10/03/2009
Vercors la Méditerranée à pied
Luc-en-Diois Cassis
Cette région des Préalpes françaises qui borde le flanc est de la vallée du Rhône est tout a fait étonnante. Elle recèle une multitude de bijoux naturels, qu'il s'agisse de massifs montagneux ou de belles rivières enserrées dans de magnifiques gorges parfois impressionnantes. En la traversant en voiture on la trouve sauvage, mais lorsqu'on prend le temps de l'arpenter par les chemins de traverse à pied et cela en dehors des périodes de vacances, on en évalue toute la solitude dès que l'on quitte le fond des vallées.
Je vais vous conter ce voyage de 9 jours que j'ai eu le plaisir de faire au mois d'octobre 2007.
Il est deux heures du matin le mercredi dix octobre, comme souvent avant un départ la nuit n'est pas très bonne. Je prends le gros pavé sur Mazarin, qui a été loué par la critique, et cela à juste titre. Mais ma lecture est distraite par le raffut que fait la pluie sur le toit. A l'époque d'Anne d'Autriche les situations politiques internes et externes étaient inextricables, d'où ma difficulté à me concentrer et à suivre le fil de l'action. Je reprendrai la lecture de ce livre dans de meilleures dispositions intellectuelles. Mais ne pouvant dormir, j'en profite pour terminer un récit plus abordable et cependant fort intéressant, d'une jeune écrivain albanaise: le pays où l'on ne meurt jamais. Le bruit de l'eau sur les tuiles ne semble pas se calmer. Je suis un peu inquiet à l'idée de prendre le train de Lyon pour Luc-en-Diois, point de départ de ma balade jusqu'à la mer. Etre mouillé en été cela se gère assez bien, mais mi-octobre cela devient plus délicat. Enfin mon expérience et mon matériel « high tech » devraient me permettre de survivre dans des conditions acceptables.
Vers les sept heures, affublé de mon parapluie je pars prendre le métro. Le train TER, tortillard qui descend la vallée du Rhône est bondé d'une foule hétéroclite, jeunes qui doivent aller à l'école, anciens qui vont à la ville d'à côté, personnes qui partent travailler. Il est toujours étrange d'être habillé en « vacancier » au milieu de gens qui ont pour souci immédiat leurs activités professionnelles de la journée. Les multiples arrêts ne permettent pas toujours à la motrice de bien s'élancer, et j'ai tout loisir de contempler ce merveilleux fleuve et les vignobles réputés qui le dominent, Condrieu, Côtes Roties et Hermitage pour ne citer que les plus fameux. Et dire que le Rhône est durablement contaminé sur tout son cours par une pollution à la dioxine.
Alors que je suis absorbé par ces sombres pensées, le jour se lève franchement, la pluie s'est calmée et de grands morceaux de ciel bleu me donnent les meilleurs espoirs pour les jours à venir. Après un changement en gare de Valence, nous nous engageons dans cette magnifique vallée du Diois. Le soleil se fait très présent et prend le contrôle de la situation. Toutes les teintes vives de l'automne éclatent et sont rehaussées par la magie de l'eau et de la lumière. Des taches rouges aux multiples dégradés accompagnées de touches de jaune en pinceaux élancés ponctuent le vert dominant. Les parcelles les plus petites de vigne de clairette de Die s'insinuent jusqu'au tréfonds des anfractuosités des vallons qui s'accrochent de part et d'autre de la voie ferrée. Les magnifiques et austères parois du Vercors se dévoilent, les Trois Becs appelée aussi la Pelle avec sa très impressionnante paroi nord, et un peu plus loin la bien plus redoutable paroi de Glandasse. Beaucoup de souvenirs remontent.
14h26 Die, encore un gros quart d'heure et ce sera Luc-en-Diois. Je suis toujours impressionné juste au démarrage d'un parcours de plusieurs jours en solitaire. La mer semble loin et je me demande si je vais y arriver. Pourquoi marcher seul? Cet été 2007, j'ai fait en groupe un trek très agréable de12 jours dans le Haut-Atlas marocain. J'ai beaucoup apprécié, les gens avec lesquels je me trouvais étaient particulièrement agréables et je n'ai décelé aucune tension au sein du groupe. Honteusement, je dois cependant avouer que du fait sans doute d'une certaine paresse intellectuelle, lorsque je suis en groupe et que quelqu'un veut mener la danse, tant qu'il n'y a pas de danger je me désintéresse de l'itinéraire, et maintenant en regardant une carte du Maroc, je suis incapable de situer le lieu de notre randonnée. Donc de toute évidence, le fait de partir seul demande de mobiliser ses facultés intellectuelles et cela constitue déjà une bonne raison de pratiquer la balade dans ces conditions.
Le train ralentit et s'arrête à la minuscule gare de Luc. Je suis seul à descendre,rapidement le train s'éloigne et pas âme qui vive en ce lieu. Un léger temps d'adaptation est nécessaire pour faire la transition entre un wagon bondé et bruyant et ce petit quai aux quatre vents. En ce début d'après-midi je traverse le village désert. Par la route en quelques minutes je rejoins le très curieux chaos qui a pour nom le Claps. Il y a quelques dizaines de milliers d'années, voire plus, un gigantesque glissement de terrain s'est produit à partir d'une grande strate calcaire, ce qui a précipité d'énormes blocs au fond de la vallée, qui de ce fait présente une physionomie étonnante. Entre autre dans cet amoncellement de blocs on peut admirer le Saut de la Drôme. Il s'agit en fait d'un ruisseau canalisé, passant sous la route. A la lecture de la carte on pourrait s'attendre à autre chose.
Par une route étroite je rejoins Lesches-en-Diois, petit village à partir duquel le GR9 me conduit à Beaurières. A mon entrée dans ce hameau le crépuscule est imminent, le ciel s'est à nouveau obscurci. Il s'agit plutôt de brouillard que de mauvais temps. J'ai marché assez lentement et me sens fatigué, bien que n'ayant pas fait quinze kilomètres. L'accoutumance nécessite un certain délai, demain tout rentrera dans l'ordre. Le premier habitant rencontré m'enlève tout espoir de trouver un point de chute pour la nuit. Je trouve l'indispensable, une fontaine et remplis mes bouteilles. En passant au centre du village, un bistrot épicerie est ouvert, c'est le Pérou. Je pose à nouveau la question du point de chute pour la nuit. Et là miracle, il m'est répondu que le gérant du village de vacances fermé à cette époque est juste sur le trottoir. Il accepte de me passer un mobile home pour la nuit au prix de 15 euros. Je ne dormirai pas dans la forêt envahie par le brouillard. Soirée calme, un couple occupe une autre habitation. Une douche chaude me fait le plus grand bien. Une soupe épaissie à la purée vite engloutie, j'attaque le livre que j'ai emporté : l'éloge des femmes mûres.
Lever matinal, visibilité réduite, après un petit déjeuner au bistrot je remonte prendre mes affaires et j'attaque la montée du col de Cabre. Il fait très sombre, on se croirait presque en hiver. Cet effet est du à la brume épaisse qui s'est accumulée dans la vallée. Cependant malgré la pénombre, je remarque dans l'étroit cours d'eau que je longe des petites mares, dans lesquelles des truites détalent à mon passage. A l'immobilité de l'air je sens que le temps est très beau et qu'en prenant un peu d'altitude la clarté du ciel va apparaître. En effet un moment plus tard, les bancs de nuages se déchirent et j'émerge en plein soleil. Les derniers mètres entre brouillard et lumière sont féeriques. Par paliers les arbres passent de teintes grises aux couleurs les plus flamboyantes, le tout éclaboussé de rayons lumineux jouant avec les gouttelettes d'eau en suspension.
Je coupe la route goudronnée et que vois-je? Un mastodonte monter à bonne allure, il s'agit d'un camion transportant une belle quantité de mercedes toutes neuves. Décidément la civilisation n'est pas loin. A ce col René Desmaison avait une maison les dernières années de sa vie, j'y pense parce qu'il vient de mourir. D'après ce que j'ai entendu ses cendres vont être dispersées dans le Dévoluy près de montagnes qu'il a beaucoup aimées, le Pic de Bure et la Crête des Bergers, parois que je vais croiser au cours de mon périple.
Du col de Cabre il faut encore monter au col de Valdrôme avant de basculer vers le village du même nom. Le chemin est un enchantement entre brume et soleil, j'ai vraiment l'impression de jouer à saute-nuages. Au milieu d'un champ un arbre étrange, sans doute très vieux, ressemblant à un noyer, étale son feuillage présentant une large palette de couleurs. Certaines feuilles sont encore bien vertes, d'autres un peu marron comme si elles avaient souffert d'un manque d'eau , d'autres part touffes jetées un peu au hasard sont jaunes ou rouges, vraiment étonnant. Une atmosphère vaporeuse stagne à l'arrière plan, de laquelle surgit une jolie crête dont je n'arrive pas à déterminer le nom.
Au village de Valdrôme, le GR part un peu vers l'ouest en évitant la montagne. Cette belle pente me tente et je m'engage plein est afin de gravir ce beau belvédère. Après un tronçon de route goudronnée et un court détour car le chemin est barré à l'entrée d'une propriété, une magnifique sente très sauvage me conduit aux larges espaces des pistes de ski. En suivant un remonte-pente raide j'arrive à proximité du Pas de la Lauze à 1553 mètres d'altitude. L'air est immobile, il se dégage une quiétude prégnante qui va m'accompagner durant neuf jours. Un troupeau de moutons débouche, derrière suit une bergère que je salue. Il est à peu près quatorze heures, c'est la première personne que je rencontre depuis ce matin, le chauffeur du camion je ne l'ai pas vu. Après avoir mangé en prenant mon temps le lieu invitant à la flânerie, je m'engage en descente dans un raidillon où il faut faire attention. Je plonge dans une forêt aux couleurs presque irréelles. Parfois on pense que les peintres forcent sur les teintes et qu'ils osent des contrastes par trop marqués, mais il n'en est rien , il ne font que copier la nature. Un petit coup au moral, un panneau indique Serres, mon point de chute pour ce soir, à 12 ou 14 kilomètres. Mais rapidement l'enchantement du lieu me fait oublier ces contingences bassement matérielles.
Un long vallon en sous-bois tapissé de feuilles dans lesquelles mes pieds immergés font bruire le tapis végétal, déroule sa pente régulière, ce contact souple et moelleux au niveau de la plante des pieds est sensuel. Je longe un ruisseau presque asséché, ponctué de temps à autre de petites mares qui attirent à la longue ma curiosité. Je m'approche de l'une d'elles, de taille réduite, trois mètres de long et un de large. L'eau est claire, à chaque extrémité des feuilles couvrent sur une distance de quelques dizaines de centimètres sa surface. Je vois un mouvement provenant de l'un des bords. Une belle truite sort de sous les feuilles et rejoint la partie la plus profonde. Incroyable dans un si faible volume d'eau. Alors de l'autre côté un scénario similaire se produit. La profondeur en bordure est de quelques centimètres seulement. Tandis que je reste sous l'effet de l'étonnement à regarder fixement , la truite qui vient de quitter son abri y retourne. Je me dis qu'il est peut-être temps de tester la pêche à la main. Je m'approche doucement, passe les doigts sous les feuilles et sens la truite dans ma paume. Je la caresse, ne sachant pas de quel côté est la tête. De peur de lui faire mal, n'ayant pas l'intention de la prendre aux ouïes, je me contente de légèrement l'effleurer quelques secondes, puis elle démarre et je vois un magnifique poisson d'une bonne vingtaine de centimètres, tout constellé de points rouges éclatants , regagner le centre de la mare, grande émotion.
Au lieu-dit la Montagne j'abandonne le petit vallon et m'engage à flanc. Rapidement la vue se dégage. Un poirier abandonné offre des fruits tout rabougris. J'en cueille un par curiosité. Il est de chair rêche et dure mais il s'en dégage un jus chaud et admirablement sucré, un délice. Au premier plan en contre-bas le village de Sigottier et sa jolie falaise d'escalade. Au second plan, une vision qui m'émeut profondément. Dans cet air calme et pas très limpide de fin d'après-midi se dévoilent dans leur blancheur les magnifiques parois du Pic de Bure et de la Crête des Bergers, au-dessus desquelles depuis quelques jours l'esprit de René Desmaison a choisi sa dernière demeure. Je reste un long moment au pied de ce poirier la gorge serrée ne pouvant continuer à profiter de ce merveilleux nectar.
Je m'arrache à l'envoûtement du lieu et reprends mon chemin vers la petite ville de Serres. Au détour d'un mouvement de terrain m'apparaît la crête d'Eyglière qui constitue la première partie de mon étape du lendemain. Comme elle semble tranchante et aérienne, un gros morceau de plaisir en perspective. Le chemin rejoint le fond de la vallée et j'entre dans la ville. En passant devant la mairie je peux admirer la beauté de sa porte en bois. Rapidement je choisis un hôtel, dont l'accueil n'est pas des meilleurs et la proximité de la rue implique d'avoir le sommeil profond. A sa seule décharge, le dîner est très correct même bon. Nuit médiocre, qui découle sans doute du cumul d'une étape longue en début de parcours et du passage de gros camions au centre ville.
Vers les huit heures départ en direction de cette belle arête d'Eyglière. Je coupe au plus court, à la sortie de la ville je traverse un champ en contre-bas de la route en direction de la trouée semblant indiquer l'itinéraire. Un petit doute m'assaille, mais rapidement je suis certain d'être sur le bon chemin. La sente en courbes serrées s'élève vers la crête parmi une multitude d' arbustes à feuilles caduques aux teintes les plus variées, jaune, rouge, vert, rose et tous les dégradés passant de l'une à l'autre. Le soleil rasant rehausse les contrastes entre les tons. Je suis sur un sentier comme je ne savais pas qu'il en existait dans le monde réel. Puis succède un passage raide exclusivement rocheux, en calcaire blanc éclatant. Le fil de l'arête est atteint. Elle a fière allure, une grande chevauchée m'attend. La ville blottie au fond de la vallée m'apparaît empanachée d'un brouillard diffus. Plus loin vers le nord, le Dévoluy est encore très présent. Un peu plus à l'est le massif des Ecrins dévoile nombre de ses beaux sommets, parmi lesquels la Barre des Écrins et le Sirac.
L'air est immobile, de grandes herbes dorées m'accompagnent tout au long de la montée. Près du sommet en pleine pente, juste devant moi dans de ce foisonnement couleur or une compagnie de bartavelles décolle. Je suis tellement surpris par leur proximité et le bruit fort de leurs battements d'ailes, que j'en prends un coup d'adrénaline. Marcel Pagnol aurait été à ma place ou plutôt son père, il aurait pu faire au moins un triple coup du roi.
Au sommet, une halte repas me permet de faire le point. Cette cime a pour nom Rocher de Beaumont, elle constitue un belvédère duquel la vue est de tout premier plan dans toutes les directions. Elle domine la vallée d'à peu près mille mètres. Au loin au deuxième plan vers le sud je discerne la montagne de Chabre que je dois dépasser aujourd'hui. Le parcours me semble long, je me dis que je ne vais pas y arriver et instantanément le moral en prend un coup. Vers le nord et l'est comme je l'ai dit , le regard embrasse le Dévoluy et le massif des Écrins. En direction de l'ouest se déroule un moutonnement de collines et de petites montagnes jusqu'à la vallée du Rhône.
En me tournant de nouveau au sud j'étudie précisément le trajet que j'ai à faire avant la nuit. Pour commencer une longue descente conduit au joli village de Trescléoux. Ensuite de l'autre côté de la vallée se dresse fièrement la Montagne de la Garde. J'envisage de la contourner par l'est et le sud et de rejoindre directement la vallée qui mène à Orpierre. Puis dans le lointain barrant l'horizon d'est en ouest la Montagne de Chabre que je dois franchir par le col de l'Ange. La descente en versant sud vers Bârret-sur-Méouge n'est pas visible.
Il faut bien repartir et le premier pas paraît minuscule devant le gigantisme du décor. Le village de Trescléoux grossit et proportionnellement le moral suit. Je quitte la zone peuplée de ces magnifiques grandes herbes aux teintes mordorées. Au détour d'un pré un splendide cheval noir au pelage luisant passe au trot. L'arrivée dans le village est superbe, par un petit chemin schisteux parsemé de touffes de buissons. Il donne vraiment sur le village car on surplombe les toits. A la fontaine, je fais un arrêt de courte durée le temps de prendre de l'eau. J'entame le contournement de la montagne de la Garde. Ma carte au 100 000 manque un peu de précisions pour la traversée de garrigues sans chemin balisé. Rapidement cela se termine à l'intuition, en suivant les courbes de niveau puis le long d'un petit oued à sec et encore par des chemins qui vont dans la direction voulue, tout du moins au début. Après plusieurs détours pour sentiers disparaissant dans les fourrés, je débouche directement dans la déchetterie d'Orpierre. J'en reconnais le gardien, car il n'y a pas longtemps nous sommes venus y vider les déchets d'une vieille maison. La route sur quelques kilomètres me conduit au village. J'ai tout loisir d'admirer le fameux Quiquillon présentant une multitude de belles escalades sur une hauteur de cent cinquante mètres. Une fois sur la place centrale, il me faut constater que l'épicerie est fermée et n'ouvrira pas avant seize heures. Je n'ai pas le temps de stationner deux heures, cela compromettrait mon étape du jour.
Après une brève halte je repars directement vers le col de l'Ange. Montée longue et diversifiée, d'abord en forêt puis le long d'une sente pierreuse soutenue qui offre de très beaux points de vue et pour terminer à nouveau la forêt durant une petite heure, et bien entendu pas âme qui vive. L'arrivée au col de l'Ange se fait en présence d'un soleil rasant de fin d'après-midi, donnant tout leur éclat aux magnifiques dalles calcaires qui ornent ce passage. Et toujours cet air calme, assis sur cette arête je peux observer en direction du nord une bonne partie du chemin de la journée et vers le sud ce qui m'attend demain. Il s'agit de deux jolis mouvements de terrain, la montagne de Chanteduc et la montagne de Lure, encore cette impression d'éloignement somme toute trompeuse. Tout à mes réflexions, allongé dans l'herbe , perché entre deux vallées je me laisse bercer par la quiétude du temps, pas un souffle d'air et ce soleil généreux qui caresse la peau. Comment imaginer que nous sommes mi-octobre en fin d'après-midi à mille quatre cent mètres d'altitude. M'arracher à ce bonheur me fait violence. Le village de Bârret-sur-Méouge est quelques kilomètres en contre-bas et l'atteindre est rapide. Un peu avant les maisons, sur un promontoire de faible ampleur les ruines d'une vieille église dressent encore quelques hauts pans de murs. A leur pied un ancien cimetière à l'abandon, peuplé d'herbes folles qui s'allument au soleil couchant, dégage une impression de sérénité qui défie les siècles.
Les premières maisons dépassées, je remarque un robinet et un petit carré d'herbe à proximité caché le long d'une haie. En cas de besoin ce sera l'endroit idéal pour monter la tente. Dans un dernier effort le soleil met le feu aux magnifiques boules de feuillage jaune clair des arbres qui m'entourent. Que ce contraste de lumière avec l'ombre ambiante est prononcé.
Au débouché sur la place centrale, un hôtel manifestement fermé, voire plus exploité depuis un certain temps. Un camping indiqué, je m'y dirige . Je tombe sur deux hommes en train de s'affairer sur le site. L'un d'eux me permet d'installer ma tente pour la nuit mais il me prévient qu'ils viennent de mettre les installations hors gel et qu'il n'y a plus d'eau. Je leur explique que je peux me passer de tout sauf justement d'eau. Donc je le vois sortir son portable et après un bref dialogue, il me demande si un gîte pour la nuit m'intéresse. Je lui fait remarquer qu'à pied je ne désire pas faire trop de chemin. Il me répond « Aucune importance je vous conduis en voiture ». Nous voilà partis pour le hameau de Salérans. Je suis déposé dans un magnifique petit gîte à l'accueil particulièrement sympathique. J'apprendrai que la personne qui m'a si gentiment conduit est le maire du village. Soirée exquise, repas excellent ,nuit très bonne; un copieux petit déjeuner pris le propriétaire me ramène devant l'hôtel à l'abandon. Il m'explique que leur gîte étant trop petit, début 2008 ils reprennent son épouse et lui l'exploitation de cet établissement. Effectivement au mois d'avril 2008 de passage dans la région je m'y suis arrêté deux nuits et l'accueil était toujours le même. Je le conseille donc très vivement, il se nomme Hôtel de la Méouge, nom emprunté à la petite rivière qui coule dans cette vallée. Ses gorges sont remarquables, offrant par endroits des points de vue époustouflants. Pour ne rien gâcher un magnifique chemin, souvent plus une sente étroite, de temps à autre aérien, permet de contempler de l'intérieur ces gorges sur une bonne distance. Lieu idéal pour venir se mettre au calme quelques jours.
Me voilà à nouveau sur le chemin. Les conditions météorologiques sont toujours aussi clémentes. En automne les périodes de beau temps sont souvent très stables. Les orages d'après-midi dus à la chaleur n'ont plus lieu. Rapidement je me retrouve en forêt et j'attaque les huit cents mètres de dénivelé qui conduisent au col de Branche. Les couleurs des arbres sont toujours aussi belles, les contrastes des plus étonnants, le jaune le plus tendre qui se découpe sur le vert foncé des sapins. Les jeux d'ombre et de lumière ajoutent à la complexité des teintes qui s'emmêlent. Comme souvent, pris sous le charme de la nature qui sans retenue distribue à celui qui veut les regarder ses plus beaux atours, j'oublie toute idée de position. Soudain je tombe sur un panneau indiquant Ribiers. Manifestement ce n'est pas mon itinéraire. Le col de Branche que je dois franchir est plus à l'ouest, donc il me suffit de monter sur la crête qui me domine et de repartir à sa rencontre. Cette erreur d'itinéraire à part une petite demi-heure de marche supplémentaire, m'offrira un des plus magnifiques paysages que j'ai eus l'occasion d'admirer. Cette arête est un enchantement. Les herbes hautes couleur or, dont les teintes sont mises en exergue par le soleil rasant les éclairant à l'horizontale, se détachent sur le ciel bleu au gré des ondulations du terrain. De part et d'autre le regard porte très loin, et je peux distinguer une multitude de silhouettes de montagnes auxquelles je sais raccrocher un nom et cela me remplit de joie. Au second plan la Montagne de Lure est très impressionnante, sa crête est entaillée par le col Saint Vincent, passage que je compte emprunter.
Ce parcours conduisant au col de Branche, j'aimerais qu'il ne finisse pas tant l'émotion ressentie à chaque pas est puissante. En pleine pente, une prairie dorée au milieu de laquelle un arbre de petite taille au tronc frêle et au feuillage terni par le manque d'eau se découpe sur le ciel clair. Je reste saisi par l'esthétique du lieu et de la disposition des éléments.
Une courte déclivité et j'aperçois le chemin que j'ai heureusement manqué, je n'aurais jamais parcouru cette sente pendue dans le ciel si j'avais été plus soucieux de l'itinéraire. Encore un col à passer un peu plus loin, aux environs duquel je rencontre un couple de randonneurs stéphanois et quelques chasseurs en quête de sangliers. Puis une longue descente me mène au village de Saint-Vincent-sur-Jabron. Petit village endormi dans lequel seul un bistrot est ouvert. Un steak frites m'est proposé. Les chasseurs rentrent. Manifestement la chasse n'a pas été miraculeuse. Ils m'expliquent qu'avec la sécheresse et l'abandon de la culture du maïs, les cochons sauvages sont partis chercher leur pitance dans d'autres vallées. En effet j'ai pu constater que les signes de sécheresse sont inquiétants, beaucoup d'arbres de toute évidence en souffrent et en portent les stigmates. La terre, pratiquement tout le long de mon itinéraire, est dure et craquelée. Des champignons en une bonne centaine de kilomètres je n'en ai vus que quelques uns isolés, alors que la saison mycologique bat son plein.
Après une heure agréablement passée avec ces autochtones qui ne se laissent pas abattre le moral par une mauvaise chasse, je repars tout joyeux et le ventre plein en direction de la Montagne de Lure. Quelques détours plus loin, je me trouve au pied du sentier très raide qui se dirige en direction du col Saint-Vincent. Au milieu de la montée je rencontre un promeneur solitaire de la journée. La discussion que nous engageons me montre qu'il connaît admirablement bien la région. Je lui demande donc si dans le village de Lardiers il est possible de trouver un gîte pour la nuit. Il me dit le plus grand bien d'un restaurant au centre du village sans se prononcer sur l'hébergement. L'établissement qu'il m'indique, les chasseurs venaient de m'en parler avec des trémolos dans la voix. De toute évidence il faut absolument que j'y aille.
Le col Saint-Vincent est matérialisé par un petit espace plat et herbeux en forêt. Avec de l'eau ce serait l'endroit rêvé pour bivouaquer, mais cette dernière me manque et les quelques heures de jour me poussent à poursuivre. Souvent dans mes randonnées je dors dehors parce que je n'ai rien trouvé d'autre. Mais paradoxalement les meilleurs souvenirs que je conserve de ces petites aventures ce sont justement ces nuits passées à la belle étoile.
Le vallon que j'emprunte pour descendre du col est orienté plein sud. Étant donné l'heure son versant ouest est inondé d'une belle lumière déjà oblique. La végétation, une fois de plus dans ce bain de soleil aux rayons tangents, révèle un foisonnement de teintes. Le calcaire blanc au gré des pierriers apporte une touche de couleur supplémentaire du meilleur effet. Au débouché du vallon apparaît le premier champ de lavande, le midi j'y suis.
Une fois dans le village, la curiosité avivée depuis plusieurs heures, je recherche ce fameux restaurant qui se situe au centre. La salle est originale et a beaucoup de charme. Je commande une bière. Je peux manger mais pas dormir. Un gîte à la sortie sud du hameau m'est indiqué, donc à regret je m'y dirige, j'aurais bien tester l'art du cuisinier. Rapidement la courte distance est parcourue. Bien que nous soyons samedi soir il y a de la place, seul c'est rarement un problème. L'accueil est excellent. Le repas du soir comprend, entre autre chose, un magnifique gibier accompagné d'une bonne quantité de chanterelles ramassées sur place, un immense régal.
Le lendemain au cours du petit déjeuner, au demeurant fort copieux à base de succulents produits locaux, mon hôtesse, sans rentrer dans de trop grandes précisions, me livrera quelques secrets sur la cueillette d'un champignon mythique, l'amanite des Césars ou oronge. Elle m'indiquera une recette concernant le vin afin d'accompagner au mieux ce produit divin. Une cuillerée à soupe de miel dans une bouteille de vin blanc, quelques heures au frais, le temps que les deux composants se fondent bien , et alors sur ce breuvage toute la palette de saveurs et senteurs de l'oronge vous explose en bouche. Je suis pressé d'essayer, mais hélas cette année du fait du manque d'eau ces merveilleux champignons ne se sont pas montrés.
Départ de ce sympathique gîte, de toute évidence certaines personnes ont des talents pour faire le métier d'accueillir et de faire partager un moment très agréable. Il faut se remettre dans le rythme. L'étape d'aujourd'hui doit me conduire au village de Céreste au nord de la montagne du Lubéron. Durant cette marche, peu de choses marquantes me reviennent en mémoire, alors que les chemins suivis sont très agréables. L'arrivée au Hameau du Petit Gabiau mérite cependant quelques développements. Trois magnifiques arbres marquent l'entrée du lieu, les deux premiers au niveau du panneau, un pommier couvert de beaux fruits rouges brillants et un vieux châtaigner au feuillage en boule, qui arbore une couleur vive jaune presque citron. Puis le premier virage à gauche effectué, un chêne manifestement plus que centenaire emplit tout l'espace et déploie un branchage aux multiples ramifications évoquant des dizaines de pieuvres géantes fouillant le ciel de leurs tentacules emmêlés. Au cours de cette étape peu de côtes, le dénivelé est faible, le sol présente un aspect très sec donc une nature qui souffre du manque d'eau et qui présente généralement des couleurs ternes. Souvent je progresse sur route goudronnée, j'ai manqué l'embranchement qui devait me conduire dans les gorges de l'Oppedette et m'en rends compte trop tard, donc un peu plus de goudron. Avancer c'est toujours bon pour le moral et pour cela je n'hésite pas à parcourir des portions de route même lorsqu'elles sont passantes.
J'arrive vers les seize heures un dimanche après-midi dans la petite ville de Céreste. Il n'y a pas grand mouvement. Je trouve un hôtel charmant. J'y dépose mes affaires et vais me promener. Dans l'un des bistrots ouverts je bois une grande bière. La conversation des vieux bergers qui se trouvent dans le lieu mérite d'être écoutée. Il est question d'histoires locales du style du pâtre qui avait un scorpion dans son pantalon au réveil ou qui s'était coupé à la serpe le doigt après une morsure de vipère, le tout raconté avec l'accent chantant du midi, un vrai plaisir. Je retourne à l'hôtel pour le dîner. Le menu est de qualité, le vin choisi charpenté. La patronne m'apprend que ce vignoble donne deux vins aux noms différents. Deux frères qui sont brouillés, chacun possédant une ligne de pieds de vigne en alternance et de ce fait deux noms différents pour une seule vigne.
Départ vers les huit heures, très vite les premières bosses du Lubéron se présentent. Au creux de petits vallons des bancs de brume, prenant de belles couleurs avec le soleil levant, traînent paresseusement. Cette montagne je vais simplement la traverser du nord au sud dans sa partie est. Au détour d'une route une jolie publicité sur le vin de la région annonce « vin du Lubéron un bouquet de lumière ». Par la route au plus court je rejoins la petite ville de la Bastide-des-Jourdans. Dans cette agglomération une erreur d'itinéraire une fois de plus va me permettre d'être le témoin d'une scène étonnante. Dans une ruelle, un premier sens interdit est positionné au niveau d'un muret. Deux chats immobiles comme deux sentinelles, pratiquement à hauteur du panneau, attendent les contrevenants. Quelques dizaines de mètres plus loin un nouveau sens interdit avec un petit mur, le tout dans la même configuration, et là ils sont trois bien alignés sur leur derrière à surveiller le civisme du citoyen.
Mon point de passage suivant est constitué par le pont de Mirabeau qui franchit la Durance. Pour y parvenir je vais sur une bonne dizaine de kilomètres me diriger en essayant de garder une orientation sud sud est. La carte au cent mille nécessite de rester bien concentré , par temps de brouillard cela deviendrait très sportif. Avant le joli village de Mirabeau, j'étanche ma soif avec une dernière grappe de raisins surmûris oubliée lors de la vendange qui a du avoir lieu quelques semaines auparavant. Ensuite un chemin étroit et pentu conduit en bordure de la Durance à quelques centaines de mètres du pont. Pas moyen de marcher en dehors de la route, la circulation est importante, heureusement que cela ne dure pas. Ce pont possède une particularité rare, chacune de ses quatre piles est située dans un département différent. Il s'agit me semble-t-il du Var, des Bouches-du-Rhône, du Vaucluse et des Alpes de Haute-Provence. Ce passage est un véritable nœud de circulation où l'on franchit route et autoroute.
Je me dirige vers Jouques par un chemin agréable à travers la garrigue. Une fois sur place aucune possibilité d'hébergement. Un gîte à quatre kilomètres au lieu-dit le Catalan m'est indiqué. Je m'y rends bien que cela m'écarte de mon chemin. Ces derniers kilomètres m'apparaissent bien longs. Un peu avant de toucher au but, alors que je commence à douter, un coureur me confirme que je suis sur la bonne route. Le site est superbe, l'accueil très gentil, mais il n'y a pas de place. Je demande l'autorisation de camper. Le propriétaire me propose alors dans un minuscule bâtiment en pierres sèches une chambre qu'il réserve habituellement à la famille et aux amis. Elle est pleine de charme. Il ne pourra pas m'assurer le repas du soir mais il m'autorise à aller me servir dans son jardin qui regorge de trésors, tomates de vieilles espèces, fraises, framboises. Je vais faire un véritable festin. Sur une étagère je trouve un reste de bouteille de vin qui ma foi se boit. Ce gîte fait partie des lieux où je reviendrai me mettre au calme quelques jours.
Lever très matinal, l'étape sera longue, je compte aller dormir à Puyloubier sur le versant sud de la Montagne Sainte-Victoire après avoir traversé ses superbes crêtes d'ouest en est. Premier dilemme, soit un chemin évident revenir en arrière soit couper tout droit à travers des reliefs accidentés sur une belle distance avec quasiment aucune information sur ma carte. Rapidement j'opte pour cette deuxième solution, d'abord ce sera plus court ( ce en quoi je me suis trompé) et puis l'aléa de l'itinéraire ajoute au piment de l'aventure.
Une ligne à haute tension se dirige à peu près dans la direction de mon itinéraire. Généralement il est possible de marcher assez facilement sous ce type d'infrastructure. Un peu plus loin elle traverse une immense propriété privée, cependant aucune barrière n'interdit le passage. Je continue donc, j'arrive à proximité de zones cultivées, que je contourne et je reprends mon axe de progression. Là, les choses vont se corser. Trois gros chiens me foncent dessus, deux bergers allemands et un bâtard tout noir. Pendant dix bonnes et longues minutes je m'efforce d'avancer tout en assurant mes arrières. L'un des bergers est très agressif, à plusieurs reprises il fait mine de me sauter dessus, à chaque fois je fais front et il s'arrête à moins d'un mètre. Ne pas se laisser encercler, toujours les garder tous les trois du même côté. L'attaque de l'un d'eux risque de déclencher la curée générale. Si je dois en frapper un avec la grosse pierre que j'ai en main, ce sera impérativement le plus agressif, les autres semblant simplement suivre le mouvement. Le gros noir le premier se replie, puis après un dernier baroud d'aboiements rageurs, les deux autres en font de même. Manifestement j'arrive en limite de la propriété qui s'étale sur plusieurs kilomètres carrés en pleine garrigue. La dernière fois où j'ai été soumis à de tels comportements de chiens, je me trouvais dans des montagnes balkaniques et il s 'agissait de trois gros chiens d'origine turque à poil ras, qui avaient l'aspect de véritables bêtes fauves. C'est en regardant les bergers albanais gérer ce genre de monstres que j'ai appris à garder mon calme, à faire front et à réagir aux moments critiques. Mais on n'est jamais sûr de rien, la moindre erreur et c'est la ruée.
Une sente étroite montant droit dans la pente se dirige vers un sommet qui culmine aux environs des 800 mètres. Ma carte reste avare d'indications, dans le lointain je vois la crête de la montagne Saint-Victoire couronnée de nuages. Vais-je y arriver aujourd'hui.? Après des détours dans des vallons inextricables, des remontées, des traversées au milieu de barres rocheuses parfois verticales et souvent envahies de broussailles, un brin d'espoir renaît. En effet je distingue en contrebas le château du Grand Sambuc. Pas très loin, d'après la carte, un GR passe qui devrait me conduire rapidement à Vauvenargues au pied de la Sainte-Victoire. Mais cet espoir sera de courte durée. En effet je viens buter sur une haute clôture. Après mon expérience du matin je n'envisage pas de la franchir. Je décide de la contourner vers le nord-ouest. Elle semble se prolonger à l'infini et cela me détourne vraiment de mon itinéraire. De plus, du côté extérieur des broussailles de grande taille ne laissent aucun passage pour la longer. Une bataille va s'engager. Par moments je me retrouve en train de ramper complètement immobilisé sous une végétation épaisse et très piquante. Il me faut même, heureusement rarement pousser mon sac devant comme en spéléologie. Des grosses bouffées de doute m'assaillent. C'est foutu je ne pourrais jamais atteindre la Sainte-Victoire aujourd'hui, alors la traverser il ne faut pas y compter. Mais ne pas réfléchir, m'astreindre simplement à négocier le gros buisson qui m'englue dans ses piquants en attendant de me confronter au suivant. Une véritable hargne s'empare de moi. Après quelques kilomètres de cette bagarre de rue j'arrive à un angle de la clôture. Ma nouvelle direction a une bonne composante sud, ce qui est déjà pas mal. Autre amélioration, un chemin longe le grillage en franchissant une multitude de petites collines d'un grand trait bien rectiligne. Je reprends espoir. Puyloubier redevient envisageable pour ce soir. Je me mets à courir à un bon rythme et le moral remonte en flèche. Je me sens pousser des ailes. Dans une descente raide j'accélère en me laissant entraîner par la gravité et mon impatience de récupérer le temps perdu. Alors l'un de mes pieds accroche une pierre et je décolle. Mais les bras n'étant pas des ailes, l'atterrissage, je devrais dire l'écrasement, suit dans la foulée et il s'avère brutal. A priori rien qui ne m'empêchera de continuer. L'avant-bras droit complètement griffé du coude à la main, le genou droit écorché le tibia du même côté bien tuméfié et la peau de la première phalange du pouce gauche partie comme on aurait enlevé une chaussette, des trous un peu partout dans mon pantalon. Je sors mon spray antiseptique et en arrose abondamment toutes les parties blessées. Vite remis sur pieds, sans me poser de questions je reprends ma course et tout de suite les bonnes sensations reviennent. Il me faut simplement faire attention et ne pas m'emballer dans les descentes. J'arrive enfin à un autre coin du grillage et je prends un cap au sud-est qui devrait me permettre d'intercepter le GR allant à Vauvenargues. En effet quelques kilomètres plus loin après avoir suivi au pif des chemins et des petits vallons présentant la direction adéquate, je rencontre enfin les fameuses traces rouges et blanches. Vers quatorze heures trente je suis à Vauvenargues. Un bassin j'en profite pour nettoyer en profondeur mes plaies. Un grand verre de limonade menthe que je paie sept euros et je repars avec l'intention d'arriver à Puyloubier avant la nuit. Il me reste à peu près trois heures, une heure pour arriver au sommet et deux pour la traversée, cela semble faisable. Je commence dans ma précipitation par me tromper au démarrage de la montée pourtant évidente, les vingt premières minutes s'envolent inutilement. Mais rapidement je reviens dans la course et j'atteins le sommet de la croix, après être passé au Prieuré. Le soleil est encore assez haut. Dix minutes de discussion passionnée avec un adepte des gros crapahuts, mais il me faut penser à la suite, le temps s'écoulant inexorablement.
