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19/07/2009

Semaine d'escalade

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Semaine Oisans Queyras  Oisans Queyras 2009 096.jpg

 

Cette année pour la deuxième fois nous décidons de faire une semaine d'escalade difficile. Mai l'âge aidant le plaisir étant notre première motivation et non la trouille de la chute accrochés à des grattons, nous partons avec un guide. Cette année encore le temps sera favorable, un peu moins que l'an dernier . En effet le temps orageux dans l'après-midi ne nous permettra pas d'envisager des voies de très grande ampleur. Nous ferons cependant quatre belles escalades entre deux cents et quatre cents mètres, cotées aux environs de TD( très difficile dans le jargon alpinistique), précédées d'un petit échauffement d'une soirée sur le Quiquillon d'Orpierre.

 

C'est avec beaucoup de plaisir que je me retrouve à Orpierre dans ce magnifique petit village des Hautes Alpes, chargé d'histoire. En effet il y a plusieurs siècles il se trouvait sur un axe important, maintenant totalement secondaire. Demain nous devons nous rendre au refuge de l'Olan où nous attend notre camarade et guide.

 

La remontée de la vallée du Valgaudemar en voiture se fait religieusement. Nous pénétrons dans un sanctuaire. L'Oisans et ses montagnes dégagent une atmosphère bien particulière. De grands versants dépouillés tombant dans des vallées profondes. Des sommets à l'aspect austère et sauvage dominent du haut de leurs pentes neigeuses et rocailleuses. Le roi de la vallée, l'Olan, trône du haut de ses trois mille six cents  et quelques mètres. Nous faisons un arrêt à la Chapelle, joli village, qui à cette époque, fin juin est presque désert. Nous mangeons rapidement, en particuliers les tourtons, des spécialités locales, beignets fourrés. Notre choix se porte sur ceux aux épinards et à la framboise, un régal. Nous en profitons pour envoyer quelques cartes postales, aux enveloppes magnifiques des edelweiss ou de grosses marmottes.

 

Nous attaquons vers les quatorze heures la montée au refuge de l'Olan. Des fleurs partout nous accompagnent une grande partie de Oisans Queyras 2009 014.jpgla montée, en particulier de superbes lys martagons à la couleur orange. Le printemps ou le tout début de l'été, c'est vraiment le moment idéal pour se promener en montagne. A plusieurs reprises nous passons à proximité de magnifiques cascades. Que cette montée est longue. Le chemin vers l'amont ne se découvre jamais sur une grande distance du fait des ruptures de pente. Le refuge n'apparait qu'au dernier moment. Notre guide, Christophe nous attend. Ce soir il y a peu de monde et le gardien nous attribue un grand dortoir pour nous seuls. Un vrai plaisir que de venir en refuge dans ces conditions.

 

