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15/02/2010

vertus de l'échec, traversée des Calanques

Une traversée des Calanques en janvier

Le projet initial prévoyait de rejoindre Nice au départ de la gare Saint-Charles à Marseille, en traversant différents massifs montagneux, le premier étant les Calanques. Projet quelque peu ambitieux, quand la préparation physique a été pour le moins négligée, monté à la hâte et de façon approximative en matière de poids de sac qui avoisinait les quatorze kilos. Evidemment le péché de vanité ça se paie généralement cash. Bien entendu ce fut le cas. La balade démarrée dans l’allégresse un matin de fin janvier 2010 sur l’esplanade de la gare Saint-Charles s’est terminée dans la douleur deux jours plus tard à Roquefort-la-Bédoule, village situé sur les hauteurs de Cassis. Un démarrage de sciatique m’a cloué et forcé à l’abandon.

Toute expérience est bonne à faire. Cela permet de réfléchir aux erreurs commises afin de ne pas les répéter. Cela rappelle surtout   aux réalités pour éviter de se croire au-dessus de la moyenne en partant dans n’importe quelle condition. Donc, je ne regrette pas ces deux jours passés à marcher même si parfois j’en ai bavé, à cause de la première étape bien trop longue, du manque d’entraînement, du sac trop lourd et du temps particulièrement hostile le deuxième jour.

Les conditions météorologiques n’étaient pas très favorables à cette époque, cependant je l’avais choisie car elle correspondait à une période de pleine lune. Et en hiver on peut être amené à marcher dans l’obscurité, et l’astre de la nuit prodigue à ces moments-là une lumière appréciable et salvatrice.

Le TGV Lyon Marseille fonce dans la nuit. A partir de Montélimar le jour se lève. Une plaine brouillardeuse et toute couverte de givre se dévoile. Je me dis que les Calanques dans un premier temps devraient échapper à ce phénomène du fait de leur proximité de la mer. L’arrivée à Marseille a lieu vers les huit heures trente.

L’air est frais sans plus, pour une fin janvier je dirais qu’il fait bon. Dès la sortie de la gare, Notre Dame de la Garde, « la Bonne Mère », me saute au visage. Ce ne sera que le deuxième point de passage de ma balade. Calanques janvier 2010 001.jpgDans un premier temps je compte descendre au Vieux Port pour admirer les étalages des pêcheurs qui arrivent juste de la mer, et débarquent leurs poissons encore vivants. La ville en ce début de matinée est populeuse, les voitures nombreuses. Rapidement je rejoins la Canebière, ce boulevard mythique en légère descente, qui me conduit en quelques minutes sur le quai du port.

En effet, comme prévu quelques étals sont alignés et exposent une marchandise aux teintes colorées, comme seuls les poissons de Méditerranée en dévoilent. Le loup, la sole, le turbot occupent une bonne place, ensuite le rouget, normal et grondin, ainsi que la rascasse  rehaussent l’ensemble d’une touche rouge vif. Le rouget sur le bassin d’Arcachon lorsqu’il est de petite taille porte le charmant surnom de vendangeur. En effet, on le dénomme ainsi pour les raisons suivantes : il rentre dans le bassin au moment des vendanges et prend la couleur rouge de la feuille de vigne en automne. Même s’il est goûteux, ce n’est pas mon préféré. Une bonne sole Calanques janvier 2010 003.jpgou un joli marbré à la livrée blanc immaculé, rayée de fines lignes noires sont mes préférés, sans oublier une friture de girelles multicolores. Revenons à nos étals ; au beau milieu de tous ces poissons une grosse langouste ajoute sa touche. Tout heureux je m’attarde en faisant une multitude de photographies.

Des ruelles en pente m’invitent à prendre la direction de « la Bonne Mère » qui veille du haut de sa colline sur la ville. Un petit bistrot, à la devanture bien méridionale, me tente pour un arrêt technique. Les toilettes sans papier, heureusement je suis toujours prévoyant. Le café est bon, l’accent des clients est un vrai plaisir. Je demande au tenancier le chemin le plus court pour monter au sommet de la colline. « En bus ou à pied ?» interroge-t-il. Je lui confirme que je compte y monter par mes propres moyens. Et là, il me sort une tirade digne de Pagnol à peu près dans ces termes : « Eh! Vous fatiguez pas à monter là-haut, redescendez sur le port et faites une photo au téléobjectif et vous direz que vous y êtes allé ». J’adore, et toute la salle rigole, le midi ça vaut le coup! Me voilà reparti, la rue en pente raide permet de s’élever rapidement. Je traverse un parc arboré au chemin en épingles à cheveux, et débouche au pied du raidillon final. Mon attention est attirée par un char d’assaut datant de la seconde guerre mondiale du nom de « Jeanne d’arc ». Son équipage avait été tué à cet endroit lors de l’assaut des troupes françaises, qui le 25 août 1944 reprenaient la colline aux Allemands. L'évocation des combats passés et de ces soldats qui y laissèrent leur vie procure toujours des moments de grande émotion. Cela me rappelle mon voyage à travers l’Europe de l’est, ponctué de lieux évocateurs du grand cataclysme déclenché par la dictature nazie.

Je m’arrache à ce spectacle et au panneau relatant les circonstances de ces événements tragiques. Devant moi, un grand escalier matérialisant un chemin de croix me conduit directement sur le parvis de la basilique.

Que le site est aérien ! Que la vue est immense, époustouflante sur la mer et ses îles, sur la terre ses maisons et ses collines. J’ai un regard tout spécialement pour le château d’If, datant de l’époque de Calanques janvier 2010 023.jpgFrançois premier et qui fut rendu célèbre par le roman d’Alexandre Dumas qui fit rêver beaucoup d’entre nous dans notre jeunesse, le Comte de Monte-Cristo.

Marseille s’étale en contrebas. Ses constructions, innombrables, semblent blotties, tassées les unes sur les autres comme pour se tenir chaud en attente du mistral qui commence à lancer ses rafales d’air froid, rageuses et aléatoires. Je fais le tour de cette vaste esplanade. Sous tous les angles le spectacle est étonnant. Une large terrasse en contrebas semble véritablement en surplomb sur la ville, comme si on allait tomber sur les premiers toits si l’on se penchait. Le parapet de cette esplanade est littéralement couvert d’ex-voto. Ils occupent tout l’espace vertical, à tel point que l’on passe, par un effet de perspective,  sans transition aucune du blanc des plaques de marbre aux toits des maisons qui se serrent quelques centaines de mètres plus bas. L’effet est très étonnant.

Les ex-voto, lorsqu’on entre dans la basilique, attirent immédiatement l’attention pour ne plus la lâcher. Généralement, on imagine qu’ils expriment des paroles de remerciements pour une guérison ou simplement qu’ils donnent une date et un nom. On oublie que l’ex-voto n’est pas toujours une simple plaque mais parfois un véritable tableau gravé. Alors les vœux de reconnaissance à la Vierge de la part des marins s’apparentent à de véritables œuvres d’art qui relatent des situations dignes de films d’aventure. Ce régiment d’infanterie qui remercie la Vierge Marie de lui avoir permis d’échapper aux sous-marins allemands en 1918 lors de son transfert d’Afrique du Nord sur le front occidental. Encore cet équipage d’un grand voilier qui a survécu à une terrible tornade dans l’Océan Indien. Ou encore ce remerciement pour avoir été préservé d’une grande épidémie de choléra. Ces trois exemples pour donner une idée de ce que représentent ces centaines voire milliers d’ex-voto de marins qui rendent grâce à la Vierge pour leur salut.

L’édifice est d’architecture imposante, sur certains côtés extérieurs il me rappelle la basilique de Fourvière à Lyon. L’intérieur est incroyablement orné de couleurs chaudes, le style est presque oriental.

Après cette visite particulièrement intéressante il me faut reprendre ma route vers les Calanques que je distingue au loin au-delà d'une longue corniche. Je la rejoins en descendant un chemin abrupt au pied de la basilique où de nombreux chats errant parmi les cactus me détalent entre les jambes. Puis après avoir suivi sur quelques centaines de mètres une rue comme il en existe dans toutes les villes, une dame m’indique un sentier très pittoresque qui se glisse entre les maisons au fond d’une minuscule gorge. Par ce cheminement Calanques janvier 2010 029.jpgje rejoins directement le bord de mer. Il est dix heures, je vais marcher le long de cette corniche durant deux heures. Par moments, il me prend l’envie de monter dans un bus qui me conduirait directement à Callongue, mais je résiste. Est-ce une bonne chose ? Aujourd’hui je ne crois pas, car étant donné mon entraînement, j’aurais mieux fait de me ménager ce qui m’aurait évité les déboires et douleurs à venir, en commençant par une immense étape.

Le temps est légèrement couvert, le vent est en train de s’installer par rafales successives. La mer  prend cette teinte bleu noir, annonciatrice des jours de mistral avec ses vaguelettes qui courent au large. Cette corniche me paraît interminable, l’impression d’éloignement étant augmentée par l’humidité de l’air qui donne une touche floue à tout ce qui se trouve à quelques kilomètres. Les aménagements sont de belle qualité et la marche est agréable. Quelques objets qui se veulent des sculptures égayent la marche. En particulier, une proue de navire, que j’identifie comme phénicien, côtoie un genre de crabe armé d’une énorme pince qui monte au ciel, le tout façonné en bois brut gris clair presque couleur cendre. Quelle en est la symbolique ? Juste avant, une immense hélice en bronze pointait vers le ciel, pour rappeler le retour des rapatriés d’Algérie et la ville de Marseille a fait inscrire à son pied la mention suivante pour que le passant se souvienne: Aux rapatriés d’Afrique du Nord et d’outre-mer. A tous ceux qui ont pour dernière demeure un sol maintenant étranger, sur lequel ils ont vécu, travaillé et où ils ont aimé. Salut à vous qui êtes revenus, notre ville est la vôtre.

Je réalise une fois de plus, que le fait de marcher permet beaucoup plus de s’imprégner d’un pays que de le parcourir en véhicule. Une multitude de choses vous interpellent lorsque vous vous déplacez au rythme des pieds. La randonnée on la conçoit toujours dans des régions de nature loin des villes. Traverser les Calanques en partant de la gare Saint-Charles m’avait tout d’abord semblé une drôle d’idée, pas forcément intéressante, puis je m’étais dit : cette ville de Marseille par laquelle tu es souvent passé la connais-tu ? Bien sûr une multitude de fois j’avais, comme on dit en franglais, commuté par cette gare carrefour, bien qu’elle soit dans un cul-de-sac, paradoxe ! J’avais vu la porte d’Aix, j’étais même déjà passé par Notre dame de la Garde, j’avais même feuilleté le dictionnaire amoureux de Marseille, collection remarquable, mais cette ville du sud dont Albert Londres a fait une magnifique description intemporelle, je n’avais jamais pris le temps de m’y plonger quelques heures à errer au hasard. Donc, cette introduction au voyage m’est apparue de plus en plus pertinente et voilà comment on décide d’un voyage à pied en le débutant par la traversée d’une ville sur une quinzaine de kilomètres. Je dois dire que l’expérience est intéressante et mérite d’être faite, mis à part qu’il est préférable d’avoir la forme physique et ne pas vouloir faire deux étapes en une.

On est toujours surpris de la vitesse à laquelle on avance à pied. Les détours du rivage qui me semblaient sans fin sont atteints rapidement et bientôt la densité des maisons diminue, la roche blanche des Calanques se fait plus présente. Les petits villages à la touche très méridionale, en périphérie de la grande ville sont traversés. Leurs noms sont universellement connus, Montredon, la Madrague, les Goudes. Ce dernier cache un petit port au fond d’une crique resserrée surplombée de villas, qui semblent surveiller de leurs gros yeux carrés les bateaux sagement alignés. A cette époque de l’année l’activité est quasi nulle. En arrière-plan les premières falaises d’escalade s’érigent et montent vers le ciel comme des sentinelles qui seraient garantes de l’originalité du site. Encore un kilomètre par la route qui domine la mer. Le spectacle Calanques janvier 2010 034.jpgest impressionnant, les îles se découpent en plans successifs. Elles présentent toutes des crêtes extraordinairement déchiquetées et je ne me lasse pas de les contempler. Comme quoi il faut être sans préjugé, car même en marchant sur une route goudronnée on peut être saisi par la beauté des paysages. Il faut dire cependant que le trafic automobile est presque nul. Je vois simplement passer le minibus qui aurait pu me faire effectuer le trajet en vingt minutes au lieu de trois heures et demie. Mais aurais-je éprouvé la même sollicitation à l’appel des Calanques et du voyage à pied ?

Dans toute sa splendeur apparaît dans un virage la calanque toute en longueur, au nom évocateur de Callongue. Le chemin commence ici, il s’agit de la porte d’entrée dans les Calanques au départ de Marseille. L’air commence à se rafraîchir et le mistral à forcir.  Je ressens de la fatigue, mais je suis habitué aux démarrages de longues randonnées, qui demandent une petite mise au point, cela ne m’inquiète pas. Un restaurant à l’aspect sympathique me tente et je me laisse faire, la Grotte. Le patron me demande où je veux m’installer, je lui dis là où il fait le plus chaud. Il me désigne une petite table tout à côté d’un gros poêle qui distribue sans avarice sa douce chaleur. Que je suis bien! Une grosse entrecôte me procure un plaisir immense, même s'il n’est écologiquement pas bien de manger de la viande à cause des quantités d’eau nécessaires, il paraît cinquante mètres cubes par kilogramme, et puis aussi à cause de l’effet de serre du fait des vaches qui émettent des gaz comme le méthane!

Après un moment très agréable qui m’a permis de me reposer, je fais le plein d’eau de mes deux bouteilles de Badoit en vue d’une traversée des Calanques sans possibilité de ravitaillement. Ce qui sera le cas. Une fois dehors l’ambiance hivernale se rappelle à moi. Je pense aujourd’hui aller au moins jusqu’à la calanque Calanques janvier 2010 040.jpgde Sugiton. Mais nous verrons bien. Je démarre par le chemin en bord de mer, la vue porte jusqu’au bec de Sugiton. Il n’y a que moutonnements de falaises éclatantes qui plongent dans la mer d’un bleu profond. En arrière-plan, très loin perdu dans un brouillard ténu du à la distance, on discerne le cap Canaille entre Cassis et la Ciotat. Perdue dans ce décor gigantesque la Grande Candelle arbore son arête de Marseille qui apparaît minuscule bien qu’elle se développe sur plus de cent vingt mètres. La France quand on pense à la regarder est à mon sens le plus beau pays du monde.

Se sentir exposé à un chemin que l’on ne maîtrise pas complètement en se disant que la nuit viendra trop tôt et qu’il faudra s’adapter au dernier moment en fonction de ce que l’on trouvera avant la tombée de la nuit est un des principaux moteurs de mes balades hivernales, toujours un peu contraintes par les heures que l’on sait contingentées.

Je me souviens de ma jeunesse et d’une traversée des Calanques en courant que j’avais réalisée en trois heures trente sept minutes et trente sept secondes de Callongue au parking de Port Miou. Mais aujourd’hui les années se sont accumulées et le sac fait quatorze kilogrammes, et moi qui me crois le chantre du sac léger, je me fais presque honte.

Le vent forcit, donc le ciel se dégage. Le contraste de ces vagues de rochers blancs qui plongent dans cette mer, hésitant entre le bleu profond et le vert émeraude absout de toutes les souffrances, car je commence à ressentir que je vais dépasser les possibilités de ma forme. Mais à aucun moment l’idée de ralentir ne m’effleure, toujours trop confiant dans la capacité de ma carcasse à amortir les violences. Il faut dire que le panorama est tellement grandiose que l’on ne pense plus à écouter son corps mais seulement à s’enfoncer toujours plus profondément dans ce monde minéral.

Se déplacer entre ciel et mer sur ce chemin aérien est une véritable drogue.

Cet immense arc qui conduit jusqu’au bec de Sormiou m’envoûte littéralement. N’ayant pas regardé ma carte j’ai de la difficulté à estimer les distances. Je sais seulement que le chemin que j’ai décidé de suivre Calanques janvier 2010 042.jpgs’insinue dans ces falaises. Je réalise que je ne suis plus uniquement dans une balade sur un chemin mais qu’il va falloir faire appel sans doute à quelques notions élémentaires d’escalade. En effet lorsque je m’engage sur le tracé vert des Walkyries, l’ambiance change. Après un chemin  pierreux demandant de l’attention, la verticalité du lieu s’accentue. Rapidement une main courante est nécessaire pour négocier un passage d’une dizaine de mètres vertical. J’avais oublié que les Calanques ne se déclinaient pas toujours en chemins mais en terrain un peu plus aventure. Cela n’est pas pour me déplaire.

Le site est austère, et pas une seule personne, oui en France on peut se sentir très loin. Sur une vire aérienne je fais une erreur et me trouve acculé à des pas d’escalade à la limite du raisonnable. Ne pas insister et faire demi-tour, en effet les fameuses traces de peinture vertes donnent la direction d’un petit Calanques janvier 2010 041.jpgaplomb qui nécessite un pas d’escalade facile. A plusieurs reprises je dépasse des lieux qui fourniraient des bivouacs dignes des dieux. Mais voilà il reste quelques heures de jour et cette obsession de toujours continuer est toujours la plus forte, que c’est dommage !

Ce chemin qui s’insinue entre des barres rocheuses est vraiment extraordinaire. La jouissance naît aussi du fait que se sachant engagé dans un trajet de longue durée, l’étonnement est bien réel de se voir acculé à des passages de cette difficulté antinomiques de distances à franchir. Les vagues frappent la base des falaises en projetant des gerbes d’écume. Je me sens en harmonie avec les éléments. Cependant, au fond de moi, une petite voix m’avertit que tout n’est pas pour le mieux. En effet le sac se fait lourd et une forme de fatigue générale, que je décèle au manque de souplesse dans les passages aériens commence à se manifester. Le chemin est minuscule, il se faufile au milieu de la falaise qui  semble ne laisser aucune issue, la jouissance est bien réelle. Dans un passage très raide, alors que je pousse sur la jambe droite, une douleur fulgurante me  saisit le mollet. Je m’agrippe du mieux possible à l’aide de mes deux mains. Je suis cloué sur place par la douleur. Je déporte le plus vite possible le poids de mon corps sur la jambe gauche. Immobile au milieu de ce monde de pierre je me demande ce que je vais faire si la douleur ne cesse pas. Mais rapidement elle s’estompe. Je comprends que je viens de dépasser les limites. Doucement, je me remets en marche en faisant attention à mon mollet droit vulnérabilisé. Mon premier souci, c’est de sortir de cette zone trop raide pour me permettre de m’arrêter pour la nuit. Dans le fond que tout ne se passe pas « comme sur des roulettes » ça change et ça donne un peu de piment!

Le coin est vraiment sauvage, une grande falaise sur plusieurs kilomètres dans laquelle je louvoie de vire en vire. Je repars donc doucement en faisant bien attention de délester au maximum ma jambe droite. Un peu plus tard une deuxième alerte et à nouveau ce mal fulgurant dans le mollet droit. Je décide de m’arrêter pour une petite halte et faire le point. Au-dessus de moi, la falaise  se couche et le chemin prend un aspect plus habituel et cela jusqu’à la crête qui domine Sormiou. A nouveau je suis en marche à un pas lent, bien conscient de préserver ma jambe droite. Cela me paraît tenir. J’atteins la crête et rapidement j’aborde la descente en direction de la route qui conduit à Sormiou. Le vent est particulièrement violent. Je croise un homme jumelles rivées sur les yeux. Je suis intrigué. Il me dit qu’il est en train d’observer un aigle de Bonelli en vol stationnaire dans le mistral qui produit un effet d’onde sur le relief. Gentiment il me propose à mon tour d’observer ce bel oiseau. Spectacle superbe, merci Monsieur pour ce petit moment de bonheur que vous m’avez procuré.

La vue se découvre au loin, Grande Candelle sentinelle qui pointe vers le ciel dans sa blancheur, le Calanques janvier 2010 048.jpgDevenson caractéristique du fait de sa grande conque au rocher rouge, que j’avais gravie il y a une trentaine d’années et qui m’a laissé des souvenirs forts, et puis dans le lointain le cap Canaille avec sa silhouette caractéristique semble matérialiser le bout de la terre dans la mer.

Un peu avant la route de Sormiou, sur le chemin se trouve un panneau rappelant les caractéristiques de la grotte Cosquer. Elle fut découverte en 1991 par le plongeur Henri Cosquer par 37 mètres de profondeur au pied de la falaise du cap de Morgiou. Une datation au carbone 14 a permis de faire remonter l’occupation du lieu entre 18500 et 27000 ans « avant le présent ». L’entrée en fut immergée il y a 10000 ans lors d’une période de réchauffement de la planète. La visite n’en est pas possible, mais le plus vieux musée immergé du monde peut se découvrir grâce à un film en trois dimensions qui permet d’en avoir une représentation imagée. Cette lecture me fait instantanément oublier mes petits meaux et me plonge dans un monde fantastique d’il y a presque 300 siècles. J’ai du mal à réaliser ce que représentent 300 siècles !

A mes pieds la calanque de Sormiou dévoile sa plage et son ensemble de petites maisons blotties au fond d’une crique profonde, à l’entrée de laquelle veille tel un garde  gigantesque le bec de Sormiou. Je ne vais Calanques janvier 2010 047.jpgpas descendre, mais je décide de continuer jusqu’à Morgiou en espérant y arriver avant la nuit et surtout y trouver un gîte. En effet le mistral souffle de plus en plus fort et une longue nuit dehors ne m’attire pas vraiment, et surtout le bivouac est strictement interdit et je n’aime pas en général enfreindre les règlements. La contravention est de 135 euros !

Le chemin m’apparaît long, la fatigue s’accentue. Une côte semble ne jamais finir alors que les distances dans les Calanques ne sont jamais très longues. Enfin j’arrive sur la crête séparant les deux calanques. Le Crêt Saint Michel fait son apparition, donc Morgiou n’est plus très loin. Le vent fort commence à m’inquiéter. Et si je ne trouvais rien pour dormir dans cette calanque, comme cela est probable ? Je me souviens qu’il s’y trouve un bistrot. Sans doute vais-je trouver un arrangement avec le patron.

Un petit chemin sur la droite débutant par un immense détour presque à flanc donne accès au fond de cet étroit vallon si pittoresque. Les toits des cabanons groupés dans un écrin restreint de verdure se discernent dans la pénombre, comme écrasés par les vastes pans de falaises calcaires blanches qui en vagues Calanques janvier 2010 045.jpgsuccessives s’élèvent jusqu’à la Grande Candelle qui comme un sémaphore brille encore au soleil couchant. Dans le prolongement des habitations, le port, abrité au fond de son étroit bras de mer resserré par cette roche éclatante omniprésente, se prépare à hiberner en attendant la longue nuit hivernale qui emplira les lieux dans peu de temps.

La petite route qui donne accès à la calanque est vite rejointe après quelques hésitations, et devant moi l’enfilade des cabanons se dessine. Br ! L’éclairage décroît  et ce vent froid que l’on entend gémir dans les murailles me dominant, produit une atmosphère sévère. Une ombre furtive passe d’un cabanon à un autre, je n’ai pas le temps de l’intercepter. Un chien dans cette ruelle étroite, le maître ne doit pas être loin. En effet une femme sort d’une habitation. Je me renseigne sur les possibilités d’hébergement. Elle est catégorique, il n’y en a pas. De plus elle m’indique que le bistrot est exceptionnellement fermé. Heureusement que je me suis chargé de deux litres d’eau à Callongue, ce qui me sera bien utile car maintenant, je ne dois pas m’attendre à en trouver avant Cassis, c'est-à-dire au mieux demain midi.

Mais ces cogitations ne règlent pas mon besoin urgent de trouver un point de chute pour la nuit. Je sais que le bivouac est interdit, le procès verbal est de 135 euros, je l’ai lu à plusieurs reprises. De plus j’essaie toujours de me conformer aux règlements en vigueur. Mais aujourd’hui que faire ? La dame me parle bien de nombreux cabanons vides à cette époque. Je ne me vois absolument pas rentrer par effraction dans l’un d’eux. Alors elle se souvient qu’au-dessus du port se trouve un abri sous roche qui offre un espace plat permettant la station couchée. Elle y montait me dit-elle, il y a bien longtemps, lorsqu’elle était jeune. Fort de ce renseignement je reprends ma route.  Je constate que le bar est effectivement fermé, puis je débouche sur le port. Le chemin escalade en pente raide le versant gauche. Je distingue une petite falaise quelques dizaines de mètres en retrait. Je m’y dirige et miracle à son pied un superbe espace plat me permet d’installer ma minuscule tente couleur vert militaire en toute discrétion. Etant donné l’époque et les conditions climatiques je ne crains pas trop d’être débusqué par un agent ou un garde forestier.

L’installation est rapide, cependant je prends soin de procéder dans l’ordre. Une couverture de survie posée au sol, sur laquelle je déploie ma tente double paroi. Je gonfle mon mini matelas, j’étale mon sac de couchage et mon petit drap intérieur qui a une double vocation, d’une part éviter  de salir le tissu du sac de couchage lorsque je m’y glisse tout habillé et d’autre part augmenter le confort et la chaleur lors d’une longue station comme aujourd’hui de quatorze heures.

L’endroit bien que tout proche des bateaux, que j’entends se balancer dans le clapotis, permet la plus grande discrétion. Quelques grands pins contribuent à escamoter la silhouette de mon abri  dans la nuit qui prend possession des lieux.

Une fois allongé je réalise que je suis très fatigué. Je n’ai ni soif ni faim, mauvais signe. Je prends pleinement conscience que je suis parti sans préparation et que cette étape très longue pour commencer risque de m’être fatale. Je sens mon mollet droit qui se remet doucement des deux crampes très douloureuses ressenties dans les escarpements de la falaise des Walkyries.

Bien installé dans ma tente j’entends le vent qui s’affole tout autour en bourrasques  hargneuses et colériques. En prévision de ces conditions, je me suis appliqué à bien planter les piquets et de renforcer leur prise au sol en les recouvrant de grosses pierres. Je me sens bien. La nuit est complètement tombée. Une clarté monte lentement et finit par s’imposer. La lune en maîtresse de la pénombre, qu’elle conquiert, s’impose et rend à la roche tout son éclat. Malgré la fatigue, je ne peux résister à la contemplation de ce spectacle. Le bruit du vent dans les parois et les arbres, le cliquetis des bateaux à l’amarre, le clapot léger des vagues mourantes qui réussissent à venir au fond de cette baie profonde, me bercent dans cette clarté nocturne. En face, par delà le court bras d’eau, je peux distinguer très nettement le dièdre du renard, belle escalade d’un peu moins d’une centaine de mètres, qui suit un itinéraire semblable à un livre ouvert, que l’on parcourt en apposant les pieds de part et d’autre sur chacune des pages. Malgré l’envoûtement du spectacle en ce lieu de confluence de la mer et de la montagne, je suis obligé de me réfugier au chaud dans ma guitoune. En effet, les températures négatives et le mistral s’allient pour rompre le sortilège. Les morsures du froid me forcent à battre en retraite, un peu comme si en ce lieu où le bivouac est interdit, les curieux de la nuit en infraction, intrus qui se sont imposés sans invitation, étaient irrémédiablement refoulés et non autorisés à voler un spectacle de toute beauté.

Quatorze heures allongé dans une tente à attendre le jour avec des températures en dessous de zéro et un vent fou, on pourrait imaginer que c’est long et que c’est un vrai calvaire. Eh bien non ! Un matériel adapté permet de véritablement jouir de cette situation, se sentir en harmonie avec la nature en réalisant que même en hiver dormir dehors procure des sensations agréables. Le temps va s’écouler entre brefs sommes perturbés par les rafales qui font claquer la toile du double-toit, quelques moments de lecture et de temps en temps par une prise de nourriture et une gorgée d’eau. Mais je me sens tout à fait à ma place et ma grande fatigue me fait d’autant plus apprécier cette longue station couchée.

J’ai la ferme intention de ne démarrer que lorsque le jour sera pleinement levé car le chemin contournant Sugiton est assez escarpé et de nuit voire seulement dans la pénombre cela ne doit pas être très agréable. L’aube pointe, j’en distingue la lumière à travers ma mince protection. Puis d’un coup une lumière plus vive m’inonde. Tiens de quoi s’agit-il ? En face de moi le versant orienté à l’est reçoit le soleil et me le renvoie. Spectacle magnifique, cette pente de cailloux qui s’éclaire subitement. Je plie rapidement mes affaires, bien ordonnées dans des sacs de congélation de différentes tailles. Je me force à manger, je devrais dire ingurgiter une rondelle de saucisson, un morceau de pain et un bounty, le tout accompagné d’une petite Calanques janvier 2010 052.jpgrasade d’eau. Lorsque je bivouaque seul, je ne me fais jamais rien chauffer le matin. Et de plus dans les Calanques, même en hiver, avec ce mistral ce serait folie criminelle. De mon repère en hauteur, la vue plonge directement sur le port et ses bateaux de pêcheurs et de plaisance bien rangés le long des jetées à angle droit.

La marche reprend, la forme est revenue, le long repos m’a fait le plus grand bien. Un bruit de moteur monte de la calanque. Un pêcheur revient de relever ses filets. Sans doute ramène-t-il de beaux poissons de roche multicolores ? Le chemin prend par endroits des airs d’escalade, les pieds sont en adhérence et il faut s’aider des mains pour se hisser. Le rocher est très poli par les nombreux passages. Au-dessus de moi l’aiguille de Sugiton dresse ses belles faces, qui sont parcourues d’innombrables voies d’escalade. Je me souviens y être venu souvent, il y a bien longtemps.

J’arrive à la calanque de Sugiton qui est dominée par l’impressionnante paroi des toits, aux teintes marron. Calanques janvier 2010 057.jpgUn petit raidillon me conduit juste à son pied. Je vais la longer sur toute sa longueur. Il ne fait pas chaud, de petites stalactites de glace pendent sous les surplombs. Le chemin est vraiment au pied car on passe carrément sous la paroi à l’endroit même où les grimpeurs commencent leur escalade . Je discerne les pitons qui partent à l’assaut de ce monde en dévers. Aujourd’hui le site est désert. D’ailleurs jusqu’à Cassis je ne verrai pas âme qui vive. Le cheminement pénètre dans un goulet raide aux cailloux instables, pourtant je suis sur un chemin de grande randonnée. Mais l’effort de la veille doit encore se faire sentir. Puis j’emprunte le sentier de traverse, GR 98 qui conduit au col de la Candelle. Le dénivelé depuis la mer atteint les quatre cents mètres. La vue s’élargit et s’embellit. L’île de Riou, tel un destroyer résiste dans une mer sous l’emprise du mistral. Le cap Morgiou s’étire loin dans cette mer bleue foncée moutonnée de vaguelettes rapides qui fuient vers le large. Une pensée à la grotte Cosquer qui se cache là-bas à son pied par moins trente sept mètres. Cela prouve qu’il y a vingt mille ans  le niveau de la mer était beaucoup plus bas. Cela veut-il dire que les théories actuelles sur le réchauffement sont à relativiser? Effectivement un certain nombre de polémiques fleurissent à ce sujet ces derniers temps. Qu’en est-il ? De nombreux ouvrages, tel celui de Claude Allègre ou encore  celui de Emmanuel Grenier, scientifique reconnu « Les dérangements du temps 500 ans de chaud et de froid en Europe » permettent de se forger sa propre opinion.

Par une multitude de courbes je monte vers le col de la Candelle. Son arête ouest, dénommée arête de Marseille grandit et me barre l’horizon.  Cette escalade mythique de difficulté moyenne a été immortalisée par Gaston Rebuffat, qui en a fait des photos à grande diffusion d’un esthétisme parfait. De vieux souvenirs Calanques janvier 2010 069.jpgme reviennent à l’esprit. Combien de générations d’alpinistes cette falaise magnifique a-t-elle inspirés ? Et qui plus tard sont partis à l’assaut des géants des Alpes et des autres massifs montagneux du globe. Ma solitude par cette journée froide et venteuse est peuplée d’une foule hétéroclite se riant du temps, d’une part ces hommes préhistoriques qui vivaient en ce lieu il a quelques trois cents siècles et d’autre part les cohortes de grimpeurs qui se sont succédés sur cette arête depuis plus de quatre vingt ans, car le premier parcours remonte à 1927. Durée dérisoire comparée aux 300 siècles qui nous séparent des artistes qui ont orné la grotte se cachant au creux de la falaise de  Morgiou. D’ailleurs à ce sujet, les deux découvertes récentes majeures que sont la grotte  Cosquer et la grotte Chauvet dans l’Ardèche ont révolutionné les théories sur l’art préhistorique. En effet il y a quelques temps alors que je visitais le double de la grotte de Lascaux, je demandais au paléontologue  qui nous accompagnait, si ces deux découvertes avaient modifié nos connaissances en la matière. Sa réponse fut étonnante et d’un grand intérêt. En effet, il m’expliqua que toutes nos connaissances avaient été bouleversées, car avant ces découvertes, à travers les sites connus on pouvait constater une évolution technique au cours du temps dans les dessins, les perspectives s’affinaient les dimensions se précisaient en cohérence avec la datation au carbone 14 des sites. Puis ces deux grottes ornées d’un intérêt majeur ont été découvertes. Les dessins observés sont beaucoup plus vieux que tous ceux connus.  La surprise de taille réside dans  le fait que ces deux nouvelles grottes dévoilent des représentations à la facture technique très évoluée, patatrac, nos belles théories envolées. Voilà ce que m’a répondu ce spécialiste de l’art préhistorique.

L’arrivée au col me rappelle à la réalité du moment présent. Un vent violent me cueille littéralement et me fait vaciller. Le panorama s’étend  de Marseille au cap Canaille entre Cassis et La Ciotat. Mais je ne m’éternise pas pour échapper aux rafales d’air violentes et anarchiques.

Je poursuis par le chemin qui me paraît le plus rapide. Il va me conduire au cap Gros. Un peu à contre cœur je décide de prendre cette direction certes plus courte mais qui va m’éloigner du bord de mer et de ses immenses falaises. En effet, je n’ose pas m’aventurer dans la direction du Devenson, le vent véritablement rageur commence à m’inquiéter. Momentanément dans un petit talweg je suis protégé et en cet endroit il Calanques janvier 2010 071.jpgfait bon. A mes pieds une vue magnifique révèle le Val Vierge sous un angle stupéfiant, quatre cents mètres de gorges qui dévalent jusqu’à la mer. Un dernier petit raidillon et je débouche au cap Gros. Un ultime coup d’œil aux falaises que je vais quitter pour cheminer sur un plateau qui présente moins de caractère. 

Ma carte indique un refuge, manifestement il n’y est plus. Dommage car je me serais bien arrêté. Le vent devient, non pas inquiétant mais franchement dangereux. Sur cette crêt du Mont Puget jusqu’à quelque distance  du col de la Gardiole, j’ai vraiment eu la sensation de lutter pour ma survie, me sentant en grand danger. Cette accélération du vent est sans doute due au relief entre Marseille et Cassis qui à cet endroit crée une étroiture propice à un effet venturi, qui se concrétise par un courant d’air d’une violence inouïe et sans répit.  La peur je l’ai déjà expérimentée dans de nombreuses circonstances, la grande chute en escalade, le bivouac dans une paroi en altitude, noyée sous une épaisse couche de neige, les chutes de pierres, les avalanches et par mauvais temps sans visibilité la sensation est terrifiante de se trouver sur une neige qui se met en mouvement sans être capable d’appréhender l’ampleur du phénomène. Mais, aujourd’hui la peur va prendre un aspect différent, il s’agit de la peur de s’envoler comme une feuille et cela durant un long, très long moment.  Je suis passé pratiquement sans transition d’une zone relativement calme à la bourrasque la plus terrible que j’ai connue. Pourtant le vent, je croyais en avoir une certaine expérience. Il y a quelques années au cours d’une tempête hivernale, durant quatre jours j’avais parcouru une partie du chemin cathare. Mon corps s’était habitué et je me sentais totalement adapté à cet environnement hostile. A plusieurs reprises j’avais été bousculé et jeté au sol, mais je maîtrisais et cette confrontation virile avec les éléments m’avait beaucoup plu. Seulement en montant au château de Quiribus, j’avais été très impressionné et j’avais rampé dans les escaliers verglacés et m’étais réfugié dans une grande pièce voûtée, de laquelle il me semblait que le château vibrait en harmonie avec les coups de boutoir de la tempête. Mais là encore en me plaquant aux murailles et en rampant sur des sols uniformes, cela était plus un « jeu d’adrénaline » qu’une peur déclenchée par un risque que l’on évalue comme mortel.

 Aujourd’hui sur cette crête pourtant large et absolument pas aérienne il en va tout autrement. J’ai  l’impression de ne plus rien maîtriser, et  d’être le jouet passif de ces bourrasques continues qui cherchent à m’arracher du sol. Pas de point de repos auquel me raccrocher, au milieu de ce large chemin de pierraille je me fais penser à ces gros buissons épineux que l’on voit rouler au cours des tempêtes dans les films de cow-boys. J’en ai déjà vu en réalité non aux USA mais dans le désert saoudien. Ils apparaissent dans le nuage de sable et quelques instants plus tard ils ont disparu absorbés par la grisaille. Aujourd’hui pas de grisaille, un ciel lumineux et cette tempête farouche contre laquelle j’essaie de lutter. De plus il fait froid, quelques petites plaques de glace rappellent que la température est négative. Je suis peu couvert, et il n’est plus possible de m’arrêter et de sortir un quelconque habit. Cela ne me vient même pas à l’idée tellement cela me paraît voué à l’échec. Je n’ai pas de gants et mes doigts sont gourds. Arc-bouté, je dérape sur les cailloux, avec mes bâtons j’essaie de freiner puis de bloquer le mouvement que m’impose le vent. A plusieurs reprises, je me retrouve couché pour ne pas être emporté. J’essaie de ramper, mais sur ce sol aux cailloux tranchants cela est particulièrement mal aisé et il me faudrait des heures pour sortir de cette zone, dans laquelle j’ai l’impression de jouer ma survie. Il est particulièrement déstabilisant de ne trouver aucun point auquel se raccrocher, mais ne voir qu’un immense espace duquel je pense que je n’aurais peut-être pas l’endurance suffisante pour en sortir. Effectivement le doute m’a assailli.

Juste devant moi un gros buisson, je me jette à son pied et un calme tout relatif me permet de reprendre mon souffle. Combien de temps a duré ce premier round ? Je ne sais pas. Dans ces situations le temps d’un côté paraît long, mais les efforts musculaires énormes ainsi que les cogitations du cerveau en extrême vigilance en relativisent la durée. Je peux même ouvrir mon sac, sortir mes gants et mettre une veste par-dessus mon t-shirt. Je constate que j’ai perdu un verre de lunettes sans doute arraché par la pression de l’air !