C'est toujours une grande émotion de se trouver au sommet de cette montagne mythique, bien que ce ne soit pas le point culminant de la chaîne. Au nord je peux contempler la partie déjà accomplie de mon périple de la journée. Heureusement que j'y ai cru malgré mes doutes. Le moral c'est l'essentiel, la bête suit. Au sud-ouest je distingue la mer, là aussi c'est psychologiquement très motivant. Dans ce genre de randonnée, le moment où la Grande Bleue apparaît pour la première fois, on a un peu l'impression de toucher au but. Plein sud à vingt cinq kilomètres la Sainte-Baume déploie sa magnifique crête que je pense parcourir après-demain.
Pour le moment, bien que mon objectif soit probablement atteint ce soir, il me faut arpenter cette extraordinaire dentelle de calcaire qui se développe sur quelques huit kilomètres, située en permanence autour des mille mètres d'altitude. Le temps est toujours aussi calme. Cette traversée est un enchantement. Le spectacle à partir des nombreux points de vue donnant sur la face sud, qui plonge en de superbes parois verticales et éclatantes de blancheur, est époustouflant. Et comme toujours à cette heure le soleil rasant exacerbe les contrastes, que c'est beau! J'atteins le Pic des Mouches point culminant avec ses 1011 mètres. Un couple, monté par le nord, s'apprête à profiter du spectacle que va prodiguer le crépuscule. Nous échangeons quelques mots. En contrebas le village de Puyloubier est encore baigné de la lumière solaire. Je m'engage dans la descente en faisant attention à l'euphorie qui peut faire oublier la prudence. Une belle pente, par endroits raide, au rocher lumineux et adhérant conduit au village. Je surplombe les toits encore ensoleillés alors que les rues sont déjà plongées dans la pénombre. Rapidement je découvre le gîte communal. Cette journée restera comme l'étape la plus longue et celle qui m'aura demandé le plus de réactivité devant les imprévus. Elle m'aura demandé douze heures d'efforts soutenus avec très peu d'arrêts.
Dans le gîte, trois personnes de nationalité belge. Un jeune couple venu rendre visite à un légionnaire qui passe sa retraite dans la maison prévue à cet effet pour les anciens légionnaires. La soirée sera très agréable et chargée d'émotion. Cet ancien militaire n'a fait qu'un seul saut en parachute dans sa vie et c'était justement sur Diên Biên Phu. Comme bien souvent chez les gens qui ont vécu des expériences exceptionnelles il fait preuve d'une grande humilité. Pour en revenir aux petits problèmes quotidiens, je dois déployer toute une stratégie pour prendre une douche en mouillant le moins possible la multitude de mes petites plaies.
Lendemain , traversée de la large plaine entre les deux montagnes, mon but étant l'hostellerie de la Sainte Baume tenue par l'ordre des dominicains. Cette étape par Trets et Saint- Zacharie conduit au pied de la Sainte-Baume. Les dix derniers kilomètres semblent interminables, certes par un chemin pittoresque mais faisant une multitude de détours. Les méfaits de la sécheresse sont de plus en plus visibles, et cela est inquiétant. Enfin l'hostellerie, j'entre et tombe sur une sœur dont le visage dégage une grande sérénité, amplifiée par sa tenue immaculée. A ma question s'il est possible d'être hébergé, elle me demande si j'ai réservé. Je lui réponds que le déplacement à pied sur de longues distances rend toute planification un peu aléatoire. Je précise qu'avec un peu d'eau je peux sans problème aller dormir dehors. Elle m'observe de son regard plein de détermination et de bonté et m'attribue une chambre. La soirée empreinte de quiétude sera un vrai plaisir. Le dîner, accompagné d'un rosé de Provence de grande qualité (détail sans doute) sera très instructif. Nous sommes une petite dizaine de convives à chaque table. J'aurai une discussion intéressante avec un pasteur féminin qui séjourne quelques temps en ce lieu.
Dernier jour, après un petit déjeuner pris aussi en commun, chacun part vaquer à ses occupations de la journée. Avec lenteur sentant le bout du chemin arriver, je monte à la grotte de Sainte Marie Madeleine. Cette forêt de la Sainte-Baume est étonnante. On y voit des houx millénaires, de nombreux arbres sont de grande taille et la pénombre est présente en permanence. Puis, je rejoins la crête, et alors se dévoile un panorama exceptionnel sur trois cent soixante degrés. Au nord la Sainte-Victoire emplit l'espace de toute la splendeur de ses ondulations éclatantes de blancheur, au sud la mer scintille de Toulon jusqu'à Marseille. Là, pour la première fois depuis mon départ un petit courant d'air souffle. Cette arête en pleine lumière, je la parcours en essayant de m'imprégner encore un peu de la joie qui m'a accompagné durant ces neuf jours d'efforts qui apportent tellement à l'esprit. Plus que par le but final qui se rapproche, ma réflexion est accaparée par le désir de pouvoir continuer à accomplir de grandes chevauchées à pied à travers les montagnes. La signification de la pensée de Saint-Exupéry prend tout son sens, l'importance de la démarche et non du but.
08:21 Publié dans voyage en marchant | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : randonnée, préalpes, automne, solitaire, couleur
04/03/2009
mes lectures
La lecture est une activité passionnante, pour ceux qui lisent cela va de soit, elle procure souvent de grandes émotions. Cependant se souvenir avec précision de ses lectures c'est une autre paire de manches. Le but de cette note a pour vocation, de prendre quelques minutes pour fixer par écrit mes impressions sur mes lectures.
134) La rage de survivre Trudi Birger Denoël 1998
Livre relatant l'expérience d'une jeune juive plongée dans l'horreur de la guerre et des camps de concentration. Sa volonté de survivre pour sa vie et celle de sa mère est absolument prodigieuse. Son refus de se soumettre à l'abandon et au désespoir alors que souvent tout semble fini, elle prend des initiatives qui à chaque fois lui permettent de rester en vie et prête à affronter la situation suivante, qui semble aussi sans espoir. Extraordinaire leçon de vie.
1) Pèlerin d'Orient de François-Xavier de Villemagne
Très beau récit d'un homme dans la trentaine, qui laisse tomber son boulot pour 8 mois et qui part à pied à Jérusalem de Paris. Il traverse dix pays, Allemagne, Autriche, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Turquie, Syrie, Liban, Jordanie et Israël. Très belle aventure, marche presque forcée qu'il mène à vive allure, parfois des étapes supérieures à soixante kilomètres; tout au long il dévoile ses états d'âme sur la signification de ce qu'il fait. Sans faux semblants il dévoile toute sa fierté de tenir le coup, tout en montrant parfois le côté ridicule. Il décrit la vie des populations des différents pays traversés, et cela donne une bonne photographie de l'évolution en cours ou parfois de l'immobilisme de certaines contrées. Dans les moments difficiles, et ce genre d'aventure en comporte de nombreux, pour ne pas dire qu'il s'agit de 7 mois de souffrance, on sent que sa foi le porte et lui permet de ne pas douter du succès. Très intéressant et bien écrit.
2) Un chemin de promesses Édouard et Mathilde Cortès
6000 km à pied et sans argent de Paris à Jérusalem. Livre époustouflant par l'aventure vécue par ce couple, en guise de voyage de noces, certes long 7 mois. Sans gros entraînement et sans savoir si la survie est possible sans argent, ils partent. Ils vivront des moments difficiles, tout particulièrement en Italie du nord. Ils vont traverser 14 pays sans compter la France, Suisse, Italie, Slovénie, Croatie, Bosnie, Monténégro, Kosovo, Macédoine, Bulgarie, Turquie, Syrie, Liban,Jordanie et Israël. Beaucoup de belles citations empruntées à différents auteurs. Cet exploit ils ont pu le mener à son terme grâce en partie à leur foi. Sur ce plan il y a des similitudes avec l'ouvrage précédent.
3) Figures de Proue Claude Allègre
Il aborde le destin hors du commun de cinq hommes qui ont très fortement marqué la deuxième partie du xxème siècle. Nehru, De Gaulle, Deng Xiaoping, Gourbatchev et Mendela. Ouvrage très clair, vulgarisation de très bon niveau. Ces cinq récits sont passionnants et se lisent avec avidité. Seul, peut-être les longues explications sur les arcanes du régime soviétique sont un peu rébarbatives et pas toujours faciles à suivre. Excellent livre comme souvent de la part de cet auteur.
4) La plupart ne reviendront pas de Eugénio Corti
Très beau livre sur la retraite d'une armée italienne sur le front russe durant l'hiver 1942-1943. On se croirait dans une description de la retraite de Russie de l'armée napoléonienne. Les Allemands qui étaient des alliés des Italiens, sont décrits comme des êtres sans aucune humanité et de véritables bêtes de guerre, montrant un vrai mépris envers les Italiens. Témoignage saisissant, faisant ressortir toute la sensibilité de l'auteur et de l'Italien en général. Ce qui n'empêche pas que le soldat italien soit très courageux lorsque les circonstances le demandent. Écriture splendide que l'on retrouve chez d'autres auteurs italiens, la guerre dans toutes ses horreurs décrite à travers un regard humain.
5) Il était une fois l'URSS Dominique Lapierre (POCKET)
Voyage en auto en Union Soviétique en 1957 effectué par l'auteur et un collègue journaliste, accompagnés de leurs épouses. Par un concours de circonstances assez incroyable, ils ont obtenu l'autorisation de pénétrer en URSS, directement par Khrouchtchev. Voyage plein de surprises et très intelligemment mené quant aux différentes rencontres au pays des soviets. Un moment de plaisir malheureusement trop vite consommé.
6) Le livre de ma mémoire Danielle Mitterrand Folio
Livre de 400 pages qui se lit bien. La vie de sa famille au début du XX ème siècle est intéressante, sa position de témoin privilégié auprès de François Mitterrand donne un éclairage particulier au personnage. Cependant ses analyses politiques sont souvent limitées mais permettent de mieux la cerner. En particulier son entretien avec Castro est étonnant, les réponses de ce dernier à ses questions sont surprenantes. On voit une militante très convaincue depuis plus d'un demi-siècle, mais qui ne bouge pas beaucoup dans sa manière de voir, sans doute idéaliste et faussement naïve. Globalement se lit avec intérêt et donne un témoignage sur des périodes importantes du xx siècle.
7) Bouilleurs de Cru Hippolyte Gancel et Jacques Le Gall Editions Ouest-France
Livre qui relate la traque par le fisc des bouilleurs de cru. Les agents du fisc dénommés rats de cave sont à la recherche de la moindre goutte produite illégalement, et les sanctions sont parfois disproportionnées aux quantités trouvées. Les uns et les autres rivalisent d'ingéniosité et de fourberie dans cette lutte sans merci. Les faits relatés se déroulent entre les deux guerres, et souvent les bouilleurs de cru sont des anciens combattants de la guerre de 14-18 et ils n'ont plus peur de grand chose pour s'opposer aux contrôles. A travers une multitude d'anecdotes, parfois drôles parfois dramatiques, où la tension est toujours présente, on suit le conflit entre ces deux corporations. Témoignage très intéressant de la vie dans nos campagnes au début du xxème siècle.
8) Ripoux à Zhengzhou Zhang Yu Picquier Poche
Les tribulations de deux polciers dans une grande ville chinoise à notre époque, sans doute une bonne vision de ce que devient la société chinoise où communisme et capitalisme débridé cohabitent sans déranger personne , sauf parfois les honnêtes gens car la corruption et la magouille sévissent dur. Traduit du chinois, bien sûr, ce texte se déroule sur un rythme alerte au gré de situations et de personnages étonnants. Les quelques 400 pages sont avalées rapidement et la lecture en est très agréable.
9) Le procès des étoiles Florence Trystram Petite bibliothèque Payot
Aventures incroyables vécues par un groupe de scienifiques français envoyés au Pérou en 1735 par l'Académie des sciences afin de mesurer un arc du méridien terrestre. Cette expédition va s'éterniser et ils resteront de nombreuses années en Amérique du Sud, d'ailleurs tous ne reviendront pas. Entre expériences et mesures conduites dans des conditions extrêmes dans les Andes en altitude et des relations humaines conflictuelles empreintes de bassesses et coups tordus, le tout dans un pays où les Français sont regardés comme des concurrents dangereux par les Espagnols, ce récit conduit à toute allure dans un style alerte nous fait vibrer à chacune de ses phrases tout au long de ses 330 pages. Il m'a laissé une forte impression sur des domaines peu connus de la science telle qu'elle se pratiquait il y a plus de deux cents ans.
10) Affaires urgentes Lawrence durrell Pavillon Poche Robert Laffont
L'auteur nommé attaché de presse à l'ambassade britannique à Belgrade au début de la guerre froide, nous brosse un tableau hilarant de la vie au sein des ambassades. Il décrit de façon savoureuse les relations entre les membres de cette institution. Les anecdotes narrées sont incroyables, qu'il s'agisse du concours de beauté de chiens, de la descente en radeau au cours d'une réception ainsi que de nombreuses autres. La réalité dépasse la fiction. Un peu plus de 300 pages de bonheur, avec lesquelles on est assuré d'avoir sa dose de rire indispensable à la santé.
11) De Gaulle et Churchill François Kersaudy tempus
Livre consacré aux relations très complexes entre de Gaulle et Churchill. Ces deux géants du xxème siècle sont amenés à s'opposer pour ce que chacun considère l'intérêt supérieur de leur pays réciproque dans le cadre de la conduite de la guerre. De Gaulle totalement intransigeant dès qu'il s'agit de la France, face à un Churchill, poutrant très francophile, pris par ses propres problèmes. Les paroles suivantes en disent long sur la complexité de leurs relations:
Churchill "De Gaulle, un grand homme! Il est arrogant, il est égoïste, il se considère comme le centre de l'univers... il est... vous avez raison, c'est un grand homme!...
De Gaulle "Pauvre Churchill! Il nous trahit, et il nous en veut d'avoir à nous trahir...
Livre de 450 pages qui se lit d'un seul souffle, vaut tous les romans d'aventure et cependant tout est vrai. Un des meilleurs livres que j'ai lus.
12) Le commandant d'Auschwitz parle Rudolph Hoess la découverte/poche
Les camps de concentration et leur fonctionnement, une multitude de livres en parlent souvent avec précision. Ils sont écrits la plupart du temps par des chercheurs ou des rescapés. Le bourreau y apparait forcément comme un être sans humanité. Mais lorque le livre est écrit justement par un acteur et pas des moindres, le commandant du camp d'Auschwitz, même si ce texte est en partie écrit pour essayer de se justifier ou d'atténuer sa responsabilité personnelle dans l'extermination des Juifs et d'autres groupes humains, il est d'abord écrit par un homme. C'est là que se cache l'horreur, un être humain qui ressent des sentiments, qui évalue bien le degré des horreurs qu'il commet ou fait commettre mais qui en pleine conscience s'applique dans son travail. On prend conscience que non seulement des monstres peuvent commettre des monstruosités mais des êtres humains qui ont une famille et qui aiment leurs enfants. On s'interroge sur la capacité d'un régime à endoctriner l'individu, cela fait réfléchir aux dangers qui guettent toute démocratie qui se croit bien installée dans ses convictions humanistes. Le dérapage est-il impossible? Robert Merle écrit au sujet de cet ouvrage "Un livre d'une valeur exceptionnelle dans l'histoire de notre temps" ou bien le Déporté rapporte "Ce document exceptionnel est le miroir où se reflète fidèlement le mécanisme de la plus épouvantable machine à tuer que l'humanité ait jamais conçue". Livre qui marque profondément et qui me conduit à lire l'ouvrage suivant: Un si fragile vernis d'humanité Banalité du mal, banalité du bien.
13) Vous voulez rire Monsieur Feynman! Richard P. Feynman Odile Jacob
Scientifique de tout premier plan, qui a travaillé dans de nombreux domaines de la physique, toujours au tout premier plan. Etre de génie, excentrique curieux de tout , il raconte de façon sublime ses expériences de vie professionnelles ou autres, et ses domaines de prédilection sont multiples. Ce qu'il fait, il le fait à fond. Livre magnifique en dehors des normes, une fois qu'on l'a terminé on est tellement époustouflé que des êtres comme Feynman existent, qu'on a envie de le relire pour être certain que l'on a pas rêvé. Magnifique et plein d'optimisme, il y a quand même des vrais génies sur notre planète, même s'ils le savent ils ne se prennent pas forcément au sérieux. Les 358 pages se lisent trop vite!!!
14) Pélerins d'Occident à pied jussqu'à Rome François-Xavier de Villemagne Transboréal
Après la lecture de Pélerin d'Orient, la lecture de ce livre s'imposait. En effet l'auteur sept ans après son premier voyage nous invite à nouveau à un voyage à pied de plusieurs mois, au cours duquel il nous livre ses pensées en cheminant. Encore une fois il s'agit d'un bel exploit physique, où au jour le jour il fait des rencontres sans les avoir prévues. Il nous décrit cette Italie qui va le retenir sur la plus grande partie de son chemin, car il ne va pas directement à Rome de Paris. Non il fait un détour de 2000 kilomètres par la Botte. Sa traversée de la France et surtout de la Suisse ne laisse cependant pas indifférent. Joli livre, pourtant moins exotique que le précédent, ce qui est normal car il ne passe que par trois pays au lieu de dix. Mérite la lecture, de nombreuses formules et pensées m'ont fait vibrer, et puis ces grands trajets à pied à notre époque de week-ends lointains et de tours du monde en quelques jours réconcilient avec l'idée de départ.
15) Voyage au bout de la nuit Céline
Livre qui n'a pas besoin de présentation. A plusieurs reprises déjà j'avais essayé de le lire, mais sans doute le moment n'était pas venu, à moins qu'il faille être dans les bonnes dispositions pour s'attaquer à ce livre. Je comprends pourquoi on a tant écrit sur cet ouvrage. Je dois reconnaître que cette lecture apporte beaucoup même si les idées développées sont extrêment sombres et sans espoir pour l'homme. Mais c'est peut-être cela et que cela la réalité de l'être humain? J'espère que non, comme quoi Céline a l'immense mérite de pousser à la réflexion.
16) Mémoires d'un Yakuza Saga Junichi Picquier poche
Ce livre fait rentrer dans le monde des gangsters japonais. Il a été écrit par un médecin qui a recueilli les révélations, un peu à la manière d'un leg testamentaire, d'un vieil homme qui avait été un grand chef de gang. On suit le recrutement l'initiation puis l'ascension avec ses revers, prison par exemple, d'un Yakuza dans le monde du banditisme japonais. Bien écrit, précis décrit une multitude de situations que traverse l'homme au cours de sa vie; très intéressant cet ouvrage dresse un tableau clair d'un monde que l'on est curieux de connaître.
17) Un député ça compte énormément! Jen-François Copé Albin Michel
L'auteur dans ce livre explique les mécanismes du fonctionnement de l'assemblée nationale. Sans concession il en révèle les points forts et les points faibles. Il insiste tout particulièremnt sur certaines dérives actuelles, qui nuisent fortement à la crédibilité et à l'efficacité. Il dresse le tableau de ce que devra être le parlement avec la nouvelle réforme approuvée récemment. Il disséque les rouages des relations de travail parlement exécutif, et les comportements entre groupes de l'opposition et de la majorité. Très instructif, clair et sans langue de bois, pour compléter faut-il sans doute avoir le pont de vue d'un député de l'opposition. Le président du groupe socialiste devrait se livrer au même exercice, ce serait intéressant.
18) Les archives du Président Mitterrand intime Françoise Carle éditions du Rocher
Livre très intéressant écrit par une proche de François Mitterrand. Elle nous permet de découvrir le fonctionnement de l'Elysée à travers le travail des conseillers et des différentes affaires traitées. Elle a comme mission de préparer les archives de l'époque Mitterrand . De par ce travail, vues croisées sur une multitude d'activités et de personnages durant plus d'une décennie à travers la planète. D'autre part, étant une intime du Président et de sa famille, elle nous parle de ses vacances à Latché. Original, elle y vient en voiture et dort généralement dedans au grand dam du Président. Elle y venait d'ailleurs avant qu'il soit Président, et y est invitée permanente. Que l'on aime ou pas le personnage de Mitterrand livre très intéressant dont il n'y a pas à douter de l'honnêteté de l'auteur, qui écrit très bien. J'ai beaucoup aimé ses descriptions en particulier des paysages, une fan de montagne et ses moments privilégiés avec François Mitterrand.
19) Aventures en Loire Bernard Ollivier éditions Phébus
Bernard Ollivier est très connu pour son magnifique bouquin en trois volumes sur la route de la soie qui s'intitule La longue marche. Dans le livre sur la Loire, il relate son aventure d'un mois à l'été 2008 à pied et en canoë le long de ce fleuve. Il décrit le fleuve et les habitants de ses berges à la rencontre desquels il va. Les contacts humains chaleureux sont l'un des moteurs essentiels de l'aventure selon lui. En particulier la rencontre d'amoureux du fleuve qui lui font découvrir ce milieu est passionnante. Il fait la comparaison du déplacement entre la marche et la canoë, qu'il découvre pour la première fois alors que la marche il l'a expérimentée sur des milliers de kilomètres à travers la planète. D'autre part, comme dans son livre sur la route de la soie, il exprime toute son interrogation devant l'âge qui vient, à l'époque il avait 60 ans, alors qu'en 2008 il en avait 70. Il exprime sa philosophie du voyage à travers une phrase chargée de sens: le voyage est dans la manière et non dans la destination. De toute évidence l'aventure physique et humaine on peut la trouver en France. A lire impérativement quand on se pose des questions sur le voyage et les destinations exotiques qui croit-on sont seules à apporter le grand frisson de l'émotion.
20) Un Général suisse contre Hitler Jon Kimche Fayard 1962
Livre particulièrement passionnant, en effet il montre toute la démarche suisse face aux Allemands pendant la deuxième guerre mondiale. On y apprend que l'armée suisse n'a de général que lorsque des guerres éclatent près des frontières. Ce général Henri Guisan a su mener une action prémonitoire pour son pays face à Hitler. Il ne pouvait compter sur son gouvernement et il devait compter contre une partie du pays qui voulait une neutralité stricte voire une position de complaisance avec l'Allemagne. Il fallait compter aussi avec les Suisses qui étaient pronazis. Il a su mener une politique de fermeté tout en sachant bluffer quand il le fallait et abattre ses cartes en force à d'autres moments. Il a su par une action déterminée empêcher sinon l'alliance de la Suisse au moins son invasion par Hitler. On découvre un de Gaulle suisse. A lire impérativement.
21) Les temps sauvages Joseph Kessel Gallimard
Comme toujours avec Kessel il s'agit de situations exceptionnelles avec des personnages sortis d'un roman fantastique et pourtant c'est la réalité. Il décrit sa mission militaire au fond de la Russie en 1919 à Vladivostok. Impressionnant, des descriptions de situations à couper le souffle et des sentiments bouleversants.
22) Journal d'un préfet pendant l'occupation Pierre Trouillé l'Air du Temps collection dirigée par Pierre Lazareff
Livre qui relate au jour le jour le travail d'un préfet de Vichy pendant l'occupation. Il s'agit de l'auteur. Il décrit très clairement son action au quotidien entre le gouvernement de Vichy, les Allemands (gestapo, Wehrmacht, SS) et la résistance. Il montre clairement qu'à tous les niveaux hiérarchiques du gouvernement de Vichy il y a des hommes en place qui font tout leur possible pour lutter contre l'envahisseur. Très beau témoignage sur ce qui s'est passé dans la région de Tulle au cours de la dernière année de guerre. Indispensable pour affiner son jugement sur ce que fut le gouvernement de Vichy et surtout sur l'action menée par certains de ses membres.
23) 37 ans avec la pègre Commissaire Guillaume Editions des Equateurs 2007 première publication 1938
Un commissaire de police raconte les mémoires de sa vie professionnelle en gros entre les deux guerres. Il fut entre autre durant 7 années dans les années trente le chef de la fameuse "Brigade spéciale" du 36 quai de Orfèvres. Il fut un modèle pour Georges Simenon. Il décrit toutes les catégories de délinquants et délinquantes auxquels il est confronté. Tout y passe, les escrocs, maîtres chanteurs, cambrioleurs, les criminels, les indicateurs, les délinquants mineurs, les condamnés à mort.... Il fait de beaux portraits de toutes ces populations qui enfreignent les lois, et il explique sa façon de procéder pour les interpeler. On a une bonne idée des mœurs de l'époque à travers ces multiples affaires.
24) Feux du ciel Pierre Clostermann J'ai lu
Ouvrage remarquable écrit par un grand spécialiste des avions, comme pilote et ingénieur de haut niveau. Il retrace à travers ce récit, les évolutions des avions des différents belligérants de la deuxième guerre mondiale. Remarquable, n'a rien à voir avec son célèbre ouvrage "le grand cirque" où il raconte sa bataille d'Angleterre. A lire on y apprend beaucoup de choses. Un passage complètement surréaliste concerne les kamikazes, en particulier lorsqu'ils assistent, au cours de l'une de leur cérémonies rituelles avant de partir se sacrifier en coulant des bateaux US, à l'explosion de la bombe nucléaire de Nagasaki, le 9 août. Eh bien cela ne les perturbe pas autre mesure de voir ce spectacle de l'autre côté de la baie, et ils continuent leurs préparatifs et ils partent pour la dernière attaque de la seconde guerre mondiale. Franchement stupéfiant!!!
25) Des fleurs en enfer Luc Adrian Presse de la Renaissance
Ce livre raconte l'action d'une fraternité franciscaine dans le Bronx. Très beau témoignage, manifestement la foi permet de déplacer des montagnes.
26) Portraits pour la galerie Philippe Bouvard Albin Michel
En quelques lignes ou quelques pages, Philippe Bouvard croque de l'ordre de 140 personnes connues, qu'il a rencontrées voire côtoyées lors de sa longue carrière. Dans un style truculent, il brosse à grands traits des tableaux de personnages, qu'il connait bien. Il livre des petits secrets hilarants, comme par exemple Valery Giscard d'Estaing, qui après avoir invité quelqu'un, le regardait partir du coin de son rideau. S'il affichait une belle voiture alors un contrôle fiscal pouvait survenir, l'auteur en ayant fait l'expérience. Entre autre anecdote, il narre comment Jacques Mesrine s'était intéressé à lui, et l'avait mis en tête de liste de ses futures victimes. Livre à ouvrir à n'importe quelle page au hasard, et on est sûr de trouver une bonne surprise intéressante et souvent marrante. Médicament très efficace pour les petits coups de blues passagers, à utiliser et réutiliser un peu chaque jour.
27) L'enquête Petiot Commissaire Massu Librairie Arthéme Fayard 1959
Le commissaire Massu était le chef de la Brigade criminelles du quai des Orfèvres. Il a été chargé de l'affaire Petiot. Il raconte tout le déroulement de l'enquête telle qu'il l'a menée, de la découverte du lieu des crimes par le hasard d'un incendie de chaudière jusqu'à la condamnation du docteur Petiot. Au fur et à mesure de l'avancée de l'enquête il va de surprise en surprise. Bien que nous ayons tous une idée sur les agissements de ce médecin, le déroulement au jour le jour de cette enquête hors norme dans le contexte de la France occupée par les Allemands, dépasse tous es scénarios de polars, et on en frémit en sachant qu'il s'agit d'une histoire vraie.
28) Chasseurs d'espions Colonel Oreste Pinto J'ai lu
Livre passionnant qui se lit comme un polar, mais tout y est vrai. L'auteur était chargé pendant la deuxième guerre mondiale de démasquer les espions travaillant pour l'Allemagne. Il explique ses méthodes d'investigation à travers de nombreux cas qu'il a vécus. Il décortique les ficelles de son métier. Il en montre les aspects techniques et humains. Chaque espion a sa propre personnalité et les chemins pour le démasquer peuvent différer. Il est important de préciser que la torture physique n'est jamais utilisée et que l'auteur à l'instar des services britanniques, par lesquels il a été formé, met un point d'honneur à ne pas tomber dans les méthodes inhumaines des nazis. Mais la sanction pour l'espion démaqué est généralement la mort. J'ai tellement été intéressé que je l'ai quasiment lu deux fois.
29) Anatomie de l'errance Bruce Chatwin Le Livre de Poche
Livre très dense à lire et relire. Il aborde en apparence une multitude de thèmes que je ne raccroche pas directement à l'errance, mais il y a un lien. Par exemple l'art, quel est le lien avec l'errance? Se déplacer pour voir et surtout d'après ce que j'ai compris la possession et là c'est antagonique avec l'errance qui s'affranchit de biens matériels. On a l'impression à travers cet ouvrage d’en lire plusieurs. Il parle entre autre de gens tout à fait exceptionnels comme Maximilien Tod (que je ne connaissais pas) ou de Malaparte (auteur qui a écrit de magnifiques livres et en particulier un ouvrage de référence Kaputt. Je le compare avec Grossman et ses carnets de guerre sur le front russe durant la deuxième guerre mondiale). Il aborde aussi la vie de Stevenson, comme jamais je n'en avais entendue parler. Tout au long des pages on apprend une foule de choses dans de multiples domaines. A lire et relire dans le désordre cela n'a pas d'importance, il faudrait pouvoir mémoriser la somme de connaissances qu'il nous livre. En tout cas cela me donne envie de lire ses autres ouvrages, comme par exemple le chant des pistes.
30) La Peur Gabriel Chevallier Editions France Loisirs
Cet écrivain est l'auteur de « Clochemerle», et ce succès paradoxalement a éclipsé cet ouvrage «la Peur». Véritable plaidoyer contre la guerre, il la décrit avec précision. Il décortique les réactions humaines face à ces situations d'apocalypse que sont les grands bombardements, les préparations aux assauts dans l'attente de sortir des tranchées sous la mitraille. Ce livre a la même puissance évocatrice qu'un livre comme «Orage d'acier» d'Ernst Jünger, qui lui par contre, fait en quelque sorte une forme d'apologie de la guerre. Paradoxalement ces deux livres se rejoignent dans la puissance de la narration de situations extrêmes, en étant à l'opposé dans la perception individuelle des auteurs. Tous deux abordent la mort collective au combat, le premier se basant sur le rejet individuel et la peur et le second insistant sur l'exaltation qui naît du combat. Deux volets, deux visions, deux approches d'un même phénomène humain, la guerre dans toute son horreur et son inhumanité. La vie humaine est en sursis au gré des obus et des balles. «La Peur» mériterait la notoriété de «Orage d'acier». Ayant lu de nombreux livres sur la première guerre mondiale, ce sont les deux qui m'ont le plus marqué, par la description des situations vécues, et des réactions engendrées chez l'homme soumis à ces conditions de mort imminente.
31) Histoire secrète de la mission Rudolf Hess Lord James Douglas-Hamilton Robert Laffont
Livre étonnant qui explique les raisons pour lesquelles Hess est parti contre l'avis d’Hitler essayer de négocier la paix avec les Anglais en 1941. Histoire incroyable, déclenchée par deux types d'événements, qui en se conjuguant l'ont conduit en Écosse. D'une part, l'un de ses conseillers, Albrecht Haushofer, bien introduit auprès de certains milieux anglais, de façon involontaire lui en a donné l'idée. D'autre part l'estime d’Hitler à son encontre baissant, il a voulu redorer son blason en tentant d'arrêter la guerre sur le front ouest à la veille du déclenchement de la guerre contre la Russie. De la conjugaison de ces différents événements il en est résulté son départ en Messerschmitt 110 le 10mai 1941.
L'argumentaire déployé semble très plausible. Le livre révèle le personnage étonnant de Haushofer. D'ailleurs dans le livre il est plus question de lui que de Hess. On assiste aussi à toutes les tentatives de positionnement de Himmler pour éventuellement supplanter Hitler en fonction de circonstances qui auraient pu se révéler favorables. Très intéressant, publié en 1971 et en 1972 pour la version française.
32) Le pouvoir ne se partage pas Conversations avec François Mitterrand Edouard Balladur Fayard
Edouard Balladur, retrace sa relation avec François Mitterrand à l'époque où il était Premier Ministre et Mitterrand Président de la République.
Ce compte-rendu presque au jour le jour montre comment la politique française s'élaborait au cours de ces deux années de cohabitation (mars 93 mai 95). Certains pourront dire c'est facile de reprendre ce qu'aurait dit une personne morte, cependant je trouve un air de sincérité à ce récit. Il en ressort que les actions des hommes politiques, en connaissance de cause, ne sont pas toujours dans l'intérêt de la France, mais inspirés par de basses manœuvres.
La description détaillée du jeu qu'ils jouent dans leurs rapports quasi-journaliers démonte bien le mécanisme de la prise de décision au sommet de l'état durant ces deux années. Il en ressort que ce qui comptait c'était plus de garder les apparences du pouvoir que sa réalité.
On apprend beaucoup de choses sur leurs actions et le cheminement de leurs pensées face aux grands problèmes nationaux et internationaux de ces deux années.
Il met aussi en évidence toute la toxicité de sa propre majorité qui en partie roule pour Chirac et qui essaie de lui nuire pour donner des arguments à Chirac pour les présidentielles de 1995. Les hommes politiques pour nombre d'entre eux ne sortent vraiment pas grandis au travers de ce qu'il écrit.
Bien qu'il n'en parle pas, l'affaire Clearstream regardée à l'aune des chausse-trappes que Chirac lui a tendus lors de la présidentielle de 1995, laisse à penser que certains ont essayé de faire la même chose à Nicolas Sarkozy pour les dernières élections présidentielles en 2005.
Ce livre laisse un malaise, tous pourris, manipulation de l'opinion, le fric seul permet aux grands partis d'émerger, même si leurs leaders n'ont pas d'idées, bien qu'ils soient de grands stratèges pour conduire une campagne. Malheureusement une fois qu'ils détiennent le pouvoir ils ne savent plus très bien qu'en faire, en partie du fait de la démagogie employée pour arriver, qui les empêche de mener une action pour le redressement du pays.
On se demande après ce livre, si cela sert à quelque chose d'aller voter. Je pense à Anne Romanov et son sketch «On ne nous dit pas tout».
En conclusion à lire impérativement
33) Solos d'amour John Updike
A travers un peu plus d'une dizaine de récits, il raconte toutes sortes d'histoires entre les deux sexes. Cela va du fantasme concernant une rencontre qui date de l'adolescence à l'adultère à travers tous ses stratagèmes et ses mécanismes. Ce qui est intéressant dans ces récits magnifiquement écrits, c'est que l'on y découvre forcément dans la variété des situations décrites des analogies avec sa propre vie. La dernière histoire de loin la plus longue, puisqu'elle doit faire la moitié du livre qui compte 400 pages est un peu monotone. Cependant elle conserve son attrait du fait de la description de la société américaine, dans laquelle l'auteur sait si bien nous plonger. Cette deuxième partie je l'ai lue par curiosité sur cette fameuse société américaine. Mais dans la nôtre nos motivations sont-elles différentes? Écriture pleine de fraîcheur, sans tabou.
34) Ambassadeur en mission spéciale Sir Samuel Hoare Vent du Large 1948
Récit passionnant de l'ambassadeur de Grande Bretagne en Espagne durant la deuxième guerre mondiale. Lieu où se tramèrent et se discutèrent de nombreuses intrigues, les différents interlocuteurs alliés et de l'axe se côtoyaient dans ce pays presque neutre. En effet, il ne l'était pas tout à fait. Les penchants vers l'Allemagne étaient visibles sans ambiguïté. Un volet important des missions de cet ambassadeur était de faire en sorte que Franco ne cède pas à ses ministres pro nazi et aussi à la pression directe d’Hitler qui cherchait à entraîner l'Espagne dans le conflit. Très belle narration, très claire écrite par un acteur de premier ordre, qui œuvra pour la restauration de la démocratie au cours de ce cataclysme qui ravagea le monde durant de nombreuses années.
35) L'argent des politiques Christophe Dubois Marie-Christine Tabet Albin Michel 2009
Un livre de plus qui ne met pas les hommes et femmes politiques à l'honneur. Il révèle une multitude de scandales et de pratiques pour le moins pas très glorieux? Mais on en a déjà tellement vu, lu et entendu que nous ne sommes plus étonnés, sans doute blasés depuis longtemps par le comportement de ce qui paraît-il constitue l'élite du pays. Cependant, une petite note d'espoir au milieu de ce récit où l'avidité règne sans partage, quelques hommes politiques semblent mener un combat de conviction dans le désintéressement. Mais ils ne sont pas nombreux, sans doute les partis n'aiment pas les gens sur lesquels on ne peut faire pression.
36) Mot de passe «courage» John Castle J'ai lu
Histoire d'un prisonnier de guerre britannique, qui réussit l'exploit de multiples évasions et aussi de pénétrer dans un camp de concentration et de prendre la place d'un déporté pour vingt quatre heures. Livre digne d'un roman d'aventure au sein des camps de prisonniers et d'extermination nazis. Cette aventure extraordinaire, son auteur la mettra à profit, en étant l'un des témoins du procès de Nuremberg.