Lever pas trop matinal, car ce soir nous restons ici. De plus le temps sera assez stable pour la journée, les orages possibles et très localisés ne devraient pas se manifester avant la soirée. L'objectif de la journée est une escalade de 370 mètres cotée TD inf, qui se situe Oisans Queyras 2009 084.jpgau beau milieu de la Rouye, belle paroi orientée à l'ouest qui se dresse au-dessus du refuge. Une heure de marche d'approche en empruntant la voie normale de la pointe du Vallon. Cette montée nécessite les crampons sur une neige assez raide et dure. Comme généralement les derniers mètres avant le rocher sont plus pentus , tantôt neigeux et tantôt rocheux. Sur le rocher en crampons sans être encore encordés, bien que la difficulté ne soit pas importante, nécessite de l'attention. Et notre guide nous connaissant bien , considère que nous n'avons pas besoin de corde. Le rituel de la préparation à l'encordement terminé, la première longueur est attaquée par Christophe. Le rocher est un peu humide mais il est tellement adhérent que cela n'augmente pas vraiment la difficulté. Le toucher de ce joli granit de l'Oisans au grain franc et très adhérent est un véritable plaisir. La paroi est quasiment verticale sur les deux premières longueurs, puis sur une soixantaine de mètres l'inclinaison est moindre sur un terrain beaucoup plus facile. Puis la verticalité redonne tout son attrait à l'escalade sur quelques trois cents mètres. Ce n'est jamais facile, mais toujours une possibilité de Oisans Queyras 2009 045.jpgmettre un pied en adhérence ou sur un gratton et les doigts peuvent généralement se nicher sur une petite réglette bien franche. Dans certains passages, toutefois, il est nécessaire de tirer sur des prises indirectes en opposition, c'est un peu athlétique. La difficulté raisonnable, entre quatre sup et six a, laisse tout loisir au plaisir de s'exprimer pleinement. L'escalade, c'est un peu comme le vélo, la technique reste, en particulier la technique de pied, la plus importante pour soulager l'effort des bras, ce qui est d'autant plus important, lorsqu'on n'a plus trop d'entraînement. On a vraiment le sentiment de se trouver en pleine montagne. Le cirque de l'Olan est magnifique, et l'ambiance est d'autant plus impressionnante que Oisans Queyras 2009 053.jpgquelques nuages commencent à envahir l'espace à nos pieds. Tout de suite la montagne prend un air plus austère et plus mystérieux. Être pendu au-dessus du vide avec les nuages sous les pieds me rappelle les grandes escalades que je faisais il y a bien longtemps et j'ai l'impression de rajeunir. Sans incident nous arrivons au sommet. Nous sommes seuls, comme quoi même en France on peut encore se trouver dans des montagnes désertes. Assis au sommet nous profitons de ce spectacle sublime, des parois qui jouent à cache- cache avec les nuages. L'effet loupe du soleil nous distille une douce chaleur. Vient le moment, après une petite demie-heure de contemplation, d'envoyer la corde pour le premier rappel. Moment toujours impressionnant lorsqu'on se jette dans un vide de quatre cents mètres suspendu à une simple corde. Mais la technique est bien rodée et même à trois nous ne mettrons pas longtemps pour retrouver le pied de la paroi. Notre guide qui nous prend pour des bons, ne trouve pas utile de mettre un rappel le long du socle suspendu de soixante mètres et donc me voilà lancé dans une déescalade sans assurance. Bien que ce ne soit pas difficile techniquement, les prises de main sont fuyantes et parfois des mottes de terre peuvent rendre les chaussons d'escalade gras avec des conséquences funestes, en effet la chute ne pardonnerait pas . Mais il avait raison nous maitrisons sans incident ce passage sans assurance, ça donne même un peu de piquant à une escalade certes difficile mais dénuée de danger pour le second de cordée . Encore un rappel de cinquante mètres et nous touchons la neige. Au cours du retour au refuge une averse orageuse nous rafraîchit. Soirée agréable, toujours peu de monde, le gardien nous raconte la vie du refuge et sa passion pour le para-pente. Il faut dire que l'implantation du refuge est idéale. En effet on voit le village 1200 mètres plus bas et d'un coup d'aile on peut y être. Mais comme toujours il faut faire très attention à l'aérologie locale.

 

Après une bonne nuit, lever matinal, non que l'escalade sera longue, mais nous descendrons dans la foulée dans la vallée. L'objectif pour ce matin se trouve juste au-dessus du pas de l'Olan. Belle paroi granitique bien verticale s'élevant d'un jet de deux cents mètres. Oisans Queyras 2009 085.jpgAprès une marche d'approche d'une heure nous attaquons ce joli rocher. L'escalade est athlétique, parfois surplombante. De jolies fleurs colorent les fissures, certaines d'un bleu lumineux. De temps à autre de belles touffes de genépi bien mûres sont tentantes, et un peu à la manière de l'oncle Picsou qui voit danser les dollars, nous voyons danser les bouteilles bien remplies de cette herbe miraculeuse!!!. Sur notre gauche un panorama magnifique s'étend jusqu'au Dévoluy, et nous pouvons en admirer tous les sommets. Sans incident nous gravissons cette jolie voie, cotée très difficile et en quatre rappels de 50 mètre nous nous retrouvons au pied. Nous entamons la descente vers le refuge et rapidement vers la vallée. Il fait chaud et cela me semble long. Surtout que j'ai commis la faute de garder mes grosses chaussures et qu'une ampoule commence à me titiller le talon droit. Il y a très longtemps que ce genre de maux ne m'était plus arrivé. A notre arrivée à la voiture, la pluie nous accueille, elle est drue mais elle arrive un peu tard, nous sommes au sec. Ce vallon de l'Olan, nous y avons passé deux jours sans voir grand monde. Tout à loisir j'ai pu dans le calme penser à mes expériences passées, en particulier la face nord que j'ai gravie il y a maintenant trente ans. C'était une belle face terrain haute montagne de 1100 mètres. Cette escalade m'a laissé des souvenirs forts par la sauvagerie de cette face, qui était très peu équipée. Il y a quelques années elle s'est écroulée et la voie Devies Gervasutti ne doit plus exister,même les voies d'escalade meurent. A côté de la voiture un gros rocher sur lequel sont fixées des plaques commémoratives, en particulier en souvenir de cordées tombées à l'Olan. Si attrayante que soit l'ascension de ces belles montagnes, ces plaques nous rappellent que ce sport reste dangereux.

