daniele

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

29/07/2011

Escalades du bout du monde en France, l'Ubaye

       

      Escalades du bout du monde en France, l’Ubaye

 

Au mois de juillet, où peut-on partir grimper durant une semaine et ne trouver que des parois désertes se développant sur une belle ampleur entre deux cents et quatre cents mètres de hauteur et présentant un rocher d’une excellente qualité en plus d’une grande variété, calcaire, grès, quartzite ou granite ? Cela ressemble à la quadrature du cercle, sans doute, faut-il envisager un long voyage dans des contrées éloignées, loin des masses grimpantes qui courent les hauts lieux de grimpe français, qu’il s’agisse de Chamonix, la Bérarde ou Vallouise ? Eh bien non, pas très loin de ces sites mythiques, à la réputation universelle, un bijou de belle envergure, se cache un peu plus au sud, entre les cols de Vars et de Restefond la Bonnette, il s’agit de la vallée et du massif de l’Ubaye.

Effectivement il y quelques années nous y avions fait une excursion de la journée et nous avions perçu la très faible fréquentation des parois de cette vallée, plus connue des randonneurs car le GR5  entre autre chemin de randonnée y passe. Mais la plupart de ses montagnes aux faces verticales n’attirent pas grand monde, même si quelques sommets connaissent une notoriété certaine, par exemple le Brec de Chambéron par sa voie normale.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

Forts de cette impression nous partons à trois pour une semaine de grimpe début juillet dans ce massif de l’Ubaye. Comme nous en avons pris l’habitude depuis maintenant quatre ans, nous allons Robert et moi à Orpierre faire une voie d’escalade dans cette splendide falaise calcaire de quelques deux cents mètres, le Quiquillon, avant de partir retrouver notre guide Christophe pour une semaine d’escalade intensive.  Cette première paroi que nous gravissons à deux est certes bien équipée mais de difficulté assez soutenue, et il y fait une chaleur caniculaire dans cette face orientée au sud. Nous y sommes seuls. Ceci explique peut-être cela ?  Il est toujours bon pour le moral avant de partir gravir des faces de grande difficulté en second de cordée, d’avoir effectué quelques exercices préparatoires en premier.

Rendez-vous est pris pour dimanche après-midi à Gap. Dès nos retrouvailles, nous mettons immédiatement le cap sur le village de Fouillouse, auquel on accède par un incroyable pont qui enjambe une très profonde et très étroite gorge. Le village est de toute beauté. Le Brec de Chambéron, point culminant de la région le domine. Sa silhouette massive est caractéristique, et malgré une lourdeur apparente, il s’agit d’une belle aiguille tronquée qui s’élève à plus de 3300 mètres.  Elle règne aussi sur le petit cimetière du lieu, tout en pente et très pittoresque. Il héberge un homme connu de tous, l’Abbé Pierre.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

 Rapidement installés, nous profitons de deux heures de disponibilité pour aller affuter nos chaussons d’escalade sur une  falaise de faible ampleur en bordure de l’Ubaye. Après deux voies d’n trentaine de mètres, nous remontons pour ne pas être en retard, car à sept heures la cloche sonne, signal du repas dans ce gîte sympathique.

Nous allons passer quatre nuits en ce lieu. Chaque matin, dans les environs nous partirons faire une paroi différente. Nous commencerons par une belle dalle de deux cents mètres qui domine la route un peu avant Maljasset, et qui se situe sur la Tête de Sanglier, grosse montagne de quartzite. A cet endroit la rivière est enserrée entre deux montagnes aux parois austères du fait de leur couleur sombre et de leur ampleur, celle vers laquelle nous avons l’intention de nous diriger et en rive gauche donc au sud, l’impressionnante flamme de pierre que constitue le Grand Bec de la Blachière.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

La marche d’approche s’effectue au plus court à travers prairies, forêts, restes morainiques. Il ne nous faut pas très longtemps pour rejoindre le pied de notre voie d’escalade malgré les six cents mètres de dénivelé.  Notre itinéraire emprunte une immense dalle incurvée. L’aspect du rocher est particulier, poli comme du marbre mais pourvu de petites aspérités qui permettent un bon positionnement des doigts. Pour les pieds, des variations d’inclinaison de petits pans de rocher permettent généralement un bon appui, mais ces prises de pied ne se repèrent pas du premier coup d’œil, elles font preuve d’une sorte de mimétisme, cependant on apprend rapidement à les repérer avec un peu d’accoutumance à la texture de ce rocher particulier. C’est cela le plaisir de l’escalade, les différents types de rochers impliquent pour chacun d’entre eux une  stratégie d’escalade appropriée, donc le  jeu varie à l’infini d’une montagne ou d’une falaise à l’autre.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

 Les variations sont de taille. L’utilisation des mains en fonction de la forme des prises, du grain du rocher, de la découverte plus ou moins évidente du point d’accroche des doigts, ce point d’ancrage permet ou non le blocage, ou alors faut-il appuyer fortement pour faire friction, de façon directe ou indirecte. Pour les pieds, il en est de même. Le point de poser peut prendre tous les aspects, petite réglette horizontale, graton minuscule qu’il faudra charger en pression, dalle très inclinée qui nécessitera aussi une forte pression pour tenir, les prises pourront aussi être indirectes, donc nécessiter des pressions en opposition des  mains et des pieds.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

Cette première escalade dans l’Ubaye nous enthousiasme. Mais le temps n’est pas très beau et le risque d’orage bien réel pour le début de l’après-midi. Vers les 12h30 nous en terminons avec cette belle dalle, qui en finale s’est bien redressée offrant une dernière longueur difficile, passage côté 6a. Nous débouchons sur une vire occupée deux mélèzes, bien visibles du bas. Sans doute y-a-il  un lien avec le nom de la voie « à l’ombre du mélèze en fleur ». Après avoir mangé une rondelle de saucisson et une tranche de pain d’épice nous rejoignons sans perdre de temps la ligne de rappels qui nous conduira au pied de la paroi.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

 En effet le temps se dégrade et nous recevons quelques gouttes. Heureusement les précipitations ne s’aggravent pas à court terme et cela nous permet de rejoindre le point de départ sans être mouillés. Il est toujours très désagréable de se trouver trempés dans une paroi alors que l’on doit effectuer de nombreuses manœuvres, en particulier des rappels.

Pour notre deuxième journée, nous jetons notre dévolu sur une voie de la face est du Sommet Rouge. Il s’agit d’une vaste montagne calcaire de mille mètres de large et de 450 mètres de haut, se situant juste à côté de la Tête de Sanglier, que nous avons gravie hier. La différence géologique des terrains est extraordinaire en Ubaye. En effet ces deux montagnes qui se font face, l’une est en quartzite, roche qui s’apparente au granite, et la seconde est constituée de calcaire.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

La marche d’approche présente un dénivelé de 750 mètres. Ils sont vite effectués, car le chemin est raide et la progression  rapide. De plus en ce début de juillet les vallons des Alpes sont constellés de fleurs de tous types, aux couleurs variées. L’edelweiss est aussi présent, et parfois des touffes d’une dizaine d’étoiles blanches veloutées de belle taille se laissent admirer.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

L’escalade au nom bien choisie « les potes âgés » se révèle d’emblée difficile. Comme généralement en rocher calcaire la paroi est verticale. Mais l’adhérence est extrême et les pieds peuvent venir se bloquer sur les moindres aspérités. Je suis toujours étonné de constater la petitesse des prises sur lesquelles on arrive à faire porter son poids. Il est très important lorsqu’on n’a pas un gros entraînement de compenser par la technique. En effet cette dernière en escalade, comme à vélo elle reste.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

Par contre la force dans les avant-bras et les doigts, si on ne l’entretient pas très régulièrement, il ne faut pas compter se tirer bien longtemps sur de minuscules prises dans une paroi verticale voire surplombante. Avec Robert nous faisons bien attention de solliciter nos pieds plus que nos bras, si nous voulons gravir les 350 mètres de cette belle voie d’escalade. Cette journée sera la plus belle de la semaine, pas de pluie menaçante, ciel bleu jusqu’au soir. Nous en profitons pleinement. Les longueurs ne sont pas toutes très difficiles, vers le centre de la paroi une zone de faiblesse permet une avance plus rapide, mais le corollaire, une qualité du rocher moindre, d’où risque de chute de pierres. Dans ces passages plus faciles, nous redoublons de prudence. La dernière longueur consiste en un long dièdre de 45 mètres très athlétique, côté v+, mais les pieds trouvent de quoi se positionner alternativement de part et d’autre sur les deux pans de rocher qui constituent cet immense  dièdre.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

Vers les quinze heures le sommet est atteint. Une vue magnifique s’étend sur toute la région.  Tout en bas, nous distinguons la vallée qui conduit à Maljasset, avec le village de la Barge un peu en aval, qui recèle un joyau, une vieille église au nom évocateur « notre Dame des Neiges ».  Une multitude de sommets pointent fièrement parmi lesquels le Brec de Chambéron tient la place centrale.