37) Ce que savaient les Alliés Christian Destremau Tempus 2007
Livre captivant qui analyse ce que les Alliés savaient de leurs ennemis et de leurs stratégies et exactions durant la deuxième guerre mondiale par les différents télégrammes secrets qu'ils étaient en mesure de décoder. En effet ils étaient en mesure de casser un certain nombre de codes secrets, allemands, japonais, français de Vichy, ainsi que d'autres pays neutres. Roosevelt était-il au courant de l'intention japonaise d'attaquer Pearl Harbour? Dans quelle mesure l'interception de messages diplomatiques japonais a permis aux Américains de se conforter dans l'emploi de la bombe atomique? Que savaient les Alliés sur les camps d'extermination et quelle a été leur action? Que savaient-ils sur le gouvernement de Vichy et la collaboration? Quel était le résultat sur la population allemande des bombardements massifs? Toutes ces questions et bien d'autres comme pourquoi n'ont-ils jamais essayé de tuer Hitler, sont étudiées à l'aune de documents qu'ils étaient en mesure de lire grâce aux codes secrets qu'ils réussissaient à casser. Passionnant, se lit comme un vrai roman d'espionnage et il nous aide à mieux cerner les décisions prises par les Alliés en particulier Churchill et Roosevelt durant le deuxième conflit mondial.
38) Le Lieutenant Méhariste Jean-André Henoux Editions France-Empire 1961
Récit très intéressant d'un méhariste qui remplit sa mission de protection des intérêts français dans le désert face à des tribus qui commencent à vouloir s'émanciper de la tutelle française. Sans aborder le problème philosophique de la colonisation, au travers des descriptions du désert, des traditions des peuples qui y vivent et de l'aventure des débuts de l'ère pétrolière dans ces contrées, ce témoignage éclaire par une petite fenêtre ce qui s'est passé dans ces régions en préambule de l'indépendance algérienne. J'ai beaucoup aimé.
39) Un Franciscain chez les SS Géréon Goldmann Editions de l’Emmanuel 2008
Parcours tout à fait étonnant d’un Franciscain allemand incorporé au début de la deuxième guerre mondiale dans une unité SS. Il ne reniera pas sa foi malgré toutes les pressions subies. Il fera preuve d’un courage que certains pourraient considérer comme suicidaire. C’est peut-être ce qui le sauvera. En effet son attitude attire de fait une forme de respect chez les nazis. Ils finiront cependant par le chasser et l’envoyer dans la Wehrmacht. Il participera à une multitude d’opérations entre la Pologne, la campagne de France, le front russe et la guerre en Sicile. Il va connaître des péripéties absolument incroyables sur ces différents fronts. Entre être raccompagné dans les lignes allemandes par l’armée russe alors qu’il visitait un pope, ou une messe au débotté en plein affrontement réunissant Allemands Anglais et Américains; et là encore les Anglais le raccompagnent dans les lignes allemandes après l'office où il distribue les hosties, récupérées dans une église italienne en menaçant le curé qui s'y refusait. Ce ne sont que deux exemples parmi une multitude d’autres où sa vie n’a tenu qu’à un fil. Après ce livre si l’on ne croit pas en Dieu, on est tout du moins interrogatif sur le fait qu’une telle destinée ait pu exister.
Livre qui vaut tous les romans de guerre les plus délirants, mais la différence dans le cas présent il s’agit d’une expérience vécue. Outre les aventures improbables que vit l’auteur, il ressort de ce livre une étude de caractères.
En effet dans des conditions extrêmes la réaction de chacun est particulière face au danger. Qu’il s’agisse d’unsoldat allemand, d’un jeune Polonais, d’un prêtre italien d’un moine français ainsi que d’une quantité d’autres personnages croisés, on assiste au comportement humain du plus sordide au
plus sublime et cela parfoisindépendamment du camp. Un des livres les plus étonnants que j’ai lus.
40) Ce que je n’ai pas pu dire Jean-Louis Bruguière Robert Laffont 2009
Juge antiterroriste, durant trente années il a été au centre d’une multitude d’affaires criminelles et terroristes qui ont toutes à leur époque été très médiatisées. Il en explique les dessous et le cheminement des enquêtes.
Ses investigations concernant le terrorisme international sont très intéressantes. Il démonte point par point le mécanisme de fonctionnement de cette grande entreprise de destruction de l’Occident qu’est la mouvance terroriste internationale. Ses révélations sur des affaires comme l’attentat du DC10 français sont dignes d’un grand thriller d’espionnage, où il reste le maître du jeu dans des entreprises de déstabilisation et de désinformation. Ses rapports de travail avec une multitude de pays, lui permettent de décrire de façon claire de ce que les autres nations font dans le cadre de cette guerre mondiale. En particulier, son analyse sur l’infiltration des milieux militaires pakistanais par les réseaux terroristes est inquiétante. Sa connaissance d’une multitude de groupes islamistes, de leur fonctionnement, de leurs méthodes, de leurs actions perpétrées ou contrées est absolument prodigieuse. Par moments on croulerait presque sous la profusion des détails, mais ils sont indispensables dans le cadre de son implacable démonstration.
Livre à lire impérativement pour avoir un point de situation complet et actuel sur la guerre mondiale que se livrent l’Occident et le terrorisme en particulier islamique.
41) Née d’amours interdites Josiane Kruger Editions Succès du Livre 2006
Sa mère était française et son père soldat allemand. Comme 200000 enfants elle fut confrontée à l’hostilité presque générale, car ces amours interdites étaient considérées comme une trahison. L’auteur raconte de façon remarquable les tourments qui ont été les siens tout au long de sa vie, confrontée aux regards des autres souvent réprobateurs. Très joli texte écrit avec sensibilité, qui a travers son expérience met bien en exergue le déchirement qu’ont vécu tous les enfants ou presque issus de ces « amours interdites ». Son texte est d’autant plus touchant qu’il ouvre sur un grand espoir. En effet elle a rapidement identifié son père qui ne l’avait pas oubliée et les liens entre les familles allemandes et françaises sont devenus très forts.
42) Dictionnaire amoureux du Ciel et de l’Espace Trinh Xuan Thuan Plon Fayard 2009
Cet ouvrage de plus de 1000 pages représente une magnifique actualisation sur les questions qui touchent à la matière, inanimée et vivante, de l’infiniment petit à l’infiniment grand. Ses chapitres au nombre approximatif de trois cents abordent des sujets aussi différents que l’expansion de l’univers et les indices qui militent en sa faveur, la théorie des cordes, la conscience humaine, les trous noirs, l’atmosphère terrestre, l’antimatière, une multitude d’hommes de science de l’antiquité à nos jours, Dieu et le temps, beauté et unité de l’univers. Je ne vais pas faire l’énumération des trois cents chapitres, mais chacun d’eux aborde avec clarté une question, l’explique, découvertes et informations récentes à l’appui. Ouvrage de référence pour toute personne s’intéressant à la physique de notre univers et qui se pose des questions sur le pourquoi des choses. Ce type d’ouvrage conduit le lecteur de la science à la philosophie en passant par l’histoire et l’évolution de l’homme et de l’univers qui l’environne. L’auteur véritable puits de connaissances, sait faire partager son savoir et son questionnement. Ouvrage à lire à petites doses pour pouvoir bien assimiler le foisonnement de données et pouvoir méditer tout l’extraordinaire qui se dévoile au fur et à mesure que les pages se tournent. Mérite de devenir une bible à laquelle on s’abreuve en quête de savoir et de réponses à nos questions sur la création de l’univers. Mais la science restera toujours la science aussi poussée soit la connaissance, et des questions fondamentales comme le passage de l’inanimé à l’être vivant et ensuite à la conscience feront appel à la conviction de chacun quant à la réponse à apporter. Ce livre met à disposition un certain nombre de briques et de pistes, et chacun sera libre de les assembler à sa manière, en fonction de sa sensibilité et de sa croyance ou non en Dieu ou en un être supérieur. Ce qui fait retomber sur une question fondamentale, le hasard ou la nécessité. Il l’aborde de façon sublime et apporte une réponse sans appel : l’existence de la conscience n’est pas contingente, mais nécessaire, car l’univers n’a de sens que s’il contient une conscience capable d’appréhender son organisation, sa beauté et son harmonie.
43) La Traque des criminels de guerre et moi Carla Del Ponte Edition Héloïse d’Ormesson 2009
Pendant huit ans elle a été procureur général du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda. Au centre d’une multitude d’organisations nationales et internationales avec lesquelles elle dialogue et négocie pied à pied sous la pression des intérêts particuliers et divergents elle conduit ses mises en accusations souvent seule contre tous.
Elle décortique bien les rouages des différents génocides commis sur ces deux théâtres de guerre, en donnant un point de vue éclairé sur les différents génocidaires qu’elle poursuit.
A travers ses différentes tractations avec sa hiérarchie de l’ONU, souvent directement avec le Secrétaire Général, ou avec des organisations internationales comme l’Union Européenne ou l’OTAN, ou directement avec les nations d’Europe ou les USA, et aussi bien entendu avec les pays dont les cherche à arrêter certains ressortissants, elle nous invite à suivre son combat dans toute sa complexité. Indépendamment du mécanisme de fonctionnement du Tribunal international pénal, dont elle nous explique le fonctionnement, on assiste à l’élaboration de la politique internationale à l’aune de la sensibilité des états, chacun ayant ses orientations, et à l’aune des organismes internationaux.
Livre passionnant de 600 pages qui éclaire largement sur un problème grave, les crimes de guerre et génocides et l’impunité, en en dévoilant tous les aspects, pénaux et politiques.
44) Neige Maxence Fermine arléa 1999
Très joli petit conte d’inspiration japonaise, très agréable à lire. On y apprend entre autre ce qu’est un haïku, petit poème à dix sept syllabes.
45) Une balle perdue Joseph Kessel folio
Cours roman qui se déroule au cours d’une émeute à Barcelone quelques années avant la guerre d’Espagne. Dans des circonstances difficiles, emmêlées et dangereuses, l’auteur campe un personnage principal entier sans concession qui porte la notion d’honneur d’amour et d’amitié au plus au niveau. En particulier une réplique du chef terroriste à son jeune disciple qui ne sait plus s’il doit prendre parti pour son ami qui ne partage pas ses convictions est remarquable et bien dans le ton du livre: un anarchiste est d’abord un homme libre, et à mon sens quand il a un ami, quel qu’il soit, en péril, il reste à ses côté.
46) Le chef du contre-espionnage nazi parle 1933-1945 Walter Schellenberg éditions Julliard 1957
L’auteur surnommé Fouché à Berlin, donne à travers ses mémoires une description de première main de ce qu’était le système nazi. Il côtoyait journellement les principaux acteurs tels que Himmler. A travers de multiples anecdotes il dresse une fresque de tous les grands chefs nazis et porte témoignage sur les grands événements qui marquèrent le nazisme depuis ces débuts jusqu’à sa chute. Le document est d’autant plus intéressant que les responsables de ce niveau n’ont pas été très nombreux à faire part de leurs expériences concernant cette période sombre de notre histoire.
47) L’enfer de Matignon Raphaëlle Bacqué Points 2008
Cette journaliste du monde interroge 12 anciens premiers ministres sur leur expérience à ce poste. Tous ces témoignages abordent chacun avec sa sensibilité la fonction de premier ministre. Il en ressort que pour tous, le monde de la politique est pavé d’ennemis et de concurrents, que l’on soit de votre bord ou non. Intéressant, la plupart me sont apparu sympathique, l’un m’a semblé sortir du lot. On voit bien à travers ces différents récits apparaître toute la gesticulation politique française qui ne semble pas très saine.
48) Ma captivité en Corée du Nord Célestin Coyos Grasset 1954
L’auteur, un missionnaire français raconte son incroyable épopée, 30 mois prisonnier des Coréens du Nord. Lors de la guerre de Corée, lorsque l’armée nord coréenne a conduit une poussée en direction de Séoul, l’auteur, comme de nombreux Occidentaux a été fait prisonnier. Il a ensuite été traîné dans de multiples sites de détention au gré de ce qui semble plus le hasard qu’une réelle stratégie de ses geôliers. Témoignage très intéressant, Célestin Coyos décrit la vie de misère qu’il mène avec ses compagnons d’infortune dans les montagnes coréennes au climat particulièrement hostile, confronté aux tortures morales de ses gardiens. De ce texte ressort toute la force morale des religieux et religieuses embarqués dans cette aventure. La plupart d’entre eux y laisseront d’ailleurs leur vie.
49) Les crimes de la Wehhrmacht Wolfram Wette Perrin 2009
Livre extrêmement instructif sur la réalité de l’action de l’armée allemande au cours de la deuxième guerre mondiale. L’auteur qui est professeur d’histoire contemporaine à la faculté de Fribourg et professeur honoraire de l’université russe de Lipetsk, montre avec une argumentation basée sur des recherches sérieuses, de façon nette l’implication de l’armée allemande auprès des unités SS dans la conduite des exactions perpétrées, en particulier son implication dans le programme d’extermination. Il explique comment à la fin de la guerre l’armée allemande s’est vue disculpée des accusations pesant sur les SS. Les raisons sont internes et externes à l’Allemagne. Internes car le pays a fait bloc pour différentes raisons qu’il explique très bien, et les généraux allemands dans leur immense majorité au cours de leur témoignage ont passé sous silence leur implication personnelle. Externes, car les alliés occidentaux ont voulu ramener sans contestation possible les Allemands dans leur camp, alors que la menace du communisme se faisait de plus en plus pressante. Livre qui m’a intéressé au plus au point et qui précise sans faux semblant un certain nombre de questions qu’on ne manque pas de se poser sur ce conflit mondial
50) Le Pacte des assassins Max Gallo Livre de Poche 2008
Roman qui est tiré de faits réels. En suivant les aventures de son héroïne comtesse italienne, qui dans la réalité était Margarete Buber-Numann, communiste allemande qui avait fui en URSS et rejoint Lénine puis Staline. Sa vie, véritable roman des plus dramatiques, broyée entre deux systèmes totalitaires, ballotée entre camp de déportation en Sibérie et camp de concentration en Allemagne. Max Gallo avec son écriture toujours très claire et sans détour, nous livre une analyse des rapports germano-soviétiques au moment de l’accord de non-agression qui lia ces deux pays avant le déclenchement de l’opération Barbarossa. Il décortique les mécanismes de ces régimes et met en scène des personnages, certes de second plan, en particulier certains communistes français, qui permettent de comprendre quelles faiblesses et défauts humains ces régimes monstrueux utilisaient pour imposer leur soi-disant socialisme qu’il soit national-socialisme ou communisme. L’héroïne, espionne soviétique bien introduite dans les milieux nazis est a même de bien cerner les négociations auxquelles se livrent Hitler et Staline, pour comme dans un immense jeu de poker menteur, être à même de mieux foudroyer l’autre le moment venu. J’ai beaucoup aimé.
51) Conversations avec Staline Milovan Djilas idées nrf Gallimard 1971
Livre au titre alléchant, un témoignage direct vécu au contact de Staline. L’auteur est un adjoint de Tito, à ce titre il est amené à plusieurs reprises à se rendre en URSS, pour négocier dans le cadre des relations entre la Yougoslavie et l’URSS. Le témoignage est intéressant, bien que parfois il y ait des longueurs dans la première partie. En effet les entretiens avec Staline ne couvrent qu’une partie de l’ouvrage. Le dernier quart est passionnant, en effet on assiste à des discussions politiques de fond entre le maître du Kremlin et des représentants bulgares et yougoslaves. On comprend sans détour la terreur que Staline essaie d’imposer à ses interlocuteurs en les soumettant à sa bonne volonté et en leur retirant toute autonomie. Témoignage méritant d’être lu, qui confirme bien l’image que l’on se fait de ce dictateur.
52) L’imposture climatique Claude Allègre Plon 2010
Livre écrit par un scientifique incontesté même si certains n’adhèrent pas à ses idées. Cependant son argumentation très fournie interpelle. Il ne conteste pas la réalité du réchauffement, mais met en cause les conclusions considérant que l’homme est l’exclusif responsable de cette augmentation de la chaleur. Il explique comment des lobbys sous couvert d’organisations scientifiques ont confisqué le débat sur cette question, qui nous préoccupe tant, le changement climatique. En particulier, il met en garde contre le mode de pensée des verts, qui à son sens ne résoudront rien, si ce n’est plonger notre pays, voire l’Europe dans la récession, alors que ce ne sera pas le cas pour les grands pays de la planète. Ils expliquent bien leur courte vue et leur peur de la technologie qui les amènent à n’avoir aucune confiance dans la capacité inventive de l’homme ; On comprend qu’il explique cette attitude des verts en partie par leur immense lacune en matière de formation scientifique, ce qui les disqualifie pour prendre part au débat concernant le développement de notre monde. Son argumentation bien étayée me semble très cohérente. Livre fort intéressant qui semble déclencher quelques réactions, que j’ai lues et ne semblent pas aller très loin dans la réfutation de ses affirmations. Des gens comme Nicolas Hulot, qui se font accuser de véritable incompétence, restent à mon sens très amorphes et ne répondent pas. Peut-être est-ce trop tôt, le livre est tout récent, mais si effectivement les tenants de la théorie du réchauffement dû à l’homme sont sûrs de leurs théories devraient apporter une contestation vive et argumentée à ce livre. Affaire à suivre, mais je ne peux que conseiller de le lire, car il porte à réfléchir sur le fonctionnement de nos sociétés et ses modes de pensées.
53) Les dérangements du temps
500 ans de chaud et de froid en Europe
Emmanuel Garnier PLON 2010
Agrégé d’histoire et maître de conférences, l’auteur mène depuis quatre ans des recherches sur l’histoire du climat.
A travers une multitude de sources historiques, archives et comptes-rendus individuels, il décrit le climat au cours des cinq derniers siècles. Il en décèle les éléments les plus caractéristiques, pics de chaleur ou de froid, périodes de canicule ou de refroidissement, et les sécheresses et inondations qui en découlent. Il montre que des événements particuliers comme une éruption volcanique ont eu une réelle influence sur le climat de l’Europe.
Livre très intéressant, bien que parfois difficile à lire, montrant bien l’impact des aléas climatiques sur les populations au cours des siècles passés. Les fluctuations importantes qu’il dévoile à travers son exposé, mettent en lumière que le climat n’est pas une donnée stable, mais qui subit des variations importantes dues à des facteurs complexes, que l’on n’identifie pas facilement la plupart du temps.
Ce livre est un bon complément à la lecture de celui de Claude Allègre « l’imposture climatique ».
Ces lectures, indispensables à mon sens, qui traitent toutes deux de l’évolution du climat, donnent matière à réflexion concernant l’évolution de notre climat, mais en ce qui me concerne je suis bien en peine de me forger une conviction sur le sujet.
Le livre d’Emmanuel Garnier décrit les péripéties du climat sur une longue période, tandis que celui d’Allègre cherche à démontrer que l’action de l’être humain sur les variations climatiques que nous connaissons doit être étudiée dans un contexte beaucoup plus général et plus complexe.
54) La petite demoiselle et autres affaires d’Etat Christian Prouteau Michel Lafon 2010
L’ancien créateur et chef du GIGN relate ses treize ans au service du Président de la République. Bien malgré lui il a été entraîné dans cette mission, qu’il a commencé par refuser. Mais François Mitterrand ne lui a pas laissé le choix.
Une fois de plus je lis un livre d’une personne ayant côtoyé Mitterrand de très prêt, et qui n'est pas un politique. De toute évidence il leur laisse une impression très forte et les gens sont tombés sous son charme, même quand ils avaient des à priori très négatifs à son sujet.
Prouteau ne se montre pas tendre avec certains hommes politiques qu’ils a vu agir au cours de son long service à l’Elysée.
De nombreuses anecdotes pleines de tendresse, en particulier lorsqu'il parle de la Petite demoiselle.
Livre très agréable allant toujours directement aux faits, donnant un éclairage particulier sur les hommes politiques et qui montre François Mitterrand dans ses rapports humains non politiques. J’ai beaucoup aimé.
55) Eux, les STO Jean-Pierre Vittori Ramsay 2007
STO trois lettres, acronyme de Service Travail Obligatoire. Plus d’un million de Français, pour la plupart contraints, sont partis travailler en Allemagne au cours de la deuxième guerre mondiale.
L’auteur au travers d’une vaste enquête auprès des STO, pas toujours facile à mener, a disséqué tout le processus, en abordant la démarche individuelle devant ce départ en Allemagne, la position du gouvernement de Vichy, des employeurs en France et des Allemands qui en dernier lieu décidaient.
Comme tout ce qui touche à la deuxième guerre mondiale et ce qui s’est passé en France à cette époque, un certain voile est entretenu, qu’il n’est pas toujours facile de lever. Ce problème du STO est un épisode de cette période les moins connus, malgré le million de Français qui y ont été entraînés.
Cette étude démonte bien tous les aspects du mécanisme mis en place. On est en effet loin des clichés de collabo et résistant, le système mis en place et les contraintes de l’époque ne permettent pas de trancher aussi nettement.
En écoutant les STO et en dépouillant les centaines de fiches qu’il a fait remplir on voit se dessiner toute la complexité tintée d’horreur, de dictature et de désinformation de ces longues années d’occupation.
A la fin de cette lecture on a une bonne image de ce qui s’est passé, très intéressant mais nous ne pouvons que souhaiter de ne pas connaître à nouveau de telle période.
56) Sexus Economicus Yvonnick Denoël nouveau monde éditions 2010
Livre intéressant qui décrit les méthodes employées pour battre la concurrence en matière commerciale en utilisant des call-girls. Comme on le savait déjà le sexe a été, est et restera ce qui fait courir le monde tout du moins les hommes. Je suis cependant étonné de voir que certains hommes qui passent pour des sexe- symboles font appel aussi à des services tarifés.
57) Les secrets d’une redition Allen Dulles 1967 Calmann-Levy
Allen Dulles avait été chef de la CIA. Dans ce livre il nous relate son action comme jeune diplomate en Suisse au cours de la seconde guerre mondiale. Durant cette période il a été l’un des acteurs principaux de l’opération « Sunrise ».
Cette opération avait pour but la reddition des troupes allemandes sur le front italien, sans l’accord d’Hitler. Du côté allemand le principal protagoniste a été le général SS Wolff, chef de toutes les formations SS en Italie. Il a du convaincre les autres chefs de composantes militaires, la LuftWaffe et l’armée de terre. Pour l’armée de l’air son chef était acquis depuis longtemps à une reddition, pour l’armée de terre cela a été beaucoup plus compliqué. Le livre relate toutes les péripéties de ces tractations secrètes, entre d’une part des généraux allemands, menacés de mort pour haute trahison, et des autorités anglo-américaines sceptiques, craignant même un traquenard et les Russes essayant de faire capoter l’opération, car ils voulaient être les premiers à envahir l’Italie par la Yougoslavie, afin de la raccrocher au camp communiste. Livre absolument passionnant où l’on voit très bien décrit le processus compliqué qui a conduit à la cessation des hostilités le 2 mai 1945 sur le front italien. Cet événement outre d’avoir préservé des milliers de vies humaines de tous les camps, a précipité la reddition à l'ouest du maréchal Kesselring qui était le commandant en chef des troupes allemandes sur l’ensemble du front.
Cet ouvrage se lit comme un roman avec des rebondissements dignes du meilleur romancier, comme quoi la réalité dépasse souvent la fiction.
58) Réflexions et Aventures Winston Churchill TEXTO 2008
Winston Churchill, bien évidemment on ne le présente pas. Pour ma part je le considère comme l’homme le plus important du xxème siècle, seul au début, ou presque, il a su réagir et organiser la résistance contre Hitler et sa folie meurtrière.
Comme il est écrit en préambule, les essais qui composent ce livre ont tous été écrits avant 1932. A travers une vingtaine de chapitres il retrace son expérience vécue durant les événements importants du début du siècle, politiques et militaires. Il apporte un éclairage personnel et très clair sur une multitude de faits historiques connus et dresse les portraits d’acteurs majeurs qu’il a bien souvent côtoyés. Il explique de façon concrète les grands dilemmes auxquels les dirigeants de l’époque, dont il faisait partie ont été confrontés, en particulier durant la première guerre mondiale. Son expérience du front est étonnante. Il a quitté un poste de responsabilité important en Grande Bretagne pour aller se rendre compte des réalités du terrain durant plusieurs mois dans les tranchées en première ligne avec le grade de commandant.
Livre particulièrement intéressant qui présente, entre autre, un caractère prémonitoire sur ce qui s’est passé ensuite au xxème, car n’oublions pas qu’il a été écrit dans le premier tiers du siècle dernier.
59) Une femme à Berlin Journal 20 avril-22 juin 1945 folio 2002
L’auteur de ce livre a voulu rester anonyme. On en comprend très bien les raisons. Durant deux mois cette jeune Berlinoise a tenu un journal, du 20 avril au 22 juin 1945. Son récit commence un peu avant l’arrivée des troupes soviétique.
Au jour le jour, sans faux semblant elle va décrire la vie des habitants et surtout des habitantes de la ville d’abord sous les bombardements et ensuite sous la coupe de l’armée rouge. Elle explique les relations qui vont s’établir entre les soldats soviétiques et les femmes allemandes.
Dans une Allemagne complètement détruite où la survie est liée en particulier à la recherche de la nourriture et d’un minimum de sécurité, elle montre les rapports qui se lient entre hommes et femmes. Tout d’abord basées sur le viol systématique sans contrepartie, ces relations vont évoluer vers une forme de prostitution forcée contre nourriture et protection relative contre la systématisation du viol et la banalisation de la terreur par tout militaire de passage.
Durant deux mois on assiste au basculement de l’état nazi sous les bombes au retour à la paix avec la transition militaire russe et son mode de fonctionnement. Ce témoignage particulièrement intéressant montre bien l’adaptation forcée et la réaction des femmes allemandes confrontées à l’armée rouge qui arrivait à Berlin.
60) Journal d’un Conjuré 1938-1944 Ulrich von Hassell Belin
Ulrich von Hassell était un diplomate allemand, qui fut ambassadeur à Rome de 1932 à 1938. Du fait de sa position critique envers le système nazi, Hitler le démit de ses fonctions. De retour en Allemagne il tient un compte-rendu régulier de tous ses entretiens avec les personnages qui détiennent une partie de pouvoir dans le régime national-socialiste, qu’il s’agisse de civils ou de militaires.
Il montre très clairement les interrogations que ne manquaient pas de se poser bon nombre de personnages allemands. Mais il montre aussi le système totalitaire qui plonge chacun dans la terreur et empêche toute action concertée. Mais il montre aussi que les ambitions personnelles étaient un frein à l’opposition, car au gré des succès ou des échecs militaires nombreux dans un premier temps pensaient la victoire allemande possible. Quand tout espoir s’était envolé, des idées comme reddition avec conditions ont aussi joué en défaveur d’un coup d’état ou d’un attentat. Il montre aussi très bien le système de surveillance de la gestapo.
En septembre 1944 il fut condamné à mort et exécuté. Ce témoignage est l’un des rares qui nous décrive de l’intérieur ce qui agitait les Allemands au cours de la deuxième guerre mondiale. Ouvrage passionnant que je recommande fortement.
61) Mirage contre Mig Ben Dan J’ai Lu 1967
Ce livre raconte l’incroyable action de l’armée de l’air israélienne au cours de la guerre des 6 jours en juin 1967. En effet avec un effectif réduit de l’ordre de 150 avions de combat, tous français dont la moitié de Mirage III, les forces aériennes israéliennes ont détruit les armées de l’air de 4 pays arabes en l’espace quasiment d’une seule matinée, en commençant par un double raid massif sur l’Egypte. Puis les quatre jours suivants les avions d’Israël ont participé à l’appui des troupes au sol et à la démoralisation des armées de terre ennemies. Les chefs militaires et les pilotes israéliens ont fait preuve d’une clairvoyance, d’un courage et d’une détermination exceptionnels.
Livre époustouflant.
62) Les Diplomates Franck Renaud éditions nouveau monde 2010
Livre qui fait une analyse actuelle de l’état de fonctionnement des ambassades françaises et de leur ministère le « Quai d’Orsay ».
La diplomatie française comme les autres secteurs est touchée de plein fouet par les restrictions budgétaires qui entraînent coupures dans les projets et diminution du nombre de personnes affectées à l’étranger dans les représentations françaises.
L’auteur par une multitude de cas concrets nous montre l’action et la vie de ces personnels considérés par beaucoup comme des nantis payés royalement.
Il ressort de cet ouvrage, que l’on trouve de tout dans nos ambassade et au ministère des affaires étrangères, du très bon et du moins bon. Ce qui peut choquer c’est que la compétence n’est pas forcément le critère principal de promotion et de maintien dans des emplois très lucratifs. Les puissants réseaux internes sont à l’action et maintiennent contre vents et marées leurs affidés. On touche du doigt toute la puissance bureaucratique de notre système français qui ne se laisse pas réformer sans remous.
Tout contribuable soucieux de l’utilisation des ses impôts se doit de lire et ouvrage afin de se faire sa propre idée de l’efficacité de cette grosse machine qu’est le Quai d’Orsay ».
63) Mes valises diplomatiques Brigid Keenan Petite Bibliothèque Payot 2005
L’auteur de ce livre est femme de diplomate. Elle raconte sa vie au fil des affectations de son mari un peu partout sur la terre. Outre le fait d’être mariée à un diplomate, elle est journaliste et malgré les difficultés que cela lui pose, elle arrive à garder quelques contacts professionnels.
Elle fait ressortir admirablement la vie des ces expatriés que sont les personnels des ambassades. Elle y met une belle touche d’humour. Elle donne des éclairages très intéressants sur les différents pays qu’elle a habités généralement plusieurs années.
Livre de presque 400 pages qui se lit comme un véritable roman d’aventures, où les rebondissements se succèdent pour la plus grand plaisir du lecteur. Et bien entendu, l’intérêt provient aussi du fait qu’il s’agit d’une histoire vécue au fil d’une vie.
Bien souvent les livres de la collection Petite Bibliothèque Payot qui relatent des histoires d’aventures vécues sont particulièrement intéressants, et celui-ci ne déroge pas à la règle.
64) Le tour du Chili à vélo Régine Bienvenue et Pierre Devaux La Manufacture 1987
Ce livre racontant le périple à vélo de ce couple à travers le Chili est proprement époustouflant. Bien souvent ils sont sur des chemins à peine carrossables, et parfois durant des jours ils errent dans les montagnes en altitude hors de tout tracé en portant leurs bagages puis leurs vélos. Le poids de leurs montures était incroyablement élevé 80 kilogrammes, ce qui en aurait arrêté plus d’un. Eux au contraire ça semblait leur donner de la motivation, ils ont même emmené leurs engins avec bagages à 6000 mètres. Ils ont bivouaqué dans les endroits les plus invraisemblables, par des températures qui ont frôlé les -30, souvent en espérant trouver ravitaillement et eau à très court terme, sous peine de mourir. Absolument fabuleux, récit de deux cyclistes qui montrent une ténacité vraiment au-dessus de la moyenne.
65) l'Assassinat de Trotski Pierre Broue Editions Complexe
Dans cet ouvrage l'auteur retrace tout le déroulement des faits qui ont conduit à cet assassinat hors norme d'un coup de piolet. Bien évidemment Staline était le commanditaire de cette action. De nombreuses préparations aussi bien logistiques que d'influence ont été nécessaires, après un certain nombre d'échecs, dont le dernier quelques mois avant ce jour fatidique pour mener ce projet à bien. Livre très bien renseigné qui parfois du fait des détails est difficile à lire. Mais il éclaire sur l'un des événements importants du XX siècle.
66) La guerre en 40 questions Le Grand-Amiral Dönitz La Table Ronde 1969
Livre remarquable, un officier général qui a détenu de grandes responsabilités de commandement explique en trois cents pages, au travers de questions qui lui sont posées, son action durant la deuxième guerre mondiale. Responsable durant la première moitié de ce conflit de la guerre sous-marine, il en donne des éclairements précis. Il explique toutes les décisions non prises qui ont conduit au fait que les Allemands n’ont pas triomphé dans le domaine de la guerre sous-marine, malgré les 2800 navires alliés coulés par les sous-mariniers. On en tremble rétrospectivement, en pensant que s’il avait été écouté plus tôt par l’amiral Raeder, le chef de la marine et par Hitler, la guerre aurait pu prendre une autre tournure. On comprend toute l’importance stratégique qu’avaient les convois maritimes anglais et américains, ce qu’il avait bien perçu, alors qu’heureusement ses chefs n’avaient pas sa vision claire. On comprend aussi les grands soucis qui étaient ceux de Churchill en constatant cette puissance sous-marine allemande qui risquait d’avoir les conséquences les plus funestes pour l’issue du conflit mondial, si les alliés ne découvraient pas le moyen technologique permettant la détection des sous-marins.
Il explique très clairement sa position d’officier allemand par rapport à la morale dans un tel conflit. Mais je reste sceptique, quand il affirme ne rien avoir su concernant les monstrueuses exactions perpétrées par les nazis.
Très intéressant témoignage à lire impérativement.
67) Vivre avec de Gaulle Michel Tauriac Pocket 2008
Les derniers témoins racontent
Livre de plus de 700 pages qui nous fait découvrir le général de Gaulle dans les différents aspects de sa vie, militaire, civile et personnelle. De nombreuses personnes portent témoignage de ce qu’elles ont vécu auprès du général. On y découvre un homme, qui avait une vraie vision d’avenir pour la France, mais cela tout le monde le sait. Ce récit révèle aussi un homme d’une grande sensibilité et d’une grande humanité qui savait par ses convictions et par sa rigueur faire adhérer ses subordonnés. Ce livre se boit littéralement comme un nectar qui revigore dans notre période où nous ne sentons plus chez nos hommes et femmes politiques d’autres convictions que celles conditionnées par l’audimat et qui s’alignent en fonction des réactions de l’opinion à certaines idées.
68) Histoire des Services secrets Britanniques Gordon Thomas J’ai Lu 2008
Dans ce livre d’un peu plus de 600 pages l’auteur relate les temps forts des fameux services secrets intérieurs et extérieurs britanniques, avec sa kyrielle d’espions retournés soit par les pays de l’est ou de l’ouest. Il y aborde aussi les relations de la Grande Bretagne dans ce domaine avec les autres services secrets en particulier américains, FBI, CIA, NSA. Ouvrage passionnant qui se lit comme un véritable polar, où si l’on n’y prenait garde on se croirait dans une œuvre de pure fiction d’un auteur à l’imagination débordante. Mais non il s’agit de la simple réalité, qui comme on le voit vaut tous les romans de fiction.
69) Londres appelle Pôle Nord H.J.Giskes Plon 1958
Histoire tout à fait étonnante, écrite par l’un des chefs du contre-espionnage allemand aux Pays-Bas durant la deuxième guerre mondiale. Il relate son travail en Hollande, lorsqu’il pilotait un groupe de résistants retournés et qui induisaient Londres en erreur. De ce fait les parachutages de personnes et de matériel tombaient systématiquement entre les mains de l’armée d’occupation. Le plus étonnant c’est que le réseau retourné pensait avoir donné les indices nécessaires à leurs correspondants en Grande Bretagne, permettant de réaliser sans ambigüité qu’ils étaient sous contrôle ennemi. Mais des disfonctionnements ont conduit au fait que durant une très longue période l’ennemi a bénéficié de cette avantage. Encore une histoire réelle digne du meilleur polar.
70) Erich von Manstein Benoît Lemay Tempus 2010
Dans cet ouvrage de 700 pages l’auteur de façon magistrale explique la réalité de la Wehrmacht durant la deuxième guerre mondiale, à travers une biographie du feld-maréchal Manstein. Il ressort de cette analyse que les militaires de haut rang allemands durant la seconde guerre mondiale, ont suivi voire précédé Hitler dans sa guerre de conquête. De même l’auteur fait ressortir toute l’habileté de ces officiers généraux qui ont écrit leurs mémoires à l’issue du conflit, afin de réhabiliter l’armée allemande et de bien la démarquant de la SS et de la gestapo. La réalité semble contredire ces documents écrits par des acteurs allemands de premier plan. Mais il n’était pas non plus de l’intérêt des alliés après la guerre de trop s’opposer à l’opinion allemande qui était contre ces chasses aux sorcières. En effet dans cette période de guerre froide est-ouest, il fallait ancrer l’Allemagne Fédérale sans ambigüité au camp occidental et l’intégrer à l’OTAN, d’où l’acceptation de l’idée d’une armée allemande et de ses chefs qui s’étaient bien conduits durant la guerre. Très intéressant à lire et porte à considérer d’un regard différent les mémoires des grands chefs militaires allemands, qui disent n’avoir eu connaissance de la conduite inhumaine du régime qu’à la fin du conflit. A lire impérativement pour essayer de comprendre comment des hommes intelligents acceptent de se soumettre à un régime assassin et après sa destruction comment afin de se justifier ils travestissent en partie la réalité. L’auteur montre aussi au cours de son étude comment Hitler tenait ses officiers généraux par l’argent et les avantages. On prend conscience que tout système dictatorial s’il sait bien mettre en valeur l’élite du pays peut assoir sa politique inhumaine avec l’aval d’une grande partie de cette élite. Voilà ce que montre en 700 pages ce livre. Puisse-t-il avoir tort au moins partiellement, car cela fait froid dans le dos. Livre très instructif que je recommande.
71) Le dernier mort de Mitterrand Raphaëlle Bacqué Grasset Albin Michel
Livre très intéressant qui rentre dans le système de fonctionnement de la cour autour de Mitterrand. Ce livre a soulevé quelques contestations, mais d’après ce que j’ai lu, elles restent pour la plupart dans le détail. Cet ouvrage apporte une perspective de plus à la découverte de la vie compliquée et secrète de François Mitterrand. Se lit comme un véritable roman, et l’écriture est de belle facture. Petit livre à lire immédiatement.
