle longue et le pourcentage élevé ?  Nous verrons bien.

Donc sans idée précise de ce iseran,galibier,izoard,vars,turini,colombière,aravis,saint martin,saisies,cormet de roselend,restefondqui nous attend, nous quittons cette jolie ville de Thonon et nous engageons dans les gorges de la Dranse. Le temps est au beau, la température idéale pour pédaler et la circulation peu importante. Ce début de voyage sur une route à peine montante est très agréable. La rivière nous offre des points de vue superbes, bouillonnements d’eau au milieu desquels de gros cailloux mettent en exergue l’écoulement de l’onde, toute en courbes frangées d’écume, du plus bel effet.

Les Gets sont rapidement atteints, et sans difficulté notre vitesse moyenne frise les 20 km/h. Evelyne trouve que comme d’habitude je pars trop vite, mais je ne sais pas rouler doucement. Il faut toujours que je sois presque au maximum de mes possibilités. Je prends un peu d’avance, car je sais que les jours suivants dans les grandes pentes, alors que je donnerai le maximum, elle sera loin devant.

Après un pique-nique frugal à base de charcuterie, nous nous attablons à un bar en bordure de route, pour le café rituel que nous ne manquons jamais de boire en début d’après-midi. On prendrait presque des habitudes de vieux couple, en effet cela fait déjà cinq voyages à vélo que nous effectuons ensemble, Evelyne et moi. Je commande un expresso et elle sa traditionnelle noisette allongée. Un couple de cyclistes allemands s’arrête, nous les invitons à notre table et échangeons nos expériences de pédaleurs. La discussion passe des cols de la région à la magnifique descente du Danube, et de là, à la piste cyclable de l’Elbe, région sauvage et préservée. Ces rencontres au hasard des déplacements, au détour d’une pause café, font partie intégrante du voyage à vélo. Nous nous sentons bien avec nos interlocuteurs, mais le temps file. Malgré le grand plaisir de l’échange, nous prenons congé et continuons notre route. Le voyage c’est aussi une succession de rencontres et de séparations.

La petite ville de Taninges est vite atteinte. L’après-midi n’est pas très avancé, et nous poussons jusqu’à Cluses, qui n’est distante que d’une dizaine de kilomètres. Après une côte de deux ou trois kilomètres, nous arrivons à un point haut, d’où la vue porte sur la vallée située au sud. Cluses s’étale à nos pieds et nous n’avons qu’à nous laisser entraîner par la gravité à vive allure  pour rejoindre l’hôtel de la gare qui nous fournira le gîte et  le couvert pour notre première nuit. Cet hôtel de la gare, je le connais bien. En effet, il nous sert de point de chute habituel lorsque nous venons grimper dans la région.

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Cluses, comme toutes ces villes de fond de vallée est enserrée entre des montagnes aux pans abrupts qui donnent au lieu un air austère, et cela d’autant plus le soir lorsque les rayons du soleil restent là-haut accrochés sur les crêtes et ne nous gratifient plus de leur douce chaleur.  

 

Deuxième Jour : Cluses  Beaufort 95 km

La nuit a été chahutée. Un orage violent a sévi de 1h à 3h du matin. De grandes quantités d’eau sont tombées. Le tonnerre et les éclairs nous ont gratifiés d’un spectacle sonore et lumineux de premier plan. On ne peut s’empêcher de penser que si le temps devait être mauvais, notre projet de traversée des Alpes serait radicalement compromis. A vélo les conditions météorologiques constituent un facteur déterminant, qui conditionne la réussite de l’entreprise. On garde constamment à l’esprit que nous sommes et restons soumis aux aléas du temps et aux coups de colère de la terre. On abandonne notre condition d’hommes appartenant à une civilisation qui ne regardent plus la planète, sûrs que la technologie nous permettra de passer outre les intempéries. Se soumettre à la merci des éléments nous remet à notre place d’êtres, vivant aux rythmes de la nature. Cela à mon avis donne un vrai sens au voyage et lui rend toute sa profondeur. J’imagine l’alpiniste qui scrute au matin l’état du ciel et les conditions de la paroi, le marin qui écoute le bulletin météorologique dans l’attente d’un éventuel avis de tempête, l’explorateur du pôle évaluant la violence du vent et le danger des basses  températures.

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Après un petit déjeuner copieux, nous équipons nos vélos et nous quittons la ville par de petites rues peu passantes et encore ruisselantes des fortes pluies de la nuit. Le pied du col de la Colombière est rapidement atteint. Il va constituer le premier gros « morceau » de notre étape, 1128 mètres de dénivelé pour 20 kilomètres. Tout commence dans les meilleures conditions. Nous montons dans une belle forêt encore toute humide qui nous distille sa fraîcheur, sur une route où le trafic est quasiment absent. Le village du Reposoir est dépassé et nous discernons sa jolie chartreuse fondée au XII siècle. Cependant, nous ne prenons pas le temps de nous y arrêter sachant que notre étape du jour sera longue et difficile, trois cols au programme. Cela me fait dire que le voyage à vélo n’est pas toujours le meilleur moyen de visiter. En effet, ce mode de déplacement lent, n’autorise pas souvent les arrêts pour satisfaire sa curiosité, car cela risquerait de compromettre l’objectif de la journée. On reste  tendu sous la contrainte horaire, dans l’espoir d’arriver au terme de notre étape dans des délais horaires convenables. La recherche d’un hébergement selon les endroits n’étant pas toujours acquise, cela ne fait que renforcer notre volonté de ne pas arriver trop tard. Tout là-bas, nous discernons enfin le col, mais nous n’avons pas l’impression d’avancer. Une rampe immense à l’inclinaison importante nous force à des vitesses lentes. Evelyne prend de l’avance et je me traîne à six ou sept à l’heure. Enfin, je rejoins ce col que je convoite depuis un bon moment. Il est plus de 11 heures. Avec Evelyne nous nous regardons et restons quelque peu dubitatifs. Nous n’avons fait qu’une vingtaine de kilomètres et il nous reste deux cols à gravir pour une étape d’une centaine de kilomètres jusqu’à Beaufort. Aurions-nous présumé de nos forces ? Nous ne sommes pas loin de le penser.

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 Mais je me souviens de certaines expériences, où tout démarrait mal ou trop lentement et comme par miracle au cours de la journée tout rentrait dans l’ordre et l’objectif était atteint contre toute attente. Donc, continuons et nous verrons bien. Avant de partir, un dernier coup d’œil me rappelle des expériences d’escalade sur les parois qui nous environnent. Sur ces falaises au-dessus de nous il y a quelques années j’ai reçu une pierre qui m’a entaillé l’arcade sourcilière. J’étais  descendu au grand Bornand où l’on m’avait posé  quelques points de suture. Surprise lorsque je vois le médecin, le portrait craché du ministre Barnier. Il s’agissait de son frère. Et puis aussi je pense à l’imposante Pointe Percée qui s’élançait derrière le village du Reposoir et barrait de sa masse imposante une vallée secondaire. Je l’avais gravie il y a quelques années. Elle présente une magnifique arête ouest de  450 mètres à l’escalade agréable et de difficulté raisonnable. Mais le jour de notre ascension l’automne était bien avancé et le haut de la paroi était en partie couvert de glace. Cependant la fine pellicule de verglas avait eu le bon goût de laisser quelques grattons bien placés, sur lesquels nous pouvions poser nos chaussons d’escalade. Cela nous a cependant procuré quelques émotions.

 

Il me faut arrêter de rêver sur les escalades du coin, car notre chemin est encore long et accidenté pour arriver à Beaufort. Tout d’abord une belle descente, dans un cadre magnifique de hautes parois calcaires blanches au pied desquelles de grandes prairies à l’herbe grasse et sombre, nous permet de faire remonter notre moyenne. Dans ces moments, inexorablement le moral remonte aussi. Nous atteignons la superbe station du Grand Bornand, où nous faisons quelques emplettes pour notre repas de midi. L’architecture est magnifique, de vastes chalets au bois sculpté et vernis, aux façades couvertes de fleurs multicolores parsèment les flancs de la vallée. Nous  profitons de cette halte pour admirer la mairie superbement fleurie.

iseran,galibier,izoard,vars,turini,colombière,aravis,saint martin,saisies,cormet de roselend,restefondRapidement, par une route au trafic dense, nous atteignons la Clusaz au pied du col des Aravis. Ce deuxième col, à la montée courte, sera vite grimpé. La foule des visiteurs est importante. Je contemple les falaises qui dominent ce lieu et me souviens y être venu faire de l’escalade il y bien une trentaine d’années. Mon Dieu que le temps passe vite !

La descente nous conduisant au pied du col des Saisies me semble infinie. Cela nous laisse envisager une dernière montée longue. En effet, elle se développe sur 17 kilomètres, mais nous ne souffrirons pas trop, car certains d’atteindre notre but de la journée. Comme quoi le moral est primordial et les jambes suivent presque toujours. Cela me rappelle l’une de mes connaissances et maître à penser, athlète hors normes qui a parcouru la terre entière à pied, en particulier les déserts les plus hostiles. Lors de sa traversée de l’Australie en courant, il s’était fixé des étapes journalières de cent kilomètres. Généralement il avait un coup au moral et donc de fatigue vers les 70 kilomètres. Il mobilisait sa volonté et surmontait à chaque fois sa faiblesse journalière. En me narrant cette expérience il me dit que s’il s’était fixé des étapes non de 100 kilomètres mais de 130, son passage à vide il l’aurait eu vers 100 et non à 70 kilomètres. Cette anecdote prouve bien toute l’importance de l’esprit et du mental dans de grands projets. Mais je ne vais pas comparer notre balade de 10 jours dans les Alpes à la traversée de l’Australie en courant ! Cependant, il ne faut pas la minimiser. Ayant traversé une bonne partie des Andes à vélo l’année dernière en passant de très nombreux cols au-dessus des 4000 mètres, je pensais me balader dans les Alpes. Je constate que ce n’est pas tout à fait le cas !

Revenons à la montée du col des Saisies et ses 17 kilomètres. Nous l’atteignons donc sans grande difficulté, du fait de la remontée en flèche de notre moral, et notre regard plonge enfin vers le magnifique village de Beaufort qui se blottit tout en bas dans la vallée au pied du premier gros obstacle de notre étape du lendemain, le Cormet de Roselend et ses 1200 mètres de dénivelé. Drôle de nom tout de même pour un col, dont j’ignore l’origine. Mais il représente un grand intérêt, le tour de France y est passé à dix reprises.

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Une immense descente nous conduit à Beaufort. Enfin nous y sommes vers les 18 heures. Nous aurons cumulé aujourd’hui plus de 2400 mètres de dénivelé. Une fois au centre du bourg, nous constatons qu’Il y a manifestement encore beaucoup de monde en vacances en ce tout début septembre. Nous trouvons un hébergement dans l’hôtel du Grand Mont, tout heureux d’obtenir une chambre. De nombreux motards, surtout des Allemands y sont déjà installés.

Le nom de cet hôtel me rappelle mes débuts à ski de randonnée avec mon père alors que j’avais 12 ans, car le Grand Mont d’Arêches a été la première montagne que j’ai gravie skis aux pieds. Cette première expérience m’a enthousiasmé et de nombreuses autres sorties à peaux de phoque ont suivi. Ce sport représente à mes yeux, l’un des plus enivrants. En effet, pouvoir escalader de grandes montagnes enneigées fréquemment sans aucune trace, puis se lancer dans des descentes  souvent raides où l’on se laisse guider à l’inspiration sur cet immense tapis blanc et vierge, représente une des plus belles communions que l’on puisse ressentir avec la nature. Outre la joie de ces descentes en neige vierge, le plaisir de l’effort à la montée, parfois durant de longues heures, les fonds de vallées s’éloignant, alors que l’on se rapproche de la cime des sommets environnants et que parfois on les dépasse, eux qui semblaient si hauts, si loin presque inatteignables, oui ce plaisir contribue à faire de cette activité montagnarde l’une des plus belles. Cet effort, qui s’inscrit dans la durée permet de ressentir son corps vivre. Cependant elle est particulièrement dangereuse, plus que l’escalade extrême. Le rocher est un matériau solide, la neige par contre est une substance fluide. Le risque d’avalanche est souvent présent avec tous les dangers que cela représente.  L’expérience ne suffit pas toujours à se prémunir de ce danger de la mort blanche, et cela d’autant moins, que souvent des neiges poudreuses instables sont fabuleuses à skier ! Voilà je suis en plein dans mon voyage à vélo sur la piste de mon passé montagnard avec mon père. Le plus étonnant, cette première randonnée à ski, dont je me souviens avec précision, j’aurais eu de la difficulté à en situer  le lieu sur une carte et tout naturellement le nom de cet hôtel me permet de la positionner avec précision. Cela fait quand même quarante six ans !

