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28/11/2014

Lyon les Vosges à vélo en novembre

 

                Lyon Cornimont à vélo en novembre

 

Rouler à vélo en France, selon les saisons les sensations sont très différentes. L'été, outre une température clémente, les journées longues permettent de prendre son temps et de faire des détours, de s’arrêter pour profiter de paysages superbes qui se découvrent au fil du chemin. L'hiver la clémence du temps a généralement disparu, mais plus embêtant les jours sont dramatiquement courts, le brouillard menace et l'arrêt est impératif au plus tard à dix-sept heures.

 

J'avais déjà testé la balade à vélo en hiver, il y a déjà quelques années en effectuant une traversée des grosses bosses de Provence sur six jours et six cents kilomètres. J'ai donc une assez bonne idée de ce qui m'attend. Je compte réitérer , mais cette fois ce sera le Jura et non la Provence. Les conditions climatiques risquent d'y être plus rudes.

L'itinéraire précis me mènera de Lyon à Cornimont dans les Vosges, à proximité de la station de la Bresse. La distance est de 377 kilomètres avec à peu près 4000 mètres de dénivelé, que je vais parcourir en quatre jours.

Initialement le départ est prévu pour le cinq novembre, mais je retarde mon départ au lendemain pour raisons météorologiques. Cependant, les prévisions à quatre jours à partir du six ne sont pas folichonnes, mais je maintiens mon départ. En effet, prendre la pluie au mois de novembre dans le Jura , ce n'est pas vraiment une partie de plaisir. Je me dis que j'aurai toujours la possibilité de me rabattre sur la gare la plus proche et de terminer, certes de manière peu glorieuse, mon aventure par le train, ou appeler mon épouse qui viendra me chercher en voiture.

 

6 novembre 74 km Lyon Poncin

 

Le temps ce matin invite au départ en présentant un beau ciel bleu. Cette première journée sera sous le signe de la sécheresse. Je démarre à huit heures et je rejoins le bord du Rhône et je remonte la via Rhodania sur une vingtaine de kilomètres. Les eaux du fleuve, du canal de Jonage ainsi que celles du Grand Large ont une teinte bleue, froide et métallique bien représentatives des conditions austères d'un mois de novembre. Sur la piste pas grand monde. Je suis bien habillé. Le bout des pieds se refroidit vite à cause de l'humidité importante.

 

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Quelques kilomètres avant le confluent du Rhône et de l'Ain, je quitte le premier pour une petite route qui suit le second. Vers les onze heures je m'arrête dans le village de St-Maurice-de-Gourdans et fais quelques courses. J'en profite pour prendre un café dans un bistrot au charme discret et au plancher en bois sombre, où les habitués sont accoudés devant un petit blanc, un petit rouge ou une bière. Cela me rappelle une expérience vécue pas très loin d'ici il y a une dizaine d'années, alors que je remontais le Rhône à pied au mois de décembre. Je venais de passer la nuit dehors, au lever du jour j'avais vite plié ma tente, et dans un brouillard à couper au couteau j'avançais dans un village lugubre et mort. Sur le côté gauche, une lumière blafarde décelée à quelques mètres annonce un bistrot. Quelle chance, je n'avais pas mangé depuis la veille à midi. Je passe le pas de la porte et me retrouve dans un local bien chaud, où une population d'habitués se pressait dès sept heures du matin. Mon arrivée en décembre chargé de mon sac à dos, dans cette aube qui peinait à venir, laissa pour le moins les clients et la tenancière intrigués. Je me glisse furtivement dans ce lieu, ayant bien le sentiment d’être identifié comme le Père Noël en avance de quelques semaines, ou alors comme ET à la recherche d'un «téléphone maison». Comme quoi il n'y a pas besoin d'aller très loin de chez soi pour se retrouver dans un monde plein de surprises. En repensant à ces souvenirs déjà lointains, je savoure mon café en emmagasinant une douce chaleur.

Après une demi-heure je reprends mon chemin, et me retrouve rapidement au bord de l'Ain sur une minuscule route à la circulation inexistante. Cette rivière magnifique, sauvage et au débit rapide est un paradis de la pêche à la truite et à l'ombre. Je réalise que j'ai quitté Lyon par un itinéraire pratiquement sans avoir subi les dangers de la circulation automobile.

Vers midi le soleil chauffe à peine, mais les conditions pour rouler sont bonnes. Cependant la moindre transpiration procure une petite sensation de froid. Je préfère rouler par 45° dans un pays comme la Thaïlande ou dans le désert de l'Atacama en Amérique du Sud que par ces températures frisquettes dans un air saturé d'humidité.

Je vais devoir m'arrêter pour manger, et si possible dans un coin pas trop exposé au vent frais qui suit cette basse vallée de l'Ain. Je fais un détour par un minuscule hameau, et là le recoin d'un vieille bâtisse bien exposée au soleil et protégée du vent, m'offre un point d'arrêt très confortable.

Le retour sur le vélo me demande un effort. Mais c'est toujours ainsi le premier jour, lorsque l'entraînement fait défaut. Le voyage à vélo permet une montée en puissance progressivement après quelques jours, le rythme est pris et va être entretenu presque à l'infini. Malheureusement, dans le cas présent la brièveté du voyage la cadence n'aura pas vraiment le temps de s'installer que je serai arrivé.

La ville de Pont-d'-Ain apparaît. J'hésite à chercher un hôtel, mais il est trop tôt, aux environs des deux heures. Je continue donc ma route, et après quelques recherches dans le village de Neuville-sur-Ain, je trouve un joli hôtel juste en bordure de rivière. Hélas il est complet. Son propriétaire très sympathique me conseille d'aller à Poncin à quelques kilomètres.

Le village se situe un peu en dehors de la route. Par une ruelle en pente je débouche sur la place centrale et là effectivement il y a un hôtel. La patronne est assise à sa terrasse et immédiatement une chambre m'est proposée. Cette étape de 74 kilomètres, même si le dénivelé a été pratiquement nul, je la sens bien dans les jambes.