Cet instant où l’escalade prend fin, le but étant atteint, on reste à contempler un immense panorama, avec en dessous ce grand vide que l’on a creusé à la force de notre corps. Cela procure une réelle sensation de bonheur, exacerbée par une douce fatigue des muscles qui ont été largement sollicités. Cependant, nous ne relâchons pas notre vigilance, car une descente acrobatique de 350 mètres en rappel dans cette paroi verticale nous attend. Bien souvent au cours de ces descentes des incidents, voire plus, peuvent survenir, généralement du fait d’une faute d’inattention facilitée par la fatigue. Nous gardons donc toute notre attention pour cet exercice, qui malgré l’habitude reste un moment intense en sensations. En effet, descendre plus que la Tour Eiffel pendu à une corde reste toujours un exercice impressionnant.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

 2H15 plus tard nous sommes au pied de cette magnifique paroi. Par une descente à travers un pierrier constellé d’édelweiss nous retrouvons le chemin qui nous ramène à la voiture. Aujourd’hui comme hier nous n’avons vu personne à proximité durant la journée. Christophe a repéré un grimpeur très loin de l’autre côté de la face, que Robert et moi n’avons pas réussi à distinguer. On a du mal à s’imaginer que nous sommes en été dans les Alpes françaises, si loin de tout et pourtant pas très loin. Nous arriverons à temps au gîte de Fouillouse pour entendre retentir la cloche annonçant le début du dîner.

Ce matin du troisième jour, le temps s’annonce assez beau, fort de notre belle journée d’hier nous partons sans inquiétude pour l’aiguille Large, magnifique jaillissement de quartzite sombre, qui se situe au-dessus du lac du Marinet. Pour y accéder, nous remontons à partir de Maljasset, le merveilleux vallon du Marinet. En ce début de matinée, c’est un enchantement, comme si toutes les fleurs et tous les animaux des environs s’étaient donné rendez-vous pour nous faire une vaste haie d’honneur.

La marche d’approche  commence sous de bons augures. En effet, dès la sortie du village de Maljasset deux gros patous, ces fameux gardiens de troupeaux de moutons nous ont regardés passer. Lorsque nous nous sommes engagés sur le chemin pour rejoindre le pied de notre voie d’escalade, ils se sont faits plus pressants et se sont rapprochés en aboyant, l’un d’entre eux grondant même. Tiens mais pourquoi ? Nous avons vite compris, face à nous sur le chemin un immense  troupeau de moutons arrivait dans notre direction. Les patous nous demandaient simplement de prendre une autre direction. Mais notre chemin passait par là. Attendre que cette masse d’ovins nous ait dépassés aurait pris un quart d’heure. Ne comptant pas attendre, nous décidons de quitter le chemin et de passer dans le champ en contrebas. Manifestement, cette décision convenait aux patous, qui dès que nous nous sommes mis à descendre se sont détournés de nous. Ces chiens m’étonneront toujours !

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

 

Le chemin remontant vers le lac Marinet, dans la direction du col Mary est un enchantement. D’abord il passe en sous-bois dans une forêt de mélèzes, puis il se perd dans de grandes prairies, dominées de magnifiques pointes rocheuses, dont la plus caractéristique est la Pierre Andrée, monolithe granitique de deux cent cinquante mètres. D’autre part, les fleurs rivalisent de forme, de grosseur et de couleur. Pour n’en citer que quelques unes, le myosotis et son bleu tendre, les différentes espèces de gentianes, la printanière d’un bleu couleur ciel, celle à feuilles larges qui présente une grosse fleur bleu profond presque nuit et la gentiane ponctuée, grande tige de plus de cinquante centimètres qui se charge de nombreuses grosses fleurs jaunes étagées, l’aster des alpes qui se regroupe en colonie avec ses coroles bleu pale faisant penser à des touffes de marguerites colorées, et  encore dans les bleus la valériane qui n’hésite pas à lancer au sommet de ses tiges une multitude de fleurs,  dans les teintes tirant sur le mauve la globulaire et sa grosse tête perchée bien haut sur sa tige frêle, et aussi le bleuet vivace, quelques troles ponctuent de jaune ce tableau, et d’une teint orangée l’épervière orangée. Je pourrais donner encore une multitude de noms, car m’a-t-on dit, la flore alpine recèle de l’ordre de mille variétés de fleurs !

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

Je ne sais plus où regarder, au sol vers cette multitude de points de couleurs ou vers les hauteurs en direction de ces parois qui se dressent toujours plus proches et imposantes. Mais pour donner une dimension encore supérieure à la féerie de cette marche d’approche, les marmottes et les chamois s’y mettent. Les premières, pas farouches du tout viennent à proximité et mangent de l’herbe en se souciant à peine de nous. Un peu plus loin, en arrière plan, les chamois nombreux nous donnent une belle leçon d’escalade et d’équilibre sur terrain instable. Cependant, l’un d’entre eux dérape et repart dans la pente en contrôlant sa descente plus que sa chute. Au deuxième essai, il passe sans problème. Une des raisons pour lesquelles les parois que nous gravissons en Ubaye sont peu fréquentées, consiste en la longueur des marches d’approche. Mais ces marches constituent à elles seules un motif de balade. Pouvoir associer ce genre de randonnée à l’escalade qui va suivre permet de vivre des journées très diversifiées par les émotions et les sensations.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

De toute évidence ces deux heures de marche préparatoire à l’escalade nous enchantent, et encore aujourd’hui même sur le chemin nous sommes seuls. Sommes-nous en France en juillet ? Devant nous l’aiguille Large prend de l’ampleur, elle culmine à 2857 mètres. Grande lame granitique à la couleur sombre, que nous allons rejoindre par un pierrier raide et pénible.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

Que ces bases de montagnes sont austères et incitent à l’aventure ! Nous nous équipons tout excités à l’idée des belles sensations qui nous attendent le long de ces grandes dalles sombres. Christophe attaque la première longueur, qui s’avère difficile, jamais de prises très franches, des oppositions latérales pour tenir sur le rocher.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

Le temps s’assombrit rapidement. Va-t-on prendre la pluie en pleine paroi ? Nous allons grimper avec ce souci de nous dépêcher et prendre de vitesse le mauvais temps. L’ambiance devient austère même si la face ne fait que deux cents mètres de hauteur. Les dernières dalles à la couleur presque noire, sous ce ciel très sombre donne vraiment une impression de haute montagne, l’escalade y est difficile, 6a soutenu. Mais le plaisir n’en n’est que renforcé, lorsque la pression augmente, mais que le rocher reste sec et les mouvements permettent une escalade aérienne de toute beauté. Chapeau  pour l’initiateur de cette voie, car il faut avoir l’intuition qu’il est possible de forcer en escalade libre ce bouclier de dalles verticales, qui semble ne présenter qu’une face lisse sans prise.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

Nous arrivons au sommet avant la pluie, d’ailleurs qui en définitive ne viendra pas. Le ciel finira même par s’éclaircir. Une fois de plus nous savourons le plaisir de nous trouver sur un joli sommet et pour le troisième jour consécutif nous sommes seuls. Par une descente facile entre de petites barres rocheuses nous rejoignons le lac Marinet, au-dessus duquel nous faisons une petite pause casse-croûte, avec le traditionnel morceau de saucisson. On le trouve vraiment bon ! J’ai l’impression de faire un festin digne de Pic à Valence  ou de Bocuse à Collonges ! Sacrilège diront certains !