 

Troisième jour : Beaufort Val d’Isère  77km

Après une soirée gastronomique et une nuit paisible, nous sommes à même d’attaquer les vingt kilomètres qui nous conduiront au Cormet de Roselend. Alors que nous sortons de l’hôtel et préparons nos vélos, un couple d’Américains en fait de même. Ils se sont aussi lancés  dans la traversée des Alpes, leur point de départ étant Genève. Après avoir fait quelques achats nous nous lançons dans la montée. Au début la route serpente le long d’un versant boisé. Nous gagnons rapidement de l’altitude et la vallée à nos pieds apparaît de plus en plus encaissée. Avec cette prise d’altitude rapide la perspective s’élargit et des iseran,galibier,izoard,vars,turini,colombière,aravis,saint martin,saisies,cormet de roselend,restefondsommets émergent, ce qui procure un vif plaisir. A l’arrivée sur le lac de Roselend, nous retrouvons le couple d’Américains. Tandis qu’ils continuent, nous nous arrêtons boire un café. De la terrasse, à laquelle nous sommes assis, nous surplombons le lac à la surface calme, sans une ride. La couleur de l’eau est presque irréelle, vert émeraude. De loin en loin, je distingue les ronds faits à la surface par les poissons, sans doute des truites, qui viennent pointer leur museau. Je resterais des heures à contempler ce spectacle. Comme quoi, contrairement à ce que je pensais, pas la peine de marcher des heures loin de toute présence humaine pour pouvoir s’absorber dans des spectacles de toute beauté. Mais il n’est pas question de trop s’attarder, car nous n’avons pas encore atteint notre premier col, et le plat de résistance nous attend dans l’après-midi.

Il nous reste exactement 363 mètres de dénivelé pour atteindre le Cormet. La forêt a disparu, cédant la place aux alpages d’altitude, à l’herbe rase et claire. Nous commençons par descendre légèrement. Dans les grandes montées on appréhende toujours le fait de descendre, car cela implique qu’il va falloir reprendre l’altitude perdue. On a un peu l’impression de monter deux fois. Mais cette redescente est de faible ampleur, elle nous permet cependant de parcourir un kilomètre à vive allure avant de reprendre notre vitesse d’escargot inférieure à dix à l’heure. Nous marquons une courte pause afin d’admirer la pittoresque église des Lanches, sur laquelle se dresse un joli clocher à deux cloches. Après un verrou aux lacets raides, le Mont Blanc se dévoile dans toute sa splendeur, sous un angle inhabituel. Nous laissons sur notre gauche le petit refuge  du Plan de la Lai. Il me rappelle ma traversée de Chamonix à Nice à pied par le GR5, ce fut aussi une belle aventure. Je m’étais arrêté au refuge après un bivouac merveilleux  vers le col du Bonhomme, et avais engouffré cafés et coca-cola avant de reprendre ma marche en direction de la vallée de la Tarentaise. Aujourd’hui encore nous allons rejoindre cette vallée de la Tarentaise, mais par la route. Le cyclotourisme est à mon sens plus facile que la randonnée à pied au long cours. En effet, le mouvement uniforme qu’imprime le vélo est moins traumatisant que celui plus chaotique qu’engendre la marche et la répétition des chocs occasionnés par les semelles de chaussure qui frappent à chaque instant le sol.

iseran,galibier,izoard,vars,turini,colombière,aravis,saint martin,saisies,cormet de roselend,restefondEncore quelques kilomètres de route à l’inclinaison modérée à travers de grands espaces et nous atteignons le Cormet de Roselend, l’un des passages clef de notre itinéraire. De nombreuses personnes s’y pressent, montées en voiture ou à moto. Il y a aussi deux cyclistes allemands qui attendent leur camarade un peu moins rapide. Ils effectuent un périple à vélo depuis Albertville. Ils sont plus courageux que nous, car ils campent. Ils nous racontent leur nuit d’avant-hier sous des trombes d’eau. Nous n’éprouvons aucune honte de chercher tous les soirs un toit en dur, en nous souvenant de l’orage que nous avons subi à Cluses. Nous cédons avec plaisir au rite de la photo sous le panneau mentionnant le nom du col et son altitude. Il ne fait pas très chaud à près de deux mille mètres d’altitude et nous nous lançons dans une descente de vingt kilomètres. Comme d’habitude, les rôles sont inversés je disparais dans le lointain, alors qu’à la montée c’est Evelyne qui s’envole.

Que de plaisir dans ces grandes descentes sur ces routes aériennes, où le panorama s’hérisse de pics et de parois jusqu’à l’infini. Mon  ravissement oscille entre recherche de vitesse et spectacle de la montagne. Mais ces deux activités ne font pas la paire. Il ne faut pas grand-chose pour déstabiliser un vélo, et une chute à grande vitesse sur ces routes escarpées signifierait dans le meilleur des cas l’abandon de notre projet avant son terme.

Vers les treize heures nous atteignons Bourg-Saint-Maurice. Les fonds de vallée ne sont pas très agréables, froids le matin et accablés de chaleur vers la mi-journée, comme c’est le cas aujourd’hui. La circulation sur l’axe qui monte vers Val d’Isère est intense. Nous faisons quelques achats dans un supermarché, afin de nous sustenter en vue d’attaquer la grande rampe qui va nous conduire vers le barrage de Tignes. Cette partie de l’itinéraire, nous la redoutons quelque peu, car tout le monde nous en a décrit l’inintérêt et le danger, en particulier à cause des tunnels peu éclairés. A ce sujet, je me souviens de mes expériences à moto lorsque j’avais moins de vingt ans. Je faisais partie de ces privilégiés dont le père passait toutes les envies. De ce fait dès mes seize ans je me suis retrouvé à chevaucher l’un des bolides les plus rapides de l’époque, une T500 Suzuki. Eh oui à l’époque le permis moto toutes catégories était fixé à 16 ans. Ce qui indéniablement était une erreur, mais voilà cela m’a permis de connaître mes premiers accidents très jeune, et plus tristement de voir mourir un certain nombre de camarades. Dans les années 70  de grosses concentrations de motos avaient lieu, et l’une des plus célèbres se déroulait à Val d’Isère aux environs du 14 juillet. Nous convergions par milliers en roulant comme des fous. Bien souvent des motards arrivant comme des bolides à l’entrée des tunnels pas éclairés et mal pavés, perdaient toutes références et percutaient les parois et dans le meilleur des cas sortaient à pied. Je me souviens avoir vu des gendarmes à l’entrée de ces fameux tunnels  debout au milieu de la chaussée faisant de grands  gestes pour obliger tous ces fous à ralentir, afin de leur éviter d’aller s’écraser un peu plus loin dans le noir. C’était une autre époque. Mais l’idée de m’enfoncer aujourd’hui dans ces tunnels à vélo m’inquiète un peu. Cependant contre toute attente, je vais les trouver sûrs, bien éclairés, voire ajourés et au goudron sans reproche. Ils n’ont plus rien à voir avec ceux que j’ai connus dans les années 70.

iseran,galibier,izoard,vars,turini,colombière,aravis,saint martin,saisies,cormet de roselend,restefondFort de ces souvenirs vieux d’une quarantaine d’années, dans la chaleur de l’après-midi nous attaquons ces vingt cinq kilomètres qui nous mèneront au lac de Tignes. La circulation est intense, voitures, motos et camions. Mais pourquoi ces derniers sont-ils aussi nombreux? Peut-être des travaux importants à effectuer avant que la saison de ski  ne commence?

Cette longue rampe est cependant assez ennuyeuse comme on nous l’avait prédit. Nous ne voyons pas les montagnes au-dessus. Nous sommes enserrés dans cette vallée, comme prisonniers des flancs abrupts et des arbres. Le temps finit par nous sembler long dans la chaleur et le bruit. Enfin, nous voyons apparaître le barrage. Nous l’atteignons et cherchons un logement à Tignes le Lac, mais sans succès. Nous nous dirigeons donc vers Val d’Isère, et là à l’entrée de la station en bout de lac nous trouvons un hôtel qui nous hébergera. La vue y est magnifique sur le plan d’eau.

 

Quatrième jour : Val d’Isère Modane 82 km

Ce jour nous nous réveillons en ayant à l’esprit que nous allons gravir le plus haut col d’Europe à 2770 mètres. Une certaine émulation nous anime. Depuis Bourg-Saint-Maurice jusqu’au col la carte indique cinquante kilomètres, cela correspond à un kilométrage que l’on rencontre dans les côtes des Andes au Pérou. Hier nous en avons effectué plus de la moitié, aujourd’hui l’effort ne devrait pas être trop long et difficile. Nous traversons Val d’Isère, station de sport d’hiver très étendue qui dans ce matin du mois de septembre est presque déserte.

Après avoir quitté la station de ski, nous roulons jusqu’au fond d’un vallon avant d’attaquer le haut pan de montagne qui nous conduit au col. L’extrémité de cette combe me rappelle de nombreuses randonnées à pied ou à ski, entre autre la pointe de la Galise ou la Tsanteleina, magnifique sommet qui culmine à plus de 3600 mètres. Je me souviens l’avoir gravie par sa face nord avec des chasseurs alpins. Le chef du détachement, le colonel commandant le régiment du coin, n’était pas un rigolo, dès que nous parlions entre nous il nous faisait des remarques. Nous, jeunes élèves officiers de l’armée de l’air nous avions du mal à réfréner notre fou rire. Heureusement de nuit il ne lui pouvait pas voir que nous riions comme des bossus tout en silence. Mais cette course glaciaire d’inclinaison modérée fut très agréable. Une fois au sommet, le colonel des chasseurs alpins s’était radouci, ayant constaté que nous n’étions pas plus mauvais qu’eux. En effet, au milieu du couloir qui conduisait à la cime, l’un d’entre nous avait pris la tête des cordées, traçant dans une neige profonde, et avait accompli ce labeur jusqu’au sommet.

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Il y a de nombreuses années que je ne suis pas revenu dans ce coin en été. Que les glaciers ont rétréci depuis cette lointaine époque, pour laisser la place à des champs de caillasses. Cette montée de l’Iseran à vélo est raide, mais heureusement la température est idéale. Les derniers kilomètres sont traîtres, car sous des apparences faciles ils flirtent avec les dix pour cent. Enfin nous y sommes. Nous arrivons à l’un de ces points clefs de la célèbre route des Grandes Alpes. L’affluence y est nombreuse, beaucoup de motards allemands. L’un d’entre eux nous prend en photo au pied du panneau du col qui affiche 2770 mètres. Un automobiliste sans carte me demande quelques renseignements et il est tout heureux que je lui prête la mienne, afin qu’il décide de son itinéraire de retour. Nous sommes bien avancés dans notre voyage, et avons vraiment la sensation d’être au cœur du sujet. Le temps semble se voiler. Il a tenu jusqu’à présent. Je ne me serais pas vu passer l’Iseran dans le mauvais temps. Heureusement nous y échappons pour le moment, mais cela risque de ne pas durer.