 

Demain et les jours à venir l'activité orageuse devrait se développer. Nous avons à notre programme deux ascensions du côté du Viso. Il sera toujours temps demain soir au col Agnel de faire le point.

 

Nous arrivons au refuge Agnel qui a la particularité d'être au bord de la route. Le temps ne semble pas très beau, orage de milieu d'après-midi. Sur le côté italien dans le coin du Viso ça accroche sérieusement. Nous décidons donc de rester sur le versant français et de grimper dans les environs. Certes les voies sont de moindre développement, mais il y a quand même de quoi s'amuser. Nous montons au col Agnel. Il y passe beaucoup de monde, touristes en voiture, motards beaucoup d'Allemands et des cyclistes. En particulier un Italien qui doit avoir dans les soixante dix ans passés. Arrive aussi une grande, vraiment très grande, Hollandaise, manifestement folle de joie. Première chose dès qu'elle descend de son vélo, elle dégaine son portable et elle se lance avec un enthousiasme évident dans la narration de son exploit, et c'est est un. Nous discutons avec les uns et les autres, de vélo et de motos. À ce col de toute évidence il y du plaisir de s'y trouver. Nous passons une soirée sympathique au refuge, qui n'est toujours pas surpeuplé, après-demain soir ce ne sera plus le cas, ils attendent 78 personnes.

 

Le matin lever pas trop matinal. Nous laissons la voiture au col Oisans Queyras 2009 125.jpgAgnel et prenons la direction d'un petit sommet dans le prolongement du Pain de Sucre. Il s 'agit d'une belle arête en calcaire de trois cents mètres. Une marche d'approche d'une bonne heure sur neige dure nous mène au départ de la voie. La première longueur est la plus difficile, six A+. A froid il faut vraiment se défoncer, et ça fait mal. Par la suite, l'escalade devient plus facile. L'adhérence de ce rocher est très importante. Alors que nous sommes en plein milieu de la voie, nous croisons en pleine paroi un bouquetin. Cela paraît Oisans Queyras 2009 149.jpginvraisemblable que ces animaux soient capables de se déplacer sur des terrains de cette raideur, et comme toujours dans ces moments exceptionnels, j'ai des petits problèmes techniques et ne peux prendre qu'une seule photo. Nous poursuivons notre montée et arrivons sur la vire où nous l'avons vu démarrer. Il paraît tout à fait impossible qu'il ait pu venir de plus haut. En effet tout est vertical voir surplombant. Même la traversée conduisant vers la droite à un pan incliné me semble impossible à franchir. D'où venait-il? Nous terminons cette arête par de magnifiques dalles très raides mais fournies en petites prises sur lesquelles on se hisse à la force des doigts. Encore une belle matinée d'effort où nous sommes seuls. C'est un grand plaisir. L'escalade est un sport qui lorsqu'on l'a aimé, toute sa vie on l'a dans la peau. Je retrouve exactement les sensations et les émotions que j'éprouvais à dix huit ans. On pourrait penser que l'expérience et la pratique entraînent une diminution du plaisir, eh bien il n'en est rien. Il faut dire que ces ascensions à trois avec des personnes que l'on apprécie, avec lesquelles tout se passe dans le calme et la sérénité sont un véritable bain de jouvence. Nous prenons le temps de casser la croûte et nous redescendons au col à travers de grands champs de neige.

 

La soirée au refuge est très agréable. Nous dînons avec deux couples et la discussion est animée. Il faut dire que le vin n'est pas mauvais, cependant nous n'en abusons pas.

