11/08/2011
Le cèpe et les autres quand ils se montrent
Le cèpe et les autres
Depuis ma plus tendre enfance les champignons me fascinent. Cela tient à notre père qui nous a toujours emmenés dès que nous avons été en mesure de marcher à travers les forêts des nombreuses régions que nous avons habitées, et les déménagements furent nombreux. Cette passion des forêts m’est donc restée, et plus tard à mon tour, devenu grand et autonome et ayant quitté le foyer parental cette passion a continué à m’habiter et je cours toujours les bois à la recherche de ses hôtes à pied.
En ces périodes de changements climatiques les pousses selon les années sont aléatoires et capricieuses. Mais globalement cela n’est pas si mauvais. Cette année 2011 s’annonce miraculeuse et si l’automne est aussi producteur que ce mois d’août, on pourra parler d’année excellente voire exceptionnelle. L’année dernière 2010 a aussi été un bon cru, en tout cas dans les Vosges. Mais malheureusement j’ai suivi cela de très loin. Ne me trouvant pas en Europe à cette époque, je me suis contenté des photos que l’on me faisait parvenir par le net, sans doute afin de me faire regretter mes grandes envies irrésistibles de voyage au long cours.
Les récoltes annuelles précédentes avaient été médiocres. La dernière cueillette exceptionnelle remonte à 2006. Cette année, dès le mois de juillet les cèpes furent abondants et la pousse se répéta jusqu’au mois d’octobre, c'est-à-dire sur quatre cycles de lune. Eh oui je suis un fervent adepte de l’influence de la lune sur l’apparition de ces habitants des forêts, des champs et des taillis. Je considère qu’en dehors de la période de lune montante, il n’y a point de salut.
Cette passion s’est vraiment révélée lorsque nous habitions à Fribourg en Allemagne. Les cueillettes régulières en forêt noire m’ont marqué de façon permanente. Tout d’abord la jeunesse, j’avais huit ans, et les grands sapins sombres de ces immenses forêts m’impressionnaient mais sans hostilité. Je rentrais dans un monde mystérieux et comme notre père n’était pas particulièrement peureux, il m’arrivait de me retrouver seul de longs moments sans que mes appels n’aient de réponse. Mais cela ne m’empêchait pas de rester concentré sur la recherche de la chanterelle et du cèpe. Peut-être que de cette époque m’est restée cette quête de l’originalité du voyage que ce soit à pied ou à vélo dans les recoins secrets et peu courus de notre planète. Nous faisions des cueillettes conséquentes que notre mère mettait toute sa science à cuisiner.
Il me reste une image forte de cette période. Nous étions en forêt dans une zone relativement dégagée sous de grands sapins, et mon père pousse un cri et me dit « regarde ». Je lève les yeux et que vois-je à une cinquantaine de mètres ? Deux énormes cèpes, avec mes yeux d’enfant je les trouvais d’autant plus gigantesques. Le plus petit approchait sans doute le kilo et le plus gros faisait le double et mesurait dans les quarante centimètres. Rien que de me remémorer cette scène, une joie intense n’envahit, alors que cela remonte à presque cinquante ans.
Dans mes grandes balades en forêt je suis toujours à la recherche de ce vécu, dans l'attente de le revivre. Voilà pourquoi je ne peux pas regarder une prairie, une broussaille, un bord de chemin, une rive de ruisseau ou une forêt sans immédiatement essayer d’y repérer un quelconque cryptogame, qui s'y cacherait. Bien évidemment, tous les champignons n’ont pas la même valeur et ne présentent pas le même intérêt, ni ne procurent le même plaisir à la cueillette. Le roi des champignons pour moi reste le cèpe. Sous cette appellation je regroupe trois espèces très proches, le boletus edulis ou cèpe de Bordeaux, le boletus aereus ou tête de nègre et le boletus pinicola ou bolet des pins. Ce dernier champignon, au port puissant et charnu, n’a rien à voir avec le cèpe des pins du midi ou pissacan. Contrairement à ce dernier qui est frêle, il s’agit d’un champignon qui présente toutes les caractéristiques du cèpe de Bordeaux, en plus trapu et avec des couleurs tirant un peu plus sur le brun rouge.