S'arrêter, au hasard de la fatigue ou la nuit, c'est le grand plaisir de la 'roulette russe' du voyage à vélo. Ne rien réserver, avoir le petit coup au cœur lorsqu'on vous annonce qu'il y a une chambre de libre ou non. Dans le premier cas on relâche la tension du cerveau en état de recherche, dans le second tous les sens encore en éveil on repart à la quête d'un toit. Dans des régions reculées de France, surtout en dehors de la période touristique, ce n'est pas toujours gagné d'avance. Il reste le dernier recours, la solution lourde, sortir la tente. En effet, je l'emporte systématiquement ou presque. Particulièrement à cette époque, coucher dehors est difficile, car la nuit s'étend de 17 heures à 7 heures le lendemain. Rester plus de dix heures dans un espace réduit n'est pas forcément une grande partie de plaisir. Par contre en été, une belle pelouse dans un camping communal confidentiel perdu au fond de la France profonde, comme j'en ai connu cet été au bord de la Saône, là on est au paradis. La tente dans ces conditions devient le meilleur abri pour le voyageur.

Après avoir déposé mes affaires dans ma chambre et remisé mon vélo dans un petit local, je pars à la découverte de ce joli petit village de Poncin. Dans le soleil couchant, une vieille maison à l'allure de manoir, peut-être hanté, offre à la lumière de l'astre du jour déclinant sur l'horizon sa façade couverte d'une vigne vierge rouge sombre.

 

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Je me dirige vers l'église, qui est ouverte. Généralement elles ne le sont pas même dans les petits villages, car les dégradations gratuites et les vols d'objets religieux sont devenus banals. Une belle vierge multi-chrome est l'attraction du lieu. Cette statue de la Vierge à l'enfant en majesté date du début du 14ème siècle.

 

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Le voyage en solitaire, que ce soit à pied ou à vélo se décompose en deux séquences journalières bien marquées, le déplacement et le repos après l'effort. Lorsqu'on avance tous les muscles en fonctionnement, on se retrouve face à soi-même à l'écoute de son corps, et l'esprit en éveil à la recherche permanente de l'itinéraire. La solitude dans ces conditions on s'y adapte facilement, on la rechercherait presque. Par contre une fois arrêté dans l'attente du départ du lendemain, pour ma part je me sens un peu seul et une présence me manque. L'idéal serait peut-être de pédaler seul la journée et se retrouver le soir.

 

Ces pensées me traversent la tête alors que je déambule le long des rues du village.Un affluent de l'Ain traverse le bourg, je vais regarder si une grosse truite se laisserait observer. À défaut de truite je tombe sur un chat pas farouche, qui cependant fait des simagrées avant de se laisser approcher et caresser. Juché du haut d'un mur, sur lequel il a sauté à pas mesurés, il me regarde d'un air hautain et tolère juste que je le gratte un peu.

 

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Après cette promenade vespérale je rejoins mon hôtel, qui fait restaurant. Une magnifique tranche de bœuf accompagnée d'un vin rouge du coin, une mondeuse bien noire me fait le plus grand bien après cette journée à pédaler.

7 novembre Poncin à Lons-le-Saunier 88 km 1100 m de dénivelé

Petit déjeuner sympathique au cours duquel l'hôtelier me narre des parties de pêche mémorables au détour des berges de l'Ain. Il me parle de truites énormes, guettées de longues journées, puis finalement attrapées. Pourquoi durant des jours elles dédaignent les vers des pêcheurs au toc, ou les insectes artificiels des pêcheurs à la mouche, et d'un coup se décident? Mystère!

À 8heures 20 je démarre et remonte la vallée de l'Ain. Il fait froid, la végétation a déjà perdu ses belles couleurs éclatantes d'automne, pour prendre des teintes plus ternes, qui font déjà penser à l'hiver.

J'ai froid aux pieds. La route est magnifique et la rivière très présente. La circulation en ce matin frisquet est quasi nulle. Oui la France permet de belles échappées à vélo loin des camions et des voitures.

 

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L'Ain par endroits offre des méandres pour le moins prononcés en forme d’Oméga. Après deux heures d'effort, un bar est bien tentant, seul isolé en bordure de route, surplombant la rivière. Non, je ne m'arrête pas. Le trajet jusqu'à Lons-le-Saunier est encore long, et le temps évolue à la pluie. De ce fait la nuit risque de me surprendre avant les 17 heures fatidiques.

Par un petit pont je passe rive droite et par une minuscule route je me dirige vers le barrage de Vouglans. Trois pêcheurs tentent leur chance au brochet. Je m'arrête et les interrogent. Chacun sa caste, ils me le font comprendre en me répondant d'un ton narquois et amusé, qu'ils pêchent des poissons. Mais devant ma curiosité non agressive, ils me réalisent que j'en connais aussi un rayon en la matière. Alors, enfin ils m'acceptent comme membre de leur tribu et la discussion devient intéressante.

Mais attention, le temps file, et les nuages deviennent toujours plus menaçants. Par une belle montée je double le barrage et je rejoins le village de Cernon qui le domine. Il est désert. Je ne mangerai pas au chaud, car aucun espoir de trouver un bistrot. Alors je choisis de m’arrêter au pied d'un calvaire afin de rapidement manger. J'en profite pour me changer, car le fond de l'air est frais. Je prends cependant le temps nécessaire pour mastiquer, car la précipitation dans ce domaine se paie toujours un peu plus tard par des aigreurs d'estomac.

Encore une agréable portion de route, serpentant entre bois et prairies, me conduit à la ville d'Orgelet. Je rejoins une route très passante. Je vais devoir la suivre durant une vingtaine de kilomètres pour arriver à Lons. L'humidité se renforce, prémices de pluie imminente. Vais-je y échapper? J'appuie au maximum sur les pédales, mais je suis enferré le long d'interminables faux plats qui font tomber ma moyenne à une vitesse ridicule.La course contre la pluie est engagée, mais le chronomètre joue contre moi. Effectivement les premières gouttes arrivent, elles deviennent de plus en plus grosses et serrées. Je finis par m’arrêter et je mets mon imperméable. Les sept derniers kilomètres je les parcours sous de véritables trombes. Mais l'énergie dégagée à me presser m'empêche de me refroidir. Une fois au centre de Lons je dégotte un hôtel au look intemporel, qui me fait penser à certains établissements que j'ai fréquentés au plus profond du Pérou ou de la Bolivie. La France reste très surprenante. Une chambre du bout du monde m'est proposée. Trois étages raides à escalader avec mes sacoches. Enfin me voilà sous la douche. Je ne me serais pas vu cette nuit aller dormir au coin d'un bois tout dégoulinant suite à l'abattée de cet après-midi.