 

Déjà le dernier jour, comme cette semaine passe vite. La voie de ce jour se trouve dans un coin désert, le Rognon, gros rocher caché sur la crête de la vallée qui donne sur Saint Veran, le fameux plus haut village d'Europe. L'itinéraire d'accès nous conduit d'abord au col de Chamoussière. Cela me rappelle de vieux souvenirs d'il y a trente ans et plus. Après une marche à flanc nous atteignons le pied de notre itinéraire. Que cet endroit est austère. Le rocher est un granit sans grain donc glissant, de couleur sombre, très raide et sans prises franches et pour couronner le tout le lichen règne en maître. La nuit dernière il a beaucoup plu, de ce fait les lichens sont gorgés d'eau. L'escalade s'avère délicate et très athlétique. Il faut vraiment se défoncer pour avancer et sans vergogne Robert et moi nous jetons sans état d'âme sur les mousquetons mis en place par Oisans Queyras 2009 233.jpgChristophe. L'escalade est très différente de ce que nous avons connu les jours précédents. C'est cela aussi le charme de ce sport, d'un massif à l'autre le rocher n'est pas le même et, les sensations et les efforts différents, jusqu'au toucher du rocher qui entraîne des réactions différentes. Un joli granit à gros grains ou un calcaire adhérent à prises franches, on les prend à pleines mains de façon sensuelle, par contre ce rocher froid et fuyant qui donne le strict minimum sans chercher à retenir la peau des doigts, nécessite de gros efforts et c'est presque à contre-cœur qu'on y exerce des pressions indirectes en opposition pour essayer de ne pas glisser. Le sommet est atteint. Christophe décide malgré notre peu d'enthousiasme d'aller encore escalader un magnifique doigt rocheux. L'escalade est de toute beauté, certes très difficile, mais le rocher se montre beaucoup plus franc. C'est donc sur cette magnifique petite aiguille de cinquante mètres que notre semaine d'escalade arrive à son terme. Nous repartirons la tête pleine de Oisans Queyras 2009 241.jpgmerveilleuses images en attendant les prochaines escapades. Est-ce que à plus cinquante ans on est trop vieux pour aller faire la face nord-ouest d'Ailfroide, magnifique face sombre qui s'élève sur plus de mille mètres et qui est cotée extrêmement difficile. Peut-être faut -il que nous nous entraînions, on ne sait jamais?

27/12/2008

Les Drus verticalité délitée

 

Voyage en verticalité délitée

 

Le voyage, par définition, concerne tous les terrains où l'on part à la découverte. C'est là qu'à mon sens les distances induisent un étalon très relatif, loin pas loin, long court. Un voyage de mille kilomètres en avion est court. Une escalade d'un kilomètre sur une paroi très raide est au contraire un voyage long et très dépaysant qui donne la sensation d'être très loin de par la difficulté du retour. Je me propose de vous relater l'un de ces voyages, bien à l'ordre du jour à l'époque du réchauffement planétaire qui nous inquiète tant.

 

Le réchauffement terrestre semble être reconnu par de nombreux scientifiques, même si certains émettent encore quelques doutes quant à sa réalité . Ce phénomène est particulièrement visible en montagne, par la fonte des glaciers. Outre ce retrait glaciaire en longueur et en épaisseur, une autre action probablement due à la chaleur consiste en l'écroulement d'un certain nombre de parois dans les Alpes. Je pense tout particulièrement à la face ouest des Drus. De grandes plaques gardent leur cohésion grâce à la glace qui tient lieu de ciment. Cette dernière venant à fondre, la gravité reprend ses droits et d'immenses pans de montagne s'écroulent. Cela peut se comparer à un type de permafrost vertical.

 

Au mois de juillet 1984, avec un camarade, Pierre-Yves nous décidons de nous attaquer à la mythique Directe Américaine aux Drus, flamme de pierre qui a fait rêver de nombreuses générations d'alpinistes et d'amoureux de la montagne. Nous prenons donc le téléphérique des Grands Montets. Premier tronçon, tout est normal, deuxième tronçon, l'aventure va commencer.

 

A notre arrivée sur la plate-forme terminale, de toute évidence une certaine effervescence règne. En effet, les personnes présentes viennent d'assister à un gros effondrement de rochers dans la face nord du Grand Dru, juste au-dessus de la niche, petit glacier caractéristique situé aux deux tiers de la paroi. Voyant notre attirail de montagne, immédiatement tous nous disent de ne surtout pas aller dans cette direction.