Nous profitons cependant du spectacle. A l’est je reconnais des sommets que j’ai gravis, entre autres la Lévana Occidentale, l’Albaron et puis un sommet que j’ai toujours voulu grimper le Charbonnel. En un déroulé du panorama, de nombreuses années de ma vie défilent. Je me souviens d’une montée au refuge de la Lévana avec mon père par mauvais temps. Nous nous étions perdus dans la nuit, et la neige tombait à gros flocons. Il avait fait une chute dans un trou, et je l’avais aidé à sortir en lui prenant son matériel. Vu mon jeune âge j’avais été impressionné, mais sans doute n’avions nous cherché notre chemin que quelques minutes  et le trou n’était pas très gros.

Nous reprenons notre route à vélo et nous lançons dans la descente sur Bonneval-sur-Arc. Ce versant de l’Iseran est splendide et austère, de grandes pentes raides à l’herbe rase. Je prends un immense plaisir à iseran,galibier,izoard,vars,turini,colombière,aravis,saint martin,saisies,cormet de roselend,restefondfoncer, je double même des voitures. Je n’aurais jamais imaginé que le vélo puisse susciter un tel plaisir, d’une part dans l’effort à la montée et d’autre part dans la griserie de la vitesse à la descente. Mais attention, un vélo, surtout avec des sacoches, ce n’est pas une moto et l’adhérence des pneus de faible section reste limitée, donc prudence. De plus le temps de réaction des freins est particulièrement lent, l’ensemble de l’équipage pèse plus de cent kilogrammes. Je suis toujours étonné que les patins en caoutchouc tiennent le coup sur ces longues distances. En effet, sur cette traversée des Alpes, nous effectuons plusieurs centaines de kilomètres en descente, ce qui sollicite fortement les freins. Evelyne, dans l’avant dernière étape, aura quelques ennuis de ce côté, mais un réparateur de vélo en Vésubie y mettra bon ordre.

Une fois à Bonneval, la route continue à descendre mais la pente est plus douce. Nous nous trouvons au fond  de la très longue vallée de la Maurienne, que nous allons suivre jusqu’à Saint-Jean-de-Maurienne. Le temps se couvre de plus en plus. Un vent fort se lève mais ne nous gêne pas trop. Nous sommes déjà contents d’avoir passé l’Iseran sans pluie. Vers treize heures un restaurant à Lanslebourg est le bienvenu. Au moment de le quitter nous devons nous faire violence, car le temps se dégrade rapidement. Nous décidons de pousser au moins jusqu’à Modane. Que cette vallée est austère lorsque le mauvais temps s’y iseran,galibier,izoard,vars,turini,colombière,aravis,saint martin,saisies,cormet de roselend,restefondinstalle. Les pompiers nous doublent. Nous les rejoignons quelques kilomètres plus loin. Ils interviennent sur un accident dans lequel est impliqué un cyclotouriste. Il n’a pas l’air trop atteint. Cela nous rappelle qu’avec nos vélos nous sommes très vulnérables. La pluie arrive. Très vite il tombe des trombes. Une véritable pellicule d’eau recouvre la route. Il fait sombre, dans ces conditions on réalise que le cycliste est en posture précaire. La route descend et nous avons tendance à accélérer pour abréger cette situation désagréable d’être soumis à de fortes intempéries sur une route passante. La ville de Modane apparaît. Qu’elle est triste par ce temps! Son immense gare en plein centre donne un aspect lugubre au coin. Nous trouvons rapidement un hôtel sympathique et nous y installons et commençons par prendre une bonne douche et nous changer. Nous irons ensuite flâner au centre ville. Une librairie bien achalandée nous permet de passer un moment agréable.

Nous espérons que le temps demain s’améliorera. En effet, un gros « morceau » nous attend, le Télégraphe et le Galibier. Ce dernier col, il n’est pas question de le passer par mauvais temps, car on louperait l’un des plus beaux spectacles de montagne, lorsqu’on découvre l’Oisans qui se développe au sud avec ses fantastiques montagnes que sont la Meije, les Ecrins, le Râteau et bien d’autres. Nous verrons bien au lever demain matin. Cette incertitude liée aux conditions météorologiques fait partie intégrante du voyage à vélo. C’est l’un des éléments qui nous donnent l’impression d’être très loin. Dans notre monde sophistiqué aux moyens de déplacement multiples et souvent très rapides, la planète perd ses dimensions, et le voyage à vélo ou à pied les lui rend. On a l’impression d’être des explorateurs lorsqu’on ressent cette sensation de loin et cette envie d’engagement. J’en conviens, cela est très relatif, car il s’agit de l’exploration d’une route goudronnée et de plus la gare est devant nous et en quelques heures nous pouvons être à Lyon !

 

Cinquième jour : Modane Valloire 35 km

Au matin le temps ne semble pas terrible, bien qu’il ne pleuve pas. Nous voyons cette ville sous son mauvais jour. Je me souviens y avoir campé lors d’une traversée des Alpes à pied. Toute la nuit il avait plu et je m’étais réveillé dans une mare ! Aujourd’hui nous n’en sommes pas là, mais le mauvais temps me fait plus peur à vélo qu’à pied, bien que la marche sous des trombes d’eau ne soit pas particulièrement agréable. Mais sur les chemins on n’est pas à la merci des dangers de la route.

Nous enfourchons nos montures par un temps bas, lugubre et humide. L’Arc charrie des tonnes d’alluvions dans ses eaux boueuses, qui semblent épaisses un peu à la manière d’une pâte liquide. Jusqu’à Saint-Michel-de-Maurienne la route descend et nous effectuons cette première partie d’étape à vive allure. Une fois Saint Michel atteint, le col du Télégraphe déroule devant nous ses grands virages qui partent à l’assaut de la montagne. Quelle n’est pas notre surprise de nous trouver au milieu d’une foule de vélos ! En effet, 2500 Belges se sont donné rendez-vous dans le cadre d’une manifestation à but caritatif pour la recherche médicale. Nous commençons à nous faire du souci, car avec tous ces cyclistes allons-nous iseran,galibier,izoard,vars,turini,colombière,aravis,saint martin,saisies,cormet de roselend,restefondtrouver un hôtel à Valloire?  D’autant plus que le temps se dégrade et la pluie fait son apparition. Cette montée fait une dizaine de kilomètres, 11,8 exactement, pour un dénivelé de 856 mètres, une pente moyenne de 7,3% et une pente maximale de 9,7%. Il culmine à 1566 mètres. Voilà, je vous ai tout dit. La pluie s’accélère, nous faisons néanmoins la halte traditionnelle au col pour la fameuse photo sous le panneau indicateur. Nous engageons la conversation avec quelques cyclistes. Ils sont venus de Belgique pour trois jours seulement le temps de gravir ces deux cols mythiques le Télégraphe et le Galibier. Ils nous apprennent que le gros de la foule est passé hier, ce qui nous laisse quelques chances de logement. C’est trempés que nous arrivons à Valloire. Il n’est pas question d’envisager de passer le Galibier par ce temps. Nous nous mettons à la recherche d’une chambre, que nous finirons par trouver. Ouf! Par ce temps il n’était pas question de rester dehors sans matériel de camping.

Il n’est que midi, cet après-midi de repos sera le bienvenu. La montée des deux cols dans la foulée doit être difficile avec nos vélos chargés. Dans le fond la pluie est presque une bénédiction, qui nous enlève toute culpabilité de céder à la facilité d’une étape courte. Le soir nous aurons quelques difficultés à trouver un restaurant qui nous accepte, car les hordes des jours précédents ont tout dévalisé, et la station attendait la fin de cet événement pour fermer ce soir, donc ils n’ont plus rien à proposer à manger!  Cette recherche nous la faisons sous de véritables trombes et une fois de plus nous finissons par trouver. Il était temps car nous sommes trempés jusqu’aux os. La soirée sera très agréable avec une bande de Belges qui se sont attardés un soir de plus avant de rentrer au pays. En fin de repas un coup de tonnerre terrible fait sauter l’électricité dans toute la station. Le repas se finira aux bougies et le retour à notre hôtel au radar dans des rues noires transformées en étang!

 

Sixième jour : Valloire le Laus 71 km

Ce matin le temps est assez beau, il ne pleuvra pas, bien que quelques bancs de brouillard traînent aux flancs des montagnes. Rien d’étonnant car il faut bien évacuer toute l’humidité que les fortes précipitations de la veille ont générée. Aujourd’hui encore cette étape représente un symbole pour les cyclistes. Je me souviens de l’étape du tour de France dans le Galibier cette année. Nous étions dans une petite ville du centre de la France et notre télévision ne marchait pas. Nous avons cherché au pas de course un bar afin de regarder cet événement d’anthologie. Le temps était magnifique et les vues d’hélicoptère époustouflantes. Voilà les souvenirs  qui me viennent à l’esprit au moment de quitter Valloire. Afin d’atteindre le col qui culmine à 2645 mètres, il nous faut parcourir 18 kilomètres avec des passages à 12% et une pente moyenne de 7%, le dénivelé dépassant les 1200 mètres. Au début, la route remonte un vallon austère dépourvu d’arbres, puis par des lacets raides elle attaque la montagne. L’effort ne faiblira pas jusqu’au bout. De temps à autre la vue est limitée par des passages de brume. Dans un virage quelques kilomètres avant l’arrivée nous passons devant le monument à la mémoire de Pantani, ce grand coureur mort dans la déchéance.

iseran,galibier,izoard,vars,turini,colombière,aravis,saint martin,saisies,cormet de roselend,restefondAu col le ciel reste partiellement couvert, les grands sommets de l’Oisans ne se dévoilent qu’en partie. Nous distinguons entre les nuages les vastes pans de neige et de glace de la face nord des Ecrins, pic de plus de 4000 mètres, qui a donné son nom au massif. Très longtemps on avait cru que le point culminant de la région était le Pelvoux, car il est plus visible de la vallée. Malheureusement les fabuleuses faces nord de la Meije et du Râteau restent cachées. Des noms de grands alpinistes pionniers de ces parois me viennent à l’esprit, le père Gaspard pour la Meije et Victor Chaud, grand guide qui s’est tué lors de la première répétition de la face nord du Râteau, face rébarbative souvent verglacée, très raide et en mauvais rocher. Nous pouvons cependant voir une partie des arêtes de la Meije, jusqu’au doigt de Dieu. Ces montagnes me rappellent une multitude de souvenirs, de ski et de randonnée avec mon père et d’escalades de grande ampleur avec des camarades. Mais cette arête de la Meije me fait systématiquement penser à l’histoire que je vais vous relater : au cours d’un dîner, je discutais avec un gendarme qui avait été durant une partie de sa carrière affecté au secours en montagne en Oisans. Un jour, il est appelé pour le sauvetage d’une personne accrochée en haut des arêtes sur le versant regardant la Bérarde. La paroi est très raide et haute de 800 mètres. Le sauvetage s’avère délicat, et quelle est la surprise du pilote de constater qu’il s’agit d’un parapentiste pendu en pleine paroi, retenu par son parachute à des aspérités par très loin du faîte de l’arête. Le sauvetage se passe bien. De toute évidence l’accidenté avait commis une faute en sautant vers la Bérarde alors que le vent venait de l’ouest, ce qui l’exposait aux rabattants, qui l’ont effectivement plaqué à la paroi. Il pouvait s’estimer heureux de s’en tirer vivant. L’année suivante, notre gendarme est appelé pour un sauvetage similaire au même endroit. Effectivement, il secoure un individu pendu dans les mêmes conditions au même endroit. Quelle n’a pas été la surprise de ce capitaine de gendarmerie quand il a reconnu l’individu qu’il était déjà allé chercher une première fois l’année précédente! Le parapentiste, peut-être suicidaire, mais qui venait de se louper pour la seconde fois, a eu droit à une sacrée remontée de bretelles, réitérer la même faute grossière, décoller le vent dans le dos, les sauveteurs n’ont pas apprécié.

