daniele

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/12/2008

plages girondines

 

Un matin du mois de janvier 2006, je me lève en même temps que mon frère vers les six heures du matin. Son épouse, raffinement suprême, nous prépare un petit déjeuner confortable. Lui part au boulot et moi marcher deux jours sur le bord de l'océan.

 

Mon frère monte dans sa voiture un peu dubitatif quant à cette idée de remonter jusqu'à la pointe de Grave à pied en hiver, surtout qu'il gèle. Pierrette en nous regardant partir dans la nuit, lui en voiture et moi à pied, rigole, en effet cela fait plus de trente ans qu'elle me prend pour un fou, pas méchant mais fou quand même. Au bout du petit chemin il tourne à droite en direction de Bordeaux et moi je m'engage à gauche vers le centre du village du Porge.

 

Dès que le bruit du moteur de sa voiture décroît, le silence reprend rapidement tous ses droits. A cette heure matinale le froid mordant et la nuit noire règnent en maîtres. Pas un chat dehors! Au centre près de l'église, une petite route se dirige plein ouest droit sur la mer. Cet itinéraire, qui permet d'atteindre la plage du Porge en une dizaine de kilomètres, est à cette heure et à cette époque totalement désert. Route caractéristique de cette région, les pins m'encerclent et seul l'axe de la chaussée dessine une brêche dans ce mur végétal.

 

Ciel très clair, de nombreuses étoiles, pas de vent, cristaux de givre luisant sur l'asphalte, je me sens prodigieusement bien, tout à fait à ma place. Les conditions de marche sont idéales. Mon pas est alerte. Je marque une petite halte au niveau du pont qui enjambe le canal reliant le lac de Lacanau au Bassin d'Arcachon. L'eau est immobile, tel un miroir reflétant de façon diffuse la clarté hivernale du ciel. Pas un bruit, je prête l'oreille et n'entends pas le moindre bruissement en provenance de l'océan. Bien que le rivage se trouve encore à plus de cinq kilomètres, cela signifie que le calme règne sur la plage. En effet mon frère à bien plus de dix kilomètres donne avec une bonne précision la hauteur de la houle, bien sûr en hiver en l'absence de tout son parasite. M'arracher à la contemplation de ce ruban liquide noir sans une ride me demande un effort. Dans cette quiétude, des scrupules m'assaillent à l'idée de me remettre en marche, de peur de briser ce sortilège par le raclement de mes semelles. Cependant je réussis à rompre le charme et me mets en mouvement.

 

Rapidement après avoir dépassé les campings déserts, le parking devant la dune est atteint. Plus de dix kilomètres en moins d'une heure trente, c'est un bon début. Une véritable frénésie s'empare de moi, l'envie se fait pressante de passer cette barrière de sable qui m'empêche IMGP0396.JPGde voir la mer. Une fois surmonté le dernier pointement de la dune, l'immensité de l'océan, en se révélant d'un coup, produit invariablement la même émotion puissante. Le jour vient de se lever. Toujours la même curiosité quant au détail devant ce spectacle, quelle est la hauteur de la houle? Sans doute la déformation due aux séances de pêche.

 

Je dévale la pente et commence à peiner dans le sable en direction de la partie de la plage léchée par les vagues. En effet, sur cette bande mouillée toujours étroite à marée haute et souvent très large à marée basse, la progression est facile et particulièrement agréable, car le sol est ferme et la caresse des vagues omniprésente. Devant moi vers le nord la visibilité faible, du fait de l'humidité et du sable en suspension, me donne l'impression de me diriger vers nulle part. Je trouve à l'air un peu de cet aspect qu'il prend souvent en Afrique. La vue, qui ne porte pas très loin, est rapidement noyée dans un brouillard diffus de couleur brun clair. Il ne me reste plus qu'à remonter vers le nord sur soixante dix kilomètres avec pour seuls éléments le ciel le sable et l'eau. En effet à ma droite la dune masque la forêt. Cette absence de repère donne un caractère très étrange à la marche.

 

A vrai dire, les oiseaux sont les seuls jalons rendant un peu de matérialité à ces trois éléments sable, ciel et eau qui s'entremêlent sans laisser distinguer de limite bien nette entre eux. Des mouettes et des petits oiseaux dont j'ignore le nom peuplent la grève. Les premières sont en grandes bandes, qui au fur et à mesure que je m'approche, s'éloignent en petits vols et se reposent sur la plage un peu plus loin, IMGP0391.JPGm'accompagnant . Après une succession de quelques bonds de faible ampleur, voyant que l'intrus n'a pas l'intention de s'arrêter, par un large mouvement courbe, elles me survolent et viennent se positionner derrière moi. Quant aux petits oiseaux, ils s'affairent d'un pas court et rageur en se pressant juste au ras des vagues. Leur long bec fouille le sable en permanence à la frange des flots. Les contempler permet de constater que les ondulations de la mer au contact du rivage prennent des formes multiples. La grosse masse d'eau qui déferle d'un coup sur le sable, l'écume qui remonte plus ou moins lentement, la petite risée qui s'étale de manière imperceptible parfois sur une grande distance, et chacun de ces mouvements entraîne de la part de ces volatiles de faible taille une course plus ou moins longue, plus ou moins précipitée.

