09/08/2010
Voyage en Ouzbekistan juillet août 2010
Samarkand, Boukhara, Khiva sont des villes anciennes, même très anciennes, chargées d’histoire. Pour moi ces contrées lointaines où de puissants monarques conquérants, guerriers à l’ardeur indomptable, avaient érigé par la force et la guerre des empires gigantesques, représentaient un ailleurs presque inaccessible. Les enjeux qui exacerbaient les convoitises des grandes puissances qu’étaient la Russie et l’Angleterre, bien décrits dans le livre « le Grand Jeu », n’ont fait que renforcer pour moi cette impression de zone lointaine, baignée de mystère et de sauvagerie.
Lorsque l’occasion se présente de partir faire un petit tour d’une quinzaine de jours en Ouzbékistan, je n’hésite pas une minute. Bien sûr, une petite appréhension m’effleure. Ces villes mythiques existent-elles encore vraiment de nos jours ? La mondialisation ou « globalisation » ne leur a-t-elle pas enlevé tous leurs charmes ? La Samarkand que nous voulons visiter, est-elle encore celle dans laquelle Ella Maillart a séjourné en 1933, lors de son grand périple à travers l’Asie centrale? Les chemins millénaires de la route de la soie ont-ils laissé des traces tangibles nous permettant de revivre cette extraordinaire aventure qui liait la Chine à l’Occident? Nous verrons bien et partons.
Ces cités, nous les avons découvertes dans l’ordre suivant : Khiva, Boukhara et Samarkand.
La première impression en arrivant à Khiva, en provenance presque directement de France, de plus à la nuit tombée, ville presque déserte, ne se révélant qu’à la lumière de l’éclairage des réverbères, est vive.
Boukhara avec sa place centrale occupée par un immense bassin très profond, douze mètres, est aussi très surprenante et accueillante.
Et bien entendu, le bouquet du voyage, la prestigieuse Samarkand avec sa place du Rajasthan, est à première vue « décoiffante ».
Mais au-delà de ces premières émotions, la promenade à travers ces villes aux médersas, mosquées et mausolées généralement rénovés et clinquants, fait découvrir au fur et à mesure une autre réalité. Des villes musées, qui ont perdu leur vie d’autrefois, et qui essayent de ressusciter un passé et n’y réussissent pas vraiment. Elles semblent comme figées dans une évocation qui a perdu son âme d’antan.
Tout n’est que motif à capter quelques euros aux touristes que nous sommes, même si cela se fait avec beaucoup de courtoisie, de gentillesse et des sourires. Du prix d’entrée dans chaque édifice, de la taxe de photographier, de la multitude de vendeurs de bibelots de toutes espèces qui sont installés au cœur même de tous les bâtiments, sans oublier le policier ripoux qui fait du racolage pour vous conduire au sommet d’un minaret interdit au public au beau milieu de l’un des plus spectaculaires sites du pays.
Je dois reconnaître que ces trois villes, certes à l’architecture superbe, m’ont laissé un petit goût d’amertume, déception due au décalage entre ce qu’elles sont et l’idée que je m’en faisais à travers tous les récits concernant d’intrépides guerriers et des espions s’exposant à tous les dangers selon le bon vouloir des émirs de l’époque. Certes de sentiment s’insatisfaction je m’y attendais. La civilisation moderne fait son chemin vers une standardisation et une uniformisation des modes de vie, et cela est d’autant plus sensible dans les agglomérations. Le voyage doit s’inscrire dans un long cheminement et dans la lenteur. Dans notre monde occidental, où nous courons toujours après les heures, les minutes et les secondes qui semblent nous couler entre les doigts sans espoir de les retenir, le mot lenteur est banni. Il nous faut consommer, rentabiliser, amasser les visites et les photos qui vont avec. La notion de réussite est bien souvent liée au « beaucoup » et à l’absence de moments de repos considérés comme des pertes de temps voire des lacunes dans le programme. On a oublié bien souvent, que les choses se méritent autrement qu’en payant et que le rapport quantité prix, faisant un ratio permettant de décider si la prestation est bon marché n’est pas un bon critère.
