08/01/2015
Mon premier livre "quelques récits d'un touche-à-tout" Editions Persée
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-2013- 394 pages – www.editions-persee.fr
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18/09/2013
Randonnée au refuge de Leschaux
Une nuit au refuge de Leschaux
La France encore la France, paradis sur terre, certains diraient que cela serait d’autant plus vrai sans les Français, qui passent leur temps à râler. Bon certes, mais ce n’est pas des Français que je veux vous parler, mais de ma dernière randonnée dans cet endroit mythique qu’est la mer de Glace à Chamonix. On a toujours une certaine appréhension, de peur de la foule, à aller dans cette ville de montagne qui passe pour la plus réputée du monde avec ses voies d’alpinisme fabuleuses dans les Drus, les Grandes Jorasses et le long de bien d’autres sommets. Eh bien en ce week-end du 6 septembre 2013, il n’y a pas grand monde, bien au contraire. Cela est sans doute dû à la conjonction de plusieurs facteurs : crise, période hors vacances et météorologie pour le moins incertaine.
Nous sommes cinq, Emmanuelle, Kinga, Didier, Robert et Luc. Nous nous donnons rendez-vous au gîte le Chamoniard volant, lieu agréable, situé à proximité du train à crémaillère du Montenvers. Je viens toujours avec beaucoup d’émotion dans cette ville qui a été et qui reste au cœur du développement de l’alpinisme au cours de son évolution. Le petit train en une demi-heure nous dépose à la station du Montenvers. Cela fait 6 ou 7 ans que je n’y suis pas venu. Le temps ce matin est acceptable, mais la pluie est prévue dans l’après-midi. Il ne nous faut donc pas chômer pour atteindre le refuge avant la dégradation.
Bien que nous voulions partir rapidement, le spectacle de la mer de Glace à nos pieds et de tous ces pics acérés qui nous écrasent, nous cloue un bon moment, le regard perdu dans ce monde minéral. Au-dessus de nous de l’autre côté de la mer de Glace, la plus étonnante des aiguilles, les Drus, se perd dans les nuages qui commencent imperceptiblement à se former. On a du mal à prendre la mesure de la dimension de cette face qui nous domine. Je pose la question à deux des cinq personnes de notre groupe. L’une me répond 250 mètres et la seconde 400. La réponse est un kilomètre. Cette erreur de perception révèle tout le gigantisme du décor. Cette vision me replonge de nombreuses années en arrière, en 1985 si ma mémoire est bonne. J’étais parti grimper la fameuse voie « directe américaine ». J’en garde un souvenir très présent. J’ai l’impression que cela remonte à quelques jours ou au plus quelques mois, tellement les images de cette fabuleuse face et les sensations ressenties dans ce mur titanesque sont restées gravées dans mon corps et ma mémoire.
La mer de Glace est une attraction mondialement connue et courue. Lorsque je débarque du train, je suis frappé par la manière dont ce fleuve de glace s'enfonce de plus en plus dans ses moraines de cailloux, à cause d’une fonte qui a tendance à s’accélérer. Un glaciologue rencontré sur place nous explique que le niveau de glace diminue de deux mètres par an, et que l’épaisseur n’est plus que de 125 mètres. Pas besoin d’être un grand mathématicien pour arriver à la terrible conclusion, que dans une soixantaine d’années la mer de Glace ne sera plus qu’un souvenir appartenant à l’histoire de l’alpinisme.
Nous devons nous extirper au spectacle féerique et aux pensées qui nous assaillent, afin de nous mettre en route. Tout d’abord, un large chemin nous permet de descendre de quelques dizaines de mètres de dénivelé. Nous passons devant un panneau indiquant la présence de la glace à ce niveau en 1820. Effarant, de cet endroit nous contemplons les amples courbes du glacier au moins 250 mètres plus bas ! Le sentier se termine au sommet de la première de la longue série d’échelles qui donnent accès au glacier. Nous nous encordons bien que la descente ne présente aucun caractère de difficulté. Cependant il est toujours impressionnant de se retrouver, comme de minuscules fourmis accroché à des barreaux métalliques, le long d’immenses dalles polies au cours des millénaires par l’écoulement du glacier. La dernière échelle permet de prendre pied sur un cône de pierres croulantes posées sur une énorme pyramide de glace d’une centaine de mètres de hauteur.
Rapidement nous descendons, en suivant des traces dans cet empilement de pierres morainiques et nous atteignons le glacier. La marche commence par un court raidillon, permettant d’atteindre le milieu de la mer de Glace et son immensité presque plate. Au début la progression se fait pratiquement sur un tapis de pierres recouvrant la glace. Puis progressivement cette dernière se fait de plus en plus présente et la couche de cailloux cède du terrain, pour finalement se réduire à un saupoudrage marquant la glace de points noirs de tous calibres. Bien que la pente soit faible, pour le confort de la progression les crampons sont les bienvenus. Les pointes de métal s’enfoncent avec un bruit mat dans la glace tendre et permettent de garder un bon équilibre sur cette matière redoutablement glissante. La surface du glacier est parcourue de nombreuses rigoles le long desquelles l’eau s’écoule, preuve évidente de la fonte. Elles se rejoignent pour constituer de véritables rivières, qui creusent d’autant plus la glace, que leur débit est important. Elles s’enfoncent dans de profonds canyons, qui se révèlent des obstacles dangereux à franchir. Effectivement, malheur à celui ou celle qui y tombe, car le courant et la surface de glace ne laissent aucune chance de pouvoir se rétablir. Ces cours d’eau convergent vers d’immenses gouffres, souvent circulaires, appelés moulins qui s’enfoncent sous la surface du glacier. Cependant de loin en loin, des points faibles de ces gorges permettent un franchissant relativement aisé. En dernier recours il est toujours possible de s’encorder si l’on ne se sent pas capable d’un grand saut ou d’un déplacement sur une pente de glace raide.
Nous arrivons au confluent de la mer de Glace et du glacier de Leschaux. Nous devons le remonter. La jonction de ces deux fleuves génère des frictions et des pressions titanesques. Elles créent un chaos incroyable de glace et de rochers, dans lequel il n’est pas évident de trouver le cheminement le plus aisé. L’expression traditionnelle « chercher une aiguille dans une botte de foin » s’applique bien à notre situation. Où peut bien se situer le meilleur chemin ?
Instinctivement nous rejoignons la moraine rive droite et nous remontons péniblement après avoir enlevé les crampons d’immenses pierriers aux énormes blocs. La progression nécessite de sauter de l’un à l’autre sans perdre l’équilibre, ce qui occasionnerait une mauvaise chute, avec dans le meilleur des cas quelques égratignures et dans le pire une bonne entorse ou un poignet cassé. Nous finissons par reprendre pied sur la glace et nous apercevons le refuge, but de notre randonnée, à deux kilomètres accroché au milieu d’une paroi rocheuse. Là-bas aussi l’épaisseur de glace a fortement diminué et une série d’échelles sur plus de cent mètres de dénivelé a été mise en place au fur et à mesure de la fonte, afin que le refuge reste accessible sans recourir à la pratique de l’alpinisme.
Plus nous avançons, plus le gigantisme de la face nord des Grandes Jorasses se révèle. Hélas, elle disparaît en partie dans la masse nuageuse qui se fait de plus en plus menaçante. Par contre nous distinguons dans sa globalité la face ouest des Petites Jorasses, magnifique dalle au rocher excellent qui s’élance d’un jet sur 800 mètres de hauteur. Dans sa moitié supérieure elle est recouverte d’une fine couche de neige. Il ne doit pas faire bon en ce moment de se trouver engagé dans cette escalade très réputée.
Encore une dernière rivière sur la glace traversée sans difficulté et nous abordons la moraine qui donne accès aux échelles au pied du refuge. Sur le bord de ces glaciers, les changements sont si rapides d’année en année, du fait de la fonte de la glace, qu’il n’existe pas de trace. Il faut se déplacer par bonds successifs dans un amoncellement de blocs instables, afin de rejoindre une pente de terre boueuse, dans laquelle les chaussures font de belles encoches. Nous atteignons une grosse corde, permettant de passer une partie verticale et croulante, et qui donne accès aux échelles. Nous les remontons sur une centaine de mètres. Ensuite un chemin aérien nous conduit en quelques centaines de mètres au pied du refuge, défendu par une dernière échelle.
Nous sommes accueillis par la gardienne, qui nous souhaite tout sourire la bienvenue. Nous arrivons juste au moment où la pluie se met de la partie. Dans le fond du glacier de Leschaux nous distinguons le départ de la fameuse voie du Linceul, seul le début de cette très raide pente de glace est visible. Le reste de la voie reste noyé dans un épais manteau nuageux. Ce refuge a été le point de départ pour de nombreux alpinistes qui se sont attaqués aux différentes escalades de cette face nord des Grandes Jorasses, l’une des plus célèbres au monde. Dans cette paroi la voie reine, et non la plus dure est l’éperon de la Walker, dont la première ascension a été réalisée par Cassin, alpiniste italien très réputé. Cet exploit s’est déroulé en 1935. Depuis les alpinistes du monde entier viennent se mesurer aux 1200 mètres de protogine de cette face nord, qui peut par mauvais temps se montrer plus que redoutable, même pour les meilleurs.
La soirée sera agréable, nous sommes sept, c'est-à-dire seulement deux personnes en plus de notre groupe de cinq. Cette année n’a pas été très propice à la fréquentation de ce refuge du bout du monde. En effet, les conditions météorologiques défavorables n’ont pas permis que les conditions d’escalade soient bonnes, et les prétendants ne se sont pas bousculés. La fameuse Walker n’a été parcourue que deux fois, la première par trois aspirants guides et la seconde par quatre Coréens, qui ont mis le siège durant quatre jours dans cette paroi austère et enneigée.
Être gardienne d’un tel refuge est un vrai sacerdoce. Dans la saison, qui va se finir dans quelques jours elle aura vu à peine trois cents passages en quelques trois mois. Certaines périodes, durant une longue semaine elle s’est retrouvée isolée, pour seule présence la verticalité minérale. Les seuls êtres humains qu’elle distinguait, à peine gros comme des fourmis, dans le bas du glacier de Leschaux, se dirigeaient vers le Couvercle, nettement plus fréquenté. Ce métier dans un petit refuge, celui-ci ayant 19 places s’apparente presque à un retrait volontaire de la vie en communauté. La contemplation de ces parois sombres durant trois mois vous marque très certainement.
Je me souviens d’un jeune alpiniste rencontré en ce lieu il y a bientôt trente ans. Il a traversé la vie comme une météorite, en en suivant la trajectoire, ce qui l’a conduit à aller se fracasser après une chute. Ce soir-là, nous étions sur la terrasse du refuge, il était déjà tard. Nous distinguons une personne au bas du glacier qui se déplace à vive allure. Il s’agissait de notre jeune alpiniste. Il ne lui fallut pas longtemps pour atteindre le refuge. Il posa son sac et nous avons engagé la conversation. Il était parti vers les 15 heures du Fayet à vélo. Arrivé à la gare du train du Montenvers, il loupa de justesse la dernière rame. Il ne se découragea pas et partit à pied. Le voilà donc parmi nous. Il nous raconta une multitude de récits au sujet de ses escalades extrêmes dans des conditions ahurissantes. Vers 11 heures nous avons pris congé car nous nous levions à 2 heures du matin pour aller à la face ouest des Petites Jorasses. Lui nous dit simplement : je pars pour le Linceul. Sans plus attendre après cette pose sur la terrasse du refuge il se mit en route. Lorsque nous nous sommes levés, dans la nuit profonde nous avons distingué très nettement sa lampe frontale accrochée au tiers inférieur de cette redoutable pente de glace, parcourue pour la première fois par René Desmaison, une dizaine d’années auparavant.
Tous les grands alpinistes sont venus se confronter aux Grandes Jorasses, et ceux qui ont relaté par écrit leurs exploits, ont parlé de ce refuge. Parmi ceux-ci je n’en citerai que trois parmi les plus célèbres, qui m’ont fait rêver depuis mon plus jeune âge, Lionel Terray, Gaston Rebuffat et Louis Lachenal. Ce dernier, vainqueur du premier 8000 grimpé par un homme, l’Annapurna, était considéré par beaucoup de ses pairs, comme l’alpiniste le plus doué de sa génération. Il s’est tué bêtement en tombant dans une crevasse de la vallée blanche, lors d’une descente à ski. Son livre « les carnets du vertige » est une ode héroïque à l’alpinisme extrême, qui m’a fait vibrer à chaque ligne, tellement il a su exprimer sa passion et son génie de montagnard.
Les conditions météorologiques ne sont pas bonnes. Il nous faut nous préparer demain à un retour sous la pluie. Nous essayerons de suivre un cheminement plus aisé, en restant plus sur les glaciers, qu’il s’agisse de celui de Leschaux puis de la mer de Glace. En effet, à la montée à plusieurs reprises nous avons progressé sur d’immenses moraines, entassement d’énormes blocs, rendant la marche lente et pénible. La gardienne nous montre l’itinéraire le plus pratique, en particulier le passage le moins évident, la jonction des deux glaciers.
Après une bonne nuit, report du lever, car une pluie continue martèle le toit métallique de notre abri. Mais la gardienne à 6heures 30, nous informe qu’une amélioration temporaire est annoncée jusqu’à midi, puis à nouveau des pluies fortes sont attendues. Il n’en faut pas plus pour nous décider à un départ rapide malgré les gouttes qui jouent du tambour sur la tôle. Petit-déjeuner vite pris, dans une atmosphère lugubre et sous la pluie nous entamons la première partie, la plus raide de notre itinéraire vers le Montenvers. Les échelles sous la pluie ne sont pas trop glissantes et de plus l’accalmie attendue se présente une fois sur la moraine.
Donc nous entamons la descente du premier glacier dans de bonnes conditions. Nous atteignons le point de jonction, on peut dire de friction des deux glaciers. En effet, lorsqu’ils se rencontrent, la rive droite de la mer de Glace et la rive gauche du glacier de Leschaux génèrent des pressions titanesques, qui lèvent en deux vagues successives d’immenses chaos de pierres instables, qu’il faut franchir un peu à l’intuition. Dans cette zone de conflit entre ces deux géants de glace, le terrain est totalement bouleversé. Nous nous déplaçons dans un enchevêtrement incroyable de glace et de gigantesques rochers, un véritable labyrinthe.
Cependant la gardienne nous avait donné une indication précise : viser une grosse pierre posée sur la seconde ondulation morainique. Mais des grosses pierres il n’y a que cela ! Cependant une grosse pierre carrée semble plus caractéristique que les autres et c’est sur elle que nous nous dirigeons. Effectivement une fois que nous y sommes arrivés, devant nous un cheminement assez évident nous permet de rejoindre la mer de Glace, qui n’est plus qu’un flot plat et tranquille de glace.
Devant nous la station du Montenvers se dessine. Nous visualisons bien l’ampleur de la décrue de la glace. Il est difficile d’imaginer ce lieu sans son glacier. Mais le phénomène risque de s’accélérer. En effet, plus il y a de pierres sur la surface de glace et plus la chaleur du soleil est emmagasinée, au lieu d’être réfléchie. Donc cette chaleur au sein même de la glace en précipite la fonte. À ce rythme, le plus connu des glaciers risque à court terme de ressembler au glacier Noir au pied des Ecrins. En effet, il se dénomme ainsi, car en été ce n’est plus qu’un immense fleuve de cailloux sous lesquels la glace se cache et n’est pratiquement plus visible.
Le soleil fait de belles apparitions parmi les nuages, nous gratifiant de magnifiques éclairages. La glace prend des teintes métalliques, qui donnent au lieu un air étrange d’autre planète. La montagne on peut la fréquenter depuis sa plus tendre enfance, elle ne cesse de vous surprendre et de vous apporter de grands bonheurs. Emmanuelle nous demande à Robert et à moi ce qui nous attire tant dans l’escalade de ces parois rébarbatives qui nous entourent. La réponse est simple et évidente : la joie d’enfant que nous avons éprouvée il y a cinquante ans lorsque nous avons caressé pour la première fois un calcaire ou un granite. Malgré le temps que nous pratiquons, l'habitude et la lassitude ne se sont jamais installées. Cette émotion, qui nous a submergés la première fois, est intacte. Elle n’a subi aucune érosion ou altération, et c’est tout surpris et pétris de bonheur que nous continuons à nous accrocher à ces aspérités de la Terre, même si la souplesse commence à nous abandonner!