Au sommet de notre col, pas de soleil, un petit vent frais n’encourage pas à prolonger l’arrêt. Nous nous habillons, mettons des gants et nous lançons sans traîner dans la descente. Rapidement l’atmosphère se réchauffe. En effet, nous basculons vers les Alpes du sud. Notre itinéraire passe au col du Lautaret quelques 600 mètres plus bas. De là nous allons nous laisser glisser vers Briançon et la chaleur retrouvée. Sur notre gauche le massif des Cerces nous permet d’admirer dans le beau temps retrouvé une multitude de belles parois d’escalade, qui me rappellent bien des moments de grande intensité. Au niveau de Serre-Chevalier nous casse-croûtons d’un morceau de pain et de saucisson et repartons vers Briançon à la recherche d’un bistrot pour le traditionnel café de mi-journée. Nous le trouvons au pied du col de l’Izoard en pleine ville. Moment de détente que nous savourons après cette matinée de plaisir et d’effort dans le Galibier.

Cet après-midi le ciel est bleu. La côte en direction du col de l’Izoard, après un raidillon à la sortie de la ville, s’atténue, nous pédalons avec facilité. L’obstacle est cependant de taille 20 kilomètres pour 1185 mètres de dénivelé. L’entrée dans le Queyras est très accueillante. L’ambiance dans cette montée est très différence de ce que nous avons connu ce matin  le long de la route du Galibier. La rivière la Cerveyrette, aux eaux claires en contrebas dans les gorges, court sur ses plages de galets. On est loin des eaux tourmentées et boueuses de l’Arc. Manifestement ici il n’a pas plu. L’air est limpide et de grandes parois au calcaire lumineux s’élèvent tout autour de nous au dessus des forêts de mélèzes. Les massifs français ont chacun leur particularité, ce qui fait tout le charme des Alpes. Nous passons le joli village de Cervières et rejoignons rapidement le hameau du Laus et son sympathique gîte. Nous y passons une soirée plaisante dans un cadre pittoresque et montagnard.

 

Septième jour : Le Laus  Jausiers 86 km

Encore une fois la nuit fut agréable. Cela tient aussi au fait de la nouveauté renouvelée chaque jour. C’est toujours avec curiosité que nous découvrons le lieu qui va nous accueillir pour la nuit. Ce gîte est particulièrement bien placé à sept kilomètres du sommet du col de l’Izoard. Cette nuit il a fait froid, car par endroits des plaques de givre ponctuent les prairies. L’air ce matin est immobile dans un ciel bleu intense. iseran,galibier,izoard,vars,turini,colombière,aravis,saint martin,saisies,cormet de roselend,restefondToutes les conditions sont réunies pour que nous passions une excellente journée sur nos machines. Au programme se trouvent deux cols l’Izoard et Vars. Le premier dans cet air vif du matin sera vite atteint. Nous y jouissons d’un décor de belles montagnes aux sommets pointus, qui s’élèvent au dessus des forêts. A cette heure matinale encore peu de monde, les motards et les automobilistes se lèvent plus tard que nous, car ils mettent beaucoup moins de temps pour rejoindre ces lieux haut perchés. Mais sans doute éprouvent-ils aussi moins de plaisir et n’ont pas le temps de rentrer en harmonie avec ces régions d’altitude, alors que le silence de notre mode de déplacement nous permet de rentrer en communion avec la faune et la flore.  La lenteur et l’effort physique nous font éprouver une forme de victoire longtemps désirée puis obtenue après un combat mené à la force de nos muscles. Toujours la même sensation de plaisir lorsque le point le plus haut d’un col est atteint, on cherche le panneau pour la traditionnelle photo. Au col de l’Izoard, il se trouve juché en haut d’une colonne massive en pierre et affiche 2361 mètres d’altitude.

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La redescente sur l’autre versant vers la vallée du Guil est de toute beauté. La route épouse les accidents du relief en larges méandres dans de grandes zones minérales aux couleurs multiples. De vastes pierriers nous entourent de toutes parts et tout là-bas à mi-distance du fond de la vallée sur un replat, nous distinguons les villages de Brunissard et d’Arvieux, au milieu de prairies bien vertes, qui tranchent avec le monde pierreux qui les domine. Dans ce dernier village nous doublons trois randonneuses au pas alerte. Nous engageons la conversation, elles sont parties pour une balade de plusieurs jours sur  le GR5. Cela me rappelle ma randonnée sur cet itinéraire il y a maintenant quelques années. J’avais bivouaqué au col des Ayes vers 2300 mètres sous des trombes et au matin, le miracle du beau temps s’était produit, et m’avait accueilli au sortir de la tente avec un spectacle de toute beauté qui s’étalait à l’ouest loin vers l’Oisans et ses grands sommets et au sud au-delà du Queyras et ses montagnes, qui comme le pic de la Font Sanct ont une belle prestance.   

Arvieux, dernier village avant de plonger dans les gorges du Guil. Sur notre gauche en amont se trouve la fameuse citadelle de Château-Queyras. Nous n’irons pas car nous partons à droite vers l’aval en direction de Guillestre. La citadelle est magnifique à découvrir lorsqu’on arrive par le GR5. Au détour d’un repli de terrain en pleine forêt d’un coup elle apparaît sans préavis. On reste bouche bée, en découvrant en contrebas cette immense bâtisse que l’on surplombe, au point de presque se croire à bord d’un avion, tellement on la domine.

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Mais voilà le vélo ne permet pas ce point de vue. Nous nous enfonçons vers l’ouest dans des gorges profondes, bordées de hautes falaises. La rivière, presque un torrent s’écoule toute frangée d’écume. Après une dizaine de kilomètres dans ce décor de toute beauté, la route est barrée totalement, au point qu’avec avec nos vélos nous ne pouvons pas nous faufiler. Une déviation escalade le bord gauche de la vallée, empruntant une minuscule route qui se glisse à travers les falaises. Cette chaussée est très étroite et le croisement des véhicules est difficile, voire impossible par endroits.  Cet itinéraire de déviation au goudron en mauvais état a des petits airs de chemin andin, j’adore. Cependant la montée est raide et cela rajoute quelques kilomètres à l’étape. Nous doublons un jeune Anglais, sac et piolet au dos. Intrigué, je lui demande d’où il vient. Il m’explique qu’il est engagé dans une traversée de Nice à Chamonix sur une durée de six semaines et qu’il suit son propre itinéraire. Il est en train de rejoindre l’Oisans qu’il compte parcourir avant de reprendre sa route vers Chamonix. La chaussée est si étroite, qu’un cycliste et un piéton tassés en bordure du vide s’attirent des remarques d’un automobiliste qui considère que nous encombrons le passage en stationnant à cet endroit. Mais mon Anglais je n’ai pas choisi l’endroit où le doubler !

Après ce détour pittoresque, nous faisons une halte à Guillestre le temps de se ravitailler. A midi nous nous engageons dans la longue montée du col de Vars. Elle s’étire sur vingt kilomètres et 1185 mètres de dénivelé. Le démarrage est difficile dans la chaleur. Les premières épingles nous permettent de regarder vers le nord ouest en direction de l’Oisans. La silhouette caractéristique  de la longue arête de l’un des plus beaux groupes de montagnes se laisse contempler. Il s’agit du Pelvoux, du Pic Sans Nom et d’Ailefroide, ces montagnes m’ont toujours fait rêver et je n’ai jamais gravi l’une d’elle. Il n’est jamais trop tard,  sait-on jamais? Un cycliste nous rattrape et nous donne quelques détails sur le reste du parcours jusqu’au col, puis sur son vélo de course il s’envole. Après une première partie de huit kilomètres soutenue, l’inclinaison baisse et nous distinguons le col tout là-bas au fond d’un grand vallon qui en finale se relève. Dans un champ nous faisons notre pause de midi. Il fait bon, l’herbe est tendre, nous avons vraiment retrouvé le climat méditerranéen. Nous reprenons notre route pour quelques kilomètres le temps de trouver le bar pour notre café de la demi-journée. A Sainte-Marie une terrasse agréable nous accueille. Elle est en grande partie peuplée de motards allemands. Le nombre de motos que nous croisons ou qui nous doublent est impressionnant, plus d’une centaine par jour. La fin du parcours présente quelques difficultés. Le passage des Claux est très raide supérieur à dix pour cent, dans un village qui n’en finit plus. Cela me rappelle un autre village au fond des Tatras slovaques, ou nous avions parcouru huit kilomètres très raides entre deux rangées de maisons avant de retrouver de grandes forêts désertes. La traversée des Claux est beaucoup plus courte mais demande des efforts.

iseran,galibier,izoard,vars,turini,colombière,aravis,saint martin,saisies,cormet de roselend,restefondLe col est atteint. Son altitude est somme toute modeste, 2209 mètres, comparativement aux précédents. Mais ces vingt kilomètres de montée nous laisseront des souvenirs. Nous discutons avec un couple en tandem, lancé lui aussi dans une traversée des Alpes.

La descente sur l’Ubaye est magnifique. Le Brec de Chambeyron, avec sa silhouette de volcan tronqué trône du haut de ses 3411 mètres. Il y a deux mois j’ai passé dans les environs de cette montagne une semaine à grimper de belles parois désertes, présentant pourtant un rocher d’une qualité extraordinaire. L’escalade c’est comme le reste, il y a les lieux à la mode et les autres. Manifestement les parois de l’Ubaye ne sont pas touchées actuellement par le phénomène, et durant cette semaine nous nous en sommes félicités. Par contre nous ne pouvons pas en dire autant de la route des Grandes Alpes, particulièrement en vogue auprès des automobilistes et des motards. Nous rencontrerons cependant peu de cyclotouristes. Nous dépassons le joli village de Saint Paul en Ubaye. Très loin au pied du Brec de Chambeyron je vois le village de Fouillouse, et un peu plus bas son incroyable pont en arche qui franchit un gouffre de plus d’une centaine de mètres de profondeur. Vers les seize heures nous touchons au but de la journée, Jausiers, petit village au pied du col de Restefond la Bonnette et ses 2715 mètres d’altitude et ses 1500 mètres de dénivelé.

 

Huitième jour : Jausiers  Saint Sauveur de Tinée  81 km

Ce petit hôtel où nous sommes descendus, je le connaissais pour y avoir dormi lors d’une virée d’escalade dans la région. La patronne est très agréable et nous parle de la vie locale. En particulier elle nous révèle, et cela ne nous surprend pas, que les motards de passage font significativement monter le chiffre d’affaire.

Après un  petit déjeuner copieux nous nous préparons pour la grosse étape du col de Restefond, 24 kilomètres. Ils se déroulent tout le long d’un gigantesque pan de montagne pelée. A notre vitesse lente nous allons mettre pas loin de quatre heures pour en arriver au bout. Mais le ciel est clément, et le panorama qui s’élargit à chaque tour de pédalier, nous permet de pleinement profiter de ce moment, et ce qui devrait être un calvaire se transforme en moment de pur bonheur. La fin du parcours est iseran,galibier,izoard,vars,turini,colombière,aravis,saint martin,saisies,cormet de roselend,restefondparticulièrement austère, le sol est constitué d’une caillasse grise, couleur ardoise, qui donne au paysage une note de dureté et de froideur. Un vent modéré souffle, ce qui renforce cette sensation de nature sauvage. Au col, même pas un panneau. Nous n’irons pas jusqu’au point 2802 mètres, faire la boucle de 1600 mètres autour du sommet.

Devant nous s’ouvre la vallée de la Tinée. Nous sentons que le terme de notre voyage se rapproche. Cette vallée qui débute, si nous la suivions, elle nous conduirait directement à Nice en une centaine de kilomètres. Mais notre itinéraire comporte encore deux cols. Nous allons suivre la vallée de la Tinée jusqu’à Saint Sauveur et de là nous rejoindrons la Vésubie.