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

En reprenant le chemin de descente en direction de Maljasset nous rencontrons quatre randonneurs et deux gendarmes. Ces derniers nous disent que les deux jours à venir ne seront pas très favorables, des orages étant attendus en milieu de journée. Bon, nous faudra-t-il nous adapter et envisager des voies de moyenne ampleur nous permettant de devancer le mauvais temps ? Nous verrons bien. Pour le moment nous descendons à Jausiers à la recherche d’une pharmacie car je me suis fait piquer au bras par une bête, et l’une des plaies semble s’infecter. On dirait un peu une piqûre de vipère constituée de trois trous, avec une zone qui commence à se nécroser en périphérie.  Cependant, je ne ressens aucune douleur, pourtant la plaie n’est pas très belle et elle suppure. Mais tout rentrera dans l’ordre avec un désinfectant et une pommade à la cortisone. Jausiers est un joli petit village et nous y passons un moment agréable, malgré une chaleur étouffante.  Nous rejoignons notre gîte à Fouillouse. Nous arrivons après le fatidique signal de la cloche. Le cuisinier qui prend l’air sur le balcon en nous voyant passer après l’heure imposée de 19h nous demande, le sourire aux lèvres de nous presser !

Pour ce quatrième jour, en effet les prévisions météorologiques sont pessimistes, orages dès midi. Nous décidons de partir pour une escalade de deux cents mètres au-dessus de Fouillouse sur les contreforts de Massour, joli bastion  calcaire à mi-distance du col de Mallemort sur le GR5. Les arpenteurs de ce fameux chemin qui traverse, entre autre les Alpes françaises, ne sont pas très matinaux car nous sommes seuls. Je me souviens l’avoir parcouru il y a déjà quatre ans entre Briançon et Nice. J’en garde un excellent souvenir et au col précédemment cité, j’avais rencontré un solitaire qui remontait et qui avait subi des intempéries assez conséquentes. Aujourd’hui même pas un solitaire avec qui discuter. D’ailleurs je ne sais pas si nous avons trop l’esprit à la discussion. Nous pressons le pas, car dès le matin le temps n’est pas très beau et les montagnes restent enveloppées de volutes nébuleuses de mauvais augure. Cependant la marche est toujours aussi jolie, des fleurs partout, qui dans ce temps gris ressortent à la manière de luminions multicolores.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

 Alors que nous approchons du pied de la paroi dans les cailloux, où l’herbe se fait rare, apparaissent les magnifiques coroles blanches veloutées des édelweiss. Un peu plus haut une harde de chamois détale, et l’un d’entre eux se découpe sur une arête rocheuse, ce qui permet  une photographie du meilleur effet.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

Rapidement équipés, nous partons dans l’escalade à vive allure, malgré la difficulté de ces magnifiques dalles sculptées. Le rocher est de la qualité de celui que l’on rencontre dans des parois mythiques, mondialement connues, l’Escalèse au Verdon, ou les deux Aiguilles  à la montagne Sainte Victoire. Encore une fois nous goûtons un immense plaisir en équilibre sur ces grandes dalles, où l’adhérence des pieds joue un rôle prépondérant.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

Mais nous aurons moins de chance qu’hier, alors que Christophe vient de conclure la dernière longueur, et qu’avec Robert nous nous y engageons, la grêle sans préavis se met à tomber. Adieu pour nous cette dernière partie d’escalade. Nous rejoignons sagement le relais que nous venons juste de quitter et en un rappel notre guide nous rejoint. En quatre rappels rapides nous atteignons le pied de la paroi.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

Quelques petites averses intermittentes se manifestent, mais nous ne pouvons pas dire qu’elles nous mettent en péril. Nous allons après quatre jours dans cette haute vallée de l’Ubaye, pour notre dernière journée d’escalade quitter le coin et nous rendre dans la vallée du Bachelard, petite gorge profonde et secrète qui conduit au col de la Cayolle. Le gîte de Bayasse nous accueille pour la nuit. Le lieu est sympathique et le propriétaire nous confections une grosse platée de pâtes, qu’il a fabriquées lui-même. Un délice !

Pour notre dernière journée d’escalade, et oui une semaine ça passe trop vite,  nous envisageons de gravir la fière face sud du Chapeau de Gendarme, magnifique aiguille calcaire qui culmine presque à 2600 mètres, et qui sur son versant nord donne sur la station de ski du Sauze. La marche d’approche est raide et pénible, terrain instable dans les pierriers et parfois au-dessus d’à-pics, vers lesquels il est préférable de ne pas glisser. 

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

 Tous les ingrédients de la montagne sont réunis. Une fois équipé, Christophe enlève rapidement la première longueur, de difficulté moyenne, V. A mon tour je démarre, que c’est difficile, suite à cette marche interminable et du fait que c’est le septième jour consécutif que nous grimpons, je ressens plutôt de la douleur que du plaisir dans ce début de voie. Je me demande ce qui va se passer plus haut lorsque les difficultés vont devenir sérieuses.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

 Ce qui m’inquiète, ce sont mes mollets qui ne répondent pas vraiment, ce qui rend mes prises de pied très imprécises dans cette paroi verticale, alors qu’il ne me faudra pas compter sur des doigts d’acier pour palier cette défaillance des membres inférieurs. Mais voilà, le corps est un vrai miracle, à chaque longueur, la difficulté s’accroit, mais les muscles se chauffent et la précision et le plaisir reprennent le dessus.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

Dans cette paroi de deux cent cinquante à trois cents mètres, la sensation de vide est impressionnante, car nous avons louvoyé entre des barres rocheuses dans des pentes très raides pour en atteindre le pied. On a l’impression de dominer d’un seul jet le torrent du Bachelard quelques mille mètres plus bas. Nous profitons intensément de cette dernière escalade, qui sur les trois dernières longueurs nous gratifie en premier d’un grand dièdre surplombant, cependant relativement pourvu de prises, et pour finir d’une extraordinaire dalle de 70 mètres de haut, permettant une escalade très aérienne d’une beauté incroyable.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

On aimerait que cela ne s’arrête pas tout de suite, bien que les muscles soient soumis à rude épreuve. Ces derniers moments vont s’incruster durablement en nous et susciter l’envie de revenir rapidement se confronter à ces horribles abîmes qui nous attirent tant.

Mais une fois au sommet, la redescente  nécessite de l’attention. En effet, par des pentes très raides et pas très stables, nous redescendons sans nous assurer et tout faux pas s’avérerait fatal. Le terrain fait penser à la haute montagne, l’itinéraire n’est pas toujours évident, et il nous faut serpenter au milieu d’à-pics pas très sympathiques sur des terrains qui ressemblent un peu à des roulements à billes.  Dans les dernières pentes raides en caillasse instable, nous tombons sur une harde de bouquetins qui se laissent approcher. Que ces animaux à l’allure massive sont agiles ! Ils se laissent photographier complaisamment dans les positions les plus esthétiques. Jusqu’au bout l’Ubaye nous aura prodigué ses merveilles.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

Mais tout à une fin, nous voilà presque en finale de notre pérégrination. Nous nous retrouvons sur un chemin bien tracé, où les fleurs sont plus nombreuses que jamais, un véritable paradis.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

 Nous croisons un Anglais qui monte avec un vélo de course sur le dos. Où va-t-il ? En effet quelque soit sa direction, et le choix n’est pas très diversifié, le vélo devra rester sur son dos à la descente. Il y a vraiment de drôles de gens ! Peu après la route goudronnée est atteinte, puis la voiture, nous rangeons notre matériel de montagne. Je remonte le torrent les pieds dans l’eau pour me rafraichir et profiter encore de cette merveilleuse nature de l’Ubaye et ne pas partir tout de suite,  et avec regret nous quittons cette contrée, avec  l’intention d’y revenir, il nous reste tant à faire.

 

ubaye,calcaire,granite,escalade,edelweiss,fleurs,chamois,marmotte,bouquetin,brec de chamberon

 

Voilà notre semaine est terminée. Je me sens un peu fatigué, surtout les avant-bras, mais quel plaisir en me remémorant ces grands espaces peuplés de fleurs, d’animaux et de grandes parois. De plus, ces merveilles ne semblant pas attirer nos semblables, l’impression de monde vierge que cela suscite renforce le bonheur que nous y avons connu durant cette trop courte semaine. Je ne peux que conseiller cette région, l’Ubaye, aussi bien aux randonneurs qu’aux grimpeurs, éperdus de solitude. Bien souvent vous aurez l’impression d’être seuls au monde dans des coins reculés, cependant pas très loin de la civilisation.