Un dernier regard vers cette extraordinaire aiguille des Drus. Elle est entièrement parcourue de grandes zones grises, qui attestent de l’importance des éboulements qui l’affectent, une autre matérialisation du réchauffement planétaire. Dernièrement le fameux pilier Bonatti, escalade relatée comme un véritable exploit effectué pour la première fois et en solitaire en 1955 durant 6 jours par ce géant de la montagne qu’étati Walter Bonatti, a disparu. Est-ce un signe de la montagne ou du destin ? Ce gigantesque effondrement, faisant disparaître les traces de l’une des plus prodigieuses prouesses de l’alpinisme, a été concomitant avec la mort de son auteur survenue le 11 septembre 2011. Vous pouvez revivre cette grande aventure d’un homme seul face à un mur d’un kilomètre de haut, considéré comme infranchissable grâce au lien suivant : http://www.dailymotion.com/video/x7e664_walter-bonatti-au-pilier-des-drus-c_sport
Nous quittons la mer de Glace afin de rejoindre les échelles. Nous éprouvons quelques difficultés à trouver le passage le plus facile dans ce bouleversement minéral. Sans visibilité cela doit s’avérer franchement scabreux, heureusement ce n’est pas le cas. Nous voilà de retour à la station. Nous avons devancé la pluie qui cet après-midi sera particulièrement abondante. Après avoir fort bien déjeuné à l’hôtel-restaurant du Montenvers, bâtisse à la salle de restaurant magnifique, qui nous replonge à l’époque du début du XX siècle, nous entamons la descente par le train à crémaillère sous la pluie. Un superbe week-end s’achève. Il nous laissera à tous les cinq un merveilleux souvenir de ces montagnes, qui toujours par les émotions qu’elles suscitent nous remplissent de bonheur.
06:04 Publié dans escalade, montagne, Sport | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : leschaux, grandes jorasses, mer de glace, glacier, montenvers
16/07/2013
Escalade dans la vallée de Névache
Cette merveilleuse vallée de Névache, située un peu au nord de Briançon, pas très loin de la frontière italienne, est réputée pour ses grandes balades et ses lacs. Par contre l’escalade n’attire pas des foules de grimpeurs. Nous avons décidé de nous rendre dans cette région de façon fortuite, chassés par le mauvais temps qui sévissait plus au sud dans l’Ubaye. Les prévisions y laissaient plus d’espoir aux adeptes de varappe que nous sommes. Effectivement le choix fut le bon. Même si certains jours les retours se firent sous la pluie, nous avons réussi durant cinq jours de belles escalades sur différentes parois de ce coin de paradis.
Le dimanche après-midi nous rejoignons en une courte montée le refuge du Chardonnet, jolie petite bâtisse au milieu d’une prairie à 2200 mètres d’altitude. Le début de la marche d’approche s’effectue le long de la Clarée, torrent de montagne à l’eau cristalline, qui dévale à vive allure, présentant une surface frangée d’écume, mais n’enlevant rien à la transparence de son onde.
En juillet dans cette vallée réputée, nous avions un peu peur de trouver le lieu bondé, il n’en est rien, nous ne sommes pas très nombreux au refuge. Nous aurons même droit à une chambre pour deux, le rêve. Ces dernières années, j’ai constaté que la fréquentation des refuges de montagne n’était pas très importante. Faut-il y voir une désaffection, due à la crise ou aux conditions climatiques qui évoluent ? A moins que je sois particulièrement chanceux et que le hasard me guide aux endroits ou conjoncturellement l’affluence n’est pas présente ?
Cette vallée de Névache je la connais assez bien, pour l’avoir parcourue à pied et à ski, y avoir foulé son point culminant le Mont Thabor, au demeurant une immense « bavasse » dans un magnifique décor minéral. Mais l’escalade je ne me doutais pas qu’elle présentait un tel intérêt sur une belle qualité de montagnes, avec un grand choix de parois jusqu’à trois cents mètres de haut. La roche est majoritairement calcaire, bien que certaines parties soient formées de gneiss. Nous n’aurons pas l’occasion de grimper sur ce type de rocher, notre sélection de voies nous cantonnera uniquement au calcaire.
Lundi 8 juillet Crête du Diable : voie L’enfer du décor 300 m TD+
Notre première destination sera la crête du Diable et le nom de la voie bien de circonstance « l’enfer du décor ». Du refuge nous prenons un vallon qui s’enfonce entre des faces de trois cents mètres et plus de hauteur. La plus esthétique est la crête du Raisin. Notre voie d’escalade se trouve de l’autre côté de ce vallon minéral et exceptionnellement enneigé pour un début juillet. L’ambiance est austère, il fait frais, de plus nous sommes en face ouest donc ne comptons pas sur le soleil avant midi. Les accès au pied de ces parois sont toujours pénibles, du fait des pierriers raides et croulants qu’il faut remonter. De plus ces endroits étant peu fréquentés, les traces y sont quasiment inexistantes, d’où difficultés accrues sur des pierres qui roulent sous le pied.
Après une courte halte au pied du rocher, le temps de s’équiper et de se sustenter quelque peu, nous attaquons la première partie de notre ascension. Elle consiste en de grandes dalles sur une centaine de mètres, où le rocher n’est pas excellent mais cependant convenable, la difficulté est assez sérieuse 5c et 6a. Nous arrivons dans une zone de très mauvais rocher, heureusement pas très raide, donnant accès à la partie supérieure de notre itinéraire, de toute beauté le long d’un calcaire compact. Mais d’abord il nous faut franchir cette portion très instable. J’effleure une grosse pierre, qui se met immédiatement en mouvement. Dans un premier temps elle me frôle en m’entaillant le bas de la jambe droite sur une vingtaine de centimètres, ce dont je ne me rends pas compte tout de suite. Puis elle continue son chemin, juste derrière moi Robert. Je vois cet énorme caillou, une cinquantaine de kilos lui tomber sur le bras. Je m’attends au pire. Après quelques secondes de stupeur, il s’avère qu’il a de nombreuses entailles superficielles sur l’avant-bras gauche, mais rien de cassé ou écrasé. En définitive plus de peur que de mal. Nos capacités physiques ne sont pas altérées.
Que faire d’autre à part continuer ? Justement rien, donc en avant pour le sommet. Après 150 mètres d’une escalade de grande qualité, nous atteignons la croix sommitale de la crête du Diable, qui culmine aux environs des 2800 mètres.
Le temps est clément, bien que quelques nuages commencent à s’amonceler en arrière-plan. Bien installés tous les trois sur cette cime nous avons tout loisir de contempler cette magnifique région. Il est surprenant de se trouver dans des coins des Alpes françaises, très réputés en été, et de ne voir personne. Ce sera le cas tout au long de ces cinq journées d’escalade. Après une demi-heure, Il est temps de redescendre. Par une série de rappels nous rejoignons un couloir qui en une centaine de mètres nous ramène au pied de la paroi. Cette dernière partie, dans laquelle alternent neige raide et rocher très inconsistant nécessite beaucoup d’attention en chaussons d’escalade, car nous ne pouvons nous assurer. Nous reprenons le chemin du refuge, que nous atteignons sous la pluie.
Mardi 8 juillet crête du Queyrellin voie la Grolle 200 m TD
Ce matin les conditions météorologiques ne sont pas très encourageantes, cependant la pluie ne devrait pas venir avant le début d’après-midi. Il ne faut pas hésiter, nous prenons le chemin du Queyrellin. La marche d’approche n’est pas très longue. Tout d’abord le sentier nous conduit auprès d’un magnifique petit lac, où à la descente nous pourrons observer un saumon de fontaine.
Après un agréable cheminement à travers prairie, un pierrier beaucoup plus désagréable nous donne accès au pied de la paroi. Aujourd’hui encore nous sommes seuls et nous effectuons une jolie escalade difficile dans un cadre sauvage.
La redescente en trois rappels dans une gorge sévère, enserrée entre des parois rendues d’autant plus sombre que le temps se dégrade, est un moment impressionnant. Ces exercices de descente de paroi raide en rappel sont des moments où il faut garder toute sa concentration, car l’accident dû à une fausse manœuvre est vite arrivé. Aujourd’hui encore nous terminons dans une pente de neige abrupte, heureusement nous pouvons nous y assurer. La redescente en direction du refuge est magnifique, bien qu’effectuée en partie sous la pluie. L’eau est présente tout au long de ce parcours, d’abord de petits lacs, puis une rivière, plutôt un torrent, tout en courbes qui court entre de grosses pierres.
Mercredi 9 juillet crête du Queyrellin : voie Nulle Part Ailleurs 150 m TD
Aujourd’hui les prévisions météo ne sont pas très bonnes. Nous décidons de retourner à la crête du Queyrellin, mais cette fois sur une partie de cette montagne plus proche du refuge. En effet cela nous permet d’être au pied de l’itinéraire envisagé en moins d’une heure. Il s’agit d’une magnifique escalade constituée d’un rocher d’une qualité exceptionnelle, comparable à ce que l’on trouve dans les gorges du Verdon. Effectivement sur 150 mètres nous allons le long de dalles raides quasi verticales, très adhérentes prendre un plaisir fou à nous déplacer. Vers le haut une extraordinaire traversée sur un rocher aux teintes jaunes, dues à la présence de minuscules lichens (qui je le précise ne nuisent en aucune manière à l’adhérence des pieds), représente la quintessence de l’esthétique en escalade.
Un retour rapide en trois rappels, nous permet de prendre la pluie de vitesse. Sur proposition de Christophe nous entreprenons de grimper une belle dalle de cinquante mètres de difficulté soutenue, 6a et 6b. Immense plaisir encore une fois, on se demande parfois comment on arrive à tenir en équilibre sur pratiquement rien pour les pieds et les mains dans des passages proches de la verticale !
Un dernier rappel et nous nous retrouvons au pied des crêtes du Queyrellin, la pluie devenant de plus en plus menaçante. Il ne nous reste plus qu’à rejoindre le refuge, avant de quitter ce coin de paradis où nous venons de passer 3 jours merveilleux, d’une part pour les escalades de toute beauté et très sauvages que nous avons effectuées, mais aussi du fait de l’accueil dans ce refuge où la nourriture est du niveau d’un très bon restaurant, sans parler de la carte des vins et d’un rhum exceptionnel, si ma mémoire ne me trahit pas, qui provient du Venezuela et qui porte le joli nom plein de promesses : Diplomatico! On aurait dit un vieil armagnac, rond, suave et de grande longueur qui vous explose en bouche et exhale par le nez les plus merveilleux des arômes ! J’arrête là, car ce compte-rendu n’a pas vocation à dévoiler mes penchants naturels de bon Lyonnais !
Nous retrouvons donc la Clarée et son eau d’une clarté presque surnaturelle, ainsi que notre voiture et partons à la recherche d’un logement que nous trouvons à Plampinet dans un gîte très sympathique. Maison historique qui au cours des siècles passés, fin du XIX et moitié du XX siècle était une caserne. Aux murs de vieux documents rappellent ces temps anciens, qui font la fierté bien justifiée de la propriétaire du lieu.
Jeudi 10 juillet Vallée Etroite contreforts du Pic Gaspard 180 mètres TD
Une fois encore les prévisions météo assez pessimistes nous incitent à rester relativement bas en altitude. Raison pour laquelle nous optons pour la Vallée Etroite, d’altitude modérée et permettant des marches d’approche très courtes. Autant d’atouts à prendre en compte, lorsqu’on risque de se lancer dans une course chronométrée contre la pluie. En effet, je connais peu de situations plus désagréables, que de devoir s’échapper d’une paroi difficile sous la pluie voire les éclairs, car les risques d’orages ne sont pas négligeables.
Afin de rejoindre la Vallée Etroite nous passons par le col de l’Echelle et découvrons cette vallée bordée d’immenses faces, en particulier la Paroi des Militaires, à-pic de plus de trois cents mètres qui démarre à même la route. Nous sommes au pied de notre voie d’escalade en un quart d’heure, un torrent à l’eau opalescente nous a accompagnés, le long duquel quelques pêcheurs s’activent, apparemment sans trop de résultats. L’escalade s’avère immédiatement particulièrement difficile, en surplomb sans aucune prise de pied et de main franche. Heureusement Christophe va laisser pendre dans les endroits les plus scabreux, 6c, des sangles que Robert et moi allons utiliser en nous hissant à pleines mains dans ces passages en dévers particulièrement dépourvus de prises. Il fait chaud et les efforts intenses sont pénibles. Dans la vallée à nos pieds les clarines des vaches nous apportent une petite touche de sérénité, alors que nous forçons tant et plus sur cette paroi, peut-être un peu au-dessus de la force que nous sommes capables de déployer dans nos doigts, suspendus dans des passages en dévers alors que les prises de pieds brillent par leur parcimonie ! Pour les presque papys que nous sommes, dans notre soixantième année (ouille) les passages vraiment sportifs au-delà de la verticale sans prises franches ou directes commencent sérieusement à nous poser des problèmes, d’autant plus que nous ne sommes pas des stakhanovistes de l’entraînement ! Mais bien que dépassés, l’effort extrême que nous fournissons pour nous hisser à la force des bras, les mains verrouillées sur les sangles mises en place par notre premier de cordée, nous procure un plaisir prodigieux. Lorsqu’après ces quelques passages extrêmes l’escalade redescend d’un bon niveau, 6a ou 5c, nous avons de la difficulté à nous saisir des prises de mains, tellement nos muscles de doigts ont été tétanisés. Mais heureusement avec les prises de mains les prises de pieds réapparaissent, alors la technique du positionnement de pied, bien acquise depuis de longues années, en particulier à Fontainebleau, permet de solliciter au minimum les doigts qui n’en peuvent plus. Encore une belle paroi effectuée dans laquelle nous aurons été seuls.
Vers midi nous sommes de retour à la voiture. Contrairement aux prévisions le temps est magnifique. Christophe nous propose de monter au lac Vert qui se situe à trois quarts d’heure de marche. La montée le long du torrent au milieu des fleurs est particulièrement agréable. Au détour d’un dernier petit raidillon le lac se dévoile. Il est de toute beauté, d’une couleur verte émeraude, d’une limpidité totale. Nous en distinguons très précisément tous les détails du fond, en particulier un grand nombre de troncs d’arbres, immergés reposant horizontalement, semblant comme fossilisés.
Nous distinguons une truite de belle taille, approximativement cinquante centimètres. Deux pêcheurs âgés d’une vingtaine d’années apparaissent avec l’intention de tenter leur chance dans ce paradis aquatique. Je les regarde avec des pensées quelque peu narquoises, car pour moi toutes les conditions sont réunies pour que les truites, généralement très méfiantes ne mordent pas. L’heure, la transparence de l’eau, la présence de personnes qui font du bruit, le fait de les voir, donc elles nous voient aussi, et généralement c’est rédhibitoire. Eh bien en une demi-heure, toutes mes certitudes en matière de pêche à la truite vont s’effondrer, même plus se fracasser, à l’aune d’une réalité que je ne soupçonnais pas, car ils vont devant nos yeux incrédules sortir six belles truites farios, la plus petite faisant dans les quarante centimètres. Une semaine plus tard je n’en reviens toujours pas, moi qui me prenais pour un bon pêcheur, cette saison j’en suis à quarante et une, mais dans ma rivière la Moselotte dans les Vosges. Ces pêcheurs sont ardéchois et ils pratiquent le « no kill », c'est-à-dire qu’ils remettent les poissons à l’eau après les avoir délicatement décrochés. C’est aussi mon cas, sur les quarante et une prises je n’en ai gardé que sept. Mais je ne le dis pas toujours aux membres de ma famille, qui me reprocheraient de ne pas leur en donner quelques unes de plus !
Vendredi 11 juillet crête de la Moutouze : voie le bal des Vampires 250 m TD
Après une seconde nuit dans notre gîte de Plampinet, nous repartons dans le fond de la vallée de Névache, nous confronter à une magnifique arête. De plus, enfin les prévisions météorologiques sont favorables. Nous laissons notre véhicule tout au bout de la route ouverte à la circulation et partons en direction de cette crête qui se situe à proximité du lac des Béraudes. Cette marche d’approche au milieu des fleurs et des arbres est un enchantement. Au détour d’un mouvement nous surprenons un chevreuil de belle taille, qui rapidement nous détecte et disparaît comme une fusée. Un peu plus loin un chamois, il ne nous a pas vus, nous le surplombons d’une cinquantaine de mètres. Tout à loisir nous l’observons brouter avidement une belle herbe bien drue. L’intérêt de la montagne ne réside pas uniquement dans le plaisir de s’arracher les doigts sur des prises minuscules, qui font mal, mais aussi il se cache dans ces moments de hasard où l’on peut un peu à la manière d’un voyeur surprendre les habitants du lieu, le cœur battant en se demandant combien de temps vont-ils mettre à détecter notre présence ? Un peu plus loin deux bébés marmottes se roulent devant leur trou. Mais là-bas en arrière-plan notre arête commence à envahir tout l’espace, et l’appel se fait de plus en plus pressant.
Nous quittons la forêt puis la prairie et abordons un pierrier raide dans lequel une légère trace nous facilite un peu la progression, et nous voilà au pied de notre cinquième et dernière escalade de cette semaine annuelle et rituelle. Deux cent cinquante mètres d’un rocher de grande qualité, permettant une escalade de toute beauté. La première moitié est proche de la verticale et nous demande de beaux efforts à nous tirer sur de toutes petites prises, bien souvent indirectes, donc demandant une succession de mouvements en opposition. Mais l’adhérence des chaussons d’escalade est maximale, et de cet équilibre subtil entre force et adhérence naît la joie la plus totale dans l’effort physique.