Allongé, je récupère vite en me réchauffant dans ma veste. J’examine le chemin qu’il me reste à parcourir jusqu’au col de la Gardiole. Le terrain est tout à fait débonnaire, incroyable que je me sente en tel danger. Quelques petites dépressions me semblent très propices à l’effet de venturi, mais pas moyen d’y couper. Fort de l’expérience que je viens de vivre je me remets en route. Effectivement les petites dépressions qui ne m’inspiraient pas sont particulièrement redoutables. En m’approchant du col, l’effet venturi diminue et je retrouve un vent simplement violent qui ne m’empêche pas de marcher. Même au contraire, puisque maintenant il me pousse dans le dos. Je viens de vivre un moment particulièrement intense.  Une barrière barre le chemin je la franchis, certaines inscriptions y figurent, en particulier le montant de l’amende en cas d’infraction au règlement et ce qui me fait sourire l’interdiction d’emprunter ce chemin si le vent est supérieur à 40k/h.  J’apprendrai en écoutant le bulletin météorologique ce soir que les rafales ont dépassé les 110k/h, et en considérant l’effet venturi produit au niveau de cette crête, on doit pouvoir rajouter un pourcentage non négligeable. 

Le col est vite atteint et je me dirige à bonne allure vers Cassis. Un peu avant d’atteindre la calanque de Port Calanques janvier 2010 070.jpgMiou, à l’abri relatif d’un petit vallon je m’arrête et mange de bon cœur. Ce moment de repos je le savoure. Rapidement j’atteins le parking de la calanque et par la route je rejoins le centre ville. Cette petite cité je l’aime beaucoup, son port et ses restaurants qui le bordent rendent le lieu particulièrement sympathique. Arrivé devant l’un d’eux qui avec témérité a laissé son enseigne sur pied et quelques tables, j’entends un grand bruit, l’enseigne s’envole et deux tables avec tous les couverts se renversent dans un fracas de vaisselle cassée. Les tables dehors aujourd’hui, il faut être optimiste, car même les plus accrocs à la cigarette devraient avoir du mal !

Je m’attarde à regarder les cartes et me laisse tenter par une grosse platée de pâtes aux fruits de mer. Qu’il fait bon et chaud dans cette salle de restaurant. Le patron me demande d’où je viens et où je vais. Quand je lui parle de mon départ de Saint-Charles hier matin il est admiratif. Mais lorsque je lui dis que ma conviction pour la suite en a pris un petit coup, il sourit.

Après ce moment bien agréable, il ne me reste plus qu’à me remettre en route et parcourir les huit kilomètres qui me sépare de mon but de la journée le village de Roquefort-la-Bédoule, où mes beaux-parents m’attendent.  Cette dernière partie le long de la route ne présente pas un réel intérêt, le chemin de grande randonnée passe un peu au-dessus mais je suis pressé de rejoindre mon point de chute de la journée. Vers les seize heures je touche au but. Avec l’arrêt et le refroidissement des muscles les douleurs apparaissent. J’ai du mal à me plier et une douleur persistante me zèbre la fesse droite. Je me dis que demain matin il sera temps de faire le point.

Le lendemain matin j’ai du mal à sortir de mon lit, une douleur aigue me cloue sur ma couche. Je prends conscience que j’ai voulu forcer sur la bête sans l’entraînement nécessaire et que je le paie. Cela m’était rarement arrivé, à tel point que je n’en ai pas le souvenir. Mais il me faut tirer les leçons de ce type d’erreur et me préparer mieux ou alors commencer par des étapes courtes le temps que le corps se mette au diapason. Donc je vais reprendre le train pour Lyon en constatant l’échec  de mon projet. L’envie de repartir n’en est que plus forte, et l’expérience vécue ces deux jours a été très enrichissante et surtout doit me rappeler à l’humilité.

 

05/02/2010

marché aux truffes de Carpentras

Tout mycologue aime se rendre à des expositions de champignons. Généralement ces manifestations se déroulent à l’automne, période propice à la plupart des espèces. Certains cryptogames,  cependant, ne répondent pas au critère de la pousse automnale.  La truffe en fait partie. La plus connue en France « la Tuber mélanosporum » ou grosse truffe noire se récolte en hiver. Il existe dans un certain nombre de villes truffes et sud janvier 2010 795.jpgdu sud des marchés spécifiques à cet or noir. Poussés par la curiosité nous décidons de nous rendre au marché aux truffes de Carpentras, l’un des plus importants du sud-est. La séance hebdomadaire se déroule chaque vendredi matin au centre ville. La veille nous avons commencé notre voyage au pays du diamant noir par un menu spécial truffes accompagné de magnifiques vins de l’appellation château neuf du pape, blanc et rouge du domaine de la Nerthe.

Chacun des plats, des hors-d’œuvre aux desserts en passant par le poisson et le quartier de viande, était une découverte aux saveurs puissantes. Tout était mis en œuvre pour que la truffe puisse donner le meilleur d’elle-même. Soirée agréable chez Serge, restaurateur qui sait vous accueillir et vous accompagner tout au long du repas.

A huit heures trente  le lendemain matin, départ pour l’hôtel Dieu et son fameux marché aux professionnels. Ce matin il fait froid, un courant d’air pour le moins frais remonte les rues de la ville. Nous pénétrons sous le porche de l’édifice. A l’intérieur une grande cour apparaît. En son centre un ensemble de tables longues matérialisent  un rectangle de quelques neuf mètres sur six, à l’intérieur duquel viendront se positionner les acquéreurs.

truffes et sud janvier 2010 801.jpgLes vendeurs se positionnent sur le bord extérieur des tables et déposent leurs sacs contenant leurs trésors. Pour certains il s’agit de simples poches plastiques, pour d’autres  d’adorables sacs en tissu de couleur claire tranchant avec la noirceur de leur contenu.

La première impression en pénétrant dans cette enceinte est saisissante. On est vraiment dans la France profonde avec ses rites qui se perpétuent depuis la nuit des temps. Les narines sont immédiatement envahies de cette odeur puissante de truffe qui règne sur le lieu. Les vendeurs se pressent les uns contre les autres avec leur richesse mycologique à peine dévoilée.  Seuls les acheteurs professionnels, dont sans doute bon nombre de restaurateurs parmi lesquels Serge le propriétaire du restaurant de la veille, ont le droit de pénétrer au centre des table. Ils doivent de plus attendre neuf heures précises. Le signal est donné par la cloche de l’édifice qui ponctue  l’heure juste.  Immédiatement un commissaire surveille et réglemente l’opération. Il est haut en couleurs, large chapeau truffes et sud janvier 2010 810.jpgsur la tête, cravate rouge, l’accent chantant du midi et pas avare de paroles et de sourires. Au gong l’espace vide au centre des tables se remplit. Les acheteurs habitués à la manœuvre ne montrent aucun empressement mais une assurance bien rôdée. Avec un œil expert ils jaugent  la marchandise exposée.  De toute évidence acheteurs et vendeurs sont de vieux complices. Cependant, Il semble que cette année tout du moins à cette période, du fait de la forte chute de neige des jours précédents certains lots pourraient avoir  subi des dommages dus au gel, donc la prudence reste de rigueur. Voulant faire quelques photos, j’essaie de pénétrer sur l’aire réservée. Le commissaire m’arrête en me disant « Vous ne pouvez pas rentrer, c’est réservé aux professionnels ».  Je lui  réponds  « Monsieur, je voudrais simplement faire quelques photos ». Là son visage s’éclaire en un large sourire et il me lâche  « Nous ne sommes pas des sauvages allez les faire vos photos ». Je me suis donc insinué au milieu des tables et gentiment les vendeurs m’ont laissé faire de magnifiques prises de vue.  Je suis effaré de constater que l’on ferait facilement la confusion avec une magnifique fournée de truffes en chocolat chez un bon chocolatier, bien entendu mis à part la senteur.

Pas d’argent échangé au niveau des tables. Certains repartent directement avec les sacs qu’ils ont négociés, le paiement se fera plus tard, tractation probablement basée sur la confiance.  Cependant au niveau du porche deux policiers gardent une pièce à l’entrée vitrée au-dessus d’un court escalier de pierre. Là à truffes et sud janvier 2010 812.jpgl’intérieur, je constate que des liasses de billets s’échangent contre la somptueuse Tuber melanosporum.  En souriant, la réflexion suivante me vient à l’esprit «  zone de non-droit fiscal protégée  par la loi ». Mais peut-être ai-je l’esprit mal tourné, cependant en France tout reste possible surtout lorsqu’il s’agit d’échapper à un règlement ou à une taxation.

Ce fut un moment fort intéressant qui me permit d’assouvir un vieux rêve de curiosité concernant  la truffe. Expérience que je recommande vivement,surtout si on la combine avec un truffes et sud janvier 2010 862.jpgvoyage dans le sud est, en passant par Vaison la Romaine, le Ventoux magnifique en hiver, Gordes et son village de Bories sans oublier de passer voir les carrières d’ocre, et pour finir une nuit dans le Lubéron à Lourmarin à la villa Saint-Louis, en  ne manquant pas de faire un petit détour  par Buoux et sa falaise magnifique au fond d’une gorge pittoresque.

26/05/2009

le long du rhône en hiver

IMGP1165.JPG 

Rhône

 

Depuis longtemps l'envie de remonter le Rhône à partir de Lyon me trottait dans la tête. Cette envie m'a été en partie communiquée par le récit de Paul Morand remontant le fleuve sur l'un des tout premiers hydroglisseurs construits. Cela remonte aux années trente. Décidé, le départ est fixé au dimanche 15 janvier.

 

Neuf heures, beau temps en avant. Comme il est étrange de partir, pour ce que l'on considère comme un voyage, à pied de chez soi. J'ai lu le récit d'un pur et dur qui écrivait que le vrai voyageur à pied était celui qui partait et revenait à pied chez lui. A défaut d'être un vrai voyageur à pied, je vais peut-être au moins en être un demi, car le retour est prévu en train. Donc, après un bon kilomètre de trottoir je me retrouve au bord du canal de Jonage. Temps parfait, il fait vraiment très bon pour un mois de janvier. Rapidement, je tombe sur un groupe de pêcheurs , dont l'un vient de sortir une belle carpe d'une dizaine de kilos, nombreuses photos agrémentées de cris de joie et d'éclats de rire. Le rythme est bon, le terrain étant plat. Jour du Seigneur, je croise un bon nombre de promeneurs à pied et à vélo. Enfin, après une quinzaine de kilomètres ayant laissé derrière moi le Grand large, le canal prend fin et commence le Rhône.

 

Au début, tout va bien . Un petit chemin s'insinue entre un terrain de golf et le fleuve, qui à cet endroit est entouré de grandes zones marécageuses. Mais, assez brutalement , la jolie sente se transforme en piste boueuse très noire et très gluante. Je vais me déplacer sur ce terrain désagréable durant une à deux heures. A deux reprises je suis dépassé par des engins pétaradant jetant aux mille vents outre des paquets de décibels, des nuées de gouttes pour le moins salissantes. Ce petit calvaire va prendre fin au confluent de l'Ain.

 

Là, dans un village j'ai du mal à retrouver le bord du fleuve , ayant du l'abandonner pour impraticabilité. Un monsieur très gentiment m'explique, qu'en sautant deux barrières, une pâture et en traversant un petit bosquet, je devrais le retrouver. Me voilà de nouveau au bord de l'eau, mais le chemin est capricieux, et pour me maintenir au plus près, j'essaye de marcher sur les galets, le niveau du fleuve étant faible. Pas facile du tout, c'est instable et ça glisse. Après avoir joué les défricheurs de forêt vierge au niveau d'un petit ru, me voilà de nouveau sur la grand route. Le bruit des voitures est rarement absent, car les deux rives sont proches d'axes routiers passants. Il est 15 heures. Plus de trente kilomètres au podomètre, il est sans doute temps de trouver un point de chute pour la nuit.

 

Dimanche après-midi, seul un bistrot est ouvert. Manifestement c'est le bistrot de garde, vu le prix du coca. Mais enfin, en prime ,j'ai droit à une blague de Coluche, donc politiquement correcte. De plus le tôlier m'indique un petit hôtel dix kilomètres plus loin. Pas de problème, il est 16h, dans une heure et demie je devrais y être. J'emprunte un chemin assez éloigné du Rhône avec en toile de fond la centrale nucléaire du Bugey. Dans mon accoutrement je ne passe pas inaperçu. Un promeneur me dit que l'Himalaya c'est par là. Enfin, j'arrive au patelin, sur la petite place centrale un joli petit hôtel, quelle nuit en perspective après 40 bons kilomètres. Manque de chance, il est fermé le dimanche soir. Pas de panique, je m'adresse à une vieille dame, qui va probablement me tirer d'affaire. Pour commencer, elle me prend pour un SDF quémandant un euro pour se payer une chopine avant sa nuit à la belle étoile. Rassurée, elle ne m'apprendra rien de concret en perspective de la nuit qui avance à grands pas. Dans le village se trouve l'essentiel , une fontaine. Profitant des dernières clartés de cette journée d'hiver, je vais contempler l'église, qui est vraiment imposante, en particulier du fait de son immense clocher rectangulaire. A l'arrière de l'édifice un petit champ en pente à la base duquel un replat se dissimule dans l'obscurité grandissante.

 

IMGP1168.JPGDix minutes plus tard ma petite tente y est installée, et je suis allongé à l'intérieur pour la longue nuit de 14 heures. Un petit coup de téléphone, avec un portable on n'a jamais l'impression d'être seul. J'ai la flemme de me faire à manger. Les cloches sont particulièrement présentes, elles annoncent tous les quarts d'heure et de plus elles doublent tous les messages. A croire que les habitants sont sourds. Malgré ce raffut, pouf je dors.

 

Il est 6 h du matin, je me réveille. Il fait encore nuit. J'en profite pour lire. Il s'agit du livre d'Ella Maillart: Ti Puss. Elle compare son chat à une grosse chenille velue. Huit heures sonnent au clocher. Le jour ne va pas tarder, je plie tout. Que d'humidité, cependant camper en hiver a son charme. Trente minutes plus tard, sac bouclé je démarre. Plongée dans le brouillard du petit matin une enseigne terne au détour d'une rue sombre, un bistrot improbable. Un petit café ne me fera que du bien , cela va faire 24 h que je suis quasiment à la diète totale. Je rentre et là je reconnais le bistrot français. Lorsque je vivais à l'étranger ces ambiances me manquaient. Comme dit Ella Maillart, au fin fond de l'Inde elle reconnaît un Français et bien moi au fin fond de l' Ain , je suis sûr que mon bistrot est français et le premier coup d'œil me le confirme. La tôlière me prend aussi pour un martien, va-t-elle m'indiquer le chemin des étoiles? En tout cas, je n'arrive pas à déterminer si elle a gardé sa chemise de nuit, à moins qu'elle ne soit allée repêcher sa chemise de la semaine dernière dans la machine à laver en panne. Je suis méchant car elle est avenante et son café bon. La clientèle est française, je le confirme. Les uns sont au petit blanc et les experts déjà au gros rouge. Il faut reconnaître que dans cette région de viticulture les deux couleurs se tiennent bien , alors que l'appellation est peu connue.

 

8h30 , je quitte cet endroit bien sympathique. Le jour s'est levé, encore une fois le chemin refuse de me ramener au bord du fleuve. A vrai dire , il n'y a pas de chemin de halage et cela est logique, car le Rhône n'est pas navigable au nord de Lyon. Donc tout parallèle avec la Saône n'est pas possible. Je traverse de grandes zones de pâtures et de champs cultivés, puis j'arrive à proximité d'une grande propriété. Un chemin bordé d'immenses IMGP1170.JPGarbres majestueux contourne le corps principal des bâtiments. Il se dégage dans ce matin doux une atmosphère paisible qui donne un côté très agréable à la marche. Une fois de plus je suis acculé à prendre la route. Un village se dessine quelques kilomètres devant. Je vais bien trouver un petit restaurant . Le bourg est pittoresque et manifestement touristique, mais peut-être pas un lundi du mois de janvier. Un joli restaurant, à la carte alléchante, pas de doute ça m'a l'air superbe. Mais au fait c'est fermé. J'allais tomber dans la facilité. Bon le prochain village est dans un peu moins de dix kilomètres, avant treize heures trente j'y serai. La sortie du village offre une vue magnifique sur le fleuve, qui arbore de belles teintes bleu pastel dues au ciel et aux quelques nuages. Mais rapidement mon itinéraire emprunte un chemin de carrière duquel de vilains bosquets masquent l'eau qui court. Enfin sur l'autre rive, mon lieu escompté. Je traverse un pont duquel je vois une truite chasser de petits poissons. Je remonte la rue principale. Tout est fermé, tout absolument tout. Cela va finir par devenir l'aventure.

 

Je m'installe sur le quai et sors mon réchaud. Ma soupe mijote tranquillement. Au-dessus de moi un petit mur de 1,5 mètre. Des voix d'enfants me font lever les yeux. Quatre petites têtes blondes et moins blondes m'observent avec curiosité. La première question jaillit.

-Que faites-vous Monsieur?

-Je me promène.

-vous venez d'où?

-de Lyon

-à pied?

-oui

-vous mangez quoi?

-de la soupe

-bah!!! Elle est à quoi?

-à la poule

-pourquoi le sachet n'est pas écrit en français?

-parce que je l'ai acheté en Espagne

-pourquoi vous mangez pas un kébab?

Alors le plus déluré de la bande me demande:

-vous voyagez seul?

Je lui réponds par l'affirmative. Il me regarde et me lâche:

-ta chérie te manque pas?

Il n'en fallait pas plus pour que la petite meute soit parcourue d'un grand éclat de rire. Bien en évidence au milieu le premier de la classe ses lunettes droites sur son nez ouvre son rire sur ses dents en zigzag. Il me fait penser au petit orphelin dans les Choristes. La frénésie inhibant la timidité l'un d'eux me lance:

-Monsieur mets ta cagoule

-eh! les anciens on continue à discuter dans le calme et le respect!

-d'accord Monsieur, mais c'est lui qui fait toujours l'idiot

-et au fait vous n'êtes pas à l'école cet après-midi?

-ben non on a une petite grève de deux heures.

Je continue mon repas sous leur regard, puis une voix lointaine les interpelle et ils disparaissent comme ils étaient venus.

 

IMGP1171.JPGRepas terminé, je range tout, nettoie ma gamelle au fleuve et c'est reparti. Une fois de plus, il n'y a que le goudron qui veuille bien accueillir mes chaussures. Quelques kilomètres plus loin, une immense étendue formée par le barrage situé en aval. Je vais remonter cet espace sans grand intérêt. L'été de nombreuses embarcations doivent l'arpenter, mais aujourd'hui c'est le désert. Un mot échangé avec un retraité, en regrets de ne pas avoir été militaire d'active dans l'armée de l'air, me permet d'espérer trouver un petit hôtel au hameau suivant. En effet cela fait 70 km depuis que je suis parti de chez moi, et je n'ai rencontré qu'un bistrot ouvert à l'exclusion de tout autre commerce. Effectivement un petit hôtel au carrefour de deux routes passantes. J'entre, m'installe, commande une bière à la vieille dame en train d'éplucher des haricots verts. Je lui demande s'il est possible d'avoir une chambre pour la nuit. Manifestement elle n'en prend pas la responsabilité et appelle à l'aide. Une belle femme entre, à laquelle je réitère ma question. Elle me répond que l'établissement est complet et repart vaquer à ses occupations. Je passe donc du désert total à la foule la plus absolue, car la bâtisse semble contenir de nombreuses chambres et qui en apparence sont toutes occupées. Bon, tant pis! De dépit je commande une seconde bière. Mon interlocutrice réapparaît et au moment de payer me dit :

-j'ai bien une chambre qui n'est pas en état mais je veux bien vous la laisser, si vous voulez la voir et je vous la laisse pour 20 euros

-ce n'est pas la peine que je la voie, je la prends ou c'est ma tente au bord du Rhône

-ben non! On ne va pas vous laisser dormir dehors.

Lorsque enfin j'émets le désir de rejoindre ma chambre, elle m'accompagne et me laisse découvrir un ensemble superbe avec salle de bain et télévision. Manifestement, au début elle aussi m'avait pris pour un SDF, sans doute insolvable, à la recherche d'un toit pour la nuit. Heureusement elle a révisé son jugement. A sa décharge, on peut se demander ce que vient donc faire en hiver un marcheur au bord du Rhône. Du coup, j'aurai une superbe nuit, gîte et couvert pour une somme modique.

 

Le lendemain matin après une bonne nuit, frais et dispos je décide de couper directement à travers la montagne et de quitter le bord du fleuve qui est encadré d'un peu trop près par le bitume. Rapidement je m'élève et le panorama s'élargit. La vue d'ensemble sur le Rhône est superbe. Les coteaux du Bugey déploient de magnifiques petits vignobles. Une petite rivière très claire, je m'arrête à la recherche de quelques poissons , mais hélas rien. Au moment de repartir un homme manifestement plus très jeune me héle et me demande si j'étais en train d'essayer d'apercevoir quelques truites. «Exactement» je lui réponds. Et là, il me raconte sa jeunesse à traquer le salmonidé dans ce gros ruisseau, et il y a bien longtemps il en ramassait de beaux, mais actuellement la population a périclité en partie à cause des différents produits utilisés pour les cultures. Le chemin serpente le long de pentes escarpées. Je rejoins un GR , et comme toujours dans ces conditions je ne regarde plus la topographie des lieux et me perds dans un petite trace très sauvage qui plonge vers la vallée. De toute évidence mon chemin court le long de la crête quelques centaines de mètres plus haut. En restant à flanc , je devrais rejoindre un petit col par lequel il passe probablement. Je vais jouer les sangliers en suivant des empreintes d'animaux pour me retrouver enfin à ce petit col. Les marques rouges et blanches sont bien là.

 

Il est plus de trois heures de l'après-midi, et j'aimerais bien arriver à Belley avant la nuit. Trois petits mouvements de terrain boisés sont à franchir, et je préférerais ne pas me retrouver en forêt après la tombée de la nuit, car le brouillard tombe vite à cette période de l'année. Donc, mesure immédiate : accélérer le pas. Le sentier est raide, en roche calcaire et orienté au nord donc très humide. Cela ne traîne pas, je prends une grosse gamelle et manque passer par dessus bord. Plus de peur que de mal, je repars en assurant mieux mes pas. Quelques quatre kilomètres plus loin, j'arrive à l'entrée d'un vaste bois, que je dois traverser par une petite sente. Je baisse les yeux sur ma carte à la recherche du bon indice pour ne pas faire l'erreur fatale un peu avant l'obscurité. Comme c'est bizarre je n'y vois rien , où sont mes lunettes. Rapidement je réalise qu'elles sont restées sur le lieu de ma chute, il n'est cependant pas question de faire demi-tour. Dans le noir j'ai peu de chance de les retrouver. Mais pas de panique, depuis que j'ai lu les exploits de Loulou Boulaz avec Louis Lachenal, je fais comme elle et j'ai toujours plusieurs paires de rechange. La perte ne sera pas lourde, car lorsque je marche, je me contente d'une paire de loupes que j'achète trois euros sur le marché de Villeurbanne, réservant mes lunettes à la noble tâche de la lecture de livres et non de cartes. Après quelques petites incertitudes topographiques, à la tombée de la nuit je me trouve à l'entrée de la ville.

 

Rapidement au centre, je demande à une personne où se trouve un hôtel. Cette dernière me répond qu'elle est justement propriétaire de l'hôtel au coin de la rue. Tout est pour le mieux dans le meilleur des monde. Une fois mes affaires déposées dans la chambre et une petite douche prise , il est temps d'aller se restaurer. Je fais la connaissance de l'andouillette du Bugey, ma foi très bonne, et pourtant étant lyonnais , je suis un inconditionnel de la grosse bobosse, donc très exigeant en la matière. Je l'accompagne d'une Mondeuse du Bugey fort bonne, et moi qui croyais que ce cépage était spécifique de Savoie.

 

Après une bonne nuit, le temps du retour à Lyon est arrivé après cent six kilomètres en trois jours. Avant l 'arrivée du car ,qui me conduira à la gare la plus proche, je me promène un peu dans cette petite ville qui se réveille, et finalement je vais m'assoir à l'arrêt du bus . Alors arrive une grosse dame habillée en rose, qui me demande que le car l'attende si elle devait être en retard, car elle a quelques médicaments à acheter. Le bus arrive, je monte, mon gros bonbon rose n'est pas là. Pas d'affolement, il reste dix minutes. Le temps passe, départ dans trois minutes et elle n'est toujours pas en vue. Alors je signale le fait au chauffeur qui me répond qu'il n'a pas de latitude sur les horaires, car le train lui n'attendra pas. Enfin au bout de la rue, je la vois dans son habit de lumière qui essaie de courir. Tout est bien qui finit bien, à vrai dire cela ne fait que commencer .

 

Nous sommes cinq dans le bus, le chauffeur , la dame deux passagers et moi. Dès le départ, notre brave dame nous raconte ses tribulations médicales à grands renforts de gestes et de mimiques. Elle ne nous épargne rien et nous raconte par le menu comment le radiologue la retourne comme une omelette. «Vous comprenez» nous dit-elle « c'est que je n'ai plus dix-huit ans mais soixante quatorze » Elle y va avec tant d'entrain , que je finis par me demander si elle ne va pas nous faire un striptease. Mais non, et une fois que le registre des maladies multiples et diverses est clos, elle attaque les faits divers du matin. Et là, la grosse rigolade continue de plus belle. Elle interpelle le chauffeur:

-Vous vous rendez compte, hier un prisonnier en a mangé un autre qui était dans sa cellule

-Ben quoi ils leur donnent pas à manger en Amérique?

-Mais non, ce n'est pas de faim qu'il l'a mangé mais de haine.

A ce moment du dialogue, le chauffeur freine et s'arrête et les deux passagers descendent. Il est onze heures trente et comme notre grosse dame est polie , elle leur souhaite bon appétit. Je me retiens de leur demander s' ils n'ont pas un petit prisonnier à se mettre sous la dent. La gare est proche. Le retour vers Lyon se fait à faible allure, ce qui me permet de me remplir encore les yeux de nature avant de replonger dans l'affairement urbain. Une fois sur le quai de la gare de la Part Dieu, pour me remettre dans le tempo de la cité, je prends le temps de faire à pied les cinq kilomètres qui me conduiront chez moi.

 

 

04/03/2009

mes lectures

 

 

La lecture est une activité passionnante, pour ceux qui lisent cela va de soit, elle procure souvent de grandes émotions. Cependant se souvenir avec précision de ses lectures c'est une autre paire de manches. Le but de cette note a pour vocation, de prendre quelques minutes pour fixer par écrit mes impressions sur mes lectures.

 

134) La rage de survivre Trudi Birger  Denoël 1998

Livre relatant l'expérience d'une jeune juive plongée dans l'horreur de la guerre et des camps de concentration. Sa volonté de survivre pour sa vie et celle de sa mère est absolument prodigieuse. Son refus de se soumettre à l'abandon et au désespoir alors que souvent tout semble fini, elle prend des initiatives qui à chaque fois lui permettent de rester en vie et prête à affronter la situation suivante, qui semble aussi sans espoir. Extraordinaire leçon de vie. 

1) Pèlerin d'Orient de François-Xavier de Villemagne

Très beau récit d'un homme dans la trentaine, qui laisse tomber son boulot pour 8 mois et qui part à pied à Jérusalem de Paris. Il traverse dix pays, Allemagne, Autriche, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Turquie, Syrie, Liban, Jordanie et Israël. Très belle aventure, marche presque forcée qu'il mène à vive allure, parfois des étapes supérieures à soixante kilomètres; tout au long il dévoile ses états d'âme sur la signification de ce qu'il fait. Sans faux semblants il dévoile toute sa fierté de tenir le coup, tout en montrant parfois le côté ridicule. Il décrit la vie des populations des différents pays traversés, et cela donne une bonne photographie de l'évolution en cours ou parfois de l'immobilisme de certaines contrées. Dans les moments difficiles, et ce genre d'aventure en comporte de nombreux, pour ne pas dire qu'il s'agit de 7 mois de souffrance, on sent que sa foi le porte et lui permet de ne pas douter du succès. Très intéressant et bien écrit.

 

 

 

2) Un chemin de promesses Édouard et Mathilde Cortès

6000 km à pied et sans argent de Paris à Jérusalem. Livre époustouflant par l'aventure vécue par ce couple, en guise de voyage de noces, certes long 7 mois. Sans gros entraînement et sans savoir si la survie est possible sans argent, ils partent. Ils vivront des moments difficiles, tout particulièrement en Italie du nord. Ils vont traverser 14 pays sans compter la France, Suisse, Italie, Slovénie, Croatie, Bosnie, Monténégro, Kosovo, Macédoine, Bulgarie, Turquie, Syrie, Liban,Jordanie et Israël. Beaucoup de belles citations empruntées à différents auteurs. Cet exploit ils ont pu le mener à son terme grâce en partie à leur foi. Sur ce plan il y a des similitudes avec l'ouvrage précédent.

 

3) Figures de Proue Claude Allègre

Il aborde le destin hors du commun de cinq hommes qui ont très fortement marqué la deuxième partie du xxème siècle. Nehru, De Gaulle, Deng Xiaoping, Gourbatchev et Mendela. Ouvrage très clair, vulgarisation de très bon niveau. Ces cinq récits sont passionnants et se lisent avec avidité. Seul, peut-être les longues explications sur les arcanes du régime soviétique sont un peu rébarbatives et pas toujours faciles à suivre. Excellent livre comme souvent de la part de cet auteur.

 

4) La plupart ne reviendront pas de Eugénio Corti

Très beau livre sur la retraite d'une armée italienne sur le front russe durant l'hiver 1942-1943. On se croirait dans une description de la retraite de Russie de l'armée napoléonienne. Les Allemands qui étaient des alliés des Italiens, sont décrits comme des êtres sans aucune humanité et de véritables bêtes de guerre, montrant un vrai mépris envers les Italiens. Témoignage saisissant, faisant ressortir toute la sensibilité de l'auteur et de l'Italien en général. Ce qui n'empêche pas que le soldat italien soit très courageux lorsque les circonstances le demandent. Écriture splendide que l'on retrouve chez d'autres auteurs  italiens, la guerre dans toutes ses horreurs décrite à travers un regard humain.

 

 

5) Il était une fois l'URSS Dominique Lapierre (POCKET)

Voyage en auto en Union Soviétique en 1957 effectué par l'auteur et un collègue journaliste, accompagnés de leurs épouses. Par un concours de circonstances assez incroyable, ils ont obtenu l'autorisation de pénétrer en URSS, directement par Khrouchtchev. Voyage plein de surprises et très intelligemment mené quant aux différentes rencontres au pays des soviets. Un moment de plaisir malheureusement trop vite consommé.

 

6) Le livre de ma mémoire Danielle Mitterrand Folio

Livre de 400 pages qui se lit bien. La vie de sa famille au début du XX ème siècle est intéressante, sa position de témoin privilégié auprès de François Mitterrand donne un éclairage particulier au personnage. Cependant ses analyses politiques sont souvent limitées  mais permettent de mieux la cerner. En particulier son entretien avec Castro est étonnant, les réponses de ce dernier à ses questions sont surprenantes. On voit une militante très convaincue depuis plus d'un demi-siècle, mais qui ne bouge pas beaucoup dans sa manière de voir, sans doute idéaliste et  faussement naïve. Globalement se lit avec intérêt et donne un témoignage sur des périodes importantes du xx siècle.

 

7) Bouilleurs de Cru   Hippolyte Gancel et Jacques Le Gall Editions Ouest-France

Livre qui relate la traque par le fisc des bouilleurs de cru. Les agents du fisc dénommés rats de cave sont à la recherche de la moindre goutte produite illégalement, et les sanctions sont parfois disproportionnées aux quantités trouvées. Les uns et les autres rivalisent d'ingéniosité et de fourberie dans cette lutte sans merci. Les faits relatés se déroulent entre les deux guerres, et souvent les bouilleurs de cru sont des anciens combattants de la guerre de 14-18 et ils n'ont plus peur de grand chose pour s'opposer aux contrôles. A travers une multitude d'anecdotes, parfois drôles parfois dramatiques, où la tension est toujours présente, on suit le conflit entre ces deux corporations. Témoignage très intéressant de la vie dans nos campagnes au début du xxème siècle.

 

8) Ripoux à Zhengzhou  Zhang Yu   Picquier Poche

Les tribulations de deux polciers dans une grande ville chinoise à notre époque, sans doute une bonne vision de ce que devient la société chinoise où communisme et capitalisme débridé cohabitent sans déranger personne , sauf parfois les honnêtes gens car la corruption et la magouille sévissent dur. Traduit du chinois, bien sûr, ce texte se déroule sur un rythme alerte au gré de situations et de personnages étonnants. Les quelques 400 pages sont avalées rapidement et la lecture en est très agréable.

 

9) Le procès des étoiles Florence Trystram     Petite bibliothèque Payot

Aventures incroyables vécues par un groupe de scienifiques français envoyés  au Pérou en 1735 par l'Académie des sciences afin de mesurer un arc du méridien terrestre. Cette expédition va s'éterniser et ils resteront de nombreuses années en Amérique du Sud, d'ailleurs tous ne reviendront pas. Entre expériences et mesures conduites dans des conditions extrêmes dans les Andes en altitude et des relations humaines conflictuelles empreintes de bassesses et coups tordus, le tout dans un pays où les Français sont regardés comme des concurrents dangereux par les Espagnols, ce récit conduit à toute allure dans un style alerte nous fait vibrer à chacune de ses phrases tout au long de ses 330 pages. Il m'a laissé une forte impression sur des domaines peu connus de la science telle qu'elle se pratiquait il y a plus de deux cents ans.

 

10) Affaires urgentes     Lawrence durrell        Pavillon Poche Robert Laffont

L'auteur nommé attaché de presse à l'ambassade britannique à Belgrade au début de la guerre froide, nous brosse un tableau hilarant de la vie au sein des ambassades. Il décrit de façon savoureuse les relations entre les membres de cette institution. Les anecdotes narrées sont incroyables, qu'il s'agisse du concours de beauté de chiens, de la descente en radeau au cours d'une réception ainsi que de nombreuses autres. La réalité dépasse la fiction.  Un peu plus de 300 pages de bonheur, avec lesquelles on est assuré d'avoir sa dose de rire indispensable à la santé.

 

11) De Gaulle et Churchill  François Kersaudy    tempus

Livre consacré aux relations très complexes entre de Gaulle et Churchill. Ces deux géants du xxème siècle sont amenés à s'opposer pour ce que chacun considère l'intérêt supérieur de leur pays réciproque dans le cadre de la conduite de la guerre. De Gaulle totalement intransigeant  dès qu'il s'agit de la France, face à un Churchill, poutrant très francophile, pris par ses propres problèmes.  Les paroles suivantes en disent long sur la complexité de leurs relations:

Churchill "De Gaulle, un grand homme! Il est arrogant, il est égoïste, il se considère comme le centre de l'univers... il est... vous avez raison, c'est un grand homme!...

De Gaulle "Pauvre Churchill! Il nous trahit, et il nous en veut d'avoir à nous trahir...

Livre de 450 pages qui se lit d'un seul souffle, vaut tous les romans d'aventure et cependant tout est vrai. Un des meilleurs livres que j'ai lus.

 

12) Le commandant d'Auschwitz parle   Rudolph Hoess    la découverte/poche

Les camps de concentration et leur fonctionnement, une multitude de livres en parlent souvent avec précision. Ils sont écrits la plupart du temps par des chercheurs ou des rescapés. Le bourreau y apparait forcément comme un être sans humanité. Mais lorque le livre est écrit justement par un acteur et pas des moindres, le commandant du camp d'Auschwitz, même si ce texte est en  partie écrit pour essayer de se justifier ou d'atténuer sa responsabilité personnelle dans l'extermination des Juifs et d'autres groupes humains, il est  d'abord écrit par un homme. C'est là que se cache l'horreur, un être humain qui ressent des sentiments, qui évalue bien le degré des horreurs qu'il commet ou fait commettre mais qui en pleine conscience s'applique dans son travail.  On prend conscience que non seulement des monstres peuvent commettre des monstruosités mais des êtres humains qui ont une famille et qui aiment leurs enfants. On s'interroge sur la capacité d'un régime à endoctriner l'individu, cela fait réfléchir aux dangers qui guettent toute démocratie qui se croit bien installée dans ses convictions humanistes. Le dérapage est-il impossible? Robert Merle  écrit au sujet de cet ouvrage "Un livre d'une valeur exceptionnelle dans l'histoire de notre temps" ou bien le Déporté rapporte "Ce document exceptionnel est le miroir où se reflète fidèlement le mécanisme de la plus épouvantable machine à tuer que l'humanité ait jamais conçue". Livre qui marque profondément et qui me conduit à lire l'ouvrage suivant: Un si fragile vernis d'humanité  Banalité du mal, banalité du bien.

 

 

13) Vous voulez rire Monsieur Feynman!   Richard P. Feynman    Odile Jacob

Scientifique de tout premier plan, qui a travaillé dans de nombreux domaines de la physique, toujours au tout premier plan. Etre de génie, excentrique curieux de tout , il raconte de façon sublime ses expériences de vie professionnelles ou autres, et ses domaines de prédilection sont multiples. Ce qu'il fait, il le fait à fond. Livre magnifique en dehors des normes, une fois qu'on l'a terminé on est tellement époustouflé que des êtres comme Feynman existent, qu'on a envie de le relire pour être certain que l'on a pas rêvé. Magnifique et plein d'optimisme, il y a quand même des vrais génies sur notre planète, même s'ils le savent ils ne se prennent pas forcément au sérieux. Les 358 pages se lisent trop vite!!!

 

14) Pélerins d'Occident à pied jussqu'à Rome  François-Xavier de Villemagne      Transboréal

Après la lecture de Pélerin d'Orient, la lecture de ce livre s'imposait. En effet l'auteur sept ans après son premier voyage nous invite à nouveau à un voyage à pied de plusieurs mois, au cours duquel il nous livre ses pensées en cheminant. Encore une fois il s'agit d'un bel exploit physique, où au jour le jour il fait des rencontres sans les avoir prévues. Il nous décrit cette Italie qui va le retenir sur la plus grande partie de son chemin, car il ne va pas directement à Rome de Paris. Non il fait un détour de 2000 kilomètres par la Botte. Sa traversée de la France et surtout de la Suisse ne laisse cependant pas indifférent. Joli livre, pourtant moins exotique que le précédent, ce qui est normal car il ne passe que par trois pays au lieu de dix. Mérite la lecture, de nombreuses formules et pensées m'ont fait vibrer, et puis ces grands trajets à pied à notre époque de week-ends lointains et de tours du monde en quelques jours réconcilient avec l'idée de départ.

 

15) Voyage au bout de la nuit    Céline

Livre qui n'a pas besoin de présentation. A plusieurs reprises déjà j'avais essayé de le lire, mais sans doute le moment n'était pas venu, à moins qu'il  faille être dans les bonnes dispositions pour s'attaquer à ce livre. Je comprends pourquoi on a tant écrit sur cet ouvrage. Je dois reconnaître que cette lecture apporte beaucoup même si les idées développées sont extrêment sombres et sans espoir pour l'homme. Mais c'est peut-être cela et que cela la réalité de l'être humain? J'espère que non, comme quoi Céline a l'immense mérite de pousser à la réflexion.