Après une magnifique descente nous nous arrêtons à Saint-Etienne de Tinée, pour déjeuner. Il nous reste une trentaine de kilomètres pour rejoindre Saint Sauveur. La route descend le long de cette profonde vallée. Au sortir de la ville nous rencontrons un couple de cyclistes italiens à la recherche d’un hébergement pour la nuit. La femme semble assez énervée du fait de ne rien trouver. En effet, ils ont poussé jusqu’à Isola, mais en intersaison, ils sont arrivés dans une ville morte. J’adore entendre cette italienne parler sur son ton haut perché, appuyant sur l’accent tonique. Je ne puis m’empêcher de lui dire « l’italiano e la piu bella lingua d’el mondo ». Je ne suis pas sûr que ce soit de l’italien, mais elle comprend.

iseran,galibier,izoard,vars,turini,colombière,aravis,saint martin,saisies,cormet de roselend,restefondSuite à cet intermède rigolo, nous reprenons notre route, qui parfois suit une piste cyclable très agréable. Enfin nous arrivons et le gîte municipal est ouvert. Nous nous installons et ce soir nous serons sept dans ce dortoir. Un couple d’Allemands, un Suisse et deux ouvriers travaillant sur un chantier de percement de tunnel près du village qui nous domine, Roure. L’un des occupants a manifestement des problèmes d’odeur de pieds et nous en fera largement et généreusement profiter! Le village est plein de chats pas farouches qui se laissent caresser, ce qui me ravit. Le couple d’Allemands accepte une invitation au restaurant du village et nous passerons un très agréable moment, ce qui entre autre me donnera l’occasion d’utiliser leur langue, que j’aime beaucoup.

 

Neuvième jour : Saint-Sauveur-de-Tinée  col de Turini 61 km

Cetteétapedansles Alpes maritimes va être d’une grande beauté. Nous pensions qu’après avoir gravi les cols les plus hauts des Alpes, dans ce département nous aurions des pentes moins longues et des décors moins grandioses. Il n’en est rien, de plus les villages prennent des airs de hameaux corses nichés dans des pentes incroyables ou cachés dans des creux secrets.

De Saint-Sauveur nous descendons durant quelques kilomètres les gorges de la Tinée. Puis sur la gauche, une petite route escalade la pente raide et rejoint un vallon de toute beauté, qui s’élève rapidement au-dessus de la Tinée. Nous allons monter 17 kilomètres pour un peu plus de 1000 mètres de dénivelé. Arrivés au col, contrairement aux jours précédents, il n’y a pas grand monde. Cependant, il y a une petite boutique de vélos, et Evelyne trouve des patins de frein, car elle commence à freiner sur la ferraille. Nous descendons sur Saint-Martin-de-Vésubie. Il y a bien longtemps, je venais assez souvent dans les montagnes des environs, en particulier la Cougourde, magnifique paroi granitique de 400 mètres de haut, que parcourent de nombreuses voies d’escalade magnifiques. Les bouquetins y étaient nombreux et pas craintifs du tout. Ils venaient même tout près lorsque nous mangions au pied de la paroi dans l’espoir qu’on leur donne un quignon de pain. Je me souviens les avoir vus, dans des postures incroyables en pleine paroi. L’un d’entre eux a disparu au sommet et lorsque nous y sommes arrivés nous avons du mettre un rappel long et raide pour descendre. Je n’en revenais pas qu’il soit passé par là. Depuis nous les avons vus faire des acrobaties encore pires. Leurs sabots sont de véritables ventouses.

Donc, nous arrivons à Saint Martin, jolie petite station de montagne. Nous casse-croûtons sur la place centrale à l’ombre de grands platanes. Il fait chaud, l’ambiance est vraiment méridionale. Puis nous allons prendre un café dans le coin des rues commerçantes, vraiment très jolies.  Nous nous y sentons très bien. Je regrette presque qu’il ne soit que une heure de l’après-midi, car je me serais bien arrêté passer la nuit dans ce coin charmant. Mais non l’appel de la route est le plus fort. Rapidement nous rejoignons Roquebillière et peu après sur la gauche l’embranchement du col de Turini se présente et nous quittons la vallée de la Vésubie. Il fait chaud, la pente est rude. Nous arrivons dans le magnifique village de la Bollène-Vésubie. Nous n’y résistons pas, nous nous arrêtons dans un café, où manifestement le patron cultive l’art de vivre. D’ailleurs son chien de toute évidence a la même philosophie de vie. Nous attendons iseran,galibier,izoard,vars,turini,colombière,aravis,saint martin,saisies,cormet de roselend,restefondque le soleil tape un peu moins puis nous repartons dans cette longue montée. La route est une incroyable succession de virages en épingles. Nous surplombons le village où nous avons fait halte. Nous réalisons qu’il est comme posé au sommet d’une colline entre vallée et montagne. Il me fait penser à ces villages corses, qui se sont établis dans les endroits les plus invraisemblables. Cette route ne cesse de nous étonner par son profil. Du haut, ce n’est qu’une suite de virages qui escaladent un pan de montagne raide. Le trafic n’est pas intense, surtout des motards allemands. Certains nous doublent, d’autres nous croisent. Pour les premiers c’est presque la fin de cette chevauchée fantastique par les plus hauts cols des Alpes, et pour les seconds ce n’est que le début. Un fou au volant d’un coupé Mercedes nous double sans précaution. Evelyne lui fait signe de ralentir. Il lui répond par un geste obscène. Avons-nous à faire à une petite frappe locale ou à un grand voyou niçois?  Il ne nous a pas renversés, donc ce n’est pas grave. Ne nous laissons pas aller à des idées sombres sur nos congénères. Les derniers kilomètres sont éprouvants. Dans ces cas là, on a l’impression de ne jamais en finir. Puis d’un coup le col surgit. Il est très particulier, carrefour de plusieurs routes au milieu des arbres. Autre caractéristique, il y a trois hôtels, sensation étrange, mais le lieu est immédiatement sympathique, iseran,galibier,izoard,vars,turini,colombière,aravis,saint martin,saisies,cormet de roselend,restefondon a tout de suite envie d’y faire halte. Cela tombe bien car nous avons ce matin depuis le point d’information du col Saint-Martin réservé une chambre à l’hôtel les chamois. Le patron est adorable et les prix très doux pour une prestation de qualité. Il nous offrira même la bière car nous l’avons aidé à porter de nouveaux matelas qui lui sont livrés. Il nous donnera un cours sur le matelas, car il a travaillé 12 ans dans ce secteur et dans le haut de gamme. En effet, nous constaterons que nos lits sont particulièrement bien équipés en la matière. Souvent dans les hôtels les matelas sont tout mous, vieux et fatigués ou durs comme des planches en bois lorsqu’ils sont neufs. Là ils sont fermes épousent bien la forme du dos sans mollesse, en un mot absolument confortables, secret d’une bonne nuit.

 

Dixième jour : col de Turini  Nice  50km

C’est avec regret que nous quittons ce coin exceptionnel, cet hôtel et son patron très attachants. Aujourd’hui, arrive notre dernier jour de ce beau périple. Pour cette dernière demi-étape nous choisissons un maximum de petites routes. Nous empruntons la D 2566, qui sur la carte suit une ligne de crête durant une dizaine de kilomètres. Cela me rappelle le GR un peu plus à l’est qui lui aussi dans sa dernière partie suit une longue ligne qui domine les vallées d’une part de la Tinée et du Var et de l’autre la Vésubie. La fin de ces deux fabuleux itinéraires que sont le GR5 et la routes des Hautes Alpes révèlent de belles surprises. Pour être précis concernant ce dernier itinéraire nous empruntons une variante, le trajet original descend à Menton par Sospel.  Nous ne regretterons pas cette variante par le village de Lucéram. Là encore, on pourrait se croire dans le moutonnement montagneux de l’intérieur de la Corse. Ce département des Alpes Maritimes possède de très belles montagnes et pas uniquement une côte maritime. Cette dernière plongée avant de retrouver les abords de la grande agglomération, nous en profitons autant que iseran,galibier,izoard,vars,turini,colombière,aravis,saint martin,saisies,cormet de roselend,restefondpossible. Ce village de Lucéram en fin de périple me remémore la fin d’une fabuleuse randonnée autour de la Corse et la Sardaigne, lorsque nous avons quitté la Castagniccia, en plongeant vers Bastia. Nous nous imprégnons de ces senteurs du midi, de cette chaleur lorsque le soleil passe la montagne qui nous domine à l’est. Je retiens ma vitesse pour que cela dure encore un peu. Ces fins de voyage qui se passent dans des conditions exceptionnelles de temps, de beauté et d’entente entre les protagonistes, invitent inexorablement à se projeter dans un futur voyage.

Voilà, nous rejoignons l’Escarene et la grande route. On pressent la grande ville, la circulation s’intensifie, la vallée s’élargit. Nous traversons des banlieues où nous cherchons notre itinéraire. Puis nous nous trouvons sur une voie rapide qui conduit à un long tunnel interdit aux vélos. Je ne m’en rends pas compte, Evelyne l’a réalisé, mais j’appuie comme un sourd sur les pédales et elle n’arrive pas à me rejoindre. Juste à l’entrée du tunnel je ralentis uniquement pour que nous soyons groupés dans ce tuyau très dangereux pour les cyclistes. Alors dès qu’elle me rattrape, époumonée de m’avoir appelé, elle me dit que cela fait plus d’un kilomètre qu’elle essaye de m’arrêter, pour rejoindre la piste cyclable qui se déroule un peu plus loin à droite. Je suis un vrai bourrin, mais ce n’est pas à mon âge que je vais changer ! Facilement  nous la retrouvons et reprenons notre chemin  en direction de la villa de ma cousine qui habite sur l’une des collines à l’intérieur de la ville. Les quatre kilomètres de montée pour arriver chez elle sont très raides et le trafic particulièrement dense, mais après ce périple à travers les grands cols des Alpes nous surmontons cette ultime difficulté.

 

Encore un beau projet qui se termine. Nous commençons à être des vieux copains de voyages à vélo (vive VF), cela fait le cinquième que nous accomplissons ensemble. Nous n’allons pas tarder à vouloir repartir ensemble ou avec d’autres en fonction des opportunités. En effet, il ne faut pas les manquer la vie est si courte ! Enfin pour le moment, profitons des beaux souvenirs tout frais et allons nous baigner dans une mer encore très chaude.

 

11/08/2011

Le cèpe et les autres quand ils se montrent

Le cèpe et les autres

 

Depuis ma plus tendre enfance les champignons me fascinent. Cela tient à notre père qui nous a toujours emmenés dès que nous avons été en mesure de marcher à travers les forêts des nombreuses régions que nous avons habitées, et les déménagements furent nombreux. Cette passion des forêts m’est donc restée, et plus tard à mon tour, devenu grand et autonome et ayant quitté le foyer parental cette passion a continué à m’habiter et je cours toujours les bois à la recherche de ses hôtes à pied.

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En ces périodes de changements climatiques les pousses selon les années sont aléatoires et capricieuses. Mais globalement cela n’est pas si mauvais. Cette année 2011 s’annonce miraculeuse et si l’automne est aussi producteur que ce mois d’août, on pourra parler d’année excellente voire exceptionnelle. L’année dernière 2010 a aussi été un bon cru, en tout cas dans les Vosges. Mais malheureusement j’ai suivi cela de très loin. Ne me trouvant  pas en Europe à cette époque, je me suis contenté des photos que l’on me faisait parvenir par le net, sans doute afin de me faire regretter mes grandes envies irrésistibles de voyage au long cours.

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Les récoltes annuelles précédentes avaient été médiocres. La dernière cueillette exceptionnelle remonte à 2006. Cette année, dès le mois de juillet les cèpes furent abondants et la pousse se répéta jusqu’au mois d’octobre, c'est-à-dire sur quatre cycles de lune.  Eh oui je suis un fervent adepte de l’influence de la lune sur l’apparition de ces habitants des forêts, des champs et des taillis. Je considère qu’en dehors de la période de lune montante, il n’y a point de salut.