En trois heures nous atteignons le sommet de cette crête de Moutouze. Perchés tout au sommet, sans crainte de l’orage nous nous délectons du panorama, qui nous dévoile cette magnifique vallée de Névache dans sa totalité. A certains moments on voudrait que le temps s’arrête et l’éternité nous envahisse. Mais il faut penser à redescendre. En sept rappels, qui nous procurent de fortes montées d’adrénaline, car à plusieurs reprises nos cordes se bloquent. Mais le doigté tout en souplesse de Christophe nous sauvera de rester prisonniers en pleine paroi. Après de longues minutes à tirer les cordes dans un sens, puis dans un autre, à essayer de leur donner un mouvement, dans l’espoir de les voir coulisser, enfin elles viennent, on se sent libéré d’une énorme pression.
Voilà cinq jours dont le souvenir nous habitera encore longtemps, pour ne pas dire toujours. Il ne nous reste plus qu’à nous donner rendez-vous l’année prochaine pour une nouvelle semaine de plaisir, accrochés dans de belles parois bien raides.
21:09 Publié dans escalade | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : eescalade, névache, vallée étroite, plampinet, crête du diable, queyrellinntrer des mots clefs
19/08/2012
Oisans Sauvage Passion d'une vie
Oisans Sauvage Passion d'une vie
Le massif de l’Oisans restera pour moi cette région montagneuse privilégiée, que j’ai appris à connaître dès mon plus jeune âge, grâce à mon père, qui nourrissait une passion pour cette terre sauvage du Haut Dauphiné. Cependant, cette préférence ne tient pas à la précocité de ma découverte, mais bien aux caractéristiques extraordinaires de ce territoire. Sans vouloir les énumérer, je me contenterai de laisser courir l'écriture au fil des émotions, que fait naître cette région chez l'amoureux de la nature, de la montagne et des grands espaces.
Sa diversité liée à son immensité, en fait un massif aux multiples visages, du nord au sud, forts différents. Pour s’en convaincre deux points d’observation, l’un au nord le plateau d’Emparis, et l’autre au sud à partir de Champoléon, vous révèlent deux aspects opposés. Du premier endroit, le regard embrasse les extraordinaires faces nord de la Meije et du Râteau, parois sombres, auréolées de neige même au cœur de l’été, s’élevant majestueusement par delà de vastes glaciers chaotiques, bardés d’impressionnantes crevasses.
Du sud, au contraire vous découvrez une immense vallée sèche qui vient buter sur le Sirac et son interminable crête en dents de scie qui approche les 3500 mètres d’altitude. Là, au cœur de l’été tout n’est que roches arides, écrasées de chaleur. On pourrait s’imaginer dans un désert, bien loin de nos régions tempérées. Ces deux caractères d’une même région m’ont toujours fasciné. Le long de la Durance qui borde ces montagnes à l’est on est déjà dans le midi, presque en Provence. Le thym et d’autres herbes aromatiques embaument les chemins et les pierriers.
Par contre, lorsque vous descendez du col du Lautaret, les prairies et les austères parois vous rappellent que vous êtes dans les Alpes du nord, où règne une climatologie différente. Pourtant, il s’agit d’une même et unique région montagneuse, le massif des Ecrins ou de l’Oisans. Deux noms pour un même espace. Les Ecrins, car il s’agit du sommet culminant, et qui de plus dépasse les 4000 mètres. On l’appelait aussi, il y a fort longtemps le massif du Pelvoux, à l’époque on pensait, à tort, que ce sommet plus visible que les Ecrins était le point culminant. L’origine du nom Oisans, quant à lui, se réfère à la peuplade qui vivait dans ces contrées avant la conquête romaine. Deux dénominations pour une même région aux deux visages, rien de plus naturel !
Après avoir regardé ces montagnes de leur périphérie, rentrons en leur cœur. Deux vallées grandioses nous conduisent au centre de ce sanctuaire. D’un côté la vallée de la Bérarde et de l’autre celle de Vallouise. Tout en cheminant le long de chacune de ces routes remontant ces vallées, lentement les points de vue s’affinent et les grands sommets deviennent toujours plus imposants. Pêle-mêle, apparaissent la Meije, la Barre des Ecrins, l’Ailefroide, le Pelvoux, et de nombreuses autres éminences rocheuses ou neigeuses. Ces deux axes d’entrée sont en été très fréquentés. Mais, dès que vous vous éloignez des routes, des chemins et des rares escalades à la mode vous vous retrouvez seuls ou presque face à ces immensités de roche et de glace.
En matière d’escalade les usages et les pratiques ont évolué. Avec le développement d’une multitude de voies de varappe à proximité des routes en fond de vallée aussi bien à la Bérarde qu’à Vallouise, les grimpeurs désertent les grandes voies d’alpinisme. En effet, le jeu n’est pas le même. D’un côté un excellent rocher avec de très courtes marches d’approche, de l’autre de grandes parois austères aux approches interminables, souvent défendues par des glaciers particulièrement hostiles en été, lorsque la glace dure et dénudée de toute trace de neige barre l’accès au rocher. Pour se confronter aux premières, un lever tardif suffit, par contre pour aller à la rencontre des secondes, un réveil très matinal s’impose, suivi d’une gigantesque marche que l’on commence de nuit dans la caillasse. Ce départ aux aurores constitue un préalable indispensable, car l’expédition sera longue. Dans le premier cas, on est plus à la recherche du joli parcours technique, et dans le second plus à la quête d’une confrontation à la nature sauvage, par définition hostile à l’homme. Là, un jugement sûr et le sens de la lecture du rocher sont indispensables, afin de mettre de son côté de bonnes chances de réussite. Mais, il n’est pas question de juger une pratique à l’aune de l’autre. Cela me rappelle un débat sur le classement des sociétés humaines. La grand question étant : y-a-t-il des sociétés supérieures à d’autres ? Par définition la question est stupide, car chaque société se juge, et par conséquent classe les autres, en fonction de ses propres critères. On se mord très vite la queue dans ce genre de débat. Bien évidemment, la confrontation entre les sociétés et leurs modes de vie différents crée des mésententes voire des ruptures, mais je ne vais pas aborder ce sujet qui nous emmènerait très loin des montagnes.
Je reviens au cœur du massif de l’Oisans et tout particulièrement vers un groupe de montagnes que j’ai regardé depuis ma plus tendre enfance et dont je n’avais gravi jusqu’à ce jour aucun des sommets. Il s’agit de cette immense arête qui s’étire sur plusieurs kilomètres, dont les pointements frisent les 4000 mètres sans toutefois les atteindre. Tout au long de cette dentelle de pierre, on égrène des noms qui font rêver : Pelvoux avec ses deux cimes, Puiseux et Durand, le Pic Sans Nom (qui a quand même un nom !), le Coup de Sabre et la longue arête des Ailfroides avec leur terrible et sombre face nord-ouest, qui s’élève d’un jet sur 1,2 kilomètre de roche à pic. Cette immense vague de pierre domine le glacier noir, ainsi nommé car en été il est entièrement recouvert de débris morainiques, qui lui donnent cette couleur noire. Je l’ai à plusieurs reprises remonté les yeux levés vers ces pics acérés, presque inaccessibles, en songeant aux récits épiques des alpinistes qui les premiers se sont lancés à l’assaut de ces faces.
Sur l’autre bord de ce glacier j’avais il a déjà longtemps gravi deux montagnes célèbres, tout d’abord le pilier sud des Ecrins qui culmine à 4102 mètres, et le Pic Coolidge plus modeste avec ses 3775 mètres, mais qui constitue un belvédère de tout premier plan pour admirer les grands sommets qui l’entourent. Cela m’avait laissé, au cours de longues marches, tout le loisir de contempler ce décor extraordinaire.
Cet été, Christophe me propose d’aller escalader la face sud du Coup de Sabre. Cela fait déjà très longtemps que je n’ai pas fait une voie de cette ampleur en haute montagne. Certes, au cours de ces dernières années nous avons gravi ensemble des voies techniquement aussi difficiles, voire plus, mais qui ne nécessitaient pas une telle marche d’approche de plus de 1700 mètres et qui atteignaient une altitude plus modeste. Je me suis empressé d’accepter la proposition, et voilà comment nous nous retrouvons au village d’Ailefroide en partance pour le refuge du Sélé, lieu d’où nous partirons demain matin pour notre ascension.
Tout au long de ce parcours sur sentier en ce début d’après-midi de chaleur, des souvenirs anciens me reviennent en mémoire au fur et à mesure de notre progression. Je me souviens d’une magnifique course à ski de randonnée en direction de la pointe des Bœufs Rouges, par des conditions de neige fabuleuses, qui nous permettaient une progression rapide. Je me remémore aussi l’ascension du très étroit couloir du Pelas-Vernet, qui se cache au fond d’une faille profonde. Tout cela remonte à plus de trente ans, cependant les souvenirs sont très présents et précis. Certaines expériences vous marquent de façon indélébile au-delà des jours qui s’écoulent. Une vie est balisée un peu à la manière d’une côte dans le brouillard, ponctuée de phares afin de permettre la poursuite de sa route vers un futur peuplé d’incertitudes. Le temps passe vite !
Voilà aussi ce que je viens chercher en acceptant la proposition de mon guide. Je suis à la recherche du souvenir, faisant revivre des sensations fortes éprouvées dans ce massif montagneux, il y a déjà bien longtemps. Tout à ma réflexion, nous avançons rapidement et en deux heures et demie nous atteignons le refuge du Sélé. C’est la première fois que je m’y rends. Ces dernières années, je ne fréquentais plus trop les refuges, de peur de la surpopulation, entraînant des nuits très inconfortables, dans la chaleur des dortoirs et dans le bruit des ronfleurs. Mais les modifications des habitudes des randonneurs et des grimpeurs, ainsi que des conditions d’enneigement ont amené à une fréquentation beaucoup moins importante de nombre de refuges de haute montagne. Cela n’est pas pour me déplaire, bien que ce soit fort triste pour les gardiens de ces refuges, qui exercent ce métier avec conviction, un peu à la manière d’un sacerdoce.
Ce soir, nous sommes une petite dizaine, ce qui est très peu en pleine saison estivale. Une cordée part pour la traversée du col du Sélé. Etant donné le faible enneigement et la longue distance sur glace vive cette randonnée représente à mon sens un véritable calvaire. Très logiquement les candidats ne se bousculent pas. Deux grimpeurs envisagent une escalade dans la face sud de Sialouze, réputée pour son rocher de grande qualité, ce qui est tout à fait remarquable pour l’Oisans, dont la réputation est plutôt liée au rocher incertain. Un guide et son client ont jeté leur dévolu sur la voie normale d’Ailefroide. Avec ces derniers, à cinq heures du matin nous partirons ensemble, nos chemins étant communs les premières heures. Cela ne fait pas grand monde pour cette bâtisse à large capacité. Demain soir, au grand désespoir du gardien, ils ne seront que trois, alors que nous sommes presque au week-end du 15 août, traditionnellement l’un des plus fréquentés.
Le repas du soir sera animé, discussion intéressante sur la montagne et autres sujets à connotation plus professionnelle. Nous aurons droit à du chamois en sauce, je ne sais pas s’il a été braconné dans le coin ? A la fin du repas le gardien, fort sympathique, nous fera un sérieux appel pour nous offrir un génépi maison. Mais nous résisterons et ignorerons son invitation. En effet, il détient une fameuse réputation, dont certains grimpeurs ne se sont pas relevés, étant redescendus du refuge avec une sérieuse gueule de bois, en oubliant jusqu’à la paroi pour laquelle ils étaient venus !
4heures30 lever, petit déjeuner sans entrain avec du pain pour le moins plus très frais, agrémenté d’un peu de beurre et d’une minuscule portion de confiture. A ces moments très matinaux, la faim n’est pour le moins pas très forte. Je me force donc à engloutir quelques tranches de pain. Dans le refuge nous nous équipons de nos baudriers dans un léger cliquetis métallique, dû aux mousquetons qui s’entrechoquent.
Nous attaquons la marche d’approche de nuit. Très vite le chemin conduit dans de petites barres rocheuses. Seul le halo de la lampe frontale permet de discerner les quelques mètres qui nous entourent. Ces marches sur terrain raide de nuit, alors que l’on vient juste de se réveiller, que les muscles sont encore froids et les mouvements mal assurés, sont impressionnantes et pas toujours très agréables. Dans une nuit opaque on s’imagine se promener au-dessus de vides abyssaux, toujours un peu tendu à l’idée de faire un faux pas, qui vous précipiterait vers une mort probable. Il n’en faut pas plus pour que le cerveau se réveille franchement et que la vigilance devienne extrême, à la recherche de prises de pied et de main au milieu des ténèbres. Cependant ces marches de nuit, un peu à tâtons, entouré d’immenses parois dont on ne distingue que les gigantesques silhouettes noir d’encre, qui se dessinent sur les étoiles, font partie intégrante des émotions que l’on vient chercher dans ces quêtes de sommets de haute montagne. On avance dans sa minuscule bulle de lumière, un peu à l’aveugle au milieu de ce décor d’immenses parois peuplées d’à-pics que l’on côtoie, à la manière d’un funambule qui ne distinguerait pas toujours très bien le filin sur lequel il est en équilibre. Ces absences de références précises, au milieu d’ombres qui migrent et se modifient au fil de vos pas font naître des illusions qui peuvent procurer de vrais vertiges, les informations fournies par les yeux et celles fournies par l’oreille interne pouvant différer. Voilà ce que représentent pour moi ces départs nocturnes, sur ce qui n’est plus des chemins et pas encore de l’escalade à proprement parler.
Heureusement, le jour ne tarde pas à se lever et cela rend la progression plus agréable. Les montagnes révèlent enfin leurs formes véritables. Éperons, faces et étendues glaciaires se différencient lentement dans une pénombre de moins en moins intense. Le ciel passe du noir profond au bleu, et enfin une teinte rouge sombre prend le dessus. Ce rouge devient de plus en plus vif, et cède à son tour devant le jaune, annonce imminente de l’apparition du soleil. Les faces rocheuses, par leurs teintes, en commençant par le sommet et avec un certain décalage dans le temps, suivent l’éclairement amorcé dans le ciel. De noires, elles virent au gris puis le rouge à son tour passe par tous les dégradés, pour enfin déboucher sur la véritable couleur de ce gneiss de l’Oisans, qui révèle une multitude de couleurs de l’ocre au vert pâle dû à certains lichens, sans oublier le rouge couleur rouille généré par certains oxydes de fer. Les glaciers dévoilent leurs véritables conditions. Ayant pris de l’altitude nous pouvons les observer du haut. Très nettement les parties de glace vive tranchent par leur froide couleur métallique bleutée sur les parties enneigées, plus blanches, quoique saupoudrées de débris de poussière dus à l’érosion très active dans ces zones de fortes amplitudes thermiques.
Après avoir contourné un vaste éperon, nous dépassons l’ancien refuge. Cette apparition d’une époque révolue nous plonge une centaine d’années dans le passé. Nous nous attendrions presque à voir sortir quelques alpinistes à chapeau, chaussés de chaussures à clous et portant des cordes en chanvre. Mais non, rien ne bouge, seuls peut-être les esprits des premiers ascensionnistes de ces cimes de l’Oisans se cachent encore parmi ce décor fantastique ? Un vaste vallon se découvre, et devant nous se dressent l’Ailefroide, le Coup de Sabre, le Pic sans Nom et son avant-poste l’aiguille de Sialouze. Le lieu est étrangement calme, Alors que 1500 mètres plus bas la vallée grouille de touristes, nous sommes seuls à contempler ce spectacle de la montagne qu’incendie le soleil. Il fait bon, pas un brin d’air. D’un pas alerte nous franchissons les quelques centaines de mètres qui nous séparent du glacier. Lorsque nous l’atteignons, nous chaussons les crampons pour parcourir une glace dure mais heureusement peu raide. Rapidement elle cède la place à la neige, ce qui rend notre progression plus confortable. Plus nous approchons du pied de la paroi, plus elle nous semble immense du haut de ses presque 400 mètres. La neige se redresse en finale, alors que nous touchons au rocher.
Le départ de notre escalade n’est pas évident à trouver. En effet, on recherche toujours le premier piton qui indique le démarrage. Dans le cas présent il se situe à une quinzaine de mètres du sol et ne se distingue pas très bien. Christophe l’identifie cependant assez rapidement, après quelques tâtonnements dans une pente de neige raide. Nous soufflons, car le gardien nous a dit que la veille une cordée d’Anglais n’avait pas réussi à localiser le départ.