De ce grand pays nous en avons vu d’autres facettes. En particulier la ville de Nurata, moins exubérante dans son architecture, mais j’y ai ressenti une émotion forte à la vue des reste de la forteresse d’Alexandre le Grand. Ce dernier y a séjourné six mois trois siècles avant notre ère. Sur son ordre a été construite sur la colline dominant la cité une forteresse dont il subsiste des traces, qui s’élancent à l’assaut du ciel, rappelant toute la puissance de ce grand conquérant. Cet ouvrage était constitué de briques et de terre séchée. J’ai été stupéfait de constater que des pans entiers de ces matériaux qui semblent si légers, aient traversé plus de deux mille ans. Il ne faut pas oublier que le climat particulièrement contrasté, chaleur en été et froid terrible en hiver, est un agent de démolition et de désagrégation puissant, qui lui a le temps et le prend pour accomplir son irrémédiable travail de sape.
Très surprenant dans cette ville de Nurata, un grand ensemble de deux mosquées est en pleine rénovation. Elles ont été érigées au pied d’une source abondante qui est considérée comme miraculeuse. Une eau limpide sourd de la montagne avec prodigalité et alimente un grand bassin peuplé d’une multitude de truites de belle taille. Je vais vous raconter une expérience que chacun de nous peut faire et qui pour tout pêcheur normalement constitué paraîtra soit relever de l’hallucination soit directement liée à l’aspect miraculeux du lieu. Notre guide nous a fourni d’énormes poignées de luzerne, oui de luzerne, celle que l’on donne à brouter aux ânes et aux chevaux, et nous a demandé de les jeter aux poissons. Avec un ensemble sidérant toutes les truites appréhendent le lieu ou la touffe d’herbe va tomber et tous les museaux sortent de l’eau en convergeant vers le lieu d’impact. Cette dernière semble ne même pas toucher l’eau et est immédiatement engloutie par des centaines de gueules avides. Et vous avez beau répéter l’opération à satiété, le même phénomène se produit, et étonnamment pas le moindre petit bout de feuille ne surnage dans cette eau cristalline. Un vrai miracle !
En quittant cette ville, alors que nous nous étions arrêtés à un petit collet en plein désert, pour aller regarder quelques pétroglyphes, dessins laissés sur les pierres par les chameliers au cours des millénaires passés, je vois un couple de jeunes cyclistes aux montures lourdement chargées. Ils grimpent la côte en venant vers nous. Je me précipite et leur demande s'ils parlent français. Leur réponse est immédiate: "Bien sûr nous venons de Bordeaux que nous avons quitté il y a cinq mois". Leur voyage doit les conduire en Inde et ils n'en sont qu'au tiers. Bien entendu ils sont sur VoyageForum et j'ai gardé le contact, et dès mon retour, je leur ai envoyé les photos que j'ai faites d'eux repartant dans le désert!
Nous avons parcouru des milliers de kilomètres à travers tout le pays une partie en avion et une partie en minibus. Nous avons pu constater que le désert occupe la plus grande partie de ce territoire. Quelques grands fleuves comme l’Amoudariya permettent à de vastes zones vertes de se développer à travers les sables arides.
On nous avait concocté quelques expériences chez l’habitant, avec nuit sous la yourte traditionnelle. D’un air quelque peu moqueur ma compagne fait remarquer, que l’on va au bout du monde pour tester la nuit sous la yourte, alors qu’à cette époque de l’année on dort surtout dehors et absolument pas dans la yourte. Là encore, le côté « touriste posé » pour la nuit dans la chaleur et dans des conditions d’hygiène précaire donnait à la situation une impression de dérision quant au tourisme que nous pratiquions.