 

Après quelques kilomètres, je dirais presque malheureusement, dans le lointain la station balnéaire de Lacanau commence à se dessiner, faisant disparaître le côté irréel de cette randonnée, en me rendant des supports tangibles auxquels le regard peut s'accrocher. Cependant la ville grossit lentement, comme si elle avançait avec moi. Puis je distingue une personne au bord de l'eau.

 

Je rentre dans le bourg. Il est dix heures, déjà plus de vingt kilomètres. Je m'arrête boire un café dans le seul bar ouvert. Avec mon sac à dos je suscite de la curiosité par ce matin froid du début de janvier. Rapidement je réalise que le rythme a été rapide et de fait j'envisage d'aller jusqu'à Hourtin ce soir. Mais vais-je y trouver de l'eau? Ne pas se louper car l'eau de mer même pas la peine d'y mettre des pastilles d'épuration, elle ne se boit pas. Je prends trois litres supplémentaires et c'est reparti. A nouveau cette impression fascinante de se diriger vers le néant. Je me sens merveilleusement bien. Nous sommes vendredi, je pense à tous ces gens qui s'empilent dans les villes alors que j'ai le privilège de me trouver seul dans cette nature immense. La France est le plus beau pays du monde, de telles sensations pourquoi vouloir les chercher de l'autre côté de la planète, alors que si près on se sent tellement loin. La plus concrète impression de vie, c'est cette adaptation à la nature. Je suis comme le renard, l'après-midi est bien entamée et dans moins de deux heures il fera nuit, je sais que je vais rejoindre le couvert de la forêt et me coucher à même la mousse. Attendre sans anxiété la tombée de la nuit qui va entraîner une longue immobilité, et faire corps avec la nature, ce sont à mon sens les plus sublimes récompenses du promeneur solitaire.

 

Apparaît le village, je repasse la dune et marche les derniers kilomètres sur le chemin qui emprunte la vieille piste allemande du mur de l'Atlantique. Une fois parmi les maisons, je retourne sur la plage pour une dernière salutation à l'astre du jour, puis recherche sans trop y croire un bistrot. J'ai de la chance, je tombe sur une petite épicerie faisant débit de boissons. J'en profite pour boire un chocolat chaud et acheter une brique de soupe. Le patron me demande si je suis sur le chemin de Compostelle, car il y a une variante qui longe la côte girondine, le départ se situant en Hollande. D'ailleurs je me souviens avoir interrogé trois jeunes marcheurs, assis au pied de l'église du Porge. Ils venaient de Belgique et allaient à Saint-Jacques. Pour ma part je me rendais seulement à la boulangerie pour acheter du pain. Par solidarité envers les pèlerins, je leur ai offert à chacun un gros gâteau, qu'ils se sont empressés d'engloutir. Le chien voyant que je l'avais oublié me jeta un regard implorant, mais en réalité je n'avais pas osé l'inclure, sachant que le sucre lui ferait du mal. Donc, revenons à notre tenancier. Après quelques échanges, nous nous saluons.

 