 

16) Mémoires d'un Yakuza   Saga Junichi        Picquier poche

Ce livre fait rentrer dans le monde des gangsters japonais. Il a été écrit par un médecin qui a recueilli les révélations, un peu à la manière d'un leg testamentaire, d'un vieil homme qui avait été un grand chef de gang. On suit le recrutement l'initiation puis l'ascension  avec ses revers, prison par exemple, d'un Yakuza dans le monde du banditisme japonais. Bien écrit, précis décrit une multitude de situations que traverse l'homme au cours de sa vie; très intéressant  cet ouvrage dresse un tableau clair d'un monde que l'on est curieux de connaître.

 

17) Un député ça compte énormément!    Jen-François Copé       Albin Michel

L'auteur dans ce livre explique les mécanismes du fonctionnement de l'assemblée nationale. Sans concession il en révèle les points forts et les points faibles. Il insiste tout particulièremnt sur certaines dérives actuelles, qui nuisent fortement à la crédibilité et à l'efficacité. Il dresse le tableau de ce que devra être le parlement avec la nouvelle réforme approuvée récemment.  Il disséque les rouages   des relations de travail parlement exécutif, et les comportements entre groupes de l'opposition et de la majorité. Très instructif, clair et sans langue de bois, pour compléter faut-il sans doute avoir le pont de vue d'un député de l'opposition. Le président du groupe socialiste devrait se livrer au même exercice, ce serait intéressant.

 

18) Les archives du Président Mitterrand intime    Françoise Carle       éditions du Rocher

Livre très intéressant écrit par une proche de François Mitterrand. Elle nous permet de découvrir le fonctionnement de l'Elysée à travers le travail des conseillers et des différentes affaires traitées. Elle a comme mission de préparer les archives de l'époque Mitterrand . De par ce travail, vues croisées sur une multitude d'activités et de personnages durant plus d'une décennie à travers la planète. D'autre part, étant une intime du Président et de sa famille, elle nous parle de ses vacances à Latché. Original, elle y vient en voiture et dort généralement dedans au grand dam du Président. Elle y venait d'ailleurs avant qu'il soit Président, et y est invitée permanente. Que l'on aime ou pas le personnage de Mitterrand livre très intéressant dont il n'y a pas à douter de l'honnêteté de l'auteur, qui écrit très bien. J'ai beaucoup aimé ses descriptions en particulier des paysages, une fan de montagne  et ses moments privilégiés avec François Mitterrand.

 

19) Aventures en Loire   Bernard Ollivier    éditions Phébus

Bernard Ollivier est très connu pour son magnifique bouquin en trois volumes sur la route de la soie qui s'intitule La longue marche. Dans le livre sur la Loire, il relate son aventure d'un mois à l'été 2008 à pied et en canoë le long de ce fleuve. Il décrit le fleuve et les habitants de ses berges à la rencontre desquels il va. Les contacts humains chaleureux sont l'un des moteurs essentiels de l'aventure selon lui. En particulier la rencontre d'amoureux du fleuve qui lui font découvrir ce milieu est passionnante. Il fait la comparaison du déplacement entre la marche et la canoë, qu'il découvre pour la première fois alors que la marche il l'a expérimentée sur des milliers de kilomètres à travers la planète. D'autre part, comme dans son livre sur la route de la soie, il exprime toute son interrogation devant l'âge qui vient, à l'époque il avait 60 ans, alors qu'en 2008 il en avait 70. Il exprime sa philosophie du voyage à travers une phrase chargée de sens: le voyage est dans la manière et non dans la destination. De toute évidence l'aventure physique et humaine on peut la trouver en France. A lire impérativement quand on se pose des questions sur le voyage et les destinations exotiques qui croit-on sont seules à apporter le grand frisson de l'émotion.

 

20) Un Général suisse contre Hitler   Jon  Kimche         Fayard  1962

Livre particulièrement passionnant, en effet il montre toute la démarche suisse face aux Allemands pendant la deuxième guerre mondiale. On y apprend que l'armée suisse n'a de général que lorsque des guerres éclatent près des frontières. Ce général Henri Guisan a su mener une action prémonitoire pour son pays face à Hitler. Il ne pouvait compter sur son gouvernement et il devait compter contre une partie du pays qui voulait une neutralité stricte voire une position de complaisance avec l'Allemagne. Il fallait compter aussi avec les Suisses qui étaient pronazis.  Il a su mener une politique de fermeté tout en sachant bluffer quand il le fallait et abattre ses cartes en force à d'autres moments. Il a su par une action déterminée empêcher  sinon l'alliance  de la Suisse au moins son invasion par Hitler. On découvre  un de Gaulle suisse. A lire impérativement.

 

21) Les temps sauvages   Joseph Kessel     Gallimard

Comme toujours avec Kessel il s'agit de situations exceptionnelles avec des personnages sortis d'un roman fantastique et pourtant c'est la réalité. Il décrit sa mission militaire au fond de la Russie en 1919 à Vladivostok. Impressionnant, des descriptions de situations à couper le souffle et des sentiments bouleversants.

 

22) Journal d'un préfet pendant l'occupation  Pierre Trouillé    l'Air du Temps collection dirigée par Pierre Lazareff

Livre qui relate au jour le jour le travail d'un préfet de Vichy pendant l'occupation. Il s'agit de l'auteur. Il décrit très clairement son action au quotidien entre le gouvernement de Vichy, les Allemands (gestapo, Wehrmacht, SS) et la résistance. Il montre clairement qu'à tous les niveaux hiérarchiques du gouvernement de Vichy il y a des hommes en place qui font tout leur possible pour lutter contre l'envahisseur. Très beau témoignage sur ce qui s'est passé dans la région de Tulle au cours de la dernière année de guerre. Indispensable pour affiner son jugement sur ce que fut le gouvernement de Vichy et surtout sur l'action menée par certains de ses membres.

 

23) 37 ans avec la pègre  Commissaire Guillaume    Editions des Equateurs 2007 première publication 1938

Un commissaire de police raconte les mémoires de sa vie professionnelle en gros entre les deux guerres. Il fut entre autre durant 7 années dans les années trente le chef de la fameuse "Brigade spéciale" du 36 quai de Orfèvres. Il fut un modèle pour Georges Simenon. Il décrit toutes les catégories de délinquants et délinquantes auxquels il est confronté. Tout y passe, les escrocs, maîtres chanteurs, cambrioleurs, les criminels, les indicateurs, les délinquants mineurs, les condamnés à mort.... Il fait de beaux portraits de toutes ces populations qui enfreignent les lois, et il explique sa façon de procéder pour les interpeler. On a une bonne idée des mœurs de l'époque à travers ces multiples affaires.

 

24) Feux du ciel  Pierre Clostermann        J'ai lu

Ouvrage remarquable écrit par un grand spécialiste des avions, comme pilote et ingénieur de haut niveau. Il retrace à travers ce récit, les évolutions des avions des différents belligérants de la deuxième guerre mondiale. Remarquable, n'a rien à voir avec son célèbre ouvrage "le grand cirque" où il raconte sa bataille d'Angleterre. A lire on y apprend beaucoup de choses. Un passage complètement surréaliste concerne les kamikazes, en particulier lorsqu'ils assistent, au cours de l'une de leur cérémonies rituelles avant de partir se sacrifier en coulant des bateaux US, à l'explosion de la bombe nucléaire de Nagasaki, le 9 août. Eh bien cela ne les perturbe pas autre mesure de voir ce spectacle de l'autre côté de la baie, et ils continuent leurs préparatifs et ils partent pour la dernière attaque de la seconde guerre mondiale. Franchement stupéfiant!!!

 

25) Des fleurs en enfer  Luc Adrian     Presse de la Renaissance

Ce livre raconte l'action d'une fraternité franciscaine dans le Bronx.  Très beau témoignage, manifestement la foi permet de déplacer des montagnes.

 

26) Portraits pour la galerie    Philippe Bouvard       Albin Michel

En quelques lignes ou quelques pages, Philippe Bouvard croque de l'ordre de 140 personnes connues, qu'il a rencontrées voire côtoyées lors de sa longue carrière. Dans un style truculent, il brosse à grands traits des tableaux de personnages, qu'il connait bien. Il livre des petits secrets hilarants, comme par exemple Valery Giscard d'Estaing, qui après avoir invité quelqu'un, le regardait partir du coin de son rideau. S'il affichait une belle voiture alors un contrôle fiscal pouvait survenir, l'auteur en ayant fait l'expérience. Entre autre anecdote, il narre comment Jacques Mesrine s'était intéressé à lui, et l'avait mis en tête de liste de ses futures victimes. Livre à ouvrir à n'importe quelle page  au hasard, et on est sûr de trouver une bonne surprise intéressante et souvent marrante. Médicament très efficace pour les petits coups de blues passagers, à utiliser et réutiliser un peu chaque jour.

 

27) L'enquête Petiot    Commissaire Massu   Librairie Arthéme Fayard 1959

Le commissaire Massu était le chef de la Brigade criminelles du quai des Orfèvres. Il a été chargé de l'affaire Petiot. Il raconte tout le déroulement de l'enquête telle qu'il l'a menée, de la découverte du lieu des crimes par le hasard d'un incendie de chaudière jusqu'à la condamnation du docteur Petiot. Au fur et à mesure de l'avancée de l'enquête il va de surprise en surprise. Bien que nous ayons tous une idée sur les agissements de ce médecin, le déroulement au jour le jour de cette enquête hors norme dans le contexte de la France occupée par les Allemands, dépasse tous es scénarios de polars, et on en frémit en sachant qu'il s'agit d'une histoire vraie.

 

 

28) Chasseurs d'espions Colonel Oreste Pinto J'ai lu

Livre passionnant qui se lit comme un polar, mais tout y est vrai. L'auteur était chargé pendant la deuxième guerre mondiale de démasquer les espions travaillant pour l'Allemagne. Il explique ses méthodes d'investigation à travers de nombreux cas qu'il a vécus. Il décortique les ficelles de son métier. Il en montre les aspects techniques et humains. Chaque espion a sa propre personnalité et les chemins pour le démasquer peuvent différer. Il est important de préciser que la torture physique n'est jamais utilisée et que l'auteur à l'instar des services britanniques, par lesquels il a été formé, met un point d'honneur à ne pas tomber dans les méthodes inhumaines des nazis. Mais la sanction pour l'espion démaqué est généralement la mort. J'ai tellement été intéressé que je l'ai quasiment lu deux fois.

 

 

 

29) Anatomie de l'errance Bruce Chatwin Le Livre de Poche

Livre très dense à lire et relire. Il aborde en apparence une multitude de thèmes que je ne raccroche pas directement à l'errance, mais il y a un lien. Par exemple l'art, quel est le lien avec l'errance? Se déplacer pour voir et surtout d'après ce que j'ai compris la possession et là c'est antagonique avec l'errance qui s'affranchit de biens matériels. On a l'impression à travers cet ouvrage d’en lire plusieurs. Il parle entre autre de gens tout à fait exceptionnels comme Maximilien Tod (que je ne connaissais pas) ou de Malaparte (auteur qui a écrit de magnifiques livres et en particulier un ouvrage de référence Kaputt. Je le compare avec Grossman et ses carnets de guerre sur le front russe durant la deuxième guerre mondiale). Il aborde aussi la vie de Stevenson, comme jamais je n'en avais entendue parler. Tout au long des pages on apprend une foule de choses dans de multiples domaines. A lire et relire dans le désordre cela n'a pas d'importance, il faudrait pouvoir mémoriser la somme de connaissances qu'il nous livre. En tout cas cela me donne envie de lire ses autres ouvrages, comme par exemple le chant des pistes.

 

 

30) La Peur Gabriel Chevallier Editions France Loisirs

Cet écrivain est l'auteur de « Clochemerle», et ce succès paradoxalement a éclipsé cet ouvrage «la Peur». Véritable plaidoyer contre la guerre, il la décrit avec précision. Il décortique les réactions humaines face à ces situations d'apocalypse que sont les grands bombardements, les préparations aux assauts dans l'attente de sortir des tranchées sous la mitraille. Ce livre a la même puissance évocatrice qu'un livre comme «Orage d'acier» d'Ernst Jünger, qui lui par contre, fait en quelque sorte une forme d'apologie de la guerre. Paradoxalement ces deux livres se rejoignent dans la puissance de la narration de situations extrêmes, en étant à l'opposé dans la perception individuelle des auteurs. Tous deux abordent la mort collective au combat, le premier se basant sur le rejet individuel et la peur et le second insistant sur l'exaltation qui naît du combat. Deux volets, deux visions, deux approches d'un même phénomène humain, la guerre dans toute son horreur et son inhumanité. La vie humaine est en sursis au gré des obus et des balles. «La Peur» mériterait la notoriété de «Orage d'acier». Ayant lu de nombreux livres sur la première guerre mondiale, ce sont les deux qui m'ont le plus marqué, par la description des situations vécues, et des réactions engendrées chez l'homme soumis à ces conditions de mort imminente.

 

 

31) Histoire secrète de la mission Rudolf Hess Lord James Douglas-Hamilton Robert Laffont

 

Livre étonnant qui explique les raisons pour lesquelles Hess est parti contre l'avis d’Hitler essayer de négocier la paix avec les Anglais en 1941. Histoire incroyable, déclenchée par deux types d'événements, qui en se conjuguant l'ont conduit en Écosse. D'une part, l'un de ses conseillers, Albrecht Haushofer, bien introduit auprès de certains milieux anglais, de façon involontaire lui en a donné l'idée. D'autre part l'estime d’Hitler à son encontre baissant, il a voulu redorer son blason en tentant d'arrêter la guerre sur le front ouest à la veille du déclenchement de la guerre contre la Russie. De la conjugaison de ces différents événements il en est résulté son départ en Messerschmitt 110 le 10mai 1941.

L'argumentaire déployé semble très plausible. Le livre révèle le personnage étonnant de Haushofer. D'ailleurs dans le livre il est plus question de lui que de Hess. On assiste aussi à toutes les tentatives de positionnement de Himmler pour éventuellement supplanter Hitler en fonction de circonstances qui auraient pu se révéler favorables. Très intéressant, publié en 1971 et en 1972 pour la version française.

 

 

32) Le pouvoir ne se partage pas Conversations avec François Mitterrand           Edouard Balladur Fayard

 

Edouard Balladur, retrace sa relation avec François Mitterrand à l'époque où il était Premier Ministre et Mitterrand Président de la République.

Ce compte-rendu presque au jour le jour montre comment la politique française s'élaborait au cours de ces deux années de cohabitation (mars 93 mai 95). Certains pourront dire c'est facile de reprendre ce qu'aurait dit une personne morte, cependant je trouve un air de sincérité à ce récit. Il en ressort que les actions des hommes politiques, en connaissance de cause, ne sont pas toujours dans l'intérêt de la France, mais inspirés par de basses manœuvres.

La description détaillée du jeu qu'ils jouent dans leurs rapports quasi-journaliers démonte bien le mécanisme de la prise de décision au sommet de l'état durant ces deux années. Il en ressort que ce qui comptait c'était plus de garder les apparences du pouvoir que sa réalité.

On apprend beaucoup de choses sur leurs actions et le cheminement de leurs pensées face aux grands problèmes nationaux et internationaux de ces deux années.

Il met aussi en évidence toute la toxicité de sa propre majorité qui en partie roule pour Chirac et qui essaie de lui nuire pour donner des arguments à Chirac pour les présidentielles de 1995. Les hommes politiques pour nombre d'entre eux ne sortent vraiment pas grandis au travers de ce qu'il écrit.

Bien qu'il n'en parle pas, l'affaire Clearstream regardée à l'aune des chausse-trappes que Chirac lui a tendus lors de la présidentielle de 1995, laisse à penser que certains ont essayé de faire la même chose à Nicolas Sarkozy pour les dernières élections présidentielles en 2005.

Ce livre laisse un malaise, tous pourris, manipulation de l'opinion, le fric seul permet aux grands partis d'émerger, même si leurs leaders n'ont pas d'idées, bien qu'ils soient de grands stratèges pour conduire une campagne. Malheureusement une fois qu'ils détiennent le pouvoir ils ne savent plus très bien qu'en faire, en partie du fait de la démagogie employée pour arriver, qui les empêche de mener une action pour le redressement du pays.

On se demande après ce livre, si cela sert à quelque chose d'aller voter. Je pense à Anne Romanov et son sketch «On ne nous dit pas tout».

En conclusion à lire impérativement

 

 

33) Solos d'amour John Updike

A travers un peu plus d'une dizaine de récits, il raconte toutes sortes d'histoires entre les deux sexes. Cela va du fantasme concernant une rencontre qui date de l'adolescence à l'adultère à travers tous ses stratagèmes et ses mécanismes. Ce qui est intéressant dans ces récits magnifiquement écrits, c'est que l'on y découvre forcément dans la variété des situations décrites des analogies avec sa propre vie. La dernière histoire de loin la plus longue, puisqu'elle doit faire la moitié du livre qui compte 400 pages est un peu monotone. Cependant elle conserve son attrait du fait de la description de la société américaine, dans laquelle l'auteur sait si bien nous plonger. Cette deuxième partie je l'ai lue par curiosité sur cette fameuse société américaine. Mais dans la nôtre nos motivations sont-elles différentes? Écriture pleine de fraîcheur, sans tabou.

 

34) Ambassadeur en mission spéciale    Sir Samuel Hoare       Vent du Large 1948

 

Récit passionnant de l'ambassadeur de Grande Bretagne en Espagne durant la deuxième guerre mondiale. Lieu où se tramèrent et se discutèrent de nombreuses intrigues, les différents interlocuteurs alliés et de l'axe se côtoyaient dans ce pays presque neutre. En effet, il ne l'était pas tout à fait. Les penchants vers l'Allemagne étaient visibles sans ambiguïté. Un volet important des missions de cet ambassadeur était de faire en sorte que Franco ne cède pas à ses ministres pro nazi et aussi à la pression directe d’Hitler qui cherchait à entraîner l'Espagne dans le conflit. Très belle narration, très claire écrite par un acteur de premier ordre, qui œuvra pour la restauration de la démocratie au cours de ce cataclysme qui ravagea le monde durant de nombreuses années.

 

 

35) L'argent des politiques Christophe Dubois Marie-Christine Tabet Albin Michel 2009

 

Un livre de plus qui ne met pas les hommes et femmes politiques à l'honneur. Il révèle une multitude de scandales et de pratiques pour le moins pas très glorieux? Mais on en a déjà tellement vu, lu et entendu que nous ne sommes plus étonnés, sans doute blasés depuis longtemps par le comportement de ce qui paraît-il constitue l'élite du pays. Cependant, une petite note d'espoir au milieu de ce récit où l'avidité règne sans partage, quelques hommes politiques semblent mener un combat de conviction dans le désintéressement. Mais ils ne sont pas nombreux, sans doute les partis n'aiment pas les gens sur lesquels on ne peut faire pression.

 

 

36) Mot de passe «courage»   John Castle   J'ai lu

 

Histoire d'un prisonnier de guerre britannique, qui réussit l'exploit de multiples évasions et aussi de pénétrer dans un camp de concentration et de prendre la place d'un déporté pour vingt quatre heures. Livre digne d'un roman d'aventure au sein des camps de prisonniers et d'extermination nazis. Cette aventure extraordinaire, son auteur la mettra à profit, en étant l'un des témoins du procès de Nuremberg.

 

 

37) Ce que savaient les Alliés Christian Destremau Tempus 2007

 

Livre captivant qui analyse ce que les Alliés savaient de leurs ennemis et de leurs stratégies et exactions durant la deuxième guerre mondiale par les différents télégrammes secrets qu'ils étaient en mesure de décoder. En effet ils étaient en mesure de casser un certain nombre de codes secrets, allemands, japonais, français de Vichy, ainsi que d'autres pays neutres. Roosevelt était-il au courant de l'intention japonaise d'attaquer Pearl Harbour? Dans quelle mesure l'interception de messages diplomatiques japonais a permis aux Américains de se conforter dans l'emploi de la bombe atomique? Que savaient les Alliés sur les camps d'extermination et quelle a été leur action? Que savaient-ils sur le gouvernement de Vichy et la collaboration?  Quel était le résultat sur la population allemande  des bombardements massifs? Toutes ces questions et bien d'autres comme pourquoi n'ont-ils jamais essayé de tuer Hitler, sont étudiées à l'aune de documents qu'ils étaient en mesure de lire grâce aux codes secrets qu'ils réussissaient à casser. Passionnant, se lit comme un vrai roman d'espionnage et il nous aide à mieux cerner les décisions prises par les Alliés en particulier Churchill et Roosevelt durant le deuxième conflit mondial.

 

 

38) Le Lieutenant Méhariste Jean-André Henoux Editions France-Empire 1961

 

Récit très intéressant d'un méhariste qui remplit sa mission de protection des intérêts français dans le désert face à des tribus qui commencent à vouloir s'émanciper de la tutelle française. Sans aborder le problème philosophique de la colonisation, au travers des descriptions du désert, des traditions des peuples qui y vivent et de l'aventure des débuts de l'ère pétrolière dans ces contrées, ce témoignage éclaire par une petite fenêtre ce qui s'est passé dans ces régions en préambule de l'indépendance algérienne. J'ai beaucoup aimé.

 

39) Un Franciscain chez les SS Géréon Goldmann Editions de l’Emmanuel 2008

Parcours tout à fait étonnant d’un Franciscain allemand incorporé au début de la deuxième guerre mondiale dans une unité SS. Il ne reniera pas sa foi malgré toutes les pressions subies. Il fera preuve d’un courage que certains pourraient considérer comme suicidaire. C’est peut-être ce qui le sauvera. En effet son attitude attire de fait une forme de respect chez les nazis. Ils finiront cependant par le chasser et l’envoyer dans la Wehrmacht. Il participera à une multitude d’opérations entre la Pologne, la campagne de France, le front russe et la guerre en Sicile. Il va connaître des péripéties absolument incroyables sur ces différents fronts. Entre être raccompagné dans les lignes allemandes par l’armée russe alors qu’il visitait un pope, ou une messe au débotté en plein affrontement réunissant Allemands Anglais et  Américains; et là encore les Anglais le raccompagnent dans les lignes allemandes après l'office où il distribue les hosties, récupérées dans une église italienne en menaçant le curé qui s'y refusait. Ce ne sont que deux exemples parmi une multitude d’autres où sa vie n’a tenu qu’à un fil. Après ce livre si l’on ne croit pas en Dieu, on est tout du moins interrogatif sur le fait qu’une telle destinée ait pu exister.

 

Livre qui vaut tous les romans de guerre les plus délirants, mais la différence dans le cas présent il s’agit d’une expérience vécue. Outre les aventures improbables que vit l’auteur, il ressort de ce livre une étude de caractères.

 En effet dans des conditions extrêmes la réaction de chacun est particulière face au danger. Qu’il s’agisse d’unsoldat allemand, d’un jeune Polonais, d’un prêtre italien d’un moine français ainsi que d’une quantité d’autres personnages croisés, on assiste au comportement humain du plus sordide au

plus sublime et cela parfoisindépendamment du camp. Un des livres les plus étonnants que j’ai lus.

 

 

40) Ce que je n’ai pas pu dire Jean-Louis Bruguière Robert Laffont 2009

Juge antiterroriste, durant trente années il a été au centre d’une multitude d’affaires criminelles et terroristes qui ont toutes à leur époque été très médiatisées. Il en explique les dessous et le cheminement des enquêtes.

Ses investigations concernant le terrorisme international sont très intéressantes. Il démonte point par point le mécanisme de fonctionnement de cette grande entreprise de destruction de l’Occident qu’est la mouvance terroriste internationale. Ses révélations sur des affaires comme l’attentat du DC10 français sont dignes d’un grand thriller d’espionnage, où il reste le maître du jeu dans des entreprises de déstabilisation et de désinformation. Ses rapports de travail avec une multitude de pays, lui permettent de décrire de façon claire de ce que les autres nations font dans le cadre de cette guerre mondiale. En particulier, son analyse sur l’infiltration des milieux militaires pakistanais par les réseaux terroristes est inquiétante. Sa connaissance d’une multitude de groupes islamistes, de leur fonctionnement, de leurs méthodes, de leurs actions perpétrées ou contrées est absolument prodigieuse. Par moments on croulerait presque sous la profusion des détails, mais ils sont indispensables dans le cadre de son implacable démonstration.

Livre à lire impérativement pour avoir un point de situation complet et actuel sur la guerre mondiale que se livrent l’Occident et le terrorisme en particulier islamique.

 

41) Née d’amours interdites Josiane Kruger Editions Succès du Livre 2006

Sa mère était française et son père soldat allemand. Comme 200000 enfants elle fut confrontée à l’hostilité presque générale, car ces amours interdites étaient considérées comme une trahison. L’auteur raconte de façon remarquable les tourments qui ont été les siens tout au long de sa vie, confrontée aux regards des autres souvent réprobateurs. Très joli texte écrit avec sensibilité, qui a travers son expérience met bien en exergue le déchirement qu’ont vécu tous les enfants ou presque issus de ces « amours interdites ». Son texte est d’autant plus touchant qu’il ouvre sur un grand espoir. En effet elle a rapidement identifié son père qui ne l’avait pas oubliée et les liens entre les familles allemandes et françaises sont devenus très forts.

 

 

 

42) Dictionnaire amoureux du Ciel et de l’Espace Trinh Xuan Thuan Plon Fayard 2009

 

Cet ouvrage de plus de 1000 pages représente une magnifique actualisation sur les questions qui touchent à la matière, inanimée et vivante, de l’infiniment petit à l’infiniment grand. Ses chapitres au nombre approximatif de trois cents abordent des sujets aussi différents que l’expansion de l’univers et les indices qui militent en sa faveur, la théorie des cordes, la conscience humaine, les trous noirs, l’atmosphère terrestre, l’antimatière, une multitude d’hommes de science de l’antiquité à nos jours, Dieu et le temps, beauté et unité de l’univers. Je ne vais pas faire l’énumération des trois cents chapitres, mais chacun d’eux aborde avec clarté une question, l’explique, découvertes et informations récentes à l’appui. Ouvrage de référence pour toute personne s’intéressant à la physique de notre univers et qui se pose des questions sur le pourquoi des choses. Ce type d’ouvrage conduit le lecteur de la science à la philosophie en passant par l’histoire et l’évolution de l’homme et de l’univers qui l’environne. L’auteur véritable puits de connaissances, sait faire partager son savoir et son questionnement. Ouvrage à lire à petites doses pour pouvoir bien assimiler le foisonnement de données et pouvoir méditer tout l’extraordinaire qui se dévoile au fur et à mesure que les pages se tournent. Mérite de devenir une bible à laquelle on s’abreuve en quête de savoir et de réponses à nos questions sur la création de l’univers. Mais la science restera toujours la science aussi poussée soit la connaissance, et des questions fondamentales comme le passage de l’inanimé à l’être vivant et ensuite à la conscience feront appel à la conviction de chacun quant à la réponse à apporter. Ce livre met à disposition un certain nombre de briques et de pistes, et chacun sera libre de les assembler à sa manière, en fonction de sa sensibilité et de sa croyance ou non en Dieu ou en un être supérieur. Ce qui fait retomber sur une question fondamentale, le hasard ou la nécessité. Il l’aborde de façon sublime et apporte une réponse sans appel : l’existence de la conscience n’est pas contingente, mais nécessaire, car l’univers n’a de sens que s’il contient une conscience capable d’appréhender son organisation, sa beauté et son harmonie.

 

43) La Traque des criminels de guerre et moi Carla Del Ponte Edition Héloïse d’Ormesson 2009

Pendant huit ans elle a été procureur général du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda. Au centre d’une multitude d’organisations nationales et internationales avec lesquelles elle dialogue et négocie pied à pied sous la pression des intérêts particuliers et divergents elle conduit ses mises en accusations souvent seule contre tous.

Elle décortique bien les rouages des différents génocides commis sur ces deux théâtres de guerre, en donnant un point de vue éclairé sur les différents génocidaires qu’elle poursuit.

A travers ses différentes tractations avec sa hiérarchie de l’ONU, souvent directement avec le Secrétaire Général, ou avec des organisations internationales comme l’Union Européenne ou l’OTAN, ou directement avec les nations d’Europe ou les USA, et aussi bien entendu avec les pays dont les cherche à arrêter certains ressortissants, elle nous invite à suivre son combat dans toute sa complexité. Indépendamment du mécanisme de fonctionnement du Tribunal international pénal, dont elle nous explique le fonctionnement, on assiste à l’élaboration de la politique internationale à l’aune de la sensibilité des états, chacun ayant ses orientations, et à l’aune des organismes internationaux.

Livre passionnant de ­ 600 pages qui éclaire largement sur un problème grave, les crimes de guerre et génocides et l’impunité, en en dévoilant tous les aspects, pénaux et politiques.

 

44) Neige     Maxence Fermine    arléa     1999

Très joli petit conte d’inspiration japonaise, très agréable à lire. On y apprend entre autre ce qu’est un haïku, petit poème à dix sept syllabes.

 

 

45) Une balle perdue  Joseph Kessel      folio

Cours roman qui se déroule au cours d’une émeute à Barcelone quelques années avant la guerre d’Espagne. Dans des circonstances difficiles, emmêlées et dangereuses, l’auteur campe  un personnage principal entier sans concession qui porte la notion d’honneur d’amour et d’amitié au plus au niveau.  En particulier une réplique du chef terroriste à son jeune disciple qui ne sait plus s’il doit prendre parti pour son ami qui ne partage pas ses convictions est remarquable  et bien dans le ton du livre: un anarchiste est d’abord un homme libre, et à mon sens quand il a un ami, quel qu’il soit, en péril, il reste à ses côté.

 

 

46) Le chef du contre-espionnage nazi parle 1933-1945   Walter Schellenberg    éditions  Julliard 1957

 

L’auteur surnommé Fouché à Berlin, donne à travers ses mémoires une description de première main de ce qu’était le système nazi. Il côtoyait journellement les principaux acteurs tels que Himmler. A travers de multiples anecdotes il dresse une fresque de  tous les grands chefs nazis et porte témoignage sur les grands événements qui marquèrent le nazisme depuis ces débuts jusqu’à sa chute. Le document est d’autant plus intéressant que les responsables de ce niveau n’ont pas été très nombreux à faire part de leurs expériences  concernant cette période sombre de notre histoire.

 

 

 

 

47) L’enfer de Matignon  Raphaëlle Bacqué      Points  2008

Cette journaliste du monde interroge 12 anciens premiers ministres sur leur expérience à ce poste. Tous ces témoignages abordent chacun avec sa sensibilité la fonction de premier ministre. Il en ressort que pour tous, le monde de la politique est pavé d’ennemis et de concurrents, que l’on soit de votre bord ou non. Intéressant, la plupart me sont apparu sympathique, l’un m’a semblé sortir du lot. On voit bien à travers ces différents récits apparaître toute la gesticulation politique française qui ne semble pas très saine.

 

48) Ma captivité en Corée du Nord  Célestin Coyos  Grasset  1954

L’auteur, un missionnaire français raconte son incroyable épopée, 30 mois prisonnier des Coréens du Nord. Lors de la guerre de Corée, lorsque l’armée nord coréenne a conduit une poussée en direction de Séoul, l’auteur, comme de nombreux Occidentaux a été fait prisonnier. Il a ensuite été traîné dans de multiples  sites de détention au gré de ce qui semble plus le hasard qu’une réelle stratégie de ses geôliers. Témoignage très intéressant, Célestin Coyos décrit la vie de misère qu’il mène avec ses compagnons d’infortune dans les montagnes coréennes au climat particulièrement hostile, confronté aux tortures morales de ses gardiens. De ce texte ressort toute la force morale des religieux et religieuses embarqués dans cette aventure. La plupart d’entre eux y laisseront d’ailleurs leur vie.

 

 

49) Les crimes de la Wehhrmacht  Wolfram Wette  Perrin 2009

 

Livre extrêmement instructif sur la réalité de l’action de l’armée allemande au cours de la deuxième guerre mondiale. L’auteur qui est professeur d’histoire contemporaine à la faculté de Fribourg et professeur honoraire de l’université russe de Lipetsk, montre avec une argumentation basée sur des recherches sérieuses, de façon nette l’implication de l’armée allemande auprès des unités SS dans la conduite des exactions perpétrées, en particulier son implication dans le programme d’extermination. Il explique comment à la fin de la guerre l’armée allemande s’est vue disculpée des accusations pesant sur les SS. Les raisons sont internes et externes à l’Allemagne. Internes car le pays a fait bloc pour différentes raisons qu’il explique très bien, et les généraux allemands dans leur immense majorité au cours de leur témoignage ont passé sous silence leur implication personnelle.  Externes, car les alliés occidentaux ont voulu ramener sans contestation possible les Allemands dans leur camp, alors que la menace du communisme se faisait de plus en plus pressante. Livre qui m’a intéressé au plus au point et qui précise sans faux semblant un certain nombre de questions qu’on ne manque pas de se poser sur ce conflit mondial

 

 

50) Le Pacte des assassins  Max Gallo  Livre de Poche 2008

Roman qui est tiré de faits réels. En suivant les aventures de son héroïne comtesse italienne, qui dans la réalité était Margarete Buber-Numann, communiste allemande qui avait fui en URSS et rejoint Lénine puis Staline. Sa vie, véritable roman des plus dramatiques, broyée entre deux systèmes totalitaires, ballotée entre camp de déportation en Sibérie et camp de concentration en Allemagne. Max Gallo avec son écriture toujours très claire et sans détour, nous livre une analyse des rapports germano-soviétiques au moment de l’accord de non-agression qui lia ces deux pays avant le déclenchement de l’opération Barbarossa. Il décortique les mécanismes de ces régimes et met en scène des personnages, certes de second plan, en particulier  certains communistes français, qui permettent de comprendre quelles faiblesses et défauts humains ces régimes monstrueux utilisaient pour imposer leur soi-disant  socialisme qu’il soit national-socialisme ou communisme. L’héroïne, espionne soviétique bien introduite dans les milieux nazis est a même de bien cerner les négociations auxquelles se livrent Hitler et Staline, pour comme dans un immense jeu de poker menteur, être à même de mieux foudroyer l’autre le moment venu. J’ai beaucoup aimé.

 

 

51) Conversations avec Staline  Milovan Djilas   idées nrf Gallimard 1971

 

Livre au titre alléchant, un témoignage direct vécu au contact de Staline. L’auteur est un adjoint de Tito, à ce titre il est amené à plusieurs reprises à se rendre en URSS, pour négocier dans le cadre des relations entre la Yougoslavie et l’URSS. Le témoignage est intéressant, bien que parfois il y ait des longueurs dans la première partie. En effet les entretiens avec Staline ne couvrent qu’une partie de l’ouvrage. Le dernier quart est passionnant, en effet on assiste à des discussions politiques de fond entre le maître du Kremlin et des représentants bulgares et yougoslaves. On comprend sans détour la terreur que Staline  essaie d’imposer à ses interlocuteurs en les soumettant à sa bonne volonté et en leur retirant toute autonomie. Témoignage méritant d’être lu, qui confirme bien l’image que l’on se fait de ce dictateur.

 

 

 

 

52) L’imposture climatique   Claude Allègre  Plon 2010

Livre écrit par un scientifique incontesté même si certains n’adhèrent pas à ses idées. Cependant son argumentation  très fournie interpelle.  Il ne conteste pas la réalité du réchauffement, mais met en cause les conclusions considérant que l’homme est l’exclusif responsable de cette augmentation de la chaleur.  Il explique comment des lobbys  sous couvert d’organisations scientifiques ont confisqué le débat sur cette question, qui nous préoccupe tant, le changement climatique. En particulier, il met en garde contre le mode  de pensée des verts, qui à son sens ne résoudront rien, si ce n’est plonger notre pays, voire l’Europe dans  la récession, alors que ce ne sera pas le cas pour les grands pays de la planète. Ils expliquent bien leur courte vue et leur peur de la technologie qui les amènent à n’avoir aucune confiance dans la capacité inventive de l’homme ; On comprend qu’il explique cette attitude des verts en partie par leur immense lacune en matière de formation scientifique, ce qui les disqualifie pour prendre part au débat concernant le développement de notre monde.  Son argumentation bien étayée me semble très cohérente. Livre fort intéressant qui semble déclencher quelques réactions, que j’ai lues et ne semblent pas aller très loin dans la réfutation de ses affirmations. Des gens comme Nicolas Hulot, qui se font accuser de véritable incompétence, restent à mon sens très amorphes et ne répondent pas. Peut-être est-ce trop tôt, le livre est tout récent, mais si effectivement les tenants de la théorie du réchauffement dû à l’homme sont sûrs de leurs théories devraient apporter une contestation vive et argumentée à ce livre. Affaire à suivre, mais je ne peux que conseiller de le lire, car il porte à réfléchir sur le fonctionnement de nos sociétés et ses modes de pensées.

 

 

 

53) Les dérangements du temps

500 ans de chaud et de froid en Europe

Emmanuel Garnier  PLON  2010

 Agrégé d’histoire et maître de conférences, l’auteur mène depuis quatre ans des recherches sur l’histoire du climat.

A travers une multitude de sources historiques, archives et comptes-rendus  individuels, il décrit le climat au cours des cinq derniers siècles. Il en décèle les éléments les plus caractéristiques, pics de chaleur ou de froid, périodes de canicule ou de refroidissement, et les sécheresses et inondations qui en découlent. Il montre que des événements particuliers comme une éruption volcanique ont eu une réelle influence sur le climat de l’Europe.

Livre très intéressant, bien que parfois difficile à lire, montrant bien l’impact des aléas climatiques sur les populations au cours des siècles passés. Les fluctuations importantes qu’il dévoile à travers son exposé, mettent en lumière que le climat n’est pas une donnée stable, mais qui subit des variations importantes dues à des facteurs complexes, que l’on n’identifie pas facilement la plupart du temps.

Ce livre est un bon complément à la lecture de celui de Claude Allègre « l’imposture climatique ».

Ces lectures, indispensables à mon sens, qui traitent toutes deux de l’évolution du climat, donnent matière à réflexion concernant l’évolution de notre climat, mais en ce qui me concerne je suis bien en peine de me forger une conviction sur le sujet.

Le livre d’Emmanuel Garnier décrit les péripéties du climat sur une longue période, tandis que celui d’Allègre cherche à démontrer que l’action de l’être humain sur les variations climatiques que nous connaissons doit être étudiée dans un contexte beaucoup plus général et plus complexe.

 

 

 

54) La petite demoiselle et autres affaires d’Etat  Christian Prouteau                Michel Lafon 2010

L’ancien créateur et chef du GIGN relate ses treize ans au service du Président de la République. Bien malgré lui il a été entraîné dans cette mission, qu’il a commencé par refuser. Mais François Mitterrand ne lui a pas laissé le choix.

Une fois de plus je lis un livre d’une personne ayant côtoyé Mitterrand de très prêt, et qui n'est pas un politique. De toute évidence il leur laisse une impression très forte et les gens sont tombés sous son charme, même quand ils avaient des à priori très négatifs à son sujet.

Prouteau ne se montre pas tendre avec certains hommes politiques qu’ils a vu agir au cours de son long service à l’Elysée.

De nombreuses   anecdotes pleines de tendresse, en particulier lorsqu'il parle de la Petite demoiselle.