 

Pierre-Yves toujours poli et placide répond «pas de problème», et nous voilà partis vers le petit collet qui donne accès au glacier permettant de rejoindre le pied de la face ouest , lieu où nous comptons bivouaquer. Il faut longer la base de la face nord, zone qui vient de nous être déconseillée avec la plus vive conviction, et nous n'allons pas tarder à tout comprendre. Le temps de la descente du glacier, très mou et plein de grosses crevasses , nous laisse tout loisir de constater que la purge continue à gros renfort de blocs nombreux et parfois très gros. Arrivés à distance respectable, hors d'atteinte des cailloux, nous prenons conscience que pour rejoindre notre destination , notre chemin va devoir passer au travers de ces grosses gouttes un peu particulières. Étant tous deux de formation scientifique, nous décidons d'observer le phénomène pour essayer d'en tirer une loi. En effet les grandes giclées de roche suivent-elles une séquence ou bien sont-elles complètement aléatoires? Nous en profitons pour visualiser au mieux l'itinéraire dans la zone du bombardement. Il nous faudrait longer la partie inférieure de la rimaye , en direction d'un petit col donnant accès à la face ouest. Après un temps d'observation dont je ne suis plus en mesure de préciser la durée, force est de constater que nos connaissances en statistiques, probabilités, suites et autres séries ,sans parler des intégrales doubles ou triples, ne nous donnent pas le moindre indice sur la prédiction de passage des gros paquets qui croisent notre itinéraire à venir.

 

Tout long raisonnement s'avérant inutile, nous nous regardons, prenons nos anneaux de corde et partons en courant le plus rapidement possible. En effet les mathématiques nous disent seulement que le risque statistiquement est inversement proportionnel au temps d'exposition , donc nous y allons de très bon cœur. Pierre-Yves est le premier, je le sers de près, nous rentrons dans la zone de tous les dangers, on n'a pas envie de traîner. Je fixe avec envie le petit collet à partir duquel nous pourrons ralentir. La rimaye (première grosse crevasse qui sépare le rocher du glacier) se rapproche, mais mon camarade semble se diriger vers la lèvre supérieure et non inférieure, alors que la porte salvatrice me semblait plutôt par le bas. Comme il a toujours été le leader lorsque nous grimpons, je me dis qu'il a vu un passage plus rapide ou moins dangereux. Donc nous nous engageons au-dessus de cette fameuse rimaye, un trou béant et sans fond. La pente est raide. La raideur s'accentue et conséquence logique,la vitesse diminue. Puis il nous faut nous arrêter, constatant avec consternation que nous sommes dans une impasse. Constatation encore plus horrible, nous stationnons exactement à l'emplacement où les gros blocs rebondissent avant de sauter par dessus la rimaye. Aïe, aïe, aïe!!! Terreur, nous faisons demi-tour avec l'intention de contourner la crevasse au plus vite.

 

Dans la précipitation, je tombe et fauche Pierre-Yves au passage, en ayant toutefois le réflexe de ne pas lui planter mes crampons dans les mollets. Nous voilà sur les fesses, l'inclinaison de la pente nous permet de prendre la vitesse nécessaire et de passer par dessus le gros trou sombre et pas sympathique du tout. De l'autre côté la pente s'affaiblit rapidement et nous passons des fesses aux pieds et la course vers le petit col salvateur reprend . Ouf! Nous y sommes. Manifestement, il y a un dieu pour les inconscients. Tranquillement nous rejoignons la moraine un peu en retrait de la face ouest et nous nous installons pour la nuit.

 

Une cordée de grimpeurs, stars de l'époque, se dirige vers nous. Ils ont assisté à l'éboulement en direct de la Directissime Américaine qu'ils ont grimpée entièrement en libre, les pitons ne servant que de points d'assurance et non de prises aidant à la progression. Ils nous expliquent que toute la montagne a tremblé. Bien que l'éboulement se soit produit en face nord, une partie des pierres sont déviées et arrosent la face ouest. Cela ne fait pas notre affaire. Ils reprennent leur chemin et descendent vers la Mer de Glace. Nous verrons bien demain. Pierre-Yves toujours optimiste déclare qu'avec le temps la montagne se purgera et que de plus le froid du matin devrait faire en sorte que tout se passe bien.

 

Nous ne restons pas longtemps seuls sur notre moraine. Le bruit de la turbine d'un hélicoptère se fait de plus en plus nettement entendre. Manifestement, il vient dans les parages. Il se dirige vers l'arête séparant les faces ouest et nord. De toute évidence une cordée a du subir des dommages suite à l'écroulement. La mission semble particulièrement dangereuse, car de nombreux cailloux continuent de faire entendre leurs claquements secs et redoutables. Après plusieurs manœuvres, un sauveteur est descendu par treuil sur l'arête . La nuit venant et les chutes de pierres toujours très présentes, l'hélicoptère quitte les lieux et retourne dans la vallée. Nous nous retrouvons cette fois seuls pour cette nuit , qui me concernant ne sera pas très bonne. Avec le soir les claquements de rochers chutant diminuent, mais de temps à autre dans la nuit des bruits que je qualifie de sinistres , nous tirent de notre torpeur.