Cette petite ville est charmante. Avec la nuit qui vient, les éclairages mettent en exergue les bâtiments. J'arpente la rue de Arcades. Elle est pavée, et me fait penser à ces villes des siècles derniers. J'en profite pour aller faire un repérage en vue du dîner. Je vais jeter mon dévolu sur une brasserie qui propose un succulent civet de sanglier . Bien évidemment je l'accompagnerai d'un bon vin rouge du Jura, un poulsard. Encore une fois je pars me coucher bien repu. Une fois dans ma chambre je cherche un bulletin météo sur BFMTV. Les dieux semblent être avec moi, demain grand beau temps, sans l'ombre d'un nuage toute la journée. Je m'endors d'un cœur léger.

 

8 novembre Lons-le-Saunier à Rioz 118 km 1400 m de dénivelé

 

Petit déjeuner au bar de l'hôtel. Nous sommes samedi matin. Je suis abordé par un fêtard sans doute encore bien imbibé, qui me voyant en cuissard se sent obligé de venir me parler vélo. Je n'arrive pas à m'en dépêtrer. La serveuse par derrière me fait des signes désespérés et des clins d’œil amusés, me voyant en situation agaçante.

Je commence par traverser la ville. Dans ce petit matin frisquet les rues sont désertes en ce jour du Seigneur. Rouler en ville dans ces conditions est agréable. Je prends la direction de Château-Chalon. Très rapidement je me retrouve au milieu des vignes. En ce milieu d'automne, les couleurs du vignoble, où le jaune domine, sont vives, et donne un contraste net en se découpant sur un ciel bleu. Les rayons du soleil encore bas mettent en valeur ce magnifique coin du Jura.

 

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La route strie un long flan de colline. Comme toujours dans ces conditions le miracle s’accomplit. Au fur et à mesure de la montée le panorama s'élargit toujours plus.Quelques virages serrés me donnent accès à cette petite ville perchée. Je m'arrête et me penche pour regarder des constructions qui s'accrochent au-dessus du vide dans des pentes raides.

Je reprends mon chemin par une route confidentielle, ignorée des véhicules à moteur, qui semble monter dans le ciel. En une dizaine de kilomètres elle mène à Poligny. De colline en colline je me déplace au milieu de grandes prairies, où de très nombreuses vaches manifestement bien nourries, me regardent passer placidement, mais avec curiosité. Leur gros yeux me suivent longuement alors que je défile très lentement, en me demandant quand ça va s'arrêter de monter. Mon bringueur imbibé de ce matin m'avait prédit des côtes rudes et longues. Manifestement il a une bonne bonne connaissance des lieux, et ses brumes alcooliques ne lui ont pas trop grippé les neurones.

Ma moyenne est ridiculement faible. Je me demande où je serai ce soir, en étant bien conscient qu'à 17 heures il me faudra m'arrêter. Enfin, je renoue avec le plat et rapidement la panorama s'étend, prémices de grande descente à venir. En effet, je me laisse entraîner dans un versant nord, humide et froid, plongé dans l'ombre. Autant foncer dans la descente enété est enthousiasmant, en novembre tout suant on prend vite froid et la peau du corps entier se rebelle.

Rapidement je rejoins Poligny. D'un coup en sortant de l'ombre le soleil reprend le dessus et la température monte nettement. Le centre ville est accueillant, un bar à la terrasse remplie. Incroyable, en quelques kilomètres je passe de l'hiver à l'été. Cependant, prudemment je vais m'asseoir bien au chaud derrière la baie vitrée, qui fait effet loupe. J'adore ces arrêts que je qualifie de confortables, à recharger les batteries avant le retour sur la route.

Il est 11 heures et je n'ai parcouru qu’une vingtaine de kilomètres, alors que j'en prévois plus de cent aujourd'hui.Je commence à me poser des questions. Mais l'expérience aidant je sais que tout est possible et que tout espoir n'est pas abandonné d'atteindre Rioz ce soir. Je me dis que si à la nuit tombée je me trouve en rase campagne, j'ai toujours la solution de monter ma tente, dans une pâture ou au coin d'un bois. Mais en cette fin d'année si je peux éviter cette solution 'extrême', je ne me fais pas prier.

Perdu dans mes pensées le temps file, mais je suis si bien sur ma banquette bien au chaud dans cette ambiance bon enfant d'un bistrot d'une petite ville le dimanche matin. Il me faut cependant m'y recoller. Afin de gagner du temps et de la distance, je prends la RN 83 sur une quinzaine de kilomètres jusqu'à Mouchard, en laissant Arbois sur la droite. Rouler sur des routes à grande circulation n'est généralement pas une partie de plaisir. En ce samedi matin la circulation est faible et de plus la bande latérale fournit une bonne sécurité au cycliste. Le réseau routier français, sans présenter les qualité de celui de l'Allemagne en matière de circulation des vélos, est cependant de bonne qualité pour les deux roues.

Arrivé à Marchand je renoue avec le réseau secondaire en prenant la direction de Saline royale, située en lisière de la forêt de Chaux. Cette dernière est traversée d'une belle piste cyclable de 12 kilomètres. Qu'il est agréable d'y pédaler par ce temps immobile. Au nord je rejoins le Doubs et la piste cyclable en suit la berge. Je serais bien laissé le long de cette rivière, mais mon chemin à partir de Saint-Vit prend une direction nord et la rivière continue à l'est.

 

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Il me reste 40 kilomètres à parcourir avant d'atteindre Rioz. La course contre la montre est lancée. Les aléas sont nombreux, un coup de fatigue, un vent adverse, une côte raide relativement longue et les prévisions sont bouleversées, alors que la nuit me guette inexorablement vers les 17 heures.