Je sors de l'épicerie et me mets à la recherche d'un point de chute pour la nuit. Il ne va pas falloir traîner si je veux monter ma tente de jour. Juste à la sortie du village une petite bosse touffue, j'enjambe la craste en bordure de route et rejoins le sommet. Superbe, une petite surface plane et moussue enserrée entre les arbres me dévoile tous ses secrets. Je me souviens du conseil de mon frère, s'assurer de ne pas stationner sur les sentes de passage des sangliers, parce que lorsqu'ils déboulent, ils foncent, tente ou pas. Très vite je suis installé, la soupe chauffe, je me sens bien dans mon sac de couchage, le mot gemütlich me vient à l'esprit pour décrire la sensation que je ressens dans mon petit chez moi. J'ai emporté une méthode de grec et je m'en donne à cœur joie. Par moment au cours de la journée dans ma marche sans repère je déclamais de grandes phrases de mon petit livre afin de les mémoriser plus facilement. Une fois la soupe chaude, je l'engouffre en me brûlant. Normalement je devrais m'écrouler de sommeil, mais comme souvent lorsque l'effort a été important, plus de quarante cinq kilomètres, le repos tarde à venir. L'hiver les nuits dehors ne sont jamais très confortables, en particulier du fait de la condensation dans la toile de tente, tout particulièrement dans une forêt. Mais cela n'entame en rien ma joie et mon plaisir. Enfin je m'endors puis au jour naissant IMGP0400.JPGj'ouvre les yeux. Tout est calme, pas le moindre bruit émis par la civilisation. Je bois directement à la brique le reste de soupe, plie tout et repars parmi les pins. Je me trouve sur le chemin de Saint-Jacques en sens inverse. Mais son parcours, d'une part est pénible à cause du sable instable sous les pieds, et d'autre part il ne passe pas assez près de la grève à mon goût. Donc virage à gauche vers l'ouest et sus à la dune. Vite, vite le sommet, oui la mer est toujours là! Je dévale et cours vers l'eau. Aujourd'hui les vagues sont plus conséquentes. Que ce spectacle de l'océan désert est grandiose! La mer vide de bateau me rappelle l'Albanie. A nouveau le miracle se produit, je marche vers nulle part, que cette sensation est étrange et agréable! Je perds la notion des distances et du temps. La commune de Montalivet est à une vingtaine de kilomètres. Après trois heures de marche face au flou, à nouveau le regard se pose sur des repères et l'enchantement change de nature. La plage n'est pas uniforme en matière de déclivité. Par endroits elle est vraiment plate et l'eau se retire très loin. Je marche parmi une foison de petites mares et de petits bras d'eau , parfois il me faut sauter, je dois même enlever mes chaussures pour traverser une petite rivière au courant vif. La marée descendante découvre de larges portions de sable et je vais me perdre parmi les baïnes. Les multitudes de petites rigoles ont creusé le sable à la manière de grands canyons en miniature. Avec à peine un peu d'imagination, je me prends à l'idée d'être au hublot d'un avion survolant une région particulièrement érodée à perte de vue.

 

 

Vers midi je suis au village. Un bistrot est ouvert, une foule compacte s'y agglutine et joue au tiercé. L'ambiance est survoltée, j'aime le contraste, comme le sucré salé d'une bonne cuisine.Je me sens bien dans cette cohue d'anciens qui s'affairent sur leur bulletin dans la perspective de ramasser le pactole. Moi, mon pactole je le ramasse depuis hier à pleines jambes et à plein regard. Je reste un bon moment, toujours fasciné par cette frénésie joyeuse déclenchée par le jeu d'argent.

 

La localité suivante, Soulac, se trouve à une quinzaine de kilomètres. La fatigue commence à se faire sentir. La côte change de configuration. Elle n'est plus rectiligne mais s'incurve en mouvements amples. Le sable est parsemé de gros blocs compacts et sombres. La dune semble s'élever. Je décide de la rejoindre afin de profiter d'une perspective différente. J'emprunte un petit chemin qui enchaîne montées et descentes interminablement. Le sable fin et sec rend la marche pénible, tout particulièrement lors des montées. Brutalement je bute sur un parking. L'entrée en ville se fait par une longue allée rectiligne. Arrivé au centre, je me pose la question , vais-je à l'hôtel? Le premier sur mon chemin est fermé. En face se trouve la gare. Il est quinze heures, pas de train avant demain matin, c'est le Far West. Je prends froid, la fatigue aidant je sors mon portable et appelle Sainte Pierrette qui, une grosse heure après, apparaît toute souriante et m'emporte dans sa belle voiture bien chauffée. L'atlantique en Gironde j'adore!

 

PS: Je ne suis pas allé jusqu'à la Pointe de Grave. En effet bien souvent je m'arrête avant la fin de ce que je prévois, car ce goût d'inachevé m'évite la douleur du rêve qui disparaît avec le dernier pas. Par exemple lorsque j'ai traversé les Pyrénées, au départ m'étant trempé dans la Méditerranée, je me suis arrêté à dix kilomètres de l'Océan, car là un grand rêve prenait fin et la tristesse m'envahissait. Je me souviens de ma petite enfance, lorsque je fréquentais assidûment les Alpes avec mon père, je contemplais nombre de belles parois. Celle qui me fascinait le plus était la splendide et très esthétique face sud de la Meije, qui jaillit sur huit cent mètres. Puis un jour, à vingt deux ans, j'en ai caressé le rocher fauve. Cette montagne qui avait bercé tous les rêves les plus fous de mon enfance, qui représentait la consécration de l'alpiniste, je venais d'en faire l'escalade. Assis au sommet, après quelques secondes d'exaltation, un sentiment de tristesse m'avait saisi. Que restait-il de mon beau rêve maintenant qu'il était devenu réalité?

 

Je pense souvent à la citation de Saint-Exupéry que je cite hélas avec approximation: seule compte la démarche, car c'est elle qui dure et non le but qui n'est qu'illusion du voyageur qui va de crête en crête pensant que l'objectif seul est important.