 

Le jour se lève, tout semble calme. Non, un ronronnement monte de la vallée, l'hélico est de retour avant que le soleil ne darde ses rayons, qui vont réveiller les mastodontes minéraux. Très précisément il se positionne sur le point de descente du sauveteur et rapidement embarque trois passagers. Le bruit diminue rapidement et nous voilà à nouveau seuls à contempler ces mille mètres de granit. Bon ben quoi? Tout naturellement Pierre-Yves après avoir englouti quelques mars se dirige vers le pied de la paroi, il ne me reste qu'à suivre. Le névé n'est pas raide, une vieille chaussure de montagne abandonnée ou perdue traîne sur la neige. Incroyable, tout est calme. Le début de la paroi n'est pas difficile nous l'escaladons rapidement sans corde en grosses chaussures. Sur une petite vire une centaine de mètres plus haut, nous marquons une halte afin de nous encorder, mettre le baudrier et les chaussons d'escalade et nous décharger, afin d'être léger.

 

Alors que nous sommes presque prêts, discutant paisiblement un premier sifflement attire notre attention et avant que nous ayons pu réagir, entre nos deux têtes séparées d'un ou deux mètres, un caillou aux dimensions conséquentes passe avant de ricocher et d'aller terminer sur la neige en contre-bas. Je reste figé à regarder mon camarade. Ça commence bien, de nouveau la terreur me gagne, l'expérience d'hier m'aurait plutôt mis les nerfs à vif au lieu de m'aguerrir aux joies de cet arrosage particulier et mortel.

 

Je dis à Pierre-Yves«On ferait mieux de descendre , dans pas longtemps ça va devenir l'enfer». Ce dernier me dévisage tout d'abord puis après un coup d'œil à sa montre me répond«Il est sept heures trente et que va-t-on faire aujourd'hui?». De toute évidence , cette réponse à la logique imparable n'appelle qu'une seule et unique réponse: on continue.

 

Donc première longueur d'escalade encordés, le rocher est couvert de poudre de pierre pulvérisée, résultat du grand bombardement de la veille. Je grimpe avec une certaine fébrilité. Le socle de la face ouest n'est pas vertical et s'élève sur une hauteur approximative de deux cent cinquante mètres. Cette zone constitue le réceptacle de toutes les pierres qui dévient de la face nord. A un train pour le moins rapide nous franchissons ce passage.

 

Ouf , nous sommes au pied de la partie verticale. A partir de maintenant les cailloux siffleront dans notre dos, et de ce fait la probabilité d'être touché sera très faible. L'escalade est magnifique, une paroi granitique aussi raide qu'une paroi calcaire, ambiance grandiose et personne d'autre. Nous avons l'intention de monter jusqu'au fameux bloc coincé , à peu près 600 mètres d'escalade et de redescendre en rappel. Les passages mythiques de cette voie défilent. Le plaisir de l'escalade est immense. Mais les sifflements dans le dos sont présents et avec le réchauffement de la journée, ils auraient bien tendance à s'intensifier. Je ne peux m'empêcher de regarder , je dirais même fixer le socle de la paroi, sur lequel explosent tous les bolides qui nous passent dans le dos. L'idée qu'en fin d'après-midi nous allons être au beau milieu de ce champ de bataille au cours des rappels n'est pas pour me rassurer. Lui, Pierre-Yves fait comme s'il ne voyait rien. C'est cela l'apanage des grands chefs, toujours se maîtriser, la piétaille n'a qu'à suivre. Il aurait fait un bon général de Napoléon, à n'en pas douter. Un peu vexant car le militaire d'active c'est bibi. L'effet de perspective , tout naturellement efface les quelques quatre ou cinq cents mètres verticaux, au-dessus desquels je me trouve perché, seul apparaît ,en grand ,ce plan incliné de quelques deux cents mètres, duquel montent ces claquements et petits nuages de poussière, consécutifs aux chocs des pierres.