Cette dernière partie de mon trajet vers Rioz va se passer à bonne vitesse par de petites routes à travers champs et bois. Un peu avant les 17 heures fatidiques je rentre dans cette petite ville de Haute-Saône. Je trouve un au charme réel, installé dans une ancienne grande bâtisse à mi-chemin de la ferme et du château-fort. Mes 118 kilomètres je les ai faits. Je vais découvrir un plat local succulent: le poulet à la cancoillotte.

 

9 novembre Rioz à Cornimont 98 km 1400 m de dénivelé

L'hôtelier gentiment a décidé de se lever plus tôt pour me préparer un petit déjeuner.Ce matin le temps n'est pas particulièrement engageant. Cependant je reste optimiste, en effet hier soir en regardant le bulletin météorologique, j'ai constaté qu'à l'extrême bord nord-est de la carte de France, il y avait une petite lucarne plus claire. C'est justement par là que mon itinéraire passe. Donc j'ai bon espoir de passer entre les gouttes, alors que la France dans sa très grande partie va être sous la menace de gros nuages bien noirs.

En préparant mon vélo devant l'hôtel, il faut y croire au beau temp. Il fait froid et la pénombre est signe de couche nuageuse épaisse. Une petite bruine commence à tomber et je mets mon imperméable, mauvais présage. Mais quanq je regarde là-bas vers le nord-est, effectivement je constate que la petite lucarne plus claire est bien là. Je n'ai plus qu'à forcer sur les pédales pour prendre le mauvais temps de vitesse. En ce dimanche matin la D15, qui conduit à Villersexel, est triste sombre et déserte. La pluie claque sur mon ciré. Mais tout là-bas la tache claire dans le ciel s'élargit toujours plus. La pluie s'arrête, je retire mon imperméable. Après Montbozon j'emprunte de minuscules routes agricoles à travers champs. Le plaisir est grand de traverser en prenant le temps de contempler ces coins de la France profonde.

 

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Vers midi je fais une halte à Lure, puis je reprends ma route vers les Vosges. Différents villages que je connais bien défilent, Mélisay, Ternuay et d'autres. J'effectue une pause casse-croûte au borde de la belle petite rivière l'Ognon. J'essaie de voir quelques truites dans le courant. Mais à cette époque de l'année, où il n'y a pas beaucoup d'insectes volant au-dessus de l'eau à gober, elles restent bien cachées.

J'attaque la dernière partie de mon voyage, en partant à l'attaque des deux petits cols qui me séparent de mon but, le col des Croix et celui du Ménil.

 

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Au pied de ce dernier à) quelques 8 kilomètres de Cornimont un coup de fringale me stoppe. J'en profite pour terminer mes provisions, dont l'une partie je transporte depuis 300 kilomètres. Je n'ai plus qu'à me laisser glisser dans une pente modérée vers Cornimont, en longeant en finale la jolie petite rivière le Ventron tout en courbes.

17/04/2011

Le Grand Colombier et vélo-route du Rhône

Grand Colombier et vélo-route du Rhône

 

Un projet que nous avions prévu de longue date a trouvé sa réalisation au cours de trois jours du mois d’avril 2011. Le point principal de cette balade consistait en la montée du Grand Colombier à vélo, col mythique des cyclistes. D’ailleurs le mot col n’est pas à vraiment approprié, car la route passe pratiquement à la cime de cette montagne. Ce sommet d’altitude modeste, un peu plus de 1500 mètres, exactement 1501 pour le point le plus haut de la route, n’en est pas moins redoutable, car il s’élance d’un seul jet de plus de 1200 mètres au-dessus de la vallée du Rhône.  Le point de vue est franchement époustouflant, sur les Alpes, le Rhône  et le lac du Bourget qui se situe quelques kilomètres au sud.

Afin de pleinement profiter de notre petite aventure nous décidons à deux de partir de Crémieu, aller dormir au pied de notre objectif, puis dans un deuxième temps le gravir et au cours d’une troisième et dernière étape rentrer à Crémieu en suivant en partie la fameuse vélo-route du Rhône.

 

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Ce petit voyage de trois jours nous a permis de réaliser un cumulé de 221 kilomètres, les distances par étape étant les suivantes: 80, 54 et 87 kilomètres.

Le premier jour à travers une nature en plein éveil nous rejoignons par de jolies régions vallonnées le Bugey et nous engageons dans ses reliefs prononcés. Pas mal de côtes, mais de petites routes accueillantes dans une atmosphère printanière particulièrement agréable, nous permettent d’effectuer ces 80 premiers kilomètres avec beaucoup de plaisir.  Au sommet d’une côte apparaît en face  de nous l’objet de nos désirs. Masse imposante

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s’élevant au-dessus du Rhône, sur laquelle nous essayons de trouver le tracé de la route qui la sillonne en partant de Culoz. Mais nous sommes encore loin et ne discernons pas vraiment le chemin qui devrait nous conduire au sommet. Après avoir contourné la ville de Belley, nous sommes rapidement à Culoz. Cette étape est un peu plus longue que prévue et nous avons eu le vent de face tout du long, ce qui ajoute à la difficulté.  Pour ma part je n’avais pratiquement pas pédalé depuis plus de quatre mois et je ne suis pas mécontent d’arriver. Evelyne avait réservé deux places  au gîte communal. Nous nous rendons à l’office du tourisme, où nous recevons un accueil de premier plan. On nous remet une clef et après un dernier petit coup de collier sur une route particulièrement raide nous y voilà. Quelle n’est pas notre surprise une fois à l’intérieur, une petite chambre à quatre manifestement occupée, et un grand dortoir de 16 places dans un foutoir indescriptible, des sacs et des habits partout. Nous ne sommes pas en mesure d’identifier si certaines des couches sont disponibles.  En effet un groupe de parapentistes parisiens, a envahi les lieux.  Il ne nous faut pas longtemps pour tomber d’accord et partir à la recherche d’un autre lieu pour passer la nuit. De retour à l’office du tourisme, la dame toujours aussi serviable nous indique un hôtel à cinq kilomètres en bordure du Rhône. Nous y serons très bien logés, et il constituera notre base pour les deux jours à venir.