19/07/2011

650 km à vélo à travers les Causses

                                    

Depuis longtemps l’idée de partir à vélo à travers les causses et leurs environs au sens large me trottait dans la tête. Je me suis déjà souvent promené dans ces régions à pied ou en voiture, mais partir une dizaine de jours à vélo à travers tous ces plateaux et gorges qui les entaillent m’apparaissait comme un bon moyen de faire une synthèse de ces coins de France fabuleux et pas toujours bien connus par les Français.

Donc fort de ce préambule, le lundi 6 juin nous partons à deux Evelyne et moi pour cette balade à « saute-causses », en effet nous avons l’intention de monter et descendre ces grandes zones par tous les côtés.  Notre itinéraire va nous conduire de la haute vallée du Lot vers le Mont Lozère, le causse Méjean, l’Aigoual, les gorges de la Vis, le cirque de Navacelles, le causse du Larzac, la vallée du Lot, la vallée de la Dourbie, le causse Noir, la vallée de la Jonte et celle du Tarn, le causse Sauveterre, l’Aubrac, la Margeride et en final la vallée du Lot qui va nous permettre de terminer la boucle.

Nous laissons la voiture au gîte des Alpiers, endroit perché sur la rive nord du Lot à trente kilomètres à l’est de Mende, où la propriétaire très gentiment va nous la garder dix jours.

 

 

Premier jour : Le Bleymard Florac 47 km

Du gîte des Alpiers qui domine la vallée du Lot, la vue porte au sud vers l’autre versant de la vallée, sur la masse du Mont Lozère. Le temps n’est pas très beau mais pas non plus très menaçant. Nous nous mettons en route pour partir à la découverte de cette magnifique région, qui s’étale devant nous, toute sculptée de bosses, de creux et de gorges.

 Après une courte descente qui nous conduit auprès du Lot, encore petit ruisseau dans ses débuts, nous attaquons la route qui monte au col Finiels sur le Mont Lozère. Je n’ai pas la grosse forme, en effet depuis 6 mois je n’ai pas fait beaucoup de sport en général et de vélo en particulier. Mais les  sept cents mètres de dénivelé en quelques 11 ou 12 kilomètres, qui conduisent au col de Finiels, sont vite absorbés. La motivation pour une belle randonnée de dix jours palie le manque de forme, et je piaffe à l’idée des grands espaces à venir. Evelyne, qui a plus d’entraînement que moi, montre aussi la même envie de partir à la rencontre de cette région aux charmes secrets mais bien réels et grandioses.

Une fois le col atteint, une immense descente de plus de trente kilomètres nous attend. Le versant sud du Mont Lozère est très impressionnant, vaste étendue désertique, recouverte de prairies à l’herbe rase, sur lesquelles une multitude de blocs erratiques aux formes plus ou moins arrondies, disposés de façon aléatoire, donnent au panorama une facture étrange.

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

 Parfois ils s’empilent les uns sur les autres dans des équilibres hypothétiques, ce qui renforce le style de cette région granitique que je qualifie de très austère, effet accentué par le ciel gris qui nous domine. La seule touche lumineuse, dans ce décor oscillant entre le  gris du granit et le  vert sombre de la lande, s’affiche dans le jaune des genêts, qui illumine ce paysage terne sous une couche nuageuse triste et menaçante.

Nous nous lançons dans la descente. Nous ne boudons pas notre plaisir dans ces grandes glissades sur de longues distances. En effet, je suis toujours aussi étonné des performances des roulements de mes roues, car je ressens plutôt une impression de glisse comme sur des skis, que de descente à vélo.  Il faut rester concentré car la vitesse frôle rapidement les 60 kilomètres à l’heure et le spectacle magnifique ne doit pas trop nous distraire. En effet le moindre caillou ou aspérité mal négocié peut se payer cash par une chute magistrale.

Nous atteignons le joli village de Pont de Montvert. Cette petite cité à la pierre sombre, perchée sur les flancs du Mont Lozère, traversée par le Tarn tout juste né de la montagne, a subi des événements violents. En effet en ces lieux le protestantisme connut l’un de ses bastions les plus âpres. Au tout début du XVIII siècle le soulèvement des camisards s’y déclencha.

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

En ce commencement de juin, il y a affluence de randonneurs. Nous sommes sur le chemin de Stevenson, qui connait à notre époque un grand regain d’intérêt. Plus nous descendons et plus la forêt se fait présente et remplace les pâturages à l’herbe courte des hauteurs.  On y trouve des sapins des chênes et aussi des châtaigniers, ces derniers donnant un petit air de montagne corse à ces vallées ravinées. Des touristes allemands nous demandent si nous sommes des compatriotes, dans leur langue je leur réponds que non, mais que leur pays nous l’aimons beaucoup et l’avons aussi traversé à vélo.

 

Notre descente nous mène au pied des à-pics du causse Méjean. La roche de sombre et granitique devient claire et calcaire, le contraste est saisissant. Rapidement nous rejoignons Florac, au nom qui fleure déjà bon la Provence. Les gens y ont déjà cet accent chantant que Pagnol a si bien révélé.  Le gîte communal nous accueille en début d’après-midi après cette courte étape de mise en train. La soirée sera très agréable, à discuter avec différents protagonistes lancés sur le chemin de Stevenson et qui se retrouvent au gré des étapes. Chacun parlera plus ou moins longuement de ses expériences de  voyage à pied ou autrement. A cette occasion nous ferons presque un tour de la planète, avec un arrêt prolongé en Australie. Une pluie diluvienne s’abat plusieurs heures durant, et nous sommes très contents d’être arrivés tôt.

 

 

Deuxième jour : Florac La Viale (causse Méjean) 74 km

L’aube est maussade, les prévisions météorologiques pas très enthousiastes. Après cette immense période de sécheresse qui a assoiffé l’agriculture française et tari les nappes phréatiques depuis des mois, nous nous disons que nous sommes poursuivis de malchance dans notre choix de dates de voyage. Déjà l’année dernière au mois de juin nous étions partis 17 jours à travers les Préalpes, pensant que nous souffririons de la chaleur. Ce ne fut pas le cas, loin de là en effet la pluie, le vent  et le froid nous avaient mis à rude épreuve. 

Cependant nous nous mettons en route après avoir dit au revoir aux différents randonneurs qui continuent leur cheminement vers le sud. En ce qui nous concerne, nous mettons le cap au nord en direction de Saint-Enimie, petite cité sur le Tarn, l’un des lieux d’accès au causse Méjean.  Ce dernier est enserré sur trois côté par la vallée que le Tarn a creusé entre différents massifs. Le fait de contourner ce grand plateau qui se dresse au-dessus de hautes falaises blanches qui en barrent l’accès, durant trente kilomètres, attise notre désir de le traverser, ce qui est au programme de cet après-midi. Quelques ondées ponctuent notre route, mais rien de bien méchant. La rivière aux couleurs vert sombre du fait du ciel nuageux tranche sur le blanc des rochers qui y plongent. Nous marquons un arrêt face au château ruiné de Castelbouc, qui se dresse sur un promontoire au pied duquel quelques maisons à l’architecture caussenarde, serrées les unes contre les autres,  s’agrippent  au rocher.  Une légende est liée au patronyme du lieu. Je vous la livre telle que vous la trouverez sur le site internet le concernant :

« Pendant les croisades, tous les hommes étaient partis guerroyer à l'exception du jeune seigneur du château. Il dut alors satisfaire toutes les jeunes filles de la seigneurie et mourut bientôt de fatigue. A sa mort, un bouc plana au dessus du château qui prit le nom de Castelbouc».