 

Le moment fatidique arrive, le bloc coincé est atteint. Plus exactement , nous nous arrêtons vingt mètres en dessous. En effet l'angoisse commençant à être inhibitrice de l'action, je suis pressé de retraverser ce champ de tir ouvert à tous les calibres, même les hors gabarit!!! Mon futur, je ne l'envisage plus qu'après avoir couru sur la neige au pied de la paroi. Dans la partie verticale, les rappels s'enchaînent rapidement. Étant bien rompus à ce genre d'exercice, cela nous laisse toute latitude pour profiter du cadre et de l'ambiance extraordinaires des lieux . Bien évidemment le socle grossit au fur et à mesure de notre descente.

 

A l'approche de l'imminence du danger, je rentre comme dans un état second et me regarde agir de l'extérieur, indifférent à mon propre sort. Cependant l'adrénaline mobilisant toutes les facultés, j'agis avec précision et célérité. Pierre-Yves , lui ne semble afficher aucune émotion, simplement il se contrôle mieux, et il sait que ce n'est pas l'angoisse voire la terreur qui fera passer les cailloux ailleurs. Cela me rappelle une de nos escalades précédentes sur la face italienne du Mont Blanc. Ayant été retardés par des cheminements aléatoires dans des pentes très raides de nuit, nous nous étions retrouvés dans une zone de neige et de glace particulièrement instables, sur laquelle le soleil dardait ses rayons. Nous nous arrêtons sur une grande dalle de granit qui semblait flotter sur cette matière molle. Bien assis, nous regardions couler de part et d'autre de petites avalanches, une un peu plus grosse et nous aurions été balayés Le temps me paraissait figé dans l'attente du grand bond . Pierre-Yves lui dormait et lorsque le soleil a disparu , il s'est réveillé , sans doute à cause du froid. Je lui ai dit quelque chose du genre:

  • -Tu es bien courageux de pouvoir dormir dans ces conditions

  • -Que je dorme ou pas ça n'aurait rien changé au fait d'être embarqués ou non, mais au moins je me suis reposé et ça va nous servir pour la suite. Une fois de plus sa réponse était logique et n'appelait pas de commentaire.

  •  

Revenons à notre plan incliné fumant, qui maintenant occupe pratiquement tout l'espace à nos pieds. De manière étrange, l'idée de nous arrêter et d'attendre la nuit que les chutes de pierres deviennent moins nombreuses n'a pas semblé nous effleurer. Peut-être qu'au fond de nous-mêmes, nous voulions goûter aux joies lammeriennes. Eugen Guido Lammer était un psychiatre autrichien , grand alpiniste de la fin du dix-neuvième et du début du vingtième siècle. Il aimait à s'exposer seul, soit dans des zones très crevassées, ou bien dans des endroits où la caillasse bombardait dur. Ainsi il éprouvait un grand plaisir à analyser ses émotions et sentiments face au danger bien réel et totalement aléatoire. Le plus étonnant, c'est qu'il est mort dans son lit , très vieux. Je conseille la lecture de son livre, pas facile à trouver. Il s'intitule «Fontaine de jouvence» , librairie Dardel 1931, je crois qu'il n'y a qu'un tome traduit en français. Donc en pensant à Guido Lammer, j'envisage encore comme possible de terminer ma vie dans mon lit, très vieux c'est un autre débat.

 

Il va falloir y aller. La configuration change. La corde ne plonge plus directement dans le vide sans rien toucher, mais elle glisse le long de dalles, sur lesquelles, si besoin était, une poussière blanche nous rappelle que l'endroit est déconseillé à un bon travailleur qui espère atteindre l'âge de la retraite. Et de plus à l'époque, cela fait malheureusement déjà plus de vingt ans, les retraités n'étaient pas vus comme des dévoreurs de budget, creusant le déficit financier abyssal du pays, mais c'est un autre sujet. De façon paradoxale, au contact de cette zone de tous les dangers une certaine confiance revient . Cela est logique, car l'éloignement permet d'embrasser du regard l'ensemble des cailloux qui cognent le socle. Mais lorsqu'on est dedans, on se sent concerné uniquement par ceux qui frappent à proximité immédiate, et l'impression qu'il y en a moins est très rassurante. Donc de ce fait , ou alors par un acte de bienveillance de l'être supérieur pour des créatures inconscientes, tout semble à nouveau calme. La suite des événements nous confirmera qu'il s'agit seulement du calme qui précède la grosse tempête.