Le lendemain matin après une bonne nuit enfin nous partons à l’assaut de cette montagne impressionnante qui nous bouche tout l’horizon. Nous démarrons en suivant le Rhône sur quelques kilomètres en empruntant une piste peu confortable, qui me rappelle un peu les pistes d’Amérique du sud, cependant en meilleur état. En effet la grosse différence, là on peut s’arrêter de pédaler et le vélo continue sur sa lancée en ralentissant doucement. Sur les pistes du Pérou ou de Bolivie quand elles sont mauvaises, il faut en permanence forcer sur les pédales, sous peine d’un arrêt immédiat comme si le vélo était collé à la piste.

 

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De retour dans la petite ville de Culoz nous entamons la montée de dix huit kilomètres qui va nous conduire au col tant désiré. Le départ entre les maisons est particulièrement raide, ensuite l’inclinaison diminue, et la route fait de larges lacets sur un immense flanc de montagne. Le temps semble vouloir se mettre au beau. De grandes déchirures bleues apparaissent dans la couverture nuageuse, des rayons de soleil nous réchauffent par intermittence. Nous prenons rapidement de la hauteur et la ville apparait un peu comme si nous la survolions en avion. La montée en forêt est agréable à cette époque, où l’on voit que la nature évolue très vite. Partout le vert tendre des jeunes pousses domine. Nous sommes tranquilles, très peu de circulation.  Nous croisons un cycliste qui vient du sommet et qui en guise d’encouragements nous lance «  à la descente c’est plus facile ».

 

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Après une dizaine de kilomètres, la chaussée se redresse et maintient une inclinaison à quatorze pour cent sur trois kilomètres. Je trouve cette section très difficile et me traînant entre quatre et cinq à l’heure il me faut presque trois quart d’heure pour en arriver à bout. Cela me semble long, cette sensation étant accentuée par la vitesse quasiment nulle qui me demande cependant de gros efforts. Evelyne, elle ne semble pas souffrir. Elle me distance facilement, mais de loin en loin elle m'attend.

Cet obstacle passé de nouveau  la route affiche une pente plus humaine. Le temps se couvre à nouveau et la température baisse, le bout des doigts et des pieds nous pique. Enfin le col et ses 1501 mètres. Quelques plaques de neige sont présentes de part et d’autre de la route. Nous ne nous attardons pas et bien emmitouflés nous nous engageons dans la descente sur le versant est, réputé le plus difficile à la montée. Le topo annonce des passages à vingt deux pour cent. A la descente cela ne nous pose pas vraiment de problème, si ce n’est qu’il ne faut pas se laisser embarquer par des vitesses trop importantes sur une route étroite couverte par endroits de résidus de bois et sciure, laissés par les forestiers qui entretiennent la forêt.

Une fois au pied de la montagne nous mangeons notre casse-croûte dans un petit village près de la fontaine. Nous ne nous attardons pas car le vent, le froid et les nuages ne nous invitent pas à la contemplation. Rapidement nous rejoignons Culoz, notre point de départ. De la fontaine  à cette même fontaine de cette petite ville mon compteur affiche quarante trois kilomètres, dont un peu plus de dix huit de montée. Contents de notre effort nous entrons dans un café afin de nous réchauffer. Nous engageons la conversation avec des personnes du cru, qui nous parlent en particulier de la cueillette des champignons dans la région. Tout étonné j’apprends que la truffe y est relativement abondante  et qu’elle peut parfois y atteindre de belles tailles. J’apprends de même que les premières morilles ont poussé cette année.

Après un moment d’échange bien agréable nous rejoignons notre hôtel en bordure du fleuve. J’en profite pour discuter avec un pêcheur qui attrape quelques  belles perches en pêchant au ver. La journée aura été bien remplie et demain nous comptons rejoindre Crémieu en suivant en partie la vélo-route du Rhône. Notre dernière étape ne devrait pas être loin d’une centaine de kilomètres.

Ce soir comme la veille le dîner  est gargantuesque dans notre hôtel « les Palières », au demeurant fort sympathique.

Vendredi  matin, la nuit a été froide. Le beau temps se maintient mais le vent une fois de plus va nous être opposé toute la journée.  Nous allons avoir l’occasion de tester sur une soixantaine de kilomètres la vélo-route du Rhône. Les premiers kilomètres sont effectués sur une piste caillouteuse, mais rapidement une jolie route goudronnée, aménagée pour les cyclistes va nous permettre une progression très agréable, au vent de face et au froid près. Le plaisir n’en demeure pas moins intense. Pratiquement personne sur le bord

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du fleuve en ce matin. Furtivement un chercheur de morilles se glisse dans les bois le couteau à la main. Un couple d’un certain âge en tandem nous croise. Dans certaines sections la piste serpente à proximité immédiate de l’eau. Le vent froid donne une couleur bleue métallisée à l’eau qui frissonne en surface. Par endroits le fleuve s’étale sur de larges  zones, là où se trouvent des barrages. A plusieurs reprises nous passons de grands étangs voire des lacs contigus au Rhône. Bien que nous soyons en période de vacances, nous ne voyons vraiment personne, sans doute le froid est responsable de la désaffection momentanée des lieux. J’imagine qu’au milieu de l’été, en pleine canicule,  ces grands plans d’eau doivent s’animer d’une foule de baigneurs et d’adeptes des sports nautiques.

 

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Dans un village charmant, Bruyère,  possédant un remarquable four à pain, nous effectuons quelques emplettes pour le pique-nique. Une vieille dame nous aborde. Elle nous dit qu’à l’époque de sa jeunesse, elle était une grande pratiquante du vélo-tourisme. Avec son mari, elle chargeait les enfants sur le porte-bagages ou dans une remorque  et elle partait à la découverte de la France. C’est avec une grande nostalgie qu’elle nous regarde reprendre notre chemin.  Encore quelques passages magnifiques au milieu de véritables explosions de fleurs de toutes parts et nous arrivons à Grollet. Là des tables nous invitent à la halte de midi avec un beau soleil nous accordant ses faveurs.

 

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 Nous prenons notre temps, sentant que ce court périple de trois jours est trop rapidement proche de son terme.  Nous nous verrions bien continuer, par exemple poursuivre notre route en compagnie du Rhône jusqu’à  la mer Méditerranée, et puis partir rejoindre du côté de Montpellier le canal du Midi.  Il nous emmènerait jusqu’à Bordeaux. Mais ne rêvons pas trop, notre route va quitter le fleuve et nous conduire à Crémieu.