Au cours de ma carrière de chercheur, les récoltes miraculeuses n’ont pas été très nombreuses. Je me souviens de quelques jolis paniers de giroles grosses parfois comme des assiettes à dessert, des longues séances de ramassage de la chanterelle d’automne en bordure d’Atlantique dans la région d’Arcachon, de quelques jolis paniers de morilles en Alsace, d’une magnifique journée au val d’Aran en Espagne à chercher un champignon rare le tricholome de la Saint Georges ou vrai mousseron. Il s’agit d’un beau et fort champignon blanc à l’odeur prononcée de farine, qui se cache dans les herbes drues des alpages de montagne. Il s’y dissimule tellement bien qu’il faut parfois y aller en tâtant du bout des doigts le tapis végétal, et à la sensation on décide ou non de regarder ce qui s’y cache. Toutes ces expériences passées me laissent des souvenirs impérissables à la hauteur des profondes joies que m’ont procurées de grandes ascensions ou de longs voyages à vélo.
Et bien entendu j’ai gardé pour la fin le cèpe. Là, les belles cueillettes déclenchent un plaisir difficilement exprimable. On rentre dans la forêt haletant, chargé d’espoir à la recherche de la première grosse tête qui poindra de la terre ou des épines de conifères. Une silhouette apparaît, le rythme cardiaque monte en flèche, une joie débordante commence à bouillonner, on se précipite et souvent la déception se révèle avec le rapprochement, car on réalise qu’il s’agit d’un cèpe d’une espèce moins prisée ou d’un champignon autre. Mais ces fausses alertes ne font que renforcer la vigilance. On se déplace à pas mesurés, scrutant les endroits propices, les lisières bien aérées et bien exposées au soleil, les éclaircies en milieu de forêt, là où la mousse, les bruyères ou les myrtilles s’épanouissent. Les myrtilles, elles me font penser surtout aux Vosges, et là il ne s’agit plus de myrtilles mais de brimbelles. Si vous employez ce terme vous serez directement adopté par les habitants du Thillot ou de Cornimont.
Le plaisir du toucher, je pense en particulier à la tête de nègre ou bolet bronzé. Une fois qu’il est aperçu, le plaisir commence. En effet, le saisir procure une sensation particulièrement intense. On part à la découverte du pied qui plonge sous les feuilles ou la terre. Les doigts suivent cette chair ferme, et parfois ils n’en finissent plus de descendre à la recherche du point où ils exerceront une pression délicate pour sortir ce magnifique champignon dans son intégralité, sans l’abîmer. Le toucher du cèpe, lorsqu’il est ferme et son pied conséquent, représente la plus belle émotion du chercheur de champignons, empreinte de sensualité tactile et de surprise. Une autre espèce très différente procure un plaisir similaire quant à la découverte de la longueur du pied et à la prise en main. Il s’agit du tricholome équestre que l’on appelle aussi canari, du fait de sa couleur jaune, ou bidaou dans le sud-ouest. C’est d’ailleurs dans cette région qu’on le rencontre fréquemment, dans les pinèdes en bordure de plage au milieu les zones de mousse, dans laquelle son pied plonge en s’épaississant.
Ce mois d’août 2011 a commencé sous les meilleurs hospices. J’ai eu la chance de faire quatre cueillettes extraordinaires, les trois premières dans les Vosges et la quatrième dans le massif du Pilat dans la Loire. Et nous ne sommes que le 10 août, que d’espoirs en perspective d’ici la fin de l’automne! Tout a commencé dans le massif vosgien. Arrivant un après-midi du tout début du mois d’août chez mon beau-frère au Thillot, ce dernier me montre sa récolte du matin constituée de chanterelles d’automne et de quelques petits cèpes. L’alerte est donc donnée, ces chanterelles d’automne à cette époque bizarre ! Mais les cèpes, cela arrive les bonnes années. Suite à ces révélations je me précipite en fin d’après midi dans la forêt toute en pente au-dessus de chez lui, et le festival commence. Le lendemain j’y retourne à la périphérie des endroits de la veille et rebelote, je rentre à nouveau avec un plein panier. L’endroit semble peu couru. En effet mon beau-frère m’a dit que les deux redoutables chercheurs qui écumaient le coin depuis plus d’un demi-siècle n’étaient plus en mesure de s’aventurer dans ces pentes raides. Je n’irais pas jusqu’à dire que le malheur des uns fait le bonheur des autres, il s’agit simplement des générations qui se succèdent.
Après ces deux belles cueillettes la pluie est venue et nous avons laissé passer deux jours. Le matin avant de rentrer à Lyon nous faisons un tour en forêt à trois, afin que je leur montre les coins dans lesquels j’avais fait de si belles rencontres les jours précédents. Et là, les conditions météo exceptionnelles, orageuses avec pluie et chaleur, ont déclenché une pousse aussi miraculeuse que rapide. D’abord nous ne sommes pas ressortis de la forêt avant midi, adieu le départ pour Lyon dans la matinée, mais nos paniers étaient plus que pleins. À trois nous avions bien quinze kilos de cèpes magnifiques et durs.