 

Les premiers rappels sont effectués sans incident. Juste sous un petit surplomb, nous faisons relais. Pas de perte de temps, ce qui est formidable lorsqu'on a l'habitude de grimper ensemble, il n'y a pas besoin de parole, tout se fait automatiquement, à peine un petit geste de temps en temps que l'autre interprète immédiatement. Donc de ce relais la corde est jetée, Pierre-Yves attaque la descente. Une vibration de l'air attire mon attention, nous commençons à être rôdés. Je me penche et regarde au-dessus du petit surplomb qui me domine, et qui surtout me protège. Le coup d'œil vers le haut me fait penser à un film de Bux Bunny. Quelques centaines de mètres plus haut en plein ciel, une multitude de gros points noirs semble converger vers nous. Précipitamment je rentre la tête et regarde mon camarade en train de descendre quelques mètres plus bas. Pas la peine de lui faire un dessin il a tout compris. Pour lui au bout de la corde, le danger est double, recevoir une pierre ou avoir la corde coupée, en effet un caillou sur une corde tendue peut avoir l'effet d'un coup de rasoir. Je le vois essayer de s'incruster dans la fissure le long de laquelle il se situe. Le sifflement augmente, je me tasse contre le rocher. La pression est telle que je ne me souviens même pas avoir eu peur. Puis tout d'un coup une véritable explosion, je perds un peu la notion des choses. J'ai probablement fermé les yeux en essayant de m'enfoncer dans le rocher. Le bruit est énorme et tout tremble. Je suis incapable de dire combien de temps cela dure, c'est surtout la brutalité et la violence du phénomène que je retiendrai. Puis le silence revient, j'ouvre les yeux, autour de moi flotte une poussière épaisse, une odeur de pierre à feu m'environne. Je n'ose bouger. Je sais que les blessures très graves ne sont pas toujours douloureuses au début. La poudre de pierre dans l'air a l'aspect du brouillard. Je bouge un bras , puis l'autre, ça marche. Je suis debout donc valide et conscient. Au fait Pierre-Yves? Je baisse les yeux, la corde est là, un peu plus bas mon regard intercepte le sien. Il a essayé de s'introduire au maximum dans la fissure, il est couvert de poussière, et miracle comme moi il n'a rien. Le petit surplomb deux mètres au-dessus de moi a reçu le gros de la charge. Les tonnes de rochers ont explosé juste au-dessus et par ricochet certains d'entre eux ont même rebondi sous le surplomb, c'est tout du moins l'impression que j'ai eue. Le calme revient, on reprend nos esprits et Pierr-Yves repart. Il libère le rappel et je le rejoins. Encore une centaine de mètres que nous descendons le long d'une corde fixe qui se trouve en place. J'assure Pierre-Yves car si la corde a été endommagée , ce sera le grand plongeon. Tout se passe bien et à mon tour je me laisse glisser pour cette dernière descente avant la neige. Une fois que j'y suis, Pierre-Yves s'étant déjà éloigné avec notre corde, il ne me reste qu'à me désolidariser de la corde fixe et entamer un sprint sur la pente de neige. Je crois que j'ai battu le record du monde du cent mètres. Une fois réunis tous les deux sur la moraine hors d'atteinte nous soufflons un grand coup et rejoignons notre tente un peu plus bas . Il est déjà assez tard, une petite soupe vite engloutie et je m'endors. Je n'entends rien de la nuit, et même pas un cauchemar pour me réveiller.

 

Au lever du jour, Pierre-Yves remonte les cent premiers mètres pour récupérer le matériel laissé au début des difficultés la veille, sans trop d'illusion. En effet, notre ligne de descente sur la partie finale se situait un peu décalée de notre axe de montée. Eh bien la chance est une fois de plus avec nous, les deux piolets adossés contre la paroi n'ont pas bougé. Quant à nos deux paires de chaussures de montagne que nous avions accrochées à un piton, elles sont simplement complètement remplies à ras bord de petits graviers. Ayant récupéré le tout, il me rejoint et nous entamons la longue descente vers la mer de glace , et allons prendre le train à crémaillère du Montenvers.

 

Je sais que notre comportement est très critiquable, et que la chance nous a souri avec insolence, mais quelque part cette expérience je suis content de l'avoir vécue. Je ne dirais pas que j'en tire de la fierté, cependant ce souvenir me permet de relativiser certaines choses et cela me donne le moral pour partir sur les chemins, je dis bien les chemins, en toute saison et par tous les temps, il n'y a encore que l'orage qui me fasse vraiment peur.

 

Depuis cette époque cette magnifique aiguille des Drus a subi successivement d'autres éboulements beaucoup plus importants , au point que de nombreuses grandes voies de mille mètres ont complètement disparu. De toute évidence le réchauffement poursuit son effet.