 

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Là, je laisserai Evelyne et rentrerai chez moi à Lyon. Ces trois jours passés auront été une parenthèse fort agréable, où contacts à la nature et efforts physiques se sont alliés à merveille pour notre plus grand bonheur. Mais nous savons qu’il ne s’agissait là que d’un prélude, car  au mois de mai nous partirons deux semaines à la découverte des Causses et des Cévennes, c'est-à-dire de grands espaces sauvages aux pentes multiples, qui nous apporteront à coup sûr dépaysement et plaisir de l’effort intense.

 

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26/05/2009

le long du rhône en hiver

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Rhône

 

Depuis longtemps l'envie de remonter le Rhône à partir de Lyon me trottait dans la tête. Cette envie m'a été en partie communiquée par le récit de Paul Morand remontant le fleuve sur l'un des tout premiers hydroglisseurs construits. Cela remonte aux années trente. Décidé, le départ est fixé au dimanche 15 janvier.

 

Neuf heures, beau temps en avant. Comme il est étrange de partir, pour ce que l'on considère comme un voyage, à pied de chez soi. J'ai lu le récit d'un pur et dur qui écrivait que le vrai voyageur à pied était celui qui partait et revenait à pied chez lui. A défaut d'être un vrai voyageur à pied, je vais peut-être au moins en être un demi, car le retour est prévu en train. Donc, après un bon kilomètre de trottoir je me retrouve au bord du canal de Jonage. Temps parfait, il fait vraiment très bon pour un mois de janvier. Rapidement, je tombe sur un groupe de pêcheurs , dont l'un vient de sortir une belle carpe d'une dizaine de kilos, nombreuses photos agrémentées de cris de joie et d'éclats de rire. Le rythme est bon, le terrain étant plat. Jour du Seigneur, je croise un bon nombre de promeneurs à pied et à vélo. Enfin, après une quinzaine de kilomètres ayant laissé derrière moi le Grand large, le canal prend fin et commence le Rhône.

 

Au début, tout va bien . Un petit chemin s'insinue entre un terrain de golf et le fleuve, qui à cet endroit est entouré de grandes zones marécageuses. Mais, assez brutalement , la jolie sente se transforme en piste boueuse très noire et très gluante. Je vais me déplacer sur ce terrain désagréable durant une à deux heures. A deux reprises je suis dépassé par des engins pétaradant jetant aux mille vents outre des paquets de décibels, des nuées de gouttes pour le moins salissantes. Ce petit calvaire va prendre fin au confluent de l'Ain.

 

Là, dans un village j'ai du mal à retrouver le bord du fleuve , ayant du l'abandonner pour impraticabilité. Un monsieur très gentiment m'explique, qu'en sautant deux barrières, une pâture et en traversant un petit bosquet, je devrais le retrouver. Me voilà de nouveau au bord de l'eau, mais le chemin est capricieux, et pour me maintenir au plus près, j'essaye de marcher sur les galets, le niveau du fleuve étant faible. Pas facile du tout, c'est instable et ça glisse. Après avoir joué les défricheurs de forêt vierge au niveau d'un petit ru, me voilà de nouveau sur la grand route. Le bruit des voitures est rarement absent, car les deux rives sont proches d'axes routiers passants. Il est 15 heures. Plus de trente kilomètres au podomètre, il est sans doute temps de trouver un point de chute pour la nuit.

 

Dimanche après-midi, seul un bistrot est ouvert. Manifestement c'est le bistrot de garde, vu le prix du coca. Mais enfin, en prime ,j'ai droit à une blague de Coluche, donc politiquement correcte. De plus le tôlier m'indique un petit hôtel dix kilomètres plus loin. Pas de problème, il est 16h, dans une heure et demie je devrais y être. J'emprunte un chemin assez éloigné du Rhône avec en toile de fond la centrale nucléaire du Bugey. Dans mon accoutrement je ne passe pas inaperçu. Un promeneur me dit que l'Himalaya c'est par là. Enfin, j'arrive au patelin, sur la petite place centrale un joli petit hôtel, quelle nuit en perspective après 40 bons kilomètres. Manque de chance, il est fermé le dimanche soir. Pas de panique, je m'adresse à une vieille dame, qui va probablement me tirer d'affaire. Pour commencer, elle me prend pour un SDF quémandant un euro pour se payer une chopine avant sa nuit à la belle étoile. Rassurée, elle ne m'apprendra rien de concret en perspective de la nuit qui avance à grands pas. Dans le village se trouve l'essentiel , une fontaine. Profitant des dernières clartés de cette journée d'hiver, je vais contempler l'église, qui est vraiment imposante, en particulier du fait de son immense clocher rectangulaire. A l'arrière de l'édifice un petit champ en pente à la base duquel un replat se dissimule dans l'obscurité grandissante.

 

IMGP1168.JPGDix minutes plus tard ma petite tente y est installée, et je suis allongé à l'intérieur pour la longue nuit de 14 heures. Un petit coup de téléphone, avec un portable on n'a jamais l'impression d'être seul. J'ai la flemme de me faire à manger. Les cloches sont particulièrement présentes, elles annoncent tous les quarts d'heure et de plus elles doublent tous les messages. A croire que les habitants sont sourds. Malgré ce raffut, pouf je dors.

 

Il est 6 h du matin, je me réveille. Il fait encore nuit. J'en profite pour lire. Il s'agit du livre d'Ella Maillart: Ti Puss. Elle compare son chat à une grosse chenille velue. Huit heures sonnent au clocher. Le jour ne va pas tarder, je plie tout. Que d'humidité, cependant camper en hiver a son charme. Trente minutes plus tard, sac bouclé je démarre. Plongée dans le brouillard du petit matin une enseigne terne au détour d'une rue sombre, un bistrot improbable. Un petit café ne me fera que du bien , cela va faire 24 h que je suis quasiment à la diète totale. Je rentre et là je reconnais le bistrot français. Lorsque je vivais à l'étranger ces ambiances me manquaient. Comme dit Ella Maillart, au fin fond de l'Inde elle reconnaît un Français et bien moi au fin fond de l' Ain , je suis sûr que mon bistrot est français et le premier coup d'œil me le confirme. La tôlière me prend aussi pour un martien, va-t-elle m'indiquer le chemin des étoiles? En tout cas, je n'arrive pas à déterminer si elle a gardé sa chemise de nuit, à moins qu'elle ne soit allée repêcher sa chemise de la semaine dernière dans la machine à laver en panne. Je suis méchant car elle est avenante et son café bon. La clientèle est française, je le confirme. Les uns sont au petit blanc et les experts déjà au gros rouge. Il faut reconnaître que dans cette région de viticulture les deux couleurs se tiennent bien , alors que l'appellation est peu connue.