Nous enlevons nos crampons et nos chaussures de montagne, et enfilons nos chaussons d’escalade L’opération est assez aisée, car la neige fait un replat juste avant le rocher. Ce n’est pas toujours le cas, et parfois il faut faire tout un tas d’acrobaties dans une pente raide, en faisant attention de ne pas tomber et de ne pas laisser filer crampons ou chaussures dans la pente ou pire dans une crevasse. Rien de tel aujourd’hui, et c’est sans stress particulier que je me prépare.
Christophe attaque la première longueur et arrive à bout de corde sans avoir trouvé de vrai relais pour me faire venir. Assuré sur un seul piton il me demande de démarrer. Dans cette première longueur le rocher est constitué d’un granit sans grain assez glissant. La sensation est désagréable aux pieds, car justement ces derniers manquent d’adhérence. Mais l’escalade n’est pas trop difficile et le passage n’oppose pas de vraie difficulté. Après une vingtaine de mètres, je marque l’arrêt à mon tour, pour que Christophe reprenne sa progression à la recherche d’un vrai relais. Après une longue dalle à faible inclinaison, il trouve enfin ce qu’il cherche. Et tout au long de notre escalade, nous n’aurons plus de mauvaise surprise et les points d’arrêts sécurisés par au moins deux pitons se succéderont régulièrement. Après les cent premiers mètres, le granit glissant laisse soudainement la place à un joli gneiss coloré, au gros grain sur lequel les chaussons d’escalade font merveille.
La paroi est toujours très raide, pas très loin de la verticale, même par petites sections surplombante. L’itinéraire reste bien balisé par les pitons en place. Cependant ce rocher demande de la recherche dans le positionnement, car les prises bien souvent ne sont pas directes. Il faut alors recourir à des tractions en opposition sur des fissures que l’on prend latéralement ou par en dessous. Cela demande des efforts importants dans les doigts et les avant-bras. Pour moi qui n’ai pas un gros entraînement cela va virer dans la onzième et dernière longueur à la ‘ bagarre de rue’ et c’est à la limite des crampes dans les doigts que je vais me hisser sur ce sommet qui frôle les 3700 mètres d’altitude à un mètre près.
La vue y est saisissante de toutes parts. Là-bas au nord dans le lointain le Mont Blanc affiche sa silhouette, toute de blancheur, si caractéristique. Juste à nos pieds l’immense glacier noir déroule sa surface de cailloux. Juste en face la gigantesque face sud des Ecrins nous domine de plus de 400 mètres. Nous sommes encadrés le long de notre arête, d’un côté par le pic sans Nom et de l’autre par l’Ailefroide. Loin au sud le Sirac déploie sa grande crête si particulière. La fatigue a fait son effet et tout content de me trouver en ce lieu aérien, j’ai du mal à m’alimenter. Cependant je dois me forcer, car une longue descente en rappel nous attend. Bien souvent, les accidents arrivent au cours de ces manœuvres du fait du relâchement de la vigilance dû à la fatigue.
Christophe se lance dans le premier rappel, puis vient mon tour. Un dernier regard circulaire du haut de ce pic et je me laisse glisser le long de la corde. Ces opérations de descente sur un vide de plusieurs centaines de mètres sont toujours impressionnantes, bien que généralement techniquement faciles. D’où l’importance de ne pas se laisser gagner par la routine qui peut conduire à l’erreur, que l’on croirait impossible, et qui malheureusement se produit, même au détriment des plus forts. Et c’est ainsi que l’on se retrouve précipité dans le vide pour un dernier grand vol. Nos onze rappels se passent sans incident, si ce n’est une corde bloquée au cours du premier, et une petite manœuvre à quinze mètres du glacier, du fait de notre corde trop courte de cinquante centimètres pour rejoindre le dernier piton, ce qui a impliqué un petit pas d’équilibriste sans assurance.
Enfin nous voilà de retour sur la neige. Durant notre escalade la glace sous-jacente a bougé, et l’une de mes chaussures posée à même le sol s’est déplacée, enfoncée dans une petite dépression. Il n’aurait pas fallu grand-chose pour qu’elle soit précipitée dans la rimaye, profonde crevasse à la séparation de la glace et du rocher. Je n’ose imaginer comment j’aurais redescendu ce glacier avec une seule chaussure de montagne, les chaussons d’escalade, n’étant pas du tout, mais alors pas du tout prévus à cet effet. Mais la montagne s’est montrée encore une fois clémente à mon égard.
Il ne nous reste plus qu’à nous lancer dans une immense descente de 1700 mètres de dénivelé, en passant par le refuge, afin de retrouver la voiture tout en bas dans la vallée. A 19 heures nous atteignons le refuge. Plus que 1000mètres de dénivelé à descendre. Ils vont me sembler très longs. La montagne a été désertée par les randonneurs, montés pour la journée au refuge. Les chamois ont repris possession des lieux et ils ne sont pas farouches du tout. Nous les approchons à quelques dizaines de mètres et ils continuent sans trop d’inquiétude à brouter herbe et feuillage. Une mère et son petit, juchés sur une légère crête juste au-dessus du chemin nous regardent passer avec curiosité. La nuit nous surprendra dans la descente, que nous finissons par trouver interminable. Dans les passages en forêt, la pénombre se fait bien réelle. Enfin entre les troncs d’arbres, nous voyons apparaître les lumières du camping. Ça y est nous en avons fini, la voiture nous attend bien sagement. Il est 21heure30. Depuis cinq heures du matin, nous ne nous sommes pratiquement pas arrêtés et c’est avec plaisir que je m’assois dans mon véhicule. Il ne nous reste plus qu’à retourner à Gap qui est distante de 80 kilomètres. La nuit est particulièrement limpide et nous sommes le 11 août, période des pluies d’étoiles filantes. J’en verrai une belle alors que je conduis. Dernier petit clin d’œil de la nature au cours de cette journée bien remplie.
Alors que je suis rentré chez moi depuis deux jours, je prends le (vieux) guide du massif des Ecrins de Lucien Devies et Maurice Laloue. Pour moi ce livre de couleur rouge, édité en 1946, représente une véritable bible du massif. A le lire, c’est toute l’histoire de la découverte de ces montagnes que l’on suit. Les dessins des parois à l’encre sont très précis. Page 61, sur une demi-feuille le Pic Sans Nom, entouré de la Pointe Puiseux et du Pic du Coup de Sabre, affiche sa grandiose face nord. Le Pic du Coup de Sabre est dénommé Petit Pic Sans Nom. Une correction à l’encre bleue rectifie cette erreur d’appellation. Je reconnais cette écriture, c’est celle de mon père qui avait acheté ce livre en 1956. Je sais que son esprit est encore là-haut. Il m’avait demandé d’aller répandre ses cendres sur un sommet de la région. Il avait finalement changé d’avis, de peur que je prenne des risques en accomplissant ses dernières volontés. Cette rectification à l’encre bleue, d’une écriture ferme et droite, est la preuve, qu’au cours de cette plongée de ces deux derniers jours au cœur de ce sanctuaire, il était là, et qu’il participait à mon plaisir, bien que ma pratique de l’escalade extrême lui ait toujours provoqué une certaine crainte pour mon intégrité physique.
15:35 Publié dans escalade, expérience vécue, Sport | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : ecrins, pelvoux, paroi, coup de sabre, refuge du sélé, escalade, glacier noir
29/07/2011
Escalades du bout du monde en France, l'Ubaye
Escalades du bout du monde en France, l’Ubaye
Au mois de juillet, où peut-on partir grimper durant une semaine et ne trouver que des parois désertes se développant sur une belle ampleur entre deux cents et quatre cents mètres de hauteur et présentant un rocher d’une excellente qualité en plus d’une grande variété, calcaire, grès, quartzite ou granite ? Cela ressemble à la quadrature du cercle, sans doute, faut-il envisager un long voyage dans des contrées éloignées, loin des masses grimpantes qui courent les hauts lieux de grimpe français, qu’il s’agisse de Chamonix, la Bérarde ou Vallouise ? Eh bien non, pas très loin de ces sites mythiques, à la réputation universelle, un bijou de belle envergure, se cache un peu plus au sud, entre les cols de Vars et de Restefond la Bonnette, il s’agit de la vallée et du massif de l’Ubaye.
Effectivement il y quelques années nous y avions fait une excursion de la journée et nous avions perçu la très faible fréquentation des parois de cette vallée, plus connue des randonneurs car le GR5 entre autre chemin de randonnée y passe. Mais la plupart de ses montagnes aux faces verticales n’attirent pas grand monde, même si quelques sommets connaissent une notoriété certaine, par exemple le Brec de Chambéron par sa voie normale.
Forts de cette impression nous partons à trois pour une semaine de grimpe début juillet dans ce massif de l’Ubaye. Comme nous en avons pris l’habitude depuis maintenant quatre ans, nous allons Robert et moi à Orpierre faire une voie d’escalade dans cette splendide falaise calcaire de quelques deux cents mètres, le Quiquillon, avant de partir retrouver notre guide Christophe pour une semaine d’escalade intensive. Cette première paroi que nous gravissons à deux est certes bien équipée mais de difficulté assez soutenue, et il y fait une chaleur caniculaire dans cette face orientée au sud. Nous y sommes seuls. Ceci explique peut-être cela ? Il est toujours bon pour le moral avant de partir gravir des faces de grande difficulté en second de cordée, d’avoir effectué quelques exercices préparatoires en premier.
Rendez-vous est pris pour dimanche après-midi à Gap. Dès nos retrouvailles, nous mettons immédiatement le cap sur le village de Fouillouse, auquel on accède par un incroyable pont qui enjambe une très profonde et très étroite gorge. Le village est de toute beauté. Le Brec de Chambéron, point culminant de la région le domine. Sa silhouette massive est caractéristique, et malgré une lourdeur apparente, il s’agit d’une belle aiguille tronquée qui s’élève à plus de 3300 mètres. Elle règne aussi sur le petit cimetière du lieu, tout en pente et très pittoresque. Il héberge un homme connu de tous, l’Abbé Pierre.
Rapidement installés, nous profitons de deux heures de disponibilité pour aller affuter nos chaussons d’escalade sur une falaise de faible ampleur en bordure de l’Ubaye. Après deux voies d’n trentaine de mètres, nous remontons pour ne pas être en retard, car à sept heures la cloche sonne, signal du repas dans ce gîte sympathique.
Nous allons passer quatre nuits en ce lieu. Chaque matin, dans les environs nous partirons faire une paroi différente. Nous commencerons par une belle dalle de deux cents mètres qui domine la route un peu avant Maljasset, et qui se situe sur la Tête de Sanglier, grosse montagne de quartzite. A cet endroit la rivière est enserrée entre deux montagnes aux parois austères du fait de leur couleur sombre et de leur ampleur, celle vers laquelle nous avons l’intention de nous diriger et en rive gauche donc au sud, l’impressionnante flamme de pierre que constitue le Grand Bec de la Blachière.
La marche d’approche s’effectue au plus court à travers prairies, forêts, restes morainiques. Il ne nous faut pas très longtemps pour rejoindre le pied de notre voie d’escalade malgré les six cents mètres de dénivelé. Notre itinéraire emprunte une immense dalle incurvée. L’aspect du rocher est particulier, poli comme du marbre mais pourvu de petites aspérités qui permettent un bon positionnement des doigts. Pour les pieds, des variations d’inclinaison de petits pans de rocher permettent généralement un bon appui, mais ces prises de pied ne se repèrent pas du premier coup d’œil, elles font preuve d’une sorte de mimétisme, cependant on apprend rapidement à les repérer avec un peu d’accoutumance à la texture de ce rocher particulier. C’est cela le plaisir de l’escalade, les différents types de rochers impliquent pour chacun d’entre eux une stratégie d’escalade appropriée, donc le jeu varie à l’infini d’une montagne ou d’une falaise à l’autre.
Les variations sont de taille. L’utilisation des mains en fonction de la forme des prises, du grain du rocher, de la découverte plus ou moins évidente du point d’accroche des doigts, ce point d’ancrage permet ou non le blocage, ou alors faut-il appuyer fortement pour faire friction, de façon directe ou indirecte. Pour les pieds, il en est de même. Le point de poser peut prendre tous les aspects, petite réglette horizontale, graton minuscule qu’il faudra charger en pression, dalle très inclinée qui nécessitera aussi une forte pression pour tenir, les prises pourront aussi être indirectes, donc nécessiter des pressions en opposition des mains et des pieds.
Cette première escalade dans l’Ubaye nous enthousiasme. Mais le temps n’est pas très beau et le risque d’orage bien réel pour le début de l’après-midi. Vers les 12h30 nous en terminons avec cette belle dalle, qui en finale s’est bien redressée offrant une dernière longueur difficile, passage côté 6a. Nous débouchons sur une vire occupée deux mélèzes, bien visibles du bas. Sans doute y-a-il un lien avec le nom de la voie « à l’ombre du mélèze en fleur ». Après avoir mangé une rondelle de saucisson et une tranche de pain d’épice nous rejoignons sans perdre de temps la ligne de rappels qui nous conduira au pied de la paroi.
En effet le temps se dégrade et nous recevons quelques gouttes. Heureusement les précipitations ne s’aggravent pas à court terme et cela nous permet de rejoindre le point de départ sans être mouillés. Il est toujours très désagréable de se trouver trempés dans une paroi alors que l’on doit effectuer de nombreuses manœuvres, en particulier des rappels.
Pour notre deuxième journée, nous jetons notre dévolu sur une voie de la face est du Sommet Rouge. Il s’agit d’une vaste montagne calcaire de mille mètres de large et de 450 mètres de haut, se situant juste à côté de la Tête de Sanglier, que nous avons gravie hier. La différence géologique des terrains est extraordinaire en Ubaye. En effet ces deux montagnes qui se font face, l’une est en quartzite, roche qui s’apparente au granite, et la seconde est constituée de calcaire.
La marche d’approche présente un dénivelé de 750 mètres. Ils sont vite effectués, car le chemin est raide et la progression rapide. De plus en ce début de juillet les vallons des Alpes sont constellés de fleurs de tous types, aux couleurs variées. L’edelweiss est aussi présent, et parfois des touffes d’une dizaine d’étoiles blanches veloutées de belle taille se laissent admirer.
L’escalade au nom bien choisie « les potes âgés » se révèle d’emblée difficile. Comme généralement en rocher calcaire la paroi est verticale. Mais l’adhérence est extrême et les pieds peuvent venir se bloquer sur les moindres aspérités. Je suis toujours étonné de constater la petitesse des prises sur lesquelles on arrive à faire porter son poids. Il est très important lorsqu’on n’a pas un gros entraînement de compenser par la technique. En effet cette dernière en escalade, comme à vélo elle reste.
Par contre la force dans les avant-bras et les doigts, si on ne l’entretient pas très régulièrement, il ne faut pas compter se tirer bien longtemps sur de minuscules prises dans une paroi verticale voire surplombante. Avec Robert nous faisons bien attention de solliciter nos pieds plus que nos bras, si nous voulons gravir les 350 mètres de cette belle voie d’escalade. Cette journée sera la plus belle de la semaine, pas de pluie menaçante, ciel bleu jusqu’au soir. Nous en profitons pleinement. Les longueurs ne sont pas toutes très difficiles, vers le centre de la paroi une zone de faiblesse permet une avance plus rapide, mais le corollaire, une qualité du rocher moindre, d’où risque de chute de pierres. Dans ces passages plus faciles, nous redoublons de prudence. La dernière longueur consiste en un long dièdre de 45 mètres très athlétique, côté v+, mais les pieds trouvent de quoi se positionner alternativement de part et d’autre sur les deux pans de rocher qui constituent cet immense dièdre.
Vers les quinze heures le sommet est atteint. Une vue magnifique s’étend sur toute la région. Tout en bas, nous distinguons la vallée qui conduit à Maljasset, avec le village de la Barge un peu en aval, qui recèle un joyau, une vieille église au nom évocateur « notre Dame des Neiges ». Une multitude de sommets pointent fièrement parmi lesquels le Brec de Chambéron tient la place centrale.
Cet instant où l’escalade prend fin, le but étant atteint, on reste à contempler un immense panorama, avec en dessous ce grand vide que l’on a creusé à la force de notre corps. Cela procure une réelle sensation de bonheur, exacerbée par une douce fatigue des muscles qui ont été largement sollicités. Cependant, nous ne relâchons pas notre vigilance, car une descente acrobatique de 350 mètres en rappel dans cette paroi verticale nous attend. Bien souvent au cours de ces descentes des incidents, voire plus, peuvent survenir, généralement du fait d’une faute d’inattention facilitée par la fatigue. Nous gardons donc toute notre attention pour cet exercice, qui malgré l’habitude reste un moment intense en sensations. En effet, descendre plus que la Tour Eiffel pendu à une corde reste toujours un exercice impressionnant.