72) Le Chemin des âmes Joseph Boyden Le Livre de Poche 2004
Ce livre est le récit de deux Indiens qui sortent de leur forêt du Canada et qui s’engagent dans l’armée canadienne au cours de la première guerre mondiale. Très vite de par leurs qualités de chasseur et de tireur ils vont être pris comme tireur d’élite. Ils s’infiltreront à de nombreuses reprises entre les lignes de tranchées à la recherche de leur gibier. Le récit au fil des chapitres se déplace alternativement des lieux du premier conflit mondial aux grandes forêts canadiennes. Il y a un lien évident entre ces différents endroits. On comprend comment ces deux hommes adaptent leurs connaissances ancestrales aux besoins de la guerre de tranchées. L’auteur nous révèle toute la psychologie de ces habitants de la forêt et leur mode de pensée au profit de la guerre moderne, tout du moins ce qu’elle était au début du vingtième siècle. Magnifique récit qui finit sur une note très morale même si la guerre peut transformer un être humain en chasseur d’autres êtres humains, au point de ne plus avoir d’autre raison de vivre que celle de la recherche du plaisir de tuer ses semblables. Magnifique ouvrage que l’on dévore d’un seul coup, bien qu’il fasse presque cinq cents pages.
73) Journal impoli Un siècle au Galop Christian Millau
Editions du ROCHER 2011
Eh oui il s’agit du fameux auteur du guide Gault et Millau, il écrit de façon remarquable. J’ai découvert ce livre par hasard en me baladant le long du quai de Saône un dimanche après-midi au gré des bouquinistes.
L’auteur a connu une vie époustouflante au cours de laquelle il a côtoyé une multitude de personnages célèbres, voire plus. Au fil des jours il croque en quelques mots les individus et il fait des synthèses de situations qui pour le moins ne relèvent pas de la langue de bois. Dans notre société où la parole est, de façon hypocrite, de plus en plus bâillonnée, cette écriture de haut vol qui ne se soucie pas des canons de la « bien-pensance », est une cure de jouvence. Il y fait preuve dans certains paragraphes, d’une érudition très poussée, qui peut parfois dépasser les capacités du lecteur de base que je suis. Mais sur les 700 pages de cet ouvrage volumineux l’immense majorité me sont apparues d’une grande limpidité, et outre m’avoir appris beaucoup de choses m’ont régalé et bien souvent m’ont fait éclater de rire. Un grand livre que je relirai certainement tellement le plaisir a été grand par les anecdotes savoureuses et le savoir dispensé de taille.
74) Le puzzle de l’émigration Malika Sorel Mille et une nuits 2007
Malika Sorel est française d’origine maghrébine. Ayant passé une bonne partie de sa vie dans son pays d’origine elle vit actuellement en France et a la nationalité française.
Avec une multitude d’arguments elle fait une analyse très convaincante des difficultés qui touchent nos banlieues et des fractions de la société qui en découlent. Sans rentrer dans le détail pour ne pas trahir sa pensée car la question est très compliquée, cet ouvrage est à méditer. Nos hommes politiques auraient dû s’en inspirer, alors que les voies choisies qu’elles soient de droite et de gauche sont toutes inspirées par le fait qu’il faut mettre plus d’argent pour aider les migrants. Malika Sorel montre très clairement que la volonté d’appartenance à une même identité qui est la nation est au centre du problème et qu’il est utopique d’imaginer que le bien-être matériel est le seul facteur qui va pousser à adhérer à un mode de vie. Elle pose très clairement la signification de deux mots s’insérer et s’intégrer, qui sont fondamentalement différents, car ne faisant pas appel de la part de l’individu aux mêmes types d’envies. A vouloir faire en sorte que la nationalité soit un cadeau que nous faisons largement sous couvert d’humanisme, en réalité il s’agit peut-être d’une fausse bonne idée qui plonge les jeunes générations d’immigrants dans le désarroi du fait de leurs racines et d’une culture de leurs ancêtres très différentes.
Livre très clair, sur un sujet complexe, qui débroussaille la route à suivre. Mais cela demanderait un vrai courage de la part de nos politiques pour arriver à une solution à cette immense question du vivre ensemble sur un même sol.
75) Au cœur de l’antiterrorisme Marc Trevidic JCLatès 2011
L’auteur dans cet ouvrage aborde les différents aspects de son métier de juge traitant des affaires de terrorisme. Sans rentrer dans le détail des grandes affaires en cours, secret de l’instruction oblige, il nous fait vivre son engagement dans la lutte contre le terrorisme, en mettant des hommes en scène, qu’il s’agisse des terroristes eux-mêmes, des victimes de ces attentas, des services secrets français et étrangers, des justices d’autres pays. Il nous entretient aussi des politiques qui ne cherchent pas toujours à faire émerger la vérité pour différentes raisons, souvent du fait du positionnement politique de notre pays à un moment donné sur la scène internationale. Parfois sa pensée est un peu difficile à suivre, lorsqu’on n’a pas une bonne formation juridique, ce qui est mon cas, car le fonctionnement de notre système judiciaire est plein de subtilités pour le néophyte. Témoignage très intéressant qui fait suite au très beau livre du juge Bruguière.
76) Servir le peuple Yan Lianke Picquier poche 2009
Ce roman tourne en dérision une formule typique du régime maoïste, qui est « comment servir le peuple ». D’ailleurs on ne s’y est pas trompé en Chine car le livre a été immédiatement interdit. En effet sous couvert de cette formule, après certes certaines pressions, le personnage principal de l’ouvrage suit ce précepte pour assouvir les envies sexuelles de l’épouse de son chef militaire. Il y parvient très bien et cela déclenche chez lui et sa maîtresse le déverrouillage de conditionnements fortement imprimés par la société chinoise. Ils s’attaquent à la figure mythique de Mao, en en détruisant les portraits, ce qui les renforce dans leur envies d’émancipation. Le roman fait apparaître tout l’absurde de la pensée mettant en exergue l’idéal communiste altruiste (pour ceux qui adhèrent seulement), derrière lequel en réalité se dissimule l’appétit de matérialisme. J’ai passé un très bon moment.
77) La Compagnie des femmes Yves Simon Stock 2011
Yves Simon je m’en souvenais comme chanteur et puis en regardant une émission littéraire « la grande librairie » je l’ai écouté parler de son dernier livre. Il en parlait très bien, je l’ai acheté et l’ai lu et je n’ai pas été déçu.
Au cours d’un voyage tout à fait improvisé sur une route que l’on ne considère pas comme une destination de voyage, tout au plus comme un calvaire indispensable en préambule au voyage, l’autoroute Paris Marseille, il nous emmène très loin dans les rencontres impromptues et les sentiments. Il décrit avec brio cette magie qui naît de la rencontre au gré du hasard de deux êtres qui vont rentrer en harmonie, qu’elle se concrétise (cette magie) physiquement ou non. Chacun de nous à cette lecture verra remonter à la surface des souvenirs voire des aspirations, des états d’âme, des agitations, des exaltations. Ces rencontres, particulièrement avec des femmes, mais pas toujours, au détriment d’une vie affective bien établie montre cette quête de rencontres, de laquelle naît l’enchantement de l’apport à l’autre. Il aborde très subtilement les différentes approches en fonction de l’âge. De l’éphémère de la rencontre passagère se concrétisent des ressentis immortels. Très beau livre magnifiquement écrit plein d’une forme de nostalgie qui apporte un grand plaisir.
78) Le Premier Amour Véronique Olmi Le Livre de Poche 2009
Je découvre cet auteur. Le livre aborde un thème bien à la mode dans notre société où les quadras et plus aiment à se retourner sur leur passé, en particulier affectif. A croire que l’on s’imagine tous que l’on est passé à côté du grand amour à un moment donné, preuve s’il en est que beaucoup ne sont pas au top dans leur peau.
Elle effleure nombre de problèmes bien actuels, les handicapés que nous ne sommes plus en mesure de garder chez nous, ce qui sous-tend à mots couverts sans doute la gestion de la vieillesse dans nos sociétés, les paumés de tous genres que l’on côtoie au hasard de nos déplacements, et surtout nos interrogations existentielles. Le thème est bien alléchant, mais la pensée n’est pas poussée assez loin et reste très superficielle. Je dirais en guise de conclusion, en désaccord avec les critiques dithyrambiques du Point et du Figaro littéraire, heureusement que le livre n’est pas trop épais, ce qui m’a permis de persévérer jusqu’à la fin.
79) Messieurs les avocats Pierre Malan Albin Michel 1955
Petit livre truculent par le thème abordé, la vie d’un barreau d’une ville française. On y voit vivre les avocats plongés dans leurs intrigues et leurs petites magouilles sur fond d’élection du Bâtonnier. Les multiples péripéties et rebonds sont des plus hilarants et la chute est impitoyable quand à la hauteur d’âme et à la déontologie des personnages.
80) La conspiration oubliée Terry Parssinen Robert Laffont 2004
Cet ouvrage retrace l’histoire secrète du complot de 1938 contre Hitler. Ce récit très concis, raconte au jour le jour l’action de certains chefs allemands et pas des moindres, qui sentant venir la catastrophe, si Hitler appliquait sa politique. Nombreux sont les acteurs de ce complot malheureusement avorté, qui se retrouveront impliqués plus ou moins directement dans celui de juillet 1944.
Récit particulièrement fourni en détails, montrant très bien l’évolution d’une bonne partie des chefs allemands au gré des hésitations des démocraties occidentales, France et Grande Bretagne. Les contacts jusqu’aux accords de Munich, sont restés très étroits entre les putschistes et les Britanniques. Ces derniers sous la direction de Chamberlain ont adopté une politique de conciliation, qui a été très nuisible à l’action de prise de pouvoir par les opposants au nazisme. Paradoxalement, c’est un dernier compromis très temporaire de la part d’Hitler qui a empêché l’opération d’avoir lieu.
Livre particulièrement clair qui donne un bel éclairage sur une période particulièrement difficile en Europe.
81) Histoire des commandos de 1945 à nos jours Pierre Montagnon Pygmalion 2003
En 19 chapitres, l’auteur décrit 19 actions de commandos qui ont marqué la deuxième période du xx siècle. Parmi celles-ci bien évidemment la prise d’otages durant les jeux olympiques de Munich, l’opération à Entebbe, les Falkland, la traque des SCUD en Irak, la prise de l’Airbus à Marseille et bien d’autres…
Se lit comme un roman, je l’ai trouvé très intéressant, bien que tout ce qui est raconté est généralement bien connu, car ces faits ont souvent été fortement médiatisés.
82) L’été en enfer Napoléon lll dans la tourmente Nicolas Chaudun Actes Sud 2011
Ce livre relate la chute du Second Empire au cours de la défaite française en 1870. On y suit l’empereur sur les champs de bataille. Etant très malade de calculs qui le font terriblement souffrir, c’est un homme fortement diminué qui est décrit dans ce conflit qui concrétise sa déchéance, physique morale et de pouvoir. Cet ouvrage est particulièrement instructif sur le déroulement des combats dans certains lieux comme par exemple Sedan. Les désaccords au sein du gouvernement et les intrigues qui en découlent sont aussi expliqués.
Cette lecture parfois difficile, bien que passionnante, fait naître un malaise devant cet empereur à l’agonie cherchant à se faire tuer sur les champs de bataille, afin de pouvoir échapper à la déchéance du pays et à son propre avilissement. Ce vœu ne sera pas exhaussé et il subira l’ignominie de la captivité. Cet ouvrage m’a fait connaître certains côtés de cette période d’histoire de France que l’on vit encore de nos jours avec douleur.
83) Les généraux allemands parlent Basil H. Liddell Hart Tempus 2011
Dans cet ouvrage conséquent (550 pages) il est question des rapports d’Hitler avec ses généraux dans la conduite de la guerre. Mais afin de ne pas embrouiller le débat, ne sont abordés que les problèmes techniques de guerre, découlant de la tactique et la stratégie. Les problèmes d’éthique et d’adhésion aux idées nazies sont à peine effleurés, ce qui permet aux intervenants de se concentrer sur les problèmes techniques et de ce fait ils livrent leur pensée sans chercher à masquer certaines de leurs actions qui seraient répréhensibles.
Livre dense, qui passe en revue toutes les grandes batailles de la seconde guerre mondiale, vues du côté des généraux allemands survivants. On a confirmation d’un état-major des armées sous la direction de Keitel et Jodl, totalement inexistant et sous la domination totale du Fürher. L’armée de l’air du fait de la personnalité particulière de Göring pouvait être un frein très net à une stratégie d’ensemble. La marine il n’en est que très peu traité dans l’ouvrage. L’essentiel de cette étude consiste en les positions des généraux de l’armée de terre et la manière dont ils ont dirigé les grandes batailles du III Reich.
Deux écoles s’affrontaient au sein des chefs, les jeunes et les anciens. Les jeunes plus orientés vers l’emploi des armes moderne avec la mécanisation accrue, étaient poussés vers la guerre de mouvement. Les anciens plus traditionnels, marqués par les guerres de position, étaient moins entreprenants. Hitler donnait sa préférence aux jeunes et à leur courage et leur inventivité, mais il restait ce qu’il était un dictateur, et il imposait pratiquement toujours en finale son point de vue. Alors il perturbait grandement les opérations et bien souvent les décisions qu’il imposait étaient catastrophiques pour l’armée allemande. Cependant il était capable d’avoir des intuitions de génie, mais dans leur réalisation il pouvait par des décisions inappropriées empêcher le succès escompté.
Autre volet de ce livre particulièrement intéressant : l’appréciation de la part des généraux allemands sur leurs homologues alliés, et la critique concernant les décisions prises par ces généraux alliés qui leur étaient opposés.
Très bel ouvrage, qui malgré le sujet difficile se lit facilement.
84) Le mec de la tombe d’à côté Katarina Mazetti 2009 Babel
Sous couvert d’un titre surprenant ce livre relate une histoire de couple qui ne se passe pas sans problème. L’éternelle question des centres d’intérêt qui finit par amener un questionnement sur la relation. Est aussi abordé dans cet ouvrage la difficulté pour un agriculteur de garder une femme, surtout quand elle vient de la ville, situation connue dans tous les pays occidentaux. Le style est alerte et la lecture est agréable. L’humour et la dérision affleurent en permanence.
85) La valse des gueules cassées Guillaume Prévost Grands Détectives 2010
J’ai du mal à émettre une critique sur ce livre, en effet le polar je n’en lis pratiquement jamais car ce n’est pas du tout le genre de lecture qui m’attire.
L’intrigue est bien conduite. Le contexte, la police dans le Paris après la première guerre mondiale. On y déambule dans les catacombes et on y côtoie les gueules cassées ces grands blessés du visage.
86) L’esprit du chemin Olivier Lemire Transboréal 2011
Livre au titre prometteur, surtout qu’il s’agit de voyage à pied à travers la France, thème qui m’est particulièrement cher. L’auteur fixe son itinéraire de façon très originale, il va de lieu en lieu ayant une signification, comme par exemple le Corps, la Sagesse, l’Amitié…
Très curieux, c’est avec empressement que j’ai attaqué la lecture de ce livre. Mais contrairement à d’autres récits de marche au long cours, rapidement la monotonie s’est installée, allant de paire avec la routine et le manque de relief des contacts noués. Peut-être n’étais-je pas bien disposé mais ce voyage aux sources du bonheur, car le point final de ce voyage se situe à la source de la rivière Bonheur dans le Massif Central, ne m’a pas conduit au nirvana escompté, à tel point que je n’ai lu que 200 pages, l’ouvrage en comptant 280. Peut-être vais-je attendre un peu et au moins en lire la fin. Toute l’alchimie de la lecture réside dans le coup de foudre qui vient ou ne vient pas. Et pourtant dans le cas présent tous les ingrédients semblaient réunis !
87) Longues peines Jean Teulé Pocket 2001
Dans ce court roman l'auteur aborde la vie en milieu carcéral. Qu'il s'agisse des prisonniers ou des gardins, il aborde avec une langue sans détour la vie en prison. On y entre dans le mode de pensée des uns et des autres. On y assiste à la vie au quotidien de tout ce peuple des prisons, les dangers, les sévices les réactions, les regards des uns un sur les autres, avec pour couronner le tout un directeur de prison dont la femme devient folle. Livre fort qui ne laisse pas insensible, écrit par un auteur de grand talent.
87) Longues peines Jean Teulé Pocket 2001
Dans ce roman l’auteur aborde la vie en prison, où se côtoient gardiens et prisonniers. Ces deux catégories de personnes vivent des vies qui sans se ressembler totalement ont des points communs. Dans cet univers de violence et de contrainte, chacun essaie de s’adapter au moins mal, ce qui n’est pas toujours possible, comme on le verra. Jean Teulé nous fait bien ressentir l’atmosphère de ce monde clos qu’est une prison. A travers la narration au quotidien de la vie des uns et des autres, qui fait ressortir toute l’humanité à travers ses qualités et ses défauts, nous assistons au déroulement d’anecdotes surprenantes, parfois drôles, tristes, cyniques, attendrissantes ou sur un autre registre très violentes. De toute évidence, l’écrivain s’est inspiré de la réalité et ce petit livre aide à se faire une idée sur le monde carcéral.
88) Le naufrage de la Méduse Alexandre Corréal Jean-Baptiste Savigny folio 2005
Dans cet ouvrage les deux auteurs qui sont deux des rescapés de ce terrible naufrage de la frégate la Méduse, qui se déroula en 1816 sur des hauts fonds à proximité des côtes mauritaniennes, font le compte-rendu de ce qui s’est passé. Le but de ce rapport était de faire condamner le commandant du bateau qui a manifestement fait preuve de grande incompétence, d’entêtement, et en définitive d’extrême lâcheté en abandonnant à leur sort 150 personnes sur un radeau désemparé, et cela dans des conditions apocalyptiques. Au départ sur le radeau, les occupants avaient de l’eau jusqu’à mi-poitrine. Au fur et à mesure les occupants étant de moins en moins nombreux, le radeau sort progressivement de l’eau. 0 la fin ils n’étaient plus que trente. Ce récit, véridique, pas toujours facile à lire du fait du style employé, est totalement hallucinant. Il est impératif de le lire pour bien comprendre ce qu’a été l’aventure de ce radeau de la Méduse, que Delacroix a immortalisé sur l’un de ses plus magnifiques tableaux.
89) Le Lièvre de Patagonie Claude Lanzmann folio 2009
Ouvrage majeur de plus de 700 pages, dans lequel l’auteur parcourt le xx siècle au travers de son expérience personnelle. On peut parler d’autobiographie dans laquelle Lanzmann parle de grands personnages et de grands faits historiques, et surtout les éclaire sous un jour particulier et personnel. Rentrer dans le détail du livre n’est pas possible, il aborde la résistance, la guerre, Israël, il décrit avec précision la vie de gens comme Sartre ou Simone de Beauvoir. Une partie non négligeable de l’œuvre retrace son aventure concernant l’élaboration du film Shoah, alors on touche là des sommets.
Œuvre majeure, d’une densité incroyable, écrite dans une langue magnifique, l’un des livres qui m’a le plus marqué. On est dans la narration de destins hors du commun, qui à la manière d’un Joseph Kessel, ont traversé le XX siècle comme acteurs sinon majeurs, tout du moins comme témoins privilégiés.
90) Patients, si vous saviez Christian Lehemann Nouvelle édition mise à jour première édition 2003
Témoignage d’un médecin généraliste, très bien argumenté, on suit le praticien au jour le jour dans une première partie. Au travers des différents clients qu’il reçoit nous nous faisons une bonne idée des différents volets du métier de généraliste et des difficultés qui sont les siennes au quotidien. Dans une seconde partie il aborde les grands problèmes d’ordre plus politique auxquels le praticien généraliste est confronté. J’ai eu plus de mal dans cette partie plus technique et moins directement tournée vers l’individu au singulier.
Ce récit m’a beaucoup apporté sur la perception de la médecine générale de nos jours et des difficultés et des responsabilités lourdes que cela implique dans un contexte de temps toujours plus contraint d’une civilisation en accélération.
91) Histoire de la Gestapo Jacques Delarue nouveau monde poche 2011 première édition Fayard 1962
Comme il est écrit en quatrième de couverture, il s’agit d’un ouvrage de référence. Plus de 600 pages, tout au long desquelles dans un langage clair et précis, l’organisation et les hommes qui la composent sont étudiés. J’avais un peu peur de me trouver face à un de ces livres très techniques touffus et difficiles à lire. Absolument pas, ayant déjà pas mal lu sur cette organisation monstrueuse, assise du nazisme, eh bien cela m’a clarifié les idées sur de nombreux sujets organisationnels, évènementiels ou de personnalités. Ouvrage que je recommande tout particulièrement.
92) Churchill François Bédarida Pluriel 1999
Très belle biographie de Winston Churchill, l’un des acteurs majeurs du xx ème siècle. Il a vécu pas loin d’une centaine d’années et s’est trouvé mêlé comme militaire sur le terrain ou comme politique à tous les grands conflits du siècle passé, qu’il s’agisse de guerres coloniales ou des deux guerres mondiales. Homme politique à la carrière particulièrement longue, où les grands succès et les échecs retentissants se sont succédé. Livre qui montre bien toute l’influence que Churchill a exercé sur notre monde à des moments où peu d’hommes étaient en mesure d’assurer d’immenses responsabilités lourdes de conséquences. A lire impérativement.
93)Naples 44 Norman Lewis Phébus libretto 1978
Témoignage absolument passionnant d'un militaire anglais sur la ville de Naples et la vie locale lors de la libération alors que les troupes alliées viennent de débarquer. Il y a séjourné plus d'un an de 1943 à 1944. Travaillant dans le renseignement et les contacts avec la population civile, il voit les Italiens de cette région vivre au jour le jour. Son récit est un étonnement permanent pour le lecteur. A lire impérativement, il a d'ailleurs fait l'unanimité de la critique, et a été classé parmi les dix meilleurs livres consacrés à la dernière guerre mondiale.
94) Hiroshima , bombe A Knebel et Bailey J'ai lu
Livre qui se lit comme un grand roman d'aventure, mais il raconte une histoire vraie, l'histoire de la construction des deux premières bombes atomiques. Ouvrage instructif .
95) Aventures d’un espion japonais au Tibet Hisao Kimura Scott Berry Petite Bibliothèque Payot 2005
Ce livre relate la fabuleuse aventure d’un Japonais durant la deuxième guerre mondiale à travers l’Asie centrale. Ce récit est en quelque sorte la synthèse de deux livres extraordinaires, le grand jeu et Croisière set caravanes. Le premier de ces deux ouvrages décrit la guerre que se livrent les espions russes et anglais dans ces lointaines contrées au XIX siècle et le second est l’un des très beaux récits de voyage de Ella Maillart à travers l’Asie centrale dans les années trente.
Comparativement au premier ouvrage, comme les espions russes et anglais il est un clandestin qui joue sa vie, s’il venait à être démasqué. Et sa similarité avec le livre d’Ella Maillart provient de ces immenses déplacements à chameau qu’il effectue à travers ce continent.
Le plus qu’apporte l’ouvrage d’Hisao Kimura, c’est qu’il connaît parfaitement les langues et peut se faire passer pour un Mongol et de ce fait il pénètre beaucoup plus loin dans la culture, les modes de vie et de pensée ainsi que les secrets de ces régions. Très grand livre.
96) HHhH Laurent Binet
Ouvrage surprenant et très bien documenté. L’auteur s’attache à montrer l’être abjecte qu’était Heydrich dans le contexte de l’attentat qui lui coûta la vie. Il décrit très bien d’un côté le mode de fonctionnement nazi et de l’autre la préparation de l’action qui entraîna la mort de la « bête blonde ». Ayant déjà lu un certain nombre d’ouvrages sur le chef de la gestapo et des services secrets nazis, second de Himmler, je trouve que cet ouvrage est une excellente synthèse, agrémentée de tous les doutes de l’écrivain devant la page blanche. Sur certains côtés, tout en étant beaucoup moins monumental, cet ouvrage me rappelle les bienveillantes, qui traite de la seconde guerre mondiale et du fonctionnement de la dictature nazie dans son ensemble. Je recommande cet ouvrage. Je ne révélerai pas pourquoi ce livre a pour titre HHhH, le lecteur aura tout loisir de le découvrir.
97) Le camp des Saints Jean Raspail le livre de poche
Ce livre raconte à travers un cas particulier, comment nos sociétés démocratiques sont mal préparées à un envahissement massif du territoire européen, à partir du moment où cette invasion se fait sans agression. Ce livre porte nécessairement à réfléchir sur la vulnérabilité de nos sociétés et nous fait prendre conscience que les civilisations sont périssables et remplaçables par d’autres qui savent s’imposer, que ce soit par la force ou autrement. Cela me fait penser à un autre livre de gros volume Effondrement, dans lequel l’auteur étudie à travers de nombreux exemples comment des sociétés se sont écroulées ou au contraire ont su faire face à un moment de leur développement, alors qu’elles étaient confrontées à des évolutions majeures.
98) Les Geishas Robert Guillain arléa diffusion Seuil
L’auteur est français, mais il connait remarquablement bien le Japon et ses coutumes. Il a travaillé longtemps dans ce pays, ce qui lui a permis de pénétrer la haute société et ses us et coutumes. Il a donc fréquenté ce monde particulier des Geishas et il nous en révèle tous les fondements et les fonctionnements. Voyage passionnant dans un monde très loin des canons occidentaux. Très instructif sur les relations hommes femmes dans l’Empire du soleil levant, société oscillant entre brutalité, égoïsme et sécheresse de cœur d’une part, et raffinements extrêmes d’autre part.
99) L’art français de la guerre Alexis Jenni Gallimard 2011
Ce livre volumineux est tout à fait étonnant, non parce qu’il a obtenu cette année le prix Goncourt, mais pour son style et le sujet abordé, et la manière dont il l’est.
Le style, l’auteur a vraiment une originalité, il dit et redit puis répète, toujours sous des angles légèrement différents et le message pénètre d’autant plus. On aurait pu imaginer que cette manière de faire soit rébarbative en étant répétitive, il n’en est rien, au contraire cela conforte la structure du livre.
Le sujet, comme annoncé dans le titre, il est question des guerres menées par la France depuis la deuxième guerre mondiale jusqu’à nos jours. A travers une succession de narrations de combats et de la vie de nos soldats sur tous ces théâtres d’opérations, en particulier l’Algérie et l’Indochine, l’auteur explicite le lien fort et compliqué qui nous unit à nos ex colonies. Il décrit au travers de ce filtre nos relations et sentiments actuels dans la France d’aujourd’hui à l’égard des Français d’origine étrangère. Il a le talent d’expliciter les deux côtés du problème, position du côté des pro et des anti. Chacun à travers ces écrits sera capable de se faire sa propre idée ou de se sentir conforté dans ses analyses. En tout cas, les interrogations soulevées ne laissent pas indifférent et poussent à la réflexion.
Ouvrage de grand intérêt que l’on dévore d’un coup, l’un des plus originaux que j’ai lus. J’ai beaucoup aimé l’ensemble, et j’ai été littéralement envoûté par le chapitre ayant trait à la guerre d’Indochine.
100) Ma Fantastique Histoire Eddie Chapman TEXTO 2011
Récit absolument extraordinaire d’un truand anglais, qui se retrouve par les hasards de la guerre agent double britannique durant la deuxième guerre mondiale.
Témoignage passionnant, l’auteur nous décrit cette période passée entre services secrets britanniques et allemands, avec beaucoup de détails très intéressants sur les conditions de vie et de travail durant cette période difficile. J’ai beaucoup aimé.
101) Mercenaire de la République Franck Hugo nouveau monde poche 2011
Un mercenaire raconte sa vie durant quinze années de combat sur tous les théâtres de conflits récents, Birmanie, Bosnie, Croatie, Côte d’Ivoire, Irak et d’autres.
Il décrit ce qu’il fait, retranscrit l’ambiance, expose les exactions qui sont commises par tous les camps. Il livre les motivations qui sont les siennes, et ce n’est pas toujours l’argent, mais aussi une recherche de vie aventureuse où l’adrénaline est le moteur, et parfois l’engagement philosophique n’est pas absent.
Il donne aussi son avis sur la position des gouvernants dans des actions secrètes, où il fait ressortir les reculades et lâchetés, les retournements de situations et les lâchages.
Très intéressant, un très beau témoignage personnel, sans doute un peu partial, dans les eaux troubles de la politique et le mercenariat. Ce dernier a pris une nouvelle dimension au cours des décennies passées, avec de grandes agences internationales qui ont en quelque sorte ‘privatisé’ les conflits.
102) Le Bonheur au bout du guidon Christophe Cousin Arthaud 2005
Joli témoignage d’un cycliste au long cours, qui relate d’où vient son envie de partir puis au long de ses roues il nous décrit les pays qu’il traverse et les gens qu’il rencontre durant son voyage de plus de deux ans.
103) Hammerstein ou l’intransigeance Hans Magnus Enzensberger folio 2010
Très intéressante étude sur la résistance au nazisme exercée par un général allemand de haut rang. Non seulement lui, mais aussi sa famille nombreuse a été impliquée dans cette action de refus de la politique de Hitler.
Ce livre souligne bien les contacts très étroits que militaires russes et allemands entretenaient avant le déclenchement des hostilités entre les deux pays.
Grâce aux archives russes qui se sont ouvertes durant quelques années on a un éclairage nouveau sur les actions d’un certain nombre de personnes, qui se sont opposées à la dictature nazie. En particulier on peut suivre l’action des filles du général Hammerstein engagées dans le communisme.
Ouvrage conséquent de 400 pages, écrit dans un style original, mettant en scène, par moments, des acteurs à titre posthume par le biais de discussions avec l’auteur. Un livre très utile, par son angle d’approche, pour la compréhension des événements qui ont lourdement marqué cette époque du milieu du xx siècle.
104) Un Suisse au service d’Hitler François Lobsieger Albatros 1985
Livre pour le moins surprenant d’un Suisse qui avec le recul des années (1985) revient sur son expérience dans une unité de Waffen SS. Il relate son engagement auprès d’Hitler et son adhésion au nazisme avec une réelle candeur. Certes une candeur de jeunesse, alors que l’on n’avait pas encore fait le bilan de ce régime fou et exterminateur peut se comprendre. Je trouve ce récit particulièrement peu courageux, on dirait une guerre où la violence est presque absente de la part des Allemands. Mais alors que nous savons bien maintenant ce qu’était ce régime et sa politique, et quelles ont été ses exactions et ses abominations, je trouve ce témoignage presque à la limite du négationnisme. L’auteur exprime le regret que les alliés occidentaux ne se soient pas rapprochés de l’Allemagne pour combattre le bolchévisme. Et tout est de cet acabit. On croit rêver. Il joue sans doute sur l’ambigüité entre ce qu’il pensait à vingt ans et ce qu’il pense aujourd’hui ? Son témoignage apparait très distordu par rapport aux récits que de grands auteurs ont fait des événements abordés. Je pense en particulier à Malaparte et Grosmann, sans parler d’une multitude d’acteurs qui dès 1940 avaient compris quelle était la vision européenne des nazis avec leurs différentes catégories d’Untermenschen.
La justice suisse a été relativement clémente, car elle l’a condamné à seulement 2 ans de prison.
Livre qui me laisse une sensation étrange, dont l’auteur à mon sens ne dit pas la vérité, à moins que l’horreur et l’erreur de son engagement l’aient rendu amnésique, manière comme une autre de survivre.
105) Eichmann à Jérusalem Hannah Arendt folio histoire
Livre majeur sur la logique d’extermination nazie. Ce procès montre un être moyen, qui respecte des règlements et des ordres et organise le plus grand des crimes, la déportation en masse des Juifs vers les camps d’extermination. Hannah Arendt montre bien comment un petit bureaucrate se transforme en organisateur d’extermination. La pensée d’Hannah Arendt ne se laisse pas facilement pénétrer à la première lecture, tellement elle est dense et de ce fait soulève une multitude de questions, parfois dérangeantes sur ce qu’un petit homme ordinaire, donc sans doute un grand nombre d’entre nous, est prêt à faire selon le contexte dans lequel il est plongé. Il me faudra relire cet ouvrage pour en saisir toute la dimension.
106) Appui Feu en Afghanistan Sgt Paul ‘Bommer’ Grahame et Damiens Lews NIMROD 2011
Ce livre à l’écriture sur un mode parlé, décrit comment se passe la coordination entre les avions de combat de l’OTAN et les soldats au sol dans la guerre en Afghanistan. Outre des descriptions à caractères assez techniques qui montrent clairement comment on procède, le personnage principal décrit très bien ce qu’il ressent dans ce conflit très particulier de la haute technologie contre des talibans aux moyens rudimentaires. Mais on ne peut éviter de se faire la réflexion suivante : malgré la disproportion des moyens, l’OTAN ne semble pas en mesure d’écraser définitivement les talibans. A lire, même partiellement en piochant quelques chapitres au hasard, pour se faire une idée de ce conflit dans lequel nous sommes impliqués.
107) La guerre secrète, tome 1 origines des moyens spéciaux et premières victoires alliées Anthony cave Brown tempus 2012
Première édition de ce livre en Grande Bretagne 1975, a été depuis traduit en français et édité à plusieurs reprises. Ce premier tome de plus de 600 pages dépasse et de loin tous les romans sur la guerre, par l’enchevêtrement des relations entre alliés et ennemis, en particulier du côté allemand le rôle joué par les adhérents de Schwarze Kapelle, les opposants à Hitler.
A travers toutes ces opérations d’intoxication, de ruses, complots, décodages de codes secrets à peine imaginables, on se rend compte que les Alliés, Churchill en tête, comptaient très largement sur le fait d’induire les Allemands en erreur afin de gagner la guerre.
Livre très dense aux multiples opérations, et ce n’est que le premier tome, mais je crois que je vais très vite le relire tellement ce que l’on y apprend est incroyable et nous fait appréhender la puissance allemande et le danger que cela représentait pour la victoire sur le nazisme à sa juste valeur durant la deuxième guerre mondiale.
108) au diable la culpabilité ! Yves-Alexandre Thalmann jouvence Editions 2009
Livre intéressant qui démonte le mécanisme de la culpabilité, qu’elle soit due à de bonnes raisons ou non. L’hypothèse sur laquelle s’appuie l’auteur pour développer son argumentation, met en exergue le lien entre culpabilité et sentiment de toute puissance de la personne qui culpabilise. Effectivement dans cette argumentation de nombreuses réflexions et un certain nombre d’exemples m’ont interpelé, et m’ont fait progresser dans ce sentiment de culpabilité qui nous taraude plus ou moins fréquemment et plus ou moins intensément par rapport aux décisions que l’on prend ou non, des actions que l’on mène ou non au cours de notre vie dans nos rapports aux autres. Je vais sans doute le lire une seconde fois et pousser plus loin la réflexion sur ce sujet en me penchant sur des ouvrages référencés par l’auteur.
109) Baron Rouge et Cigogne Blanche Patrick de Gmeline
Cette très intéressante étude comparative des deux as de guerre de la première guerre mondiale, Manfred Richthofen et René Fonck explique ce qu’ont été ces deux pilotes de chasse tout au long de leur vie.
Autant Richthofen est resté une figure mondialement connue, autant Fonck est pratiquement tombé dans les oubliettes de l’histoire. Cette différence de traitement s’explique par le fait que le premier a été tué en 1918 au combat et que le second a accepté des missions sous le gouvernement Pétain. Pour Richthofen le fait d’être un héros mort aux commandes de son avion, tout naturellement il est auréolé de la gloire du combattant ayant donné sa vie pour un idéal. Et de ce fait, il n’a pas été impliqué dans la deuxième guerre mondiale, ce qui aurait pu ternir son prestige. Aurait-il pris le chemin de certains de ses compagnons de combat comme Goering ? René Fonck, pour sa part, ayant survécu il est jugé de manière très sévère pour avoir accepté des missions de la part de Pétain, alors qu’il a été un résistant reconnu. Pour cela il a été presque banni des mémoires, au point qu’aucune promotion de l’Ecole de l’Air ne porte son nom, alors qu’il fut le plus remarquable pilote français de la première guerre mondiale.
Ce livre très détaillé et remarquablement documenté réhabilite ce grand pilote et patriote qu’était René Fonck, tout au long de ce long récit (516 pages) qui est écrit en menant de front les biographies de deux hommes très différents mais qui se rejoignaient dans la dextérité du pilotage de leur avion.
110) De l’urgence d’être REACtionnaire Ivan Rioufol puf 2012
Petit ouvrage critique sur notre société et ses orientations prises sous le dictat de la pensée unique et du manque de courage. Que l’on soit de gauche ou de droite, que l’on soutienne un candidat quelconque parmi les dix qui se présentent, il n’est pas inutile de lire ce petit traité très actuel, écrit par un journaliste à la pensée claire, qui de plus ne se revendique d’aucun extrémisme. Je le conseille vivement
111) Le retour du Général Benoît Duteurtre folio 2010
Petit ouvrage de politique fiction, le retour du général de Gaulle dans notre France déboussolée, engluée dans une Europe qui perd ses repères dans une mondialisation galopante. Son arrivée comme son départ sont pour le moins surprenants, mais l’évolution de notre société même si dans le livre elle est sans doute caricaturée doit nous faire réfléchir sur la capacité de nos dirigeants à appréhender le futur. Un petit moment de plaisir sur ton humoristique.