Livre très agréable allant toujours directement aux faits, donnant un éclairage particulier sur les hommes politiques et  qui montre François Mitterrand dans ses rapports humains non politiques. J’ai beaucoup aimé.

 

 

 

55) Eux, les STO Jean-Pierre Vittori  Ramsay   2007

STO trois lettres, acronyme de Service Travail Obligatoire. Plus d’un million de Français, pour la plupart contraints,  sont partis travailler en Allemagne  au cours de la deuxième guerre mondiale.

L’auteur au travers d’une vaste enquête auprès des STO, pas toujours facile à mener, a disséqué tout le processus, en abordant la démarche individuelle devant ce départ en Allemagne, la position du gouvernement de Vichy, des employeurs en France et des Allemands qui en dernier lieu décidaient.

Comme tout ce qui touche à la deuxième guerre mondiale et ce qui s’est passé en France à cette époque, un certain voile est entretenu, qu’il n’est pas toujours facile de lever. Ce problème du STO est un épisode de cette période les moins connus, malgré le million de Français qui y ont été entraînés.

Cette étude démonte bien tous les aspects du mécanisme mis en place. On est en effet loin des clichés de collabo et résistant, le système mis en place et les contraintes de l’époque ne permettent pas de trancher aussi nettement.

En écoutant les STO et en dépouillant les centaines de fiches qu’il a fait remplir on voit se dessiner toute la complexité tintée d’horreur, de dictature et de désinformation de ces longues années d’occupation.

A la fin de cette lecture on a une bonne image de ce qui s’est passé, très intéressant mais nous ne pouvons que souhaiter de ne pas connaître à nouveau de telle période.

 

56) Sexus Economicus     Yvonnick Denoël    nouveau monde éditions   2010

Livre intéressant qui décrit les méthodes employées pour battre la concurrence en matière commerciale en utilisant  des call-girls. Comme on le savait déjà le sexe a été, est et restera ce qui fait courir le monde tout du moins les hommes. Je suis cependant étonné de voir que certains hommes qui passent pour des sexe- symboles font appel aussi à des services tarifés.

 

57) Les secrets d’une redition   Allen Dulles  1967 Calmann-Levy

Allen Dulles  avait été chef de la CIA. Dans ce livre il nous relate son action comme jeune diplomate en Suisse au cours de la seconde guerre mondiale. Durant cette période il a été l’un des acteurs principaux de l’opération « Sunrise ».

Cette opération avait pour but la reddition des troupes allemandes sur le front italien, sans l’accord d’Hitler. Du côté allemand le principal protagoniste a été le général SS Wolff, chef de toutes les formations SS en Italie. Il a du convaincre les autres chefs de composantes militaires, la LuftWaffe et l’armée de terre. Pour l’armée de l’air son chef était acquis depuis longtemps à une reddition, pour l’armée de terre cela a été beaucoup plus compliqué. Le livre relate toutes les péripéties de ces tractations secrètes, entre d’une part des généraux allemands, menacés de mort pour haute trahison, et des autorités anglo-américaines sceptiques, craignant même un traquenard et les Russes essayant de faire capoter l’opération, car ils voulaient être les premiers à envahir l’Italie par la Yougoslavie, afin de la raccrocher au camp communiste.   Livre absolument passionnant où l’on voit très bien décrit le processus compliqué qui a conduit à la cessation des hostilités le 2 mai 1945 sur le front italien. Cet événement outre d’avoir préservé des milliers de vies humaines de tous les camps, a précipité la reddition à l'ouest du maréchal Kesselring qui était le commandant en chef des troupes allemandes sur l’ensemble du front.

Cet ouvrage se lit comme un roman avec des rebondissements dignes du meilleur romancier, comme quoi la réalité dépasse souvent la fiction.

 

 

58) Réflexions et Aventures   Winston Churchill      TEXTO 2008

Winston Churchill, bien évidemment on ne le présente pas. Pour ma part je le considère comme l’homme le plus important du xxème siècle, seul au début, ou presque, il a su réagir et organiser la résistance contre  Hitler et sa folie meurtrière.

Comme il est écrit en préambule, les essais qui composent ce livre ont tous été écrits avant 1932. A travers une vingtaine de chapitres il retrace son expérience vécue durant les événements importants du début du siècle, politiques et militaires. Il apporte un éclairage personnel et très clair sur une multitude de faits historiques connus et dresse les portraits d’acteurs majeurs qu’il a bien souvent côtoyés. Il explique de façon concrète les grands dilemmes auxquels les dirigeants de l’époque, dont il faisait partie ont été confrontés, en particulier durant la première guerre mondiale. Son expérience du  front est étonnante. Il a quitté un poste de responsabilité important en Grande Bretagne pour aller se rendre compte des réalités du terrain durant plusieurs mois dans les tranchées en première ligne avec le grade de commandant.

 Livre particulièrement intéressant qui présente, entre autre, un caractère prémonitoire sur ce qui s’est passé ensuite au xxème, car n’oublions pas qu’il a été écrit dans le premier tiers du siècle dernier.

 

 

59) Une femme à Berlin  Journal 20 avril-22 juin 1945   folio  2002

L’auteur de ce livre a voulu rester anonyme. On en comprend très bien les raisons. Durant deux mois cette jeune Berlinoise a tenu un journal, du 20 avril au 22 juin 1945. Son récit commence un peu avant l’arrivée des troupes soviétique.

Au jour le jour, sans faux semblant elle va décrire la vie des habitants et surtout des habitantes de la ville d’abord sous les bombardements et ensuite sous la coupe de l’armée rouge. Elle explique les relations qui vont s’établir entre les soldats soviétiques et les femmes allemandes.

Dans une Allemagne complètement détruite où la survie est liée en particulier à la recherche de la nourriture et d’un minimum de sécurité, elle montre les rapports qui se lient entre hommes et femmes. Tout d’abord  basées sur le viol systématique sans contrepartie, ces relations vont évoluer vers une forme de prostitution forcée contre nourriture et protection relative contre la systématisation du viol et la banalisation de la terreur par tout militaire de passage.

Durant deux mois on assiste au basculement de l’état nazi sous les bombes au retour à la paix avec la transition militaire russe et son mode de fonctionnement. Ce témoignage  particulièrement intéressant montre bien l’adaptation forcée et la réaction des femmes allemandes confrontées à l’armée rouge qui arrivait à Berlin.

60) Journal d’un Conjuré 1938-1944  Ulrich von Hassell     Belin

Ulrich von Hassell était un diplomate allemand, qui fut ambassadeur à Rome de 1932 à 1938. Du fait de sa position critique envers le système nazi, Hitler le démit de ses fonctions. De retour en Allemagne il tient un compte-rendu régulier de tous ses entretiens avec les personnages qui détiennent une partie de pouvoir dans le régime national-socialiste, qu’il s’agisse de civils ou de militaires.

Il montre très clairement les interrogations que ne manquaient pas de se poser bon nombre de personnages allemands. Mais il montre aussi le système totalitaire qui plonge chacun dans la terreur et empêche toute action concertée. Mais il montre aussi que les ambitions personnelles étaient un frein à l’opposition, car au gré des succès ou des échecs militaires nombreux dans un premier temps pensaient la victoire allemande possible. Quand tout espoir s’était envolé, des idées comme reddition avec conditions ont aussi joué en défaveur d’un coup d’état ou d’un attentat. Il montre aussi très bien le système de surveillance de la gestapo.

En septembre 1944 il fut condamné à mort et exécuté. Ce témoignage est l’un des rares qui nous décrive de l’intérieur ce qui agitait les Allemands au cours de la deuxième guerre mondiale. Ouvrage passionnant que je recommande fortement.

61) Mirage contre Mig   Ben Dan  J’ai Lu  1967

Ce livre raconte l’incroyable action de l’armée de l’air israélienne au cours de la guerre des 6 jours en juin 1967. En effet avec un effectif réduit de l’ordre de 150 avions de combat, tous français dont la moitié de Mirage III, les forces aériennes israéliennes ont détruit les armées de l’air de 4 pays arabes en l’espace quasiment d’une seule matinée, en commençant par un double raid massif sur l’Egypte. Puis les quatre jours suivants les avions d’Israël ont participé à l’appui des troupes au sol et à la démoralisation des armées de terre ennemies. Les chefs militaires et les pilotes israéliens ont fait preuve d’une clairvoyance, d’un courage et d’une détermination exceptionnels.

Livre époustouflant.  

 

 

62) Les Diplomates  Franck Renaud    éditions nouveau monde   2010

 

 Livre qui fait une analyse actuelle de l’état de fonctionnement des ambassades françaises et de leur ministère le « Quai d’Orsay ».

La diplomatie française comme les autres secteurs est touchée de plein fouet par les restrictions budgétaires qui entraînent coupures dans les projets et diminution du nombre de personnes affectées à l’étranger dans les représentations françaises.

L’auteur par une multitude de cas concrets nous montre l’action et la vie de ces personnels considérés par beaucoup comme des nantis payés royalement.

Il ressort de cet ouvrage, que l’on trouve de tout dans nos ambassade et au ministère des affaires étrangères, du  très bon et du moins bon. Ce qui peut choquer c’est que la compétence n’est pas forcément le critère principal de promotion et de maintien dans des emplois très lucratifs. Les puissants réseaux internes sont à l’action et maintiennent contre vents et marées leurs affidés. On touche du doigt toute la puissance bureaucratique de notre système français qui ne se laisse pas réformer sans remous.

Tout contribuable soucieux de l’utilisation des ses impôts se doit de lire et ouvrage afin de se faire sa propre idée de l’efficacité de cette grosse machine qu’est le Quai d’Orsay ».

 

63) Mes valises diplomatiques  Brigid Keenan   Petite Bibliothèque Payot 2005

 L’auteur de ce livre est femme de diplomate. Elle raconte  sa vie au fil des affectations de son mari un peu partout sur la terre. Outre le fait d’être mariée à un diplomate, elle est journaliste et malgré les difficultés que cela lui pose, elle arrive à garder quelques contacts professionnels.

Elle fait ressortir admirablement la vie des ces expatriés que sont les personnels des ambassades. Elle y met une belle touche d’humour. Elle donne des éclairages très intéressants sur les différents pays qu’elle a habités généralement plusieurs années.

Livre de presque 400 pages qui se lit comme un véritable roman d’aventures, où les rebondissements se succèdent pour la plus grand plaisir du lecteur. Et bien entendu, l’intérêt provient aussi du fait qu’il s’agit d’une histoire vécue au fil d’une vie.

Bien souvent les livres de la collection Petite Bibliothèque Payot qui relatent des histoires d’aventures vécues sont particulièrement intéressants, et celui-ci ne déroge pas à la règle.

 64) Le tour du Chili à vélo Régine Bienvenue et Pierre Devaux  La Manufacture 1987

Ce livre racontant le périple à vélo de ce couple à travers le Chili est proprement époustouflant. Bien souvent ils sont sur des chemins à peine carrossables, et parfois durant des jours ils errent dans les montagnes en altitude hors de tout tracé en portant leurs bagages puis leurs vélos. Le poids de leurs montures était incroyablement élevé 80 kilogrammes, ce qui en aurait arrêté plus d’un. Eux au contraire ça semblait leur donner de la motivation, ils ont même  emmené leurs engins avec bagages à 6000 mètres. Ils ont bivouaqué dans les endroits les plus invraisemblables,  par des températures qui ont frôlé les -30, souvent en espérant trouver ravitaillement et eau à très court terme, sous peine de mourir.   Absolument fabuleux, récit de deux cyclistes qui montrent une ténacité vraiment au-dessus de la moyenne.

 

65) l'Assassinat de Trotski  Pierre Broue  Editions Complexe

Dans cet ouvrage l'auteur retrace tout le déroulement des faits qui ont conduit à cet assassinat hors norme d'un coup de piolet. Bien évidemment Staline  était le commanditaire de cette action. De nombreuses préparations aussi bien logistiques que d'influence ont été nécessaires, après un certain nombre d'échecs, dont le dernier quelques mois avant ce jour fatidique pour mener ce projet à bien. Livre très bien renseigné qui parfois du fait des détails est difficile à lire. Mais il éclaire sur l'un des événements importants du XX siècle.

 

66) La guerre en 40 questions Le Grand-Amiral Dönitz                              La Table Ronde  1969

Livre remarquable, un officier général qui a détenu de grandes responsabilités de commandement explique en trois cents pages, au travers de questions qui lui sont posées, son action durant la deuxième guerre mondiale.  Responsable durant la première moitié de ce conflit de la guerre sous-marine, il en donne des éclairements précis. Il explique toutes les décisions non prises qui ont conduit au fait que les Allemands n’ont pas triomphé dans le domaine de la guerre sous-marine, malgré les 2800 navires alliés coulés par les sous-mariniers. On en tremble rétrospectivement, en pensant que s’il avait été écouté plus tôt par l’amiral Raeder, le chef de la marine et par Hitler, la guerre aurait pu prendre une autre tournure. On comprend toute l’importance stratégique qu’avaient les convois maritimes anglais et américains, ce qu’il avait bien perçu, alors qu’heureusement ses chefs n’avaient pas sa vision claire. On comprend aussi les grands soucis qui étaient ceux de Churchill en constatant cette puissance sous-marine allemande qui risquait d’avoir les conséquences les plus funestes pour l’issue du conflit mondial, si les alliés ne découvraient pas le moyen technologique permettant la détection des sous-marins.

Il explique très clairement sa position d’officier allemand par rapport à la morale dans un tel conflit. Mais  je reste  sceptique, quand il affirme ne rien avoir su concernant les monstrueuses exactions perpétrées par les nazis.

Très intéressant témoignage à lire impérativement. 

 

 

67) Vivre avec de Gaulle   Michel Tauriac    Pocket 2008

Les derniers témoins racontent

Livre de plus de 700 pages qui nous fait découvrir le général de Gaulle dans les différents aspects de sa vie, militaire, civile et personnelle. De nombreuses personnes portent témoignage de ce qu’elles ont vécu auprès du général. On y découvre un homme, qui avait une vraie vision d’avenir pour la France, mais cela tout le monde le sait. Ce récit révèle aussi un homme d’une grande sensibilité et d’une grande humanité qui savait par ses convictions et par sa rigueur faire adhérer ses subordonnés. Ce livre se boit littéralement comme un nectar qui revigore dans notre période où nous ne sentons plus chez nos hommes et femmes politiques d’autres convictions que celles conditionnées par l’audimat et qui s’alignent en fonction des réactions de l’opinion à certaines idées.

 

68) Histoire des Services secrets Britanniques Gordon Thomas J’ai Lu 2008

Dans ce livre d’un peu plus de 600 pages l’auteur relate les temps forts des fameux services secrets intérieurs et extérieurs britanniques, avec sa kyrielle d’espions retournés soit par les pays de l’est ou de l’ouest. Il y aborde aussi les relations de la Grande Bretagne dans ce domaine avec les autres services secrets en particulier américains, FBI, CIA, NSA. Ouvrage passionnant qui se lit comme un véritable polar, où si l’on n’y prenait garde on se croirait dans une œuvre de pure fiction d’un auteur à l’imagination débordante. Mais non il s’agit de la simple réalité, qui comme on le voit vaut tous les romans de fiction.

 

 

 

69) Londres appelle Pôle Nord  H.J.Giskes    Plon  1958

Histoire tout à fait étonnante, écrite par l’un des chefs du contre-espionnage allemand aux Pays-Bas durant la deuxième guerre mondiale. Il relate son travail en Hollande, lorsqu’il pilotait un groupe de résistants retournés et qui induisaient Londres en erreur. De ce fait les parachutages de personnes et de matériel tombaient systématiquement entre les mains de l’armée d’occupation. Le plus étonnant c’est que le réseau retourné pensait avoir donné les indices nécessaires à leurs correspondants en Grande Bretagne, permettant de réaliser sans ambigüité qu’ils étaient sous contrôle ennemi. Mais des disfonctionnements ont conduit au fait que durant une très longue période l’ennemi a bénéficié de cette avantage.  Encore une histoire réelle digne du meilleur polar.

 

70) Erich von Manstein  Benoît Lemay  Tempus  2010

aventure,randonnée,marche,diplomatie,guerre,justiceDans cet ouvrage de 700 pages l’auteur de façon magistrale explique la réalité  de la Wehrmacht durant la deuxième guerre mondiale, à travers une biographie du feld-maréchal Manstein. Il ressort de cette analyse que les militaires de haut rang allemands durant la seconde guerre mondiale, ont suivi voire précédé Hitler dans sa guerre de conquête. De même l’auteur fait ressortir toute l’habileté de ces officiers généraux qui ont écrit leurs mémoires à l’issue du conflit, afin de réhabiliter l’armée allemande et  de  bien la démarquant de la SS et de la gestapo. La réalité semble contredire ces documents écrits par des acteurs allemands de premier plan. Mais il n’était pas non plus de l’intérêt  des alliés après la guerre de trop s’opposer à l’opinion allemande qui était contre ces chasses aux sorcières. En effet dans cette période de guerre froide est-ouest, il fallait ancrer l’Allemagne Fédérale sans ambigüité au camp occidental et l’intégrer à l’OTAN, d’où l’acceptation de l’idée d’une armée allemande  et de ses chefs qui s’étaient bien conduits durant la guerre. Très intéressant à lire et porte à considérer d’un regard différent les mémoires des grands chefs militaires allemands, qui disent n’avoir eu connaissance de la conduite inhumaine du régime qu’à la fin du conflit. A lire impérativement pour essayer de comprendre comment des hommes intelligents acceptent de se soumettre à un régime assassin et après sa destruction comment afin de se justifier ils travestissent en partie la réalité. L’auteur montre aussi au cours de son étude comment Hitler tenait ses officiers généraux par l’argent et les avantages. On prend conscience que tout système dictatorial s’il sait bien mettre en valeur l’élite du pays peut assoir sa politique inhumaine avec l’aval d’une grande partie de cette élite. Voilà ce que montre en 700 pages ce livre. Puisse-t-il  avoir tort au moins partiellement, car cela fait froid dans le dos. Livre très instructif que je recommande.

 

 

71) Le dernier mort de Mitterrand Raphaëlle Bacqué  Grasset Albin Michel

Livre très intéressant qui rentre dans le système de fonctionnement de la cour autour de Mitterrand. Ce livre a soulevé quelques contestations, mais d’après ce que j’ai lu, elles restent pour la plupart dans le détail.  Cet ouvrage apporte une perspective de plus à la découverte de la vie compliquée et secrète de François Mitterrand. Se lit comme un véritable roman, et l’écriture est de belle facture. Petit livre à lire immédiatement.

 

 

72) Le Chemin des âmes Joseph Boyden   Le Livre de Poche 2004

 aventure,randonnée,marche,diplomatie,guerre,justiceCe livre est le récit de deux Indiens qui sortent de leur forêt du Canada et qui s’engagent dans l’armée canadienne au cours de la première guerre mondiale. Très vite de par leurs qualités de chasseur et de tireur ils vont  être pris comme tireur d’élite. Ils s’infiltreront à de nombreuses reprises entre les lignes de tranchées à la recherche de leur gibier. Le récit au fil des chapitres se déplace alternativement des lieux du premier conflit mondial aux grandes forêts canadiennes. Il y a un lien évident entre ces différents endroits. On comprend comment ces deux hommes adaptent leurs connaissances ancestrales aux besoins de la guerre de tranchées.   L’auteur nous révèle toute la psychologie de ces habitants de la forêt et leur mode de pensée au profit de la guerre moderne, tout du moins ce qu’elle était au début du vingtième siècle. Magnifique récit qui finit sur une note très morale même si la guerre peut transformer un être humain en chasseur d’autres êtres humains, au point de ne plus avoir d’autre raison de vivre que celle de la recherche du plaisir de  tuer ses semblables. Magnifique ouvrage que l’on dévore d’un seul coup, bien qu’il fasse presque cinq cents pages.

 

 

 

 

73) Journal impoli Un siècle au Galop  Christian Millau

Editions du ROCHER 2011

Eh oui il s’agit du fameux auteur du guide Gault et Millau, il écrit de façon remarquable. J’ai découvert ce livre par hasard en me baladant le long du quai de Saône un dimanche après-midi au gré des bouquinistes.

L’auteur a connu une vie époustouflante au cours de laquelle il a côtoyé une multitude de personnages célèbres, voire plus. Au fil des jours il croque en quelques mots les individus et il fait des synthèses de situations qui pour le moins ne relèvent pas de la langue de bois. Dans notre société où la parole est, de façon  hypocrite, de plus en plus bâillonnée, cette écriture de haut vol qui ne se soucie pas des canons de la « bien-pensance », est une cure de jouvence. Il y fait preuve dans certains paragraphes, d’une érudition très poussée, qui peut parfois dépasser les capacités du lecteur de base que je suis. Mais sur les 700 pages de cet ouvrage volumineux l’immense majorité me sont apparues d’une grande limpidité, et outre m’avoir appris beaucoup de choses m’ont régalé et bien souvent m’ont fait éclater de rire. Un grand livre que je relirai certainement tellement le plaisir a été grand par les anecdotes savoureuses et le savoir dispensé de taille.

 

74) Le puzzle de l’émigration  Malika Sorel   Mille et une nuits 2007

Malika Sorel est française d’origine maghrébine. Ayant passé une bonne partie de sa vie dans son pays d’origine elle vit actuellement en France et a la nationalité française.

Avec une multitude d’arguments elle fait une analyse très convaincante des difficultés qui touchent nos banlieues et des fractions de la société qui en découlent. Sans rentrer dans le détail pour ne pas  trahir sa pensée car la question est très compliquée, cet ouvrage est à méditer. Nos hommes politiques auraient dû s’en inspirer, alors que les voies choisies qu’elles soient de droite et de gauche sont toutes inspirées par le  fait qu’il faut mettre plus d’argent pour aider les migrants. Malika Sorel montre très clairement que la volonté d’appartenance à une même identité qui est la nation est au centre du problème et qu’il est utopique d’imaginer que le bien-être matériel est le seul facteur qui va pousser à adhérer à un mode de vie. Elle pose très clairement la signification de deux mots s’insérer et s’intégrer, qui sont fondamentalement différents, car ne faisant pas appel de la part de l’individu aux mêmes types d’envies. A vouloir faire en sorte que la nationalité soit un cadeau que nous faisons largement sous couvert d’humanisme, en réalité il s’agit peut-être d’une fausse bonne idée qui plonge les jeunes générations d’immigrants dans le désarroi du fait de leurs racines et d’une culture de leurs ancêtres très différentes.

Livre très clair, sur un sujet complexe, qui débroussaille la route à suivre. Mais cela demanderait un vrai courage de la part de nos politiques pour arriver à une solution à cette immense question du vivre ensemble sur un même sol.

 

 

75) Au cœur de l’antiterrorisme Marc Trevidic JCLatès  2011

 

aventure,randonnée,marche,diplomatie,guerre,justiceL’auteur dans cet ouvrage aborde les différents aspects de son métier de juge traitant des affaires de terrorisme. Sans rentrer dans le détail des grandes affaires en cours, secret de l’instruction oblige, il nous fait vivre son engagement dans la lutte contre le terrorisme, en mettant des hommes en scène, qu’il s’agisse des terroristes eux-mêmes, des victimes de ces attentas, des services secrets français et étrangers, des justices d’autres pays. Il nous entretient aussi  des politiques qui ne cherchent pas toujours à faire émerger la vérité pour différentes raisons, souvent du fait du positionnement politique de notre pays à un moment donné sur la scène internationale. Parfois sa pensée est un peu difficile à suivre,  lorsqu’on n’a pas une  bonne formation juridique, ce qui est mon cas, car le fonctionnement de notre système judiciaire est plein de subtilités pour le néophyte. Témoignage très intéressant qui fait suite au très beau livre  du juge Bruguière.

 

 

76) Servir le peuple Yan Lianke   Picquier poche 2009

 

Ce roman tourne en dérision une formule typique du régime maoïste, qui est « comment servir le peuple ». D’ailleurs on ne s’y est pas trompé en Chine car le livre a été immédiatement interdit. En effet sous couvert de cette formule, après certes certaines pressions, le personnage principal de l’ouvrage suit ce précepte pour assouvir les envies sexuelles de l’épouse de son chef militaire. Il y parvient très bien et cela déclenche chez lui et sa maîtresse le déverrouillage de conditionnements fortement imprimés par la société chinoise. Ils s’attaquent à la figure mythique de Mao,  en en détruisant les portraits, ce qui les renforce dans leur envies d’émancipation.   Le roman fait apparaître tout l’absurde de la pensée mettant en exergue l’idéal communiste altruiste (pour ceux qui adhèrent seulement), derrière lequel en réalité se dissimule l’appétit de matérialisme. J’ai passé un très bon moment.

 

77) La Compagnie des femmes Yves Simon  Stock 2011

aventure,randonnée,marche,diplomatie,guerre,justiceYves Simon je m’en souvenais comme chanteur et puis en regardant une émission littéraire « la grande librairie » je l’ai écouté parler de son dernier livre. Il en parlait très bien, je l’ai acheté et l’ai lu et je n’ai pas été déçu.

Au cours d’un voyage tout à fait improvisé sur une route que l’on ne considère pas comme une destination de voyage, tout au plus comme un calvaire indispensable en préambule au voyage, l’autoroute Paris Marseille, il nous emmène très loin dans les rencontres impromptues et les sentiments. Il décrit avec brio cette magie qui naît de la rencontre au gré du hasard de deux êtres qui vont rentrer en harmonie, qu’elle se concrétise (cette magie) physiquement ou non. Chacun de nous à cette lecture verra remonter à la surface des souvenirs voire des aspirations, des états d’âme, des agitations, des exaltations. Ces rencontres, particulièrement avec des femmes, mais pas toujours, au détriment d’une vie affective bien établie montre cette quête de rencontres, de laquelle naît l’enchantement de l’apport à l’autre. Il aborde très subtilement les différentes approches en fonction de l’âge. De l’éphémère de la rencontre passagère se concrétisent des ressentis immortels.  Très beau livre magnifiquement écrit plein d’une forme de nostalgie qui apporte un grand plaisir.

 

 

78) Le Premier Amour  Véronique Olmi  Le Livre de Poche 2009

 

 

aventure,randonnée,marche,diplomatie,guerre,justiceJe découvre cet auteur. Le livre aborde un thème bien à la mode dans notre société où les quadras et plus aiment à se retourner sur leur passé, en particulier affectif. A croire que l’on s’imagine tous que l’on est passé à côté du grand amour à un moment donné, preuve s’il en est que beaucoup ne sont pas au top dans leur peau.

 

 

Elle effleure nombre de problèmes bien actuels, les handicapés que nous ne sommes plus en mesure de garder chez nous, ce qui sous-tend  à mots couverts sans doute la gestion de la vieillesse dans nos sociétés, les paumés de tous genres que l’on côtoie au hasard de nos déplacements, et surtout nos interrogations existentielles. Le thème est bien alléchant, mais la pensée n’est pas poussée assez loin et reste très superficielle. Je dirais en guise de conclusion, en désaccord avec les critiques dithyrambiques du Point et du Figaro littéraire, heureusement que le livre n’est pas trop épais, ce qui m’a permis de persévérer jusqu’à la fin.

 

 

 

79) Messieurs les avocats  Pierre Malan  Albin Michel 1955

 

 

aventure,randonnée,marche,diplomatie,guerre,justicePetit livre truculent par le thème abordé, la vie d’un barreau d’une ville française. On y voit vivre les avocats plongés dans leurs intrigues et leurs petites magouilles sur fond d’élection du Bâtonnier. Les multiples péripéties et rebonds sont des plus hilarants et la chute est impitoyable quand à la hauteur d’âme et à la déontologie des personnages.

 

 

80) La conspiration oubliée  Terry Parssinen Robert Laffont 2004

 

 

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Cet ouvrage retrace l’histoire secrète du complot de 1938 contre Hitler. Ce récit très concis, raconte au jour le jour l’action de certains chefs allemands et pas des moindres, qui sentant venir la catastrophe, si Hitler appliquait sa politique.  Nombreux sont les acteurs de ce complot malheureusement avorté, qui se retrouveront impliqués plus ou moins directement dans celui de juillet 1944.

 

Récit particulièrement fourni en détails, montrant très bien l’évolution d’une bonne partie des chefs allemands au gré des hésitations des démocraties occidentales, France et Grande Bretagne.  Les contacts jusqu’aux accords de Munich, sont restés très étroits entre les putschistes et les Britanniques. Ces derniers sous la direction de Chamberlain ont adopté une politique de conciliation, qui a été très nuisible à l’action de prise de pouvoir par les opposants au nazisme. Paradoxalement, c’est un dernier compromis très temporaire de la part d’Hitler qui a empêché l’opération d’avoir lieu.

 

Livre particulièrement clair qui donne un bel éclairage sur une période particulièrement difficile en Europe.

 

 

 

81) Histoire des commandos de 1945 à nos jours  Pierre Montagnon Pygmalion 2003

 

 

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En 19 chapitres, l’auteur décrit 19 actions de commandos qui ont marqué la deuxième période du xx siècle. Parmi celles-ci bien évidemment la prise d’otages  durant les jeux olympiques de Munich, l’opération  à Entebbe, les Falkland, la traque des SCUD en Irak, la prise de l’Airbus à Marseille et bien d’autres…

 

Se lit comme un roman, je l’ai trouvé très intéressant, bien que tout ce qui est raconté est généralement bien connu, car ces faits ont souvent été fortement médiatisés.

 

 

 

82) L’été en enfer  Napoléon lll dans la tourmente Nicolas Chaudun Actes Sud 2011

 

Ce livre relate la chute du Second Empire au cours de la défaite française en 1870. On y suit l’empereur sur les champs de bataille. Etant très malade de calculs qui le font terriblement souffrir, c’est un homme  fortement diminué qui est décrit dans ce conflit qui concrétise sa déchéance, physique morale et de pouvoir. Cet ouvrage est particulièrement instructif sur le déroulement des combats dans certains lieux comme par exemple Sedan. Les désaccords au sein du gouvernement et les intrigues qui en découlent sont aussi expliqués.

 Cette lecture parfois difficile, bien que passionnante, fait naître  un malaise devant cet empereur à l’agonie cherchant à se faire tuer sur les champs de bataille, afin de pouvoir échapper à la déchéance du pays et à son propre avilissement. Ce vœu ne sera pas exhaussé et il subira l’ignominie de la captivité.                                                                                                               Cet ouvrage m’a fait connaître certains côtés de cette période d’histoire de France que l’on vit encore de nos jours avec douleur.

 

 

83) Les généraux allemands parlent Basil H. Liddell Hart  Tempus 2011

Dans cet ouvrage conséquent (550 pages) il est question des rapports d’Hitler avec ses généraux dans la conduite de la guerre. Mais afin de ne pas embrouiller le débat, ne sont abordés que les problèmes techniques de guerre, découlant de la tactique et la stratégie. Les problèmes d’éthique et d’adhésion aux idées nazies sont à peine effleurés, ce qui permet aux intervenants de se concentrer sur les problèmes techniques et de ce fait ils livrent leur pensée sans chercher à masquer certaines de leurs actions qui seraient répréhensibles.

Livre dense, qui passe en revue toutes les grandes batailles de la seconde guerre mondiale, vues du côté des généraux allemands survivants. On a confirmation d’un état-major des armées sous la direction de Keitel et Jodl, totalement inexistant et sous la domination totale du Fürher. L’armée de l’air du fait de la personnalité particulière de Göring pouvait être un frein très net à une stratégie d’ensemble. La marine il n’en est que très peu  traité dans l’ouvrage. L’essentiel de cette étude consiste en les positions des généraux de l’armée de terre et la manière dont ils ont dirigé les grandes batailles du III Reich.

Deux écoles s’affrontaient au sein des chefs, les jeunes et les anciens. Les jeunes plus orientés vers l’emploi des armes moderne avec la mécanisation accrue, étaient poussés vers la guerre de mouvement. Les anciens plus traditionnels, marqués par les guerres de position, étaient moins entreprenants. Hitler donnait sa préférence aux jeunes et à leur courage et leur inventivité, mais il restait ce qu’il était un dictateur, et il imposait pratiquement toujours en finale son point de vue. Alors il perturbait grandement les opérations et bien souvent les décisions qu’il imposait étaient catastrophiques pour l’armée allemande. Cependant il était capable d’avoir des intuitions de génie, mais dans leur réalisation il pouvait par des décisions inappropriées empêcher le succès escompté.

Autre volet de ce livre particulièrement intéressant : l’appréciation de la part des généraux allemands sur leurs homologues alliés, et la critique  concernant les décisions prises par ces généraux alliés qui leur étaient opposés.

Très bel ouvrage, qui malgré le sujet difficile se lit facilement.

 

 

 

84) Le mec de la tombe d’à côté  Katarina Mazetti 2009 Babel

 

Sous couvert d’un titre surprenant ce livre relate une histoire de couple  qui ne se passe pas sans problème. L’éternelle question des centres d’intérêt qui finit par amener un questionnement sur la relation. Est aussi abordé dans cet ouvrage la difficulté pour un agriculteur de garder une femme, surtout quand elle vient de la ville, situation connue dans tous les pays occidentaux. Le style est alerte et la lecture est agréable. L’humour et la dérision affleurent en permanence.

 

 

85) La valse des gueules cassées Guillaume Prévost  Grands Détectives 2010

 

J’ai du mal à émettre une critique sur ce livre, en effet le polar je n’en lis pratiquement jamais car ce n’est pas du tout le genre de lecture qui m’attire.

 

L’intrigue est bien conduite. Le contexte, la police dans le Paris après la première guerre mondiale. On y déambule dans les catacombes et on y côtoie les gueules cassées ces grands blessés du visage.

 

86) L’esprit du chemin Olivier Lemire Transboréal 2011

Livre au titre prometteur, surtout qu’il s’agit de voyage à pied à travers la France, thème qui m’est particulièrement cher. L’auteur fixe son itinéraire de façon très originale, il va de lieu en lieu ayant une signification, comme par exemple le Corps, la Sagesse, l’Amitié…

Très curieux, c’est avec empressement que j’ai attaqué la lecture de ce livre. Mais contrairement à d’autres récits de marche au long cours, rapidement la monotonie s’est installée, allant de paire avec la routine et le manque de relief des contacts noués. Peut-être n’étais-je pas bien disposé mais ce voyage aux sources du bonheur, car le point final de ce voyage se situe à la source de la rivière Bonheur dans le Massif Central, ne m’a pas conduit au nirvana escompté, à tel point que je n’ai lu que 200 pages, l’ouvrage en comptant 280. Peut-être vais-je attendre un peu et au moins en lire la fin. Toute l’alchimie de la lecture réside dans le coup de foudre qui vient ou ne vient pas. Et pourtant dans le cas présent tous les ingrédients semblaient réunis !

87) Longues peines  Jean Teulé  Pocket 2001
 

Dans ce court roman l'auteur aborde la vie en milieu carcéral. Qu'il s'agisse des prisonniers ou des gardins, il aborde avec une langue sans détour la vie en prison. On y entre dans le mode de pensée des uns et des autres. On y assiste à la vie au quotidien de tout ce peuple des prisons, les dangers, les sévices les réactions, les regards des uns un sur les autres, avec pour couronner le tout un directeur de prison dont la femme devient folle. Livre fort qui ne laisse pas insensible, écrit par un auteur de grand talent.

 

87) Longues peines Jean Teulé  Pocket 2001

 

Dans ce roman l’auteur aborde la vie en prison, où se côtoient gardiens et prisonniers. Ces deux catégories de personnes vivent des vies qui sans se ressembler totalement ont des points communs. Dans cet univers de violence et de contrainte, chacun essaie de s’adapter au moins mal, ce qui n’est pas toujours possible, comme on le verra. Jean Teulé nous fait bien ressentir l’atmosphère de ce monde clos qu’est une prison. A travers la narration au quotidien de la vie des uns et des autres, qui fait ressortir toute l’humanité à travers ses qualités et ses défauts, nous assistons au déroulement d’anecdotes surprenantes, parfois drôles, tristes, cyniques, attendrissantes ou sur un autre registre très violentes. De toute évidence, l’écrivain s’est inspiré de la réalité et ce petit livre aide à se faire une idée sur le monde carcéral.

 

88) Le naufrage de la Méduse Alexandre Corréal Jean-Baptiste Savigny  folio 2005

Dans cet ouvrage les deux auteurs qui sont deux des rescapés de ce terrible naufrage de la  frégate la Méduse, qui se déroula en 1816 sur des hauts fonds à proximité des côtes mauritaniennes, font le compte-rendu de ce qui s’est passé. Le but de ce rapport était de faire condamner le commandant du bateau qui a manifestement fait preuve de grande incompétence, d’entêtement, et en définitive d’extrême lâcheté en abandonnant à leur sort 150 personnes sur un radeau désemparé, et cela dans des conditions apocalyptiques. Au départ sur le radeau, les occupants avaient de l’eau jusqu’à mi-poitrine. Au fur et à mesure les occupants étant de moins en moins nombreux, le radeau sort progressivement de l’eau. 0 la fin ils n’étaient plus que trente. Ce récit, véridique, pas toujours facile à lire du fait du style employé, est totalement hallucinant. Il est impératif de le lire pour bien comprendre ce qu’a été l’aventure de ce radeau de la Méduse, que Delacroix a immortalisé sur l’un de ses plus magnifiques tableaux.

 

89) Le Lièvre de Patagonie Claude Lanzmann  folio 2009

Ouvrage majeur de plus de 700 pages, dans lequel l’auteur parcourt le xx siècle au travers de son expérience personnelle. On peut parler d’autobiographie dans laquelle Lanzmann parle de grands personnages et de grands faits historiques, et surtout les éclaire sous un jour particulier et personnel. Rentrer dans le détail du livre n’est pas possible, il aborde la résistance, la guerre, Israël, il décrit avec précision la vie de gens comme Sartre ou Simone de Beauvoir. Une partie non négligeable de l’œuvre retrace son aventure concernant l’élaboration du film Shoah, alors on touche là des sommets.

Œuvre majeure, d’une densité incroyable, écrite dans une langue magnifique, l’un des livres qui m’a le plus marqué. On est dans la narration de destins hors du commun, qui à la manière d’un Joseph Kessel, ont traversé le XX siècle comme acteurs sinon majeurs, tout du moins comme témoins privilégiés.

 

 

90) Patients, si vous saviez Christian Lehemann Nouvelle édition mise à jour                   première édition 2003

 

Témoignage d’un médecin généraliste, très bien argumenté, on suit le praticien au jour le jour dans une première partie. Au travers des différents clients qu’il reçoit nous nous faisons une bonne idée des différents volets du métier de généraliste et des difficultés qui sont les siennes au quotidien. Dans une seconde partie il aborde les grands problèmes d’ordre plus politique auxquels le praticien généraliste est confronté. J’ai eu plus de mal dans cette partie plus technique et moins directement tournée vers l’individu au singulier.

 

Ce récit m’a beaucoup apporté sur la perception de la médecine générale de nos jours et des difficultés et des responsabilités lourdes que cela implique dans un contexte de temps toujours plus contraint d’une civilisation en accélération.