2H15 plus tard nous sommes au pied de cette magnifique paroi. Par une descente à travers un pierrier constellé d’édelweiss nous retrouvons le chemin qui nous ramène à la voiture. Aujourd’hui comme hier nous n’avons vu personne à proximité durant la journée. Christophe a repéré un grimpeur très loin de l’autre côté de la face, que Robert et moi n’avons pas réussi à distinguer. On a du mal à s’imaginer que nous sommes en été dans les Alpes françaises, si loin de tout et pourtant pas très loin. Nous arriverons à temps au gîte de Fouillouse pour entendre retentir la cloche annonçant le début du dîner.
Ce matin du troisième jour, le temps s’annonce assez beau, fort de notre belle journée d’hier nous partons sans inquiétude pour l’aiguille Large, magnifique jaillissement de quartzite sombre, qui se situe au-dessus du lac du Marinet. Pour y accéder, nous remontons à partir de Maljasset, le merveilleux vallon du Marinet. En ce début de matinée, c’est un enchantement, comme si toutes les fleurs et tous les animaux des environs s’étaient donné rendez-vous pour nous faire une vaste haie d’honneur.
La marche d’approche commence sous de bons augures. En effet, dès la sortie du village de Maljasset deux gros patous, ces fameux gardiens de troupeaux de moutons nous ont regardés passer. Lorsque nous nous sommes engagés sur le chemin pour rejoindre le pied de notre voie d’escalade, ils se sont faits plus pressants et se sont rapprochés en aboyant, l’un d’entre eux grondant même. Tiens mais pourquoi ? Nous avons vite compris, face à nous sur le chemin un immense troupeau de moutons arrivait dans notre direction. Les patous nous demandaient simplement de prendre une autre direction. Mais notre chemin passait par là. Attendre que cette masse d’ovins nous ait dépassés aurait pris un quart d’heure. Ne comptant pas attendre, nous décidons de quitter le chemin et de passer dans le champ en contrebas. Manifestement, cette décision convenait aux patous, qui dès que nous nous sommes mis à descendre se sont détournés de nous. Ces chiens m’étonneront toujours !
Le chemin remontant vers le lac Marinet, dans la direction du col Mary est un enchantement. D’abord il passe en sous-bois dans une forêt de mélèzes, puis il se perd dans de grandes prairies, dominées de magnifiques pointes rocheuses, dont la plus caractéristique est la Pierre Andrée, monolithe granitique de deux cent cinquante mètres. D’autre part, les fleurs rivalisent de forme, de grosseur et de couleur. Pour n’en citer que quelques unes, le myosotis et son bleu tendre, les différentes espèces de gentianes, la printanière d’un bleu couleur ciel, celle à feuilles larges qui présente une grosse fleur bleu profond presque nuit et la gentiane ponctuée, grande tige de plus de cinquante centimètres qui se charge de nombreuses grosses fleurs jaunes étagées, l’aster des alpes qui se regroupe en colonie avec ses coroles bleu pale faisant penser à des touffes de marguerites colorées, et encore dans les bleus la valériane qui n’hésite pas à lancer au sommet de ses tiges une multitude de fleurs, dans les teintes tirant sur le mauve la globulaire et sa grosse tête perchée bien haut sur sa tige frêle, et aussi le bleuet vivace, quelques troles ponctuent de jaune ce tableau, et d’une teint orangée l’épervière orangée. Je pourrais donner encore une multitude de noms, car m’a-t-on dit, la flore alpine recèle de l’ordre de mille variétés de fleurs !
Je ne sais plus où regarder, au sol vers cette multitude de points de couleurs ou vers les hauteurs en direction de ces parois qui se dressent toujours plus proches et imposantes. Mais pour donner une dimension encore supérieure à la féerie de cette marche d’approche, les marmottes et les chamois s’y mettent. Les premières, pas farouches du tout viennent à proximité et mangent de l’herbe en se souciant à peine de nous. Un peu plus loin, en arrière plan, les chamois nombreux nous donnent une belle leçon d’escalade et d’équilibre sur terrain instable. Cependant, l’un d’entre eux dérape et repart dans la pente en contrôlant sa descente plus que sa chute. Au deuxième essai, il passe sans problème. Une des raisons pour lesquelles les parois que nous gravissons en Ubaye sont peu fréquentées, consiste en la longueur des marches d’approche. Mais ces marches constituent à elles seules un motif de balade. Pouvoir associer ce genre de randonnée à l’escalade qui va suivre permet de vivre des journées très diversifiées par les émotions et les sensations.
De toute évidence ces deux heures de marche préparatoire à l’escalade nous enchantent, et encore aujourd’hui même sur le chemin nous sommes seuls. Sommes-nous en France en juillet ? Devant nous l’aiguille Large prend de l’ampleur, elle culmine à 2857 mètres. Grande lame granitique à la couleur sombre, que nous allons rejoindre par un pierrier raide et pénible.
Que ces bases de montagnes sont austères et incitent à l’aventure ! Nous nous équipons tout excités à l’idée des belles sensations qui nous attendent le long de ces grandes dalles sombres. Christophe attaque la première longueur, qui s’avère difficile, jamais de prises très franches, des oppositions latérales pour tenir sur le rocher.
Le temps s’assombrit rapidement. Va-t-on prendre la pluie en pleine paroi ? Nous allons grimper avec ce souci de nous dépêcher et prendre de vitesse le mauvais temps. L’ambiance devient austère même si la face ne fait que deux cents mètres de hauteur. Les dernières dalles à la couleur presque noire, sous ce ciel très sombre donne vraiment une impression de haute montagne, l’escalade y est difficile, 6a soutenu. Mais le plaisir n’en n’est que renforcé, lorsque la pression augmente, mais que le rocher reste sec et les mouvements permettent une escalade aérienne de toute beauté. Chapeau pour l’initiateur de cette voie, car il faut avoir l’intuition qu’il est possible de forcer en escalade libre ce bouclier de dalles verticales, qui semble ne présenter qu’une face lisse sans prise.
Nous arrivons au sommet avant la pluie, d’ailleurs qui en définitive ne viendra pas. Le ciel finira même par s’éclaircir. Une fois de plus nous savourons le plaisir de nous trouver sur un joli sommet et pour le troisième jour consécutif nous sommes seuls. Par une descente facile entre de petites barres rocheuses nous rejoignons le lac Marinet, au-dessus duquel nous faisons une petite pause casse-croûte, avec le traditionnel morceau de saucisson. On le trouve vraiment bon ! J’ai l’impression de faire un festin digne de Pic à Valence ou de Bocuse à Collonges ! Sacrilège diront certains !
En reprenant le chemin de descente en direction de Maljasset nous rencontrons quatre randonneurs et deux gendarmes. Ces derniers nous disent que les deux jours à venir ne seront pas très favorables, des orages étant attendus en milieu de journée. Bon, nous faudra-t-il nous adapter et envisager des voies de moyenne ampleur nous permettant de devancer le mauvais temps ? Nous verrons bien. Pour le moment nous descendons à Jausiers à la recherche d’une pharmacie car je me suis fait piquer au bras par une bête, et l’une des plaies semble s’infecter. On dirait un peu une piqûre de vipère constituée de trois trous, avec une zone qui commence à se nécroser en périphérie. Cependant, je ne ressens aucune douleur, pourtant la plaie n’est pas très belle et elle suppure. Mais tout rentrera dans l’ordre avec un désinfectant et une pommade à la cortisone. Jausiers est un joli petit village et nous y passons un moment agréable, malgré une chaleur étouffante. Nous rejoignons notre gîte à Fouillouse. Nous arrivons après le fatidique signal de la cloche. Le cuisinier qui prend l’air sur le balcon en nous voyant passer après l’heure imposée de 19h nous demande, le sourire aux lèvres de nous presser !
Pour ce quatrième jour, en effet les prévisions météorologiques sont pessimistes, orages dès midi. Nous décidons de partir pour une escalade de deux cents mètres au-dessus de Fouillouse sur les contreforts de Massour, joli bastion calcaire à mi-distance du col de Mallemort sur le GR5. Les arpenteurs de ce fameux chemin qui traverse, entre autre les Alpes françaises, ne sont pas très matinaux car nous sommes seuls. Je me souviens l’avoir parcouru il y a déjà quatre ans entre Briançon et Nice. J’en garde un excellent souvenir et au col précédemment cité, j’avais rencontré un solitaire qui remontait et qui avait subi des intempéries assez conséquentes. Aujourd’hui même pas un solitaire avec qui discuter. D’ailleurs je ne sais pas si nous avons trop l’esprit à la discussion. Nous pressons le pas, car dès le matin le temps n’est pas très beau et les montagnes restent enveloppées de volutes nébuleuses de mauvais augure. Cependant la marche est toujours aussi jolie, des fleurs partout, qui dans ce temps gris ressortent à la manière de luminions multicolores.
Alors que nous approchons du pied de la paroi dans les cailloux, où l’herbe se fait rare, apparaissent les magnifiques coroles blanches veloutées des édelweiss. Un peu plus haut une harde de chamois détale, et l’un d’entre eux se découpe sur une arête rocheuse, ce qui permet une photographie du meilleur effet.
Rapidement équipés, nous partons dans l’escalade à vive allure, malgré la difficulté de ces magnifiques dalles sculptées. Le rocher est de la qualité de celui que l’on rencontre dans des parois mythiques, mondialement connues, l’Escalèse au Verdon, ou les deux Aiguilles à la montagne Sainte Victoire. Encore une fois nous goûtons un immense plaisir en équilibre sur ces grandes dalles, où l’adhérence des pieds joue un rôle prépondérant.
Mais nous aurons moins de chance qu’hier, alors que Christophe vient de conclure la dernière longueur, et qu’avec Robert nous nous y engageons, la grêle sans préavis se met à tomber. Adieu pour nous cette dernière partie d’escalade. Nous rejoignons sagement le relais que nous venons juste de quitter et en un rappel notre guide nous rejoint. En quatre rappels rapides nous atteignons le pied de la paroi.
Quelques petites averses intermittentes se manifestent, mais nous ne pouvons pas dire qu’elles nous mettent en péril. Nous allons après quatre jours dans cette haute vallée de l’Ubaye, pour notre dernière journée d’escalade quitter le coin et nous rendre dans la vallée du Bachelard, petite gorge profonde et secrète qui conduit au col de la Cayolle. Le gîte de Bayasse nous accueille pour la nuit. Le lieu est sympathique et le propriétaire nous confections une grosse platée de pâtes, qu’il a fabriquées lui-même. Un délice !
Pour notre dernière journée d’escalade, et oui une semaine ça passe trop vite, nous envisageons de gravir la fière face sud du Chapeau de Gendarme, magnifique aiguille calcaire qui culmine presque à 2600 mètres, et qui sur son versant nord donne sur la station de ski du Sauze. La marche d’approche est raide et pénible, terrain instable dans les pierriers et parfois au-dessus d’à-pics, vers lesquels il est préférable de ne pas glisser.
Tous les ingrédients de la montagne sont réunis. Une fois équipé, Christophe enlève rapidement la première longueur, de difficulté moyenne, V. A mon tour je démarre, que c’est difficile, suite à cette marche interminable et du fait que c’est le septième jour consécutif que nous grimpons, je ressens plutôt de la douleur que du plaisir dans ce début de voie. Je me demande ce qui va se passer plus haut lorsque les difficultés vont devenir sérieuses.
Ce qui m’inquiète, ce sont mes mollets qui ne répondent pas vraiment, ce qui rend mes prises de pied très imprécises dans cette paroi verticale, alors qu’il ne me faudra pas compter sur des doigts d’acier pour palier cette défaillance des membres inférieurs. Mais voilà, le corps est un vrai miracle, à chaque longueur, la difficulté s’accroit, mais les muscles se chauffent et la précision et le plaisir reprennent le dessus.
Dans cette paroi de deux cent cinquante à trois cents mètres, la sensation de vide est impressionnante, car nous avons louvoyé entre des barres rocheuses dans des pentes très raides pour en atteindre le pied. On a l’impression de dominer d’un seul jet le torrent du Bachelard quelques mille mètres plus bas. Nous profitons intensément de cette dernière escalade, qui sur les trois dernières longueurs nous gratifie en premier d’un grand dièdre surplombant, cependant relativement pourvu de prises, et pour finir d’une extraordinaire dalle de 70 mètres de haut, permettant une escalade très aérienne d’une beauté incroyable.
On aimerait que cela ne s’arrête pas tout de suite, bien que les muscles soient soumis à rude épreuve. Ces derniers moments vont s’incruster durablement en nous et susciter l’envie de revenir rapidement se confronter à ces horribles abîmes qui nous attirent tant.
Mais une fois au sommet, la redescente nécessite de l’attention. En effet, par des pentes très raides et pas très stables, nous redescendons sans nous assurer et tout faux pas s’avérerait fatal. Le terrain fait penser à la haute montagne, l’itinéraire n’est pas toujours évident, et il nous faut serpenter au milieu d’à-pics pas très sympathiques sur des terrains qui ressemblent un peu à des roulements à billes. Dans les dernières pentes raides en caillasse instable, nous tombons sur une harde de bouquetins qui se laissent approcher. Que ces animaux à l’allure massive sont agiles ! Ils se laissent photographier complaisamment dans les positions les plus esthétiques. Jusqu’au bout l’Ubaye nous aura prodigué ses merveilles.
Mais tout à une fin, nous voilà presque en finale de notre pérégrination. Nous nous retrouvons sur un chemin bien tracé, où les fleurs sont plus nombreuses que jamais, un véritable paradis.
Nous croisons un Anglais qui monte avec un vélo de course sur le dos. Où va-t-il ? En effet quelque soit sa direction, et le choix n’est pas très diversifié, le vélo devra rester sur son dos à la descente. Il y a vraiment de drôles de gens ! Peu après la route goudronnée est atteinte, puis la voiture, nous rangeons notre matériel de montagne. Je remonte le torrent les pieds dans l’eau pour me rafraichir et profiter encore de cette merveilleuse nature de l’Ubaye et ne pas partir tout de suite, et avec regret nous quittons cette contrée, avec l’intention d’y revenir, il nous reste tant à faire.
Voilà notre semaine est terminée. Je me sens un peu fatigué, surtout les avant-bras, mais quel plaisir en me remémorant ces grands espaces peuplés de fleurs, d’animaux et de grandes parois. De plus, ces merveilles ne semblant pas attirer nos semblables, l’impression de monde vierge que cela suscite renforce le bonheur que nous y avons connu durant cette trop courte semaine. Je ne peux que conseiller cette région, l’Ubaye, aussi bien aux randonneurs qu’aux grimpeurs, éperdus de solitude. Bien souvent vous aurez l’impression d’être seuls au monde dans des coins reculés, cependant pas très loin de la civilisation.
15:49 Publié dans escalade, montagne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ubaye, calcaire, granite, escalade, edelweiss, fleurs, chamois, marmotte, bouquetin, brec de chamberon
11/04/2011
Escalade, passion quand tu nous tiens
Passion quand tu nous tiens
Robert m’appelle de Paris pour un petit week-end d’escalade volé sur l’emprisonnement de notre mode de vie, qui nous grignote tous nos instants. L’espace d’une journée nous allons nous échapper et retrouver nos sensations de jeunesse, lorsque nous partions un peu plus insouciants nous confronter aux falaises du Vercors ou de la Chartreuse, qu’il s’agisse du Mont Aiguille, de la Montagne des Trois Becs, de la sauvage paroi de Glandasse, de la dent de Crolle, des rochers du Midi ou de notre préférée l’extraordinaire citadelle
d’Archiane. Cette fois l’entreprise sera de moindre envergure, il s’agit d’aller gravir le pilier de Chamechaude en Chartreuse, falaise de l’ordre de cent cinquante mètres. Cependant, si le développement des immenses falaises du Vercors ou de la Chartreuse n’y est pas, l’ambiance et tous les ingrédients qui la constituent sont bien présents. Même si une petite appréhension m’étreint car, l’entraînement à l’escalade je n’en ai pas beaucoup, l’enthousiasme me gagne. Les parois de ce secteur sont toujours verticales voire surplombantes, le rocher n’est pas réputé pour être excellent, voire pire. Bien souvent on a l’impression de louvoyer au milieu de tas de roches empilées qui ne demandent qu’une petite aide pour s’écrouler jusqu’au pierrier qui se trouve toujours à leur pied, preuve s’il en était que ça dégringole dans ces coins. Mais partir à la redécouverte de nos sensations de jeunesse dans ces falaises de couleur éclatante, où l’ocre le gris et rouge dominent, nous procure un tel bonheur que les légères angoisses sont loin d’être un frein, tout au plus une motivation supplémentaire du fait de l’adrénaline dispensée.