112) La Vengeance du wombat Kenneth Cook Le Livre de Poche 2010
Auteur australien que je ne connaissais pas. En farfouillant dans les librairies en particulier chez Decitre à Lyon, je suis tombé sur ce petit livre au titre plein de mystère. La vengeance du wombat n’est que la première des 14 histoires qu’il nous livre, et qui sont le fruit de ses pérégrinations dans le bush, toutes plus extraordinaires et déjantées les unes que els autres, mais vraies !!! Tout commence toujours ou presque dans un bar perdu dans un coin de désert croulant sous une chaleur suffocante et là, apparaît un pilier de bar qui va l’entraîner dans les aventures les plus folles, à la chasse au crocodile, au buffle, au serpent etc. Rarement un livre m’a fait autant rire par les aventures décrites avec un art consommé du gag. Il a écrit au moins six autres livres que je vais m’empresser d’aller acheter.
113) La guerre secrète II, du jour J à la fin du III Reich Anthony Cave Brown Tempus 2012
Dans ce second volume tout aussi épais que le premier, 630 pages l’auteur nous décrit avec minutie tous les acarnes des opérations d’intoxication et de mystifications mises sur pied par les Alliés en vue de l’invasion de l’Europe par la France. Livre absolument époustouflant, écrit avec une grande clarté, on chemine dans le montage des opérations majeures, Fortitude, Bodyguard, Neptune. On en suit le déroulement avec les accrocs qui les émaillent, on voit comment les chefs des services secrets britanniques de situations considérées comme désespérées, exploitent leurs propres failles pour maintenir les Allemands dans l’erreur. On vit avec les principaux acteurs, anglais, américains, allemands ainsi que d’autres nations, en particulier de Gaulle, tout au long de ces événements majeurs qui se sont déroulés dans la dernière année de guerre. Cela dépasse tous les romans d’espionnage. A lire plus qu’impérativement.
114) La femme qui résiste Anne Lauvergeon témoignage Plon 2012
Dans cet ouvrage l’auteur, ancienne patronne d’Aréva raconte son parcours professionnel. Elle a côtoyé de très près trois présidents de la République. Son poste à la tête du plus important groupe nucléaire mondial l’a mise au cœur de grands enjeux financiers, économiques et industriels. Elle dresse un tableau qui n’est pas toujours à l’avantage de nos politiques. Concernant Le dernier Président, carrément elle dénonce une volonté de faire passer des intérêts particuliers devant l’intérêt commun du pays. Il serait intéressant d’avoir la version de la partie adverse et de ceux qui ont conduit à sa non reconduction à la tête d’Aréva. Livre intéressant, écrit par une femme de tout premier plan, mais sa sortie peu avant le deuxième tour des élections est-il fortuit ?
115) Globalia Jean-Christophe Rufin Folio 2004
Dans cet ouvrage l’auteur élabore une société démocratique parfaite qui est une caricature de nos démocraties occidentales. Sous des traits parodiques, il met l’accent sur tous les travers des règles de nos sociétés et de nos comportements. C’est une critique à peine voilée du politiquement correct, qui recèle en son sein la graine du totalitarisme, au profit d’une petite minorité qui manipule une majorité.. Il assaisonne cela d’une histoire d’amour à l’eau de rose. Le livre au lieu de faire 500 pages, pourrait délivrer son messager en 200. Mais peut-être suis-je entraîné par le tourment du temps qui passe, alors que l’on peut prendre le temps de lire 500 pages?
116) Histoire d’un Allemand souvenir 1914-1933 Sebastian Haffner BABEL
Ce témoignage de tout premier plan d’un jeune étudiant en droit décrit de manière très claire la montée du nazisme et son acceptation par le peuple allemand, alors que la majorité n’adhère pas à ces thèses. A travers son analyse de la société allemande au cours de cette période d’une vingtaine d’année on suit pas à pas la progression de l’emprise d’Hitler et de ses idées d’apocalypse sur l’un des peuples les plus évolués de la planète. On prend conscience des mécanismes de pression insidieux qui se mettent en marche et qui broient les individus. Ouvrage remarquable qui doit nous faire réfléchir aux basculements toujours possibles qui guettent nos sociétés, alors que nous restons incrédules jusqu’au point de non-retour. Livre que je recommande tout particulièrement à tous ceux qui se demandent comment les régimes totalitaires et monstrueux peuvent prendre le pouvoir dans des sociétés démocratiques.
117) Le dernier Ennemi Richard Hillary TEXTO 2010
Ce livre a été écrit en 1942 par un jeune pilote de la RAF, qui avait tout juste 20 ans en 1939. Dans son récit il aborde toutes les grandes questions que suscitent les conditions extrêmes de la guerre. L’engagement immédiat qui a été le sien, les hésitations de l’un de ses camarades qui se pensait un pacifiste inconditionnel, la mort de ses camardes aviateurs, son combat contre la souffrance après avoir été gravement brûlé au combat, la réaction des proches des disparus, et beaucoup d’autres situations amènent à des descriptions et des réflexions qui font tout l’intérêt de cet ouvrage. L’auteur n’a pas survécu à la guerre, mort au cours d’un exercice de nuit en 1943.
118) Le voyage d’automne François Dufay tempus 2000
Cet ouvrage relate le voyage effectué par un groupe d’intellectuels français de premier plan en Allemagne au cours du mois d’octobre 1941sur l’invitation de Goebbels. Bien évidemment ce dernier a eu cette initiative dans le cadre du développement de la propagande nazie tous azimuts. Ce qui est surprenant à la première analyse, c’est que de grands intellectuels se soient laissés instrumentaliser aussi facilement. Mais au cours de la lecture on voit apparaître les motivations de chacun qui souvent ne sont pas dénuées d’intérêt personnel, Goebbels et ses sbires promettant certaines faveurs, comme la facilité d’édition d’ouvrages pour ceux qui se plient avec complaisance au jeu. Livre très intéressant qui montre que l’on peut être un esprit bien fait, mais ne pas saisir une situation donnée dans son ensemble, ou essayer de profiter d’opportunités pour le moins douteuses. Certes, il est facile de parler de cette période de l’occupation maintenant en donnant des avis péremptoires bien assis dans un fauteuil à l’abri de tout danger, mais on assiste cependant de la part d’intellectuels de haut niveau à des défaillances et à des compromissions, dues à la manipulation et aussi à la complaisance intéressée. Livre particulièrement intéressant pour essayer de saisir l’un des volets de cette relation entretenue par certains milieux avec l’occupant.
119) Einsatzgruppen les commandos de la mort nazis Michaël Prazan Editions du Seuil 2010
Livre volumineux de près de 600 pages qui retrace les actions menées par les commandos de la mort nazis sur l’arrière du front de l’est en suivant la Wehrmacht. L’auteur est parti à la recherche des derniers témoins, aussi bien du côté des victimes que des bourreaux.
Tous ces témoignages que l’auteur a réussi à accumuler non sans peine, les participants aux tueries ne parlent pas facilement et souvent s’y refusent, jettent une lumière sans concession sur le déroulement de ces tueries. Ce qui ressort de ce récit, outre un tableau saisissant et cette aptitude de l’homme à détruire, c’est une vérité difficile à regarder en face : ces pogromes commis durant la seconde guerre mondiale ne l’étaient pas uniquement par les Allemands mais nombre d’habitants des pays envahis ont prêté leur concours de manière active.
Ce récit plus que bien documenté me semble un témoignage de tout premier plan sur les horreurs commises pendant la seconde guerre mondiale, et il pousse chacun des lecteurs à la réflexion sur l’homme et son aptitude au mal, au vu de faits qui nous semblent impossibles de la part d’êtres humains tellement ils sont horribles et commis en masse.
120) La Bête et la Belle Thierry Jonquet folio policier 1985
Court récit de 150 pages, mais c’est noir, noir, noir voire plus. Mais derrière ce tableau apocalyptique se cache un humour, même s’il est lui aussi assez noir, il fait rire. Ce genre de récit de crimes dépeint une société, la notre, qui ne fait pas de cadeau. Ames sensibles s’abstenir. Je lis rarement des polars, je crois que je vais attendre un peu pour le suivant. Mais je conseille la lecture de cet ouvrage très surprenant, même si le scatologique dégouline à longueur de pages !
121) Journal d’un mauvais Français Christian Millau éditions du Rocher 2012
Après son journal impoli un siècle au galop, on pense avoir fait le tour de la question de ce type de chronique. On se dit c’est un peu comme « les Visiteurs », comme ça a bien marché on tente un numéro deux, ça se vendra toujours.
Malgré tout, ayant été tellement emballé par son journal impoli, j’achète le journal d’un mauvais Français. Immédiatement je suis retombé sous le charme de la pensée claire, parfois dure, toujours très logique et pleine de bon sens, avec une énorme louche d’humour ! Son écriture est fluide et lorsqu’il décide de faire du style c’est superbe. Livre qui m’a comblé et qui par moments m’a tellement fait rire que j’étais dans l’incapacité d’en lire à haute voix les passages concernés à mes proches tellement je riais. Même s’il met en exergue toutes les incohérences de notre monde, on ne déprime pas. Au contraire à lire impérativement cela remplace tous les antidépresseurs, à la recherche d’un ciel bleu.
122) Policiers français sous l'occupation Jean-Marc Berlière tempus 2009
Ouvrage de plus de 400 pages qui relate les actions de la police française durant la deuxième guerre mondiale en France. Livre, qui aborde une partie douloureuse de l'histoire de notre pays. Cette lecture fait prendre conscience de la complexité de juger du comportement de l'un ou l'autre. Entre vrais collaborateurs, petits fonctionnaires zélés, simples policiers qui avaient peur pour leur vie et celles de leur famille et vrais résistants qui avaient pour ordre de garder leur poste pour plus d'efficacité de la résistance, les pistes sont parfois si embrouillées, qu'il est difficile de faire la lumière. Chacun se forgera sa propre conviction mais cette lecture est particulièrement instructive concernant une grande administration plongée dans la tourmente sous la contrainte de l'envahisseur allemand.
123) Remonter la Marne Jean-Paul Kauffman fayard 2013
Je suis très intéressé par les récits de pérégrination à pied, et tout particulièrement lorsque le but du voyage est de remonter un cours d'eau sur la totalité de son parcours.
La narration d'une telle expérience n'est pas aisée, car elle se heurte rapidement au banal en tombant dans le piège d'une description au premier degré de ce que l'on rencontre en route. Ce piège, à mon sens, n'a pas été évité sur la plus grande partie du livre. Les émotions personnelles ressortent assez peu, il a préféré jouer l'historien en relatant des faits de guerre, surtout concernant 14-18, ou rappeler les personnages illustres qui ont vécu dans les villes traversées par cette rivière, qui est la plus longue de France.
Il fait une description non dénuée d'intérêt de la Marne . Mais cela manque un peu de spontanéité et aussi d'un peu de sentiment. On pourrait presque imaginer qu'il est parti dans l'aventure sur commande de son éditeur.
Dans les trente dernières pages, il entre à mon sens dans le sujet. Il vibre au rythme des émotions qu'il ressent et sait les transmettre à travers les mots. La dernière page est sublime, elle transcrit bien en quelques phrases toute la force de l'entreprise qui arrive à son terme, le beau rêve qui devient réalité et qui disparaît à jamais.
124) Ma République se meurt Jeannette Bougrab Grasset 2013
Dans ce livre l'auteur nous dévoile son parcours et comment elle a été perçue de par ses origines algériennes. On sent dans ce récit son profond attachement à sa nationalité française. Elle exprime bien tous les sous-entendus de bien des personnes, en particulier d'un certain nombre de politiques sur la façon de s'exprimer sur le racisme et ce qui va avec.
Son père est très présent dans son récit. Soldat harki dans l'armée française, multi-médaillé, il a toujours été l'exemple à suivre.
Elle aborde le mal vivre et les problèmes vécus par les jeunes d'origine étrangère. Elle fait un état des lieux avec lequel je suis d'accord. Dans son analyse, contrairement à Malika Sorel, elle aborde assez peu les causes profondes de cette fracture de notre société. On reste un peu sur notre faim, car de la part d'une personne de sa compétence et de sa position, on aurait aimé qu'elle aille plus loin dans le démontage des mécanismes du vivre ensemble ou du non-vivre ensemble.
Ce témoignage est cependant très intéressant, écrit par une femme de toute évidence de caractère et de conviction. Si elle écrit un nouveau livre, je ne manquerais pas de le lire.
125) CAHIERS Capitaine Coignet arléa
Récits époustouflant d'un militaire de l'armée napoléonienne, qui a participé à 48 batailles sans être blessé. En outre, il a été le tout premier à être décoré de la légion d'honneur. Au départ simple soldat, de par son comportement particulièrement courageux et les faits d'armes accomplis, il intègre la Garde impériale. Puis il occupera plusieurs postes au sein de l'état major comme officier.
L'un des aspects les plus intéressants de ce récit, provient du fait que l'auteur était dans le cadre ses affectations toujours très proche de Napoléon. Il relate ses rapports personnels avec l'Empereur durant les différentes campagnes. Ce témoignage sous cet angle particulier nous montre la grande proximité de Napoléon avec ses soldats.
Ce livre a été écrit alors que son auteur avait 72 ans. Après un tel laps de temps il n'est pas exclu que sa perception de la réalité ait évolué dans un sens ou un autre. Cependant on est tenu en haleine tout au long de ses 463 pages!
Livre de souvenirs portant sur l'une des périodes majeures de l'histoire de France, portant sur un vécu au plus près de l'évènement durant de longues années. L'un des plus intéressants ouvrages que j'ai lus sur cette période.
126) Limonov Emmanuel Carrère 2011 folio
A travers la vie d'un Russe, qui a taversé une période très agitée de son pays, on est conduit à travers les grands soubresauts de l'Union Soviétique puis de la Russie. Livre de presque cinq cents pages qui se lit comme un roman, à la différence que les faits sont bien réels. Comme tous ces personnages à la destinée tortueuse, Limonov au cours de cinquante vies en une, sur tous les continents il a vécu des expériences où passion et danger étaient ses compagnons de tous les jours.
On se croie dans les grandes sagas à la russe, comme vie et destin, ou plutôt dans leur prolongement dans le temps. On y croise les dirigeants russes qui ont marqué les trente dernières années, éclairés au travers d'anecdotes inédites.
J'ai beaucoup aimé.
127) Les amazones de la République Renaud Revel 2013
Ce livre dévoile à travers une multitude d'anecdotes les rapports entre journalistes femmes et les hommes politiques au plus au niveau de l'Etat, c'est-à-dire les Présidents de la République. Le livre commence avec Giscard , mais il sera surtout question de Mitterrand et Chirac, même si leurs successeurs font aussi l'objet de quelques pages.
instructif, même si le petit côté voyeuriste est indéniable.
128) Carnets de la guerre Marguerite Duras 2006 folio
Livre très intéressants, écrit entre 1943 et 1949, sur les expériences de vie de ce grand écrivain. Elle y décrit son enfance en Indochine, puis différentes expériences ultérieures. Très belle écriture, pour le premier livre que je lis de Marguerite Duras, cela me donne vraiment envie de faire connaissance avec son oeuvre.
129) La Route Cormac Mccarthy POINTS 2007
La survie d'un père et de son fils dans un monde pratiquement vidé de toute vie après l'apocalypse. L'auteur est un maître en matière d'ambiance, pas besoin de film pour visualiser le décor dans lequel ces deux êtres se déplacent à la poursuite de leur survie dans ce monde mort où au détour des villages abandonnés et des forêts brûlées le danger surgit. L'auteur maîtrise si bien son art, que tout le long de la lecture on reste sous l'emprise du suspens et du malaise, mais on continue le chemin dans ce monde couleur cendre. Cependant on éprouve un fort soulagement lorsqu'on termine la dernière page, tellement on s'était identifié à ces eux êtres. Un livre qui ne laisse pas indifférent et qui laisse des traces aux lecteurs.
130) La chevauchée des steppes Sylvain Tesson Priscilla Telmon Pocket 2013
Dans cet ouvrage les auteurs racontent leur traversée à cheval des ex-républiques d'Asie centrale à cheval. A travers leurs aventures et les rappels historiques nombreux ,ils nous invitent à les suivre sur des routes souvent désertiques et méconnues, qui ont vu une histoire souvent brutale façonner les territoires et les êtres humains. C'est avec grand intérêt que je les ai accompagnés tout au long de ces trois cents pages.
131)Les Frères Littolff Claude Perrin De Normandie-Niemen à la tuyère Leduc Les éditions de l'officine 2003
Livre très intéressant pour ceux qui s'intéressent à l'aéronautique aussi bien militaire que civile.
Le premier des frères Albert a été un as de la deuxième guerre mondiale. il a fait partie des pilotes envoyés par le général de Gaulle pour se battre auprès des Russes contre l'armée allemande. On suit tout le cheminement de la constitution de cette unité qui a fortement participé à la gloire des ailes françaises.
Le second frère Yvan, aussi pilote hors paire, a vécu une aventure différente, plus technique, le développement de la tuyère thermopropulsive.
Les deux volets de ce livre sont passionnant. Ces pilotes ont donné leur nom à une promotion de pilotes d'essai. Ils sont lorrains originaires de la petite ville de Cornimont, charmante bourgade au fond des forêts vosgiennes
132)Carnets de Guerre 1914-1919 Ernst Jünger Christian Bourgeois Editeur 2014
Ces carnets de guerre volumineux, plus de 500 pages, qui viennent récemment d'être traduits de l'allemand sont franchement époustouflants. C'est à partir de ces chroniques au jour le jour, consignées bien souvent sous le feu des canons, que l'auteur a tiré la substance de base pour écrire ses livres, parmi les plus marquants de la littérature de guerre, orages d'acier ou le boqueteau 125.
Ernst Jünger est sans doute l'un des rares militaires de tous les camps confondus qui ait une telle expérience en première ligne, où il a passé la plus grande partie de la guerre. il en a été éloigné à plusieurs reprises le temps d'être soigné des sept blessures qu'il a contractées. Les descriptions précises et sans pudeur de ce qu'il voit et accomplit dans cette zone d’apocalypse qu'est la proximité de l'ennemi dans les tranchées, personne d'autre n'en fait une telle relation. Très probablement, il s'agit de l'ouvrage qui permet le mieux d'approcher dans toutes ses dimensions le calvaire que vécurent les hommes durant cette très longue première guerre mondiale.
Que l'on soit profondément pacifiste ou non, cet ouvrage est un incontournable pour essayer d'approcher le vécu physique et psychique du combattant au cours d'un tel bouleversement, vu au prisme particulier d'un combattant exceptionnel.
133) La pointe du couteau Gérard Chaliand Points 2011
Dans ce livre de plus de 500 pages l'auteur nous embarque dans des aventures incroyables au cœur d'une multitude de conflits, guérillas et insurrections qui ont émaillés le XX siècle. Il est question d'Algérie, Vietnam,Afghanistan, Guinée-Bissau, Jordanie, Kurdistan, Colombie, Israël etc.
Comme militant engagé, toutes ces conflits il les a vécus de l'intérieur au contact des leaders qui déclenchaient ces actions. Il éclaire d'un jour très intéressant ces périodes mouvementées. il y apporte de plus une touche d'humanité et dévoile les traits de sa nature d'homme libre et passionné. Magnifique ouvrage, superbe sur le plan littéraire et très instructif sur le plan historique. A lire impérativement quand on s'intéresse aux péripéties de la politique mondiale.
21:59 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : aventure, randonnée, marche, diplomatie, guerre, justice
13/02/2009
Traversée des Pyrénées à pied
Traversée des Pyrénées juin 2006
Je vais avec plus de deux ans de recul relater ma traversée des Pyrénées effectuée sur 22 jours, essentiellement au mois de juin, commencée à Banyuls et terminée début juillet à Combo-les-bains.
Comme souvent cette aventure a commencé par un trajet en train au départ de Lyon. Pour me laisser le temps, tout en prévoyant un programme très ambitieux, j'avais dit à ma famille que je partais pour deux mois. N'ayant pas essuyé de reproches directs quant à cette durée somme toute longue surtout en été, j'ai cependant bien vu dans certains regards de l'étonnement et peut-être aussi un peu de peur. Pourquoi grand dieu a-t-il besoin de partir seul dans les montagnes? L'absence de question évite toute justification. D'ailleurs quelle est la justification au fait de partir seul? Y en a-t-il une ou plusieurs? Je ne saurais donner de réponse certaine car les idées restent assez confuses dans mon cerveau. Peut-être à la cinquantaine se prouver que le corps est encore jeune, vivre une aventure tout en restant dans des normes connues, n'avoir à s'occuper que de soi, une recherche relative de solitude? Probablement un mélange de tout cela. Bien sûr avant de partir, j'éprouve des doutes et aussi des remords, car je sais que certaines personnes ressentent ces moments du départ avec douleur, à la manière d'un abandon. Mais inexorablement j'essaie de durcir ma carapace et de ne pas trop réfléchir. Puis le premier pas étant effectué, le cœur devient plus léger.
Le trajet en train, direction le sud, permet de m'absorber d'une part dans une lecture intéressante en espagnol, car le gros de ma traversée je compte la faire dans le pays de Don Quichotte, et d'autre part dans la contemplation du paysage et tout spécialement du Rhône. Ce fleuve exerce sur moi une véritable attirance. De grands écrivains, comme Bosco ou Clavel, en ont fait des descriptions époustouflantes et y ont situé certains de leurs romans.
Je me souviens aussi des parties de pêche effrénées avec mon frère dans notre jeunesse, où nous attrapions toutes sortes de poissons en particulier de gros brochets, pêchés de façon tout à fait irrégulière. En effet dans le port Edouard Herriot à Lyon pendant les grandes chaleurs de l'été de gros poissons s'immobilisaient à la surface. Traîtreusement, avec des cannes au lancer équipées de gros hameçons triples, après avoir bien visé nous les crochetions en travers du corps, pas très académique comme procédé mais très efficace. Heureusement ces poissons avaient pratiquement toujours la vie sauve, car leur chair sentait horriblement le pétrole. Il nous arrivait parfois de les ramener à la maison et de squatter la baignoire où durant quelques jours ces habitants du Rhône se trouvaient emprisonnés à la grande colère de notre mère et dans la joie dissimulée de notre père. Puis un jour les bornes ont été dépassées, le nombre de gros brochets et autres carnassiers attrapés étant tel, que nous sommes allés dérober mon frère et moi un fût de deux cents litres vide, qui se trouvait sur le chantier dans la rue au pied de notre appartement. Nous l'avons installé au milieu de ma chambre, rempli d'eau et y avons mis nos gros poissons. Sans doute attiré par nos exclamations de joie, notre père est entré dans la chambre et a marqué l'arrêt devant ce gros bidon rouge pour le moins pas très propre. Puis rapidement reprenant ses esprits, contrairement à la baignoire qui le faisait rire, dans le cas présent son visage exprimait plutôt de la colère et de la consternation devant la stupidité de ses enfants. Nous eûmes l'ordre impératif et exécutoire dans les plus brefs délais de rapporter notre aquarium sur son chantier et de nettoyer par la même occasion la grosse tache de goudron ou d'hydrocarbure qui marquait le centre de la chambre. Tous ces souvenirs de lecture ou d'histoires vécues me permettent de m'éloigner par la pensée des miens et d'oublier ma culpabilité en les abandonnant.
Contrairement à l'année dernière le trajet se passe sans problème. En effet au cours du mois de septembre 2005, j'avais accompli une randonnée d'une semaine à partir de ce joli petit port méditerranéen. J'avais loupé la correspondance en gare de Béziers, à cause de ce que l'on appelle pudiquement un accident de personne. Deux heures d'attente, que j'avais mises à profit pour me promener dans la ville. Il est étrange de penser que l'on profite d'une opportunité de découvrir un lieu parce qu'une personne qui n'avait plus la force ou l'envie de vivre s'est jetée sous un train.
Me voilà donc vers les 13 heures en gare de Banyuls. Bien que la première étape soit longue pour un après-midi, je prends mon temps. Je descends sur la plage et vais au contact de l'eau. J'y trempe la main et les pieds mais n'ai pas le courage de me baigner. On ressent toujours une impression étrange, mélange d'appréhension de doute et d'excitation, au moment de partir seul dans un projet d'une certaine ampleur. Surtout, comme je l'ai, dit mon plan est assez ambitieux. Je compte suivre la HRP jusque vers Puigcerda, puis mettre le cap sur la Serra des Cadi et musarder par la suite dans certains massifs espagnols comme le Cotiella, puis rattraper la HRP du côté de Gavarnie et je projette même de remonter la plage de la frontière jusqu'à Arcachon. Mais rapidement, ce que je n'avais pas anticipé, c'est que pour le moral, indépendamment du temps qui souvent n'a pas été de la partie, j'ai besoin de voir sur ma carte la distance se creuser derrière moi et diminuer en direction de l'Atlantique. Toute ma vie j'ai été conditionné pour ne pas prendre le temps et on ne change pas facilement. J'ai presque honte de dire que durant cette traversée, ma plus grande joie bien souvent consistait à visualiser sur ma carte routière au 1 000 000 le trajet de la journée et de constater que cela représentait un espace très significatif à cette échelle d'un pays. Donc progressivement, me trouvant un certain nombre d'excuses, le temps, la famille, mes parents, mon fils qui commençait un stage à Lyon vers le 10 juillet, ce fut la ligne droite ou presque qui dicta mon itinéraire. Ce mode de pensée ne s'est pas imposé immédiatement mais s'est insinué lentement au cours de la première semaine.
Premier jour
Vers les 14 heures je démarre. Cet après-midi je compte rejoindre le refuge au pied du Pic de Neulos en suivant le GR 10. Je connais l'itinéraire pour l'avoir suivi l'an dernier. Aujourd'hui le temps est beau et stable alors que la fois précédente rapidement je fus pris dans le brouillard et la pluie. J'avais trouvé la cabane à la nuit tombante, alors que se déclenchait un orage d'une violence extrême. J'apprendrai plus tard que cette nuit de septembre 2005, les départements environnants avaient été mis en vigilance rouge. Un grand arbre avait été fracassé par la foudre à proximité de l'abri. Dire qu'il s'en était fallu de peu que je le trouve, alors que j'errais dans le brouillard, la nuit et la pluie. Cette étape est longue, plus de mille mètres de dénivelé et il me faut 6 heures à un bon rythme pour y parvenir. A part un couple doublé, que je reverrai trois jours plus tard sur le Canigou, je ne rencontre personne. Une fois arrivé, croyant que le couple me rejoindrait pour la nuit je m'installe dans un coin. Personne ne vient. Je suis et resterai seul, avec une vue magnifique sur la Méditerranée qui s'étale à l'infini. Au cours de cette traversée ce sera la seule nuit où je n'aurai pas de compagnie. Bien souvent, lors de grandes étapes les journées se dérouleront dans la solitude mais le soir il y aura toujours une âme qui vive avec qui discuter, sauf pour cette première étape. La fois précédente, la nuit de l'orage, il y avait cinq personnes, quatre jeunes Hollandais et un saltimbanque qui terminait la traversée des Pyrénées par le GR 10. Son périple avait duré deux mois avec un sac de 20 kilogrammes. Il s'arrêtait dans les villages pour présenter des spectacles et se faire quelque argent pour continuer son voyage. Nous avions passé une nuit merveilleuse à se raconter une multitude d'histoires vécues, et le matin chacun était reparti sur son chemin, de brouillard et de pluie pour une semaine en ce qui me concernait. Maintenant un an plus tard, la nuit est paisible, troublée par nul bruit.
Deuxième Jour
Lever matinal, temps superbe, l'étape du jour me conduira aux Illas. L'humeur est au beau fixe, s'éveiller dans cette cabane aux quatre vents sans un bruit, seul avec le soleil distillant déjà sa chaleur bienfaisante. Je contourne le Pic de Neulos par une trace plus qu'une sente. Seules quelques vaches paissent tranquillement dans ce terrain raide et broussailleux. Une fois sur la crête comme l'année précédente je me fais entraîner sur ce qui me semble un détournement de GR pour passer devant un gîte. A six heures du soir le détour qui invite à l'arrêt très bien, mais à sept heures du matin c'est moins agréable. En effet cet itinéraire détourné me force à suivre sur plusieurs kilomètres une route goudronnée. Heureusement il est possible par endroits de couper directement à travers la forêt. Donc me voilà pour une bonne distance sur la route, comme consolation cela permet d'étalonner le podomètre. Le mien est pas mal, à vingt mètres près il correspond aux bornes kilométriques, et cela sur presque dix kilomètres. Seul agrément je passe deux sources bien fraîches auxquelles je me désaltère avec bonheur. Arrivée au col du Perthus, que de monde!!! De véritables files d'autobus s'entassent sur les parkings, desquels se déverse une multitude se ruant sur cigarettes et alcools. Dans un gigantesque supermarché je m'achète deux petites boîtes et quelques fruits pour mon repas de midi. En effet, ce soir aux Illas je compte aller au restaurant du bourg dont je garde un très bon souvenir. Vite je reprends mon chemin, ça grimpe dur dans les ruelles. Enfin je suis sorti et emprunte une petite route qui passe au pied du fort de Bellegarde. Un petit cimetière m'interpelle, j'y entre par un portillon qui grince. Comme il est étrange! Les tombes, toutes très vieilles, sont alignées le long du mur d'enceinte, laissant de ce fait un immense espace libre, comme si le lieu n'avait pas encore servi ou presque. Les tombes sont presque toutes surmontées de hautes et maigres croix auxquelles sont accrochées des cocardes tricolores. Mon étonnement est grand lorsque je constate que les dates indiquées remontent à la révolution et manifestement la plupart des défunts sont des militaires. Quelques tombes sont minuscules et dévoilent la présence d'enfants. Que ce lieu est étrange et calme, si proche cependant de la folie consommatrice. Je quitte l'endroit quelque peu songeur. Un peu plus loin j'aperçois des ruines. Il s'agit de la voie romaine qui allait en Espagne. De nombreux vestiges sont visibles, très bien conservés pour certains. Le plus impressionnant, ce sont les traces de roues de char encore bien visibles sur le rocher. En moins d'un kilomètre deux sites exceptionnels méritent une visite. Je m'arrête, mange mes boîtes de sardines et mes fruits. Le chemin pour aller jusqu'aux Illas n'est pas très agréable, large piste serpentant à flanc, succession de montées dans la poussière. L'arrivée au village se fait par une grande descente en lacets, cela semble interminable. Le gîte est loué à un groupe, donc ce sera camping sur un petit terrain communal, où je serai seul. La douche je la prendrai sous le pont du village, là où la rivière fait une petite mare. Le lieu est assez discret, de plus il n'y a pas grand monde. Cette traversée des Pyrénées qui va me prendre vingt deux jours, je ne pensais pas y rencontrer si peu de monde. En effet à part quelques sites connus comme le Canigou, les Aiguilles Tortes ou la vallée d'Ordesa, les étapes seront très souvent solitaires, et si elles ne le sont pas complètement, les humains rencontrés se comptent sur les doigts de la main. Ceux qui me marqueront, ce sont les marcheurs solitaires. J'en croiserai cinq, quatre qui traversent les Pyrénées dans l'autre sens, trois Anglais et un Français, et le cinquième un vieil Allemand qui emprunte la voie du Somport vers Saint Jacques de Compostelle. Ces rencontres sont toujours des moments de grande émotion. J'aurai l'occasion d'y revenir. Il est étonnant comme ces trajets, seul, à travers les montagnes laissent une marque profonde en soi. En effet cela fait maintenant plus de deux ans que j'ai effectué ce périple, et bien, le fait de le dérouler en l'écrivant, une multitude de sensations et de détails me reviennent à l'esprit. Je suis stupéfait de voir que malgré le recul du temps, le fil ténu et éphémère mais de plus de sept cent kilomètres, de ma trace dans ces montagnes s'est incrusté à ce point en mon esprit. L'exercice d'écriture est d'autant plus difficile, que je n'ai pratiquement pas fait de photos. En effet, ces dernières sont un outil prodigieux pour la narration d'un récit. Mais c'est peut-être un peu tricher, car longtemps après, écrit-on par rapport aux sensations que ces photos évoquent à l'instant où on les regarde, ou bien font-elles réellement remonter le vécu et la perception au moment de leur prise? Sans doute un peu des deux. Mais si on n'en possède pas, le fil d'Ariane de la piste fait ressurgir les émotions du moment de l'action, le récit en est sans doute plus véridique.
Donc comme prévu, petit repas gastronomique aux Illas dans une auberge à la salle grande et bien aménagée, une ancienne grange restaurée de main de maître. Après cet agréable moment, je fais un tour pour localiser le chemin du lendemain. Je repère un monument à la mémoire des personnes qui rejoignaient l'Angleterre via l'Espagne durant la deuxième guerre mondiale, car le village était l'un des lieux de passage, cela me remémore de nombreux livres et films.
Troisième jour
L'étape sera longue, je compte remonter la belle forêt qui domine le village, passer en Espagne, rejoindre le Roc de France par l'ermitage de la Salinas puis terminer l'étape à Arles-sur- Tech. La montée en sous-bois est magnifique tôt le matin lorsque les rayons du soleil sont encore obliques. Début juin, les feuilles sont encore toutes jeunes et présentent un joli vert tendre. Je ne peux m'empêcher de scruter les touffes de mousse, car je verrais bien des giroles s'y cacher. Une fois en Espagne, une piste large et de bonne inclinaison conduit à l'ermitage. Il est désert mais plus embêtant, la source est tarie et moi qui comptais m'y ravitailler … Tant pis, direction le Rocher de France. Après quelques petites hésitations dans les broussailles, je n'ai pour le moment que la carte au cent millième de l'IGN, je tombe sur un bon chemin qui me conduit sur le petit sommet à 1450 mètres. J'en profite pour me restaurer en contemplant le versant qui doit me conduire à l'étape du soir. Il a l'air immense et plein de replis. En effet cette descente jusqu'à la petite rivière, le Tech, est interminable. Heureusement en pleine chaleur de l'après-midi je rencontre une source qui suinte d'un rocher, que cette eau fraîche est agréable. Cela donne un bon coup de fouet au moral. J'arrive dans la ville d'Amélie-les-bains. Ce fond de vallée est très chaud, le goudron fond. Je commence par suivre la route, mais rapidement du fait de la chaleur et du trafic important je rejoins le lit de la rivière et continue à même les galets. Le rivage par endroits présente de véritables murs de végétation, il me faut donc marcher dans l'eau heureusement peu profonde. Cela procure une sensation étrange de se dire que l'on est en train de traverser les Pyrénées à pied et de se traîner à un rythme d'escargot à glisser sur des pierres moussues en essayant de ne pas piquer une tête. Je finis par abandonner et pars à la perpendiculaire à travers les fourrés à la recherche d'un chemin. Rapidement je tombe sur une multitude de traces praticables.
A l'entrée de Arles-sur-Tech je retrouve le Gr 10. Cette petite cité est superbe, le chemin se faufile dans des lieux pittoresques, en particulier des petits jardins potagers. Halte dans un camping dans le haut du village, il n'y a presque personne. Le mois de juin ce n'est pas encore les vacances. Je mets mes sandales et retourne me promener dans le village. J'y fais quelques emplettes et vais m'installer à la terrasse d'un restaurant à l'architecture superbe, une ancienne bâtisse en pierre rénovée. La soirée sera nostalgique, car durant l'après-midi mon maudit portable m'a appris la mort d'une personne qui m'était chère. Il y a des moments dont on se souvient toute sa vie eh bien je me souviendrai toujours exactement du lieu et de l'instant où cette triste nouvelle m'a atteint. Je mange cependant avec appétit une gigantesque pizza suivie d'une grosse glace. Je remonte à mon camping sous l'orage qui menace et rapidement m'endors.