 

8h30 , je quitte cet endroit bien sympathique. Le jour s'est levé, encore une fois le chemin refuse de me ramener au bord du fleuve. A vrai dire , il n'y a pas de chemin de halage et cela est logique, car le Rhône n'est pas navigable au nord de Lyon. Donc tout parallèle avec la Saône n'est pas possible. Je traverse de grandes zones de pâtures et de champs cultivés, puis j'arrive à proximité d'une grande propriété. Un chemin bordé d'immenses IMGP1170.JPGarbres majestueux contourne le corps principal des bâtiments. Il se dégage dans ce matin doux une atmosphère paisible qui donne un côté très agréable à la marche. Une fois de plus je suis acculé à prendre la route. Un village se dessine quelques kilomètres devant. Je vais bien trouver un petit restaurant . Le bourg est pittoresque et manifestement touristique, mais peut-être pas un lundi du mois de janvier. Un joli restaurant, à la carte alléchante, pas de doute ça m'a l'air superbe. Mais au fait c'est fermé. J'allais tomber dans la facilité. Bon le prochain village est dans un peu moins de dix kilomètres, avant treize heures trente j'y serai. La sortie du village offre une vue magnifique sur le fleuve, qui arbore de belles teintes bleu pastel dues au ciel et aux quelques nuages. Mais rapidement mon itinéraire emprunte un chemin de carrière duquel de vilains bosquets masquent l'eau qui court. Enfin sur l'autre rive, mon lieu escompté. Je traverse un pont duquel je vois une truite chasser de petits poissons. Je remonte la rue principale. Tout est fermé, tout absolument tout. Cela va finir par devenir l'aventure.

 

Je m'installe sur le quai et sors mon réchaud. Ma soupe mijote tranquillement. Au-dessus de moi un petit mur de 1,5 mètre. Des voix d'enfants me font lever les yeux. Quatre petites têtes blondes et moins blondes m'observent avec curiosité. La première question jaillit.

-Que faites-vous Monsieur?

-Je me promène.

-vous venez d'où?

-de Lyon

-à pied?

-oui

-vous mangez quoi?

-de la soupe

-bah!!! Elle est à quoi?

-à la poule

-pourquoi le sachet n'est pas écrit en français?

-parce que je l'ai acheté en Espagne

-pourquoi vous mangez pas un kébab?

Alors le plus déluré de la bande me demande:

-vous voyagez seul?

Je lui réponds par l'affirmative. Il me regarde et me lâche:

-ta chérie te manque pas?

Il n'en fallait pas plus pour que la petite meute soit parcourue d'un grand éclat de rire. Bien en évidence au milieu le premier de la classe ses lunettes droites sur son nez ouvre son rire sur ses dents en zigzag. Il me fait penser au petit orphelin dans les Choristes. La frénésie inhibant la timidité l'un d'eux me lance:

-Monsieur mets ta cagoule

-eh! les anciens on continue à discuter dans le calme et le respect!

-d'accord Monsieur, mais c'est lui qui fait toujours l'idiot

-et au fait vous n'êtes pas à l'école cet après-midi?

-ben non on a une petite grève de deux heures.

Je continue mon repas sous leur regard, puis une voix lointaine les interpelle et ils disparaissent comme ils étaient venus.

 

IMGP1171.JPGRepas terminé, je range tout, nettoie ma gamelle au fleuve et c'est reparti. Une fois de plus, il n'y a que le goudron qui veuille bien accueillir mes chaussures. Quelques kilomètres plus loin, une immense étendue formée par le barrage situé en aval. Je vais remonter cet espace sans grand intérêt. L'été de nombreuses embarcations doivent l'arpenter, mais aujourd'hui c'est le désert. Un mot échangé avec un retraité, en regrets de ne pas avoir été militaire d'active dans l'armée de l'air, me permet d'espérer trouver un petit hôtel au hameau suivant. En effet cela fait 70 km depuis que je suis parti de chez moi, et je n'ai rencontré qu'un bistrot ouvert à l'exclusion de tout autre commerce. Effectivement un petit hôtel au carrefour de deux routes passantes. J'entre, m'installe, commande une bière à la vieille dame en train d'éplucher des haricots verts. Je lui demande s'il est possible d'avoir une chambre pour la nuit. Manifestement elle n'en prend pas la responsabilité et appelle à l'aide. Une belle femme entre, à laquelle je réitère ma question. Elle me répond que l'établissement est complet et repart vaquer à ses occupations. Je passe donc du désert total à la foule la plus absolue, car la bâtisse semble contenir de nombreuses chambres et qui en apparence sont toutes occupées. Bon, tant pis! De dépit je commande une seconde bière. Mon interlocutrice réapparaît et au moment de payer me dit :

-j'ai bien une chambre qui n'est pas en état mais je veux bien vous la laisser, si vous voulez la voir et je vous la laisse pour 20 euros

-ce n'est pas la peine que je la voie, je la prends ou c'est ma tente au bord du Rhône

-ben non! On ne va pas vous laisser dormir dehors.

Lorsque enfin j'émets le désir de rejoindre ma chambre, elle m'accompagne et me laisse découvrir un ensemble superbe avec salle de bain et télévision. Manifestement, au début elle aussi m'avait pris pour un SDF, sans doute insolvable, à la recherche d'un toit pour la nuit. Heureusement elle a révisé son jugement. A sa décharge, on peut se demander ce que vient donc faire en hiver un marcheur au bord du Rhône. Du coup, j'aurai une superbe nuit, gîte et couvert pour une somme modique.