Donc Robert viendra me récupérer à sept heures du matin à Lyon. Toujours la peur d’être en retard et l’impatience d’être parti font que je suis prêt avant l’heure convenue. J’en profite pour commencer un livre que je viens d’acheter « l’esprit du chemin voyage aux sources du Bonheur» de Olivier Lemire. Ouvrage au titre aussi évocateur qu’étrange. Ce livre a attiré mon attention au cours de mes longues et fréquentes recherches dans les différentes librairies lyonnaises, car il aborde un sujet qui m’est très cher, la narration des longs voyages à pied à travers la France. La spécificité de l’auteur et je n’y avais jamais songé, provient de son mode de sélection des itinéraires de ses voyage à pied. En effet, et cela est très étonnant, il les détermine en fonction des noms de son point de départ et d’arrivée ainsi que de ses points de passage. Cette fois son but est le ruisseau « le Bonheur » perdu quelque part au fin fond du massif Central, son départ se situant à proximité de Paris, une fois l’emprise de la ville dépassée, laissant revivre de larges pans de terre non construite et les champs se développer. Son premier voyage de l’ordre de 450 kilomètres, il l’avait effectué au départ du hameau de « la Vie » à l’ouest de Paris jusqu’au lieu dit « la Mort » dans le Jura. Cela l’avait tellement marqué qu’il s’engage cette fois-ci pour une épopée pédestre à la rencontre des lieux et des gens sur 1500 kilomètres en passant par des endroits aux noms évocateurs comme « la Haine », « le Bout du monde », « le Cercueil », « l’Amour », « Plaisir », « le Corps », « la Solitude » ou « la lumière ». Il est toujours étonnant de constater quelles peuvent être les motivations qui nous poussent à partir à l’aventure. Après quelques pages, juste le temps d’aiguiser mon intérêt et ma curiosité, j’entends une voiture s’arrêter devant la maison, je prends mon sac et pars rejoindre Robert.
Chamechaude dans la Chartreuse, une centaine de kilomètres de Lyon,
nous sommes pressés d’y être. Nous devons faire attention aux excès de vitesse, car sur autoroute il est difficile de respecter les limitations surtout avec nos véhicules modernes avec lesquels les deux cents à l’heure ne procurent presque plus la moindre sensation. Mais prudence oblige nous essayons de nous plier à la loi. Peut-être aussi, mais ne l’avouons pas, le nombre de points particulièrement faible sur nos permis nous incite à lever le pied. Roulant en direction de l’est, le relief prend progressivement de l’ampleur. Nous nous dirigeons vers la dépression qui se situe entre les deux massifs de Chartreuse et du Vercors. Cela nous rappelle notre jeunesse où nous prenions dès que nous le pouvions le chemin de ces régions d’aventure, où notre motivation principale n’était le nom des lieux mais la difficulté des escalades, dont nous lisions les descriptions dans le mythique guide des escalades en Chartreuse et Vercors. Bouquin épais, à la couverture cartonnée jaune, de petites dimensions, calqué sur les prestigieux guides de montagne DEVIES sur le massif du Mont Blanc. Ces livres nous plongeaient dans les rêves les plus fabuleux, nous nous imaginions pendus au-dessus de vides immenses accrochés à des surplombs par des prises minuscules, à chercher « toute adrénaline dehors », une issue au passage où notre salut passerait forcément par la découverte d’aspérités minuscules et l’accomplissement de mouvements d’adhérence ou d’opposition, permettant d’utiliser tous les reliefs de la roche quelque soit leur orientation. Nous imaginions les Terray, Lachenal ou Desmaison, nos héros que nous admirions comme
des dieux invincibles en train de se battre contre ces à-pics dont ils avaient fait d’admirables récits. Et puis, à notre tour nous connaissions ces sensations fortes d’être pendus dans ces falaises typiques par leur raideur et leur rocher fracturé. Depuis cette époque, hélas déjà lointaine, l’escalade s’est orientée vers des falaises plus monolithiques, au rocher moins aléatoire, lorsqu’on ne se contente pas de s’affronter à des murs artificiels. Ces derniers, sans vouloir les critiquer, car ils ont leur intérêt, à mon sens sont dépourvus de toute la sensualité que procure une roche naturelle au toucher, de même il y manque le prodigieux intérêt de découvrir la manière de négocier un passage à la recherche d’un cheminent qui n’est pas toujours direct, et qui demande un décodage faisant appel à un réel travail intellectuel d’anticipation quant aux mouvements qui permettront de maintenir l’équilibre dans les positions les plus étonnantes.
Voilà au cours de notre approche en direction de Grenoble, ce qui nous revient en mémoire, à gros flots. Le plus étonnant, et qui ne manque jamais de nous surprendre, c’est la clarté des souvenirs et leur fraîcheur. Ces moments vécus nous ont tellement marqués par leur force et par ce qu’ils ont déclenché de plaisir brutal en nous, qu’ils sont comme incrustés de manière intemporelle dans nos neurones. Que nous les ayons vécus il y a maintenant une quarantaine d’années, cela ne nous empêche pas de nous remémorer avec acuité la rugosité du rocher au doigt, l’adhérence sous les chaussons d’escalade, la joie de la découverte à la limite de la chute, la minuscule aspérité qui permettra de maintenir un équilibre de plus en plus instable dans une fuite en avant de plus en plus rapide du fait des forces dans les bras qui nous abandonnent. Et puis ce vide qui se creuse entre nos jambes, au point de ne plus distinguer très précisément le pied de la paroi, et aussi les odeurs très particulières de ces grandes parois calcaires, où les fragrances minérales se mélangent aux essences exhalées par les buis qui poussent dans les endroits les plus invraisemblables. Rien que d’y penser, notre rythme cardiaque s’accélère et l’émotion nous donne des couleurs aux joues.
Nous quittons l’autoroute et montons en direction du col de Porte, lieu où nous laisserons la voiture pour entamer la marche d’approche qui nous conduira au pied de la falaise. Nous sommes au mois d’avril et bien que la température soit presque estivale, sur ce versant nord de Chamechaude, se trouvent encore de vastes plaques de neige. Par un large chemin nous montons dans une belle forêt de sapins à la couleur sombre, presque noire. Après quelques centaines de mètres de dénivellation, nous dirigeant un peu au hasard dans la volonté de rejoindre le versant sud, nous débouchons sur un petit belvédère qui nous offre une vue magnifique sur le massif de Belledonne. Ce denier est encore très enneigé et de toutes parts les montagnes foisonnent, dans un panorama à 360 degrés. Juste au nord la dent de Crolle lance vers le ciel son immense courbe arrondie, face à nous le massif des sept Lots et Belledonne occupent tout l’est et lorsqu’on porte le regard au sud, le Vercors déploie ses nombreuses parois de rochers de la Sûre en passant par les Deux Sœurs, le Gerbier, le Grand Veymont, les rochers du Parquet et en guise de point final le Mont Aiguille qui tel un immense monolithe marque la fin du Vercors. Et puis encore, un peu plus à l’est et au sud, l’Obiou impose sa silhouette massive qui telle une sentinelle éternelle donne accès au Dévoluy. Outre la splendeur du spectacle offert par le foisonnement de ces falaises, la plupart de ces endroits nous rappellent des escalades que nous avons effectuées, et nous ne pouvons pas poser notre regard sur l’un ou l’autre de ces coins de verticalité sans que le souvenir et l’émotion ne montent en nous.
Cette escalade que nous venons faire aujourd’hui, je réalise que je la vis à la manière d’un pèlerinage non prévu, une multitude de
sensations non canalisées me ruisselant littéralement dessus. Bon, il faut cependant nous arracher à nos rêves pour essayer une fois de plus de les vivre. Car la réalité s’impose à nous et le temps passe, alors que nous sommes attendus ce soir à Lyon. Un peu au hasard nous reprenons notre chemin et après quelques détours, nous découvrons la sente caillouteuse qui nous laisse pressentir que nous allons entrer dans le sanctuaire de la falaise. Rapidement nous sommes au pied de ces rochers de quelques cent cinquante mètres de haut. Ils sont orientés plein est, le soleil darde ses rayons. L’éblouissante clarté de la roche réverbère chaleur et lumière. Que ces sensations que nous vivions en rêve dans la voiture sont bien conformes à la réalité. Lorsque nous avons découvert pour la première fois cette ambiance très caractéristique de ces immensités calcaires verticales, alors que nous avions seize ans à peine, nous avons vécu, du fait de la nouveauté, cette expérience comme un véritable choc. Nous n’imaginions pas que de tels lieux existent. Mais maintenant, quarante ans plus tard, ayant connu de grandes montagnes un peu partout sur la Terre, ayant vécu des expériences professionnelles et personnelles très intenses, on imaginerait que notre curiosité, notre plaisir et notre étonnement aient subi au moins une petite atténuation, un léger effacement, une certaine altération. Eh bien non ! Aucune expérience ne joue, aucune habitude ne s’est installée. Se trouver en un tel lieu déclenche toujours la même sensation de plénitude enfantine. Bien peu de choses se sont perpétuées en nous de façon intacte à travers les ans et les expériences de la vie avec cette puissance. Les premières amours lorsqu’elles sont les bonnes sont intangibles, bien que les aléas de la vie ne nous permettent pas de leur être toujours très fidèles. Le bonheur c’est peut-être cela, regarder et sentir une belle paroi éclatante que l’on envisage de grimper. Elle reste nimbée de mystère et cache à notre regard encore distant les minuscules aspérités qu’elle nous dévoilera au-fur-et-à-mesure, avec parcimonie, nous permettant finalement d’atteindre son sommet.
Il nous faut maintenant trouver notre itinéraire dans cette falaise qui se développe horizontalement sur un kilomètre et ce n’est pas toujours
facile. Le topo indique de rejoindre le quatrième éperon, puis de l’attaquer sur sa gauche par une fissure jaunâtre et délitée. Pour le moment, un peu sous le charme des souvenirs qui se bousculent, l’esprit quelque peu inattentif, nous errons au pied de la paroi avec insouciance, un peu au petit bonheur la chance. Nous remontons un court couloir très raide et croulant, manifestement fréquenté par les chèvres et venons buter sous des surplombs peu sympathiques. Dans ces moments, on trouve toujours une ressemblance avec l’itinéraire décrit, il suffit d’un peu d’imagination. Mais là manifestement rien ne ressemble à la description dans le dédale vertical qui nous domine. Nous redescendons et continuons à parcourir le pied de la paroi les yeux vers le haut. Enfin, une gorge caractéristique nous permet de réaliser que nous avons dépassé le point de départ de notre voie d’escalade. Nous nous localisons rapidement, et par une trace minuscule s’insinuant déjà dans la paroi, nous rejoignons la fameuse fissure délitée jaunâtre qui va nous ouvrir l’accès à ce paradis vertical.
Il est bientôt onze heures trente. Nous faisons une pause perchés dans la pente au pied de la falaise. Nous sommes seuls, aucun autre grimpeur, pourtant cette voie d’escalade passe pour une classique. Il y a quarante ans, dès les beaux jours, les cordées devaient s’y bousculer, mais les modes, qu’elles soient vestimentaires, de destination de voyages, ou de lieux d’escalade changent. Dans le cas présent tant mieux pour nous. Avoir cette belle paroi pour nous seuls ne fait
qu’augmenter notre plaisir. Le rituel du casse-croûte avant la bagarre s’impose, saucisson jambon et pain en seront les éléments principaux. Dès que nous déballons nos victuailles les chocards, ces corbeaux à bec jaune des parois viennent nous quémander quelques miettes, que nous leur donnons avec plaisir. Certes un plaisir quelque peu sadique ou pervers, dans le but de les voir se chamailler, à savoir lequel va s’envoler avec le morceau. Le plus téméraire nous vient pratiquement sous les jambes, et ses acolytes pour ne pas être distancés dans la course au morceau de pain ou au gras de jambon, sont rapidement tentés de faire de même.
Enfin, vient le moment de s’équiper. Bien mettre son baudrier et faire un nœud convenable à la corde sont les deux opérations primordiale de sécurité, qu’une routine parfois dangereuse, nous avait dans les temps passés conduits à quelques reprises près du grand plongeon. Mais notre faible fréquentation actuellement des parois, nous pousse à la plus vive prudence et pour ma part j’ai plutôt tendance à refaire mon nœud deux fois et vérifier la position de mon baudrier trois. Les premières longueurs sont souvent les plus difficiles car elles tiennent lieu d’échauffement. Et avec l’âge et la souplesse s’enfuyant à grandes enjambées, cet échauffement préliminaire devient de plus en plus douloureux et demande la plus extrême motivation. Robert s’élance le premier en direction des premiers pitons à une dizaine de mètres du sol. Là, un surplomb exige le début des efforts sur les bras, les pieds servant cependant aussi à alléger la charge du corps. La technique d’escalade c’est un peu comme le vélo, lorsque la condition physique n’est pas là, la technicité acquise s’avère d’un grand secours pour venir en aided à la force et à l’endurance défaillantes des bras et des doigts. Une fois passé ce bombement une jolie dalle grise est négociée rapidement et le relais est établi. Je démarre et le surplomb à mon tour me demande quels efforts violents en matière d’échauffement. Sans vergogne je me tracte aux trois pitons en place. Ils sont de facture moderne, donc la voie semble bien rééquipée. Je me souviens de l’époque héroïque de notre jeunesse, où nous nous élevions le long de lignées de pitons plus
ou moins douteux en osant à peine les toucher. Aujourd’hui, avec le rééquipement sécurisé plus de ces doutes quant au fait de « déboutonner » toute une longueur de ses points d’assurance. Arrivé au relais, à mon tour je prends la tête pour une jolie traversée aérienne en adhérence. Les longueurs, toujours difficiles, vont se succéder. Et le plaisir de découvrir au touché la petite anfractuosité cachée du bas au regard, procure toujours cette vive sensation de plaisir. Le rocher calcaire est un immense terrain de jeu, qu’il faut apprendre à découvrir et les prises les meilleures pour la progression ne sont pas toujours voire rarement où on les attend. Il faut apprendre à jouer des axes dans lesquels on les sollicite, afin que mains et pieds d’un commun accord dans un subtil effort en opposition permettent au corps de s’élever en toute sécurité. On est bien souvent étonné des positions d’équilibre auxquelles on arrive, mais l’expérience fait qu’on les adopte presque de façon réflexe. L’escalade encore et toujours reste une activité qui me procure le plus vif plaisir.
La dernière longueur, je l’attaque avec des bras déjà bien « entamés », d’autant plus que la chaleur est intense. Ces parois calcaires se transforment rapidement en fournaise, ce qui rend les efforts plus difficiles. Après une traversée et un premier surplomb, dans lequel je me tracte aux quatre pitons en place, je remonte un petit dièdre de difficulté moyenne et attaque plein de confiance le dernier surplomb de la voie. Le premier piton est mousquetonné, c'est-à-dire que j’y ai assuré ma corde. Dans un mouvement ample je me jette sur le piton suivant qui se trouve un bon mètre plus haut. Je m’y trouve pendu par le bras gauche. Sans trop m’inquiéter, je commence les manœuvres pour y assurer ma corde. J’éprouve quelques difficultés, mais que diable je ne vais quand même pas tomber en me tenant à un piton. Encore quelques essais infructueux pour essayer de passer ma corde dans le mousqueton que je viens de mettre en place. Je commence vraiment à avoir des faiblesses au bras gauche, pendu dans ce surplomb, et l’incroyable arrive, je lâche tout. Je m’en veux un peu de ma maladresse, mais le piton inférieur n’est pas loin, la chute sera faible. Ça y est je vole, mais je ne m’arrête pas après les deux mètres prévus, mais descends pratiquement tout le dièdre entre les deux surplombs. Robert ayant une confiance plus que totale dans mes capacités à me sortir de ce surplomb attaqué à la hussarde m’a plutôt donné du mou, en vue d’une avance à fond la caisse, mais n’a pas prévu que l’avance se ferait vers le bas à vive allure. Je vois défiler le rocher tout surpris d’une telle descente. Enfin la corde joue son rôle et ma chute est amortie puis arrêtée sans mal. Piqué au vif, je reprends vite ma position au point de chute et me concentre sur l’action de
mousquetonnage de la corde et rapidement le surplomb est franchi. Les derniers passages d’escalade me donnent accès à la crête de la montagne. Une grande pente douce constellée de plaques de neige se dévoile à mes pieds. Assuré à un gros pin je fais monter Robert qui à son tour émerge au sommet.
Nous venons de passer une journée magnifique qui par l’effort physique exigé et par la beauté du cadre nous a replongés dans nos émotions de jeunesse, qui ont toujours illuminé comme des phares puissants notre vie, surtout les jours où rien n’allait. Nous n’avons qu’une envie c’est d’y revenir. Mais nos épouses n’aiment pas vraiment cette maîtresse considérée comme dangereuse et déloyale, qui semble nous attirer à l’aide de sortilèges mystérieux et puissants.
20:28 Publié dans escalade | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chamechaude, paroi, chartreuse, chocard, piton, corde
19/07/2009
Semaine d'escalade
Semaine Oisans Queyras
Cette année pour la deuxième fois nous décidons de faire une semaine d'escalade difficile. Mai l'âge aidant le plaisir étant notre première motivation et non la trouille de la chute accrochés à des grattons, nous partons avec un guide. Cette année encore le temps sera favorable, un peu moins que l'an dernier . En effet le temps orageux dans l'après-midi ne nous permettra pas d'envisager des voies de très grande ampleur. Nous ferons cependant quatre belles escalades entre deux cents et quatre cents mètres, cotées aux environs de TD( très difficile dans le jargon alpinistique), précédées d'un petit échauffement d'une soirée sur le Quiquillon d'Orpierre.