 

 

 

91) Histoire de la Gestapo Jacques Delarue  nouveau monde poche 2011         première édition Fayard 1962

 

Comme il est écrit en quatrième de couverture, il s’agit d’un ouvrage de référence. Plus de 600 pages, tout au long desquelles dans un langage clair et précis, l’organisation et les hommes qui la composent sont étudiés. J’avais un peu peur de me trouver face à un de ces livres très techniques touffus et difficiles à lire. Absolument pas, ayant déjà pas mal lu sur cette organisation monstrueuse, assise du nazisme, eh bien cela m’a clarifié les idées sur de nombreux sujets organisationnels, évènementiels ou de personnalités. Ouvrage que je recommande tout particulièrement.

 

92) Churchill  François Bédarida   Pluriel 1999

Très belle biographie de Winston Churchill, l’un des acteurs majeurs du xx ème siècle. Il a vécu pas loin d’une centaine d’années et s’est trouvé mêlé comme militaire sur le terrain ou comme politique à tous les grands conflits du siècle passé, qu’il s’agisse de guerres coloniales ou des deux guerres mondiales. Homme politique à la carrière particulièrement longue, où les grands succès et les échecs retentissants se sont succédé. Livre qui montre bien toute l’influence que Churchill a exercé sur notre monde à des moments où peu d’hommes étaient en mesure d’assurer d’immenses responsabilités lourdes de conséquences. A lire impérativement.

 

93)Naples 44 Norman Lewis Phébus libretto 1978

Témoignage absolument passionnant d'un militaire anglais sur la ville de Naples et la vie locale lors de la libération alors que les troupes alliées viennent de débarquer. Il y a séjourné plus d'un an de 1943 à 1944. Travaillant dans le renseignement et les contacts avec la population civile, il voit les Italiens de cette région vivre au jour le jour. Son récit est un étonnement permanent pour le lecteur. A lire impérativement, il a d'ailleurs fait l'unanimité de la critique, et a été classé parmi les dix meilleurs livres consacrés à la dernière guerre mondiale.

 

94) Hiroshima , bombe A    Knebel et Bailey    J'ai lu

Livre qui se lit comme un grand roman d'aventure, mais il  raconte une histoire vraie, l'histoire de la construction des deux premières bombes atomiques.  Ouvrage instructif .

 

 

95)  Aventures d’un espion japonais au Tibet  Hisao Kimura Scott Berry     Petite Bibliothèque Payot 2005

 

Ce livre relate la fabuleuse aventure d’un Japonais durant la deuxième guerre mondiale à travers l’Asie centrale. Ce récit  est en quelque sorte la synthèse de deux livres extraordinaires, le grand jeu et Croisière set caravanes. Le premier de ces deux ouvrages décrit la guerre que se livrent les espions russes et anglais dans ces lointaines contrées au XIX siècle et le second est l’un des très beaux récits de voyage de Ella Maillart à travers l’Asie centrale dans les années trente.

 

Comparativement au premier ouvrage, comme les espions russes et anglais il est un clandestin qui joue sa vie, s’il venait à être démasqué. Et  sa similarité avec le livre d’Ella Maillart provient de ces immenses déplacements à chameau qu’il effectue à travers ce continent.

 

Le plus qu’apporte l’ouvrage d’Hisao Kimura, c’est qu’il connaît parfaitement les langues et peut se faire passer pour un Mongol et de ce fait il pénètre beaucoup plus loin dans la culture, les modes de vie et de pensée ainsi que  les secrets de ces régions. Très grand livre.

 

 

96) HHhH   Laurent Binet

 

Ouvrage surprenant et très bien documenté. L’auteur s’attache à montrer l’être abjecte qu’était Heydrich dans le contexte de l’attentat qui lui coûta la vie. Il décrit très bien d’un côté le mode de fonctionnement nazi et de l’autre la préparation de l’action qui entraîna la mort de la « bête blonde ». Ayant déjà lu un certain nombre d’ouvrages sur le chef de la gestapo et des services secrets nazis, second de Himmler, je trouve que cet ouvrage est une excellente synthèse, agrémentée de tous les doutes de l’écrivain devant la page blanche. Sur certains côtés, tout  en étant beaucoup moins monumental, cet ouvrage me rappelle les bienveillantes, qui traite de la seconde guerre mondiale et du fonctionnement de la dictature nazie dans son ensemble.  Je recommande cet ouvrage. Je ne révélerai pas pourquoi ce livre a pour titre HHhH, le lecteur aura tout loisir de le découvrir.

 

 

97) Le camp des Saints      Jean Raspail      le livre de poche

 

Ce livre raconte à travers un cas particulier, comment nos sociétés démocratiques sont mal préparées à un envahissement massif du territoire européen, à partir du moment où cette invasion se fait sans agression. Ce livre porte nécessairement à réfléchir sur la vulnérabilité de nos sociétés et nous fait prendre conscience que les civilisations sont périssables et remplaçables par d’autres qui savent s’imposer, que ce soit par la force ou autrement.  Cela me fait penser à un autre livre de gros volume  Effondrement, dans lequel l’auteur étudie à travers de nombreux exemples comment des sociétés se sont écroulées ou au contraire ont su faire face à un moment de leur développement, alors qu’elles étaient confrontées à des évolutions majeures.

 

 

 

98) Les Geishas      Robert  Guillain   arléa diffusion Seuil

 

L’auteur est français, mais il connait remarquablement bien le Japon et ses coutumes. Il a travaillé longtemps dans ce pays, ce qui lui a permis de pénétrer la haute société  et ses us et coutumes. Il a donc fréquenté ce monde particulier des Geishas et il nous en révèle tous les fondements et les fonctionnements. Voyage passionnant dans un monde très loin des canons occidentaux. Très instructif  sur les relations hommes femmes dans l’Empire du soleil levant, société oscillant entre brutalité, égoïsme et sécheresse de cœur d’une part, et raffinements extrêmes d’autre part.

 

 

99) L’art français de la guerre  Alexis Jenni  Gallimard 2011

 

Ce livre volumineux est tout à fait étonnant, non parce qu’il a obtenu cette année le prix  Goncourt, mais pour son style et le sujet abordé, et la manière dont il l’est.

 

Le style, l’auteur a vraiment une originalité, il dit et redit puis répète, toujours sous des angles légèrement différents et le message pénètre d’autant plus. On aurait pu imaginer que cette manière de faire soit rébarbative en étant répétitive, il n’en est rien, au contraire cela conforte la structure du livre.

 

Le sujet, comme annoncé dans le titre, il est question des guerres menées par la France depuis la deuxième guerre mondiale jusqu’à nos jours. A travers une succession de narrations de combats et de la vie de nos soldats sur tous ces théâtres d’opérations, en particulier l’Algérie et l’Indochine, l’auteur explicite le lien fort et compliqué qui nous unit à nos ex colonies. Il décrit au travers de ce filtre  nos relations et sentiments actuels dans la France d’aujourd’hui à l’égard des Français d’origine étrangère. Il a le talent d’expliciter les deux côtés du problème, position du côté des pro et des anti. Chacun à travers ces écrits sera capable de se faire sa propre idée ou de se sentir conforté dans ses analyses. En tout cas, les interrogations soulevées ne laissent pas indifférent et poussent à la réflexion.

 

Ouvrage de grand intérêt que l’on dévore d’un coup, l’un des plus originaux que j’ai lus. J’ai beaucoup aimé l’ensemble, et j’ai été littéralement envoûté par le chapitre ayant trait à la guerre d’Indochine.

 

 

100) Ma Fantastique Histoire  Eddie Chapman      TEXTO 2011

Récit absolument extraordinaire d’un truand anglais, qui se retrouve par les hasards de la guerre agent double britannique durant la deuxième guerre mondiale.

Témoignage passionnant, l’auteur nous décrit cette période passée entre services secrets britanniques et allemands, avec beaucoup de détails très intéressants sur les conditions de vie et de travail durant cette période difficile. J’ai beaucoup aimé. 

 

 

101) Mercenaire de la République  Franck Hugo  nouveau monde poche 2011

Un mercenaire raconte sa vie durant quinze années de combat sur tous les théâtres de conflits récents,  Birmanie, Bosnie, Croatie, Côte d’Ivoire, Irak et d’autres.

 

Il décrit ce qu’il fait, retranscrit l’ambiance, expose les exactions qui sont commises par tous les camps. Il livre les motivations qui sont les siennes, et ce n’est pas toujours l’argent, mais aussi une recherche de vie aventureuse où l’adrénaline est le moteur, et parfois l’engagement philosophique n’est pas absent.

 

Il donne aussi son avis sur la position des gouvernants dans des actions secrètes, où il fait ressortir les reculades et lâchetés, les retournements de situations et les lâchages.

 

Très intéressant, un très beau témoignage personnel, sans doute un peu partial, dans les eaux troubles de la politique et le mercenariat. Ce dernier a pris une nouvelle dimension au cours des décennies passées, avec de grandes agences internationales qui ont en quelque sorte ‘privatisé’ les conflits.

 

102) Le Bonheur au bout du guidon  Christophe Cousin Arthaud 2005

Joli témoignage d’un cycliste au long cours, qui relate d’où vient son envie de partir puis au long de ses roues il nous décrit les pays qu’il traverse  et les gens qu’il rencontre  durant son voyage de plus de deux ans.

 

103) Hammerstein ou l’intransigeance  Hans Magnus Enzensberger folio 2010

Très intéressante étude sur la résistance au nazisme exercée par un général allemand de haut rang. Non seulement lui, mais aussi sa famille nombreuse a été impliquée dans cette action de refus de la politique de Hitler.   

 Ce livre souligne bien les contacts très étroits que militaires russes et allemands entretenaient avant le déclenchement des hostilités entre les deux pays.

 Grâce aux archives russes qui se sont ouvertes durant quelques années on a un éclairage nouveau sur les actions d’un certain nombre de personnes, qui se sont opposées à la dictature nazie. En particulier on peut suivre l’action des filles du général Hammerstein engagées dans le communisme.

Ouvrage conséquent de 400 pages, écrit dans un style original, mettant en scène, par moments, des acteurs à titre posthume par le biais de discussions avec l’auteur. Un livre très utile, par son angle d’approche,  pour la compréhension des événements qui ont lourdement marqué cette époque du milieu du xx siècle.

 

 

 

 

104) Un Suisse au service d’Hitler  François Lobsieger  Albatros 1985

 

Livre pour le moins surprenant d’un Suisse qui avec le recul des années (1985) revient sur son expérience dans une unité de Waffen SS. Il relate son engagement auprès d’Hitler et son adhésion au nazisme avec une réelle candeur. Certes une candeur de jeunesse, alors que l’on n’avait pas encore fait le bilan de ce régime fou et exterminateur peut se comprendre. Je trouve ce récit particulièrement peu courageux, on dirait une guerre où la violence est presque absente de la part des Allemands. Mais alors que nous savons bien maintenant ce qu’était ce régime et sa politique, et quelles ont été ses exactions et ses abominations, je trouve ce témoignage presque à la limite du négationnisme. L’auteur exprime le regret que les alliés occidentaux ne se soient pas rapprochés de l’Allemagne pour combattre le bolchévisme. Et tout est de cet acabit. On croit rêver. Il joue sans doute sur l’ambigüité  entre ce qu’il pensait à vingt ans et   ce qu’il pense aujourd’hui ? Son témoignage apparait très distordu par rapport aux récits que de grands auteurs ont fait des événements abordés. Je pense en particulier à Malaparte et Grosmann, sans parler d’une multitude d’acteurs qui dès 1940 avaient compris quelle était la vision européenne des nazis avec leurs différentes catégories d’Untermenschen.

 

La justice suisse a été relativement clémente, car elle l’a condamné à seulement 2 ans de prison.

 

Livre qui me laisse une sensation étrange, dont l’auteur à mon sens ne dit pas la vérité, à moins que l’horreur et l’erreur de son engagement l’aient rendu amnésique, manière comme une autre de survivre. 

 

 

105) Eichmann à Jérusalem   Hannah Arendt    folio histoire

 

Livre majeur sur la logique d’extermination nazie. Ce procès montre un être moyen, qui respecte des règlements et des ordres et organise le plus grand des crimes, la déportation en masse des Juifs vers les camps d’extermination.  Hannah Arendt montre bien comment un petit bureaucrate se transforme en organisateur d’extermination. La pensée d’Hannah Arendt ne se laisse pas facilement pénétrer  à la première lecture, tellement elle est dense et de ce fait soulève une multitude de questions, parfois dérangeantes sur ce qu’un petit homme ordinaire, donc sans doute un grand nombre d’entre nous, est prêt à faire selon le contexte dans lequel il est plongé. Il me faudra relire cet ouvrage pour en saisir toute la dimension.

 

 

 106) Appui Feu en Afghanistan Sgt Paul ‘Bommer’ Grahame et Damiens Lews NIMROD 2011

 Ce livre à l’écriture sur un mode parlé, décrit comment se passe la coordination entre les avions de combat de l’OTAN et les soldats au sol dans la guerre en Afghanistan. Outre des descriptions à caractères assez techniques qui montrent clairement comment on procède, le personnage principal décrit très bien ce qu’il ressent dans ce conflit très particulier de la haute technologie contre des talibans aux moyens rudimentaires. Mais on ne peut éviter de se faire la réflexion suivante : malgré la disproportion des moyens, l’OTAN ne semble pas en mesure d’écraser définitivement les talibans. A lire, même partiellement en piochant quelques chapitres au hasard, pour se faire une idée de ce conflit dans lequel nous sommes impliqués.

 

107) La guerre secrète, tome 1 origines des moyens spéciaux et premières victoires alliées  Anthony cave Brown    tempus  2012

 Première édition de ce livre en Grande Bretagne 1975, a été depuis traduit en français et édité à plusieurs reprises. Ce premier tome de  plus de 600 pages dépasse et de loin tous les romans sur la guerre, par l’enchevêtrement des relations entre alliés et ennemis, en particulier du côté allemand le rôle joué par les adhérents de Schwarze  Kapelle, les opposants à Hitler.

A travers toutes ces opérations d’intoxication, de ruses, complots, décodages de codes secrets à peine imaginables, on se rend compte que les Alliés, Churchill en tête, comptaient très largement sur le fait d’induire les Allemands en erreur afin de gagner la guerre.

Livre très dense  aux multiples opérations, et ce n’est que le premier tome, mais je crois que je vais très vite le relire tellement ce que l’on y apprend est incroyable et nous fait appréhender la puissance allemande  et le danger que cela représentait pour la victoire sur le nazisme à sa juste valeur durant la deuxième guerre mondiale.

 

 

 

 

108) au diable la culpabilité !  Yves-Alexandre Thalmann jouvence Editions 2009

 

Livre intéressant qui démonte le mécanisme de la culpabilité, qu’elle soit due à  de bonnes raisons ou non. L’hypothèse sur laquelle s’appuie l’auteur pour développer son argumentation, met en exergue le lien entre culpabilité et sentiment de toute puissance de la personne qui culpabilise. Effectivement dans cette argumentation  de nombreuses réflexions et un certain nombre d’exemples m’ont interpelé, et m’ont fait progresser dans ce sentiment de culpabilité qui nous taraude plus ou moins fréquemment et plus ou moins intensément par rapport aux décisions que l’on prend ou non, des actions que l’on mène ou non au cours  de notre vie dans nos rapports aux autres. Je vais sans doute le lire une seconde fois et pousser plus loin la réflexion sur ce sujet en  me penchant sur des ouvrages référencés par l’auteur. 

 

 

109) Baron Rouge et Cigogne Blanche   Patrick de Gmeline

 

Cette très intéressante étude comparative des deux as de guerre de la première guerre mondiale, Manfred Richthofen et René Fonck explique ce qu’ont été ces deux pilotes de chasse tout au long de leur vie.

 

Autant Richthofen est resté une figure mondialement connue, autant Fonck est pratiquement tombé dans les oubliettes de l’histoire. Cette différence de traitement s’explique par le fait que le premier a été tué en 1918 au combat et que le second a accepté des missions sous le gouvernement Pétain. Pour Richthofen le fait d’être un héros mort aux commandes de son avion, tout naturellement il est auréolé de la gloire du combattant ayant donné sa vie pour un idéal. Et de ce fait, il n’a pas été impliqué dans la deuxième guerre mondiale, ce qui aurait pu ternir son prestige. Aurait-il pris le chemin de certains de ses compagnons de combat comme Goering ? René Fonck, pour sa part, ayant survécu il est jugé de manière très sévère pour avoir accepté des missions de la part de Pétain, alors qu’il a été un résistant reconnu. Pour cela il a été presque banni des mémoires, au point qu’aucune promotion de l’Ecole de l’Air ne porte son nom, alors qu’il fut le plus remarquable pilote français de la première guerre mondiale.

 

Ce livre très détaillé et remarquablement documenté réhabilite ce grand pilote et patriote qu’était René Fonck, tout au long de ce long récit  (516 pages) qui est écrit en menant de front les  biographies de deux hommes très différents mais qui se rejoignaient dans la dextérité du pilotage de leur avion.

 

 

 

 

110) De l’urgence d’être REACtionnaire  Ivan Rioufol     puf 2012

Petit ouvrage critique sur notre société et ses orientations prises sous le dictat de la pensée unique et du manque de courage. Que l’on soit de gauche ou de droite, que l’on soutienne un candidat quelconque parmi les dix qui se présentent, il n’est pas inutile de lire ce petit traité très actuel, écrit par un journaliste à la pensée claire, qui de plus ne se revendique d’aucun extrémisme. Je le conseille vivement

 

111) Le retour du Général Benoît Duteurtre   folio 2010

Petit ouvrage de politique fiction, le retour du général de Gaulle dans notre France déboussolée, engluée dans une Europe qui perd ses repères dans une mondialisation galopante. Son arrivée comme son départ sont pour le moins surprenants, mais l’évolution de notre société même si dans le livre elle est sans doute caricaturée doit nous faire réfléchir sur la capacité de nos dirigeants à appréhender le futur. Un petit moment de plaisir sur ton humoristique.

 

 

112) La Vengeance du wombat  Kenneth Cook  Le Livre de Poche 2010

 

Auteur australien que je ne connaissais pas. En farfouillant dans les librairies en particulier chez Decitre à Lyon, je suis tombé sur ce petit livre au titre plein de mystère. La vengeance du wombat n’est que la première des 14 histoires qu’il nous livre, et qui sont le fruit de ses pérégrinations dans le bush, toutes plus extraordinaires et déjantées les unes que els autres, mais vraies !!! Tout commence toujours ou presque dans un bar perdu dans un coin de désert croulant sous une chaleur suffocante et là, apparaît un pilier de bar qui va l’entraîner dans les aventures les plus folles, à la chasse au crocodile, au buffle, au serpent etc. Rarement un livre m’a fait autant rire par les aventures décrites avec un art consommé du gag. Il a écrit au moins six autres livres que je vais m’empresser d’aller acheter.

 

 

 

113) La guerre secrète II, du jour J à la fin du III Reich Anthony Cave Brown Tempus 2012

 

   Dans ce second volume tout aussi épais que le premier, 630 pages l’auteur nous décrit avec minutie tous les acarnes des opérations d’intoxication et de mystifications mises sur pied par les Alliés en vue de l’invasion de l’Europe par la France. Livre absolument époustouflant, écrit avec une grande clarté, on chemine dans le montage des opérations majeures, Fortitude, Bodyguard, Neptune. On en suit le déroulement avec les accrocs qui les émaillent, on voit comment les chefs des services secrets britanniques de situations considérées comme désespérées, exploitent leurs propres failles pour maintenir les Allemands dans l’erreur. On vit avec les principaux acteurs, anglais, américains, allemands ainsi que d’autres nations, en particulier de Gaulle,  tout au long de ces événements majeurs qui se sont déroulés dans la dernière année de guerre. Cela dépasse tous les romans d’espionnage. A lire plus qu’impérativement.

 

 

        114) La femme qui résiste Anne Lauvergeon témoignage Plon 2012

          Dans cet ouvrage l’auteur, ancienne patronne d’Aréva raconte son parcours professionnel. Elle a côtoyé de très près trois présidents de la République. Son poste à la tête  du plus important groupe nucléaire mondial l’a mise au cœur de grands enjeux financiers, économiques et industriels. Elle dresse un tableau qui n’est pas toujours à l’avantage de nos politiques. Concernant Le dernier Président, carrément elle dénonce une volonté de faire passer des intérêts particuliers devant l’intérêt commun du pays. Il serait intéressant d’avoir la version de la partie adverse et de ceux qui ont conduit à sa non reconduction à la tête d’Aréva. Livre intéressant,  écrit par une femme de tout premier plan, mais sa sortie peu avant le deuxième tour des élections est-il fortuit ?

 

 

 

        115)  Globalia    Jean-Christophe Rufin   Folio  2004

 

          Dans cet ouvrage l’auteur élabore une société démocratique parfaite qui          est une caricature de nos démocraties occidentales. Sous des traits parodiques, il met l’accent sur tous les travers des règles de nos sociétés et de nos comportements. C’est une critique à peine voilée du politiquement correct, qui recèle en son sein la graine du totalitarisme, au profit d’une petite minorité qui manipule une majorité.. Il assaisonne cela d’une histoire d’amour à l’eau de rose. Le livre au lieu de faire 500 pages, pourrait délivrer son messager en 200. Mais peut-être suis-je entraîné par le tourment du temps qui passe, alors que l’on peut prendre le temps de lire 500 pages?

 

 

 

         116) Histoire d’un Allemand  souvenir 1914-1933 Sebastian  Haffner  BABEL

 

          Ce témoignage de tout premier plan d’un jeune étudiant en droit décrit de manière très claire la montée du nazisme et son acceptation par le peuple allemand, alors que la majorité n’adhère pas à ces thèses. A travers son analyse de la société allemande au cours de cette période d’une vingtaine d’année on suit pas à pas la progression de l’emprise  d’Hitler et de ses idées d’apocalypse sur l’un des peuples les plus évolués de la planète. On prend conscience des mécanismes de pression insidieux qui se mettent en marche et qui broient les individus. Ouvrage remarquable qui doit nous faire réfléchir aux basculements toujours possibles qui guettent nos sociétés, alors que nous restons incrédules jusqu’au point de non-retour. Livre que je recommande tout particulièrement à tous ceux qui se demandent comment les régimes totalitaires et monstrueux peuvent prendre le pouvoir dans des sociétés démocratiques.

 

 

                  117) Le dernier Ennemi  Richard Hillary  TEXTO 2010

 

         Ce livre a été écrit en 1942 par un jeune pilote de la RAF, qui avait tout juste 20 ans en 1939. Dans son récit il aborde toutes les grandes questions que suscitent les conditions extrêmes de la guerre. L’engagement immédiat qui a été le sien, les hésitations de l’un de ses camarades qui se pensait un pacifiste inconditionnel, la mort de ses camardes aviateurs, son combat contre la souffrance après avoir été gravement brûlé au combat, la réaction des proches des disparus, et beaucoup d’autres situations amènent à des descriptions et des réflexions qui font tout l’intérêt de cet ouvrage. L’auteur n’a pas survécu à la guerre, mort au cours d’un exercice de nuit en 1943.

 

 

 

              118) Le voyage d’automne François Dufay  tempus 2000

 

         Cet ouvrage relate le voyage effectué par un groupe d’intellectuels français de premier plan en Allemagne au cours du mois d’octobre 1941sur l’invitation de Goebbels. Bien évidemment ce dernier a eu cette initiative dans le cadre du développement de la propagande nazie tous azimuts. Ce qui est surprenant à la première analyse, c’est que de grands intellectuels se soient laissés instrumentaliser aussi facilement. Mais au cours  de la lecture on voit apparaître les motivations de chacun qui souvent ne sont pas dénuées d’intérêt personnel, Goebbels et ses sbires promettant certaines faveurs, comme la facilité d’édition d’ouvrages pour ceux qui se plient avec complaisance au jeu. Livre très intéressant qui montre que l’on peut être un esprit bien fait, mais ne pas saisir une situation donnée dans son ensemble, ou essayer de profiter d’opportunités pour le moins douteuses. Certes, il est facile de parler  de cette période de l’occupation maintenant en donnant des avis péremptoires bien assis dans un fauteuil à l’abri de tout danger, mais on assiste cependant de la part d’intellectuels de haut niveau à des défaillances et à des compromissions, dues à la manipulation et aussi à la complaisance intéressée. Livre particulièrement intéressant pour essayer de saisir l’un des volets de cette relation entretenue par certains milieux avec l’occupant.

 

 

119) Einsatzgruppen les commandos de la mort nazis  Michaël Prazan Editions du Seuil 2010

           Livre volumineux de près de 600 pages qui retrace les actions menées par les commandos de la mort nazis sur l’arrière du front de l’est en suivant la Wehrmacht. L’auteur est parti à la recherche des derniers témoins, aussi bien du côté des victimes que des bourreaux.

         Tous ces témoignages que l’auteur a réussi à accumuler non sans peine, les participants aux tueries ne parlent pas facilement et souvent s’y refusent, jettent une lumière sans concession sur le déroulement de ces tueries. Ce qui ressort de ce récit, outre un tableau saisissant et cette aptitude de l’homme à détruire, c’est une vérité difficile à regarder en face : ces pogromes commis durant la seconde guerre mondiale ne l’étaient pas uniquement par les Allemands mais nombre d’habitants des pays envahis ont prêté leur concours de manière active. 

         Ce récit plus que bien documenté me semble un témoignage de tout premier plan sur les horreurs commises pendant la seconde guerre mondiale, et il pousse chacun des lecteurs à la réflexion sur l’homme et son aptitude au mal, au vu de faits qui nous semblent impossibles de la part d’êtres humains tellement ils sont horribles et commis en masse.

 

 

 120) La Bête et la Belle Thierry Jonquet  folio policier 1985

         Court récit de 150 pages, mais c’est noir, noir, noir voire plus. Mais derrière ce tableau apocalyptique se cache un humour, même s’il est lui aussi assez noir, il fait rire. Ce genre de récit de crimes dépeint une société, la notre, qui ne fait pas de cadeau. Ames sensibles s’abstenir. Je lis rarement des polars, je crois que je vais attendre un peu pour le suivant. Mais je conseille la lecture de cet ouvrage très surprenant, même si le scatologique dégouline à longueur de pages ! 

 

 

 

121) Journal d’un mauvais Français  Christian Millau  éditions du Rocher 2012

 

          Après son journal impoli un siècle au galop, on pense avoir fait le tour de la question de ce type de chronique. On se dit c’est un peu comme « les  Visiteurs », comme ça a bien marché on tente un numéro deux, ça se vendra toujours.

 

          Malgré tout, ayant été tellement emballé par  son journal impoli, j’achète le journal d’un mauvais Français. Immédiatement je suis retombé sous le charme de la pensée claire, parfois dure, toujours très logique et pleine de bon sens, avec une énorme louche d’humour ! Son écriture est fluide et lorsqu’il décide de faire du style c’est superbe. Livre qui m’a comblé et qui par moments m’a tellement fait rire que j’étais dans l’incapacité d’en lire à haute voix les passages concernés à mes proches tellement je riais. Même s’il met en exergue toutes les incohérences de notre monde, on ne déprime pas. Au contraire à lire impérativement cela remplace tous les antidépresseurs, à la recherche d’un ciel bleu.

 

122) Policiers français sous l'occupation Jean-Marc Berlière     tempus 2009

Ouvrage de plus de 400 pages qui relate les actions de la police française durant la deuxième guerre mondiale en France. Livre, qui aborde une partie douloureuse de l'histoire de notre pays. Cette lecture fait prendre conscience de la complexité de juger du comportement de l'un ou l'autre. Entre vrais collaborateurs, petits fonctionnaires zélés, simples policiers qui avaient peur pour leur vie et celles de leur famille et vrais résistants qui avaient pour ordre de garder leur poste pour plus d'efficacité de la résistance, les pistes sont parfois si embrouillées, qu'il est difficile de faire la lumière. Chacun se forgera sa propre conviction mais cette lecture est particulièrement instructive concernant une grande administration plongée dans la tourmente sous  la contrainte de l'envahisseur allemand.

 

123) Remonter la Marne Jean-Paul Kauffman   fayard 2013

 

Je suis très intéressé par les récits de pérégrination à pied, et tout particulièrement lorsque le but du voyage est de remonter un cours d'eau sur la totalité de son parcours.

La narration d'une telle expérience n'est pas aisée, car elle se heurte rapidement au banal en tombant dans le piège d'une description au premier degré de ce que l'on rencontre en route. Ce piège, à mon sens, n'a pas été évité sur la plus grande partie du livre. Les émotions personnelles ressortent assez peu, il a préféré jouer l'historien en relatant des faits de guerre, surtout concernant 14-18, ou rappeler les personnages illustres qui ont vécu dans les villes traversées par cette rivière, qui est la plus longue de France.

Il fait une description non dénuée d'intérêt de la Marne . Mais cela manque un peu de spontanéité et aussi d'un peu de sentiment. On pourrait presque imaginer qu'il est parti dans l'aventure sur commande de son éditeur.

Dans les trente dernières pages, il entre à mon sens dans le sujet. Il vibre au rythme des émotions qu'il ressent et sait les transmettre à travers les mots. La dernière page est sublime, elle transcrit bien en quelques phrases toute la force de l'entreprise qui arrive à son terme, le beau rêve qui devient réalité et qui disparaît à jamais.

 

124) Ma République se meurt  Jeannette Bougrab  Grasset 2013

Dans ce livre l'auteur nous dévoile son parcours et comment elle a été perçue de par ses origines algériennes. On sent dans ce récit son profond attachement à sa nationalité française. Elle exprime bien tous les sous-entendus de bien des personnes, en particulier d'un certain nombre de politiques sur la façon de s'exprimer sur le racisme et ce qui va avec. 

Son père est très présent dans son récit. Soldat harki dans l'armée française, multi-médaillé, il a toujours été l'exemple à suivre.

Elle aborde le mal vivre et les problèmes vécus par les jeunes d'origine étrangère. Elle fait un état des lieux avec lequel je suis d'accord. Dans son analyse, contrairement à Malika Sorel, elle aborde assez peu les causes profondes de cette fracture de notre société. On reste un peu sur notre faim, car de la part d'une personne de sa compétence et de sa position, on aurait aimé qu'elle aille plus loin dans le démontage des mécanismes du vivre ensemble ou du non-vivre ensemble.

Ce témoignage est cependant très intéressant, écrit par une femme de toute évidence de caractère et de conviction. Si elle écrit un nouveau livre, je ne manquerais pas de le lire.

 

125) CAHIERS Capitaine Coignet    arléa

Récits époustouflant d'un militaire de l'armée napoléonienne, qui a participé à 48 batailles sans être blessé. En outre, il a été le tout premier à être décoré de la légion d'honneur. Au départ simple soldat, de par son comportement particulièrement courageux et les faits d'armes accomplis, il intègre la Garde impériale. Puis il occupera plusieurs postes au sein de l'état major comme officier.  

L'un des aspects les plus intéressants de ce récit, provient du fait que l'auteur était dans le cadre ses affectations toujours très proche de Napoléon. Il relate ses rapports personnels avec l'Empereur durant les différentes campagnes. Ce témoignage sous cet angle particulier nous montre la grande proximité de Napoléon avec ses soldats. 

Ce livre a été écrit alors que son auteur avait 72 ans. Après un tel laps de temps il n'est pas exclu que sa perception de la réalité ait évolué dans un sens ou un autre. Cependant on est tenu en haleine tout au long de ses 463 pages!

Livre de souvenirs portant sur l'une des périodes majeures de l'histoire de France, portant sur un vécu au plus près de l'évènement durant de longues années. L'un des plus intéressants ouvrages que j'ai lus sur cette période.

 

126) Limonov   Emmanuel Carrère  2011 folio

 

A travers la vie d'un Russe, qui a taversé une période très agitée de son pays, on est conduit à travers les grands soubresauts  de l'Union Soviétique puis de la Russie. Livre de presque cinq cents pages qui se lit comme un roman, à la différence que les faits sont bien réels. Comme tous ces personnages à la destinée tortueuse, Limonov au cours de cinquante vies en une, sur tous les continents il a vécu des expériences où passion et danger étaient ses compagnons de tous les jours. 

On se croie dans les grandes sagas à la russe, comme vie et destin, ou plutôt dans leur prolongement dans le temps. On y croise les dirigeants russes qui ont marqué les trente dernières années, éclairés au travers d'anecdotes inédites.

J'ai beaucoup aimé.

 

127) Les amazones de la République  Renaud Revel  2013

Ce livre dévoile à travers une multitude d'anecdotes les rapports entre journalistes femmes et les hommes politiques au plus au niveau de l'Etat, c'est-à-dire les Présidents de la République. Le livre commence avec Giscard , mais il sera surtout question de Mitterrand et Chirac, même si leurs successeurs font aussi l'objet de quelques pages. 

instructif, même si le petit côté voyeuriste est indéniable.

 

128) Carnets de la  guerre Marguerite Duras  2006 folio

Livre très intéressants, écrit entre 1943 et 1949, sur les expériences de vie de ce grand écrivain. Elle y décrit  son enfance en Indochine, puis différentes expériences ultérieures. Très belle écriture, pour le premier livre que je lis de Marguerite Duras, cela me donne vraiment envie de faire connaissance avec son oeuvre.

 

129)  La Route Cormac Mccarthy  POINTS  2007

La survie d'un père et de son fils dans un monde pratiquement vidé de toute vie après l'apocalypse. L'auteur est un maître en matière d'ambiance, pas besoin de film pour visualiser le décor dans lequel ces deux êtres se déplacent  à la poursuite de leur survie dans ce monde mort où au détour des villages abandonnés et des forêts brûlées le danger surgit. L'auteur maîtrise si bien son art, que tout le long de la lecture on reste sous l'emprise du suspens et du malaise, mais on continue le chemin dans ce monde couleur cendre. Cependant on éprouve un fort soulagement lorsqu'on termine la dernière page, tellement on s'était identifié à ces eux êtres. Un livre qui ne laisse pas indifférent et qui laisse des traces aux lecteurs.

 

130) La chevauchée des steppes  Sylvain Tesson Priscilla Telmon Pocket 2013

Dans cet ouvrage les auteurs racontent leur traversée à cheval des ex-républiques d'Asie centrale à cheval. A travers leurs aventures et les rappels historiques nombreux ,ils nous invitent à les suivre sur des routes souvent désertiques et méconnues, qui ont vu une histoire souvent brutale façonner les territoires et les êtres humains. C'est avec grand intérêt que je les ai accompagnés tout au long de ces trois cents pages.

 

131)Les  Frères Littolff  Claude Perrin De Normandie-Niemen à la tuyère Leduc Les éditions de l'officine 2003

Livre très intéressant pour ceux qui s'intéressent à l'aéronautique aussi bien militaire que civile.

Le premier des frères Albert a été un as de la deuxième guerre mondiale. il a fait partie des pilotes envoyés par le général de Gaulle pour se battre auprès des Russes contre l'armée allemande. On suit tout le cheminement de la constitution de cette unité qui a fortement participé à la gloire des ailes françaises.

Le second frère Yvan, aussi pilote hors paire, a vécu une aventure différente, plus technique, le développement de la tuyère thermopropulsive.

Les deux volets de ce livre sont passionnant. Ces pilotes ont donné leur nom à une promotion de pilotes d'essai. Ils sont lorrains originaires de la petite ville de Cornimont, charmante bourgade au fond des forêts vosgiennes

 

132)Carnets de Guerre 1914-1919 Ernst Jünger  Christian Bourgeois Editeur 2014

Ces carnets de guerre volumineux, plus de 500 pages, qui viennent récemment d'être traduits de l'allemand sont franchement époustouflants. C'est à partir de ces chroniques au jour le jour, consignées bien souvent sous le feu des canons, que l'auteur a tiré la substance de base pour écrire ses livres, parmi les plus marquants de la littérature de guerre, orages d'acier ou le boqueteau 125.

Ernst Jünger est sans doute l'un des rares militaires de tous les camps confondus qui ait une telle expérience en première ligne, où il a passé la plus grande partie de la guerre. il en a été éloigné à plusieurs reprises le temps d'être soigné des sept blessures qu'il a contractées. Les descriptions précises et sans pudeur de ce qu'il voit et accomplit dans cette zone d’apocalypse  qu'est la proximité de l'ennemi dans les tranchées, personne d'autre n'en fait une telle relation. Très probablement, il s'agit de l'ouvrage qui permet le mieux d'approcher dans toutes ses dimensions le calvaire que vécurent les hommes durant cette très longue première guerre mondiale.

Que l'on soit profondément pacifiste ou non, cet ouvrage est un incontournable pour essayer d'approcher le vécu physique et psychique du combattant au cours d'un tel bouleversement, vu au prisme particulier d'un combattant exceptionnel.

 

133) La pointe du couteau Gérard Chaliand Points 2011

Dans ce livre de plus de 500 pages l'auteur nous embarque dans des aventures incroyables au cœur d'une multitude de conflits, guérillas et insurrections qui ont émaillés le XX siècle. Il est question d'Algérie, Vietnam,Afghanistan, Guinée-Bissau, Jordanie, Kurdistan, Colombie, Israël etc.

Comme militant engagé, toutes ces conflits il les a vécus de l'intérieur au contact des leaders qui déclenchaient ces actions. Il éclaire d'un jour très intéressant ces périodes mouvementées. il y apporte de plus une touche d'humanité  et dévoile les traits de sa nature d'homme libre et passionné. Magnifique ouvrage, superbe sur le plan littéraire et très instructif sur le plan historique. A lire impérativement quand on s'intéresse aux péripéties de la politique mondiale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

27/01/2009

Tour des Annapurna et Katmandou

IMGP4826.JPG 

Un voyage en groupe, un voyage de presque un mois, c'est une longue période. Lorsque le groupe est constitué de 11 personnes cela fait 22 paires d'yeux et 22 paires d'oreilles sans compter tout le reste, un nombre considérable de capteurs surtout dans un pays comme le Népal , alors comment rendre compte de tout ce qui a été vu, entendu, senti, ressenti, alors que les activités y ont été denses et variées? IMGP4628.JPGVisite de la capitale sous toutes ses coutures ou plutôt sous tous ses monastères et autres dieux en particulier Ganesh pour n'en citer qu'un , mais pas le moindre, puisque c'est le dieu des voyageurs et de la sagesse, les trajets aller et retour de Katmandou au lieu du trek, la manière de conduire pour le moins surprenante pour ne pas dire inquiétante. Cette conduite automobile me rappelle un vieil Albanais de langue grecque que je conduisais sur des routes tortueuses et vertigineuses, et qui à chaque virage murmurait ''siga siga'' (doucement doucement en grec) en se signant. Mais entre la manière de conduire dans ces deux pays il y a une différence non négligeable, même si les Albanais comme les Népalais roulent n'importe où, et même si la visibilité n'est pas un élément vraiment pris en compte lors d'une décision de dépassement. La différence de taille provient tout simplement du fait que, contrairement aux Népalais les Albanais roulent souvent à fond la caisse!!! Je reviens à l'énumération des activités : un trek de 18 jours autour des Annnapurna véritable dépaysement avec cette végétation qui s'étage de la jungle au désert de cailloux et de neige en passant par de belles pinèdes qui font penser à la Haute Provence au Vercors ou à la vallée de la Durance, et puis cette plongée dans l'architecture locale différente d'un vallée à l'autre au gré des ethnies qui peuplent ces hauts lieux, et ce foisonnement de sites religieux, et encore cette foule constante que l'on côtoie en commençant par notre guide, ses adjoints, nos porteurs et ceux des autres, les autochtones de tous genres, et l'immense sarabande de trekkeurs comme nous, coulant tel un immense fleuve à jet continu au milieu d'une multitude hétéroclite de charges en mouvement à deux jambes ou quatre pattes, les premières étant souvent plus volumineuses et plus lourdes que les secondes.