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

Encore quelques kilomètres et nous atteignons Saint-Enimie, blottie à l’intersection des Causses Méjean et Sauveterre. Une montée de sept kilomètres nous conduit après cinq cents mètres de dénivelé au col de Coperlac. Nous entrons dans le monde des grands causses, région déserte ou presque. Seuls, de loin en loin, quelques hameaux pratiquement inhabités s’accrochent aux creux des mouvements de terrain aux environs des mille mètres d’altitude.  Afin de découvrir un peu plus ce bout de France et aussi de rester un peu plus sur nos vélos, nous n’empruntons pas le chemin le plus direct vers la Viale au sud du plateau. Nous nous dirigeons vers son bord ouest et rejoignons le Tarn à la Malène, par une route tout en lacets et très aérienne, qui permet de magnifiques points de vue sur les toits du village, son pont et la rivière. Une fois au fond de la vallée, nous suivons la gorge vers le sud jusqu’aux Vignes. Parcours d’une dizaine de kilomètres, les falaises surplombent, au sens littéral, la route. En effet on circule au pied d’immenses bombements rocheux. Cette section est la plus impressionnante des gorges, qui pourtant sont riches de panoramas de toute beauté.

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

Arrivés aux Vignes il nous faut de nouveau grimper sur le causse Méjean. Une route étroite s’élance dans un grand pan raide sur une dizaine de kilomètres. Il n’y a aucune circulation, et malgré les efforts exigés nous éprouvons un grand plaisir à nous élever dans ce décor majestueux. La rivière nous apparait comme un ruban de couleur sombre au fond de son écrin de falaises claires, je ne dirais pas blanches car elles prennent des teintes jaunes et brunes dans les zones de surplombs, alors qu’elles sont gris clair ou blanches dans les parties verticales.

Une fois sur le causse nous pensons en avoir terminé avec les montées. Erreur! Après quelques kilomètres à peu près plats, nous passons au lieu dit la Bourgarie, et là la route semble monter directement dans le ciel avec une inclinaison infernale, supérieure à dix pour cent. Il nous faut forcer sur les pédales. À un moment, nous sommes tous deux presque obligés de mettre pied à terre en nous traînant à quatre kilomètres à l’heure. Heureusement cela ne dure pas très longtemps et enfin c’en est fini des montées pour ce jour, car devant nous le panorama se dévoile à l’est jusqu’au Mont Aigoual tout là-bas à l’autre bout du causse Méjean. En quelques minutes d’une belle descente nous rejoignons le très pittoresque groupe de maisons dénommé Saint Pierre des Tripiers. Ce hameau, que j’ai déjà à plusieurs reprises visité, a un charme fou. Il trouve son origine au moyen-âge, le modernisme ne l’a pas atteint, toutes les constructions sont anciennes dans ce très esthétique style caussenard aux murs  épais et aux formes arrondies.

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

Son église du XII siècle ajoute la touche de perfection à ce petit coin perdu au bout du monde. Nous nous y arrêtons quelques instants. Que le lieu respire la tranquillité ! Un chat noir nous accueille et vient se faire gratter. Ce sera le seul être vivant que nous verrons. Nous nous arrachons à l’emprise du lieu et rejoignons la Viale toute proche, où se trouve notre point de chute pour les deux nuits à venir. L’accueil y est très chaleureux, le gîte a été rénové. Je me souviens y avoir séjourné il y a bien longtemps, et j’en avais le souvenir de dortoirs vétustes et non de pièces bien agencées. Nous avons même droit à un petit coin séparé avec deux lits, ce qui nous donne l’impression d’avoir notre propre chambre.

 

 

Troisième jour : à pied sur les corniches du Tarn et de la Jonte  6 heures

Nous allons délaisser nos vélos pour une randonnée à pied très originale le long des fameux balcons de la Jonte et du Tarn. Nous  rejoignons à partir de notre gîte en suivant le GR 6 l’extraordinaire chemin, qui se glisse au sommet des falaises dans le coin sud-ouest du causse Méjean. Sur ce parcours les points de vue sur les falaises et les deux vallées du Tarn et de son affluent la Jonte sont absolument extraordinaires. Des à-pics  dévalent à nos pieds sur plusieurs centaines de mètres. Les sculptures naturelles  du rocher  offrent de véritables œuvres d’art, dont la plus célèbre porte le nom évocateur de vase de Sèvres. Dans ce décor aérien de toute beauté, les vautours planent à quelques dizaines de mètres de nous et étalent leur envergure impressionnante. Nous avons du mal à avancer tellement les perspectives sont stupéfiantes à chaque pas. Tout étonnés nous constatons que nous sommes quasiment seuls sur ce chemin unique, alors que nous pensions y trouver la foule. Sur ces immenses piliers qui s’élancent à l’assaut du ciel, nous distinguons quelques grimpeurs à peine plus gros que des fourmis. Nous sommes dans un paradis de la grimpe. Cette journée à pied nous laissera un souvenir impérissable, bien que nous trouvions le déplacement à vélo plus facile donc plus agréable.

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

 

 

Quatrième jour : la Viale Le Vigan par le Mont Aigoual 86km

Ce matin après deux nuits, nous quittons presque à regret ce gîte tranquille où nous avons été si bien traités. L’étape de la journée risque d’être rude, le Mont Aigoual ayant la réputation d’être toujours froid et venteux, et le temps ne semble pas très beau. Nous rejoignons le village de la Parade, passons à côté du fameux Aven Armand et longeons la bordure sud du causse Méjean en direction de l’est. Dans cette partie, la forêt a disparu, seule subsiste une prairie rase et une multitude de fleurs en bordure de route. Pédaler dans ces immenses espaces, où la circulation automobile est presque absente est un vrai plaisir. À nos pieds tout en bas dans la vallée de la Jonte, nous distinguons le pittoresque village de Meyrueis, à partir duquel de grandes crêtes aux formes douces montent à l’assaut de l’Aigoual, que nous voyons maintenant très distinctement.

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

Le col de Perjuret est jeté à la manière d’une passerelle entre le causse Méjean et le Mont Aigoual. De façon étonnante on ne monte pas mais on descend pour le rejoindre, son altitude est de 1028 mètres. Les pentes de l’Aigoual sont couvertes de grands conifères à la livrée sombre. La pente est régulière et pas très difficile. Nous sommes dépassés par une équipe importante de cyclistes belges, mais ils ont des vélos de course et pas de sacoches ! Enfin nous voilà au sommet, tout étonné je constate qu’il n’y a pas de vent. Nous pique-niquons dehors puis prenons un café accompagné d’une part de tarte aux myrtilles. Nous apercevons la mer loin au sud. Elle est couleur gris métallisé, reflet du ciel chargé qui nous domine.

 Nous nous lançons sans trop attendre dans la descente en direction du village de l’Espérou. Il ne fait pas très chaud, sur la digestion cela n’arrange rien.

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

Après quelques kilomètres alors que nous marquons la halte pour réaliser des photographies, nous sommes rattrapés par un couple de cyclistes anglais, d’âge déjà avancé, au moins soixante dix ans chacun et aux bagages particulièrement légers. Nous engageons la discussion et je suis très étonné d’apprendre qu’ils sont partis d’Angleterre à vélo et que leur destination se trouve dans le département du Var à Draguignan. Ils n’ont pas chaud non plus.

 Après une bonne et longue discussion animée et ponctuée d’éclats de rire, nous reprenons notre route. Au village de l’Espérou, nous optons pour une route minuscule qui descend par un grand pan de montagne sauvage jusqu’au Vigan. Cela commence non par la descente espérée mais par une montée qui nous conduit au col de la Lusette à 1351 mètres d’altitude.

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

 À partir de ce lieu la descente s’amorce sur une trentaine de kilomètres et plus de mille mètres de dénivelé à travers une montagne sauvage couverte de châtaigniers. Nous plongeons vers le sud de la France. Les senteurs changent, la température augmente, la luminosité se modifie. Oui nous entrons dans le Midi. Sans transition nous passons de l’austère région de plateaux et de montagnes des causses et de l’Aigoual, aux zones méditerranéennes.  Cet immense versant de montagne que nous dévalons est totalement dépourvu d’habitations. Le vélo procure au cours de ces longues descentes un plaisir prodigieux. Le vent siffle aux oreilles, la sensation de vitesse est importante sur cette route étroite. Les points de vue changent à chaque mètre, le regard essaie de ne  rien laisser échapper de la beauté de la nature. Cependant il faut garder tous les sens en éveil, un trou non vu, un caillou mal placé, une plaque de gravillons et l’on se retrouve par terre, dans le meilleur des cas sur la route, ou alors dans le fossé, et parfois il est profond ! La ville du Vigan grossit et cette apparition nous fait prendre conscience que cette belle étape aux paysages très variés arrive à son terme.