Fort de cette expérience vosgienne extraordinaire, nous rentrons dans l’après-midi à Lyon. Vu ce qui pousse dans les Vosges, pourquoi le même phénomène n’aurait-il pas lieu dans la région lyonnaise? Je me précipite chez mon frère et lui conte mes exploits. Nous tombons rapidement d’accord et décidons de tenter notre chance dans le mont Pilat le lendemain matin.
Nous y voilà. Le chemin est très raide. Rapidement nous tombons sur les premiers cèpes, dans des coins où généralement nous en trouvons peu ou pas. Cela nous donne tous les espoirs pour notre « spot » qui se trouve beaucoup plus haut. Nous y arriverons après un certain temps, car de toutes parts les bolets bronzés nous ralentissent. Une fois sur notre place, à perte de vue ou presque les gros chapeaux ronds et noirs tout frais pointent juste hors des épines de sapin. Incroyable, de notre vie nous n’avons jamais vu cela ! Des champignons gros comme le poing, durs fourmillent. Ils sont tellement fermes, que la lame du couteau ripe parfois au moment de couper la pointe du pied. On a vraiment la sensation de récolter des patates. Plaisir fou ! Dans ces moments, tous les sens sont aux aguets. Sommes-nous seuls, va-t-on voir surgir des concurrents qui vont attaquer notre pousse miraculeuse par l’autre bout ? Laisser le moins d’indices possibles. Bien recouvrir les traces qui révèlent la coupe d’un gros pied bien blanc. Essayer de faire disparaître les restes de grattage des pieds avant de mettre nos prises dans le panier, afin de ramener le moins de terre possible. Une fois le panier bien plein, enlever son t-shirt, afin d’essayer de masquer cette récolte miraculeuse. Un chercheur ne donne jamais ses coins !
Une fois de plus en une semaine nous revenons fortement chargés. Aujourd'hui, mon frère et moi portons chacun un grand panier et un sac de supermarché aux larges dimensions. Nous ployons sous la charge, les muscles des bras tétanisés par le poids de la multitude de cèpes. Pourvu qu'en descendant nous n'en trouvions pas d'autres, car où les mettre? Le cèpe rend le chercheur frénétique! Nous redoutons de glisser dans la pente très raide par endroits et de voir notre précieuse récolte dévaler au hasard des accidents de terrain. Il faut amortir les secousses dues au déplacement, afin d'éviter le tassement des champignons en fond de panier ou de sac. Tout se passera au mieux et sans avoir rencontré âme qui vive, nous atteignons la voiture et nous cachons rapidement nos trésors dans le coffre. Nous laissons alors une immense vague de joie nous envahir. Pourquoi le cèpe procure-t-il une telle montée de plaisir?
Et ce n'est que la première phase, car s'en occuper en les grattant, les couper, les faire sècher, les mettre au congélateur tel quel, ou les faire rissoler à la poêle avec une odeur de persil et d'ail qui monte, fait partie de la deuxième phase du rite lié au cèpe! Et en finale bien sûr les manger apporte une autre gamme de plaisirs, d'autant plus intenses que le vin a été bien choisi et s'harmonise avec bonheur à ce miracle de la forêt!
Le soir à la télévision on ne parlait plus que de champignons, et de cèpes en avance de trois semaines. Je pense que dès le lendemain les hordes se sont lancées dans les bois. Par chance j’ai eu l’occasion d’être un peu en avance grâce à l’indice donné par mon beau-frère, ce qui m’a permis de faire des cueillettes extraordinaires et la dernière et quatrième je la qualifie tout simplement de plus belle de ma vie !
15:52 Publié dans champignons, expérience vécue | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : cèpe, chanterelle, girole, bidaou, mousseron
Commentaires
MERCI pr ce moment de prose sur un sujet qui me parle...Mon pére est un cueilleur né, un glaneur.
J'avais profité de tes qualités de conteur avec bruitage....à propos de souvenirs professionnels..
Mais là franchement tu devrais écrire plus svt.... pourquoi pas un livre? pr en faire profiter au plus grand nombre.
Écrit par : mattera | 21/10/2011
Bonsoir,
Quelle verve, dites- moi! Votre blog sent le "cousue main", vraiment très bien écrit, et photos à l'appui. Du fond du cœur, vous méritez de publier un ouvrage.
Cordialement
Valérie
Écrit par : Valérie Bergmann | 02/12/2011
Hey, ce billet est tout simplement génial. Ca part tout de suite dans mes bookmarks.
Écrit par : assurance voiture pas cher | 15/09/2014
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