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Cette passion s’est vraiment révélée lorsque nous habitions à Fribourg en Allemagne. Les cueillettes régulières en forêt noire m’ont marqué de façon permanente. Tout d’abord la jeunesse, j’avais huit ans, et les grands sapins sombres de ces immenses forêts m’impressionnaient mais sans hostilité. Je rentrais dans un monde mystérieux et comme notre père n’était pas particulièrement peureux, il m’arrivait de me retrouver seul de longs moments sans que mes appels n’aient de réponse. Mais cela ne m’empêchait pas de rester concentré sur la recherche de la chanterelle et du cèpe. Peut-être que de cette époque m’est restée cette quête de l’originalité du voyage que ce soit à pied ou à vélo dans les recoins secrets et peu courus de notre planète. Nous faisions des cueillettes conséquentes que notre mère mettait toute sa science à cuisiner.

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 Il me reste une image forte de cette période. Nous étions en forêt dans une zone relativement dégagée sous de grands sapins, et mon père pousse un cri et me dit «  regarde ». Je lève les yeux et que vois-je à une cinquantaine de mètres ? Deux énormes cèpes, avec mes yeux d’enfant je les trouvais d’autant plus gigantesques. Le plus petit approchait sans doute le kilo et le plus gros faisait le double et mesurait dans les quarante  centimètres. Rien que de me remémorer cette scène, une joie intense n’envahit, alors que cela remonte à presque cinquante ans. 

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Dans mes grandes balades en forêt je suis toujours à la recherche de ce vécu, dans l'attente de le revivre. Voilà pourquoi je ne peux pas regarder une prairie, une broussaille, un bord de chemin, une rive de ruisseau ou une forêt sans immédiatement essayer d’y repérer un quelconque cryptogame, qui s'y cacherait. Bien évidemment, tous les champignons n’ont pas la même valeur et ne présentent pas le même intérêt, ni ne procurent le même plaisir à la cueillette. Le roi des champignons pour moi reste le cèpe. Sous cette appellation je regroupe trois espèces très proches, le boletus edulis ou cèpe de Bordeaux, le boletus aereus ou tête de nègre et le boletus pinicola ou bolet des pins. Ce dernier champignon, au port puissant et charnu, n’a rien à voir avec le cèpe des pins du midi ou pissacan. Contrairement à ce dernier qui est frêle, il s’agit d’un champignon qui présente toutes les caractéristiques du cèpe de Bordeaux, en plus trapu et avec des couleurs tirant un peu plus sur le brun rouge.

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Au cours de ma carrière de chercheur, les récoltes miraculeuses n’ont pas été très nombreuses. Je me souviens de quelques jolis paniers de giroles grosses parfois comme des assiettes à dessert, des longues séances de ramassage de la chanterelle d’automne  en bordure d’Atlantique dans la région d’Arcachon, de quelques jolis paniers de morilles en Alsace, d’une magnifique journée au val d’Aran en Espagne à chercher un champignon rare le tricholome de la Saint Georges ou vrai mousseron. Il s’agit d’un beau et fort champignon blanc à l’odeur prononcée de farine, qui se cache dans les herbes drues des alpages de montagne. Il s’y dissimule tellement bien qu’il faut parfois y aller en tâtant du bout des doigts le tapis végétal, et à la sensation on décide ou non de regarder ce qui s’y cache.  Toutes ces expériences passées me laissent des souvenirs impérissables à la hauteur des profondes joies que m’ont procurées de grandes ascensions ou de longs voyages à vélo.

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 Et bien entendu j’ai gardé pour la fin le cèpe. Là, les belles cueillettes déclenchent un plaisir difficilement exprimable. On rentre dans la forêt haletant, chargé d’espoir à la recherche de la première grosse tête qui poindra de la terre ou des épines de conifères. Une silhouette apparaît, le rythme cardiaque monte en flèche, une joie débordante commence à bouillonner, on se précipite et souvent la déception se révèle avec le rapprochement, car on réalise qu’il s’agit d’un cèpe d’une espèce moins prisée ou d’un champignon autre. Mais ces fausses alertes ne font que renforcer la vigilance. On se déplace à pas mesurés, scrutant les endroits propices, les lisières bien aérées et bien exposées au soleil, les éclaircies en milieu de forêt, là où la mousse, les bruyères ou les myrtilles s’épanouissent.  Les myrtilles, elles me font penser surtout aux Vosges, et là il ne s’agit plus de myrtilles mais de brimbelles.  Si vous employez ce terme vous serez directement adopté par les habitants du Thillot ou de Cornimont.

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Le plaisir du toucher, je pense en particulier à la tête de nègre ou bolet bronzé. Une fois qu’il est aperçu, le plaisir commence. En effet, le saisir procure une sensation particulièrement intense. On part à la découverte du pied qui plonge sous les feuilles ou la terre. Les doigts suivent cette chair ferme, et parfois ils n’en finissent plus de descendre à la recherche du point où ils exerceront une pression délicate pour sortir ce magnifique champignon dans son intégralité,  sans l’abîmer. Le toucher du cèpe, lorsqu’il est ferme et son pied conséquent, représente la plus belle émotion du chercheur de champignons, empreinte de sensualité tactile et de surprise. Une autre espèce très différente procure un plaisir similaire quant à la découverte de la longueur du pied et à la prise en main. Il s’agit du tricholome équestre que l’on appelle aussi canari, du fait de sa couleur jaune, ou bidaou dans le sud-ouest. C’est d’ailleurs dans cette région qu’on le rencontre fréquemment, dans les pinèdes en bordure de plage au milieu les zones de mousse, dans laquelle son pied plonge en s’épaississant.

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Ce mois d’août  2011 a commencé sous les meilleurs hospices. J’ai eu la chance de faire quatre cueillettes extraordinaires, les trois premières dans les Vosges et la quatrième dans le massif du Pilat dans la Loire.  Et nous ne sommes que le 10 août, que d’espoirs en perspective d’ici la fin de l’automne! Tout a commencé dans le massif vosgien. Arrivant un après-midi du tout début du mois d’août chez mon beau-frère au Thillot, ce dernier me montre sa récolte du matin constituée de chanterelles d’automne et de quelques petits cèpes. L’alerte est donc donnée, ces chanterelles d’automne à cette époque bizarre ! Mais les cèpes, cela arrive les bonnes années.   Suite à ces révélations je me précipite  en fin d’après midi dans la forêt toute en pente au-dessus de chez lui, et le festival commence. Le lendemain j’y retourne à la périphérie des endroits de la veille et rebelote, je rentre à nouveau avec un plein panier. L’endroit semble peu couru. En effet mon beau-frère m’a dit que les deux redoutables chercheurs qui écumaient le coin depuis plus d’un demi-siècle n’étaient plus en mesure de s’aventurer dans ces pentes raides. Je n’irais pas jusqu’à dire que le malheur des uns fait le bonheur des autres, il s’agit simplement des générations qui se succèdent.

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 Après ces deux belles cueillettes la pluie est venue et nous avons laissé passer deux jours. Le matin avant de rentrer à Lyon nous faisons un tour en forêt à trois, afin que je leur montre les coins dans lesquels j’avais fait de si belles rencontres les jours précédents. Et là, les conditions météo exceptionnelles, orageuses avec pluie et chaleur, ont déclenché une pousse aussi miraculeuse que rapide. D’abord nous ne sommes pas ressortis de la forêt avant midi, adieu le départ pour Lyon dans la matinée, mais nos paniers étaient plus que pleins. À trois nous avions bien quinze kilos de cèpes magnifiques et durs.

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Fort de cette expérience vosgienne extraordinaire, nous rentrons dans l’après-midi à Lyon. Vu ce qui pousse dans les Vosges, pourquoi le même phénomène n’aurait-il pas lieu dans la région lyonnaise? Je me précipite chez mon frère et lui conte mes exploits. Nous tombons rapidement d’accord et décidons de tenter notre chance dans le mont Pilat le lendemain matin. 

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Nous y voilà. Le chemin est très raide. Rapidement nous tombons sur les premiers cèpes, dans des coins où généralement nous en trouvons peu ou pas. Cela nous donne tous les espoirs pour notre « spot » qui se trouve beaucoup plus haut. Nous y arriverons après un certain temps, car de toutes parts les bolets bronzés nous ralentissent. Une fois sur notre place, à perte de vue ou presque les gros chapeaux ronds et noirs tout frais pointent juste hors des épines de sapin. Incroyable, de notre vie nous n’avons jamais vu cela ! Des champignons gros comme le poing, durs fourmillent. Ils sont tellement  fermes, que la lame du couteau ripe parfois au moment de couper la pointe du pied. On a vraiment la sensation de récolter des patates. Plaisir fou ! Dans ces moments, tous les sens sont aux aguets. Sommes-nous seuls, va-t-on voir surgir des concurrents qui vont attaquer notre pousse miraculeuse par l’autre bout ? Laisser le moins d’indices possibles. Bien recouvrir les traces qui révèlent la coupe d’un gros pied bien blanc. Essayer de faire disparaître les restes de grattage des pieds avant de mettre nos prises dans le panier, afin de ramener le moins de terre possible. Une fois le panier bien plein, enlever son t-shirt, afin d’essayer de masquer cette récolte miraculeuse. Un chercheur ne donne jamais ses coins !

Une fois de plus en une semaine nous  revenons fortement chargés. Aujourd'hui, mon frère et moi portons  chacun un grand panier et un sac de supermarché aux larges dimensions. Nous ployons sous la charge, les muscles des bras tétanisés par le poids de la multitude de cèpes. Pourvu qu'en descendant nous n'en trouvions pas d'autres, car où les mettre? Le cèpe rend le chercheur frénétique! Nous redoutons de glisser dans la pente très raide par endroits et de voir notre précieuse récolte dévaler au hasard des accidents de terrain. Il faut amortir les secousses dues au déplacement, afin d'éviter le tassement des champignons en fond de panier ou de sac. Tout se passera au mieux et sans avoir rencontré âme qui vive, nous atteignons la voiture et nous cachons rapidement nos trésors dans le coffre. Nous laissons alors une immense vague de joie nous envahir. Pourquoi le cèpe procure-t-il une telle montée de plaisir?

Et ce n'est que la première phase, car s'en occuper en les grattant, les couper, les faire sècher, les mettre au congélateur tel quel, ou les faire rissoler à la poêle avec une odeur de persil et d'ail qui monte, fait partie de la deuxième phase du rite lié au cèpe! Et en finale bien sûr les manger apporte une autre gamme de plaisirs, d'autant plus intenses que le vin a été bien choisi et s'harmonise avec bonheur à ce miracle de la forêt!

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Le soir à la télévision on ne parlait plus que de champignons, et de cèpes en avance de trois semaines. Je pense que dès le lendemain les hordes se sont lancées dans les bois. Par chance j’ai eu l’occasion d’être un peu en avance grâce à l’indice donné par mon beau-frère, ce qui m’a permis de faire des cueillettes extraordinaires et la dernière  et quatrième je la qualifie tout simplement de plus belle de ma vie !

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29/07/2011

Escalades du bout du monde en France, l'Ubaye

       

      Escalades du bout du monde en France, l’Ubaye

 

Au mois de juillet, où peut-on partir grimper durant une semaine et ne trouver que des parois désertes se développant sur une belle ampleur entre deux cents et quatre cents mètres de hauteur et présentant un rocher d’une excellente qualité en plus d’une grande variété, calcaire, grès, quartzite ou granite ? Cela ressemble à la quadrature du cercle, sans doute, faut-il envisager un long voyage dans des contrées éloignées, loin des masses grimpantes qui courent les hauts lieux de grimpe français, qu’il s’agisse de Chamonix, la Bérarde ou Vallouise ? Eh bien non, pas très loin de ces sites mythiques, à la réputation universelle, un bijou de belle envergure, se cache un peu plus au sud, entre les cols de Vars et de Restefond la Bonnette, il s’agit de la vallée et du massif de l’Ubaye.