C'est avec beaucoup de plaisir que je me retrouve à Orpierre dans ce magnifique petit village des Hautes Alpes, chargé d'histoire. En effet il y a plusieurs siècles il se trouvait sur un axe important, maintenant totalement secondaire. Demain nous devons nous rendre au refuge de l'Olan où nous attend notre camarade et guide.
La remontée de la vallée du Valgaudemar en voiture se fait religieusement. Nous pénétrons dans un sanctuaire. L'Oisans et ses montagnes dégagent une atmosphère bien particulière. De grands versants dépouillés tombant dans des vallées profondes. Des sommets à l'aspect austère et sauvage dominent du haut de leurs pentes neigeuses et rocailleuses. Le roi de la vallée, l'Olan, trône du haut de ses trois mille six cents et quelques mètres. Nous faisons un arrêt à la Chapelle, joli village, qui à cette époque, fin juin est presque désert. Nous mangeons rapidement, en particuliers les tourtons, des spécialités locales, beignets fourrés. Notre choix se porte sur ceux aux épinards et à la framboise, un régal. Nous en profitons pour envoyer quelques cartes postales, aux enveloppes magnifiques des edelweiss ou de grosses marmottes.
Nous attaquons vers les quatorze heures la montée au refuge de l'Olan. Des fleurs partout nous accompagnent une grande partie de la montée, en particulier de superbes lys martagons à la couleur orange. Le printemps ou le tout début de l'été, c'est vraiment le moment idéal pour se promener en montagne. A plusieurs reprises nous passons à proximité de magnifiques cascades. Que cette montée est longue. Le chemin vers l'amont ne se découvre jamais sur une grande distance du fait des ruptures de pente. Le refuge n'apparait qu'au dernier moment. Notre guide, Christophe nous attend. Ce soir il y a peu de monde et le gardien nous attribue un grand dortoir pour nous seuls. Un vrai plaisir que de venir en refuge dans ces conditions.
Lever pas trop matinal, car ce soir nous restons ici. De plus le temps sera assez stable pour la journée, les orages possibles et très localisés ne devraient pas se manifester avant la soirée. L'objectif de la journée est une escalade de 370 mètres cotée TD inf, qui se situe au beau milieu de la Rouye, belle paroi orientée à l'ouest qui se dresse au-dessus du refuge. Une heure de marche d'approche en empruntant la voie normale de la pointe du Vallon. Cette montée nécessite les crampons sur une neige assez raide et dure. Comme généralement les derniers mètres avant le rocher sont plus pentus , tantôt neigeux et tantôt rocheux. Sur le rocher en crampons sans être encore encordés, bien que la difficulté ne soit pas importante, nécessite de l'attention. Et notre guide nous connaissant bien , considère que nous n'avons pas besoin de corde. Le rituel de la préparation à l'encordement terminé, la première longueur est attaquée par Christophe. Le rocher est un peu humide mais il est tellement adhérent que cela n'augmente pas vraiment la difficulté. Le toucher de ce joli granit de l'Oisans au grain franc et très adhérent est un véritable plaisir. La paroi est quasiment verticale sur les deux premières longueurs, puis sur une soixantaine de mètres l'inclinaison est moindre sur un terrain beaucoup plus facile. Puis la verticalité redonne tout son attrait à l'escalade sur quelques trois cents mètres. Ce n'est jamais facile, mais toujours une possibilité de mettre un pied en adhérence ou sur un gratton et les doigts peuvent généralement se nicher sur une petite réglette bien franche. Dans certains passages, toutefois, il est nécessaire de tirer sur des prises indirectes en opposition, c'est un peu athlétique. La difficulté raisonnable, entre quatre sup et six a, laisse tout loisir au plaisir de s'exprimer pleinement. L'escalade, c'est un peu comme le vélo, la technique reste, en particulier la technique de pied, la plus importante pour soulager l'effort des bras, ce qui est d'autant plus important, lorsqu'on n'a plus trop d'entraînement. On a vraiment le sentiment de se trouver en pleine montagne. Le cirque de l'Olan est magnifique, et l'ambiance est d'autant plus impressionnante que quelques nuages commencent à envahir l'espace à nos pieds. Tout de suite la montagne prend un air plus austère et plus mystérieux. Être pendu au-dessus du vide avec les nuages sous les pieds me rappelle les grandes escalades que je faisais il y a bien longtemps et j'ai l'impression de rajeunir. Sans incident nous arrivons au sommet. Nous sommes seuls, comme quoi même en France on peut encore se trouver dans des montagnes désertes. Assis au sommet nous profitons de ce spectacle sublime, des parois qui jouent à cache- cache avec les nuages. L'effet loupe du soleil nous distille une douce chaleur. Vient le moment, après une petite demie-heure de contemplation, d'envoyer la corde pour le premier rappel. Moment toujours impressionnant lorsqu'on se jette dans un vide de quatre cents mètres suspendu à une simple corde. Mais la technique est bien rodée et même à trois nous ne mettrons pas longtemps pour retrouver le pied de la paroi. Notre guide qui nous prend pour des bons, ne trouve pas utile de mettre un rappel le long du socle suspendu de soixante mètres et donc me voilà lancé dans une déescalade sans assurance. Bien que ce ne soit pas difficile techniquement, les prises de main sont fuyantes et parfois des mottes de terre peuvent rendre les chaussons d'escalade gras avec des conséquences funestes, en effet la chute ne pardonnerait pas . Mais il avait raison nous maitrisons sans incident ce passage sans assurance, ça donne même un peu de piquant à une escalade certes difficile mais dénuée de danger pour le second de cordée . Encore un rappel de cinquante mètres et nous touchons la neige. Au cours du retour au refuge une averse orageuse nous rafraîchit. Soirée agréable, toujours peu de monde, le gardien nous raconte la vie du refuge et sa passion pour le para-pente. Il faut dire que l'implantation du refuge est idéale. En effet on voit le village 1200 mètres plus bas et d'un coup d'aile on peut y être. Mais comme toujours il faut faire très attention à l'aérologie locale.
Après une bonne nuit, lever matinal, non que l'escalade sera longue, mais nous descendrons dans la foulée dans la vallée. L'objectif pour ce matin se trouve juste au-dessus du pas de l'Olan. Belle paroi granitique bien verticale s'élevant d'un jet de deux cents mètres. Après une marche d'approche d'une heure nous attaquons ce joli rocher. L'escalade est athlétique, parfois surplombante. De jolies fleurs colorent les fissures, certaines d'un bleu lumineux. De temps à autre de belles touffes de genépi bien mûres sont tentantes, et un peu à la manière de l'oncle Picsou qui voit danser les dollars, nous voyons danser les bouteilles bien remplies de cette herbe miraculeuse!!!. Sur notre gauche un panorama magnifique s'étend jusqu'au Dévoluy, et nous pouvons en admirer tous les sommets. Sans incident nous gravissons cette jolie voie, cotée très difficile et en quatre rappels de 50 mètre nous nous retrouvons au pied. Nous entamons la descente vers le refuge et rapidement vers la vallée. Il fait chaud et cela me semble long. Surtout que j'ai commis la faute de garder mes grosses chaussures et qu'une ampoule commence à me titiller le talon droit. Il y a très longtemps que ce genre de maux ne m'était plus arrivé. A notre arrivée à la voiture, la pluie nous accueille, elle est drue mais elle arrive un peu tard, nous sommes au sec. Ce vallon de l'Olan, nous y avons passé deux jours sans voir grand monde. Tout à loisir j'ai pu dans le calme penser à mes expériences passées, en particulier la face nord que j'ai gravie il y a maintenant trente ans. C'était une belle face terrain haute montagne de 1100 mètres. Cette escalade m'a laissé des souvenirs forts par la sauvagerie de cette face, qui était très peu équipée. Il y a quelques années elle s'est écroulée et la voie Devies Gervasutti ne doit plus exister,même les voies d'escalade meurent. A côté de la voiture un gros rocher sur lequel sont fixées des plaques commémoratives, en particulier en souvenir de cordées tombées à l'Olan. Si attrayante que soit l'ascension de ces belles montagnes, ces plaques nous rappellent que ce sport reste dangereux.
Demain et les jours à venir l'activité orageuse devrait se développer. Nous avons à notre programme deux ascensions du côté du Viso. Il sera toujours temps demain soir au col Agnel de faire le point.
Nous arrivons au refuge Agnel qui a la particularité d'être au bord de la route. Le temps ne semble pas très beau, orage de milieu d'après-midi. Sur le côté italien dans le coin du Viso ça accroche sérieusement. Nous décidons donc de rester sur le versant français et de grimper dans les environs. Certes les voies sont de moindre développement, mais il y a quand même de quoi s'amuser. Nous montons au col Agnel. Il y passe beaucoup de monde, touristes en voiture, motards beaucoup d'Allemands et des cyclistes. En particulier un Italien qui doit avoir dans les soixante dix ans passés. Arrive aussi une grande, vraiment très grande, Hollandaise, manifestement folle de joie. Première chose dès qu'elle descend de son vélo, elle dégaine son portable et elle se lance avec un enthousiasme évident dans la narration de son exploit, et c'est est un. Nous discutons avec les uns et les autres, de vélo et de motos. À ce col de toute évidence il y du plaisir de s'y trouver. Nous passons une soirée sympathique au refuge, qui n'est toujours pas surpeuplé, après-demain soir ce ne sera plus le cas, ils attendent 78 personnes.
Le matin lever pas trop matinal. Nous laissons la voiture au col Agnel et prenons la direction d'un petit sommet dans le prolongement du Pain de Sucre. Il s 'agit d'une belle arête en calcaire de trois cents mètres. Une marche d'approche d'une bonne heure sur neige dure nous mène au départ de la voie. La première longueur est la plus difficile, six A+. A froid il faut vraiment se défoncer, et ça fait mal. Par la suite, l'escalade devient plus facile. L'adhérence de ce rocher est très importante. Alors que nous sommes en plein milieu de la voie, nous croisons en pleine paroi un bouquetin. Cela paraît invraisemblable que ces animaux soient capables de se déplacer sur des terrains de cette raideur, et comme toujours dans ces moments exceptionnels, j'ai des petits problèmes techniques et ne peux prendre qu'une seule photo. Nous poursuivons notre montée et arrivons sur la vire où nous l'avons vu démarrer. Il paraît tout à fait impossible qu'il ait pu venir de plus haut. En effet tout est vertical voir surplombant. Même la traversée conduisant vers la droite à un pan incliné me semble impossible à franchir. D'où venait-il? Nous terminons cette arête par de magnifiques dalles très raides mais fournies en petites prises sur lesquelles on se hisse à la force des doigts. Encore une belle matinée d'effort où nous sommes seuls. C'est un grand plaisir. L'escalade est un sport qui lorsqu'on l'a aimé, toute sa vie on l'a dans la peau. Je retrouve exactement les sensations et les émotions que j'éprouvais à dix huit ans. On pourrait penser que l'expérience et la pratique entraînent une diminution du plaisir, eh bien il n'en est rien. Il faut dire que ces ascensions à trois avec des personnes que l'on apprécie, avec lesquelles tout se passe dans le calme et la sérénité sont un véritable bain de jouvence. Nous prenons le temps de casser la croûte et nous redescendons au col à travers de grands champs de neige.
La soirée au refuge est très agréable. Nous dînons avec deux couples et la discussion est animée. Il faut dire que le vin n'est pas mauvais, cependant nous n'en abusons pas.
Déjà le dernier jour, comme cette semaine passe vite. La voie de ce jour se trouve dans un coin désert, le Rognon, gros rocher caché sur la crête de la vallée qui donne sur Saint Veran, le fameux plus haut village d'Europe. L'itinéraire d'accès nous conduit d'abord au col de Chamoussière. Cela me rappelle de vieux souvenirs d'il y a trente ans et plus. Après une marche à flanc nous atteignons le pied de notre itinéraire. Que cet endroit est austère. Le rocher est un granit sans grain donc glissant, de couleur sombre, très raide et sans prises franches et pour couronner le tout le lichen règne en maître. La nuit dernière il a beaucoup plu, de ce fait les lichens sont gorgés d'eau. L'escalade s'avère délicate et très athlétique. Il faut vraiment se défoncer pour avancer et sans vergogne Robert et moi nous jetons sans état d'âme sur les mousquetons mis en place par Christophe. L'escalade est très différente de ce que nous avons connu les jours précédents. C'est cela aussi le charme de ce sport, d'un massif à l'autre le rocher n'est pas le même et, les sensations et les efforts différents, jusqu'au toucher du rocher qui entraîne des réactions différentes. Un joli granit à gros grains ou un calcaire adhérent à prises franches, on les prend à pleines mains de façon sensuelle, par contre ce rocher froid et fuyant qui donne le strict minimum sans chercher à retenir la peau des doigts, nécessite de gros efforts et c'est presque à contre-cœur qu'on y exerce des pressions indirectes en opposition pour essayer de ne pas glisser. Le sommet est atteint. Christophe décide malgré notre peu d'enthousiasme d'aller encore escalader un magnifique doigt rocheux. L'escalade est de toute beauté, certes très difficile, mais le rocher se montre beaucoup plus franc. C'est donc sur cette magnifique petite aiguille de cinquante mètres que notre semaine d'escalade arrive à son terme. Nous repartirons la tête pleine de merveilleuses images en attendant les prochaines escapades. Est-ce que à plus cinquante ans on est trop vieux pour aller faire la face nord-ouest d'Ailfroide, magnifique face sombre qui s'élève sur plus de mille mètres et qui est cotée extrêmement difficile. Peut-être faut -il que nous nous entraînions, on ne sait jamais?
22:52 Publié dans escalade | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : escalade, oisans, queyras, olan, alpinisme
27/12/2008
Les Drus verticalité délitée
Voyage en verticalité délitée
Le voyage, par définition, concerne tous les terrains où l'on part à la découverte. C'est là qu'à mon sens les distances induisent un étalon très relatif, loin pas loin, long court. Un voyage de mille kilomètres en avion est court. Une escalade d'un kilomètre sur une paroi très raide est au contraire un voyage long et très dépaysant qui donne la sensation d'être très loin de par la difficulté du retour. Je me propose de vous relater l'un de ces voyages, bien à l'ordre du jour à l'époque du réchauffement planétaire qui nous inquiète tant.
Le réchauffement terrestre semble être reconnu par de nombreux scientifiques, même si certains émettent encore quelques doutes quant à sa réalité . Ce phénomène est particulièrement visible en montagne, par la fonte des glaciers. Outre ce retrait glaciaire en longueur et en épaisseur, une autre action probablement due à la chaleur consiste en l'écroulement d'un certain nombre de parois dans les Alpes. Je pense tout particulièrement à la face ouest des Drus. De grandes plaques gardent leur cohésion grâce à la glace qui tient lieu de ciment. Cette dernière venant à fondre, la gravité reprend ses droits et d'immenses pans de montagne s'écroulent. Cela peut se comparer à un type de permafrost vertical.
Au mois de juillet 1984, avec un camarade, Pierre-Yves nous décidons de nous attaquer à la mythique Directe Américaine aux Drus, flamme de pierre qui a fait rêver de nombreuses générations d'alpinistes et d'amoureux de la montagne. Nous prenons donc le téléphérique des Grands Montets. Premier tronçon, tout est normal, deuxième tronçon, l'aventure va commencer.
A notre arrivée sur la plate-forme terminale, de toute évidence une certaine effervescence règne. En effet, les personnes présentes viennent d'assister à un gros effondrement de rochers dans la face nord du Grand Dru, juste au-dessus de la niche, petit glacier caractéristique situé aux deux tiers de la paroi. Voyant notre attirail de montagne, immédiatement tous nous disent de ne surtout pas aller dans cette direction.
Pierre-Yves toujours poli et placide répond «pas de problème», et nous voilà partis vers le petit collet qui donne accès au glacier permettant de rejoindre le pied de la face ouest , lieu où nous comptons bivouaquer. Il faut longer la base de la face nord, zone qui vient de nous être déconseillée avec la plus vive conviction, et nous n'allons pas tarder à tout comprendre. Le temps de la descente du glacier, très mou et plein de grosses crevasses , nous laisse tout loisir de constater que la purge continue à gros renfort de blocs nombreux et parfois très gros. Arrivés à distance respectable, hors d'atteinte des cailloux, nous prenons conscience que pour rejoindre notre destination , notre chemin va devoir passer au travers de ces grosses gouttes un peu particulières. Étant tous deux de formation scientifique, nous décidons d'observer le phénomène pour essayer d'en tirer une loi. En effet les grandes giclées de roche suivent-elles une séquence ou bien sont-elles complètement aléatoires? Nous en profitons pour visualiser au mieux l'itinéraire dans la zone du bombardement. Il nous faudrait longer la partie inférieure de la rimaye , en direction d'un petit col donnant accès à la face ouest. Après un temps d'observation dont je ne suis plus en mesure de préciser la durée, force est de constater que nos connaissances en statistiques, probabilités, suites et autres séries ,sans parler des intégrales doubles ou triples, ne nous donnent pas le moindre indice sur la prédiction de passage des gros paquets qui croisent notre itinéraire à venir.