Quatrième jour
Lever matinal, pas un bruit, petit déjeuner froid englouti rapidement et tout de suite l'immense dénivelé de la journée commence. J'ai l'intention de rejoindre la HRP en passant par le Serra del Roc Nègre à 2714 mètres alors que mon point de départ se situe juste à 300 mètres. Je chemine par des chemins qui se faufilent parmi les restes de vieilles mines, excavations et charpentes métalliques en ruines. Rapidement la chaleur est suffocante, le temps est à l'orage. Je dénivelle rapidement mais je souffre. Le sac me semble pesant, les crêtes apparaissent lointaines, et cela d'autant plus que l'air est saturé d'humidité et prend un aspect laiteux qui augmente l'impression d'éloignement. Le sentiment d'avoir vu trop grand pour la journée commence à m'effleurer. Cependant le rythme rapide me permet de garder le moral. Toujours cette horrible habitude d'avoir les yeux rivés sur la montre et l'altimètre et en déduire des dénivelés horaires. Au moins cela a la vertu d'occuper l'esprit. J'envie ce garçon qui lorsqu'il part pour de grands périples ne s'encombre d'aucun instrument même pas d'une montre, quelle liberté il doit éprouver! Mais pourquoi je n'arrive pas à en faire autant ? La végétation change, des prairies parsemées de jolies fleurs remplacent la garrigue. Un petit ruisseau que je longe, et hop! une jolie truite détale. J'atteins la route qui conduit au col de Cirière. Au gîte en réfection un peu en-dessous je me ravitaille en eau et me renseigne sur l'évolution du temps pour l'après-midi. Rien de rassurant, mais rien d'étonnant, des orages violents sont attendus. S'engager sur les crêtes ne serait pas raisonnable. Je décide donc de rester sur le GR10 et me lancer dans le contournement du Canigou. Le col est rapidement rejoint. Ensuite le chemin s'accroche au versant nord-est de la montagne. Que le lieu est impressionnant ! Le Canigou est vraiment la sentinelle des Pyrénées bien avancée dans les plaines. Les flancs sont très raides et travaillés. Par endroits je traverse de petites gorges au fond desquelles coulent des ruisseaux. Par temps de grosse pluie le passage ne doit plus être praticable sans risque. J'arrive à une petite bâtisse devant laquelle se trouve une magnifique fontaine. J'aurais pu éviter de transporter mes deux ou trois litres d'eau. Un peu plus loin je rejoins le couple vu la première journée, je ne les avais pas reconnus, eux par contre me remettent bien. Il y a quelques promeneurs sur ce magnifique sentier. Je double deux femmes qui me cèdent leur énorme chien blanc, genre Patou, pas méchant mais très collant. Bivouaquer en se serrant dans son poil volumineux doit être agréable, mais je n'en ai pas l'intention. Arrive un croisement de chemins, où le refuge des Cortalets est indiqué par deux itinéraires. Je choisis le plus haut. Alors que je remonte une crête vers les 2300 mètres, un orage violent s'abat. Je dépasse un couple de Belges qui s'abrite dans une petite anfractuosité et mon gros Patou décide de rester avec eux. Une très violente averse de grêle me force à m'arrêter sous le premier sapin et à mettre mon sac à dos sur ma tête. Le tonnerre gronde autour de moi, quelques arbres foudroyés montrent que l'endroit est malsain. Mais la grosseur des grêlons est telle que je n'ose bouger malgré le risque lié à la foudre. L'averse est si violente que mon arbre ne me protège pas vraiment et les morceaux de glace rebondissent dans tous les sens et m'attaquent par le bas. Très rapidement, n'étant pas très habillé la déperdition de chaleur est importante et je commence à me sentir en danger si cela devait durer. Je décide malgré la tourmente de repartir en courant au mieux, car au moins je produirai un peu de chaleur. Heureusement quelques minutes plus tard aussi rapidement qu'elle était apparue la grêle s'arrête. Il était temps, cela a duré une vingtaine de minutes. La montagne est magnifique dans son hostilité, sur les sommets environnants le tonnerre roule en faisant vibrer jusqu'au sol. Après la traversée de quelques pierriers instables et glissants j'arrive au refuge. Une foule immense s'y trouve. En effet c'est la fête des feux de la Saint Jean. Demain tout ce beau monde montera son bois au sommet du Canigou pour faire un immense feu de joie. Les Catalans sont comme les Basques, le bois ils aiment ça, et ils se mettent à plusieurs pour monter des bûches énormes. Très vite je me rends compte que je n'ai pas du tout envie de passer la nuit ici. Il n'est que quatre ou cinq heures, je continue donc jusqu'au refuge de Bonne-Aigue petite cabane qui doit être moins peuplée. On me conseille cependant de prendre de l'eau car la source de Bonne-Aigue , contrairement à son nom, n'est pas toujours bonne fille et peut se montrer avare, ce qui sera le cas. Encore une ou deux heures de chemin escarpé, durant lesquelles je chemine presque accroché au ciel en dominant la plaine, située très loin en-dessous. Enfin au détour d'un pli du terrain le petit abri se dévoile sur son éperon. J'y suis seul. Une vue magnifique sur le sommet du Canigou s'offre au regard. Heureux d'arriver, ce sera l'une des plus longues étapes de ma traversée et la plus éprouvante, à cause du temps d'abord étouffant et puis cet orage très impressionnant. Je cherche la source et la découvre enfin juste devant le refuge, mais elle est à sec. J'ai été bien inspiré de prendre trois litres d'eau au refuge précédent. Je m'installe, fais un feu dans le fourneau et me cuisine une grosse purée et bien au chaud dans mon duvet je poursuis la lecture de Croisières et Caravanes d'Ella Maillard. C'était quand même autre chose quand elle traversait dans les années trente l'Asie à pied en dormant deux semaines durant dehors en hiver dans l'Himalaya, en ayant pour tout refuge le flanc de son chameau. Je me dis que mes petites souffrances c'est de la rigolade.
Alors qu'il fait encore bien jour, j'entends du bruit. Je ne serai pas seul cette nuit. Un couple de jeunes gens arrive. Voyant l'exiguïté des lieux, ils décident d'aller planter leur tente sur un replat à proximité. Après s'être installés ils viennent me chercher et m'invitent à partager une bouteille de blanquette de Limoux. Assis dans l'herbe à côté de leur tente nous avons une discussion animée. Incroyable, lui vient de faire une thèse sur les mafias albanaises. Je ne dirais pas que je suis très fort sur ce sujet mais j'ai habité trois ans en Albanie et donc le thème m'intéresse. Cette soirée mémorable et très sympathique me revigore et me laissera un souvenir impérissable. La nuit tombée depuis un bon moment, nous rejoignons chacun notre sac de couchage.
Cinquième jour
Après une bonne nuit, je me sens en pleine forme, la longue marche d'hier n'a laissé aucune trace. Mes amis dorment toujours, je laisse un petit mot de remerciements sur l'un de leurs sacs et leur souhaite une bonne montée au Canigou. Comme toujours lorsque je suis un GR, je pars bille en tête sans rien regarder, sauf dans le cas présent, un dernier regard à ce minuscule refuge agrémenté d'une petite tente. Rapidement je traverse un éboulis et fais détaler toute une harde d'isards. Le chemin pénètre en forêt. Il semble peu utilisé, bizarre pour un GR. Mais l'ambiance est tellement extraordinaire et mystérieuse que pris par l'envoûtement du lieu je m'y enfonce toujours plus profondément. De plus en plus de branches obstruent la sente de plus en plus étroite. Je finis par perdre toute trace. De toute évidence je ne suis plus sur le chemin. Cependant ma carte au 100 000 ne me dit pas si je me situe au-dessus ou au-dessous de mon itinéraire . Le plus simple, faire marche arrière jusqu'à ce que je retrouve la sacro-sainte trace rouge et blanche. En effet je n'aurais pas dû traverser la zone d'éboulis. Le chemin à cet endroit monte une petite crête très raide et poursuit en pente très soutenue. Mais comme souvent, cette erreur m'a permis d'abord de voir de très près ces beaux animaux que sont les isards et de passer une heure dans une forêt mystérieuse très peu fréquentée. J'atteins un collet haut perché que je distinguais très bien du refuge, et je bascule sur un autre versant de la montagne, toujours aussi joli et aérien. Rapidement je rejoins l'un des itinéraires qui conduisent au point culminant. De ce fait je croise de nombreuses personnes qui s'y rendent. Le refuge de Mariailles apparait. Je suis un peu déçu, il a l'air d'être jeté à même le bord du chemin. J'en avais une idée magnifique, ayant lu un article particulièrement élogieux sur sa gardienne, ce qui tout naturellement me rendait le lieu très sympathique. Je ne m'y arrête pas et descends à un bon rythme jusqu'à Farga. Que ce petit hameau est accueillant, des fleurs partout, des champs remplis d'immenses herbes bien vertes, et une fontaine. Une eau fraîche agréable à boire, mais il serait préférable qu'elle soit plus chaude, car on en absorbe plus facilement une grande quantité, et lorsqu'on fait des efforts c'est par litre qu'il faut s'hydrater. Ensuite par une grosse chaleur je remonte au col de Mantet. 900 mètres de dénivelé en zigzaguant avec la route goudronnée par des petits raidillons. Le col fait très pelé, le village du même nom est blotti quelques centaines de mètres plus bas. Un gîte très agréable m'accueille. La soirée est particulièrement exquise. L'hôtesse cuisine très bien , et à quatre, un couple étant présent, nous refaisons le monde jusque tard dans la nuit. Je rejoins un lit moelleux et je tombe sur un livre de Troyat, dont je ne me souviens plus du titre, mais il me passionne tellement que j'en lis les trois quart avant de m'endormir.
Sixième jour
Le temps semble beau, après un petit déjeuner copieux me voilà parti à travers les alpages. Le paysage est très différent de ce que j'ai vu sur le tour du Canigou. On retrouve la moyenne montagne que je qualifierai de classique. Rapidement je passe le col del Pal, qui domine le village de 900 mètres. Je redescends au refuge de la Carança. Il est au confluent de plusieurs vallées, et les vaches innombrables l'assaillissent littéralement. On m'avait prévenu que la source pouvait être contaminée du fait du grand nombre de bovins. Je constate que j'ai perdu l'une de mes superbes sandales, achetées 70 euros au Vieux Campeur. Je suis très mécontent, je les ai attachées sur mon sac. Alors s'est-elle décrochée ou dans la précipitation du départ l'ai-je oubliée au gîte? Cela me perturbe, comme quoi il ne faut pas grand chose. Alors dans ma colère à partir du refuge j'accélère et remonte un joli vallon. Je ne croise pas grand monde puis viennent face à moi des pêcheurs. Tiens c'est bizarre! Mon itinéraire de la journée ne comporte pas de lac. Je leur demande d'où ils arrivent. Bien évidemment de l'étang de la Carança. C'est le bouquet, je n'ai pas pris la bonne vallée. Il faudrait bien que je finisse par prendre l'habitude de regarder la carte de temps en temps de façon plus rigoureuse. En effet je suis juste sous le lac j'ai bien dû faire quatre cents mètres de dénivelé. Pas de panique, c'était très joli. Je m'arrête donc et commence à casser la croûte. Au moment de reprendre le chemin du refuge un autre pêcheur descend. Nous engageons la conversation et j'aurai droit à un superbe cours sur la truite fario de souche pyrénéenne. Il m'explique tout sur sa reproduction et sa pêche. Encore une fois l'erreur est très bénéfique. De retour au refuge je reprends mon chemin qui est franchement très évident. Le col se situe 600 mètres plus haut. Son accès est raide, coupant en permanence une piste qui fait de grands détours. Une fois arrivé, un vent froid et désagréable m'enlève toute envie de faire une pause. Ce temps pour le moins pas très agréable, je vais le subir quasiment jusqu'à l'Atlantique. Je prends cependant le temps de regarder ma carte et de constater que le Gr fait une immense boucle en fond de vallée. Je décide de traverser directement et de rejoindre le chemin sur le mouvement de terrain suivant. Je visualise l'itinéraire que je veux suivre et c'est parti. Arrivé en fond de vallon, j'attaque directement la pente en face et après une bonne suée je retrouve les traces rouges et blanches. Il ne me reste plus qu'à me laisser conduire au village de Planes. Le gîte est ouvert. Je bois une bière en compagnie d'un habitué de la région. Il me raconte une histoire étonnante qui corrobore ce que j'ai vécu trois jours auparavant. Il me fait part de son expérience des chutes de pression très brutales du côté du Pic de Costabonne. Effectivement lorsque j'étais près du Pic de France, mon altimètre affichait des variations d'altitude très brusques et importantes. J'ai tout de suite pensé qu'il ne fonctionnait plus. Eh bien non, il s'agissait du phénomène que l'on me décrit. Pas étonnant, m'a-t-il dit, que j'ai subi un orage aussi violent sur le Canigou.
Le repas du soir sera moins raffiné que celui de la veille. Je me trouve avec un Canadien qui finit ses vacances et qui repart le lendemain. Il éclate de rire quand il constate que je n'ai qu'une sandale et un pied nu. Nous passons la soirée devant la télévision, coupe du monde oblige. La France va gagner, et ce n'est pas le dernier match que je regarderai.
Septième jour
L'étape du jour doit me conduire en Espagne, pays dans lequel je resterai jusqu'au pays Basque. L'itinéraire remonte le vallée de Mont Louis jusqu'à la frontière. Manifestement j'ai une baisse de moral, pourtant tout va bien physiquement. Le chemin parcouru jusqu'à présent était très beau, la marche agréable, les haltes du soir toujours bonnes et souvent pleines de surprises. Eh bien non, malgré ces 6 jours prometteurs d'une belle traversée je suis envahi par un coup de blues. Le plus étrange, c'est que je ne sais pas pourquoi. Allez, ne pas se poser de question et marcher, on verra après. J'abandonne le GR 10 à partir d'aujourd'hui pour ne le retrouver que vers Saint-Jean-Pied-de-Port. La marche en forêt est plaisante. De l'autre côté de la vallée j'aperçois le fameux four solaire d'Odeillo. Ayant coupé mon téléphone portable depuis hier matin, je l'ouvre, des fois que ma famille s'inquiète en ne pouvant me contacter. J'ai effectivement un message d'un camarade qui me propose des activités professionnelles à Lyon et Paris. De toute évidence cela attendra mon retour. Je savoure l'immense privilège que cela représente de ne plus être soumis au dictat de devoir gagner sa vie et de vivre sans peur excessive du lendemain. Après tout, cela dépend aussi de ses envies et du niveau auquel on fixe ses besoins. Mais la contrepartie de ne plus se sentir tendu vers un but professionnel, c'est peut-être de devoir occuper son temps libre. C'est sans doute là que se niche une partie de mon vague à l'âme. L'allure n'est pas très rapide. Je fais une halte à même le tapis d'aiguilles de pins et engage une longue conversation téléphonique avec une personne qui m'est chère et qui me connait bien. Sans doute suis-je à la recherche d'un appui dans la signification de la traversée que je fais? En tout cas la discussion porte ses fruits. Je trouve une interlocutrice qui est un avocat sans concession de la poursuite de l'entreprise. Plus de doute, debout et marche.
Je m'arrête dans le village de Eyne et mange la boîte de thon que je traîne depuis Tech. C'est pénible car on se met de l'huile partout et ensuite il faut trouver une poubelle, car pas question de remettre dans le sac cette boîte de conserve toute dégoulinante. N'en voyant pas dans les environs, je mets le tout dans un sac plastique que j'accroche sur le sac à dos. Dans ce village, l'année précédente, j' avais pris le fameux train jaune, expérience très intéressante. J'étais le seul voyageur sur le quai, le train est arrivé à faible allure et s'arrêta. Le chauffeur sortit la tête et me demanda si je voulais monter. Je lui répondis par l'affirmative et il m'enguirlanda presque en me faisant remarquer que normalement le train ne marque l'arrêt en gare que si on lui fait signe, et qu'il n'est pas devin et ne peut connaître mes intentions. Je devais donc m'estimer heureux qu'il se soit arrêté car de plus c'était le dernier de la journée.
Après ce rappel de mes souvenirs, je repars. Avec la journée qui avance, la chaleur augmente. Après m'être perdu dans des champs cultivés, qui de toute évidence se sont appropriés le chemin, n'osant pas couper directement parmi les épis de blé, je fais moult détours. J'arrive enfin à Bourg Madame et passe la frontière. Manifestement les douaniers regardent les gens, est-ce dû au contrôle de l'immigration clandestine en Europe ? A Piugcerda je m'arrête et me mets à l'ombre dans un café. Pour ce sacro-saint moral à retrouver et à consolider, je sens qu'il faut que j'avance un grand coup,
comme cela je serai irrémédiablement lancé dans l'aventure. Donc première décision, je laisse tomber le long détour par la Serra de Cadi et je file directement sur La Seu d'Urgel, en partie sur la route et en partie par des chemins qui traversent de petites villes un peu désaxées. L'important c'est qu'il n'y ait pas trop de montées et que le mouvement vers l'ouest soit significatif. A la sortie de l'agglomération, je distingue très nettement à une vingtaine de kilomètres au sud la barre impressionnante de la Serra des Cadi, sur une trentaine de kilomètres elle se lève d'est en ouest en une vague toujours au-dessus des 2000 mètres, et même pour sa moitié ouest toujours au-dessus des 2500 mètres. Résolument je m'engage sur la route à grande circulation, je vois un panneau qui indique 60 km alors que ma carte en indique un peu plus de 50 pour la ville de La Seu D'Urgel. Un super marché, j'achète une bouteille de banga de deux litres que je descends presque d'un coup, cela fait repas et boisson. Sur le goudron c'est une véritable canicule, avec la réverbération de la chaleur, les 35 degrés sont à mon avis atteints. Un grand magasin de chaussures dans une zone commerciale, j'en profite pour m'acheter des tongs pour remplacer mes sandales. Il y a des soldes, j'ai deux paires pour 7 euros mais je n'en veux qu'une. Dans mon espagnol hésitant j'explique qu'une seule suffit et que je ne désire pas en porter deux jusqu'à l'Atlantique. La charmante vendeuse finit par m'en vendre une paire pour 4 euros. Je retourne dans la fournaise avec l'intention de bien avancer avant le soir. Après une dizaine de kilomètres je me laisse tenter par le joli village de Ger qui domine la route, et pars à la recherche d'un logement. Le bistrot, dans lequel j'entre, loue des chambres certes à des prix non-modiques, mais de qualité. Pour une journée sans moral l'étape a été cependant importante. Je me promène dans cette petite cité toute en pente et termine dans un petit estanco. On est bien en Espagne et l'ambiance est très sympathique.
Huitième jour
Au réveil, il fait presque nuit, cela ne provient pas de l'heure matinale mais de l'épaisseur des nuages. Je reprends la route à grande circulation sur une dizaine de kilomètres et me dirige vers la petite ville de Bellver de Cerdanya. Jolie agglomération à l'architecture de cachet avec ses belles maisons en pierre, ses magasins bien achalandés et sa foule qui se presse dans les rues. Une brume épaisse tombe, assortie d'une bruine tenace. Une route très peu fréquentée me permet de gagner dix kilomètres loin du raffut de la circulation. Cela me donne l'occasion de découvrir la belle église de Santà Eugènia de Nerellà. Vers les treize heures, retour sur la grand route à l'entrée de la ville de Martinet. Dans un bistrot comme on en trouve dans toutes les grandes cités européennes je profite d'une accélération des précipitations pour faire une pause. Sensation étonnante que de faire de longues distances à pied le long de grands axes routiers. Je pense à tous ces récits de voyage où durant des semaines voire plus l'itinéraire se déroule dans le souffle et les aspersions des camions lancés à toute allure. Je me remémore en particulier un pèlerin parti de Lyon pour Jérusalem et qui avait traversé une bonne partie de l'Italie dans ces conditions, ou encore Bernard Ollivier qui au cours de sa longue marche appréhendait la traversée des tunnels non éclairés quelque part au fond de l'Asie.
Ma carte au 50 000 me permet de voir qu'un petit chemin se faufile entre la montagne et la rivière sur la rive opposée à la route, encore quelques kilomètres de gagnés loin des monstres d'acier puants et bruyants. Ensuite, après un bref retour sur cette N260 apparaît un camping à même le bord de la route. Bien qu'il ne soit pas tard je décide de m'y arrêter. Le temps s'est amélioré et rapidement la chaleur sèche le sol. Manifestement il n'y a pas grand monde, à tel point qu'il est impossible d'acheter quoique ce soit, le restaurant et l'épicerie étant fermés, donc ce soir mon réchaud me servira pour chauffer ma purée soupe, habituelle dans ces circonstances. C'est très simple à faire, c'est comestible, ça cale sérieusement, que demander de plus? Je m'installe au bord de la rivière sous un rayon de soleil et je m'y trouve très bien. J'observe les petits verrons qui farfouillent les gravillons dans quelques centimètres d'eau un peu à l'écart du courant principal du cours d'eau. Soudain, sortant des profondeurs agitées par le courant, une belle truite fait un passage rapide mais ne réussit pas à attraper une proie. Être le témoin d'une scène de ce type, somme toute banale dans la nature, me remplit de joie, et c'est très bon pour le moral.
Neuvième jour
L'étape de ce jour doit me conduire au moins à La Seu D'Urgel. Afin de continuer à bien avancer tout se fera par la route. D'ailleurs, vu l'endroit où je me trouve, il n'y a pas d'autre choix. La vallée est encaissée, la route domine d'assez haut, aucune possibilité de progression près de la rivière et le versant raide ne permet pas de prendre des chemins en amont. Donc je me lance sur le bitume, tôt le matin peu de circulation et température clémente. Surprenant je trouve du plaisir à avancer comme cela sur une route nationale. D'ailleurs par endroits les points de vue sont magnifiques. Un seul tunnel se présente, évitable par l'ancienne route. Par endroits l'espace derrière le rail de sécurité ne permet pas de marcher, car il y a presque directement le vide. J'avance donc sur la route bien collé au bord métallique, m'immobilisant lorsque un camion arrive, ou même j'enjambe le rail et attends qu'il soit passé pour revenir sur le goudron. A un moment, marchant sur la chaussée, je vois arriver face à moi un cycliste et derrière lui à vive allure un camion survient. Vu l'étroitesse des lieux je réalise que si le vélo fait un écart pour m'éviter, il court un grand risque de se faire écraser par le bolide lancé à 100 à l'heure. Je saute précipitamment le rail, le cycliste y reste collé et le camion le frôle dans un grondement.
Vers les onze heures j'atteins la petite ville désirée depuis avant-hier. L'entrée se fait le long de belles allées verdoyantes qui longent le cours d'eau. Je traverse cette agglomération qui s'étale sur un bon kilomètre, puis près de la sortie je fais une halte dans un restaurant. Il se situe à un carrefour particulièrement passant, en effet l'une des routes remonte directement au Pas de la Case. Bien qu'ayant bu deux bières et mangé comme un boa, je repars sous le cagnard. J'emprunte le GR7 sur une dizaine de kilomètres. Bien que remontant la vallée qui conduit au Pas de la Case, le trafic n'est pas gênant, le chemin étant souvent à bonne distance de l'asphalte. Un embranchement de vallées apparaît, et là se niche la Farga de Moles et son camping. Site agréable dans un décor verdoyant. Le mois de juin est une période propice à la balade car les fonds de vallées ne sont pas encore brûlés par les chaleurs et les sécheresses de l'été. Ce soir, encore un match de foot, je ne me souviens plus quelles étaient les équipes en compétition.
Dixième jour
Aujourd'hui l'aventure reprend. En effet je vais essayer de rejoindre au mieux le Val D'aran en dehors de tout itinéraire balisé. Pour corser la chose, il me manque un bout de carte sur une bonne distance. Mais de la fin de ma première carte je devrais voir une montagne caractéristique qui se trouve sur la seconde. Tout commence par une petite route qui serpente dans une vallée étroite. Un gros chien décide de m'accompagner, il me suivra deux bonnes heures. Passé un premier village, j'arrive à Civis et prends une sente qui monte raide. Alors je dis à mon compagnon à quatre pattes de retourner chez lui. Il n'en fallait pas plus pour qu'il fasse demi-tour, à moins que de lui-même il ait décidé de s'arrêter à la fin du goudron. Le chemin suit des flancs arides et escarpés, la solitude est vraiment présente. Le col de Confluent est atteint, un peu plus de 2000 mètres d'altitude, et je suis en bout de carte. Très bien, est-ce que mon pronostic s'avère exact ? Effectivement, une vallée se présente avec un large débouché vers la gauche et une montagne sur la droite avec un petit col, qui doit correspondre à celui que je compte rejoindre. Dans la partie manquante je rencontre même un hameau désert, mais équipé d'une belle fontaine, qui est la bienvenue car je manque d'eau depuis plusieurs heures. Une fois près d'une rivière je repars à l'assaut du versant opposé vers le col identifié. Étant dans la forêt sur le flanc de la montagne, évidemment mon lieu de passage désiré disparaît du champ de vision. Il me faut partir à l'estime, dans un immense versant encombré d'arbres abattus à enjamber. J'ai le sentiment que je ne vais pas y arriver. Je me traîne de tronc en tronc en essayant de les escalader le plus rapidement possible sans dépenser trop d'énergie et sans me blesser. Après un moment qui me semble une éternité, les troncs s'espacent et je pressens la fin du calvaire. J'atteins une prairie encaissée dans un vallon, au fond duquel court un ruisseau. Je décide de le suivre, en effet il monte c'est bien et de plus le cheminement est dégagé. Ce sont déjà des éléments très favorables. Mais est-ce que de plus ce vallon aura le bon goût de conduire là où je veux aller ? En tout cas après le supplice que je viens de vivre, avancer à bonne vitesse sur une herbe souple procure un grand plaisir. Certes la pente est raide et irrégulière d'où un champ de vision très restreint. La direction me semble bonne, et de fait après une petite heure de montée je tombe pile sur un collet qui se découvre au tout dernier moment. Je sors ma nouvelle carte et miracle, ce que je vois devant moi correspond exactement à ce qui est décrit. Dans la vallée tout en bas deux villages Burg et Tirvia. Ce dernier aux environs des 900 mètres, donc quelques 1400 mètres en aval. A vol d'oiseau la distance est de l'ordre de huit kilomètres. Ma carte n'indique qu'une vague piste en pointillé, que je ne trouve pas. Mais la descente se fait à travers prés et broussailles. Toujours un passage se découvre au dernier moment, un vrai bonheur, une petite trace de ci delà laissée par des animaux sauvages ou domestiques et hop quelques mètres de gagnés. Au détour d'une ruine noyée dans de grandes herbes, une grosse couleuvre me détale dans les pieds. L'après-midi est beau, quelques petits nuages épars signe de stabilité, pas d'orage à craindre, le vent froid qui m'accompagne un jour sur deux est absent. Cette étape avec son caractère particulier est l'une de celles qui me laissera un des meilleurs souvenirs. Sur la trentaine de kilomètres, voire plus, parcourus, je n'ai rencontré qu'une femme le matin en passant un premier village. Nos montagnes européennes, dès que l'on sort des grands axes de randonnée à la mode, sont presque désertes. J'aurai l'occasion de le constater encore au cours d'étapes à venir dans des variantes du GR 11. Arrivée au village de Tirvia, écrasé sous la chaleur de milieu d'après-midi. Euréka!! Il y a un petit hôtel à la façade sympathique qui donne sur la place centrale. Je commence par boire une bonne bière, car l'eau a été rare aujourd'hui. En effet, j'ai évité de faire le plein à la rivière, n'utilisant les cachets qu'à la dernière extrémité. L'eau en montagne, je la bois sans traitement lorsqu'elle sort de terre ou de la roche, considérant que le passage dans le sol est un filtre. De même je la bois à l'air libre lorsqu'elle court au-dessus de la zone de végétation si elle ne provient pas d'un lac.
Soirée agréable, menu de qualité, il faut dire qu'après un effort comme celui d'aujourd'hui tout aliment a la saveur de ce que Bocuse vous propose. Le propriétaire est tout étonné de ma réponse lorsqu'il me demande où je vais. De toute évidence je suis en dehors des routes habituelles de la traversée des Pyrénées.
Onzième jour
De l'hôtel, je distingue très bien en face, de l'autre côté de la vallée le début de mon étape. Ma carte m'indique qu'une sente conduit au petit pic qui nous domine fièrement. D'abord rejoindre le fond de la vallée. Soit suivre la route qui fait un détour ou couper directement dans la pente qui donne directement sur la rivière. Je m'avance au bout du plateau sur lequel se trouve le village pour me faire une idée de la praticabilité d'un passage direct. Une grosse centaine de mètres dans une pente très raide, mais de nombreux arbres. L'affaire semble jouable. En effet la végétation et le sol meuble me permettent de rejoindre le lit de la rivière facilement. Une fois en bas pas d'autre possibilité que de traverser, heureusement la profondeur et le courant sont faibles. La petite zone à la confluence de quatre vallées est prestement traversée et je m'engage dans la forêt qui doit me conduire au Pic de l'Orri , quelques six cents mètres plus haut. De toute évidence ce sentier n'attire pas les foules. De temps à autre une vague trace, mais le plus souvent la progression est conduite par les zones de moindre résistance végétale. Je débouche à un collet, j'y laisse mon sac et continue. J'ai un peu l'impression d'être le premier à fouler ce sommet modeste qui culmine à 1444 mètres. Je découvre un vaste panorama. Mon belvédère est de tout premier ordre pour visualiser le reste de mon étape du jour. Cela commence par plusieurs kilomètres à flanc parmi buissons et épines sans cheminement bien établi. Au gré des zones aérées je zigzague avec par endroits de petits soucis, car ça pique vite et fort. Pourvu que je ne soit pas obligé de rebrousser chemin. En effet je distingue bien une route dans la vallée bien plus bas, mais la descente directe me semble particulièrement exposée sur des terrains raides où la chute serait sans doute mortelle. Donc persévérer sur cet immense pan de montagne. J'aperçois un reste de chemin creusé à même la roche. Je l'atteins en me hissant à travers piquants et ronces. Je le suis quelques dizaines de mètres et soudain au niveau d'une gorge, il n'est plus praticable et toute progression est interdite. Demi-tour dans cette jungle. Je sens que le village aperçu du sommet n'est plus très loin, il y a forcément un passage, car je constate de nombreuses traces d'ovins et de bovins. En effet, une rupture de pente de quelques mètres me donne accès au fond de cette petite gorge escarpée, et rapidement sur l'autre versant un bon chemin s'amorce et me conduit en quelques centaines de mètres au centre d'un joli bourg bien restauré. Je fais une pause au lavoir, bien au frais. Mon horizon s'éclaircit. Une route aérienne descend lentement vers la grande vallée que je dois remonter quelque temps avant de rejoindre sur le versant opposé la station estivale d'Espot, l'un des points d'entrée dans ce magnifique parc national d'Aigüestortes. Encore quelques heures de marche sans histoire mais fort agréables avant d'arriver à Espot. J'en profite pour m'acheter un bâton, qui malheureusement n'est pas très solide malgré son prix, et qui ne durera que le temps d'une étape un tiers. Je le garderai cependant bien qu'ayant perdu le quart inférieur. A la sortie du village, un camping accueillant presque désert, même dans des endroits touristiques comme celui-là au mois de juin ce n'est pas encore les vacances. Avec la majorité des quinquas européens à la retraite je m'attendais à trouver plus de monde. Le camping dans ces conditions de faible affluence est une activité très supportable même agréable. Seul petit ennui, ma tente est mono-paroi et la condensation est importante même toute ouverte, donc cela nécessite durant la journée de guetter un rayon de soleil pour faire sécher le tout. En été cela ne pose généralement pas de problème.
Douzième jour
Quelques gouttes durant la nuit ont claqué sur la toile, mais rien de grave. Ce matin le temps est correct. Départ matinal. Deux gentilles dames me proposent de me déposer au bout de la route, avec le sourire je refuse. Il faut bien reconnaître que cette piste de 4 ou 5 kilomètres qui conduit au parking de départ de randonnées magnifiques n'est pas des plus intéressantes, mais la traversée doit se faire intégralement à pied. Enfin arrive la barrière d'interdiction de passage des véhicules. Peu de distance après, le premier lac, il est de belle taille. Je le longe par la droite et vers le fond le chemin s'élève dans des escarpements. Ces zones granitiques où gros blocs et sapins alternent sont magnifiques. En une succession de montées et descentes je passe de nombreux lacs de toutes formes. Les petits cols que je franchis, sont à chaque fois de magnifiques points d'observation de cette région exceptionnelle. Au bord d'une étendue d'eau perchée je fais une halte, le site est vraiment extraordinaire, de toutes parts des lacs s'étalent. La zone est si vaste qu'il est facile de s'éloigner du chemin balisé et de se déplacer sur de larges plaques granitiques qui offrent un cheminement généralement aisé et qui permettent des vues plongeantes sur les plans d'eau. Une dernière montée raide avant de descendre sur le refuge de la Restanca, situé juste au pied du Montarto, magnifique montagne du sommet de laquelle on peut apercevoir jusqu'à 80 lacs. Il y a bien longtemps, j'y étais monté en hiver, tout était recouvert d'une épaisse couche de neige, je ne peux donc pas confirmer que l'on peut vraiment en compter 80. Le refuge est bondé, étant seul je suis accepté, par contre généralement en groupe l'hébergement demande de l'anticipation. Si j'étais courageux je me contenterais d'y manger et repartirais dormir plus haut sur un replat de la HRP. Mais le temps qui se couvre et la pluie qui s'annonce m'enlèvent tout courage et je vais choisir la nuit dans un petit dortoir bondé.
Treizième jour
Nuit difficile entre bruit de pluie violente et raclements de gorges multiples, au matin les désagréments de la surpopulation, malgré une envie pressante pas moyen de trouver des toilettes libres, donc courir à l'extérieur se cacher au moins mal et si possible au plus loin du refuge. Je fuis rapidement une fois le petit déjeuner pris. Sur cette portion de la HRP je suis seul car le temps n'est pas beau, il pleut mais la visibilité reste correcte. Une demi-heure après être parti je tombe sur mon premier solitaire en sens inverse. Il s'agit d'un Anglais qui vient de se faire saucer toute la nuit pratiquement sans matériel. Il est tellement trempé qu'il est en short et tee-shirt, mais ça le fait rigoler et sa volonté d'atteindre la Méditerranée n'est pas entamée. Nous discutons une dizaine de minutes et reprenons chacun notre chemin. Je suis plein d'admiration pour ces British que rien n'émeut. Le parcours de la HRP, c'est souvent magnifique. J'en connais quelques passages en particulier ceux d'Ariège vers le Mont Rouch, grandiose. Aujourd'hui ce tronçon par temps hostile fait ressortir toute la beauté de ce monde de pierre et d'eau. Les cairns sont assez nombreux et il n'y a aucun problème de cheminement, il faut dire que le fait de longer des lacs facilite l'orientation. Passage raide pour arriver à un col à 2510 mètres, la pluie s'intensifie. La descente est glissante, attention de ne pas aller trop vite. Encore des lacs et retour sur le Gr 11, où de nouveau je croise quelques groupes de randonneurs sous leur cape. Je constate que mon bâton est tordu et qu'il me manque la partie inférieure, tant pis il m'est toujours possible de m'y appuyer. Je longe le lac de Rius et m'engage dans une longue descente sous une forte pluie. Le fond de la vallée est atteint, le chemin débouche à proximité de l'entrée du tunnel de Viehla. Il n'est que midi ou un peu plus, vais-je rester dans cet endroit en attendant des conditions meilleures? Par ce temps il est exclu de continuer par la HRP, et le GR11 passe deux cols dont le plus haut est à 2720, ce qui fait pour l'après-midi un dénivelé cumulé de plus de 1800 mètres. J'hésite, vais visiter le refuge, et l'impatience me dominant, je décide de partir, il sera toujours temps de redescendre ou de m'arrêter dans le petit refuge d'Anglos perdu quelque part entre deux lacs à 2300 mètres. C'est parti, je descends la grand route jusqu'à un lac de barrage. A droite l'itinéraire escalade une forêt raide. Les nuages accrochent tous les reliefs, cependant la pluie cesse. Je quitte le goudron à treize heures trente, ce qui laisse de la marge avant la nuit. Immédiatement j'adopte un bon rythme sur ce sentier qui monte droit. Je me sens bien, l'air est frais, le cadre est grandiose et un peu mystérieux. En une heure j'abats plus de 600 mètres de dénivelé sans vraiment forcer, je commence à croire que je peux basculer ce soir du côté de Benasque. Sans que mon allure ne se modifie j'atteins le premier lac et je vois la petite cabane d'Anglos. Effectivement par temps de brouillard elle doit être difficile à trouver, mais cet après-midi on s'oriente vers une embellie. Je croise un couple de Hollandais. Ils viennent de faire une étape épuisante et espèrent rejoindre le fond de la vallée ce soir. Les lacs se succèdent, vu du haut ils ont des reflets lugubres à cause des nuages, et comme la pierre les entourant est sombre et mouillée l'ambiance est particulièrement austère. J'aborde la zone où seule la caillasse survit. Le premier col se présente. De ce lieu, je vois très nettement le second, pente de cailloux raide. Pour le rejoindre il me faut redescendre à un petit lac qui apparaît comme un trou noir. Que la montagne est belle dans ces conditions. Au niveau du lac une abondante source sourd de sous de grosses pierres, je m'abreuve longuement. La remontée pour atteindre le col de Ballibierna à 2720 mètres me demande presque une heure, la fatigue commençant à se faire sentir. La vue s'étend à un immense vallon dominé par l'Aneto. Les Pyrénées de toute évidence sont de hautes montagnes. Ce coin est très sauvage. Une pause bien méritée me permet de m'imprégner de l'esprit du lieu. Il n'y a rien de tel qu'un peu de stress engendré par des conditions douteuses pour déclencher le turbo. Maintenant retour au calme, pas de doute je dormirai dans la vallée qui conduit à Benasque. La descente promet d'être longue. Elle commence par un incroyable chaos de gros blocs qui obligent à de nombreux sauts. Attention de ne pas glisser sur la pierre détrempée car la chute est souvent très mauvaise et une fracture de la jambe ici risque d'être particulièrement inconfortable. Je contourne un lac toujours au milieu de ce chaos de blocs, presque de l'escalade au-dessus de l'eau. Avec un peu de neige le passage doit être scabreux. Enfin j'arrive sur un terrain un peu plus conforme à la randonnée, une immense descente commence. Ce versant sud de l'Aneto est très vaste et l'on ne prend pas bien conscience des distances. Je rentre dans une forêt de pins clairsemés. Sur le bord du chemin un couple de jeunes est assis, je leur demande si le refuge de Coronas est encore loin, ils me disent que j'y suis presque. Cependant il me faut encore un temps que je trouve interminable pour le rejoindre.
Enfin, le voilà, il s'agit d'une cabane carrée sans aménagement aucun, mais au moins elle est propre. Souvent je passe de petits abris dans un état de saleté repoussant, encombrés d'une multitude d'objets hétéroclites, et il ne me viendrait pas à l'idée d'y dormir, à moins d'être confronté à des conditions apocalyptiques. Dans le cas présent rien de tel, le lieu est accueillant, deux Espagnols y sont déjà installés. Après les avoir salués, un petit tour à la rivière pour me laver et par chance juste sous un rayon de soleil réapparu. Un peu plus tard une bande de jeunes Français arrive. Demain ils veulent faire l'Aneto. La soirée sera agréable à discuter de choses et d'autres, en particulier d'études et de métiers. Je suis frappé par les remarques et la désillusion d'une fille d'une vingtaine d'années qui est sûre que ses études ne lui donneront aucun débouché dans la vie. Pourquoi avoir choisi cette filière et y persévérer ? Mystère !!!