 

Le lendemain matin après une bonne nuit, frais et dispos je décide de couper directement à travers la montagne et de quitter le bord du fleuve qui est encadré d'un peu trop près par le bitume. Rapidement je m'élève et le panorama s'élargit. La vue d'ensemble sur le Rhône est superbe. Les coteaux du Bugey déploient de magnifiques petits vignobles. Une petite rivière très claire, je m'arrête à la recherche de quelques poissons , mais hélas rien. Au moment de repartir un homme manifestement plus très jeune me héle et me demande si j'étais en train d'essayer d'apercevoir quelques truites. «Exactement» je lui réponds. Et là, il me raconte sa jeunesse à traquer le salmonidé dans ce gros ruisseau, et il y a bien longtemps il en ramassait de beaux, mais actuellement la population a périclité en partie à cause des différents produits utilisés pour les cultures. Le chemin serpente le long de pentes escarpées. Je rejoins un GR , et comme toujours dans ces conditions je ne regarde plus la topographie des lieux et me perds dans un petite trace très sauvage qui plonge vers la vallée. De toute évidence mon chemin court le long de la crête quelques centaines de mètres plus haut. En restant à flanc , je devrais rejoindre un petit col par lequel il passe probablement. Je vais jouer les sangliers en suivant des empreintes d'animaux pour me retrouver enfin à ce petit col. Les marques rouges et blanches sont bien là.

 

Il est plus de trois heures de l'après-midi, et j'aimerais bien arriver à Belley avant la nuit. Trois petits mouvements de terrain boisés sont à franchir, et je préférerais ne pas me retrouver en forêt après la tombée de la nuit, car le brouillard tombe vite à cette période de l'année. Donc, mesure immédiate : accélérer le pas. Le sentier est raide, en roche calcaire et orienté au nord donc très humide. Cela ne traîne pas, je prends une grosse gamelle et manque passer par dessus bord. Plus de peur que de mal, je repars en assurant mieux mes pas. Quelques quatre kilomètres plus loin, j'arrive à l'entrée d'un vaste bois, que je dois traverser par une petite sente. Je baisse les yeux sur ma carte à la recherche du bon indice pour ne pas faire l'erreur fatale un peu avant l'obscurité. Comme c'est bizarre je n'y vois rien , où sont mes lunettes. Rapidement je réalise qu'elles sont restées sur le lieu de ma chute, il n'est cependant pas question de faire demi-tour. Dans le noir j'ai peu de chance de les retrouver. Mais pas de panique, depuis que j'ai lu les exploits de Loulou Boulaz avec Louis Lachenal, je fais comme elle et j'ai toujours plusieurs paires de rechange. La perte ne sera pas lourde, car lorsque je marche, je me contente d'une paire de loupes que j'achète trois euros sur le marché de Villeurbanne, réservant mes lunettes à la noble tâche de la lecture de livres et non de cartes. Après quelques petites incertitudes topographiques, à la tombée de la nuit je me trouve à l'entrée de la ville.

 

Rapidement au centre, je demande à une personne où se trouve un hôtel. Cette dernière me répond qu'elle est justement propriétaire de l'hôtel au coin de la rue. Tout est pour le mieux dans le meilleur des monde. Une fois mes affaires déposées dans la chambre et une petite douche prise , il est temps d'aller se restaurer. Je fais la connaissance de l'andouillette du Bugey, ma foi très bonne, et pourtant étant lyonnais , je suis un inconditionnel de la grosse bobosse, donc très exigeant en la matière. Je l'accompagne d'une Mondeuse du Bugey fort bonne, et moi qui croyais que ce cépage était spécifique de Savoie.

 

Après une bonne nuit, le temps du retour à Lyon est arrivé après cent six kilomètres en trois jours. Avant l 'arrivée du car ,qui me conduira à la gare la plus proche, je me promène un peu dans cette petite ville qui se réveille, et finalement je vais m'assoir à l'arrêt du bus . Alors arrive une grosse dame habillée en rose, qui me demande que le car l'attende si elle devait être en retard, car elle a quelques médicaments à acheter. Le bus arrive, je monte, mon gros bonbon rose n'est pas là. Pas d'affolement, il reste dix minutes. Le temps passe, départ dans trois minutes et elle n'est toujours pas en vue. Alors je signale le fait au chauffeur qui me répond qu'il n'a pas de latitude sur les horaires, car le train lui n'attendra pas. Enfin au bout de la rue, je la vois dans son habit de lumière qui essaie de courir. Tout est bien qui finit bien, à vrai dire cela ne fait que commencer .

 

Nous sommes cinq dans le bus, le chauffeur , la dame deux passagers et moi. Dès le départ, notre brave dame nous raconte ses tribulations médicales à grands renforts de gestes et de mimiques. Elle ne nous épargne rien et nous raconte par le menu comment le radiologue la retourne comme une omelette. «Vous comprenez» nous dit-elle « c'est que je n'ai plus dix-huit ans mais soixante quatorze » Elle y va avec tant d'entrain , que je finis par me demander si elle ne va pas nous faire un striptease. Mais non, et une fois que le registre des maladies multiples et diverses est clos, elle attaque les faits divers du matin. Et là, la grosse rigolade continue de plus belle. Elle interpelle le chauffeur:

-Vous vous rendez compte, hier un prisonnier en a mangé un autre qui était dans sa cellule

-Ben quoi ils leur donnent pas à manger en Amérique?

-Mais non, ce n'est pas de faim qu'il l'a mangé mais de haine.

A ce moment du dialogue, le chauffeur freine et s'arrête et les deux passagers descendent. Il est onze heures trente et comme notre grosse dame est polie , elle leur souhaite bon appétit. Je me retiens de leur demander s' ils n'ont pas un petit prisonnier à se mettre sous la dent. La gare est proche. Le retour vers Lyon se fait à faible allure, ce qui me permet de me remplir encore les yeux de nature avant de replonger dans l'affairement urbain. Une fois sur le quai de la gare de la Part Dieu, pour me remettre dans le tempo de la cité, je prends le temps de faire à pied les cinq kilomètres qui me conduiront chez moi.