 

Après cette première impression jetée à la volée comment faire un compte-rendu dans lequel les 11 protagonistes puissent s'y retrouver? En effet chacun de nous est venu avec son acquis, a vécu son voyage , en apparence même si nous avons à peu près tous fait la même chose, chacun en fonction de sa sensibilité, de sa forme du moment, de son rapport aux autres, de ce qu'il recherche dans la marche, de ce qui l'attire en montagne , en fonction de ces quelques facteurs et de bien d'autres a fait son propre voyage qui lui colle à la peau plutôt à l'âme de façon très intime. Alors comment dans ces condition relater une histoire forcément complexe et multiforme et se faire le porte-parole d'une bande, surtout lorsqu'elle recèle 10 Basques, sans risquer les foudres rédemptrices?

 

Bien entendu, il serait théoriquement possible de relater l'ensemble des anecdotes et petites misères vécues par chacun, ce qui mettrait des petits cailloux tels ceux du Petit Poucet pour baliser la piste népalaise, où chacun pourrait voir remonter à fleur de mémoire les émotions qu'il a éprouvées à tel endroit ou à tel moment. Cela semble cependant difficile à moins d'écrire à 22 mains, alors là on n'est pas sorti de l'auberge, surtout qu'elle serait vraiment espagnole, on n'y trouve que ce qu'on y amène, mais après tout pourquoi pas ? Peut-être commencer à écrire à deux mains une première trame, que chacun enrichira de ce qu'il a vécu et de ce qu'il veut bien écrire sur ses camarades, petites vacheries ou petites rigolades, par exemple en vrac, le pied dans la bouse, pour ne pas dire plus, bien collante au mauvais moment, la belle gamelle au réveil sur la glace, le litre d'eau dans le duvet, la grosse raclée du gnome à la belote, la traversée de la passerelle abhorrée pendant que quelques gros méchants la font balancer en rigolant bêtement, le gros piment qui emporte la bouche à faire pleurer, la vilaine insomnie qui pousse à faire son sac à une heure du matin, le lamentable incident de Spaghetto qui comme son nom ne l'indique pas était allemand, Ganesh en folie, la reine du marchandage à qui l'on propose un petit coup de marijuana et qui refuse, la chaussure qui gratte un peu trop le pied au point de l'ouvrir à grands coups de couteau, le manque d'appétit ou de sommeil en altitude, le gros coup de bambou passager, la découverte des cochons et la passion presque charnelle qui s'en suit, la fixation sur le net et la chute du CAC 40, une petite biture et Bali Balo devant des Népalaises hilares. Manifestement on se rend compte que tout le monde peut en prendre plein la poire et même avec du rab en se creusant un tant soit peu les méninges.

 

La question est de savoir si un compte-rendu de voyage doit être un règlement de compte envers ses petits camarades, sources de frustration et de désagrément ? Je ne le pense pas, surtout que je n'ai pas ressenti de tensions particulières IMGP4633.JPGdans l'équipe que nous formions. Alors peut-être devrions-nous demander à la belle Alsacienne accorte et prolixe, rencontrée sur le chemin du lac Tilicho de nous initier au conflit de groupe, car elle en a vécu plusieurs. Expérience manifestement désagréable puisque cela la motive pour partir seule dorénavant.

 

Tout simplement, je vais relater ce que j'ai ressenti au cours de ce voyage, au fur et à mesure de notre cheminement. Je vais au maximum mettre des noms de lieux et des dates, ce qui servira de bornes métriques et temporelles. Cependant les impressions décrites et les pensées qui me traversent l'esprit au gré des émotions et des situations me sont sans doute très personnelles et tous ne s'y retrouveront pas. Je dirais même pire, certains endroits que j'ai trouvés superbes comme cette grande plaine caillouteuse, venteuse et poussiéreuse m'ont procuré beaucoup de plaisir, ce qui n'a pas été le cas de tout le monde, vu les remarques entendues. J'expliquerai peut-être pourquoi. Sans doute un peu et c'est un début de réponse, car j'ai fait mienne la formule de Kasansakis « Un jour où je n'ai pas souffert est un jour où je n'ai pas vécu». Après ce préambule quelque peu verbeux je me lance dans une tentative de narration de notre périple.

 

29/09/08

Tout a commencé non par une nuit sans lune où David Vincent avait perdu un chemin que jamais il ne trouva, mais par un regroupement à l'aéroport Charles de Gaulle. Un trajet par Quatar Air lines avec une escale à Doha. Trajet qui nous a semblé long.

 

30/09/08

Un atterrissage à Katmandou en fin d'après-midi. Tous les yeux aux hublots à essayer de percevoir les géants de la terre et aussi un petit coup d'œil vers la ville pour s'en faire une première impression. Elle est immense, une multitude d'habitations, aux formes géométriques et de petite dimension de couleur terre, se pressent et s'entassent les unes sur les autres. On se croirait dans un film d'anticipation où l'on crée par images de synthèse des villes du futur replongées dans la préhistoire où tout s'enchevêtre dans une espèce d'abandon accentué par l'accumulation des siècles d'anarchie. Cette première impression est fugace, le temps d'un virage, puis l'avion ayant redressé pour s'aligner sur la piste le blanc de l'aile est le seul spectacle. Un fois débarqués, les formalités sont assez rapidement effectuées. Tout de suite le calme de la IMGP4707.JPGpopulation nous frappe. Les policiers et autres douaniers sont souriants et n'ont pas un mot plus haut que l'autre. Cependant nous ne pouvons nous empêcher de sourire en voyant la destination des photos qui nous sont demandées. En effet nombre d'entre elles jonchent le sol d'un bureau. Les méandres paperassiers de toute bureaucratie sont sans doute les mêmes partout sur notre planète. Mais bon, ne critiquons pas, tout s'est passé dans le calme et en un temps court. Une fois hors de l'aéroport, la foule dense des pays asiatiques est bien là. Au-dessus de la couche de pollution apparaissent dans le soleil couchant de grandes dents enneigées. Notre guide nous attend et le traditionnel collier de petits œillets oranges nous est mis à chacun autour du cou. Le premier contact est agréable et tout de suite nous sentons la confiance que nous pouvons apporter à Nepal Trek Ecology. Cette impression ne fera que se renforcer au cours du voyage.

 

Les bagages chargés, nous partons pour notre hôtel. Premier étonnement on conduit à gauche. La circulation est très dense, foule de voitures, motos, vélos et piétons. Plus nous rentrons dans la ville, plus le trafic est dense, les distances de sécurité et de croisement sont ajustées au centimètre. Cela fait une drôle d'impression. Le paroxysme se produit à quelques cent mètres de notre destination, un bouchon incroyable où vélos piétons et motos constituant le gros de la masse nous immobilise une demie-heure pour faire le simple tour d'une minuscule place qui tient lieu de rond-point. Fourmillement inconcevable, impression accentuée par une panne d'électricité qui plonge l'endroit dans une pénombre prononcée, de laquelle, seuls, sortent les phares des véhicules. Ce grouillement anarchique se passe dans le calme, pas un cri pas une contestation, des ombres calmes, résignées, habituées se faufilent avec leurs deux roues dans cet invraisemblable enchevêtrement. Sur les motos souvent trois personnes, un homme une femme et un enfant. Ce dernier endormi en se cramponnant à sa mère ou au guidon. Les policiers, englués dans ce flot, gardent leur calme et font un certain nombre de gestes qui se veulent des signes de réglementation de la circulation, auxquels personne ne semble faire attention. Une moto avec trois passagers se retrouve bloquée devant le policier qui ne remarque même pas le gamin agrippé au guidon en train de somnoler à quelques centimètres de lui. L'ambiance est donnée . Ouf ! Arrivée à l'hôtel. Il est caché dans une petite impasse. Nous passons une grille et le calme nous tombe dessus. Contraste étonnant en quelques mètres. Nous passons d'un monde surprenant à quelque chose de beaucoup plus occidental donc moins rigolo. Les chambres sont correctes, nous nous retrouvons entre Occidentaux. Le vrai voyage n'aurait-il pas été d'aller loger dans la masse grouillante? Enfin le lieu est sympathique, ne critiquons pas. Les premières formalités sont conduites sous la direction du représentant de l'agence de trek. Le premier dîner nous surprend un peu par la quantité de piment utilisée , même si certaine en redemande. Tout de suite il est possible de remarquer les deux pupitres internet. Et je réaliserai à quel point nous sommes dépendants de ce mode ce communication et d'information par le taux d'utilisation que je constaterai tout au long du voyage. En effet au cours du trek, ce sera une de mes sources d'étonnement de voir des cafés internet partout dans la montagne. Nous avons du mal à nous extirper de nos habitudes. Pourtant Nicolas Bouvier un des grands maîtres du voyage avait pour formule : la vertu d'un voyage c'est de purger la vie avant de la garnir. Peut-être devrions-nous nous en inspirer un peu plus ou combattre nos réflexes de vie qui nous poursuivent jusqu'au bout du monde. Un proverbe afghan, qui dit à peu près « les Occidentaux ont toutes les montres mais nous avons tout le temps » devrait nous porter à réfléchir un peu plus sur nos pulsions de l'immédiat.

 

01/10/08

Le lendemain, après une bonne nuit, petit tour au lever du jour dans la ville encore calme dans les environs de l'hôtel. Un café pris dans un minuscule endroit niché sous une cage d'escalier. Retour à l'hôtel pour la visite organisée. Ce sera une journée dense, pleine d'étonnement, appréciée diversement. Mais le dépaysement sera total, notre accompagnateur parlant correctement le français, sera très surprenant par moments, lorsqu'il nous demande d'exposer notre vie affective et ce qui va avec. Il ne récolte que des sourires surpris et amusés. Nous visitons plusieurs sites majeurs de la ville et nous pouvons juger de son étendue. J'imagine ce que doivent représenter des villes comme Calcutta ou toute autre grande cité asiatique, c'est un peu effrayant. En matière de pollution pour la planète le pire est à venir. Toutes nos mesures de pays riches pour réduire le taux de CO2 sont vraiment dérisoires lorsqu'on constate le développement du tiers monde vers l'industrialisation et la modernisation.

 

Le premier lieu visité pour l'immense majorité d'entre nous provoque un véritable choc culturel, il s'agit de la colline du temple de Swayambunath ou temple des singes. Au sortir IMGP4635.JPGdu minibus tout commence par la montée des 365 marches qui conduisent au sommet sur lequel se presse une multitude de temples. Tout au long de cet immense escalier, le spectacle est extraordinaire et très diversifié. Les couleurs vives des différentes statues de Bouddha qui jalonnent la pente attirent le regard, le doré et le bleu dominent. Ensuite les singes constituent le premier spectacle, ils se déplacent en petites bandes, les mères portant leur petit accroché sur le dos ou sous le ventre. Leur lieu de prédilection étant le sommet des petits shorten. Ils ne marquent pas beaucoup de crainte envers les hommes, cependant il est déconseillé d'essayer de les toucher. Leur mâchoire conséquente est assez dissuasive. A aucun moment nous n'avons ressenti d'agressivité à notre encontre. D'ailleurs cette attitude très pacifique et peu farouche est de règle chez tous les êtres vivants que nous avons rencontrés, hommes et animaux. Les quelques dizaines de marches en finale se redressent et nous débouchons sur un grand stûpa. Nous découvrons nos premiers moulins à prière et nous en donnons à cœur joie. Un incroyable enchevêtrement d'édifices religieux colonise ce tertre. Bouddhisme et hindouisme cohabitent en parfaite harmonie, les temples servant généralement aux deux religions. Puis nous nous dirigeons vers le monastère occupé par des moines sur la bosse d'à côté. Pour y accéder nous traversons le jardin au nom évocateur et sans équivoque de jardin des rencontres. Une inscription en népalais pour le moins voyante délivre un message qui nous reste incompréhensible dans cet alphabet curieux. Demandant la signification au guide, ce dernier après avoir lu se marre comme une baleine. Puis ayant fini de rire il nous dit que le panneau prévient que tout acte sexuel en cet endroit donnera lieu à une amende. Une myriade de drapeaux de prières ou mentras flotte au vent, accrochés le long de ficelles qui vont d'arbres en arbres. Une vieille dame fait une offrande sous forme de pain et de riz à une divinité locale. Un singe très intéressé par le rite mange IMGP4657.JPGau fur et à mesure les aliments déposés. S'il s'était agi d'un éléphant au lieu d'un singe, j'aurais tout de suite reconnu Ganesh. Lorsque nous sommes à l'entrée du monastère des bruits nous parviennent, des chants religieux rythmés au gré d'instruments à percussion et à vent. Le niveau sonore est conséquent. Notre guide nous invite à entrer en enlevant nos chaussures. Les participants sont exclusivement des moines de tous âges, comme avec Tintin de 7 à 77ans. Les jeunes sont préposés aux instruments et ils y vont de bon cœur sur leur tambour et autre trompette. Je discerne un petit moinillon, dix ans maximum qui prend un malin plaisir à souffler comme une brute dans son instrument à vent en le mettant juste dans l'oreille du moine qui est devant lui. Ce dernier finit par se retourner et éloigne l'orifice de sortie de ce clairon de son tympan. Mais le moinillon ne le voit pas du même œil et revient à la charge. Tout cela se passe dans une décontraction générale et les sourires fleurissent souvent sur les visages de ces moines.

 

Nous descendons la colline et visitons trois énormes statues de Vishnu, Ganesh et de la IMGP4663.JPGdéesse Parvati. Elles sont resplendissantes, repeintes plusieurs fois par an afin de garder leur couleurs dans cette pollution généralisée. Sur les soubassements des statues la gamme des couleurs est large, le rose et le vert très présents ainsi que le rouge. Une multitude de scènes mettant en jeu les dieux locaux orne la base de ces édifices géants.

 

Nous nous rendons ensuite au temple de Pashupati, le plus grand temple hindouiste du Népal. L'entrée en est interdite aux non hindouistes. Nous pouvons le contempler de l'extérieur. Un énorme taureau pour le moins placide se tient non loin de l'entrée. C'est l'animal sacré par excellence car c'est la monture de Vishnu. Même s'il a l'air tranquille, IMGP4687.JPGnous faisons un écart pour le contourner. Puis à proximité nous visitons l'hospice où les vieilles gens sans famille viennent finir leur existence. Il se dégage de ce lieu une impression étrange cependant il y règne la sérénité. Puis nous passons sans transition de l'hospice au bord de la rivière, où une crémation a lieu. Le corps en train de brûler est couvert d'herbe et nous ne le distinguons pas. Mais rapidement les herbes s'étant consumées apparaît un spectacle qui s'est gravé précisément en ma mémoire mais que je ne décrirai pas. Cependant cela n'appelle aucune réaction de dégoût ou d'effroi, non, on s'inscrit tout naturellement dans le cycle de la vie et de la mort. Bien que cette dernière soit un événement triste dans les religions bouddhiste et hindouiste, le rite mortuaire est moins empreint de tabou que dans notre société occidentale et le spectacle est public. Cela aide sans doute à mieux l'accepter et gérer la période de deuil de façon moins douloureuse. D'ailleurs sans doute pour faire un pied de nez à la mort le petit temple qui domine la rivière est orné de scènes du Kama Sûtra représentées avec précision et pour le moins torrides.

 

Puis après cette matinée bien chargée, nous n'avons pas l'appétit coupé, bien au contraire, nous nous rendons dans un restaurant à la vue étonnante sur Barddhanath IMGP4706.JPGStûpa. Il s'agit tout simplement du plus grand Stûpa du Népal. Il est de dimensions conséquentes et toujours peint de neuf, ce qui contraste vraiment dans ce pays de poussière et de façades grises. Au cours du repas nous abordons avec notre guide de nombreux sujets et lorsque nous lui demandons des indications sur les montagnes qui entourent la ville de Katmandou et qui affichent des altitudes de l'ordre des 2800 mètres, donc 1500 mètres au-dessus de nous, il nous reprend et parle de collines. Mais son sujet favori, c'est la sexualité des Occidentaux, questions auxquelles nous ne voulons pas répondre laissant sa curiosité non satisfaite. Après le repas nous visitons le Boudh Stupa Thanka Center. Le thanka est le nom de ces bannières à motifs religieux que l'on voit sur tous les monastères. Les motifs en sont, soit des figures géométriques, soit des scènes représentant les diverses divinités dans leurs activités. Le travail est effectué avec un pinceau de très petite taille, la précision est extrême. Nous nous laissons prendre sous le charme et plusieurs d'entre nous repartent avec un joli thanka. Puis retour à l'hôtel en milieu d'après-midi, nous en avons tous plein les basques (sans jeu de mots) après cette première journée dans Katmandou. Demain sera le grand jour, départ matinal pour le trek tant attendu du tour des Annapurna.

 

02/10/08

Après une bonne nuit, lever matinal, copieux petit déjeuner et nous voilà tous réunis pour le grand départ. Nos porteurs s'activent et amoncellent nos bagages sur le toit. Notre guide Bir Singh nous explique la situation et nous donne les dernières recommandations. Le minibus s'ébranle et nous voilà plongés dans ce terrible trafic. Il nous faut presque une heure pour nous extirper de la ville. Mais la circulation ne se calme pas pour autant. La période de fête nationale bat son plein et nombreux sont ceux qui partent festoyer dans leur village natal. Il en découle un immense embouteillage et dès qu'un espace se libère IMGP4725.JPGtous les véhicules essaient de s'y introduire. Il en résulte une anarchie totale, plusieurs files dans le même sens, j'en ai comptées jusqu'à quatre, voire cinq et plus, sans laisser de possibilité de croisement. Mais tout cela se passe sans le moindre cri, et à un rythme d'escargot, ce double flux finit par s'écouler .Nous atteignons ce fameux col qui fait bouchon d'étranglement. La route descend au fond d'une vallée luxuriante. Nous marquons une halte pour le repas de midi et arrivons à Besisahar point de départ de notre tour des Annapurna. Il s'agit d'une petite ville perchée une centaine de mètres au-dessus de la rivière. L'électricité y arrive, le portable passe encore et il y a plusieurs cafés internet, ce que nous retrouverons pratiquement à toutes les étapes. On ne quitte pas si facilement notre mode de vie, il s'est en effet glissé dans toutes les parties du monde.

 

03/10/08

Après un sommeil réparateur, le moment tant attendu du départ a sonné. Nos porteurs au nombre de six s'emparent de leur charge et partent devant. Restent avec nous notre guide et ses deux aides. En effet il y a toute une technique d'accompagnement d'un groupe important comme le notre, constitué de onze personnes. Un guide devant, un en arrière, ainsi on contrôle tout, pas d'erreur d'itinéraire et pas de traînard ou blessé que l'on pourrait oublier. Et le secret du troisième homme, il est chargé de courir au-devant réserver les restaurants ou les hôtels. Tout au long des dix huit jours ce ballet s'accomplira sans heurt et sans surprise. Alors que nous nous rassemblons pour partir, nous engageons la conversation avec un grand Australien parlant le français que nous rencontrerons encore de nombreuses fois au cours des jours à venir.

Enfin on démarre. Le temps est beau, une couche nuageuse peu épaisse mais suffisante nous cache les grandes montagnes qui dominent la vallée. Très rapidement les rizières sont partout, vert tendre, en terrasses. Les cigales à la stridulation étonnante et parfois très forte ne laissent pas de nous étonner. Le rythme de leur cri est si régulier que l'on pourrait croire à quelque bruit provenant d'un courant alternatif. Le plus étonnant dans le bruit de ces cigales, c'est qu'au fur et à mesure de la montée en altitude il se modifiera pour en finale vers les 3200 mètres ressembler à celui des cigales françaises. Première passerelle , elle est de belle taille solidement construite et même si cela bouge un peu la IMGP4738.JPGtraversée est aisée. Nous marquons une première pause dans un village au pied d'un arbre extraordinaire, un Pipol, arbre sacré. Il va souvent de pair avec le Simol, autre arbre sacré. Assis à son pied monumental au tronc torturé comme composé d'immenses lianes qui se seraient fondues les unes aux autres, nous ne restons pas longtemps seuls. Une foule de gamins joyeux nous envahit. Les appareils photo crépitent. A nos pieds de jeunes garçons jouent aux billes. L'un d'eux est d'une adresse redoutable. Il met une agate sur son index gauche et, de sa main droite, il tire la bille en arrière tout en visant. A chaque fois, la cible à plusieurs mètres est atteinte. Des Français arrivent, il s'agit d'un père et de son fils, ils entreprennent le trek en autonome, l'ayant déjà fait, accompagnés, l'année dernière. Manifestement il ne faut pas vouloir venir chercher la solitude dans ce genre de promenades. Nous reprenons notre chemin et pouvons admirer l'architecture locale, petite maison au toit de chaume, noyée tout simplement dans un champ de riz dont les tiges hautes grimpent pratiquement aux murs. Au détour du chemin se présente une petite étable de bois aux formes esthétiques, habitée au rez de chaussée par un gros buffle qui nous regarde passer comme les vaches les trains. Il y a une sous-pente encombrée d'une multitude d'objets parmi lesquels de grosses hottes de portage en osier. Le chemin prend de la hauteur et, de surplomber ces champs de riz au vert presque fluorescent, au milieu desquels se perdent quelques petits hameaux aux maisons serrées, permet un spectacle du plus bel effet.

Nous rencontrons notre premier shorten (petit édifice religieux) bien posé au milieu du chemin. Il faut bien passer à gauche, un Népalais se lave avec énergie à la source qui coule juste devant.

 

Une caractéristique du chemin et cela tout le long de la première semaine, voire un peu plus, tient à la configuration de la vallée très encaissée. En effet nous évoluons sur des pentes raides, même très raides et surplombons souvent des à-pics. Donc bien évidemment la chute se révélerait particulièrement dangereuse voire fatale, d'où une vigilance à conserver malgré le dépaysement qui nous pousse à regarder partout, sauf devant nos pieds. De plus, sur ce chemin qui remonte la vallée sur de très grandes distances, on croise beaucoup de monde et d'animaux. Notre guide nous met particulièrement en garde en ce qui concerne le croisement des mules. Toujours se trouver du côté montagne. En effet elles portent des charges volumineuses et dès qu'elles ont passé la tête à votre niveau elles ont tendance à forcer le passage et si l'on se trouve du côté vide on peut facilement bénéficier d'un billet de dernier envol de la part d'un inoffensif sac de riz ou de farine. Mais malgré la mise en garde, il est des situations où l'on se retrouve du mauvais côté et mieux vaut avoir le réflexe rapide. J'en ferai la stressante expérience.

 

Arrêt à midi à Bhulbhule, village typique ressemblant à tous ceux que nous verrons sur ce versant. Une rue principale dans laquelle se pressent les restaurants et hôtels à un ou deux étages maximum, le tout annoncé par une multitude de panneaux en anglais. Le sol est recouvert d'un dallage propre et en bon état, ce qui donne un air sympathique à l'ensemble du petit bourg. Déjeuner sur une superbe terrasse dominant le torrent. Juste en-dessous une passerelle sur laquelle le trafic est intense, porteurs, habitants du villages, nombreux animaux de bât, et aussi des groupes importants de touristes. On n'a pas l'impression d'être à l'autre bout du monde. Mais tout le contraste de la situation provient du point de vue sur lequel on pointe le regard, et là il est possible de changer de monde. Nous pouvons admirer cette végétation luxuriante qui dévoile juste en contre-bas de notre perchoir ses papayers, caféiers, bananiers, bambous géants et beaucoup d'autres arbres que nous n'identifions pas. Au-dessus, les contreforts du Manaslu se découvrent en immenses champs de neige et de glace raides qui semblent monter jusqu'au ciel. Nous ne nous situons qu'à 840 mètres d'altitude et ces montagnes nous surplombent du haut de leur 7000 mètres et plus. Au cours des jours à venir je vais rester souvent le regard perdu quelque part là-haut à imaginer plein de choses où souffrance et bonheur se mêlent. Le fond de cette vallée luxuriante est enserré par des flancs abrupts sur des milliers de mètres, mais pas un endroit qui ne soit colonisé par cette végétation dense.

 

Après cette pause bien agréable, nous reprenons notre chemin sur quelques kilomètres qui IMGP4750.JPGnous conduisent à Nadje, sympathique endroit où nous logeons dans de petits bungalows posés à même la rizière. Bir Singh nous fait visiter le village situé au peu au-dessus. Il nous conduit chez un vieux paysan de 87 ans qui a passé 6 ans dans l'armée britannique, il s'agit de l'un de ces fameux Gourhkas, guerriers réputés. Nous avons aussi droit à un petit exposé sur les rites funéraires. Lorsqu'il y a du bois, pas de problème, nous avons vu. Mais dans les régions désertiques comme le Dolpo ou le Mustang, le rite est différent. Après avoir coupé le corps en morceaux, on fait appel aux oiseaux, et ces derniers viennent les enlever. Cependant on garde un petit bout que l'on brûle avec un peu de bois afin d'être en mesure de respecter la tradition des cendres à la rivière.

 

La soirée sera très agréable, il fait bon, pas d'insecte indésirable, un très bon plat de gros raviolis fourrés. Ensuite nous assistons, et participons à un spectacle de chants et de danses organisé par les femmes du village. Il s'en suivra des danses endiablées ponctuées d'immenses éclats de rire, nos porteurs se révéleront excellents pour cet exercice dans lequel le mouvement des bras et des mains, levés au-dessus de la tête, imitant des serpents et autres bestioles se tortillant en des mouvements souples et aléatoires, joue un rôle déterminant.

 

04/10/08

Le matin départ à 7h30. La marche se poursuit le long de cette vallée aux pentes raides où chemin et escaliers alternent. Arrêt au village de Bahundanda. Après avoir franchi quelques marches raides on se retrouve sur la petite place bien pavée du ''centre-ville''. On se croirait à l'attente de la benne de l'Aiguille du Midi tant la densité de trekkeurs faisant halte est importante. Le français est la langue qui domine, il y a au bas-mot un bon tiers de nos compatriotes. Pour ajouter à l'impression les petites échoppes vendent même du Bordeaux château du Parc, c'est le bouquet!!!

En ce début de trek, les différents groupes d'Occidentaux ont un peu tendance à se regarder en chien de faïence, sans doute pensant que ce flot de Blancs atténue la sensation d'exotisme. Mais au fil des jours les visages se détendront et les sourires apparaîtront et les conversations se noueront. L'intérêt de ce genre de balade ne réside pas dans la solitude, qu'on ne rencontre pas, mais dans la découverte d'une nature gigantesque et d'une civilisation aux traditions différentes. Les Népalais, malgré l'envahissement touristique auquel ils sont soumis, restent très accueillants et lorsqu'ils ne sont pas les premiers à vous gratifier d'un ''Namasté'', ils s'empressent de répondre à votre salut.

 

11h30, arrêt à Khanigaon pour le déjeuner. Le temps se couvre et dans cette vallée très encaissée il fait sombre. Une halte de courte durée, le temps de prendre une boisson dans une baraque perchée sur un éperon qui risque au cours des prochaines moussons de rejoindre la rivière quelques centaines de mètres plus bas. En effet le chemin traverse des zones d'éboulement énormes et la stabilisation du terrain pour construire une route carrossable ne semble pas pour demain. Deux gros engins de terrassement sont bloqués après que la route qu'ils ont construite dans ce secteur soit partie avec un glissement de terrain qui a ravagé tout un flanc de montagne. De notre éperon instable le chemin très aérien mais large conduit en légère descente à Jagat, notre point de chute pour la nuit. Le IMGP4766.JPGvillage au milieu d'une masse d'arbres est resserré sur un petit replat dans un coude de la vallée. Arrivée dans Jagat en milieu d'après-midi. Surprenante petite ville presque exclusivement constituée d'hôtels aux couleurs vives et qui s'élèvent sur plusieurs étages. En fin d'après-midi des foules de trekkeurs déambulent en attendant le repas du soir. Il fait toujours bon, l'altitude n'est que de 1300 mètres. Le spectacle est impressionnant, on ressent sans les voir toute la puissance des géants de la terre qui écrasent ce lieu du haut de leur éclatante blancheur.

 

05/10/08

Nuit très correcte pour tous, les affres du manque d'air sont pour plus tard. Petit déjeuner particulièrement consistant, à base de céréales, mais il n'a pas fait l'unanimité. Cependant, pour ceux qui sont arrivés au bout de leur grosse platée, la faim n'est pas près de les tarauder. Dès le départ nous sommes plongés dans une forêt luxuriante sur un chemin raide, d'où de toutes parts dégoulinent des torrents plus ou moins importants. Le bananier semble être l'arbre dominant dans ce fouillis végétal. Sur le sentier, que de monde, une véritable procession où s'imbriquent trekkeurs au petit sac et porteurs très lourdement chargés. En fonction de leur charge, la couleur ou le poids on détermine avec IMGP4774.JPGquelle agence ils travaillent. Je ne sais pas si cela nous déculpabilise, mais nous ne devons pas dépasser les dix kilos par individu à donner au porteur et celui-là ne doit pas porter plus de deux sacs en plus de ses affaires personnelles, ce qui normalement conduit à une charge de 25 kilogrammes maximum. Je ne suis pas certain que ce soit le cas, mais le poids reste raisonnable, même si nos porteurs par moments semblent tirer sérieusement sur la bête. Certains qui transportent du matériel technique ou du ravitaillement pour les hôtels sont littéralement écrasés sous des montagnes. Souvent les chargements sont constitués de tuyaux, soit en morceaux de 3 ou 4 mètres ou en gros rouleaux, le tout dépasse très probablement les 70 kilogrammes par individu. Ils avancent d'un pas lent, faisant bien attention à l'encombrement de leur fardeau. Parfois ils se déplacent en travers car la paroi est trop proche et les tuyaux frottent. Dire qu'ils cheminent souvent une semaine arnachés de la sorte. De temps à autre, ils s'arrêtent et tombent assis sur une pierre, leur lourde cargaison au sol, le regard perdu dans le vide de la fatigue.

 

Nous quittons le district de Jangjung et rentrons dans celui de Manang. Le changement de région est matérialisé par la présence d'un camp militaire. La vallée qui était très étroite s'élargit en une vaste zone plate sur laquelle la rivière s'étale en de multiples bras. Nous IMGP4782.JPGfaisons halte dans ce lieu aéré au village de Tal. Nous trouvons le repas excellent, constitué de pain, riz, patates et genre de poireaux, cependant le tout très épicé. Ce village qui s'étale un peu plus que les précédents est menacé par la rivière. En effet cette dernière fait une large courbe au niveau des maisons. A la période de la mousson ces berges de galets et de terre n'offrent pas une résistance suffisante à l'impétuosité des flots, d'où une érosion rapide. Pour limiter le phénomène des digues en pierres, perpendiculaires au courant, ont été érigées pour déplacer le lieu principal d'écoulement des eaux.

 

Après le déjeuner, deux heures de marche nous conduiront à Dharapani. La luxuriance de la végétation nous accompagne toujours. Le chemin est particulièrement encombré par IMGP4785.JPGhommes et bêtes. Des convois de vingt mules et plus forment des bouchons où chacun essaie de se faufiler. Attention cependant à ne pas être éjecté du chemin , car la hauteur de chute est importante et le torrent énorme est d'un puissance que je n'ai jamais vue dans nos montagnes. Juste avant l'arrivée à l'étape nous croisons deux jeunes Népalaises sur un cheval. Elles ont fière allure sur leur monture sur ce sentier particulièrement aérien, tout faux pas les précipiterait dans le vide. Mais elles affichent une belle sérénité et une maîtrise certaine. A notre entrée dans le village la pluie jusqu'à présent faible s'intensifie et nous sommes tout heureux de nous abriter.

 

De notre chambre la vue sur le torrent est de tout premier ordre. Il se dégage de cette eau en furie une force impressionnante. Pas une parcelle de torrent qui ne soit un jaillissement d'écume. La pluie s'étant calmée nous partons à la découverte du village. Il se situe à 1800 mètres d'altitude. Doucement, mais de façon perceptible, la végétation change. Des espèces plus familières, comme le pin, apparaissent. La vallée après s'être élargie est de nouveau très resserrée. En perdant de leur luxuriance, ces grands pans austères ont un petit air d'Ariège, sans doute en plus grand, mais ne sous-estimons pas ce département où les montagnes affichent des dénivelés très importants entre le fond des vallées et leur sommet.

 

Le village, outre les buffles et les trekkeurs ne présente pas d'activité particulière. Nous goûtons une tarte à la courge. La première impression est un petit goût de foin, mais à la seconde bouchée tout rentre dans l'ordre et nous la trouvons bonne. Quelques cavaliers passent à vive allure sur le dallage en pente et mouillé. Nous croisons à nouveau des porteurs de tuyaux, assis en attente d'un lieu de repos pour la nuit. Leur regard est ce qui attire le plus l'attention. Il trahit leur fatigue. Retour à l'hôtel, dîner de bonne qualité, grosse platée de spaghettis et il y aura même du gruyère ou quelque chose d'équivalent. Il s'en suivra une partie de belote acharnée comme bien souvent le soir au cours de ce mois d'octobre. Mais alors s'affrontent les adeptes de la succession de parties bordéliques où l'on ne comptabilise rien et les gardiens de la doctrine ''belotesque'' qui impose qu'une partie se joue en mille points. L'histoire n'a pas retenu lesquels ont réussi à imposer leur point de vue. Mais les éclats de rire ont été les grands vainqueurs.

 

Le confort de ces lodges est très acceptable, souvent la douche est chaude, la nourriture copieuse et bonne. L'absence de viande passe très bien et semble même bénéfique à l'organisme. Les chambres prévues pour deux voire trois personnes permettent généralement un sommeil acceptable. Détail peut-être trivial dans les toilettes souvent à la turque, le petit robinet à hauteur de genou est un facteur d'hygiène supérieur au papier toilette.

 

06/10/08

La nuit très pluvieuse n'a pas perturbé notre sommeil. Ce matin il fait très beau. Au petit déjeuner une bonne grosse crêpe à la farine de sarrasin, arrosée d'une nappe de miel met tout le monde de bonne humeur. Il faut dire que le petit déjeuner de la veille avait laissé quelques appréhensions chez certains d'entre nous.

 

Sur le bleu du ciel se détachent quelques sommets aux environs des 5000 mètres, ils sont légèrement teintés de blanc suite aux précipitations de cette nuit. A la sortie du village un petit sentier sur la droite indique la direction du Manaslu. On distingue une vallée très IMGP4806.JPGétroite dans laquelle une petite trace matérialise le chemin. Ce trek est paraît-il très joli et peu parcouru. Le monde est petit, mi-novembre en déplacement pour raisons professionnelles, alors que j'attrapais mon TGV d'extrême justesse à l'aéroport Charles de Gaulle, je tombe sur un homme qui manifestement rentre de quelque montagne éloignée. Ma curiosité me pousse à lui demander d'où il vient et il me répond du tour du Manaslu. Et là comme un flash cette petite vallée m'apparaît.

Au-dessus de ce vallon, flottant par dessus les nuées, les premières sentinelles des géants de la terre apparaissent. Cette présence si proche, voilée dans les nuages en mouvement est presque irréelle. Les distances sont difficiles à apprécier. Tout rapprochement avec les Pyrénées ou les Alpes serait trompeur. On pénètre lentement dans le monde des montagnes géantes. La luxuriance fait place à l'étage alpin. Nous traversons une belle forêt de feuillus comme on en trouve en France. D'ailleurs plusieurs d'entre nous trouveront cette étape très belle sans doute du fait de l'ambiance créée par la présence de ces arbres qui rappelle nos belles forêts. Et toujours ces porteurs qui croulent sous leur fardeau énorme, de tuyaux de canalisation, de montagnes de cartons empilés où, pèle-mêle, on distingue canettes de bière , coca-cola, bouteilles d'eau ou sacs de farine et autres aliments. Bien souvent ces hommes sont en tongs, gardant leurs chaussures pour plus tard lorsque le froid sera plus vif.

 

Midi, arrêt à l'Himalayan restaurant, pâtes riz et pommes de terre, on se régale et cela va tenir au ventre. Et dire que parfois je me moque gentiment de ma belle-sœur qui systématiquement allie riz et pommes de terre, eh bien nous faisons encore plus fort car nous y rajoutons aussi des pâtes. Cet après-midi le temps est menaçant, la visibilité verticale s'amenuise, le sentiment d'enfermement entre ces parois, disparaissant dans les nuages quelques centaines de mètres plus haut, est réel. Après une marche courte, à peu près une heure trente, apparaît le village de Shame, terminus de l'étape du jour. Il est temps d'arriver, car la pluie devient violente. L'altitude est proche de 2700 et la température descend. Une petite laine sera la bienvenue. Le village est vaste . Comme partout les édifices religieux sont nombreux. Cependant une originalité, un gros moulin à prières de couleurs très vives, mu par l'eau d'un petit canal, tourne en plein air. Au-dessus une immense dent rocheuse, sombre et dégoulinante luit faiblement dans la nuit qui tombe. Ce spectacle grandiose nous fait prendre conscience de notre petitesse. Toujours ce paradoxe, une nature sauvage et gigantesque, vierge de traces humaines, sur laquelle le regard se promène à la recherche d'un quelconque mystère , et au sein de ce village une foule de touristes déambule.

 

7/10/2008

Lever 6 heures, peu de clarté, il fait sombre, la couche nuageuse semble très importante. Cette journée commence sous de mauvais augures. Un groupe d'Asiatiques, Japonais ou Coréens fait une séance de gymnastique de réveil du corps. Le moniteur invite gentiment ceux d'entre nous présents à se joindre à leurs exercices, à la plus grande joie de tous. Petit déjeuner pris, comme tous les matins le départ s'effectue vers les 7 heures. Et là, miracle, de grandes taches bleues déchirent le gris sombre du ciel. Une lumière vive s'installe petit à petit. A la sortie du village un magnifique stûpa semble matérialiser l'entrée dans le sanctuaire de la haute montagne. Une sensation nouvelle m'étreint, comme si les jours précédents représentaient la marche initiatique qui permet l'accès à ces zones d'altitude. Pleins d'espoir, l'envie de voir apparaître les sommets satellites de l'Annapurna se fait pressante. D'un coup en pleine lumière du haut de ses 7937 mètres l'Annapurna 2 nous écrase. Vision époustouflante, elle sera la première d'une longue série, où vont se mêler des noms célèbres lus dans de nombreuses revues et livres. Nous effectuons un premier arrêt à Bhratang. Certains d'entre nous s'empiffrent d'énormes croissants au demeurant bons, mais je dirais que pour ma part le régime patates à tous les repas même le matin me retire toute velléité de dévorer ces grosses pâtisseries. Nous retrouvons le père et le fils du sud-ouest, ce dernier croulant sous son gros sac et le père toujours la même gouaille. Il faut qu'ils l'adorent ce tour pour le faire pour la seconde fois en un an. Les grands sommets se font de plus en plus présents. Au niveau d'une passerelle, un point de vue étonnant sur la pyramide de l'Annapurna 2 se dévoile. On en perd toute notion de distance. J'essaie d'imaginer la grosseur d'un alpiniste pendu dans ce dédale de glace et de rocher. Il est difficile de détacher le regard d'un tel spectacle. L'itinéraire traverse une belle forêt de pins, dont les aiguilles font un tapis au sol. La fraîcheur de l'air rend la marche très agréable. On pourrait se croire, bien entendu si on ne lève pas la tête, quelque part en Ubaye ou Tinée pas très loin de la Méditerranée. Étonnant direz-vous ces références fréquentes aux montagnes françaises. Je répondrais simplement, on compare avec ce que l'on connaît, et ces magnifiques montagnes de France je les adore.