Effectivement il y quelques années nous y avions fait une excursion de la journée et nous avions perçu la très faible fréquentation des parois de cette vallée, plus connue des randonneurs car le GR5  entre autre chemin de randonnée y passe. Mais la plupart de ses montagnes aux faces verticales n’attirent pas grand monde, même si quelques sommets connaissent une notoriété certaine, par exemple le Brec de Chambéron par sa voie normale.

 

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Forts de cette impression nous partons à trois pour une semaine de grimpe début juillet dans ce massif de l’Ubaye. Comme nous en avons pris l’habitude depuis maintenant quatre ans, nous allons Robert et moi à Orpierre faire une voie d’escalade dans cette splendide falaise calcaire de quelques deux cents mètres, le Quiquillon, avant de partir retrouver notre guide Christophe pour une semaine d’escalade intensive.  Cette première paroi que nous gravissons à deux est certes bien équipée mais de difficulté assez soutenue, et il y fait une chaleur caniculaire dans cette face orientée au sud. Nous y sommes seuls. Ceci explique peut-être cela ?  Il est toujours bon pour le moral avant de partir gravir des faces de grande difficulté en second de cordée, d’avoir effectué quelques exercices préparatoires en premier.

Rendez-vous est pris pour dimanche après-midi à Gap. Dès nos retrouvailles, nous mettons immédiatement le cap sur le village de Fouillouse, auquel on accède par un incroyable pont qui enjambe une très profonde et très étroite gorge. Le village est de toute beauté. Le Brec de Chambéron, point culminant de la région le domine. Sa silhouette massive est caractéristique, et malgré une lourdeur apparente, il s’agit d’une belle aiguille tronquée qui s’élève à plus de 3300 mètres.  Elle règne aussi sur le petit cimetière du lieu, tout en pente et très pittoresque. Il héberge un homme connu de tous, l’Abbé Pierre.

 

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 Rapidement installés, nous profitons de deux heures de disponibilité pour aller affuter nos chaussons d’escalade sur une  falaise de faible ampleur en bordure de l’Ubaye. Après deux voies d’n trentaine de mètres, nous remontons pour ne pas être en retard, car à sept heures la cloche sonne, signal du repas dans ce gîte sympathique.

Nous allons passer quatre nuits en ce lieu. Chaque matin, dans les environs nous partirons faire une paroi différente. Nous commencerons par une belle dalle de deux cents mètres qui domine la route un peu avant Maljasset, et qui se situe sur la Tête de Sanglier, grosse montagne de quartzite. A cet endroit la rivière est enserrée entre deux montagnes aux parois austères du fait de leur couleur sombre et de leur ampleur, celle vers laquelle nous avons l’intention de nous diriger et en rive gauche donc au sud, l’impressionnante flamme de pierre que constitue le Grand Bec de la Blachière.

 

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La marche d’approche s’effectue au plus court à travers prairies, forêts, restes morainiques. Il ne nous faut pas très longtemps pour rejoindre le pied de notre voie d’escalade malgré les six cents mètres de dénivelé.  Notre itinéraire emprunte une immense dalle incurvée. L’aspect du rocher est particulier, poli comme du marbre mais pourvu de petites aspérités qui permettent un bon positionnement des doigts. Pour les pieds, des variations d’inclinaison de petits pans de rocher permettent généralement un bon appui, mais ces prises de pied ne se repèrent pas du premier coup d’œil, elles font preuve d’une sorte de mimétisme, cependant on apprend rapidement à les repérer avec un peu d’accoutumance à la texture de ce rocher particulier. C’est cela le plaisir de l’escalade, les différents types de rochers impliquent pour chacun d’entre eux une  stratégie d’escalade appropriée, donc le  jeu varie à l’infini d’une montagne ou d’une falaise à l’autre.

 

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 Les variations sont de taille. L’utilisation des mains en fonction de la forme des prises, du grain du rocher, de la découverte plus ou moins évidente du point d’accroche des doigts, ce point d’ancrage permet ou non le blocage, ou alors faut-il appuyer fortement pour faire friction, de façon directe ou indirecte. Pour les pieds, il en est de même. Le point de poser peut prendre tous les aspects, petite réglette horizontale, graton minuscule qu’il faudra charger en pression, dalle très inclinée qui nécessitera aussi une forte pression pour tenir, les prises pourront aussi être indirectes, donc nécessiter des pressions en opposition des  mains et des pieds.

 

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Cette première escalade dans l’Ubaye nous enthousiasme. Mais le temps n’est pas très beau et le risque d’orage bien réel pour le début de l’après-midi. Vers les 12h30 nous en terminons avec cette belle dalle, qui en finale s’est bien redressée offrant une dernière longueur difficile, passage côté 6a. Nous débouchons sur une vire occupée deux mélèzes, bien visibles du bas. Sans doute y-a-il  un lien avec le nom de la voie « à l’ombre du mélèze en fleur ». Après avoir mangé une rondelle de saucisson et une tranche de pain d’épice nous rejoignons sans perdre de temps la ligne de rappels qui nous conduira au pied de la paroi.

 

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 En effet le temps se dégrade et nous recevons quelques gouttes. Heureusement les précipitations ne s’aggravent pas à court terme et cela nous permet de rejoindre le point de départ sans être mouillés. Il est toujours très désagréable de se trouver trempés dans une paroi alors que l’on doit effectuer de nombreuses manœuvres, en particulier des rappels.

Pour notre deuxième journée, nous jetons notre dévolu sur une voie de la face est du Sommet Rouge. Il s’agit d’une vaste montagne calcaire de mille mètres de large et de 450 mètres de haut, se situant juste à côté de la Tête de Sanglier, que nous avons gravie hier. La différence géologique des terrains est extraordinaire en Ubaye. En effet ces deux montagnes qui se font face, l’une est en quartzite, roche qui s’apparente au granite, et la seconde est constituée de calcaire.

 

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La marche d’approche présente un dénivelé de 750 mètres. Ils sont vite effectués, car le chemin est raide et la progression  rapide. De plus en ce début de juillet les vallons des Alpes sont constellés de fleurs de tous types, aux couleurs variées. L’edelweiss est aussi présent, et parfois des touffes d’une dizaine d’étoiles blanches veloutées de belle taille se laissent admirer.

 

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L’escalade au nom bien choisie « les potes âgés » se révèle d’emblée difficile. Comme généralement en rocher calcaire la paroi est verticale. Mais l’adhérence est extrême et les pieds peuvent venir se bloquer sur les moindres aspérités. Je suis toujours étonné de constater la petitesse des prises sur lesquelles on arrive à faire porter son poids. Il est très important lorsqu’on n’a pas un gros entraînement de compenser par la technique. En effet cette dernière en escalade, comme à vélo elle reste.

 

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Par contre la force dans les avant-bras et les doigts, si on ne l’entretient pas très régulièrement, il ne faut pas compter se tirer bien longtemps sur de minuscules prises dans une paroi verticale voire surplombante. Avec Robert nous faisons bien attention de solliciter nos pieds plus que nos bras, si nous voulons gravir les 350 mètres de cette belle voie d’escalade. Cette journée sera la plus belle de la semaine, pas de pluie menaçante, ciel bleu jusqu’au soir. Nous en profitons pleinement. Les longueurs ne sont pas toutes très difficiles, vers le centre de la paroi une zone de faiblesse permet une avance plus rapide, mais le corollaire, une qualité du rocher moindre, d’où risque de chute de pierres. Dans ces passages plus faciles, nous redoublons de prudence. La dernière longueur consiste en un long dièdre de 45 mètres très athlétique, côté v+, mais les pieds trouvent de quoi se positionner alternativement de part et d’autre sur les deux pans de rocher qui constituent cet immense  dièdre.

 

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Vers les quinze heures le sommet est atteint. Une vue magnifique s’étend sur toute la région.  Tout en bas, nous distinguons la vallée qui conduit à Maljasset, avec le village de la Barge un peu en aval, qui recèle un joyau, une vieille église au nom évocateur « notre Dame des Neiges ».  Une multitude de sommets pointent fièrement parmi lesquels le Brec de Chambéron tient la place centrale.

Cet instant où l’escalade prend fin, le but étant atteint, on reste à contempler un immense panorama, avec en dessous ce grand vide que l’on a creusé à la force de notre corps. Cela procure une réelle sensation de bonheur, exacerbée par une douce fatigue des muscles qui ont été largement sollicités. Cependant, nous ne relâchons pas notre vigilance, car une descente acrobatique de 350 mètres en rappel dans cette paroi verticale nous attend. Bien souvent au cours de ces descentes des incidents, voire plus, peuvent survenir, généralement du fait d’une faute d’inattention facilitée par la fatigue. Nous gardons donc toute notre attention pour cet exercice, qui malgré l’habitude reste un moment intense en sensations. En effet, descendre plus que la Tour Eiffel pendu à une corde reste toujours un exercice impressionnant.

 

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 2H15 plus tard nous sommes au pied de cette magnifique paroi. Par une descente à travers un pierrier constellé d’édelweiss nous retrouvons le chemin qui nous ramène à la voiture. Aujourd’hui comme hier nous n’avons vu personne à proximité durant la journée. Christophe a repéré un grimpeur très loin de l’autre côté de la face, que Robert et moi n’avons pas réussi à distinguer. On a du mal à s’imaginer que nous sommes en été dans les Alpes françaises, si loin de tout et pourtant pas très loin. Nous arriverons à temps au gîte de Fouillouse pour entendre retentir la cloche annonçant le début du dîner.

Ce matin du troisième jour, le temps s’annonce assez beau, fort de notre belle journée d’hier nous partons sans inquiétude pour l’aiguille Large, magnifique jaillissement de quartzite sombre, qui se situe au-dessus du lac du Marinet. Pour y accéder, nous remontons à partir de Maljasset, le merveilleux vallon du Marinet. En ce début de matinée, c’est un enchantement, comme si toutes les fleurs et tous les animaux des environs s’étaient donné rendez-vous pour nous faire une vaste haie d’honneur.

La marche d’approche  commence sous de bons augures. En effet, dès la sortie du village de Maljasset deux gros patous, ces fameux gardiens de troupeaux de moutons nous ont regardés passer. Lorsque nous nous sommes engagés sur le chemin pour rejoindre le pied de notre voie d’escalade, ils se sont faits plus pressants et se sont rapprochés en aboyant, l’un d’entre eux grondant même. Tiens mais pourquoi ? Nous avons vite compris, face à nous sur le chemin un immense  troupeau de moutons arrivait dans notre direction. Les patous nous demandaient simplement de prendre une autre direction. Mais notre chemin passait par là. Attendre que cette masse d’ovins nous ait dépassés aurait pris un quart d’heure. Ne comptant pas attendre, nous décidons de quitter le chemin et de passer dans le champ en contrebas. Manifestement, cette décision convenait aux patous, qui dès que nous nous sommes mis à descendre se sont détournés de nous. Ces chiens m’étonneront toujours !

 

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Le chemin remontant vers le lac Marinet, dans la direction du col Mary est un enchantement. D’abord il passe en sous-bois dans une forêt de mélèzes, puis il se perd dans de grandes prairies, dominées de magnifiques pointes rocheuses, dont la plus caractéristique est la Pierre Andrée, monolithe granitique de deux cent cinquante mètres. D’autre part, les fleurs rivalisent de forme, de grosseur et de couleur. Pour n’en citer que quelques unes, le myosotis et son bleu tendre, les différentes espèces de gentianes, la printanière d’un bleu couleur ciel, celle à feuilles larges qui présente une grosse fleur bleu profond presque nuit et la gentiane ponctuée, grande tige de plus de cinquante centimètres qui se charge de nombreuses grosses fleurs jaunes étagées, l’aster des alpes qui se regroupe en colonie avec ses coroles bleu pale faisant penser à des touffes de marguerites colorées, et  encore dans les bleus la valériane qui n’hésite pas à lancer au sommet de ses tiges une multitude de fleurs,  dans les teintes tirant sur le mauve la globulaire et sa grosse tête perchée bien haut sur sa tige frêle, et aussi le bleuet vivace, quelques troles ponctuent de jaune ce tableau, et d’une teint orangée l’épervière orangée. Je pourrais donner encore une multitude de noms, car m’a-t-on dit, la flore alpine recèle de l’ordre de mille variétés de fleurs !