Le logement en cette période de grand week-end de la Pentecôte nous cause quels soucis. C’est comme cela que nous allons atterrir pour la nuit dans un château et la salle de bain circulaire se situe dans l’une des tours, très original !

Jean mon compagnon d’autres grandes escapades à vélo, traversée de l’Europe ou des Andes nous rejoint ce soir. Nous marquons cette retrouvaille, par un dîner de qualité dans le restaurant du château. En effet Jean et moi nous étions quittés en novembre dernier à Uyuni en Bolivie après trois mois d’une fabuleuse chevauchée à travers la chaîne des Andes depuis Quito en Equateur. Je rentrais en France et lui continuait son périple vers l’extrême sud du continent sud américain.

 

 

Cinquième jour : Le Vigan Lodève par gorges de la Vis et Navacelles 101 km

Maintenant c’est à trois que nous reprenons notre voyage à travers cette région de France aux reliefs si variés et contrastés. L’étape de ce jour est prometteuse. La première partie va se dérouler le long des gorges de la Vis, qui se jette dans l’Hérault à Ganges. À proximité de cette ville nous visitons un site où de curieuses roues à aubes, appelées meuses, entraînées par le courant de  canaux fournissent l’eau nécessaire à l’irrigation. Par un système ingénieux de petits réservoirs fixés sur le bord extérieur de la roue, entraînée par le mouvement du courant, les récipients se remplissent en plongeant dans l’eau et restituent leur cargaison lors de leur passage au sommet de la roue. Cela permet aux maraîchers, depuis plus de cent ans,  d’arroser leurs cultures sans trop se fatiguer.

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

La remontée de la Vis commence par un parcours agréable à proximité d’une eau transparente, qui prend des couleurs différentes en fonction de la profondeur, variant du bleu sombre des trous d’eau  au clair des fonds caillouteux peu profonds sur lesquels l’onde glisse avec rapidité. Après une quinzaine de kilomètres, la rivière se faufilant dans une gorge inaccessible, la route s’en sépare et part à l’assaut d’une grande pente rocailleuse qui s’élève sur plusieurs centaines de mètres. Cet obstacle constitue le premier des trois passages difficiles de cette journée. La route est étroite sinueuse et la circulation en particulier de camping cars importante. Cela nous change des itinéraires peu fréquentés des jours précédents. Arrivés sur le plateau il nous faut lutter contre un vent adverse durant une dizaine de kilomètres avant de plonger vers l’extraordinaire cirque de Navacelles. Le lieu est prodigieux, creusé par l’eau de la Vis, qui du fait de la différence de vitesse du courant dans les courbes de son lit, a sculpté un décor unique.

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

Nous y pique-niquons et prenons un café absolument détestable. Manifestement dans ce troquet on sait que le touriste passe et ne revient pas, donc pas de pitié on le plume en lui servant un infect breuvage maintes fois réchauffé. On ne va quand même pas se battre pour si peu, bien qu’il soit toujours désagréable d’être pris pour le pigeon de passage.

Il nous faut une seconde fois repartir à l’assaut de ces grandes falaises calcaires pour rejoindre le village de Blandas. Sept kilomètres de côte raide, mais des points de vue de toute beauté sur Navacelles, cette portion d’itinéraire est un enchantement. Une fois arrivés dans ce village, nous avons la désagréable surprise d’apprendre que notre itinéraire est utilisé par un rallye automobile. En ce qui nous concerne nous ne pouvons envisager un parcours bis sans effectuer un détour considérable, ce qui n’est pas compatible avec notre arrivée à Lodève avant la nuit. La mort dans l’âme nous nous engageons sur ce tronçon de route de tous les dangers. Nous pédalons en écoutant attentivement le bruit de moteur des bolides grondant  en rapprochement, et lorsque les véhicules participant au rallye sont visibles, nous nous rangeons prudemment dans l’herbe. Heureusement cela ne va durer que sur une distance de trois kilomètres, ensuite notre chemin se différencie de celui de la course. Expérience forte et désagréable dont je me serais bien passé, bien que les véhicules ne roulent pas franchement vite, ce qui n’a donc rien à voir avec Sébastien Loeb, lancé à des vitesses stupéfiantes en dérapage dans des endroits très escarpés.

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

Une fois encore nous plongeons du haut du plateau vers le fond de la gorge de la Vis en direction du village de Vissec,  blotti dans un méandre de la rivière un peu semblable à celui qui abrite Navacelles. Ce nom de Vissec est directement issu des conditions géologiques locales, la rivière devenant souterraine, elle réapparaît quelque distance après. Une fois au fond, il nous faut pour la troisième fois de la journée rejoindre le plateau. Tranquillement tout en discutant nous entreprenons ce dernier gros effort. Ensuite une grande étendue à peu près plate, déserte et austère nous conduit sur les hauteurs de Lodève. Il ne nous reste plus qu’à nous laisser entraîner par la gravité à vive allure sur une belle route qui amène au centre de cette petite cité. Notre gîte, très sympathique, est mitoyen de la mosquée. L’imam vient nous parler, on pourrait se croire en d’autres lieux, en d’autres pays.  

Nous faisons chambre commune avec une Anglaise plus très jeune qui arpente le chemin d’Arles depuis Saint Jacques de Compostelle. Sa conversation est très intéressante et sa connaissance des différents itinéraires conduisant à Saint Jacques de Compostelle est prodigieuse. La soirée à discuter avec cette « pèlerine » est  fort sympathique et instructive. Le voyage c’est aussi cela, d’ailleurs peut-être surtout cela. Les nuits en hôtel ne permettent pas ce type de rencontre, chacun se murant dans son isolement convenu. Certes le prix à payer est de se retrouver à plusieurs dans la même chambre, au risque de subir un ou plusieurs ronfleurs. Mais le risque mérite d’être couru et je n’hésite pas longtemps entre le confort de ma nuit et le plaisir de discuter avec des gens qui ont décidé de ne pas se laisser enfermer par la routine et le conformisme de nos modes de vie.

 

 

Sixième jour : Lodève Saint-Eulalie-de-Cernon   54km

Après un petit-déjeuner une fois de plus très agréable avec notre Anglaise qui est dans sa dernière semaine d’errance, nous faisons quelques courses au supermarché du coin. Alors que Jean et Evelyne font les courses, je garde les vélos. J’engage la conversation avec un paumé, qui semble connu de tout le monde dans cette ville, car chacun s’arrête prendre de ses nouvelles. La conversation est instructive. De toute évidence nous n’avons pas tous la même chance dans la vie. Certains ne savent manifestement et malheureusement pas ce que veut dire « bonne étoile », car ils sont nés sous une mauvaise. Mon éclopé de la vie a la ferme intention de rester assis sur son muret jusqu’à épuisement de ses seize canettes de bière, ce qui fait quand même huit litres, mais il n’est que huit heures trente du matin ! Son temps de lucidité pour ce matin ne devrait pas aller au-delà des 9 ou 10 heures.

L’étape de la journée commence par une longue montée de près de vingt kilomètres en direction de Roqueredonde. Le dénivelé finit par être important bien que la pente ne soit pas très raide. Au fur et à mesure de notre progression le panorama s’élargit et nous embrassons du regard de vastes contrées jusque vers le Pic Saint-Loup au-dessus de Montpellier.

Nous nous arrêtons au temple bouddhiste de Lérab-Ling, haut lieu de pèlerinage. Cet édifice religieux avait été inauguré par le Dalaï-lama en 2008. Malheureusement nous n’avons pas pu le visiter, les horaires n’étant pas compatibles avec notre itinéraire, dommage. Il nous faudra revenir. Cependant nous avons pu profiter des chaises et tables pour pique-niquer tranquillement en regardant les drapeaux multicolores flotter au vent.