Quatorzième jour
Les Français partent très tôt pour leur ascension, un peu plus tard les Espagnols suivent le Gr11 en direction de l'est. Je me retrouve seul, vers les sept heures je reprends mon chemin. Tout d'abord une piste en fond de vallée me conduit jusqu'au Rio Esera. Un peu au-dessus de Benasque, arrêt dans un camping où il est possible de se ravitailler. Le chemin contourne par l'est et le nord l'impressionnant massif des Posets qui culmine à 3369 mètres. L'air est froid et le vent âpre. Quelques rares randonneurs croisés, la montagne a décidé d'être sinon hostile tout au moins désagréable. Apparaît le refuge d'Estos, j'y bois un coca-cola à l'abri du froid puis en avant direction le Puerto de Gistain. Les dernières centaines de mètres sont enneigées, mais la portance est bonne et l'allure n'est pas ralentie. Ce col perdu à plus de 2600 mètres a un petit air de lointain, mais les courants d'air ne me donnent aucune envie de m'attarder. Je me hâte de descendre au refuge de Biados. La carte présente une imprécision, en effet le chemin est indiqué rive gauche, alors je m'entête à progresser de ce côté mais la marche devient difficile et dangereuse, alors que de l'autre côté se trouve un beau sentier. Après avoir joué les funambules sur des roulements à billes pentus, je retourne traverser la rivière en amont et rejoins après quelques kilomètres le refuge de Biados. Il est temps d'arriver, un orage se déclenche. En face dans ces nuées, les Posets sont très impressionnants. L'accueil est sympathique le repas copieux et au diable la tempérance, je bois entièrement ma superbe bouteille de Rioja. Donc évidemment pour plusieurs raisons la nuit sera excellente, de plus je suis seul dans le dortoir.
Quinzième jour
Départ de bonne heure par beau temps, l'air est frais et toujours cette bise désagréable. Je reste sur le GR11, le seul col de la journée se trouve 800 mètres au-dessus. Après avoir cheminé dans une forêt à l'abri du vent je me trouve de nouveau confronté à ses assauts. Le seul avantage, on n'a pas trop chaud, dans le fond le rythme doit en être amélioré. Au cours de la montée deux jeunes sont arrêtés pour se faire chauffer du thé. Ils sont en train de galérer sur la HRP, affublés de sacs énormes, et la nuit qu'ils viennent de vivre n'a pas été très confortable. Je leur souhaite bon courage pour la suite et me remets en route. A proximité du col je rencontre mon deuxième solitaire. Il s'agit d'un pur et dur. Bien qu'ayant dépassé la soixantaine il porte un sac de 20 kilogrammes et met un point d'honneur à passer toutes les nuits sous tente. Cette dernière est d'ailleurs particulièrement robuste et pèse dans les trois kilos. Nous entamons la conversation, ayant eu des métiers assez proches, nous nous découvrons des connaissances communes, le monde est petit. Il me met en garde concernant la variante qui passe dans le flanc sud-est du Mont Perdu. C'est justement là que j'espère passer. Il s'avérera que son évaluation était un peu alarmiste, tout du moins par temps correct. Nous envisageons même de casser la croûte ensemble, mais la fraîcheur ambiante nous rappelle vite à l'ordre. Nous reprenons donc chacun notre chemin. Le col, qui domine un petit lac, est vite atteint. Le lieu est austère. Je croise deux personnes et me dépêche dans la descente pour me réchauffer. 1000 mètres de dénivelé me mènent à la route de Bielsa pas très loin du tunnel frontière. En fond de vallée la température est plus clémente. Ne comptant pas faire tous les détours du GR, je prends la route jusqu'à Bielsa afin de rejoindre directement la vallée de Pineta. Durant cette dernière partie un automobiliste s'arrête et me propose de monter, je lui explique ma démarche, et le gratifie d'un grand merci. Même si je refuse cela fait toujours plaisir.
Au milieu de cette magnifique vallée je m'arrête dans un camping. Après m'être installé et avoir pris une douche chaude, la première depuis quatre jours, je vais m'installer dans la grande salle de restauration. Là, rapidement, je comprends la raison de l'excitation générale, ce soir il y a Espagne France. Je constate que je suis le seul Français. Après avoir mangé, tout le monde se retrouve devant le poste de télévision. Je sens que ça va être chaud. Le match commence. Les Espagnols marquent le premier but, déclenchement de hurlements. Ça se calme, le match continue. Les Français égalisent, je marque ma joie en levant les bras. Une vingtaine de têtes à la mine sombre me regarde d'un air réprobateur, presque hostile. J'abandonne immédiatement mon sourire. Le match continue, les Français marquent une deuxième fois, toutes les têtes se tournent à nouveau vers moi, je fais bien attention de ne manifester aucun signe de joie. Le match continue, les Français mettent un troisième but, je fais comme si je ne l'avais pas vu, par contre tous les Espagnols s'en vont, il est vrai que nous sommes pratiquement en fin de partie. Lorsque presque tout le monde a déserté la pièce et que la partie s'achève effectivement, une vieille dame s'approche et me dit avec un fort accent belge «ah! c'est bien ils ont gagné». Il y avait donc au moins deux supporters dans la salle. Je rejoins ma tente tout joyeux, mais c'est sous une averse que je m'endors. Cela est un peu inquiétant, car l'étape de demain par mauvais temps cela risque d'être scabreux.
Seizième jour
Je me lève avec le jour, ayant bien l'intention de profiter de la plus petite fenêtre de beau temps. Tout est calme, mais à l'humidité dans l'air on sent bien que cela n'est que provisoire. Le décor est fantastique, ces trois vallées que sont Pineta, Ordessa et la Niscle représentent pour moi parmi les sites de montagne les plus beaux que j'ai vus dans ma vie. Et justement l'étape de ce jour me permettra de les côtoyer toutes les trois, si la visibilité se maintient. Les cinq ou six kilomètres de goudron sont rapidement avalés, presque au pas de course. Au niveau du refuge de Pineta, 90 degrés gauche et direction l'immense paroi à remonter pour accéder au col de Niscle, 1300 mètres plus haut. Il me faut d'abord traverser le rio Cinca en enlevant mes chaussures, et la montée débute. Le sentier est époustouflant, la pente démarre raide pour ne faiblir qu'au col. Immense moment de bonheur que de parcourir ce chemin aérien avec le soleil qui apparaît à l'horizon, tout baigné de teintes rouges qui ne sont pas annonciatrices de beau temps. Je suis seul, depuis le réveil je n'ai vu personne, même sur les kilomètres de route pas une voiture. Heureusement d'ailleurs car je crois bien que je me serais laissé tenté, tant je suis pressé de passer avant la pluie, au moins arriver au refuge de Goriz. Le plaisir prend le dessus, par endroits il est obligatoire de mettre les mains pour progresser. Parfois en regardant au-dessus on reste perplexe quant à l'itinéraire tellement le flanc de la montagne est escarpé. Mais au fur et à mesure de la progression un chemin toujours tracé se dévoile. La montée est rapide et le panorama s'élargissant à vue d'œil procure une sensation très agréable. Arrivée au col vers les huit ou neuf heures du matin. Le décor d'un côté sur Pineta et de l'autre sur la Niscle est très impressionnant. Malgré le temps qui évolue, je marque un arrêt pour profiter de ce spectacle rare. Le Gr11 plonge directement, tandis que mon itinéraire part sur la droite pour aller se faufiler entre des barres rocheuses sur les flancs du Mont Perdu. D'ici cela semble vertigineux, mais je sais que l'équipement facilitera grandement la tâche. Un peu avant le câble je croise trois personnes, dont l'une de toute évidence a été très impressionnée. Je me hâte car le temps se couvre et par temps de brouillard sur le versant sud du Mont Perdu ça devient ''paumatoire''. J'arrive au fameux passage contre lequel mon solitaire d'hier m'avait mis en garde. J'y croise un groupe de Français, originaires du Puy-En-Velay, la veille ils ont gravi le Mont Perdu. Bien évidemment il n'est question que du match de foot d'hier, car au refuge ils se sont sentis très frustrés sans télévision. On en profite pour rigoler un grand coup, puis avec empressement nous reprenons notre chemin.
J'aborde de grandes zones de pierriers dans lesquelles il est facile de perdre le sentier tout en gardant la bonne direction, lorsque la visibilité est bonne. Plus j'avance, pratiquement à niveau en tournant autour du Mont Perdu, plus la grande faille comme coupée d'un grand coup de sabre d'Ordesa prend de l'ampleur. Il me semble distinguer sur le versant droit de cette gorge grandiose la fameuse ''fara des flores'' sur laquelle je ne souviens avoir bivouaqué à côté d'un isard à moins que ce ne soit un bouquetin, en effet je garde le souvenir d'un animal de belle taille. Manifestement j'étais à un endroit qu'il affectionnait, car il ne voulait pas partir, à son corps défendant l'herbe était douce malgré l'altitude et le sol plat. Je me souviens aussi que dans ces grands à pics par endroits la densité d'édelweiss était telle qu'il n'était pas toujours possible d'éviter de les fouler. La pluie qui commence à marteler le sol me tire de ma rêverie. Me hâter d'arriver au refuge, pour le moment la visibilité est toujours bonne. Je prends réellement conscience que dans le brouillard dans ces parages, il faut coller à l'altimètre en espérant buter sur le refuge. Heureusement je ne suis pas acculé à ces extrémités. Enfin je l'aperçois. Je m'y engouffre, il est bondé. Il n'est pas loin de midi, je déjeune avec appétit, la matinée a été bien remplie. Le mauvais temps s'installe franchement, mais plus rien à craindre, un très bon chemin sans risque d'erreur va me permettre de descendre.
J'espère ce soir être sorti de ce lieu magnifique mais très touristique. Je parcours une quinzaine de kilomètres entre cascades et parois géantes, le tout dans une foule presque compacte et sous des cataractes avec de temps en temps le tonnerre qui se répercute entre les montagnes. Enfin j'arrive au parking, incroyable, il y a des centaines de voitures et de cars. Il faut bien reconnaître que le site est époustouflant par son gigantisme. Malgré la pluie je n'ai pu m'empêcher de scruter sous tous ses angles ce miracle de la nature. Heureusement que le brouillard ne s'est pas mis de la partie, le spectacle en aurait été vraiment affecté, et j'en aurais ressenti une grande frustration.
Une fois les aires de stationnement dépassées, vite m'éloigner, d'après ma carte un chemin se faufile sous la route. Je ne le trouve pas, donc encore 4 ou 5 kilomètres de goudron dans un trafic important. Une conductrice s'arrête pour me prendre et dans mon espagnol hésitant je lui répète que je veux aller de la Méditerranée à l'Atlantique uniquement à pied. Je la remercie et elle me gratifie d'un joli sourire.
Une fois arrivé à la naissance de la vallée d'Ordesa, je tourne à droite direction le nord, et j'abandonne le gros du flot de touristes qui prend la direction opposée. D'un pas alerte je remonte une gorge encaissée. Et là je tombe sur mon troisième arpenteur solitaire. Il s'agit d'un Anglais plus très jeune, élégamment habillé à la langue parfaite d'Oxford ou de Cambridge. En tous cas il parle très distinctement et la langue de Shakespeare dans ces conditions c'est un vrai plaisir. Il a une connaissance encyclopédique des montagnes françaises, et il agrémente sa conversation de petits éclats de rire francs et sonores. Il ne fait pas vraiment dans le flegme. A regret je reprends ma route , j'aurais bien passé la soirée avec lui à l'écouter me conter ses aventures alpestres.
Quelques kilomètres plus haut je tombe sur un petit camping très accueillant. Manifestement l'endroit a aussi eu sa ration d'eau aujourd'hui. Trouver une place pas complètement mouillée pour installer ma tente relève de la gageure. Pas grave, ma tente est bien étanche, trop d'ailleurs. Le restaurant est une merveille, le cadre et le menu ainsi que la gentillesse du personnel me ravissent. Quand je pense aux deux premiers solitaires rencontrés, je me rends compte que contrairement à eux je ne voyage pas à la dure et me laisse vite tenter par les petits plaisirs mis sur ma route. J'en aurai une autre preuve encore plus éclatante dans deux jours, en croisant un vieil Allemand. Je comprendrai toute la signification du mot Sparsamkeit (économie). Pour le moment sans complexe je m'empiffre de mets délicieux, charcuterie fine, légumes cuits juste ce qu'il faut, une magnifique côte bien épaisse et saignante, le tout arrosé d'un Rioja capiteux et fruité d'une belle longueur en bouche. Une fois le repas terminé, baigné d'une douce torpeur, j'essaie de me glisser dans ma tente sans trop me mouiller. Je m'endors sans doute vite , car je n'ai plus aucun souvenir de cette nuit.
Dix-septième jour
Je me réveille bien reposé mais passablement humide, l'air étant tellement saturé en humidité que par capillarité ou autre phénomène physique il a imprégné tous les tissus. Pas de panique, ce n'est pas ce matin que je peux faire sécher mes affaires. Deux possibilités, soit vers midi je me trouve à un endroit bien ensoleillé et au cours d'une sieste d'une heure j'étale le tout, à moins d'arriver relativement tôt cet après-midi et tout aérer à ce moment. Le temps est très beau, le ciel limpide, il fait frais, de bons critères de beau temps. L'étape de ce jour va être particulière sauvage. Je vais longer par le nord les sierras Turbon et Tendegnera ( j'écris gn à la place de n avec tilde, car mon clavier ne comporte pas ce signe). Je ne vais pas voir une seule personne de toute la journée. A vrai dire pour être précis j'apercevrai dans le lointain deux personnes en train d'atteindre le pic de Tendegnera.
Je commence par remonter la route une petite heure et je bifurque à gauche dans un magnifique vallon à l'herbe grasse et aux fleurs nombreuses. La fleur qui va m'accompagner tout au long de cette traversée c'est l'iris des Pyrénées au bleu mauve profond, sans oublier quelques exemplaires jaunes. Je suis encadré de belles faces rocheuses éclatantes parfois aux teintes très claires. Je distingue bien sur le bord droit du vallon le col que je veux atteindre. Je rejoins le petit refuge d'Otal, qui est un véritable taudis et à partir de là le chemin disparaît. Peu de temps auparavant j'ai bien vu quelques vagues traces rouges et blanches certes bien abimées mais bien réelles. Devant moi une pente raide de 500 mètres de dénivelé au-dessus de laquelle un replat semble conduire au col. J'attaque directement, l'herbe se met à glisser. Par endroits je rejoins de petites zones rocheuses qui me permettent de mieux me stabiliser, mais ce n'est jamais difficile bien que les cent derniers mètres deviennent très raides. Comme par miracle je débouche sur un petit replat où une sente mène au col. Un fois arrivé à ce lieu de passage, j'embrasse du regard toute la Sierra Telegnera. Immenses parois calcaires sombres presque noires couvertes de stries horizontales, quelle austérité cette chaîne dégage ! Comme tout grimpeur j'essaie d'imaginer des itinéraires dans ces murs lugubres, rarement montagnes m'ont inspiré cette sorte d'effroi. Il fait bon, j'ai bien avancé je m'octroie une pause dans cet endroit enchanté entouré de roches de toutes les couleurs, cela me rappelle un lieu magique côtoyé comme dans un rêve en Afghanistan.
Par un temps qui se maintient au beau fixe, j'entreprends la descente d'un immense vallon, d'abord à travers pierriers puis par une sente qui serpente dans l'herbe et les cailloux. Au-dessus de moi en permanence les grandes faces sombres striées en forme de pelles de la Sierra Telegnera jettent un regard froid. Une petite stèle adossée à un rocher rappelle la mémoire d'un jeune Anglais qui a voulu dompter ses murs froids. Et toujours pas âme qui vive dans cette nature grandiose. Un petit refuge en bord de chemin montre le même état de saleté que ceux croisés jusqu'à maintenant. L'altitude diminue et la chaleur augmente. Vers les quatorze heures je quitte le royaume désert de la montagne pour me trouver subitement précipité dans le monde bruyant des hommes. Sans transition ou presque je passe des prairies fleuries à une grande carrière surchauffée dans laquelle de nombreux camions soulèvent des nuages de poussière. Me voilà sur le bitume et en quelques kilomètres sous une chaleur torride je rejoins la petite ville d'Escarill. A l'entrée de l'agglomération je m'assois à l'abri dans le premier bistrot. Je commande une grande bière. Le serveur est un grand noir avenant, et bien évidemment la conversation s'engage au sujet du prochain match, France Brésil. Il est sceptique sur la capacité des Français à triompher de cette équipe mythique, bien qu'ils aient déjà joliment réussi cet exploit en 1998 par 3-0 en finale. On verra bien, l'épreuve se déroule dans deux jours. Pour le moment je reprends la marche et traverse cette petite ville endormie sous la chaleur d'un soleil vertical. A l'extrémité nord de cette cité, un grand camping étale sa multitude de mobil homes et de grandes tentes. Une place m'est indiquée, j'y déploie mes affaires, qui vont sécher rapidement. Ma tente montée ressemble à un microbe au milieu de mastodontes.
Dix-huitième jour
Très bonne nuit, aucun bruit, le camping est presque désert, pourtant le mois de juillet n'est pas loin et vu les infrastructures nous sommes dans une région touristique. Peut-être cette ville sert-elle de dortoir au profit de la petite station de ski traversée hier ? Ce matin tout est très sec, ayant dormi tente grande ouverte la condensation est faible. Temps superbe, il me faudra vite quitter ce fond de vallée avant la chaleur. Le temps moyen et froid que j'ai eu jusqu'à présent m'a rendu l'entreprise plus facile. En effet, souvent au cours de narrations concernant le versant sud des Pyrénées ce qui ressort c'est la chaleur présentée comme un facteur de souffrance. Au moins je ne peux pas dire la même chose. Sac rapidement bouclé j'abandonne le camping encore endormi. En quelques centaines de mètres une piste matérialisée sur ma carte est atteinte. Elle suit une petite rivière au pied d'une barre rocheuse. Plein d'espoir sur la beauté des kilomètres à venir, à l'idée que le chemin passe en plein dans cette jolie falaise. Je traverse le cours d'eau sur un barrage. La sente devient minuscule et puis elle disparaît complètement. J'insiste, et commence à escalader des rochers moussus dans une forêt d'arbustes agressifs. Après une demi-heure de bagarre, trempé de sueur et constellé d'épines de toutes sortes je fais demi-tour. De toute évidence pas de chemin. En regardant la falaise qui me domine, je me dit que si un itinéraire s'y faufilait j'en verrais bien quelques traces. Quand on ne sent vraiment pas la chose il ne faut pas s'entêter et avoir le courage de tout reprendre à zéro. Donc je rebrousse chemin et me retrouve devant mon camping une heure plus tard. Une route étroite et tortueuse part à l'ouest et me permet d'avancer dans le flanc de montagne qui doit me donner accès à un grand lac. Donc pas de panique, en faisant un azimut brutal plein ouest je tombe forcément sur ce plan d'eau de belle dimension. La route bifurque au sud, je pars plein champs dans des pentes raides. Je rejoins le lit aride d'un petit torrent qui me permet de déniveler rapidement malgré l'instabilité du sol. J'atteins un collet, duquel un vaste panorama se découvre. Ouf! mon lac est bien là. Mais au fond presque à l'infini je distingue le col par lequel je compte passer. La distance m'apparait énorme, un instant de doute me saisit, d'autant plus que je dois commencer par faire le tour du lac, qui fait quelques kilomètres. Comme toujours dans ces moments de doute, en écartant les doigts sur la carte, je me rassure en constatant que mon col est à moins de dix kilomètres topo. Ce serait bien le diable si en trois heures de marche rapide je n'y arrivais pas. Le calvaire du contournement commence, pas trop mal, même plutôt bien jusqu'au barrage, où je m'arrête pour contempler quelques poissons. Mais une fois de l'autre côté une sente boueuse inclinée vers le lac et complètement défoncée par les troupeaux de vaches va me donner le plaisir d'une bonne partie de glissades et de ''tordages'' de chevilles, toujours avec le risque de piquer au mieux une tête dans la boue et au pire la bouse. Enfin le supplice prend fin. Le collado de Escarra du haut de ses deux mille trois cent et quelques mètres semble déjà plus près. En deux petites heures avec parfois des doutes sur l'itinéraire, j'y suis. La dernière demi-heure est interminable à me casser les mollets sur de grosses mottes de terre. Ces Sierras espagnoles sont absolument magnifiques, jaillissements minéraux sauvages. Aujourd'hui encore je n'ai pas aperçu un être humain, seulement de loin de nombreuses vaches, mais à part cela pas un être vivant mis à part quelques grands oiseaux. Des rochers aux formes étranges ornent les crêtes qui m'entourent. Le contraste entre les fonds de vallons verts et fleuris et ces crêtes arides et déchiquetées est frappant. La rapidité avec laquelle on passe d'une ambiance à l'autre est aussi source d'étonnement.
Encore une immense vallée se présente à moi. Quelques deux kilomètres plus bas je retrouve le Gr 11, mais pas plus de monde. La gorge se resserre en ondulant, ce qui est du meilleur effet esthétique. La grande vallée perpendiculaire conduisant au Somport n'est plus très loin. Un peu avant de la rejoindre, le Gr 11 d'après ma carte tourne à droite en restant en hauteur. J'en perds la trace et me dirige vers un petit fort gardé par des militaires en armes, afin de me renseigner. Ils n'ont pas l'intention de me parler et me signifient sans ambigüité de m'arrêter à distance. Assurent-ils la protection d'explosifs, me prennent-ils pour un représentant de l'ETA prêt à remplir mon sac de pains de dynamite? Le problème du terrorisme est bien réel en Espagne, j'obtempère immédiatement et m'éloigne. Mais alors où passer? Une route part plein sud rejoindre la vallée mais quel détour pour moi qui remonte au nord. Le fort est sur un terre-plein duquel en contre-bas je vois le Rio Aragon. En piquant directement , je peux le rejoindre en une centaine de mètres. Mais c'est raide et instable. Dans ma jeunesse j'étais champion de course sur pierriers pentus, c'est le moment de voir si j'ai perdu le sens de l'équilibre au milieu d'un flot de caillasses dégoulinantes. C'est parti, je reste debout et j'y mets tout mon honneur, car du haut de leurs remparts les militaires m'observent, donc il n'est pas question de m'étaler. Ça se maîtrise bien, de plus la taille des cailloux augmente, ce qui améliore les appuis et hop je me récupère en-bas, et les têtes sont toujours là-haut. Je leur tirerais bien la langue tout heureux de ne pas leur avoir donné la joie de m'étaler tout au long de cette pente sévère.
Un sentier comme je les aime en bord de rivière, protégé du soleil me remet en direction du col du Somport. De temps à autre des raidillons en caillasses raides et brûlantes me font suer. Et là, dans un passage en plein soleil je rencontre mon quatrième solitaire. Il ne s'agit pas d'un ''traverseur'' de Pyrénées, mais d'un pèlerin vers Saint-Jacques de Compostelle par la voie du Somport. Il est d'âge avancé, à mon sens au moins soixante dix ans et de nationalité allemande. Son matériel semble dater de Mathusalem, et de toute évidence il peine sous la charge et la chaleur. Nous engageons la conversation, il m'explique sa démarche. Je perçois toute la force des mots Sparsamkeit et Armut (économie et pauvreté), lorsqu'elles sont subies volontairement. Cet homme dégageait une force et une sérénité dans son adversité, j'en suis resté tout chaviré. Manifestement nous ne faisons pas tous les mêmes voyages! Au contact de tels êtres j'ai presque honte de ce que je fais. Faut-il pratiquer le voyage en faisant vœu de pauvreté pour toucher au sublime, peut-être ? Cela demande-t-il beaucoup de courage ou une grande foi ? Peut-être les deux ? Ce contact restera gravé en moi de façon indélébile, pourtant nous n'avons pas parlé plus de cinq minutes. De la vertu des chemins que l'on ne trouve pas. Moi, le touriste pressé à la démarche stakhanoviste je repars un peu ébranlé. Plongé dans mes pensées, j'arrive devant un ouvrage de captation qui laisse couler un grand jet frais. Je m'en arrose et bois à satiété. Peu après, en faisant un court détour j'arrive à un petit camping perché, il est adorable et, comble de bonheur, je suis le seul client. Je m'installe dans l'herbe constellée de fleurs, que demander de plus ? Je rejoins le petit bistrot et le patron me raconte une multitude de choses, que j'écoute religieusement en descendant quelques bières. J'essaie de ne pas trop penser au vieil Allemand pour ne pas avoir mauvaise conscience, mais la bière fraîche c'est quand même bon. Dans la conversation, je lui demande s'il fait à manger. Il me répond par la négative mais il me vante la qualité du Parador qui se trouve un ou deux kilomètres plus bas. Entre ma purée soupe et une petite marche à pied, mon cœur ne balance pas longtemps, en avant. Ce monumental bâtiment de l'époque franquiste me fait penser à certains pays ex-communistes. L'accueil est très correct, le personnel stylé, le menu offre un large choix et la nourriture est de qualité et le Rioja toujours aussi facile à boire, le tout pour un rapport qualité-prix imbattable et sans doute introuvable en France, qui n'est pourtant pas loin. Donc une fois encore je m'en mets plein la lampe et, la nuit bien avancée, tout guilleret, je rejoins ma tente.
Dix-neuvième jour
Les montagnes qui dominent le camping sur le versant opposé sont extraordinaires. Hier du fait du contre-jour, je ne les avais pas vraiment vues telles qu'elles sont. Aujourd'hui toutes éclairées par le soleil du matin, elles montrent une multitude de recoins, et leurs formes tourmentées et acérées montent à l'assaut du ciel. Jusqu'au col du Somport, c'est à dire durant une petite heure je suis sur le sentier de Compostelle en sens inverse. Je croise donc quelques pèlerins, dont un, un peu excentrique, qui commence à me questionner et à noter mes réponses. Aïe aïe aïe ! je suis loin de mon vieil Allemand économe entre autre de ses paroles. Les installations du col sont vastes, je les traverse et poursuis plein ouest par le Gr11. La marche est agréable. Le chemin fait un immense détour au fond d'une gorge boisée. Un peu avant le lac d'Estanes, je rencontre mon dernier solitaire. Encore un Anglais qui suit la HRP. La traversée du pays basque avec vingt mètres de visibilité dans un terrain sans point vraiment caractéristique lui a laissé un souvenir profond. Le contournement du lac est pittoresque et très agréable. Je débouche à un petit collet et pris par le rythme, mon attention focalise une trace qui va m'éloigner de l'itinéraire. Je traverse un pierrier sous une barre rocheuse. Il semble qu'une vire la parcoure une cinquantaine de mètres plus haut. Des fois on prend ses désirs pour des réalités. Le chemin doit être sur cette vire. Je remonte une pente caillouteuse raide et attaque la paroi. Les pieds sont en adhérence et il faut me tracter avec les bras, mais je continue. Une pierre siffle. Je lève la tête et vois une harde d'isards sur une pente à ma verticale qui me lance des pierres. Je reprends mes esprits. Mais qu'est-ce que je fais en train de faire de l'escalade à la recherche du Gr ? je fatigue !!! Je redescends en faisant attention. De toute évidence au collet j'ai loupé l'itinéraire qui devait plonger devant la grosse pierre que j'ai contournée. Mais je ne fais pas demi-tour. Je continue sur le pierrier précité et j'oblique vers la falaise au-dessus de laquelle je me trouve pour essayer d'y trouver un passage. Une gorge profonde et très pentue donne accès à la large plaine que je dois suivre. Les premiers mètres presque verticaux sont en terre avec quelques végétaux, puis j'aborde des rochers très raides mais d'excellente qualité, encore de l'escalade mais les prises sont franches. Un petit passage vertical et un dernier pas nécessitant de s'étirer au maximum, et pour moi qui ne suis pas souple c'est le calvaire, et enfin je prends pied au fond de cette gorge austère et rejoins l'herbe. Il serait temps que je fasse un peu plus attention, ne pas être capable de suivre un chemin somme toute bien balisé, il y a du souci à se faire. Là encore l'erreur m'a fait parcourir des recoins très jolis. Je descends cette large vallée, orientée au nord, peuplée de vaches s'égayant au milieu de zones marécageuses. Je croise de nombreux promeneurs. Coude à 90 degrés gauche vers l'ouest, un petit à pic et au-dessous une piste au terminus de laquelle de nombreuses voitures s'entassent. Durant cinq ou six kilomètres je la suis. Elle est poussiéreuse et exposée en plein soleil. Le rendement baisse et je fais un sérieux effort pour avancer. Arrivé au bout de cette vallée, le chemin part plein ouest. Je suis la route, orientée au sud, qui descend trois kilomètres plus bas à un camping. Un peu avant d'y arriver une source jaillit d'un rocher. Je me mouille la tête et bois largement. Une fois au camping, le coin est délabré et à l'abandon. Une très mauvaise sensation me submerge, ce lieu m'est très hostile. Bien qu'il soit seize ou dix-sept heures, marche arrière et je retourne chercher le chemin et pars directement sur l'étape suivante. Incroyable, l'esprit mobilisé par l'étape nouvelle, la fatigue disparaît et je me sens comme neuf. Une fois de plus je perds mon itinéraire, attiré dans le vallon qui conduit aux aiguilles d'Ansabère. Un berger me confirme l'erreur. En tirant directement dans la pente plein sud et en gardant le cap parfois à la boussole tellement ce vallon à tendance à me ramener trop à droite, je finis par retrouver le bon vallon et le col de Petraficha. La lumière est extraordinaire, le temps change, un orage se prépare, que la montagne est belle dans ces conditions, surtout lorsqu'on est seul. Du col, la Sierra d'Alano se dévoile dans toute la splendeur de ses multiples faces blanches. Je vis un grand dépaysement sur ce chemin. Je passe un petit refuge dans lequel un jeune couple se prépare à passer la nuit. Il est sordide et son état lamentable me dissuade de m'y arrêter. La pluie arrive, je presse le pas. Le village de Zuriza n'est plus qu'à quelques kilomètres. Je fonce tant que je peux sur la piste. La pluie s'accélère et à nouveau de véritables trombes. Je vais faire quelque chose à ne pas faire. Un petit pont, je m'abrite dessous. J'enlève mon sac mais je guette en amont si le flux d'eau n'augmente pas brusquement, ayant repéré une petite pente pour fuir à la première alerte. Effectivement le niveau monte mais de quelques centimètres seulement, enfin le déluge s'interrompt. Je reprends la piste et arrive dans le village. Je m'imaginais au bout du monde et bien non, une foule compacte se presse au camping. Mais d'où sortent-ils? En trois heures de marche je n'ai vu que quatre personnes en comptant le berger. De toute évidence c'est un lieu prisé des Espagnols. Une fois encore je m'installe sur un terrain complètement détrempé. Mais que la région est jolie, des près bien verts couverts de fleurs, et le tout entouré de magnifiques montagnes bien rangées en ligne, toutes brillantes de pluie sous le soleil du soir. Vite une télé, c'est France Brésil! Un chahut incroyable dans une immense salle, la plupart n'étant plus intéressés depuis l'élimination de l'Espagne, mais tout le monde passe et repasse les bras chargés de nourriture et de gros bocks de bière. Dans le fond j'aime bien ces foules bruyantes secouées de gros rires. Il n'est pas toujours facile de suivre dans ce mouvement permanent le déroulement de la partie.
Vingtième jour
Une journée magnifique s'annonce. Vite sur pied, c'est parti pour la journée. Mais d'où sortent tous ces gens. Au collet où je dois quitter la route à quelque distance du camping, de nombreuses voitures stationnent. Le chemin commence à grouiller de randonneurs. Bien que cette partie de l'itinéraire semble très jolie, une petite route à l'allure plus calme la contourne. Je n'hésite pas longtemps, et c'est comme cela que je parcours quelques kilomètres de goudron avant de plonger dans une jolie gorge en sous-bois, qui me conduit à la charmante petite ville d'Izaba. J'effectue un arrêt sur la place centrale, où des enfants s'amusent. La fontaine est la bienvenue. A la sortie de l'agglomération un sentier pentu mène à l'église ''Nusestra Senora de Idoia''. Nous sommes le premier dimanche de juillet, et c'est le jour de la procession annuelle. De nombreux croyants en habits traditionnels montent à la petite église. J'y pénètre et dépose mon obole. Ce que je n'avais pas prévu, c'est que ma pièce provoque le déclenchement de la lumière , qui éclaire vivement l'espace qui sans cela reste sombre. Moi qui voulais passer inaperçu, c'est loupé. Je ne m'attarde pas. Dès que le mur d'enceinte est dépassé, comme par enchantement je retrouve la solitude qui m'a accompagné sur la majeure partie de ma traversée. Le chemin parcourt une magnifique forêt escarpée, composée d'arbres à feuilles caduques. Le col de Kakueta est atteint. Là, plus de doute le pays basque commence. D'un coup la fin me semble approcher. Les crêtes s'arrondissent et s'adoucissent. La vue se dégage presque jusqu'à l'infini. Le Pic d'Orhy, pyramide culminant à 2017 mètres, marque l'entrée dans la dernière ligne droite, signe psychologique fort que j'attends depuis le départ de Banyuls. Pour le moment il se situe au nord-ouest par rapport à ma position. Au cours d'une marche enthousiaste orientée à l'ouest le long d'une piste entourée de pinèdes, il va se positionner plein nord puis il se déplace vers l'est. Ce mouvement apparent du Pic d'Orhy que je dépasse me procure un immense plaisir, la vie dans le fond c'est pas trop compliqué! Une grande descente donne accès au village d'Ochagavia. Petite bourgade à l'architecture carrée. Les maisons sont magnifiques, massives et bien entretenues. Les portes souvent ouvertes laissent voir des intérieurs raffinés, de jolis meubles en bois et de magnifiques plafonds à la française, dont les poutres bien entretenues donnent un réel cachet à l'ensemble. Je demande si un magasin d'alimentation est ouvert, il m'est répondu «hoy domingo». J'avais oublié. De plus, pas de camping, alors c'est forcé et contraint (tout du moins ma conscience est sauve en pensant au vieil Allemand) que je me dirige vers un charmant petit hôtel au bord de la rivière près du centre. Il est bien dans le style des intérieurs aperçus, cossu et de très bon goût. Toutes les prestations sont de qualité et le prix modique. Un groupe d'Anglais lancés dans la traversée des Pyrénées à vélo y séjourne aussi.
Vingt-et-unième jour
Un petit jour triste et brouillardeux se lève. Je n'y couperai pas à la navigation au radar. De plus à partir d'aujourd'hui j'abandonne mes cartes confortables au 50 000 pour passer à la 100 000 de l'IGN numéro 69. Après un copieux petit déjeuner je m'enfonce dans les brumes. Tout relief a disparu. Sans difficulté je rejoins le monastère qui domine sur une petite crête. Puis en avant vers la Sierra de Abodi, vaste croupe orientée est ouest. Un large chemin non mentionné sur ma carte coupe cette montagne à mi-pente. Le Gr le suit. Mais après une bonne heure de marche cela me semble bizarre, j'aurais dû commencer à monter vers le sommet. De toute évidence je l'ai encore perdu. Je fais marche arrière jusqu'à un petit bois et là, la progression à la boussole commence. Les joies du pays basque. Je ne devrais pas tarder à intercepter la crête et en la suivant je devrais couper le chemin. Je n'aurai pas la peine d'atteindre le sommet, je tombe sur un piquet peint aux sacro-saintes couleurs rouge et blanche. Mais une fois de plus l'erreur m'aura été bénéfique. En effet dans un champ, je suis tombé sur des vautours. Au sol ils ressemblent à de gros dindons à long cou. Mais dès qu'ils déploient les ailes et prennent leur envol le spectacle est de toute beauté.
Une fois au sommet de cette sierra, le brouillard se déchire par intermittence, ce qui me permet de voir l'immense pan de forêt à descendre. A nouveau le balisage m'échappe, ce n'est pas grave car une rivière et un grand lac doivent me servir de barrière d'arrêt. Dans mon sac, toutes mes affaires sont réparties dans des sachets de congélation de différentes tailles, je dois même pouvoir traverser une rivière à la nage sans mouiller grand chose, mais enfin si possible éviter et localiser le pont. Je retrouve la petite route qui conduit au point de franchissement. Je tombe dans une clairière sur une belle poussée de cèpes de Bordeaux, oui des vrais boletus edulis. Malheur, que faire ! Je ne peux les ramasser, durant la vingtaine de kilomètres que je compte encore parcourir ils seront réduits en bouillie. Il paraît que cru c'est bon, c'est l'occasion d'essayer. J'en repère un joli bien ferme et je le croque à pleines dents. Au début on sent bien ce fumet subtil et fort du cèpe, mais rapidement la consistance en bouche donne une sensation de mélasse un peu cartonneuse difficile à mâcher. Je n'aurais peut-être pas dû en engouffrer un si gros morceau. Mais j'arrive au bout de mon champignon, et en attaque un second. Là par contre, je vais déclarer forfait avant de l'avoir terminé. La mort dans l'âme j'abandonne le reste de la petite troupe à gros pieds. Je me dis qu'ils feront peut-être la joie d'un chercheur, s'il ne tarde pas trop.
J'arrive au pont, traverse et longe la rivière jusqu'au lac. Je croise quelques promeneurs. Le brouillard retombe de plus belle. Le chemin suit un bras du plan d'eau, qui vient tangenter la frontière. Cinquante mètres de visibilité c'est rigolo, mais pas trop longtemps. Soit je reste sur le Gr 11 et ses mille mètres d'altitude dans la purée de pois, soit je pique sur la France et rejoins le village d'Estérençuby dans la vallée. Option France, je passe par dessus une clôture à vaches et me retrouve sur un petit parking. Plusieurs voitures stationnent. Toutes les plaques d'immatriculation sont françaises, c'est le seul indice qui me confirme que j'ai changé de pays. Le brouillard, lui il s'en fout de la frontière. Par une petite route, encombrée de belles grosses vaches blanches, qui serpente au fond d'une petite dépression je progresse vers le nord. La visibilité baisse de plus en plus. Des points de repère caractéristiques de la carte à proximité de la route restent invisibles. Avec la multitude de courbes je ne me situe plus exactement et pourtant je voudrais bien intercepter le Gr10.