 

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Je ne sais plus où regarder, au sol vers cette multitude de points de couleurs ou vers les hauteurs en direction de ces parois qui se dressent toujours plus proches et imposantes. Mais pour donner une dimension encore supérieure à la féerie de cette marche d’approche, les marmottes et les chamois s’y mettent. Les premières, pas farouches du tout viennent à proximité et mangent de l’herbe en se souciant à peine de nous. Un peu plus loin, en arrière plan, les chamois nombreux nous donnent une belle leçon d’escalade et d’équilibre sur terrain instable. Cependant, l’un d’entre eux dérape et repart dans la pente en contrôlant sa descente plus que sa chute. Au deuxième essai, il passe sans problème. Une des raisons pour lesquelles les parois que nous gravissons en Ubaye sont peu fréquentées, consiste en la longueur des marches d’approche. Mais ces marches constituent à elles seules un motif de balade. Pouvoir associer ce genre de randonnée à l’escalade qui va suivre permet de vivre des journées très diversifiées par les émotions et les sensations.

 

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De toute évidence ces deux heures de marche préparatoire à l’escalade nous enchantent, et encore aujourd’hui même sur le chemin nous sommes seuls. Sommes-nous en France en juillet ? Devant nous l’aiguille Large prend de l’ampleur, elle culmine à 2857 mètres. Grande lame granitique à la couleur sombre, que nous allons rejoindre par un pierrier raide et pénible.

 

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Que ces bases de montagnes sont austères et incitent à l’aventure ! Nous nous équipons tout excités à l’idée des belles sensations qui nous attendent le long de ces grandes dalles sombres. Christophe attaque la première longueur, qui s’avère difficile, jamais de prises très franches, des oppositions latérales pour tenir sur le rocher.

 

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Le temps s’assombrit rapidement. Va-t-on prendre la pluie en pleine paroi ? Nous allons grimper avec ce souci de nous dépêcher et prendre de vitesse le mauvais temps. L’ambiance devient austère même si la face ne fait que deux cents mètres de hauteur. Les dernières dalles à la couleur presque noire, sous ce ciel très sombre donne vraiment une impression de haute montagne, l’escalade y est difficile, 6a soutenu. Mais le plaisir n’en n’est que renforcé, lorsque la pression augmente, mais que le rocher reste sec et les mouvements permettent une escalade aérienne de toute beauté. Chapeau  pour l’initiateur de cette voie, car il faut avoir l’intuition qu’il est possible de forcer en escalade libre ce bouclier de dalles verticales, qui semble ne présenter qu’une face lisse sans prise.

 

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Nous arrivons au sommet avant la pluie, d’ailleurs qui en définitive ne viendra pas. Le ciel finira même par s’éclaircir. Une fois de plus nous savourons le plaisir de nous trouver sur un joli sommet et pour le troisième jour consécutif nous sommes seuls. Par une descente facile entre de petites barres rocheuses nous rejoignons le lac Marinet, au-dessus duquel nous faisons une petite pause casse-croûte, avec le traditionnel morceau de saucisson. On le trouve vraiment bon ! J’ai l’impression de faire un festin digne de Pic à Valence  ou de Bocuse à Collonges ! Sacrilège diront certains !

 

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En reprenant le chemin de descente en direction de Maljasset nous rencontrons quatre randonneurs et deux gendarmes. Ces derniers nous disent que les deux jours à venir ne seront pas très favorables, des orages étant attendus en milieu de journée. Bon, nous faudra-t-il nous adapter et envisager des voies de moyenne ampleur nous permettant de devancer le mauvais temps ? Nous verrons bien. Pour le moment nous descendons à Jausiers à la recherche d’une pharmacie car je me suis fait piquer au bras par une bête, et l’une des plaies semble s’infecter. On dirait un peu une piqûre de vipère constituée de trois trous, avec une zone qui commence à se nécroser en périphérie.  Cependant, je ne ressens aucune douleur, pourtant la plaie n’est pas très belle et elle suppure. Mais tout rentrera dans l’ordre avec un désinfectant et une pommade à la cortisone. Jausiers est un joli petit village et nous y passons un moment agréable, malgré une chaleur étouffante.  Nous rejoignons notre gîte à Fouillouse. Nous arrivons après le fatidique signal de la cloche. Le cuisinier qui prend l’air sur le balcon en nous voyant passer après l’heure imposée de 19h nous demande, le sourire aux lèvres de nous presser !

Pour ce quatrième jour, en effet les prévisions météorologiques sont pessimistes, orages dès midi. Nous décidons de partir pour une escalade de deux cents mètres au-dessus de Fouillouse sur les contreforts de Massour, joli bastion  calcaire à mi-distance du col de Mallemort sur le GR5. Les arpenteurs de ce fameux chemin qui traverse, entre autre les Alpes françaises, ne sont pas très matinaux car nous sommes seuls. Je me souviens l’avoir parcouru il y a déjà quatre ans entre Briançon et Nice. J’en garde un excellent souvenir et au col précédemment cité, j’avais rencontré un solitaire qui remontait et qui avait subi des intempéries assez conséquentes. Aujourd’hui même pas un solitaire avec qui discuter. D’ailleurs je ne sais pas si nous avons trop l’esprit à la discussion. Nous pressons le pas, car dès le matin le temps n’est pas très beau et les montagnes restent enveloppées de volutes nébuleuses de mauvais augure. Cependant la marche est toujours aussi jolie, des fleurs partout, qui dans ce temps gris ressortent à la manière de luminions multicolores.

 

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 Alors que nous approchons du pied de la paroi dans les cailloux, où l’herbe se fait rare, apparaissent les magnifiques coroles blanches veloutées des édelweiss. Un peu plus haut une harde de chamois détale, et l’un d’entre eux se découpe sur une arête rocheuse, ce qui permet  une photographie du meilleur effet.

 

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Rapidement équipés, nous partons dans l’escalade à vive allure, malgré la difficulté de ces magnifiques dalles sculptées. Le rocher est de la qualité de celui que l’on rencontre dans des parois mythiques, mondialement connues, l’Escalèse au Verdon, ou les deux Aiguilles  à la montagne Sainte Victoire. Encore une fois nous goûtons un immense plaisir en équilibre sur ces grandes dalles, où l’adhérence des pieds joue un rôle prépondérant.

 

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Mais nous aurons moins de chance qu’hier, alors que Christophe vient de conclure la dernière longueur, et qu’avec Robert nous nous y engageons, la grêle sans préavis se met à tomber. Adieu pour nous cette dernière partie d’escalade. Nous rejoignons sagement le relais que nous venons juste de quitter et en un rappel notre guide nous rejoint. En quatre rappels rapides nous atteignons le pied de la paroi.

 

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Quelques petites averses intermittentes se manifestent, mais nous ne pouvons pas dire qu’elles nous mettent en péril. Nous allons après quatre jours dans cette haute vallée de l’Ubaye, pour notre dernière journée d’escalade quitter le coin et nous rendre dans la vallée du Bachelard, petite gorge profonde et secrète qui conduit au col de la Cayolle. Le gîte de Bayasse nous accueille pour la nuit. Le lieu est sympathique et le propriétaire nous confections une grosse platée de pâtes, qu’il a fabriquées lui-même. Un délice !

Pour notre dernière journée d’escalade, et oui une semaine ça passe trop vite,  nous envisageons de gravir la fière face sud du Chapeau de Gendarme, magnifique aiguille calcaire qui culmine presque à 2600 mètres, et qui sur son versant nord donne sur la station de ski du Sauze. La marche d’approche est raide et pénible, terrain instable dans les pierriers et parfois au-dessus d’à-pics, vers lesquels il est préférable de ne pas glisser. 

 

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 Tous les ingrédients de la montagne sont réunis. Une fois équipé, Christophe enlève rapidement la première longueur, de difficulté moyenne, V. A mon tour je démarre, que c’est difficile, suite à cette marche interminable et du fait que c’est le septième jour consécutif que nous grimpons, je ressens plutôt de la douleur que du plaisir dans ce début de voie. Je me demande ce qui va se passer plus haut lorsque les difficultés vont devenir sérieuses.

 

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 Ce qui m’inquiète, ce sont mes mollets qui ne répondent pas vraiment, ce qui rend mes prises de pied très imprécises dans cette paroi verticale, alors qu’il ne me faudra pas compter sur des doigts d’acier pour palier cette défaillance des membres inférieurs. Mais voilà, le corps est un vrai miracle, à chaque longueur, la difficulté s’accroit, mais les muscles se chauffent et la précision et le plaisir reprennent le dessus.

 

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Dans cette paroi de deux cent cinquante à trois cents mètres, la sensation de vide est impressionnante, car nous avons louvoyé entre des barres rocheuses dans des pentes très raides pour en atteindre le pied. On a l’impression de dominer d’un seul jet le torrent du Bachelard quelques mille mètres plus bas. Nous profitons intensément de cette dernière escalade, qui sur les trois dernières longueurs nous gratifie en premier d’un grand dièdre surplombant, cependant relativement pourvu de prises, et pour finir d’une extraordinaire dalle de 70 mètres de haut, permettant une escalade très aérienne d’une beauté incroyable.

 

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On aimerait que cela ne s’arrête pas tout de suite, bien que les muscles soient soumis à rude épreuve. Ces derniers moments vont s’incruster durablement en nous et susciter l’envie de revenir rapidement se confronter à ces horribles abîmes qui nous attirent tant.

Mais une fois au sommet, la redescente  nécessite de l’attention. En effet, par des pentes très raides et pas très stables, nous redescendons sans nous assurer et tout faux pas s’avérerait fatal. Le terrain fait penser à la haute montagne, l’itinéraire n’est pas toujours évident, et il nous faut serpenter au milieu d’à-pics pas très sympathiques sur des terrains qui ressemblent un peu à des roulements à billes.  Dans les dernières pentes raides en caillasse instable, nous tombons sur une harde de bouquetins qui se laissent approcher. Que ces animaux à l’allure massive sont agiles ! Ils se laissent photographier complaisamment dans les positions les plus esthétiques. Jusqu’au bout l’Ubaye nous aura prodigué ses merveilles.

 

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Mais tout à une fin, nous voilà presque en finale de notre pérégrination. Nous nous retrouvons sur un chemin bien tracé, où les fleurs sont plus nombreuses que jamais, un véritable paradis.

 

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 Nous croisons un Anglais qui monte avec un vélo de course sur le dos. Où va-t-il ? En effet quelque soit sa direction, et le choix n’est pas très diversifié, le vélo devra rester sur son dos à la descente. Il y a vraiment de drôles de gens ! Peu après la route goudronnée est atteinte, puis la voiture, nous rangeons notre matériel de montagne. Je remonte le torrent les pieds dans l’eau pour me rafraichir et profiter encore de cette merveilleuse nature de l’Ubaye et ne pas partir tout de suite,  et avec regret nous quittons cette contrée, avec  l’intention d’y revenir, il nous reste tant à faire.

 

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Voilà notre semaine est terminée. Je me sens un peu fatigué, surtout les avant-bras, mais quel plaisir en me remémorant ces grands espaces peuplés de fleurs, d’animaux et de grandes parois. De plus, ces merveilles ne semblant pas attirer nos semblables, l’impression de monde vierge que cela suscite renforce le bonheur que nous y avons connu durant cette trop courte semaine. Je ne peux que conseiller cette région, l’Ubaye, aussi bien aux randonneurs qu’aux grimpeurs, éperdus de solitude. Bien souvent vous aurez l’impression d’être seuls au monde dans des coins reculés, cependant pas très loin de la civilisation.