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

Nous reprenons notre route à travers le causse du Larzac. Habituellement après avoir mangé le midi, nous nous arrêtons au premier bistrot pour boire un café. Depuis plusieurs années que nous roulons ensemble, cela fait partie intégrante du mode de fonctionnement lors de nos voyages  à vélo. Eh bien aujourd’hui de bistrot il n’y en a pas l’ombre d’un sur ce plateau ! Au village les Rives, Jean interroge une habitante. Cette dernière nous enlève tout espoir de trouver un bar dans les vingt cinq kilomètres des environs. Cependant très gentiment elle propose de nous  confectionner un café. Etant trois, nous n’osons pas accepter et après l’avoir remerciée nous continuons notre traversée de ce grand causse, jusqu’au village médiéval de Saint-Eulalie-de-Cernon. Le Cernon est la petite rivière qui coule dans cette vallée. Les templiers ont marqué cette région, et ce lieu en particulier, où nous profitons d’une pause agréable au bistrot tant convoité. Mais il nous reste un dernier raidillon pour arriver au gîte des Baraques, notre point de chute de ce soir. Nous y sommes après un dernier coup de collier et un endroit merveilleux se dévoile au détour du dernier virage, perché sur un promontoire embrassant un large panorama sur le causse du Larzac.  Les propriétaires sont charmants, nous passerons un moment très sympathique.

 

 

Septième jour : Les Baraques Millau par Roquefort et la vallée du Tarn 63km

Aujourd’hui l’étape ne sera pas très longue, mais prendre le temps de contempler les lieux que l’on traverse, voire visiter certains sites réputés participe au voyage au même titre que l’accumulation des kilomètres. Il est vrai que lorsque la forme physique est présente et s’installe durablement, le voyage peut rapidement tourner en une course effrénée à la chasse au kilomètre, et au plaisir de regarder avec satisfaction le soir venu sur une carte les immensités abattues. Il n’est pas toujours facile de se défaire de ce travers, qui flatte par trop l’égo.

Mais ce jour, nous sommes résolus à mettre en exergue la lenteur et notre premier point de passage est Roquefort. La visite de la fromagerie Société est au programme. Pour moi ce n’est pas le meilleur fromage du coin, je préfère le Papillon, mais les caves Société sont vraiment magnifiquement agencées pour  recevoir les visiteurs. Pour un prix modique de cinq euros tous les secrets de ce roi des fromages vous sont révélés. Cela commence par les hasards et les secrets de la géologie, une grande falaise qui glisse à la manière d’un mille feuilles debout, laissant de hautes cheminées verticales entre les pans de roche s’étant déplacés. Ces « tuyaux d’aération » appelés fleurines sont à l’origine du secret du roquefort. En effet la hauteur de la falaise équipée de cet énorme système d’aération naturelle, crée un courant d’air très favorable au développement du fameux champignon donnant toute sa qualité et sa particularité au roquefort.

Au sortir de cette visite, le temps à la pluie nous attend, mais il ne mettra pas sa menace à exécution. Au lieu de partir directement sur Millau, nous décidons de prendre le chemin des écoliers par une petite route qui nous conduit sur les bords du Tarn que nous remonterons durant vingt cinq kilomètres, en suivant les immenses méandres que la rivière fait dans ces parages.

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

Suivre une rivière à vélo est toujours un plaisir intense, outre les paysages changeant d’une vallée, l’eau elle-même constitue un attrait aux variations permanentes, induites par une multitude de facteurs, comme le courant, la profondeur, la sinuosité du lit, la transparence, la présence de poissons que l’on voit directement ou qui se révèlent  par de gros ronds en surface etc. Le Tarn est particulièrement agréable en cet après-midi où une douce chaleur encore très supportable nous baigne. Nous traversons le pittoresque village de Peyre accroché à sa falaise au-dessus de l’eau.

Un peu avant Millau le viaduc fait son apparition. Il est tout simplement stupéfiant, un peu à la manière d’un immense vaisseau déployant ses voiles entre les causses du Larzac et du Sauveterre. On ne se lasse pas de le contempler. Plus on approche, plus les perspectives sont surprenantes. Comment pourrait-il en être autrement ? La plus haute des piles a une hauteur supérieure à la tour Eiffel ! Passer dessous est un grand moment. Nous faisons de nombreux arrêts pour nous imprégner d’images aux perspectives époustouflantes.

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

C’est alors que nous sommes rejoints par un cycliste à l’âge respectable, quatre vingt trois ans, mais qui parcourt sans problème ses cinquante kilomètres journaliers. Une discussion animée s’engage qui va durer pas loin d’une heure. Il nous raconte par le menu toutes les péripéties cyclistes de la région au cours des soixante dix dernières années. Quand il était plus jeune les étapes de deux cent cinquante kilomètres ne lui faisaient pas peur. Il nous parle de sa philosophie de vie et de liberté, il est plein de bon sens. Pour appuyer ses démonstrations il effectue de grands gestes  et afin d’être plus convainquant il pousse de la main Jean en petites tapes amicales soit dans le dos ou sur le torse. Avec Évelyne la scène nous fait bien rigoler, mais ce cycliste attire tout notre respect. Cela nous réconforte peut-être aussi un peu, en nous disant que nous avons sans doute encore devant nous de beaux jours à pédaler.

Après cette rencontre étonnante, en quelques kilomètres nous atteignons Millau et son gîte communal très bien situé en bordure du Tarn.

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

 Le week-end de la Pentecôte prend fin, et nous avons ce grand bâtiment pour nous seuls. Nous commençons à respirer. En effet les jours précédents nous avons eu des difficultés à trouver des hébergements, car traditionnellement ce grand week-end est l’un des plus chargés de l’année. Evelyne et moi avons fait l’impasse sur la tente et le sac de couchage, ce qui certains soirs a fait monter notre taux d’adrénaline, mais finalement nous nous en sommes sortis !

Pour apporter une dernière touche à cette belle journée à travers causses et gorges du Tarn, la nature nous fait un magnifique clin d’œil en nous gratifiant  d’un arc en ciel très lumineux, qui s’appuie sur les causses du Larzac et Noir.

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

 

 

 

Huitième jour : Millau Blayac (Sauveterre) par Jonte, Causse Noir, Tarn 61km

Aujourd’hui nous nous lançons dans une étape à travers causses et rivières. Sur la carte cet itinéraire ressemble à un serpent se tortillant dans tous les sens. Le but recherché, outre la découverte des coins secrets de ce fragment  de France, est de parcourir de petites routes pittoresques qui permettent des points de vue magnifiques sur les falaises, les vallées et les rivières, qui s’appellent Dourbie, Jonte et Tarn.

Dans un premier temps, nous remontons la merveilleuse vallée de la Dourbie. Le temps est beau, il fait bon, un petit air frais nous permet de pédaler sans difficulté. À quelques mètres de la route, la rivière s’éclaire aux rayons du soleil qui vient de passer la crête du plateau du causse Noir. Ces trais de lumière suscitent des couleurs et des teintes presque irréelles sur cette eau qui s’écoule avec calme. Par endroits, quelques poissons se laissent voir, il s’agit pour la plupart de chevennes ou de barbeaux. Ces derniers sont reconnaissables outre leur teinte légèrement ocre, au fait qu’ils passent leur temps à labourer le fond de la rivière avec leurs moustaches et leur grosse bouche. J’adore rouler et freiner brusquement, lorsqu’une partie de rivière propice se dévoile,   à la recherche de ces habitants laboureurs de la rivière ! Le plaisir, la joie et pourquoi pas le bonheur peuvent suivre des chemins peu compliqués et facilement accessibles !

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

Avec une petite pointe de chagrin nous  quittons ce merveilleux cours d’eau pour nous lancer sur une minuscule route montant à l’assaut du causse Noir. Notre changement de direction commence au joli village de la Roque-Sainte-Marguerite. Très vite l’envoûtement de cette petite gorge que nous remontons se produit et l’intensité du plaisir ne faiblira pas. A l’entrée de la route, un panneau prévient que l’étroitesse de la chaussée entraîne des difficultés de croisement. À vélo, nous ne nous sentons pas concernés par cette difficulté. Durant six kilomètres nous nous déplaçons dans un monde féerique constitué d’à-pics rocheux, de forêts sombres et de petites fleurs multicolores qui colonisent le bord de cette chaussée perdue et sinueuse. Nous sommes seuls, on pourrait se croire très loin de cette belle France, quelque part au fond d’un pays oublié en dehors des routes touristiques. Notre beau pays se permet tous les contrastes, on passe des zones visitées en masse aux petits coins secrets, un peu au hasard et sans préavis. Ces découvertes au coup par coup font tout l’intérêt de ce type de voyage en zigzagant dans ces recoins qui se cachent, et se taisent. En effet la carte ne révèle pas toujours du premier coup d’œil ces bijoux. D’ailleurs cet itinéraire nous le suivant grâce à une suggestion de dernière minute de Jean. L’insolite, c’est ce que nous recherchons, et je constate que c’est effectivement ce que nous trouvons. Ce voyage au fond des causses répond à toutes nos attentes.