 

Revenons à l'Himalaya, sur la droite de la vallée une immense dalle schisteuse, inclinée à cinquante degrés, luit de ruissellements dus aux précipitations nocturnes. Elle s'élance sur plusieurs centaines de mètres et sa partie sommitale qui IMGP4808.JPGavoisine les 5000 mètres , voire un peu plus, est saupoudrée de neige. Le contraste entre le gris du rocher et la blancheur éclatante de la neige est du meilleur effet. Pour ajouter au pittoresque du paysage, des bancs de nuages semblent par moments flotter sur le rocher, donnant une touche de mystère à cette paroi. Le yéti pourrait s'y tenir tapi et regarder cette bande d'intrus qui, à flots serrés, profane son sanctuaire, mais peut-être avec le capitaine Haddock à ses trousses.

 

Le repas de midi est pris sous forme de sandwiches à Dhikur Pokhari. L'altimètre indique plus de trois mille mètres, cependant la chaleur est intense. Au-dessus, l'Annapurna 2 déploie sa gigantesque face nord qui domine de 5000 mètres. La progression reprend le long d'une vallée large, à l'aspect sec presque aride. La similitude avec le haut val de la Durance est frappante. Même formation géologique et même type de végétation un peu dispersée qui essaie de s'accrocher à ce terrain hostile. Le chemin franchit un pont traditionnel fait de bois. Contrairement à la plupart de ses congénères, il n'est pas doublé d'une passerelle métallique. En effet il est, à chaque fois que ce spectacle se présente, surprenant de constater cette cohabitation de l'ancienne construction de bois et de la passerelle métallique qui incarne l'arrivée de la civilisation moderne dans cette vallée reculée. D'ailleurs la modernité nous poursuit aussi sous forme de fils électriques qui ne s'arrêteront qu'au-dessus des 4000 mètres d'altitude.

 

Notre guide nous conduit à Upper Pisang avant de rejoindre le but de notre étape qui est Lower Pisang. Village étonnant, constitué de maisons alignées par niveau, à la manière d'une succession de marches d'escalier. Au-dessus trône un magnifique temple qui vient d'être reconstruit. La vue en face sur la chaîne des Annapurna est vraiment époustouflante. Face à nous se développent dans toute leur splendeur les gigantesques séracs des Annapurna 2, 3 et 4. Vers le bas, de IMGP4823.JPGl'esplanade du monastère, les champs de céréales montrent toute la gamme de leurs couleurs au gré de la culture pratiquée. Ils sont de petites dimensions et s'imbriquent les uns les autres en un joli patchwork. Les couleurs dominantes sont le vert et une teinte intermédiaire entre le rouge et la rouille, qui trahit la présence du sarrasin. A cette altitude, 3200 mètres, en France il n'y a plus que des cailloux de la neige et de la glace. Après une visite intéressante et un point de vue de toute beauté auquel il est difficile de s'arracher, le chemin conduit à Lower Pisang, quelques cent mètres plus bas. Nous le parcourons les yeux encore tout éblouis de ces immensités glaciaires. Au cours de cette courte descente, un immense moulin à prière nous donne tout loisir d'exprimer notre piété. Une fois dans le village, un escalier raide impose un dernier effort, une soixantaine de marches pour accéder à notre hôtel. Que cela paraît long et que le souffle semble court,et l'altitude n'est que de 3200 mètres. Certains se posent même des questions pour la suite. Mais heureusement ce ne sera qu'une sensation passagère et cet état de fatigue ne se manifestera plus.

 

Notre arrivée effectuée de bonne heure, quatorze heures, nous avons tout loisir de nous imprégner de l'esprit du lieu. Je découvre la randonnée en prenant le temps. Généralement je marche jusqu'à épuisement soit de mes forces soit de la lumière du jour. Eh bien ce que nous pratiquons là, loin des chronomètres et des kilomètres parcourus un œil sur l'altimètre et l'autre sur le podomètre, est un vrai plaisir. On est plus à l'écoute de la nature qui nous entoure que de son corps qui souffre. J'en profite pour faire une petite balade seul. Je monte vers un gros shorten au blanc éclatant par une petite sente que je finis par perdre. Les derniers mètres je les parcours à travers les buissons. Il s'agit d'un monument à la mémoire de 12 alpinistes, 11 Allemands et 1 Népalais, leur guide , emportés pendant leur sommeil au Pisang Pic en 1994. Les noms, onze hommes et une femme , cette dernière s'appelait Christine, sont alignés au-dessus d'une épitaphe en allemand. Cette langue forte prend dans ce contexte toute sa puissance. Rien ne rappelle la chrétienté, seul l'esprit de la montagne à travers la culture bouddhiste accompagne ces alpinistes vers leur dernière demeure. Face au petit tertre sur lequel se tient ce lieu de recueil, le Pisang Pic ou Jong Ri, du haut de ses 6091 mètres dans la lumière rasante de cette fin d'après midi, rayonne sur la vallée de toute sa puissance. « Il est des lieux où souffle l'esprit.» Je ressens toute la profondeur de cette phrase. Me vient à l'esprit le petit cimetière de Saint Christophe-en-Oisans, au-dessus duquel la Tête de Lauranour tient lieu de fanal et veille sur ces montagnards jeunes et moins jeunes, professionnels ou amateurs, qui ont succombé à leur passion sur les pics de cette magnifique vallée du Vénéon. La mort d'un alpiniste est cruelle car ses proches perdent un être cher. Mais cet être, en quête d'absolu, a quitté cette terre dans un moment d'intense activité. Ce départ s'inscrit presque logiquement dans son mode de vie. Saint-Exupéry a dit « on ne peut mourir que pour cela seul qui nous permet de vivre».Tout absorbé par mes réflexions et la contemplation de la montagne, j'ai du mal à quitter ce site. De plus, depuis notre départ, c'est la première fois que je me retrouve seul. Doucement j'amorce la descente vers le village qui n'est pas très éloigné , presque en retenant mes pas, conscient que l'envoûtement va se rompre .

 

Retour à l'hôtel, plongée dans un monde bruyant, nombreux trekkeurs attablés, absorbés dans leurs cartes, leurs livres, leurs discussions ou dans leurs jeux de cartes ou d'échecs. Sans transition je me joins à eux et nous entamons une partie de belote endiablée. La discrétion ne nous étouffe pas toujours!!! Mais nous ne sommes pas seuls à être bruyants, une télévision braille dans la pièce. Bollywood est très présent. Une multitude de Népalais, hypnotisés par le petit écran, captent par tous leurs sens images et sons. Comme on le constatera souvent, les grands thèmes de films sont au nombre de deux, les histoires d'amour et les combats de Kung-Fu ou autres arts martiaux. C'est étonnant de constater que ce peuple si pacifique soit à ce point intéressé par les films de castagne. Ce soir pour le dîner comme d'habitude pâtes et patates mais nous allons remplacer le riz par de la purée, contre toute attente patates et purée font bon ménage.

 

8/10/2008

L'habitude étant maintenant prise, branle-bas à 6 heures, petit déjeuner copieux, encore quelques patates avec beaucoup d'ail, très efficace paraît-il contre le mal des montagnes. La vallée reste large et la pente du chemin faible. Les cigales au bruit si entêtant ont disparu depuis hier, et le silence parfois nous étonne comme s'il y manquait une présence. Les deux flancs de montagne sont pour le moins très différents. A droite, la végétation et la physionomie du terrain rappellent les Alpes du sud, on y voit même des demoiselles coiffées comme au bord du lac de Serre-Ponçon. Mais un coup d'œil à gauche enlève toute illusion sur le lieu. Une barrière impressionnante frôlant les 8000 mètres barre la vue et oblige à regarder très haut pour voir le ciel. Le GanggaPurna qui jusqu'à présent était caché par une arête nous apparaît dans toute sa majesté. Sa forme et ses lignes sont à la hauteur de l'esthétique de son nom, qui se martèle en deux syllabes.

 

Cette gigantesque vague de glace hérissée de nombreux sommets entre 7000 et 8000 mètres, tient une place importante IMGP4826.JPGdans la première ascension de l'Annapurna. En effet elle ne figurait pas sur la carte indienne utilisée par Maurice Herzog et son équipe lors de leur expédition en 1950. Cette lacune leur a causé beaucoup de tracas, des détours immenses, qui les ont égarés dans des impasses. En effet ils butaient sur ces reliefs alors qu'ils ignoraient leur existence.

 

L'étape de ce jour est courte et le dénivelé peu important, le long d'une large vallée à la faible déclivité, ponctuée d'une multitude de shorten, stûpa, moulins à prières et inscriptions religieuses en cinq couleurs sur des plaques d'ardoise. Ces cinq couleurs sont: le bleu, blanc, rouge, vert et jaune qui représentent les cinq éléments que sont le ciel, l'eau, le feu, la vie et la terre, si je ne me trompe pas. Le village de Braga est atteint. De grandes prairies colonisent toute la vallée et de nombreux animaux y paissent tranquillement. En particulier des yaks et leurs femelles, les naks, les premiers au pelage sombre, et ces dernières à la toison claire toute ébouriffée. Déjeuner au pied du village très IMGP4846.JPGcaractéristique. Il se blottit contre une falaise à la pierre très lumineuse qui s'élance en dents acérées vers le ciel. Du restaurant agréable où nous profitons de notre rituel plat de féculents, nous avons tout le temps de regarder ces maisons alignées et comme ouvertes sur le vide. Ce village n'est habité qu'en été, dès la venue de la neige les habitants vont hiverner dans des régions plus tempérées. Seuls quelques-uns restent pour assurer le gardiennage du lieu. Toutes ces petites cités d'altitude en zone tibétaine foisonnent de drapeaux de prière. Lorsqu'on monte sur les toits ces étoffes innombrables,flottant au vent, font prendre conscience de la très forte piété dont ce peuple est épris.

 

La montée dans Braga se fait par une petite prairie sur laquelle deux époques se côtoient. L'ancestrale avec ses troupeaux, ses stûpa et ses femmes qui battent le linge et l'étendent à même le sol au soleil à laquelle se superpose la moderne avec ses fils électriques, ses paraboles et ses panneaux solaires. Bir Singh, notre guide, nous a demandé de nous munir de IMGP4863.JPGlampes frontales pour visiter un très vieux monastère. La richesse de la statuaire est immense. A première vue, les effigies des divinités locales semblent identiques, mais la gestuelle est différente. Du fait des 64 positions des mains que nécessite la prière, chaque statue a une signification propre. De même les livres de prières sont rangés dans leur bibliothèque et leur nombre est important. La symbolique religieuse aux couleurs vives rehausse les murs sombres. De nombreux mandalas ornent le lieu. Je prends conscience de l'importante richesse accumulée au fil du temps dans les monastères. Je réalise aussi le grand dommage causé par la destruction presque systématique de toute une tradition séculaire au Tibet. Hier, j'ai terminé le livre d'une Française grande connaisseuse de ces régions. Elle décrit le travail de sape conduit au Tibet, qu'elle observe depuis trente ans. Des bâtiments emblématiques comme le Potala sont mis en exergue, pour en faire des lieux musées ancrant dans les esprits l'idée d'un monde révolu, alors qu'en même temps l'anéantissement d'une société est mené méthodiquement, en particulier par la destruction de son patrimoine religieux. Par ces actions, il est recherché une perte de l'identité et des traditions qui soudent un peuple, cela permettrait d'atténuer voire faire disparaître toute résistance à la suprématie chinoise.

 

En quittant ce lieu très attachant, par une courte marche nous atteignons la mythique Manang, ville ceinturée de champs en terrasses, où la culture du sarrasin domine. L'activité est intense, aussi bien du fait des autochtones que par la présence des nombreux touristes qui déambulent. Plusieurs d'entre nous profitent du cordonnier qui pour une somme modique rapièce nos chaussures. J'atteste que le travail est de qualité car la pièce de cuir cousue sur ma chaussure droite va tenir les dix jours suivants et sans aucun doute beaucoup plus longtemps. Le nombre d'échoppes est étonnant et on trouve de tout. Des effets de montagne au prix défiant toute concurrence, des super vestes North Face à douze euros. IMGP4871.JPGCependant le pantalon fluo acheté par l'un d'entre nous deux jours auparavant, va voir sa vie prolongée d'une journée, car notre ange gardien, Krishna l'adjoint de notre guide s'assure tous les matins que nous n'avons rien oublié. Mais dans ce cas précis il ne s'agissait pas d'un oubli, donc demain il faudra essayer de tromper sa vigilance pour se défaire de ce superbe pantalon à six euros!!! Krishna est professeur de mathématiques et durant les vacances il se transforme en guide. Le décor est grandiose, nous embrassons d'un seul regard la chaîne de l'Annapurna 2 jusqu'au Tilicho Peak. La tombée de la nuit est un enchantement, le ciel s'est entièrement découvert, et les immenses glaciers se parent de belles couleurs roses alors que dans la vallée la pénombre règne déjà.

 

De la vertu de la lenteur, titre d'un livre qui se prête bien aux circonstances. Nous allons passer une journée complète dans ce village. Cela peut paraître long et inutile, mais le temps, cet élément qui nous manque et nous conditionne tant, nous les Occidentaux, nous avons du mal à l'apprivoiser. Apprendre à s'en affranchir ou lui redonner du sens à travers l'inaction est une chose qui nous fait violence. Mais lorsqu'on se laisse faire, passés nos premiers réflexes acquis, eh bien on éprouve sinon du bonheur, grand mot, au moins du bien-être.

 

D'autre part l'utilité de partir seul et sans guide sur ce type de trek très fréquenté, à mon avis, perd son sens. En effet l'intérêt du voyage seul consiste justement dans le fait d'être seul, ce qui n'est pratiquement jamais le cas sur le tour des Annapurna. Le cheminement ne présentant aucune difficulté le guide peut sembler inutile. Je ne le crois pas, par sa bonne connaissance de la région il permet de bien s'imprégner de la vie de ces contrées, bien mieux que si l'on se passait de ses services. D'autre part, en étant seul, les vieux démons occidentaux me rattraperaient vite et les étapes s'allongeraient, flattant l'égo mais nuisant à l'harmonie du voyage. Vu le ravitaillement et le grand nombre de lodges disponibles en permanence, il est tout à fait possible de faire cette balade en individuel avec un sac de six ou sept kilos maximum en ayant le nécessaire, mais je préfère en cet instant la lenteur en me laissant guider par un Népalais qui aime son pays et qui est fier de ses montagnes.

Aller vite en montagne relève du plaisir de sentir son corps fonctionner lorsqu'on le pousse à ses limites, l'effet de phénomènes chimiques qui déclenchent l'excitation par l'effort soutenu que l'on impose à son corps. Aller lentement laisse l'esprit vagabonder au gré de ce que le regard croise. Cela permet aussi de ne pas hésiter à faire des détours, le chronomètre n'étant plus en jeu, pas de temps à battre ou de rythme à maintenir, perdre du temps n'a plus de signification. Tout naturellement, la curiosité reste plus disponible pour l'environnement dans lequel on pénètre par la marche. Ce moyen de déplacement, de nombreux écrivains voyageurs l'affirment, est le seul vrai moyen de voyager. Lui seul donne accès par sa lenteur à la communion avec les lieux et les gens qui les habitent. Alors se mettre à courir et se croire sur une piste de 400 mètres les yeux sur l'altimètre et le chronomètre c'est, peut-être un peu, dévoyer le sens initial de la marche. Je crois qu'il n'y a pas de préférence ou de priorité à fixer. Tout simplement en fonction de ses dispositions et de ses aspirations du moment, courir dans la nature sur de grandes distances ou se laisser guider à petit rythme les sens en éveil sont deux manières de rester au contact de la planète Terre, habitude que l'on a tendance à perdre dans nos sociétés modernes.

 

 

09/10/2008

Malgré les 3500 mètres le sommeil a été excellent, l'effet de l'altitude ne se manifeste pas encore. Le premier coup d'œil au réveil vers les Annapurna et le GanggaPurna, sur lesquels le soleil descend, est saisissant. Ce matin, lever à huit heures, donc immense plaisir de rester allongé sur mon lit à contempler le lever du jour puis l'arrivée du soleil qui fait passer ces IMGP4865.JPGgigantesques pentes de glace par toutes les couleurs du rose au blanc éclatant. Je surveille avec attention le moment où le premier rayon de l'astre du jour illuminera la pointe de chacune des montagnes, instant magique.

 

L'hôtel du Yak, dans lequel nous séjournons, est très grand et s'élève sur plusieurs étages. La salle de restauration est au second. Contrairement à l'étape précédente, il n'y a pas de télévision qui diffuse ses décibels. Partout sur la ville, nous avons vue sur les fils électriques, panneaux solaires, paraboles et autres modernités, et tout cela juxtaposé aux shorten, stûpa, moulins à prières et monastères. Mais cette intrusion de la modernité n'enlève rien à la grandeur du site et à la gentillesse de ses habitants. Jamais nous n'avons entendu le moindre éclat de voix. Les gens semblent ne pas connaître la dispute. La violence est absente de leurs mœurs. Ce trait de caractère a déteint sur le monde animal, en particulier les chiens, qui ne montrent aucune crainte ni agressivité envers l'homme. Ce sont des animaux sacrés au même titre que le taureau, en effet si ce dernier symbolise la monture de Shiva, les chiens sont les gardiens des temples. Vous les trouvez alanguis à l'entrée de tout édifice religieux. Vous les frôlez au centimètre près, ils ne bougent pas une oreille et n'entrouvrent pas un œil, cela dénote une très profonde confiance dans tout être qui les approche.

 

Journée d'acclimatation à Manang, cependant une excursion sur les pentes du GanggaPurna est prévue. Départ neuf heures, descente à la rivière puis montée au flanc de la montagne. Nous allons dépasser les 4000 mètres pour la première fois de notre trek. Tout se passe très bien, personne n'éprouve de difficulté et cela donne bon espoir à chacun pour la suite et en particulier pour le passage du Thorong La à 5420 mètres qui doit avoir lieu dans quatre jours. Le temps reste partiellement couvert, mais cela n'empêche pas de voir l'immense cascade de séracs de la face nord du GanggaPurna qui nous domine de quelques 3500 mètres. A nos pieds de gigantesques moraines quasiment verticales, dans lesquelles de très gros cailloux tiennent par l'opération du Saint Esprit, ou plutôt dans ces régions bouddhistes par l'opération de Ganesh qui est le dieu des voyageurs, donc chargé de nous protéger. Nous devons avouer qu'au cours de ces dix huit jours il accomplira un bon travail car aucun d'entre nous ne connaîtra d'incident notoire, pourtant à onze les risques sont forcément multipliés. Le point le plus haut atteint ce jour est matérialisé par un shorten au pied d'un petit bois d'arbres à feuilles caduques, dont le jaune de la frondaison confirme que l'automne est arrivé. Quelques flocons tombent et la température fraîchit. Nous redescendons de deux cents mètres et déjeunons à une petite cabane. Le point de vue sur Manang est de tout premier ordre, ensemble de maisons étiré en longueur, bordé à sa base par une falaise de faible hauteur, le tout enserré d'une multitude de champs cultivés en terrasses. Heureusement au cours du repas le temps s'améliore car nous sommes en plein air.

 

Vers les treize heures, il est prévu d'assister à une cérémonie religieuse dans le village. Cet office est conséquence directe de la fête nationale. En effet, à cette occasion exceptionnellement des animaux sont tués pour être mangés. Donc après ces festins il est nécessaire de demander pardon pour la mort des bêtes ainsi disparues. Le monastère est de belles dimensions, richement décoré. Les piliers de ce que l'on peut appeler la nef principale sont constitués de troncs d'arbres peints aux cinq couleurs de la religion. Il y a déjà beaucoup de monde. Les moines sont alignés de part et d'autre de l'allée centrale, le plus ancien au fond à droite sur un fauteuil imposant. Sur la partie gauche en arrière de nombreux fidèles sont assis, en majorité des femmes d'un certain âge. Les jeunes comme dans d'autres religions se désintéresseraient-ils de la spiritualité? Nous sommes installés du côté droit en arrière de la double rangée de moines. D'autres fidèles viennent se positionner derrière nous, dont quelques hommes. Alors que la cérémonie va commencer, un groupe de jeunes hommes arrive, du fait qu'ils n'enlèvent pas leurs chaussures des remarques leur sont adressées. Le ton est plus amical que vindicatif et ils obtempèrent dans des petits gloussement de rire de la part de l'ensemble des participants. Enfin la célébration débute. La ferveur est évidente. Les moulins à prières manuels entrent en action. Les moines psalmodient leurs chants et la foule reprend en chœur. Les instruments de musique à vent et à percussion rythment la prière. Derrière nous, un fidèle qui de toute évidence n'est pas à jeun accompagne ses murmures de prières de bâillements nombreux appuyés et très bruyants. Personne ne semble le remarquer ou plutôt chacun feint de ne pas l'entendre. Du lait de yak est distribué à l'assistance népalaise, et pour nos gosiers occidentaux délicats du thé noir sucré. Les chants continuent et consistent en une psalmodie sur un ton doux et triste, ponctuée de coups de cloche. Puis chacun s'absorbe dans ses prières et certains des fidèles prononcent quelques paroles sur un rythme qui nous paraît anarchique, mais qui probablement répond à une tradition bien établie de longue date. Ce qui ressort d'une telle cérémonie, c'est la sérénité et la douceur de l'ensemble des participants. Tout se passe dans le calme et la ferveur, ce qui n' a pas empêché les petits rires joyeux d'éclater de temps à autre avant le début.

 

A la sortie du monastère nous retrouvons l'éclat des montagnes avec le plein retour du soleil. Regarder les drapeaux de IMGP4880.JPGprières multicolores flotter devant les Annapurna est un spectacle envoûtant dont on ne se lasse pas. L'après-midi n'étant qu'à peine entamé, nous avons tout loisir de farfouiller dans les recoins de ce village, ou bien d'aller s'absorber devant un écran à la recherche des dernières nouvelles fournies par le net. Eh oui internet nous poursuit jusqu'ici. Certains vont monter à un monastère bien visible sur son promontoire. Il est malheureusement fermé mais le point de vue est de toute beauté.

 

Retour à l'hôtel où les cartes et les livres sortent. Il est intéressant de voyager ainsi en groupe au moins pour une raison. Chacun apporte un ou deux livres, ce qui permet les échanges. De ce fait on est amené à découvrir des auteurs que l'on n'aurait jamais abordés. Cela peut occasionner des révélations ou des déceptions . En particulier un auteur révélé récemment et très en vogue dont les livres envahissent toutes les librairies ne m'inspirait pas. Tout d'abord cet excès de publicité qui s'apparente à un véritable matraquage est très désagréable, d'autre part la grosseur de l'écriture et le faible nombre de pages est un facteur défavorable. Donc au moins pour ces raisons je n'avais jamais envisagé l'achat d'ouvrage de cet écrivain. L'occasion m'étant donnée d'en avoir un, la curiosité me pousse à voir de quoi il retourne. Heureusement qu'il est court, car je ne sais pas, si c'est à cause de mon QI défaillant, incapable de permettre une lecture du second voire troisième degré ou alors de la véritable nullité de l'écrit, mais je suis resté vraiment dubitatif devant ce récit qui se termine en apothéose avec Dieu et le diable qui deviennent grands pères et qui en sont très contents. Faut-il y déceler un message qui va nous apporter la révélation? Mais heureusement d'autres livres apporteront à l'ensemble du groupe un véritable plaisir, j'en citerai deux: l'oracle de la luna magnifique épopée se déroulant au 17 ème siècle en Méditerranée où les religions catholique, protestante, orthodoxe et musulmane sont abordées de façon très intéressante et le second ouvrage Annapurna premier 8000 à lire ou relire impérativement au cours de ce tour de cette fameuse montagne. On en comprend d'autant plus les difficultés énormes rencontrées par Herzog et son équipe que l'on se situe au cœur du massif montagneux dont il est question. Pour ce dernier ouvrage émotion assurée si vous l'avez dans votre sac.

 

10/10/2008

Cette nuit la difficulté à respirer ne s'est toujours pas manifestée. Il faut dire que nous montons à un rythme lent bien adapté à l'acclimatation en douceur. Une fois de plus le petit déjeuner sera diversement apprécié. Il est constitué d'un gros bol de tsempa qui est du millet grillé puis broyé et mélangé à du lait. Ça ressemble un peu à de la blédine, en tout cas cette mixture va tenir au ventre.

IMGP4890.JPGDépart rituel à 7 heures dans un décor toujours aussi grandiose. La rivière a creusé profondément une couche morainique et a établi son lit en une multitude de ramifications sur une petite vallée en U. Le contraste entre les veines d'eau bleu foncé, le lit de galets gris clair et les parois de moraines ocres piquetées de buissons verts, le tout dominé par la blancheur de la face nord est du Tilicho Peak est saisissant. Le chemin court à flanc vers le fond de cette vallée qui doit nous conduire au plus haut lac du monde. Parfois nous sommes dominés par des pentes de terre verticales, desquelles de grosses pierres semblent prêtes à nous fondre dessus. En période de fortes pluies le coin doit être malsain. Le long du chemin côtoyant les à-pics divers animaux paissent paisiblement.

 

Arrêt à Khangsar à plus de 3700 mètres. En montant, la vue s'élargit et le Tilicho Peak grandit face à nous. Les toits des maisons du village sont constellés de drapeaux de prières qui claquent au vent. Les cultures montent encore quelques centaines de mètres jusque vers les 4000 mètres . Il règne une activité importante dans les champs de sarrasin pour le IMGP4901.JPGramassage et sur les toits pour le séchage. Se fait entendre, un peu partout, le bruit des scies en action, pourtant des arbres je n'en vois pas beaucoup. Sans doute travaillent-ils des matériaux montés à dos d'homme? Il monte de ce peuple besogneux un murmure de voix qui témoigne de l'activité humaine.

 

Nous reprenons le chemin, la vallée se resserre, les montagnes se font plus proches. Nous ne pouvons visiter un monastère car il est fermé. Arrêt pour le déjeuner au Tilicho hôtel, la terrasse est un magnifique balcon duquel nous contemplons tout à loisir la très sauvage vallée qui conduit au plus haut lac du monde. En ce lieu nous reviendrons dormir demain soir au retour du Tilcho lac. Une bonne partie de nos affaires est laissée et nous ne prenons que le strict minimum pour 24 heures. Une fois notre habituelle platée de féculents absorbée dans la bonne humeur générale, la marche reprend. Bir Singh nous met en garde sur la difficulté des passages qui viennent. En effet après une heure de marche en montées et descentes sur un chemin étroit et pénible, nous abordons une zone redressée. Le chemin à flanc se transforme en minuscule sente sur pentes instables. Il nous est demandé de marcher espacés, certains pierriers étant particulièrement croulants. Effectivement, durant un ou deux kilomètres nous jouons les funambules sur une espèce de poussière glissante au-dessus d'éboulis qu'il ne faudrait pas dévaler sur les fesses. Certains endroits sont très impressionnants, tout particulièrement dans les très IMGP4906.JPGraides et heureusement peu nombreuses descentes qui ponctuent l'itinéraire. Dans ces lieux, on ressent la désagréable impression d'être en limite d'adhérence de nos semelles et nous imaginons ce qui pourrait résulter d'un dérapage intempestif. Le site est grandiose dans son austérité, plus aucune végétation, du fait sans doute d'une combinaison entre l'altitude et l'érosion sévissant sur ces terres raides.

 

La rivière que nous surplombons de quelques centaines de mètres fut le témoin d'une expérience vécue par Maurice Herzog il y a maintenant 58 ans. Alors qu'avec une équipe à la recherche d'un itinéraire vers l'Annapurna il bivouaquait au lac Tilicho, il était descendu seul à Manang à la recherche de nourriture. Arrivé au village, il constata que la misère était telle que personne n'était en mesure de lui vendre quoi que ce soit, chaque kilo de céréales étant indispensable à la population menacée de famine. Donc il repart sans rien, pressé de rejoindre ses compagnons afin d'accélérer le retour sur la vallée au pied du Dhaulagiri, car à leur tour ils pouvaient être menacés de famine. Il se lance donc dans la remontée de la rivière en fin d'après-midi, à un moment il est obligé de la traverser. L'opération ne se passe pas très bien, il en ressort tout mouillé. Sur ces entrefaites la nuit arrive, et trempé il attendra en grelottant que le jour se lève pour retrouver son équipe. Comme je le répète il est indispensable de se munir du livre premier 8000 lors de ce trek. Toute l'histoire de cette poignée d'alpinistes, parmi les meilleurs de leur époque, ponctuera de ses anecdotes, exploits et drames votre voyage. En particulier, on réalise à quel point la vallée a changé depuis un demi-siècle. Manang, actuellement avec ses nombreux hôtels et sa multitude de magasins, n'a plus rien à voir avec ce village vivant en autarcie, sous la menace permanente de la carence d'aliments.

 

Enfin, après avoir tourné une crête, nous voyons arriver la fin de notre petit calvaire sur ces roulements à bille en pente et sans filet. Encore une petite difficulté, sous la forme d'un court passage très raide au-dessus d'un couloir particulièrement vertigineux, où le fait de pencher le corps en avant afin de mettre un pied au sol donne l'impression d'être en position pour le grand plongeon. La pente faiblit, la végétation colonise à nouveau le terrain, certes rabougrie, mais cela stabilise les pierres. Le fameux Camp Base se dévoile, bâtiment en béton de belles dimensions qui fait tout à fait penser à certains refuges des Alpes. De toute évidence nous ne serons pas seuls.

 

Comme à chaque fois que nous arrivons à l'étape, Bir Singh nous impose de monter de cent cinquante mètres de dénivelé, paraît-t-il que cela nous facilitera la nuit. Ce soir, le rassemblement pour le départ de cette montée préparatoire à l'endormissement se fait difficilement. Ça renâcle, ceux qui attendent commencent à avoir froid, l'altitude est de 4100 mètres. Enfin le groupe est constitué, oui nous sommes bien onze, pas de tire-au-flanc. Le sentier est pentu le long d'une ancienne moraine, des contestations montent . Mais le spectacle étant magnifique et l'effet bénéfique attendu, la colonne monte tant bien que mal. Mais à la fin de la file on commence à traîner et d'un coup la révolte contamine tout le monde et la marche arrière est enclenchée. Les conditions dans les dortoirs sont difficiles, en effet il ne s'agit plus de chambres. Nous sommes 4 dans l'un et 7 dans l'autre. L'espace entre chaque lit se mesure en centimètres. La température baisse ce qui sera apprécié en pleine nuit vu l'exiguïté des pièces. Le sommeil, pour certains pour ne pas dire pour tous, malgré les exercices préparatoires de montée , sera pour le moins léger. Pour ma part je vais passer de longues heures, caché dans mon sac de couchage, à lire, heureusement le livre est passionnant, ce qui fait que cette situation inconfortable ne me dérange pas vraiment.

 

11/10/2008

Lever matinal, 4h15, départ 5 heures. Cet horaire matinal est imposé par le fait que vers les huit heures du matin des vents violents se lèvent aux cols situés vers les 5000 mètres, ce qui est désagréable et pour bien profiter il est préférable d'y être avant. Les premiers mètres se font de nuit à la frontale. Les immenses glaciers dans cette pénombre n'en sont que plus impressionnants et majestueux. Rapidement la frontale n'est plus nécessaire, le jour se levant. Le chemin est bien tracé, mais l'altitude se fait sentir au souffle. Toute tentative de courir se solde par un emballement du rythme cardiaque et le retour au calme se fait longuement attendre. Donc garder un pas lent sans chercher l'exploit. Avec le jour, le soleil pointe et IMGP4911.JPGéclaire le haut de la face nord-est du Tilicho Peak. Le spectacle est grandiose, ces immenses cascades de glace toutes proches qui nous dominent de trois mille mètres, prennent des couleurs roses et jaunes. De petits nuages n'enlevant rien au décor ajoutent au mystère de ces hauteurs de la terre gelées. Vers 4900 mètres nous rencontrons la neige, la pente diminue et l'itinéraire suit un large vallon presque plat. Quelques petites mares sont dépassées puis dans toute son imposante étendue apparaît le lac le plus haut du monde. Sa couleur est d'un bleu profond, de grands glaciers tout juste issus de pentes vertigineuses forment de hautes barres de séracs à même le bord du lac au contact de l'eau. Nous nous trouvons vraiment au cœur de très hautes montagnes. Chacun de nous se souviendra toute sa vie de ce lieu magique. Nous nous situons sur un petit promontoire cinquante mètres au-dessus du niveau du lac, ce qui nous permet d'en apprécier toutes les caractéristiques. De plus, comme toujours au Népal, les endroits particuliers sont constellés de drapeaux de prières, qui ajoutent à la grandeur du lieu par la spiritualité qu'ils inspirent. Un panneau nous indique les chiffres suivants: longueur 4 kilomètres, largeur 1,2 kilomètre, altitude 4919, soit 1107 mètres au-dessus du lac Titicaca. Il fait bon, pas encore de vent. Notre joie éclate, nous prenons conscience que notre projet prend forme et s'inscrit dans la réalité. Trois Français montés seuls nous expliquent que leur guide et leurs porteurs se sont sentis mal et qu'ils ont renoncé à monter. Comme quoi, il faut sans doute faire attention au choix des accompagnateurs. En ce qui nous concerne rien de tout cela, même les porteurs sont montés, bien que nous redescendions par le même chemin, notre guide se préoccupant de leur formation.

 

IMGP4915.JPGLe moment arrive où il nous faut quitter ce lieu. Le soleil commence à cogner malgré l'altitude, nous courons dans les grands champs de neige. A l'est la vue porte très loin, la vallée remontée depuis plusieurs jours se déroule à nos pieds. En toile de fond se dresse le Manaslu premier des trois 8000 que nous aurons le bonheur de voir. Une fois au Base Camp vers les dix heures, une petite collation nous est servie. Aujourd'hui il y a déjà pas mal de monde qui est monté, et cet après-midi va apporter son nouveau lot. Certains risquent de dormir dehors. Une fois rassasiés avec une légère appréhension nous reprenons la sente vertigineuse, mais comme toujours l'effet sera moindre au retour, cependant nous ne relâchons pas notre attention. Une fois retrouvé le chemin plus carrossable, nous marquons une petite pause. Pour la première fois, le plaisir nous sera offert de voir les fameux «blue sheeps» ou chamois de l'Himalaya, au pelage remarquable gris très clair aux reflets bleutés. Retour à l'hôtel Tilicho. Sa construction n'est pas achevée, première conséquence pas d'eau aux douches, cela ne fera que deux jours sans se laver, pas vraiment un drame. Même si cela donne un petit coup au moral, la mi-parcours compense cet état d'âme ondulant. En effet déjà neuf jours de marche, on ne dirait pas, le temps semble voler, donc profiter de chaque instant et ne surtout pas perdre de temps à se lamenter.

 

Garder le moral et sa bonne humeur est fondamental, d'abord pour soi et puis pour la cohésion du groupe. Nous avons croisé hier une Alsacienne qui se déplaçait seule avec son guide et un porteur. Nous nous sommes entretenus quelques minutes. Outre le fait de nous vanter la splendeur du spectacle qui nous attendait au lac, elle nous a fait part de ses expériences de voyages. Nous étions, en effet, intrigués de la voir seule, elle nous a donné l'explication suivante : pour la septième fois elle vient au Népal, au début en voyages de groupe, mais les deux dernières fois des dissensions graves entre les participants ont rendu l'atmosphère très désagréable. Donc il faut toujours faire attention lors d'activités collectives de préserver la cohésion, de bien respecter les petites habitudes et faiblesses que nécessairement nous avons tous. Lorsque les participants se connaissent avant de partir c'est déjà un petit gage d'entente. Par contre, quand les agences en fonction des besoins et des demandes, forment des groupes d'étrangers cela peut devenir délicat, et il peut en résulter que ce qui devait être une partie de plaisir se transforme en calvaire. Toujours garder à l'esprit que sans cohésion dans un groupe il est illusoire de vouloir trouver une satisfaction dans une randonnée collective, donc la tolérance, la bienveillance et la bonne humeur s'imposent. Je crois que nous étions tous bien conscients de ces facteurs.

 

12/10/2008

Comme pratiquement tous les matins, la montagne nous accueille au réveil par sa majesté et ses immenses pics étincelants. Depuis plusieurs jours le panorama a pour toile de fond ces géants que sont les Annapurna, le Ganggapurna et d'autres sommets, mais le regard ne se lasse pas de parcourir ces immensités de rocs et de glace, toujours intrigué par le fait d'imaginer la grosseur d'un homme accroché quelque part dans ces faces démesurées.

 

L'étape de ce jour doit nous ramener dans la vallée qui conduit au Thorong La. Pour ce faire, le chemin choisi emprunte un raccourci, qui en quelque sorte coupe dans la partie charnue du Y que font les deux vallées. Cet itinéraire est peu parcouru et nous n'y rencontrons pratiquement personne. Au sommet du mouvement de terrain entre les deux combes un vaste replat, sur lequel se blottit un vieux village. Les toits de ses maisons se découpent sur les blancheurs du GanggaPurna en IMGP4931.JPGarrière-plan. Un important troupeau de moutons se déverse sur une petite prairie. L'air est calme, le soleil éclatant, on sent le lieu habité par les forces de la nature. Un peu plus loin, le panorama s'ouvre largement sur la vallée principale et celle-ci est ponctuée de tous les villages que nous avons traversés au cours de la montée. Le Pisang Peak tient lieu de sentinelle avancée. Malgré son altitude relativement faible, ses formes élancées le font émerger, presque surgir, au-dessus de la vallée. Le point culminant de notre trek nous apparaît clairement, de jour en jour toujours plus proche. Après-demain devrait être le grand jour. Par une marche de flanc nous rejoignons l'itinéraire principal, quelques kilomètres en amont de Manang. La grosse affluence que nous avons quittée depuis deux jours est retrouvée.

 

Arrêt vers les onze heures à Yak Kharka, nous ne sommes pas pressés, l'étape de l'après-midi étant courte. Arrivée de bonne heure à Ledar où nous passerons la nuit à l'hôtel Cherri Lattar. Notre petite montée rituelle de bien-être n'est pas oubliée.

Nous avons tout loisir de prendre notre temps. J'attaque mon troisième livre, et le fait de s'adonner à cette activité dans ce décor est un réel plaisir. Il est même décuplé par le fait d'être absorbé dans un récit qui n'a rien à voir ni avec le lieu ni avec l'époque. Je comprends mieux pourquoi de grands voyageurs, comme Paul Morand, toujours sur les routes, se déplaçaient avec des malles pleines de livres.