Enfin je le vois. Sans encombre il me conduit au village. Par beau temps ce parcours sur de grosses bosses doit être sublime, mais cet après-midi les yeux rivés sur de l'herbe mouillée et glissante dans un paysage fantomatique, ce n'est pas ce qu'il y a de mieux. Ne nous plaignons pas, l'ambiance n'en est pas moins superbe avec son petit côté mystérieux qui cache tout au regard. Imaginer sans voir laisse libre cours à tous les phantasmes. Arrivée dans le village, il fait sombre, les maisons serrées dans le brouillard sont presque lugubres. Un petit hôtel, je m'y précipite. Un pur et dur, qui commence une traversée s'est installé au bord de la route, je suis bien content de ne pas faire de même. Ce soir encore, une équipe de cyclistes, français cette fois, est engagée dans la traversée des Pyrénées. Ils espèrent mettre une semaine.
Vingt-deuxième jour
La météo ne prévoit aucun changement pour les jours à venir, brouillard à partir de 600 mètres d'altitude. Pas de problème j'ai toujours rêvé longer la Nive, car cette rivière comme l'Adour m'a toujours intrigué. Donc je rejoins Saint-Jean-Pied-de-Port et de là je longe la rivière. Déception, pas de chemin, je suis acculé à rester sur la route tout au long jusqu'à Combo-les-Bains. Et là, première semaine de juillet le flot des touristes a commencé. Dans un vacarme permanent je vais rejoindre cette station thermale et d'un coup l'envie s'en va pour de bon. J'ai vraiment quitté les Pyrénées. Rejoindre les plages,et les remonter au milieu des baigneurs avec mon piolet dans le dos, c'est une histoire à me faire mettre la camisole de force et terminer chez les fous. Dans le fond j'ai bien fait de ne pas ''gâcher'' cette superbe balade Biarritz Arcachon par le bord de mer, car je la ferai avec un camarade en février 2008 et nous avons passé cinq jours superbes sur des plages désertes et durant des bivouacs sous la gelée blanche. L'étape jusqu'à Combo est longue, le goudron ça finit par casser les pattes. Pour la première fois en trois semaines j'ai des courbatures. La fin du parcours se fait sous la pluie. Cette nuit encore l'hôtel, monter la tente sous des trombes je n'en ai pas envie. Un coup de téléphone pour consulter les horaires de train, et demain en trois changements je rentre chez moi.
En conclusion je dirai qu'en écrivant ce récit avec deux ans et demi de recul, je suis étonné de la fraîcheur des souvenirs que j'en conserve. Sans doute le fait d'être seul y est pour quelque chose. En effet en montagne sans compagnon, on est plus exposé aux aléas et l'accident peut être beaucoup plus lourd de conséquences. Instinctivement on intègre cette situation et les sens sont plus en éveil. Cette concentration accrue favorise un meilleur contact avec la nature, et nous imprègne au delà de ce que l'on pense. Bien sûr je ne ferai pas l'apologie de ce genre de pratiques, qui ont leurs inconvénients et qui sont souvent réprouvées, normes de sécurité obligent, cependant ces grandes balades en solitaire en montagne apportent beaucoup. Partir seul et durant trois semaines, n'avoir à s'occuper que de soi et focaliser toute son attention au point de vue matériel uniquement autour de la dizaine de sacs de congélation que l'on transporte dans son sac à dos, représente un immense repos de l'esprit. Pas de voiture, pas de papiers envahissants, personne avec qui négocier, pas de perte de temps à retourner une masse d'affaires. On ne possède que le strict nécessaire, les déballages et les rangements ne prennent pas de temps. On se sent comme affranchi d'une dimension matérielle, cependant se sachant autonome. Si j'aime partager des joies en montagne devant des paysages fantastiques et faire découvrir les lieux que j'aime, m'y trouver seul m'apporte une émotion qui m'est vitale.
10:07 Publié dans voyage en marchant | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : randonnée, montagne, solitaire, pyrénées
27/12/2008
plages girondines
Un matin du mois de janvier 2006, je me lève en même temps que mon frère vers les six heures du matin. Son épouse, raffinement suprême, nous prépare un petit déjeuner confortable. Lui part au boulot et moi marcher deux jours sur le bord de l'océan.
Mon frère monte dans sa voiture un peu dubitatif quant à cette idée de remonter jusqu'à la pointe de Grave à pied en hiver, surtout qu'il gèle. Pierrette en nous regardant partir dans la nuit, lui en voiture et moi à pied, rigole, en effet cela fait plus de trente ans qu'elle me prend pour un fou, pas méchant mais fou quand même. Au bout du petit chemin il tourne à droite en direction de Bordeaux et moi je m'engage à gauche vers le centre du village du Porge.
Dès que le bruit du moteur de sa voiture décroît, le silence reprend rapidement tous ses droits. A cette heure matinale le froid mordant et la nuit noire règnent en maîtres. Pas un chat dehors! Au centre près de l'église, une petite route se dirige plein ouest droit sur la mer. Cet itinéraire, qui permet d'atteindre la plage du Porge en une dizaine de kilomètres, est à cette heure et à cette époque totalement désert. Route caractéristique de cette région, les pins m'encerclent et seul l'axe de la chaussée dessine une brêche dans ce mur végétal.
Ciel très clair, de nombreuses étoiles, pas de vent, cristaux de givre luisant sur l'asphalte, je me sens prodigieusement bien, tout à fait à ma place. Les conditions de marche sont idéales. Mon pas est alerte. Je marque une petite halte au niveau du pont qui enjambe le canal reliant le lac de Lacanau au Bassin d'Arcachon. L'eau est immobile, tel un miroir reflétant de façon diffuse la clarté hivernale du ciel. Pas un bruit, je prête l'oreille et n'entends pas le moindre bruissement en provenance de l'océan. Bien que le rivage se trouve encore à plus de cinq kilomètres, cela signifie que le calme règne sur la plage. En effet mon frère à bien plus de dix kilomètres donne avec une bonne précision la hauteur de la houle, bien sûr en hiver en l'absence de tout son parasite. M'arracher à la contemplation de ce ruban liquide noir sans une ride me demande un effort. Dans cette quiétude, des scrupules m'assaillent à l'idée de me remettre en marche, de peur de briser ce sortilège par le raclement de mes semelles. Cependant je réussis à rompre le charme et me mets en mouvement.
Rapidement après avoir dépassé les campings déserts, le parking devant la dune est atteint. Plus de dix kilomètres en moins d'une heure trente, c'est un bon début. Une véritable frénésie s'empare de moi, l'envie se fait pressante de passer cette barrière de sable qui m'empêche de voir la mer. Une fois surmonté le dernier pointement de la dune, l'immensité de l'océan, en se révélant d'un coup, produit invariablement la même émotion puissante. Le jour vient de se lever. Toujours la même curiosité quant au détail devant ce spectacle, quelle est la hauteur de la houle? Sans doute la déformation due aux séances de pêche.
Je dévale la pente et commence à peiner dans le sable en direction de la partie de la plage léchée par les vagues. En effet, sur cette bande mouillée toujours étroite à marée haute et souvent très large à marée basse, la progression est facile et particulièrement agréable, car le sol est ferme et la caresse des vagues omniprésente. Devant moi vers le nord la visibilité faible, du fait de l'humidité et du sable en suspension, me donne l'impression de me diriger vers nulle part. Je trouve à l'air un peu de cet aspect qu'il prend souvent en Afrique. La vue, qui ne porte pas très loin, est rapidement noyée dans un brouillard diffus de couleur brun clair. Il ne me reste plus qu'à remonter vers le nord sur soixante dix kilomètres avec pour seuls éléments le ciel le sable et l'eau. En effet à ma droite la dune masque la forêt. Cette absence de repère donne un caractère très étrange à la marche.
A vrai dire, les oiseaux sont les seuls jalons rendant un peu de matérialité à ces trois éléments sable, ciel et eau qui s'entremêlent sans laisser distinguer de limite bien nette entre eux. Des mouettes et des petits oiseaux dont j'ignore le nom peuplent la grève. Les premières sont en grandes bandes, qui au fur et à mesure que je m'approche, s'éloignent en petits vols et se reposent sur la plage un peu plus loin, m'accompagnant . Après une succession de quelques bonds de faible ampleur, voyant que l'intrus n'a pas l'intention de s'arrêter, par un large mouvement courbe, elles me survolent et viennent se positionner derrière moi. Quant aux petits oiseaux, ils s'affairent d'un pas court et rageur en se pressant juste au ras des vagues. Leur long bec fouille le sable en permanence à la frange des flots. Les contempler permet de constater que les ondulations de la mer au contact du rivage prennent des formes multiples. La grosse masse d'eau qui déferle d'un coup sur le sable, l'écume qui remonte plus ou moins lentement, la petite risée qui s'étale de manière imperceptible parfois sur une grande distance, et chacun de ces mouvements entraîne de la part de ces volatiles de faible taille une course plus ou moins longue, plus ou moins précipitée.
Après quelques kilomètres, je dirais presque malheureusement, dans le lointain la station balnéaire de Lacanau commence à se dessiner, faisant disparaître le côté irréel de cette randonnée, en me rendant des supports tangibles auxquels le regard peut s'accrocher. Cependant la ville grossit lentement, comme si elle avançait avec moi. Puis je distingue une personne au bord de l'eau.
Je rentre dans le bourg. Il est dix heures, déjà plus de vingt kilomètres. Je m'arrête boire un café dans le seul bar ouvert. Avec mon sac à dos je suscite de la curiosité par ce matin froid du début de janvier. Rapidement je réalise que le rythme a été rapide et de fait j'envisage d'aller jusqu'à Hourtin ce soir. Mais vais-je y trouver de l'eau? Ne pas se louper car l'eau de mer même pas la peine d'y mettre des pastilles d'épuration, elle ne se boit pas. Je prends trois litres supplémentaires et c'est reparti. A nouveau cette impression fascinante de se diriger vers le néant. Je me sens merveilleusement bien. Nous sommes vendredi, je pense à tous ces gens qui s'empilent dans les villes alors que j'ai le privilège de me trouver seul dans cette nature immense. La France est le plus beau pays du monde, de telles sensations pourquoi vouloir les chercher de l'autre côté de la planète, alors que si près on se sent tellement loin. La plus concrète impression de vie, c'est cette adaptation à la nature. Je suis comme le renard, l'après-midi est bien entamée et dans moins de deux heures il fera nuit, je sais que je vais rejoindre le couvert de la forêt et me coucher à même la mousse. Attendre sans anxiété la tombée de la nuit qui va entraîner une longue immobilité, et faire corps avec la nature, ce sont à mon sens les plus sublimes récompenses du promeneur solitaire.
Apparaît le village, je repasse la dune et marche les derniers kilomètres sur le chemin qui emprunte la vieille piste allemande du mur de l'Atlantique. Une fois parmi les maisons, je retourne sur la plage pour une dernière salutation à l'astre du jour, puis recherche sans trop y croire un bistrot. J'ai de la chance, je tombe sur une petite épicerie faisant débit de boissons. J'en profite pour boire un chocolat chaud et acheter une brique de soupe. Le patron me demande si je suis sur le chemin de Compostelle, car il y a une variante qui longe la côte girondine, le départ se situant en Hollande. D'ailleurs je me souviens avoir interrogé trois jeunes marcheurs, assis au pied de l'église du Porge. Ils venaient de Belgique et allaient à Saint-Jacques. Pour ma part je me rendais seulement à la boulangerie pour acheter du pain. Par solidarité envers les pèlerins, je leur ai offert à chacun un gros gâteau, qu'ils se sont empressés d'engloutir. Le chien voyant que je l'avais oublié me jeta un regard implorant, mais en réalité je n'avais pas osé l'inclure, sachant que le sucre lui ferait du mal. Donc, revenons à notre tenancier. Après quelques échanges, nous nous saluons.
Je sors de l'épicerie et me mets à la recherche d'un point de chute pour la nuit. Il ne va pas falloir traîner si je veux monter ma tente de jour. Juste à la sortie du village une petite bosse touffue, j'enjambe la craste en bordure de route et rejoins le sommet. Superbe, une petite surface plane et moussue enserrée entre les arbres me dévoile tous ses secrets. Je me souviens du conseil de mon frère, s'assurer de ne pas stationner sur les sentes de passage des sangliers, parce que lorsqu'ils déboulent, ils foncent, tente ou pas. Très vite je suis installé, la soupe chauffe, je me sens bien dans mon sac de couchage, le mot gemütlich me vient à l'esprit pour décrire la sensation que je ressens dans mon petit chez moi. J'ai emporté une méthode de grec et je m'en donne à cœur joie. Par moment au cours de la journée dans ma marche sans repère je déclamais de grandes phrases de mon petit livre afin de les mémoriser plus facilement. Une fois la soupe chaude, je l'engouffre en me brûlant. Normalement je devrais m'écrouler de sommeil, mais comme souvent lorsque l'effort a été important, plus de quarante cinq kilomètres, le repos tarde à venir. L'hiver les nuits dehors ne sont jamais très confortables, en particulier du fait de la condensation dans la toile de tente, tout particulièrement dans une forêt. Mais cela n'entame en rien ma joie et mon plaisir. Enfin je m'endors puis au jour naissant j'ouvre les yeux. Tout est calme, pas le moindre bruit émis par la civilisation. Je bois directement à la brique le reste de soupe, plie tout et repars parmi les pins. Je me trouve sur le chemin de Saint-Jacques en sens inverse. Mais son parcours, d'une part est pénible à cause du sable instable sous les pieds, et d'autre part il ne passe pas assez près de la grève à mon goût. Donc virage à gauche vers l'ouest et sus à la dune. Vite, vite le sommet, oui la mer est toujours là! Je dévale et cours vers l'eau. Aujourd'hui les vagues sont plus conséquentes. Que ce spectacle de l'océan désert est grandiose! La mer vide de bateau me rappelle l'Albanie. A nouveau le miracle se produit, je marche vers nulle part, que cette sensation est étrange et agréable! Je perds la notion des distances et du temps. La commune de Montalivet est à une vingtaine de kilomètres. Après trois heures de marche face au flou, à nouveau le regard se pose sur des repères et l'enchantement change de nature. La plage n'est pas uniforme en matière de déclivité. Par endroits elle est vraiment plate et l'eau se retire très loin. Je marche parmi une foison de petites mares et de petits bras d'eau , parfois il me faut sauter, je dois même enlever mes chaussures pour traverser une petite rivière au courant vif. La marée descendante découvre de larges portions de sable et je vais me perdre parmi les baïnes. Les multitudes de petites rigoles ont creusé le sable à la manière de grands canyons en miniature. Avec à peine un peu d'imagination, je me prends à l'idée d'être au hublot d'un avion survolant une région particulièrement érodée à perte de vue.
Vers midi je suis au village. Un bistrot est ouvert, une foule compacte s'y agglutine et joue au tiercé. L'ambiance est survoltée, j'aime le contraste, comme le sucré salé d'une bonne cuisine.Je me sens bien dans cette cohue d'anciens qui s'affairent sur leur bulletin dans la perspective de ramasser le pactole. Moi, mon pactole je le ramasse depuis hier à pleines jambes et à plein regard. Je reste un bon moment, toujours fasciné par cette frénésie joyeuse déclenchée par le jeu d'argent.
La localité suivante, Soulac, se trouve à une quinzaine de kilomètres. La fatigue commence à se faire sentir. La côte change de configuration. Elle n'est plus rectiligne mais s'incurve en mouvements amples. Le sable est parsemé de gros blocs compacts et sombres. La dune semble s'élever. Je décide de la rejoindre afin de profiter d'une perspective différente. J'emprunte un petit chemin qui enchaîne montées et descentes interminablement. Le sable fin et sec rend la marche pénible, tout particulièrement lors des montées. Brutalement je bute sur un parking. L'entrée en ville se fait par une longue allée rectiligne. Arrivé au centre, je me pose la question , vais-je à l'hôtel? Le premier sur mon chemin est fermé. En face se trouve la gare. Il est quinze heures, pas de train avant demain matin, c'est le Far West. Je prends froid, la fatigue aidant je sors mon portable et appelle Sainte Pierrette qui, une grosse heure après, apparaît toute souriante et m'emporte dans sa belle voiture bien chauffée. L'atlantique en Gironde j'adore!
PS: Je ne suis pas allé jusqu'à la Pointe de Grave. En effet bien souvent je m'arrête avant la fin de ce que je prévois, car ce goût d'inachevé m'évite la douleur du rêve qui disparaît avec le dernier pas. Par exemple lorsque j'ai traversé les Pyrénées, au départ m'étant trempé dans la Méditerranée, je me suis arrêté à dix kilomètres de l'Océan, car là un grand rêve prenait fin et la tristesse m'envahissait. Je me souviens de ma petite enfance, lorsque je fréquentais assidûment les Alpes avec mon père, je contemplais nombre de belles parois. Celle qui me fascinait le plus était la splendide et très esthétique face sud de la Meije, qui jaillit sur huit cent mètres. Puis un jour, à vingt deux ans, j'en ai caressé le rocher fauve. Cette montagne qui avait bercé tous les rêves les plus fous de mon enfance, qui représentait la consécration de l'alpiniste, je venais d'en faire l'escalade. Assis au sommet, après quelques secondes d'exaltation, un sentiment de tristesse m'avait saisi. Que restait-il de mon beau rêve maintenant qu'il était devenu réalité?
Je pense souvent à la citation de Saint-Exupéry que je cite hélas avec approximation: seule compte la démarche, car c'est elle qui dure et non le but qui n'est qu'illusion du voyageur qui va de crête en crête pensant que l'objectif seul est important.
04:46 Publié dans voyage en marchant | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sable, hiver, mer, randonnée, solitaire, bivouac
26/12/2008
chemin cathare
Chemin cathare mars 2007
voyage au pays des citadelles du vertige
Après bien des contretemps je suis enfin parti pour cette randonnée dans les contreforts pyrénéens au pays des vignobles et des châteaux perchés en haut de pics rocheux.
Lundi matin départ en train direction le sud. Cela me remémore mes escapades passées, en particulier la traversée des Pyrénées. Le temps n'est pas franchement beau et les prévisions très pessimistes. Après un hiver particulièrement doux, je me dis que cela va être un balade de plaisir dans une nature clémente. Et bien non, juste avant que le train ne commence à freiner en approchant de Port la Nouvelle, une pluie particulièrement violente accompagnée d'un vent proche de la bourrasque semble me dire que le chemin cathare ce n'est pas forcément gagné. Le train stoppe, je cours sur le quai et me précipite à l'abri . J'en profite pour me préparer à partir dans la tourmente en espérant que l'intensité de la pluie veuille bien diminuer. A ces moments, on se demande ce que l'on fait, là, seul à vouloir prendre le chemin. Mais bien vite, dès que l'action s'engage, les incertitudes s'estompent, et on se retrouve à lutter contre les intempéries et ainsi le voyage commence. Je suis toujours surpris de voir avec quelle vitesse le corps puis l'esprit s'adaptent aux conditions. Très rapidement la volonté n'est plus tendue que vers la première étape à accomplir. Cette petite ville balnéaire et industrielle ne présente pas beaucoup de charme, tout du moins la partie que j'en ai traversée. Une fois en périphérie de l'agglomération je trouve les premières indications du chemin. Nous sommes bien en France, partout fleurissent signes et inscriptions de contestations en tous genres. Les panneaux indicateurs du chemin cathare sont badigeonnés à la peinture noire, la protestation fait rage contre les éoliennes, contre la ligne à haute tension et même contre Zoé. Qui est-elle?
Le chemin s'élève vers l'ouest, le vent de face est très violent et irrégulier. Je suis en pleine giboulées de Mars. La nature s'épanouit de toutes parts, fleurs et buissons de la garrigue. Ce ciel de contraste, du au défilement de nuages à grande vitesse, associé à l'éclat donné par la pluie renforce l'intensité des couleurs. Le mauvais temps n'a pas que de mauvais côtés. Le panorama s'élargit à la mer et aux grands étangs côtiers. La marche est très agréable et le rythme soutenu. J'arrive à une longue ligne d'éoliennes. Un grand panneau explicatif donne à qui prend le temps de le lire une multitude d'informations à caractère économique et technique. J'apprends en particulier que ce type d'installation est automatisé à l'extrême. La machine régule sa mise en marche en fonction de la vitesse du vent, jusqu'à se mettre à l'arrêt à partir d'une vitesse supérieure à 90km/h. Toujours ce vent qui souffle en bourrasques et de face. J'ai l'impression d'être en permanence en train de monter.
Le village de Roquefort des Corbières est atteint. Manifestement nous sommes en pleine région viticole. Au détour d'une rue cohabitent sur un même support trois indications: cave, école maternelle et crèche. Je vois que l'on ne perd pas de temps pour l'éducation du consommateur. Au sortir de cette petite commune, à l'abri d'un mur de pierres sèches bordant un champ en jachère, bien protégé du vent je fais ma première halte. Le soleil se glisse entre les nuages et me prodigue une chaleur généreuse. La route est encore longue ce soir et la nuit tombe relativement tôt, donc debout et en route.
Dès que ma tête dépasse du muret, le vent se rappelle à moi. Le chemin monte et descend en serpentant à travers une multitude de collines. De toute évidence, le temps n'incite pas à la promenade, en plus de quinze kilomètres je n'ai toujours vu personne. Pour être précis, personne qui marche, car les vignerons courbés sous les rafales de vent s'affairent dans leurs vignobles. Ce qui est extraordinaire dans cette région des Corbières, c'est l'utilisation de toute surface relativement plate. La vigne a réellement sculpté le paysage des petits vallons enserrés au milieu de ces collines. Les grains se succèdent. Venant de l'ouest, la direction vers laquelle je me dirige, ils ne me surprennent pas. En effet la couleur du ciel est un signe annonciateur qui en fonction de l'intensité du gris est un bon baromètre quand à la densité des gouttes. Je longe une crête dans un véritable déchaînement de vent. Un effet venturi est créé au collet par lequel l'itinéraire se faufile. J'en ai le souffle coupé. Deux ou trois virages dans une descente raide et je suis à l'abri. Que tout semble paisible subitement. Au fond une route vicinale déroule son ruban sombre puis, en face un nouveau vallon se dirige vers l'ouest. Là-bas dans le lointain le ciel est franchement noir. Il est 17heures30. Il me reste à parcourir un peu moins de dix kilomètres avant l'étape escomptée . Vais-je être épargné par la tourmente? On verra bien. Je fonce. La descente jusqu'à la route est interminable, une multitude de zigzagues à niveau.
Enfin j'attaque la combe, elle s'enfonce vraiment dans le gros mauvais temps. Des gouttes énormes commencent à ponctuer la terre claire de grosses taches sombres, bientôt remplacées par une neige lourde et mouillée. Le vent est tellement puissant qu'en me protégeant derrière un arbuste, je suis épargné par les flocons qui partent presque à l'horizontale. Cependant, ce n'est pas une situation d'avenir, donc je m'arc-boute aux éléments déchaînés et repars. Au détour du chemin une bergerie, elle est vraiment la bienvenue , je m'y précipite. Elle est jonchée de paille. Qu'il fait bon s'y allonger en regardant à quelques mètres les éléments en furie . De toute évidence, ce coup-ci cela semble sérieux. Vais-je passer la nuit dans ce lieu? L'idée ne m'en est pas désagréable, bien au contraire. Cependant, la seule chose qui me gêne, c'est le manque d'eau et manifestement je n'en vois pas, malgré tout ce qui tombe. Je sors ma tente, l'étale au sol y pose mon sac de couchage, et me laisse aller dans sa douce chaleur. Après une bonne vingtaine de minutes les chutes du Niagara commencent à se tarir. L'ombre fait place à un rayon de soleil d'abord timide puis conquérant. Que la nature est belle dans ses excès. J'hésite entre rester et partir, dans quatre ou cinq kilomètres se trouve un village, Durban. Puis le soleil par son insistance me tire de mon indécision et m'invite à tout replier. En effet, ce n'est pas une promesse de dupe, le bleu au ciel se maintient. Encore quelques collines au sommet desquelles Eole essaie de me barrer la route et voilà mon village. Pour ce soir si possible pas de camping. Un hôtel au pied du premier château de l'itinéraire m'ouvre gentiment sa porte. A part quelques ouvriers employés par la commune je suis seul.
Après une bonne nuit, le seuil de l'hôtel franchi, de nouveau le vent m'attaque brutalement. Aucune accalmie n'est attendue ni pour aujourd'hui ni pour les jours prochains. Le château en ruine domine le petit bourg. Le temps est particulièrement menaçant et les premiers flocons de neige ne tardent pas à faire leur apparition. D'un pas alerte je rejoins le château. De ces conditions adverses naît un vif plaisir de la marche. Montées et descentes se succèdent dans ce relief très mouvementé des Corbières. Alternent aussi en fonction de l'orientation les zones de calme et de furie. Les points hauts sont particulièrement décoiffants. J'en éprouve une réelle difficulté à respirer face au vent. Après quelques heures de marche vivifiante apparaît le château d'Aguilar. Un peu plus tard en fin d'après-midi j'arrive au village de Tuchan. Par une petite route raide en lacets mon étape de la journée s'achève dans un adorable gîte perché, duquel une magnifique vue porte jusqu'à la frontière espagnole. De ce lieu j'embrasse d'un seul regard les trois premières étapes de la traversée des Pyrénées. Bien évidemment je suis le seul client. L'hôtesse, très sympathique, sans doute intriguée par un randonneur à cette époque et dans ces conditions, par sécurité demande à une amie de venir passer la soirée avec elle. Tout au long de la nuit le vent mugira inlassablement au gré de bourrasques rageuses. Le repas et le petit déjeuner sont excellents, tout particulièrement les confitures faites maison, dont je me gave à satiété en puisant dans de gros pots de verre.
Au matin le temps est dégagé, mais le vent toujours violent. Troisième jour de marche à être secoué dans tous les sens. J'en viendrais presque à regretter que le vent tombe, tellement les sensations procurées sont fortes. Mais je ne serai pas déçu car la tourmente va aller crescendo au cours des deux jours à venir. Le sentier surplombe la route qui conduit à Padern. Il s'engage dans une gorge où le vent s'engouffre en créant un effet venturi particulièrement puissant . L'impression ressentie sur le visage est semblable à celle que l'on éprouve lancé à pleine vitesse en moto sans casque, les lunettes sont indispensables si l'on veut garder les yeux ouverts. C'est tellement étonnant que cela me fait rire. L'équilibre est parfois compromis par les coups de boutoir de la bise. Mais pour les deux jours suivants je ne suis pas au bout de mes surprises, car les expériences à venir seront inimaginables.
Juste avant le village un joli pont, puis un peu après une étonnante publicité vantant le Terroir du Vertige. L'arrivée au centre de ce petit bourg est impressionnante. Un château en ruine domine du haut de sa falaise les maisons tassées sous les assauts de la tempête. Une épicerie-débit de boissons me permet une halte au calme. La tenancière, très expressive, me décrit toutes les sortes de voyageurs qui s'arrêtent chez elle. Son café fait dans une belle cafetière en verre est excellent et j'en consomme immodérément. Après une heure très agréable au cours de laquelle j'apprends beaucoup de choses au sujet de ce pays de contrastes, il est temps de retourner dans la grande soufflerie.
Un chemin très raide me conduit en quelques virages au château. Mais son accès est interdit car il est menacé d'effondrement. L'ambiance est austère et, l'absence de tout être humain dans cette tempête renforce la sensation d'éloignement. En effet, depuis ce matin je n'ai pas croisé une seule personne. Le panorama s'élargit. Des falaises saupoudrées de neige renforcent la sévèrité du paysage. Je m'arrête pour faire une photo et je repars en sens inverse sans m'en rendre compte. Ce n'est que quelques dizaines de mètres plus loin, qu'un détail caractéristique me fait réaliser que je marche sur mes pas. Etre soumis en permanence à ce vent très violent finit par altérer le jugement.
La neige adhère par plaques au chemin dans les petits creux, à découvert elle est balayée. Une fois un collet dépassé, la citadelle de Quéribus se révèle au regard dans toute sa puissance carrée. Que ce spectacle est grandiose dans ce paysage mis en exergue par des élèments véritablement en furie. Par une marche sur un vaste plateau je m'approche de cette forteresse, qui se révèle de plus en plus impressionnante au fur et à mesure que la distance diminue. Je débouche sur la route et le petit parking permettant aux visiteurs de venir en véhicule. Aujourd'hui aucune voiture. Le guichet délivrant les billets est déserté, donc la visite sera gratuite. Rapidement je parcours l'étroit sentier menant au pied des remparts. L'escalier conduisant devant la porte d'entrée est complètement verglacé. Je me tiens vigoureusement à la rampe. Le vent devient tellement violent que je suis obligé de ramper afin de pouvoir progresser. Son intensité atteint son paroxisme au point d'entrée. Je dois mobiliser toute mon énergie pour ne pas renoncer. Je n'ai jamais ressenti une telle sensation, cela me ferait presque peur. Le passage sous la clef de voûte est franchement incroyable, l'esprit des Cathares se déchaîne pour me rejeter. Sitôt à l'interieur un phénomène stupéfiant se produit. Alors que je lutte pour ne pas être précipité vers le bas dans cet escalier verglacé, brutalement sans aucune transition un vent inverse me propulse vers le haut. Vraiment inimaginable, maintenant je suis poussé et je me demande si je ne risque pas d'être éjecté par dessus les remparts qui par endroits ne sont pas très hauts au-dessus des marches. Je trouve refuge dans un petit recoin et reprends mes esprits. Le haut du château me domine encore de plusieurs dizaines de mètres le long de cette lame rocheuse qui subit la fureur des éléments. Est-il raisonnable de continuer? Mais pris par l'envoûtement du lieu et la fascination de la tempête je suis inexorablement attiré. En rampant je m'élève, un peu inquiet cependant. J'essaie de coller au sol, m'aplatir au maximum, faire corps avec la pierre de l'escalier pour diminuer la pression de l'air. A ma gauche un peu avant l'édifice sommital, une pièce voûtée se présente. Je m'y réfugie. L'agression de cette bourrasque en furie prend fin comme par enchantement, j'avais l'impression de ne plus pouvoir y échapper, en quelque sorte d'en être le prisonnier. Que le changement est brutal. Je peux me mettre debout sans être bousculé en tous sens. Le hurlement de la tempête est vraiment stupéfiant. Les phénomènes aérologiques autour des remparts créent des dépressions et j'ai l'impression d'entendre une grosse pompe qui tourne à vide. Les murs semblent trembler, agités d'une vibration entrant en résonance avec les coups de boutoir de la tourmente. Je m'allonge et écoute longuement ce concert offert par la nature. Se gravent en moi des émotions que je ne suis pas prêt d'oublier. Une fois de plus l'endroit serait idéal pour passer une nuit de grandes sensations. Mais je n'ai pas d'eau, il reste quelques heures de jour et cette envie d'aller plus loin qui ne me lâche jamais.
Mobilisant mon courage, je retourne dans la grande soufflerie et rejoins l'entrée de la tour sommitale. J'en remonte l'escalier en colimaçon et débouche sur la terrasse qui domine les environs. La vision est pour le moins époustouflante, d'une réelle sauvagerie. De grosses nuées poussées par un très rapide flux d'ouest défilent et percutent la forteresse à une vitesse ahurissante. Pour sortir sur l'esplanade particulièrement exposée, je me colle littéralement au mur. Une fois arrivé à l'extrêmité, je m'accroche à la roche du parapet pour faire une photo puis replonge le long de la muraille.
Il me faut maintenant quitter ce lieu magique sans succomber à un mauvais sortilège. La descente est très impressionnante, car la sensation d'être emporté et précipité au bas de la paroi est encore plus forte qu'à la montée. Arrivé devant la porte du château, je me méfie de l'inversion des courants d'air constatée auparavant. En effet je peine à m'approcher du porche comme si l'on voulait me retenir à l'intérieur, et dès que je l'ai franchi je suis violemment éjecté dans l'escalier verglacé. Heureusement je me tiens encore très fermement à la rampe.
Je parcours la sente ramenant à la route. Je viens de vivre une expérience unique. Sur le bitume quelques centaines de mètres plus loin, alors que je continue mon chemin vers l'ouest, un couple d'Anglais monte. L'homme me demande: Is it windy on top? Je lui réponds:Yes, it's terrific, worse than in Waterloo!
Mon humour ne doit pas être très bon, en tout cas pas anglais car cela ne le fait même pas sourire à moins que mon accent lui soit incompréhensible?
Je poursuis en direction de Duilnac où je compte dormir. Je distingue très nettement le village de Cucugnan, celui du curé, petit tertre juste éclairé par un rayon de soleil. En face sur une falaise s'étire la forteresse de Peyrepertuse. Elle est si bien intégrée au décor que l'on discerne difficilement ses différentes murailles des parois qui la soutiennent. Enfin j'atteins mon point de chute pour la nuit, le gîte communal. Pas un restaurant n'est ouvert. Après avoir arpenté dans la bise les rues du village, je rentre avec l'intention de me préparer une bonne soupe-purée. Un couple de retraités en reconnaissance pour un groupe d'amis est installé dans la salle à manger. Nous passons une soirée agréable à siroter leur cubiténaire de rouge des Corbières.
Quatrième jour de tempête, aube de début du monde et couche nuageuse épaisse, un jour menaçant se lève. Il fait très sombre et le vent rugit toujours. Dans un air glacial je traverse le village désert, et pousuis face à l'ouest contre la tempête. La journée s'annonce prometteuse en émotions. Derrière moi dans le lointain se dresse la silhouette sombre et trapue de Quéribus, perchée au sommet de son rocher. Que cette vision est impressionnante par ce matin sans lumière! La neige est plus présente, les sommets sont accrochés par de gros nuages lourds et noirs, et le vent hurle de plus belle. Penché je lutte pour progresser. A plusieurs reprises je suis bloqué par une bourrasque et même à deux reprises jeté au sol. Je n'avais jamais connu cela. Cependant, mon corps et mon esprit se sont complètement adaptés depuis quatre jours, et je me sens formidablement bien dans ce lieu et ces conditions, qui semblent si hostiles.La couche de neige atteint plusieurs centimètres. Parfois de la masse nuageuse inquiétante un rayon de soleil perce. La combinaison étrange de cette lumière intense et ponctuelle avec la neige et la pénombre ambiante fait resplendir les couleurs de la végétation par touches fugaces, en particulier des lichens jaunes vifs qui colonisent nombre d'arbres.
Je traverse deux villages, proches l'un de l'autre. Ils sont déserts, leurs rues sont parcourues par une bise glaciale et mordante, de grandes plaques de verglas ne demandent qu'à provoquer une chute, et toujours pas âme qui vive. Les habitations semblent abandonnées, chacun se terrant chez lui. L'impression de désolation est accentuée par le fait que je ne vois aucune cheminée fumer. Peut-être les turbulences sont-elles trop fortes pour que les panaches de fumée puissent se former? Je continue par la route en direction de Bugarach distant d'une dizaine de kilomètres. L'ambiance est franchement hivernale, tout est blanc. Les parois rocheuses lorsqu'elles se découvrent provisoirement sont complètement plâtrées. Je croise deux cheveaux qui piétinent leur prairie enneigée, je leur gratte le bout du museau et poursuis ma route, plié face aux assauts de la neige et du vent. Et dire que je pensais venir faire une balade dans le midi donc dans la chaleur. Mais dans le fond c'est bien mieux comme cela.
L'après-midi est bien entamée et déjà la lumière est crépusculaire, pourvu que je trouve un point de chute, car la tente cette nuit ça risque d'être sportif. Je fais le point à l'abri relatif d'un mur. Déplier la carte est un véritable problème, ajuster les lunettes de vue avec la neige en est un autre. Heureusement que la topographie du lieu est sans difficulté. Une fois dans le village de Bugarach, je repère le gîte et il est ouvert.
Je vais passer une soirée des plus étonnantes avec un être pour le moins habité par des pensées qui me sont étrangères. Il me racontera une multitude d'histoires d'esprits frappeurs et autres exrta-terrestres, plus invraisemblables les unes que les autres, la CIA aurait répertorié quarante huit espèces différentes d'êtres venant des étoiles. Il m'en décrit certaines. Je suis vraiment replongé dans les aventures de David Vincent, feuilleton télévisuel de ma jeunesse, et comme je l'écoute avec attention et curiosité, il va marquer une pause me regarder et me déclarer: « manifestement vous semblez en savoir plus que vous voulez bien le dire». Je le fixe dubitatif, réprimant un fou rire sans rien laisser transparaître, et me contente d'un «ah bon!» laconique. Ferais-je partie des Men in black?
Le lendemain le temps s'est radouci, la neige a été remplacée par une pluie forte. L'envie de continuer dans ces conditions ne soulève pas mon enthousiasme. Mon narrateur de la nuit est lyonnais, et ce matin il rentre chez lui. Je lui demande s'il peut m'emmener. Il me laisse à la gare de Vienne. Durant les quelques heures du trajet il me contera encore une foule d'histoires complètement folles, manifestement tous les Terriens n'habitent pas la même planète.
Ces quatre jours sur un bout du chemin cathare me laisseront un souvenir fort par les émotions connues au contact des éléments déchaînés et de l'immense bien-être que l'on peut éprouver dans ces conditions adverses lorsqu'on se sent tout naturellement à sa place.
22:34 Publié dans voyage en marchant | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : randonnée, hiver, tempête, solitaire, citadelle