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

Nous voilà au cœur du causse Noir que nous traversons du sud au nord. Après cette montée de toute beauté, la descente sur la vallée de la Jonte se révèle aussi de toute splendeur. Se dévoile, en face de nous de l’autre côté de la vallée dans toute sa grandeur, le chemin que nous avons suivi il y a quelques jours au cours de cette  randonnée pédestre sur les corniches du Tarn et de la Jonte. On se rend compte de notre position actuelle, que le parcours que nous avons effectué se glisse littéralement au sommet de ces grands à-pics très impressionnants. Cette région prodigue des beautés multiples qui vous sautent à la figure à tous les virages, et pourtant ils sont très nombreux les virages !

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

Nous descendons au fond de la vallée de la Jonte vers le village du Rozier, établi au confluent du Tarn et de la Jonte. Nous y faisons une halte et envoyons quelques cartes postales. Nous reprenons notre chemin le long de la gorge du Tarn qui s’insinue entre les causses Sauveterre et Méjean.  Aux Vignes nous quittons la rivière et montons sur le causse Sauveterre. Dans ces coins la magie fait toujours son effet, dès que l’on escalade un causse quel qu’il soit, rapidement le panorama sur ces magnifiques vallées, envahies de grandes forêts et bordées d’immenses parois, s’étend presque à l’infini. Après plus de dix kilomètres nous sommes sur ce nouveau causse. La première chose qui attire mon attention, ce sont de grands champs de blé blonds, ponctués d’une multitude de taches bleues, des milliers de bleuets qui poussent parmi les blés. Le soleil sur ces deux couleurs qui s’harmonisent très bien donne à la nature une touche du meilleur effet.

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

Le gîte de Blayac se situe au bout du monde, nous le rejoignons par des routes, presque des chemins. Le hameau est tranquille, la ferme qui nous accueille chaleureuse et nous sommes seuls. Encore une belle soirée en perspective, la fermière nous vend de très goûteuses côtelettes d’agneau, que je fais griller à cœur, au point que la salle en restera totalement enfumée, et que  nos habits sentiront le mouton pour un bon moment.

 

 

Neuvième jour : Blayac (Sauveterre)  Fau de Peyre (Aubrac) 90km

Nous terminons la traversée du causse Sauveterre et ensuite partons à la découverte de l’Aubrac. A partir de la ville de la Canourgue sur le Lot une longue, même très longue montée d’une vingtaine de kilomètres nous donne accès à cet espace unique que représente l’Aubrac. On pourrait se croire perdu quelque part au fond du pays de Galle ou de l’Ecosse. Cette région du centre de la France est vraiment surprenante par la multiplicité des ambiances qui se développent sur chacun de ces grands causses. Mais l’Aubrac n’est plus un causse, en effet ces derniers sont de grands plateaux calcaires creusés et délimités par les rivières qui les bordent. L’Aubrac est une formation granitique d’origine volcanique comme généralement lorsqu’il s’agit de roches métamorphiques. Durant quarante kilomètres la petite route serpente au milieu de ce paysage austère où la pierre est sombre. Heureusement le temps est beau, des fleurs parmi lesquelles le jaune domine tempèrent  la sévérité  de la région.

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

Des petites rivières, paradis de la truite, serpentent à travers ces immenses landes. Je discute avec quelques pêcheurs qui me livrent leurs inquiétudes sur le faible débit de ces rus en cette période de sécheresse. Un village porte un nom directement tiré de la physionomie de ces ruisseaux. Il se nomme Rieutort, qui signifie ruisseau au cours sinueux. En cet endroit passe le fameux GR 65, ou chemin de Compostelle. Nous y croisons une multitude de pèlerins qui se dirige vers Nasbinals en quête d’hébergement. Volontairement nous avons choisi un point de chute assez éloigné de ce lieu de passage fréquenté, afin de ne pas nous trouver dans un gîte bondé. Notre choix sera le bon, car une fois encore nous serons seuls dans un lieu très agréable. À proximité pour une somme modique, nous  mangeons comme des gargantuas, mon sommeil en sera troublé !

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

 

Dixième jour : traversée des bordures de la Margeride  75 km

Aujourd’hui le dernier jour de notre errance à travers les causses arrive. Nous n’avons pas la grande forme. S’agit-il d’une baisse de forme ou d’une baisse de moral avec la venue de la fin de ce beau voyage auquel nous rêvions depuis longtemps.

Aumont-Aubrac petite ville symbole de l’Aubrac, nous y faisons une courte halte. Les pèlerins lancés sur les chemins de Compostelle sont nombreux. Je constate qu’effectivement les femmes, lancées dans cette aventure,  sont plus nombreuses que les hommes. Y-a-t-il une explication ? J’en ai entendu plusieurs, mais pas certain de leur véracité et pas toujours politiquement correctes, je me garderai bien de vous les livrer !

Le temps très menaçant nous fait hésiter sur le chemin à suivre. Nous optons finalement pour l’itinéraire le plus direct en direction de Mende. Arrêt à Javols, cité antique, qui a connu une forte expansion à la fin de l’ère romaine. Nous y croisons un groupe de marcheurs engagé sur le chemin de la bête du Gévaudan. Il s’agit d’un nouveau parcours, tout récent, qui lie en quelques deux ou trois cents kilomètres, tous les lieux sur lesquels des victimes de la bête ont été répertoriées, et elles furent nombreuses. Le balisage de ce chemin au parcours en forme de patte se concrétise  à l’aide d’une patte griffue de couleur mauve.

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

Nous finissons par arriver à Mende, là nos chemins vont se séparer. Jean  partira sur Florac pour retourner à sa voiture laissée au Vigan. Evelyne et moi, nous dirigerons vers le Bleymard, où depuis dix jours notre voiture nous attend. En buvant  un dernier café ensemble, alors qu’un orage passe, nous envisageons nos prochains projets, et ils sont légion et concernent tous les continents.  Evelyne envisage l’Asie, Jean un retour en Amérique du Sud et pour ma part une traversée  des USA par sa côte pacifique me tente bien. Mais partir n’est pas toujours si facile malgré l’envie. Bien souvent les excuses, prétextes en tous genres, ou obligations réelles ou imaginaires pour rester s’accumulent. Pourtant,  en définitive il faut  toujours décider de partir et cela  malgré le doute et la douleur. On verra donc un peu plus tard pour les décisions, qui comme toujours ne seront pas faciles à prendre.

Sur ces considérations philosophico-voyageuses nous nous séparons. Evelyne et moi avons trente kilomètres de montée à parcourir pour rejoindre le gîte des Alpiers au-dessus du Bleymard. De manière étonnante la fatigue du matin a fait place à une forte envie d’appuyer sur les pédales. C’est à vive allure que nous parcourons cette dernière portion de route montante. Nous rattrapons un couple d’Anglais lancés dans une traversée de la France d’ouest en est (d’Arcachon au col Agnel dans les Alpes). Nous discutons un long moment et nous échangeons nos adresses. Ce sera la dernière surprise de ces dix jours de pérégrination dans cette merveilleuse région du centre de la France.

 

méjean,aubrac,sauveterre,aigoual,lozère,jonte,dourbie,tarn

 

Ces escapades à vélo qu’elles se situent en France ou de l’autre côté de la planète, qu’elles durent trois, dix jours,  ou qu’elles s’étalent sur plusieurs mois nous apportent une telle joie, de telles satisfactions dans l’effort physique et la découverte de régions toujours différentes, que dès que la fin approche, nous nous projetons déjà dans le prochain périple. En ce qui nous concerne Evelyne et moi, il devrait s’agir d’une traversée des Alpes françaises par  les grands cols.

J’apprends que cette magnifique région des Cévennes et des Causses vient d’être classée, ce jour-même, patrimoine mondial de l’UNESCO, et cela sur une superficie de 300 000 hectares. Cela fait une raison supplémentaire pour aller à la découverte de ses trésors cachés au fond des gorges, au pied des falaises et sur les plateaux, là où l’espace s’agrandit et où les nuages parfois  donnent un petit air  d’altiplano bolivien.