 

Et c'est là qu'en fin d'après-midi, alors que tout se passait pour le mieux, que le lamentable incident de Spaghetto se déroula. Sans rentrer dans les détails, alors qu'en absence de douche nous étions partis nous laver dans un ruisseau, très pudiquement, sans mélanger les sexes en respectant des espacements décents, le très impudique Spaghetto apparut et exhiba son vermicelle (grosseur avant cuisson) au joli sexe et bien évidemment à une distance que la morale et le savoir-vivre réprouvent totalement. Il s'ensuivit de la gêne de la part de la personne soumise à ce spectacle rapproché et de la IMGP4936.JPGcolère de la part de ses compagnons. Mais heureusement, Ganesh, une fois de plus, veillait à assurer et maintenir contre vents et marées la bonne humeur en vengeant les pauvres trekkeurs que nous sommes de cet affront perpétré par un étranger. En effet, paraît-il, la vengeance est un plat qui se mange froid, mais en l'occurrence elle se but assaisonnée. Notre malotru, content de ses agissements ou voyant qu'il ne déclenchait pas l'effet escompté, remonta le ruisseau et but avidement à même le courant. Un peu estomaqués nous le regardions, et là Ganesh se manifesta. Quelques dizaines de mètres au-dessus de notre goujat, de derrière un rocher se dessina une belle paire de fesses blanches mais masculines et l'eau fut consciencieusement assaisonnée alors que le buveur était tout absorbé à son occupation. Nous étions aux anges et le petit talweg retentit d'un immense éclat de rire dont Spaghetto cherche toujours la raison.

 

Le soir, repas habituel à base de féculents. Il commence à faire froid, l'altitude est de 4200 mètres. La gentille infirmière de notre groupe vole au secours d'une jolie nordique en perdition. Le traitement administré sera efficace car nous reverrons la patiente toute souriante à l'assaut des pentes terminales du Thorong La.

La nuit, tout du moins en ce qui me concerne, est pénible. La difficulté à respirer se fait sentir, et tout particulièrement au moment de sombrer dans le sommeil. Il s'ensuit une espèce de suffocation et une impossibilité de s'endormir, cela crée même une forme d'angoisse. Le meilleur antidote consiste à se lever et partir se promener dans la nuit. Là, le spectacle est extraordinaire, la voie lactée comme si on la touchait, tellement nette qu'elle apparaît en trois dimensions. Clou du spectacle, une étoile filante de belle taille parcourt la voûte céleste dans toute sa largeur. Comme quoi le désagrément peut être générateur de plaisir.

 

13/10/2008

L'étape du jour est de courte durée, deux heures de marche. Le temps toujours aussi beau, le décor grandiose et au-dessus du sentier le Throng La qui se rapproche. Nous sentons que le point principal de notre randonnée va bientôt être atteint. Sur le chemin une foule nombreuse crée de véritables encombrements.

 

Arrivée à Thorung Phedi à dix heures trente du matin, le site est constitué de nombreuses constructions capables d'héberger plusieurs centaines de marcheurs. Le froid est un peu plus vif, nous nous situons à 4450 mètres. Un grand panneau à IMGP4945.JPGl'entrée de ce village d'altitude met en garde contre le mal des montagnes, en décrit les symptômes et donne les conseils adéquats en cas d'atteinte. Dans la salle de restauration des courants d'air froids nous rappellent que nous sommes en montagne, il faut dire que la température agréable qui nous accompagne depuis notre départ nous l'avait fait un peu oublier.

 

Repas du soir, grosse platée de pâtes au fromage, certains doivent se forcer à manger, de toute évidence l'altitude n'y est pas pour rien. Chacun est un peu tendu dans la perspective des 900 mètres de dénivelé du lendemain qui doivent nous conduire à plus de 5400 mètres. La nuit est un vrai calvaire. A l'endormissement un phénomène d'apnée me réveille brutalement à chaque fois. Les parades, lire ce qui empêche de s'endormir ou aller se promener. Là encore le décor nocturne est féerique, alors que notre versant de montagne est plongé dans une pénombre épaisse, car la lune est cachée par une paroi rocheuse, en face les glaciers de l'immense barrière, qui s'étend de l'Annapurna 2 au Tilicho Peak, brillent de tous leurs feux sous l'éclairage lunaire. Dans ce monde minéral où tout bruit est absent à cette heure tardive, le contraste entre recoins très sombres et zones largement illuminées est un spectacle étonnant. On ne peut rester toute la nuit dehors car la fatigue se fait sentir, donc la seule alternative consiste à prendre patience en restant allongé entre éveil et étouffement. Heureusement l'attente ne sera pas trop longue car le départ est prévu très tôt.

 

14/102008

Lever 3 heures, Bir Singh passe dans toutes les chambres pour s'assurer que nous nous levons tous. La salle de restauration est vraiment encombrée, on se croirait au départ d'une course classique dans un refuge du massif du Mont Blanc au mois d'août. Ce matin encore, il n'est pas facile de manger. Le départ est prévu à quatre heures, et, respectant l'horaire, la marche débute. Un cheval et son conducteur nous accompagnent pour cette étape en cas de défaillance. Dans la pente raide une multitude de lampes frontales regroupées par dizaines matérialisent le sentier. Là plus de doute on se croit sur la voie normale du Mont Blanc ou des Écrins un jour d'affluence. High Camp est atteint au lever du jour, la neige fait son apparition au sol. Nous en foulons les premières plaques en faisant attention car elle est gelée et la pente, par endroits, assez raide. La température tombe. Le chemin remonte en biais une gigantesque moraine, bien plus immense que celles que l'on peut voir dans les Alpes.

Le jour se lève franchement, le soleil commence à allumer les pentes du Thorung Peak, moment merveilleux où l'on sent la montagne passer de l'hostilité à la clémence alors que le but n'est pas atteint, mais les derniers doutes s'estompent et la réussite semble acquise. Vers les 5000 mètres halte à la première cabane à thé, petit bâtiment rectangulaire fait de IMGP4952.JPGpierres, à l'intérieur duquel une foule compacte s'agglutine à la recherche d'un peu de chaleur et de liquide. Malgré l'altitude et le froid il s'en dégage une odeur peu agréable. Je préfère attendre dehors. Nous reprenons notre marche pour la dernière étape. La chaleur augmente avec la montée de l'astre du jour. Le chemin, empruntant des moraines caillouteuses à l'inclinaison capricieuse, est entièrement déneigé, alors que la partie opposée du vallon est couverte d'une couche blanche, uniforme. Le souffle se fait court, les derniers cent mètres parcourus avec lenteur dans l'effort procurent une joie immense à l'idée d'une réussite imminente. La luminosité est intense, avivée par la couleur claire des pierriers que nous remontons ainsi que par l'éclat des plaques de neige.

 

Le plus étonnant c'est le nombre de porteurs lourdement chargés, et d'après notre guide certains transportent des denrées d'une vallée à l'autre, le chemin doit être plus court en passant par là. Alors qu'avec nos petits sacs sur le dos nous peinons, les Népalais avancent à la même vitesse voire plus vite avec 50 ou 60 kilos sur le dos. Près de l'arrivée je marche avec un groupe de porteurs, l'un a trois sacs sur le dos le tout couronné de tout un matériel de cuisine, un autre porte une IMGP4959.JPGénorme charge jaune sur laquelle est posé un gros sac de farine qui pèse au moins dix kilos. Ils avancent complètement penchés en avant pour ne pas se faire déséquilibrer. Dans cette dernière étape, tous ont remplacé leurs tongs par des chaussures plus confortables.

Le col apparaît, vaste zone dégagée légèrement enneigée au confluent de deux immenses vallées. De part et d'autre nous dominent le Yakwakang, presque 6500 mètres et le Thorung Peak, 6144 mètres. Sur les pentes de ce dernier se distingue très nettement une trace de montée récente. L'itinéraire semble peu difficile et sans danger objectif, des pentes qui ne dépassent pas les quarante degrés.

 

A notre arrivée à la passe une foule joyeuse s'y presse. Là encore, la multitude de drapeaux de prières est la première chose qui attire le regard. La stèle de belles dimensions donnant l'altitude et vous félicitant d'avoir réussi cette ascension est littéralement noyée sous des épaisseurs de tissus multicolores. Chaque groupe sacrifie avec frénésie au rite de la photo IMGP4969.JPGau pied du monument matérialisant le col. Bien entendu, nous concernant, un drapeau basque est sorti, ce qui intrigue certains. Une Française me demande de quel pays nous venons.

 

L'air est calme, à huit heures le vent ne s'est pas encore levé. Nous stationnons un bon moment savourant notre plaisir, pour dix d'entre nous c'est un record d'altitude. La carte indique en toute modestie « World's biggest pass».

Puis arrive l'instant de quitter cet endroit vers lequel notre esprit était tendu depuis de nombreux jours. Une descente au dénivelé important nous attend. Ce soir nous dormirons à Muktinath à 3760 mètres. Ce qui frappe immédiatement sur ce versant, c'est l'aridité. En effet cette zone est moins touchée par la mousson, et plus au nord se situe le Mustang, qui n'est pas atteint par les pluies annuelles. Nous commençons par descendre d'immenses pierriers dans un vallon large et austère durant trois heures. Halte agréable à Chanbarbu à 4200 mètres où nous déjeunons.

 

Nous avons la joie de voir à nouveau les fameux blue sheeps. Quelques individus paissent tranquillement dans la pente caillouteuse en face de notre terrasse de restaurant. Une fois le chemin repris, nous croisons deux Basques, c'est l'exultation. Un peu avant d'arriver à Muktinath au détour d'une crête se dévoile le Dhaulagiri dans toute sa splendeur du haut de ses 8172 mètres. Cette apparition donne un coup de poing à l'estomac. Une gigantesque pyramide, un Cervin à la puissance 5, s'élève sur le versant opposé. L'impression est d'autant plus forte qu'il est seul, détaché de toute autre chaîne de montagnes. Au cours des quatre jours à venir, il nous accompagnera et nous aurons tout le loisir de le découvrir sur trois de ses faces.

 

Arrivée à Muktinath, notre guide nous conduit à trois temples, le premier aux 109 fontaines, le second avec flammes dans l'eau et en dernier la source de la Kali Gandaki. Le village est très différent de ceux traversés jusqu'à présent. Il s'étale sur une immense terrasse comme une grosse marche posée dans la pente. Avec l'altitude décroissante, les températures deviennent plus confortables.

 

La tombée de la nuit sur le Dhaulagiri est fascinante. Sa face nord-ouest semble surgir au-dessus des toits. A cette heure IMGP4978.JPGelle n'est plus éclairée, le soleil se situant à l'ouest. L'effet obtenu est étonnant. Une grande pyramide noire isolée se découpe sur le ciel bleu profond. Toute notion d'échelle s'estompe. On ne sait plus s'il s'agit d'un huit mille émergeant dans toute sa grandeur ou d'un terril juste posé derrière la dernière maison du village. Sommes-nous à Saint-Étienne ou dans l'Himalaya? Très forte impression, le regard reste accroché à ce spectacle jusqu'à ce que tout se dissolve dans l'obscurité.

L'hôtel Caravan est agréable, le repas du soir animé, chacun se libère définitivement de ses petites appréhensions concernant cette journée qui représentait le moment clef de notre voyage. Deux Suisses de Lausanne mangent avec nous et l'ambiance est joyeuse.

 

15/10/2008

 

Il est impératif de ne pas manquer le lever du soleil sur le Dhaulagiri. Le ciel est clair, un petit nuage se promène, l'air est frais et la grande pyramide surplombe le paysage. Elle est déjà éblouissante sans soleil. Au sommet, une pointe de lumière se pose et le grand spectacle commence. L'embrasement de la paroi progresse à vue d'œil, en quelques dix minutes toute la face sur ses milliers de mètres réfléchit les rayons de l'astre du jour. Instant magique je reste pétrifié comme hypnotisé. De tous les points du village cette montagne aux formes si parfaites est visible, comme si son esprit veillait sur le lieu.

 

Comme d'habitude départ matinal, à la différence des jours précédents nous descendons. A Jakot visite d'un dispensaire tenu par un Américain, mais cela ne soulève pas l'enthousiasme, cependant l'herboristerie est intéressante. La descente reprend dans un monde semi-désertique. Un petit cours d'eau traverse la piste, en effet les voitures, certes peu nombreuses, ont fait leur apparition. Un joli petit bosquet d'essences caduques aux feuilles multicolores nous rappelle que même dans ce désert l'automne est arrivé. De nombreux Népalais se dirigent vers la vallée. Un moine tient par la main un jeune garçon, une recrue qui rejoint son monastère et un nouveau mode de vie.

 

Au détour du chemin un promontoire, en contre-bas bien caché par la rupture de pente, le très joli village de Kagbeni. Il se trouve niché au confluent de trois vallées formant un Y. Le contraste est fort entre les cailloux gris de cette zone désertique IMGP5025.JPGet les multiples couleurs des champs qui colonisent les environs du village. Toujours de petits champs de céréales, de couleurs uniformes allant du vert au brun, se serrent les uns à côté des autres. Des vergers très reconnaissables à leurs arbres en boules sont regroupés et ne se mélangent pas avec le blé et le sarrasin.

 

Ce bourg appartenait il y a une centaine d'années au Tibet. Le Népal, après un conflit armé, l'a rattaché à son territoire ainsi que la région du Mustang. A Kagbeni se trouve le check-point d'entrée dans cette vallée. La taxe payée est versée au roi du Népal, depuis que les maoïstes ont pris le pouvoir et décidé de ne plus subventionner directement ce dernier. Comme quoi même les maoïstes népalais sont pacifiques. Dans tout autre pays, après un coup d'état de ce genre, au mieux le roi aurait eu la possibilité de s'enfuir et plus probablement il aurait été interné voire exécuté. Eh bien pas au Népal, un royaume lui a été attribué avec droit de perception de taxes pour assurer son train de vie.

 

Dans un petit hôtel restaurant nous prenons un thé, l'intérieur est joliment construit en bois, sur les étagères une multitude d'ustensiles de cuisine en différents métaux principalement cuivre et étain, le tout très propre. Visite dans les ruelles étroites, l'architecture est ancienne, aucun bâtiment de type lodge aux couleurs clinquantes. La sobriété ressort par IMGP5039.JPGl'absence de couleurs vives. Seule, lançant un éclat de lumière sur cet ensemble de ruelles ternes et sombres, la splendide face nord du Nilgiri, qui domine du haut de ses 7061 mètres.

 

Nous poursuivons notre marche le long de la Kali Gandaki, rivière mythique, aux eaux sombres, qui arrive du Mustang. La vallée est caillouteuse et poussiéreuse. Le vent se lève et souffle de face. L'itinéraire suit une immense plaine plate et monotone, le lit de galets que nous foulons se perd dans le lointain. Le serpent humain ondule sur des kilomètres au milieu des tourbillons soulevés par l'air. La piste longe des vergers à l'abandon, les murets se sont écroulés et les pierres les constituant se sont répandues sur le chemin. Il en ressort une impression de désolation. Sur la gauche, un large vallon minéral et asséché permet de jeter un dernier regard sur le Thorong La Peak, un petit pincement au cœur. Cette marche caillouteuse et ventée certains ne vont pas l'apprécier, pour ma part elle me plaît bien. En effet ces vastes espaces permettent de laisser vagabonder l'esprit et donnent peut-être un tout petit avant-goût des grands déserts d'Asie.

 

La ville de Jomsom n'étant plus très loin nous croisons des groupes de touristes fraîchement arrivés par avion par son aéroport. Un couple d'Américains, accompagné d'un guide et d'un porteur, la femme se semble pas convaincue par la beauté de ce tas de cailloux parcouru par des nuées de poussière. Un peu plus loin, un beau Népalais à la silhouette svelte porte le sac d'une rousse au visage pâle. Va-t-il l'emmener visiter les solitudes du Mustang? A tous ces groupes un petit salut est donné. Aux Népalais je ne déroge pas à la règle du Namasté, aux autres un bonjour en français. Les réactions sont diverses. Ceux qui répondent Hi ou morning, ceux qui disent bonjour avec un fort accent étranger et qui ajoutent «comment ça va» en souriant, et puis il y a ceux, heureusement peu nombreux, qui vous regardent avec un air réprobateur, leur yeux trahissant des pensée du genre: espèce de prétentieux de Français vous pourriez vous conformer à la règle traditionnelle du salut du pays ou au moins parler dans la seule langue internationale.

 

Deux cavaliers nous dépassent d'une chevauchée alerte. Les véhicules, voitures et motos sont de plus en plus fréquents. Les 4x4 sont lourdement chargés, de nombreuses personnes sur le toit. Il s'agit généralement de porteurs, leurs têtes dodelinent en synchronisation parfaite au gré des secousses occasionnées par les pierres de la piste. Des motos de temps à autre nous dépassent. Dans le vent nous ne les entendons pas toujours arriver et ne nous poussons pas à temps. Le chauffeur, sans impatience, se met au pas du marcheur, puis ce dernier se rend compte d'une présence et s'écarte, alors le motocycliste accélère.

 

Une immense passerelle enjambe la Kali Gandaki. A l'une de ses extrémités une vieille femme à l'abri relatif d'un muret expose quelques pommes à la vente. Arrivée à Jomsom, c'est vraiment le pays du vent, il y souffle avec force. Sur le pont nous conduisant au centre, les drapeaux de prières sont à l'horizontale.

Des chevaux sont à l'attache en pleine rue centrale, étroite et bien pavée. Un troupeau de yaks chargés passe. Tout ce beau monde se croise en se faufilant les uns entre les autres sans précipitation et sans se bousculer. Une fois le troupeau passé, je vois avec étonnement un chien profondément endormi au beau milieu des pavés. Manifestement il n'a pas bougé lors du passage des yaks, pourtant ils étaient nombreux et le passage réduit.

 

La ville de Josom, outre sa piste d'aviation, héberge l'école népalaise d'alpinisme militaire. Sur une grande falaise aux couleurs fauves il est écrit en lettres immenses à la peinture blanche de façon très inesthétique : welcome for climbing. IMGP5060.JPGNous déjeunons près du centre dans un restaurant envahi d'Occidentaux. Nous reprenons notre chemin venteux et poussiéreux. Le temps se fait plus menaçant et la vallée se resserre. Paysage austère, vent violent, ciel menaçant, on se sent au bout du monde. Enfin au pied d'une falaise apparaît Marpha, étape du jour. Entrée dans le village s'effectue par un magnifique shorten à porche. Ces constructions sont toujours flambant neuves, car repeintes plusieurs fois par an.

 

L'hôtel Dhaulagiri nous accueille, il est coquet et possède une jolie cour intérieure. Cependant, les chambres sont carcérales, surtout lorsqu'on y loge à trois. Les lits couvrent plus de la moitié de la surface de la pièce. Une unique minuscule fenêtre, qui donne sur un hall intérieur, rompt la monotonie des murs. Mais cela n'a pas beaucoup d'importance, ce n'est pas le confort que nous sommes venus chercher. Altitude 2670 mètres, les sensations d'étouffement ont complètement disparu. Le village est pittoresque, outre les très nombreuses boutiques, un monastère, que l'on atteint après un long escalier, domine. Le point de vue y est magnifique, d'une part sur la vallée, les toits des maisons et sur la falaise au pied de laquelle le village est construit.

 

16/10/2008

A six heures la population s'éveille. Les femmes s'activent et époussettent la devanture de leur échoppe. Geste que l'on retrouve dans tous les pays. On soulève la poussière afin qu'elle se dépose un peu plus loin. Le soleil se lève sur la pointe acérée du Nilgiri qui règne, à plus de 7000 mètres, sur ses pentes de rocs et de glace, hautes de plusieurs kilomètres.

 

Les trekkeurs sur cette portion sont moins nombreux, car pour nombre d'entre eux la randonnée s'est arrêtée à l'aéroport de Jomsom. Le désert cède la place à la forêt, et la vallée devient plus riante, abandonnant son austérité. La rivière semble perdue au milieu de son immense lit. A la période de la mousson elle recouvre toute la plaine. Le spectacle doit être de toute beauté.

 

La halte à midi a lieu à Kokhethani, sans surprise nous mangeons quelques légumes accompagnés de pâtes. De notre terrasse nous avons tout loisir de contempler l'immense versant est du Dhaulagiri, dont un impressionnant glacier occupe une large partie. C'est justement sur cet itinéraire que l'équipe de Maurice Herzog fit une tentative en 1950 avant de se tourner vers l'Annapurna. Dans son livre, il y consacre un long chapitre. Avec Lionel Terray et plusieurs sherpas ils ont remonté cette cascade de glace sur une distance importante. Les risques étaient énormes, du fait de l'instabilité des séracs. Les sherpas, qui découvraient l'escalade sur glace, ont montré des capacités d'adaptation étonnantes. Cependant il y eut quelques chutes, heureusement enrayées à temps. Sur cette cime se sont écrites de grandes pages de l'histoire de l'alpinisme en Himalaya. La première ascension de cette montagne fut accomplie 10 ans après que les Français menèrent IMGP5085.JPGcette première exploration. Depuis, plusieurs tentatives ont été couronnées de succès, mais le prix payé est élevé. Deux grandes catastrophes ont frappé des équipes américaine et japonaise. Pour la première, l'accident s'est produit sur l'immense arête est qui se développe sous nos yeux, sept alpinistes moururent, c'était en 1969. Il fallut attendre l'année 1970 pour que ce sommet soit foulé une seconde fois par l'homme. En 1975 un second drame se déroula sur l'arête sud-ouest, où cinq Japonais périrent. D'autres accidents ont eu pour décor ces lieux. Chantal Mauduit, très grande alpiniste française, y perdit la vie avec un sherpa dans une avalanche en mai 1998. Elle avait mis sa notoriété au service de l'association «Chantal Mauduit Namasté», qui venait en aide aux enfants Népalais. Mais pour terminer sur une note optimiste, l'homme cherchant toujours à aller plus loin dans l'exploit, la première ascension solitaire a été accomplie par un Slovène en 1999. Non, cette immense pyramide ne peut pas laisser insensible, tant d'hommes et de femmes, pris sous son charme, y ont laissé leur vie. Mais d'autres qui en sont revenus ont connu un bonheur immense dans cette réalisation.

 

Le regard se perd dans cette face gigantesque qui se développe sur près de 6000 mètres, en effet l'altitude à laquelle nous nous situons est de l'ordre de 2500 mètres et le sommet culmine à 8172 mètres. Cette région recèle les plus hauts dénivelés de la planète.

 

Il est temps de briser l'enchantement, de fuir le sortilège qui pèse sur l'endroit et de reprendre le chemin. Piste large sur laquelle les convois de mules sont nombreux. Les animaux sont chargés d'une multitude de ballots en tout genre et même des bouteilles de gaz. Des trains entiers de mules sont dédiés au transport des céréales ou des pommes à destination du Mustang. La charge normale est constituée de deux sacs de 22 kilogrammes. Ce mode de transport n'a pas fait disparaître IMGP5092.JPGles porteurs toujours nombreux. Nous en croisons quatre, marchant les uns derrière les autres avec très peu d'espacement, qui ont sur le dos un nombre invraisemblable de gros cartons empilés.

Nous traversons une immense cascade qui descend du Dhaulagiri, ses eaux puissantes explosent tout au long de la pente en gerbes d'écume éblouissante. Sur une passerelle, encombrement de mules, deux convois se croisent.

 

Au village de Lete apparaît pour la première fois au regard l'Annapurna du haut de ses 8056 mètres. Jusqu'à présent ses satellites, qui l'encadrent de près, nous le cachaient. Un peu après les dernières maisons, un glissement de terrain a emporté la route. Des travaux de réparation sont en cours, mais vu l'étendue des dégâts sur ces pentes raides et instables, l'accès restera interdit aux véhicules au moins plusieurs semaines. Nous arrivons à Ghasa et logeons à l'hôtel Florida. Un groupe d'Ukrainiens y arrive en même temps que nous. Nous aurons l'occasion de les voir à l'action sur la bière et le rhum, les femmes tiennent autant que les hommes. Petit tour dans le village avant le repas. La température est douce, l'altitude avoisine les 2000 mètres. Cette journée de marche nous a fait basculer définitivement des zones désertiques à la forêt IMGP5109.JPGluxuriante. De grands sapins ainsi que d'autres essences colonisent les immenses pans de montagne. Une cime très impressionnante, le Bharth Chuli ou Fang, voisin immédiat de l'Annapurna nous surplombe de ses 7647 mètres, cela fait plus de 5600 mètres au-dessus. Les pentes n'en finissent pas de se développer. Pas de doute, nous sommes dans la vallée la plus profonde du monde. Le sommet, dans la lumière déclinante, se perd dans les hauteurs, la pénombre a déjà envahi la vallée qu'il illumine encore tel un phare attirant le regard des alpinistes vers des altitudes lointaines.

 

17/10/2008

Après une nuit agréable (maintenant on les trouve facilement bonnes) la journée est marquée par la rencontre d'une multitude de convois de mules, aux chargements hétéroclites, presque une énumération à la Prévert : pommes, riz, sarrasin, ciment, bouteilles de gaz...La bête de tête a toujours un très joli licol aux couleurs vives, formé d'un bandeau qui enserre la tête sous les oreilles et d'un petit napperon qui descend entre les yeux.

 

Les cigales réapparaissent et leurs stridulations emplissent à nouveau l'espace. Les bananiers donnent une touche exotique. Les premiers bus font leur apparition bien qu'il ne s'agisse encore que d'une piste défoncée et boueuse par endroits. La Kali Gandaki aux eaux presque noires chargées de terre rejoint l'un de ses affluents, la Nilgit Khola aux eaux turquoises. Elle descend de la face nord de l'Annapurna. Le flot tumultueux et sombre a vite fait d'engloutir la belle Nilgit IMGP5121.JPGKhola. A regarder le lit profond de cette rivière on ne peut que se souvenir des souffrances endurées lors du retour de l'Annapurna par Herzog et Lachenal, ayant subi tous deux des gelures graves aux membres. Ils étaient incapables de marcher et les sherpas ont accompli de véritables prodiges pour les descendre dans ces escarpements, parfois à dos d'homme sur des terrains très raides, où la chute n'aurait pas pardonnée. Le calvaire dura de longues journées car à cette époque il n'y avait pas d'évacuation en hélicoptère.

 

Des écoliers croisés en chemin épluchent des mandarines en marchant, dont l'écorce diffuse une odeur très agréable. Nous arrivons vers les quinze heures à Tatopani et là nous attend une surprise, des eaux naturellement chaudes. Tous, nous nous précipitons vers ces bassins miraculeux. Le premier présente une eau plutôt glauque dans laquelle des corps indéterminés sont en suspension. Cela ne fait rien , il est trop bon de s'y immerger. Les Ukrainiens ont la même idée, et cela nous permettra de voir la belle Irina et ses compagnons s'adonner aux plaisirs de l'eau chaude.

 

Au-dessus du village l'immense pyramide effilée et sombre, car rocheuse, du Nilgiri South attire irrésistiblement le regard. IMGP5156.JPGLà encore le dénivelé est effarant : 6839-1190 donne 5649 !!! Chaque village semble posséder sa grande montagne.

 

18/10/2008

Frais et dispos, cette longue journée se présente sous les meilleurs augures. Ce sera tout simplement le plus fort dénivelé de ces 18 jours de marche, 1700 mètres et cela principalement le long de grandes marches. Les marches permettent de déniveler rapidement, mais la contrepartie n'est pas négligeable, on est en permanence en rupture d'élan car l'immense escalier est irrégulier dans toutes les dimensions, hauteur et largeur. Mais un bon rythme est rapidement pris par tous. Nous avons quitté la vallée de la Kali Gandaki, que l'on voit tout en bas enchâssée entre les flancs de ces deux géants de plus de 8000 que sont l'Annapurna et le Dhaulagiri.

 

Notre objectif de ce jour est le village de Ghorepani, point de départ de Poon Hill endroit réputé pour ses levers de soleil sur les grands sommets de la région. Le chemin en escalier fait par moments des S, qui permettent de surplomber l'itinéraire accompli. De toute évidence le serpent humain s'est reconstitué, nous sommes à la jonction de différents treks. Les cultures colonisent de nouveau les pentes. Riz, sarrasin et millet s'étalent sur des terrasses plus ou moins vastes. Les IMGP5174.JPGarbres sont magnifiques. Certains présentent un tronc étonnant, immense et rectiligne, au niveau du sol quatre mètres de circonférence et subitement vers les six sept mètres il enfle en massue et double pratiquement de diamètre. Le chemin traverse une forêt de rhododendrons géants, véritables arbres dont la hauteur atteint les quinze mètres.

Nous nous élevons dans ce décor riant où le vert domine, en arrière plan le Dhaulagiri émerge toujours plus majestueux au fur et à mesure de notre progression. En effet, du fait de la perspective, toutes les crêtes, autres que ce 8000, ont tendance à s'écraser, lui seul résistant à l'effet de la relativité dû à notre montée.

 

L'après-midi, le temps se couvre et la partie supérieure des montagnes disparaît. La fatigue commence à se faire sentir. Ghorepani est enfin atteint, étonnant ensemble de maisons toutes d'un bleu criard, blotti un pied d'un petit col. L'hôtel Kamala nous héberge. Il est d'aspect rustique et très mal insonorisé. Toute la nuit il y régnera un véritable vacarme, entre ceux qui se couchent très tard, ceux qui se lèvent très tôt et les allées et venues permanentes aux toilettes.

 

19/10/2008

Lever 5 heures, nous ne prenons pas le temps de petit-déjeuner, juste une légère collation. Pourquoi sommes-nous si pressés? Il s'agit de monter de 300 mètres de dénivelé pour aller assister au lever du jour à partir du fameux point de panorama, qui se dénomme Poon Hill. Début de marche de nuit, rapidement les ténèbres se déchirent. Mais ne va-t-on pas louper le début du spectacle? A cette idée le pas s'accélère automatiquement. A un moment, seul sur le chemin, je recherche même un raccourci, et ainsi je me retrouve dans une forêt de bambous très dense. Rage, erreur au mauvais moment. A l'estime je prends une direction d'interception du chemin et je fonce tête baissée. J'arrive à une petite arête de laquelle en contre-bas le chemin m'attend. Sagement je ne cherche plus à couper au plus court.

 

Notre guide avait tout bien prévu, nous sommes en position pour le lever du soleil et rien n'a commencé. Le nombre de IMGP5197.JPGspectateurs est de l'ordre de deux cents. La vue panoramique est époustouflante, trois 8000 mètres et plusieurs 7000 mètres. Le Dhaulagiri est touché le premier par les rayons solaires ensuite vient le tour de l'Annapurna et de ses satellites. Les appareils photos crépitent, des milliers de vues sont prises au cours d'une telle séance qui dure une petite heure. Ensuite le serpent humain déserte le lieu, tout content d'avoir eu une vue dégagée sur un site exceptionnel. Nous croisons quelques rhododendrons géants, qui paraît-il au printemps sont magnifiques, tels de grosses boules de fleurs.

 

Retour au village, petit déjeuner dans la bonne humeur puis nous quittons notre hôtel et le village de Ghorepani. Rapidement le petit col, qui se situe juste au-dessus des habitations, est atteint et nous basculons définitivement vers les basses plaines après un dernier coup d'œil au Dhaulagiri. Durant trois heures, par une interminable marche le long d'un escalier géant, nous plongeons dans la forêt luxuriante et les champs de céréales qui s'étagent sur les deux versants de la vallée. Les villages, épars, semblent comme isolés au milieu de cette marée verte qui essaie de les dévorer jusqu'en leur centre. La chaleur redevient forte. Arrivée à Tikhedhungga, altitude 1500, nous avons le sentiment d'être plongés dans un aquarium de verdure. Les flancs de montagne pentus montent très haut dans le ciel et restent couverts de végétation malgré la raideur du terrain et l'altitude, d'où cette impression, que nous éprouvons, d'être enserrés au milieu de gigantesques vagues vertes.

 

L'hôtelier nous accueille en français, langue qu'il maîtrise bien, il est volubile et gai. Il m'étonne franchement en me parlant des petites villes de l'agglomération lyonnaise comme Saint-Didier-au- Mont-D'or ou Caluire. Lorsqu'il me révèle qu'il a habité plusieurs mois dans la région je comprends la raison de sa connaissance des lieux.

L'hôtel est agréable, il possède de vastes terrasses à même la rue principale, desquelles le trafic se voit et s'entend , en particulier le raclement sur le pavé des sabots du flot incessant de mules, qui ne s'arrête qu'avec la nuit.

 

Une petite escapade va nous procurer une émotion très forte, alors que le ciel s'est totalement obscurci et que seule, ou presque, la voûte céleste donne un peu de clarté à cette vallée étroite. En effet en levant les yeux, les étoiles scintillent non seulement dans ce que nous croyons être le ciel, mais aussi dans les pentes, comme si certaines d'entre elles descendaient la nuit furtivement pour se reposer dans les champs. En y regardant de plus près, nous réalisons que des IMGP5218.JPGmaisons isolées, mais ayant l'électricité sont disséminées un peu partout dans les hauteurs. Ces habitations aux lumières ténues se confondent, à un léger jaune près, avec les astres. Il est nécessaire de faire un effort afin de percevoir la délimitation entre les étoiles et la lumière artificielle. Cela est d'autant plus difficile que la distribution des maisons est aléatoire et suit des lignes brisées en fonction des accidents du terrain et des effets de perspective. Dans une telle situation on reste un long moment à s'émerveiller des illusions de perception qui semblaient impensables tant qu'on ne les a pas expérimentées.

 

20/10/2008

Nous nous réveillons en sachant que c'est le dernier jour de marche, plutôt les derniers moments, car dans trois heures nous serons à la route et la suite se fera par car. Nous profitons donc de cette courte étape pour nous imprégner un peu plus de l'ambiance de cette expérience de 18 jours autour des Annapurna. Cela restera une belle aventure, même si le flot des touristes fut continu. La part de rêve n'a pas été altérée. Il suffisait de lever les yeux vers ces terres inaccessibles, et alors l'imagination et le souvenir des livres lus faisaient le reste. Bien que nous soyons tous épris de solitude, mes amis basques dans leurs montagnes aux recoins mystérieux peu parcourus et moi dans mes balades solitaires, la présence importante de nos congénères occidentaux ne nous a pas gênés. Outre la capacité à s'échapper par la pensée, la forte présence de notre guide, de ses adjoints et de nos porteurs, nous a conduit à une bonne imprégnation des lieux et des hommes de ce pays.

 

Une dernière passerelle, la montagne sacrée Fish Tail apparaît et au même moment la route, le village de Nayapul, c'est la IMGP5230.JPGfin. Nous attendons le bus. Au cours du trajet vers la ville de Pokhara, certains d'entre nous feront une expérience intéressante sur le toit du véhicule avec les porteurs. Dans la joie et l'inconscience collective à de nombreuses reprises, il faut se plaquer à la tôle, en se glissant entre les bagages, pour éviter branches d'arbres et fils électriques. A deux reprises je me fais gratter le dos par des branches basses. Ces plongeons et rampings nous arrachent ainsi qu'aux porteurs des rires prononcés. Manifestement les hommes sont bien partout les mêmes, ce sont toujours les petites et grosses bêtises qui les font rire, meilleur antidote à l'ennui.

Arrivée à Pokhara, nous descendons dans un bel hôtel, de bon standing et ironie du sort, ce sera le seul endroit où nous verrons des cafards et pas des petits, on pourrait croire des hannetons. Cette ville est un immense bazar pour Occidentaux et nous faisons chauffer la carte bleue en achetant bijoux de toutes sortes, tissus que l'on nous vend pour du cachemire, sans oublier les tapis de laine qui reprennent des scènes de chasse à la manière d'un bel iranien.

 

Le soir, repas agréable et à nouveau, la magie de la danse avec nos porteurs nous prend sous son charme. Ils se trémoussent comme des serpents et nous passons un moment fabuleux à essayer de les imiter.

 

21/10/2008

Trajet de retour vers Katmandou, la circulation est toujours aussi anarchique. Notre chauffeur semble avoir un radar, un peu à la manière d'un sondeur à poissons mais pour les voitures, car il dépasse sans visibilité et ça passe toujours, heureusement la vitesse n'est jamais excessive. Mais enfin, deux bus face à face, même à trente à l'heure, mieux vaut ne pas tester. La soirée se termine dans les locaux de Nepal Trek Ecology, où nous attend une surprise. En effet c'est l'anniversaire de deux d'entre nous et le directeur d'agence nous offre un gros gâteau. Le soir nous quittons nos amis népalais qui nous ont si gentiment et efficacement accompagnés, nous sommes tous un peu tristes.

 

Les quatre jours suivants nous retrouvons notre guide de la ville et visitons de nombreux sites dans et aux environs de la capitale. Nous nous étions dit que quatre jours en finale à Katmandou, ça allait être difficile à meubler, surtout après ce spectacle grandiose des Annapurna. Lors de notre arrivée, la première journée au cours des nombreuses visites effectuées nous pensions avoir vu l'essentiel. Eh bien non, cette agglomération et ses environs recèlent une multitude de trésors architecturaux qu'il est très intéressant de voir, l'ancienne capitale de Patan, le village newari de Bungamati,celui de Khokana d'allure moyenâgeuse. Les temples dédiés à toutes les divinités bouddhistes ou hindouistes sont légion, à Dakshinkali ou Pharping où se trouve la grotte de Rempoché. Dans cette vaste zone, de nombreux artisans travaillant toutes sortes de matériaux, laine, terre, bois ou métal présentent de beaux ouvrages. Et puis, il y a aussi cette atmosphère particulière au moment de la récolte du riz. Partout, les rues et places des villages sont envahies de bâches sur lesquelles des tas de grains de riz sèchent. Des femmes s'activent avec des tamis pour séparer le grain de l'ivraie. Il y a aussi ce magnifique musée sur le bouddhisme, aux statues remarquablement mises en valeur, tout particulièrement un Bouddha, dont on dirait que le métal a été poli durant des siècles. Mais je ne me lancerai pas dans une description précise de ces quatre jours de visite, car cela augmenterait ce texte, déjà fort long, de quelques pages supplémentaires. Juste pour terminer, le dernier dîner dans un restaurant typique, où en fin de repas les serveurs ont laissé tomber leurs assiettes et couverts, et avec une spontanéité incroyable, se sont mis à danser comme des serpents et, déjà expérimentés, nous avons tous suivi dans la sarabande.

 

Le 26 au soir, nous nous retrouvons à l'aéroport dans la longue queue des trekkeurs qui rentrent. Nous avons peine à imaginer que nous venons de passer presque un mois au Népal. L'avion décolle de nuit, donc pas de dernière image. Après un transfert à Doha, l'atterrissage a lieu à l'horaire prévu, 6h30 à Charles de Gaulle. Anecdote cocasse, nous sortons de l'avion avec des personnes vues au départ à l'aéroport un mois plus tôt, et que nous reverrons sur le trek. Elles habitent Millau, j'ai une grosse pensée pour le Causse Méjean, endroit sublime. Notre groupe éclate, chacun pressé de prendre son train pour rentrer à la maison dans l'attente de nouvelles aventures.