Tout long raisonnement s'avérant inutile, nous nous regardons, prenons nos anneaux de corde et partons en courant le plus rapidement possible. En effet les mathématiques nous disent seulement que le risque statistiquement est inversement proportionnel au temps d'exposition , donc nous y allons de très bon cœur. Pierre-Yves est le premier, je le sers de près, nous rentrons dans la zone de tous les dangers, on n'a pas envie de traîner. Je fixe avec envie le petit collet à partir duquel nous pourrons ralentir. La rimaye (première grosse crevasse qui sépare le rocher du glacier) se rapproche, mais mon camarade semble se diriger vers la lèvre supérieure et non inférieure, alors que la porte salvatrice me semblait plutôt par le bas. Comme il a toujours été le leader lorsque nous grimpons, je me dis qu'il a vu un passage plus rapide ou moins dangereux. Donc nous nous engageons au-dessus de cette fameuse rimaye, un trou béant et sans fond. La pente est raide. La raideur s'accentue et conséquence logique,la vitesse diminue. Puis il nous faut nous arrêter, constatant avec consternation que nous sommes dans une impasse. Constatation encore plus horrible, nous stationnons exactement à l'emplacement où les gros blocs rebondissent avant de sauter par dessus la rimaye. Aïe, aïe, aïe!!! Terreur, nous faisons demi-tour avec l'intention de contourner la crevasse au plus vite.
Dans la précipitation, je tombe et fauche Pierre-Yves au passage, en ayant toutefois le réflexe de ne pas lui planter mes crampons dans les mollets. Nous voilà sur les fesses, l'inclinaison de la pente nous permet de prendre la vitesse nécessaire et de passer par dessus le gros trou sombre et pas sympathique du tout. De l'autre côté la pente s'affaiblit rapidement et nous passons des fesses aux pieds et la course vers le petit col salvateur reprend . Ouf! Nous y sommes. Manifestement, il y a un dieu pour les inconscients. Tranquillement nous rejoignons la moraine un peu en retrait de la face ouest et nous nous installons pour la nuit.
Une cordée de grimpeurs, stars de l'époque, se dirige vers nous. Ils ont assisté à l'éboulement en direct de la Directissime Américaine qu'ils ont grimpée entièrement en libre, les pitons ne servant que de points d'assurance et non de prises aidant à la progression. Ils nous expliquent que toute la montagne a tremblé. Bien que l'éboulement se soit produit en face nord, une partie des pierres sont déviées et arrosent la face ouest. Cela ne fait pas notre affaire. Ils reprennent leur chemin et descendent vers la Mer de Glace. Nous verrons bien demain. Pierre-Yves toujours optimiste déclare qu'avec le temps la montagne se purgera et que de plus le froid du matin devrait faire en sorte que tout se passe bien.
Nous ne restons pas longtemps seuls sur notre moraine. Le bruit de la turbine d'un hélicoptère se fait de plus en plus nettement entendre. Manifestement, il vient dans les parages. Il se dirige vers l'arête séparant les faces ouest et nord. De toute évidence une cordée a du subir des dommages suite à l'écroulement. La mission semble particulièrement dangereuse, car de nombreux cailloux continuent de faire entendre leurs claquements secs et redoutables. Après plusieurs manœuvres, un sauveteur est descendu par treuil sur l'arête . La nuit venant et les chutes de pierres toujours très présentes, l'hélicoptère quitte les lieux et retourne dans la vallée. Nous nous retrouvons cette fois seuls pour cette nuit , qui me concernant ne sera pas très bonne. Avec le soir les claquements de rochers chutant diminuent, mais de temps à autre dans la nuit des bruits que je qualifie de sinistres , nous tirent de notre torpeur.
Le jour se lève, tout semble calme. Non, un ronronnement monte de la vallée, l'hélico est de retour avant que le soleil ne darde ses rayons, qui vont réveiller les mastodontes minéraux. Très précisément il se positionne sur le point de descente du sauveteur et rapidement embarque trois passagers. Le bruit diminue rapidement et nous voilà à nouveau seuls à contempler ces mille mètres de granit. Bon ben quoi? Tout naturellement Pierre-Yves après avoir englouti quelques mars se dirige vers le pied de la paroi, il ne me reste qu'à suivre. Le névé n'est pas raide, une vieille chaussure de montagne abandonnée ou perdue traîne sur la neige. Incroyable, tout est calme. Le début de la paroi n'est pas difficile nous l'escaladons rapidement sans corde en grosses chaussures. Sur une petite vire une centaine de mètres plus haut, nous marquons une halte afin de nous encorder, mettre le baudrier et les chaussons d'escalade et nous décharger, afin d'être léger.
Alors que nous sommes presque prêts, discutant paisiblement un premier sifflement attire notre attention et avant que nous ayons pu réagir, entre nos deux têtes séparées d'un ou deux mètres, un caillou aux dimensions conséquentes passe avant de ricocher et d'aller terminer sur la neige en contre-bas. Je reste figé à regarder mon camarade. Ça commence bien, de nouveau la terreur me gagne, l'expérience d'hier m'aurait plutôt mis les nerfs à vif au lieu de m'aguerrir aux joies de cet arrosage particulier et mortel.
Je dis à Pierre-Yves«On ferait mieux de descendre , dans pas longtemps ça va devenir l'enfer». Ce dernier me dévisage tout d'abord puis après un coup d'œil à sa montre me répond«Il est sept heures trente et que va-t-on faire aujourd'hui?». De toute évidence , cette réponse à la logique imparable n'appelle qu'une seule et unique réponse: on continue.
Donc première longueur d'escalade encordés, le rocher est couvert de poudre de pierre pulvérisée, résultat du grand bombardement de la veille. Je grimpe avec une certaine fébrilité. Le socle de la face ouest n'est pas vertical et s'élève sur une hauteur approximative de deux cent cinquante mètres. Cette zone constitue le réceptacle de toutes les pierres qui dévient de la face nord. A un train pour le moins rapide nous franchissons ce passage.
Ouf , nous sommes au pied de la partie verticale. A partir de maintenant les cailloux siffleront dans notre dos, et de ce fait la probabilité d'être touché sera très faible. L'escalade est magnifique, une paroi granitique aussi raide qu'une paroi calcaire, ambiance grandiose et personne d'autre. Nous avons l'intention de monter jusqu'au fameux bloc coincé , à peu près 600 mètres d'escalade et de redescendre en rappel. Les passages mythiques de cette voie défilent. Le plaisir de l'escalade est immense. Mais les sifflements dans le dos sont présents et avec le réchauffement de la journée, ils auraient bien tendance à s'intensifier. Je ne peux m'empêcher de regarder , je dirais même fixer le socle de la paroi, sur lequel explosent tous les bolides qui nous passent dans le dos. L'idée qu'en fin d'après-midi nous allons être au beau milieu de ce champ de bataille au cours des rappels n'est pas pour me rassurer. Lui, Pierre-Yves fait comme s'il ne voyait rien. C'est cela l'apanage des grands chefs, toujours se maîtriser, la piétaille n'a qu'à suivre. Il aurait fait un bon général de Napoléon, à n'en pas douter. Un peu vexant car le militaire d'active c'est bibi. L'effet de perspective , tout naturellement efface les quelques quatre ou cinq cents mètres verticaux, au-dessus desquels je me trouve perché, seul apparaît ,en grand ,ce plan incliné de quelques deux cents mètres, duquel montent ces claquements et petits nuages de poussière, consécutifs aux chocs des pierres.
Le moment fatidique arrive, le bloc coincé est atteint. Plus exactement , nous nous arrêtons vingt mètres en dessous. En effet l'angoisse commençant à être inhibitrice de l'action, je suis pressé de retraverser ce champ de tir ouvert à tous les calibres, même les hors gabarit!!! Mon futur, je ne l'envisage plus qu'après avoir couru sur la neige au pied de la paroi. Dans la partie verticale, les rappels s'enchaînent rapidement. Étant bien rompus à ce genre d'exercice, cela nous laisse toute latitude pour profiter du cadre et de l'ambiance extraordinaires des lieux . Bien évidemment le socle grossit au fur et à mesure de notre descente.
A l'approche de l'imminence du danger, je rentre comme dans un état second et me regarde agir de l'extérieur, indifférent à mon propre sort. Cependant l'adrénaline mobilisant toutes les facultés, j'agis avec précision et célérité. Pierre-Yves , lui ne semble afficher aucune émotion, simplement il se contrôle mieux, et il sait que ce n'est pas l'angoisse voire la terreur qui fera passer les cailloux ailleurs. Cela me rappelle une de nos escalades précédentes sur la face italienne du Mont Blanc. Ayant été retardés par des cheminements aléatoires dans des pentes très raides de nuit, nous nous étions retrouvés dans une zone de neige et de glace particulièrement instables, sur laquelle le soleil dardait ses rayons. Nous nous arrêtons sur une grande dalle de granit qui semblait flotter sur cette matière molle. Bien assis, nous regardions couler de part et d'autre de petites avalanches, une un peu plus grosse et nous aurions été balayés Le temps me paraissait figé dans l'attente du grand bond . Pierre-Yves lui dormait et lorsque le soleil a disparu , il s'est réveillé , sans doute à cause du froid. Je lui ai dit quelque chose du genre:
-
-Tu es bien courageux de pouvoir dormir dans ces conditions
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-Que je dorme ou pas ça n'aurait rien changé au fait d'être embarqués ou non, mais au moins je me suis reposé et ça va nous servir pour la suite. Une fois de plus sa réponse était logique et n'appelait pas de commentaire.
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Revenons à notre plan incliné fumant, qui maintenant occupe pratiquement tout l'espace à nos pieds. De manière étrange, l'idée de nous arrêter et d'attendre la nuit que les chutes de pierres deviennent moins nombreuses n'a pas semblé nous effleurer. Peut-être qu'au fond de nous-mêmes, nous voulions goûter aux joies lammeriennes. Eugen Guido Lammer était un psychiatre autrichien , grand alpiniste de la fin du dix-neuvième et du début du vingtième siècle. Il aimait à s'exposer seul, soit dans des zones très crevassées, ou bien dans des endroits où la caillasse bombardait dur. Ainsi il éprouvait un grand plaisir à analyser ses émotions et sentiments face au danger bien réel et totalement aléatoire. Le plus étonnant, c'est qu'il est mort dans son lit , très vieux. Je conseille la lecture de son livre, pas facile à trouver. Il s'intitule «Fontaine de jouvence» , librairie Dardel 1931, je crois qu'il n'y a qu'un tome traduit en français. Donc en pensant à Guido Lammer, j'envisage encore comme possible de terminer ma vie dans mon lit, très vieux c'est un autre débat.
Il va falloir y aller. La configuration change. La corde ne plonge plus directement dans le vide sans rien toucher, mais elle glisse le long de dalles, sur lesquelles, si besoin était, une poussière blanche nous rappelle que l'endroit est déconseillé à un bon travailleur qui espère atteindre l'âge de la retraite. Et de plus à l'époque, cela fait malheureusement déjà plus de vingt ans, les retraités n'étaient pas vus comme des dévoreurs de budget, creusant le déficit financier abyssal du pays, mais c'est un autre sujet. De façon paradoxale, au contact de cette zone de tous les dangers une certaine confiance revient . Cela est logique, car l'éloignement permet d'embrasser du regard l'ensemble des cailloux qui cognent le socle. Mais lorsqu'on est dedans, on se sent concerné uniquement par ceux qui frappent à proximité immédiate, et l'impression qu'il y en a moins est très rassurante. Donc de ce fait , ou alors par un acte de bienveillance de l'être supérieur pour des créatures inconscientes, tout semble à nouveau calme. La suite des événements nous confirmera qu'il s'agit seulement du calme qui précède la grosse tempête.
Les premiers rappels sont effectués sans incident. Juste sous un petit surplomb, nous faisons relais. Pas de perte de temps, ce qui est formidable lorsqu'on a l'habitude de grimper ensemble, il n'y a pas besoin de parole, tout se fait automatiquement, à peine un petit geste de temps en temps que l'autre interprète immédiatement. Donc de ce relais la corde est jetée, Pierre-Yves attaque la descente. Une vibration de l'air attire mon attention, nous commençons à être rôdés. Je me penche et regarde au-dessus du petit surplomb qui me domine, et qui surtout me protège. Le coup d'œil vers le haut me fait penser à un film de Bux Bunny. Quelques centaines de mètres plus haut en plein ciel, une multitude de gros points noirs semble converger vers nous. Précipitamment je rentre la tête et regarde mon camarade en train de descendre quelques mètres plus bas. Pas la peine de lui faire un dessin il a tout compris. Pour lui au bout de la corde, le danger est double, recevoir une pierre ou avoir la corde coupée, en effet un caillou sur une corde tendue peut avoir l'effet d'un coup de rasoir. Je le vois essayer de s'incruster dans la fissure le long de laquelle il se situe. Le sifflement augmente, je me tasse contre le rocher. La pression est telle que je ne me souviens même pas avoir eu peur. Puis tout d'un coup une véritable explosion, je perds un peu la notion des choses. J'ai probablement fermé les yeux en essayant de m'enfoncer dans le rocher. Le bruit est énorme et tout tremble. Je suis incapable de dire combien de temps cela dure, c'est surtout la brutalité et la violence du phénomène que je retiendrai. Puis le silence revient, j'ouvre les yeux, autour de moi flotte une poussière épaisse, une odeur de pierre à feu m'environne. Je n'ose bouger. Je sais que les blessures très graves ne sont pas toujours douloureuses au début. La poudre de pierre dans l'air a l'aspect du brouillard. Je bouge un bras , puis l'autre, ça marche. Je suis debout donc valide et conscient. Au fait Pierre-Yves? Je baisse les yeux, la corde est là, un peu plus bas mon regard intercepte le sien. Il a essayé de s'introduire au maximum dans la fissure, il est couvert de poussière, et miracle comme moi il n'a rien. Le petit surplomb deux mètres au-dessus de moi a reçu le gros de la charge. Les tonnes de rochers ont explosé juste au-dessus et par ricochet certains d'entre eux ont même rebondi sous le surplomb, c'est tout du moins l'impression que j'ai eue. Le calme revient, on reprend nos esprits et Pierr-Yves repart. Il libère le rappel et je le rejoins. Encore une centaine de mètres que nous descendons le long d'une corde fixe qui se trouve en place. J'assure Pierre-Yves car si la corde a été endommagée , ce sera le grand plongeon. Tout se passe bien et à mon tour je me laisse glisser pour cette dernière descente avant la neige. Une fois que j'y suis, Pierre-Yves s'étant déjà éloigné avec notre corde, il ne me reste qu'à me désolidariser de la corde fixe et entamer un sprint sur la pente de neige. Je crois que j'ai battu le record du monde du cent mètres. Une fois réunis tous les deux sur la moraine hors d'atteinte nous soufflons un grand coup et rejoignons notre tente un peu plus bas . Il est déjà assez tard, une petite soupe vite engloutie et je m'endors. Je n'entends rien de la nuit, et même pas un cauchemar pour me réveiller.
Au lever du jour, Pierre-Yves remonte les cent premiers mètres pour récupérer le matériel laissé au début des difficultés la veille, sans trop d'illusion. En effet, notre ligne de descente sur la partie finale se situait un peu décalée de notre axe de montée. Eh bien la chance est une fois de plus avec nous, les deux piolets adossés contre la paroi n'ont pas bougé. Quant à nos deux paires de chaussures de montagne que nous avions accrochées à un piton, elles sont simplement complètement remplies à ras bord de petits graviers. Ayant récupéré le tout, il me rejoint et nous entamons la longue descente vers la mer de glace , et allons prendre le train à crémaillère du Montenvers.
Je sais que notre comportement est très critiquable, et que la chance nous a souri avec insolence, mais quelque part cette expérience je suis content de l'avoir vécue. Je ne dirais pas que j'en tire de la fierté, cependant ce souvenir me permet de relativiser certaines choses et cela me donne le moral pour partir sur les chemins, je dis bien les chemins, en toute saison et par tous les temps, il n'y a encore que l'orage qui me fasse vraiment peur.
Depuis cette époque cette magnifique aiguille des Drus a subi successivement d'autres éboulements beaucoup plus importants , au point que de nombreuses grandes voies de mille mètres ont complètement disparu. De toute évidence le réchauffement poursuit son effet.
04:38 Publié dans escalade | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paroi, alpinisme, éboulement