Posés dans le désert, c’est le mot. Chacun réagit à sa manière. A plusieurs reprises nous ferons cette expérience. Dans le groupe que nous formions, chez certains ces longues attentes de l’après-midi ont généré une forme d’impatience, une sensation de perte de temps, le rythme étant comme cassé. Pourquoi ne nous proposions-nous pas quelque activité?
On en revient toujours à la démarche, chacun la sienne. Le voyage organisé n’est pas propice aux changements de rythme, on s’inscrit dans le mouvement dirigé par l’accompagnateur, et les pauses peuvent être vécues comme une forme d’abandon ou de lacune dans le programme. En revanche, le voyage à pied ou à vélo, s’inscrit dans la lenteur et la contemplation à l’allure des caravanes des siècles et millénaires précédents. Tout naturellement l’arrêt entre dans la démarche, il est même attendu avec envie, car la fatigue physique des muscles qui ont travaillé est l’un des éléments importants qui conditionnent le voyage. L’engagement physique dans le voyage, lorsqu’on y a goûté devient indispensable pour que l’on ressente cette sensation d’éloignement. A notre époque tout devient trop relatif, mille kilomètres en avion représentent un saut de puce, cent kilomètres à vélo une jolie randonnée et un kilomètre dans une paroi verticale une grande aventure. Donc à n’en pas douter, arriver au milieu du désert sur un tertre, où s’épanouissent quelques yourtes, procurera des sensations différentes selon le mode de locomotion. Y être arrivé à pied en voyant la silhouette de ces habitations se découper sur le ciel depuis des heures, en ayant parfois la sensation que jamais on ne les atteindra, prédispose à la méditation et à la contemplation lorsqu’enfin le but est atteint. Mais si on y accède à l’aide d’un minibus dans lequel s’entasse un groupe de touristes, l’imprégnation à l’esprit du lieu ne peut pas se faire et bien naturellement on éprouve une grande difficulté, voire une impossibilité, à s’en imprégner. D’ailleurs ce type de moyen de déplacement qu’est la voiture, n’annihile-t-il pas cette démarche de se laisser guider par l’esprit des lieux visités. Jamais, ou tout du moins rarement, dans un voyage à rythme lent on ressent une impression d’oisiveté, ce qui n’est pas le cas lors de déplacements plus mécanisés.
Cependant au cours de l‘une des soirées sous une yourte, nous avons vécu un moment de grande émotion. Le propriétaire du lieu a saisi son instrument de musique à cordes et a entamé une série de chansons. Il s’agissait de mélopées douces et tristes aux sons mélodieux, rehaussés de rimes harmonieuses. Son épouse assise à côté de lui, en ouvrant à peine la bouche, sans pratiquement un seul mouvement, comme si elle susurrait, l’accompagnait de sa voix, exactement dans le rythme et sur la modulation. Ce fut un moment très émouvant et nous en avons redemandé. Rarement un chant ne m’a ému à ce point. Au cours de ces deux semaines, nous avons assisté à d’autres spectacles, mettant en œuvre plus de moyens et produits par des professionnels, mais jamais je n’ai ressenti cette émotion devant un art accompli.
La visite des forteresses du désert qui formaient un réseau de lieux sécurisés par de grandes murailles a été très intéressante. Il n’en reste que les enceintes au milieu desquelles de vastes zones vides subsistent. Il faut s’imaginer qu’il y a plus d’un millénaire une population nombreuses habitait ici. Les conditions d’existence paraissent extrêmement difficiles. Cela me fait penser un peu aux citadelles du vertige, les châteaux cathares sur leurs pics rocheux au sud de la France. A l’époque où ces forteresses du désert étaient habitées, elles dominaient des plaines fertiles baignées par les eaux d’un fleuve. Mais les Arabes dans leur avance voulant les conquérir et soumettre leurs habitants, au lieu de les attaquer directement, ont préféré détourner le fleuve et rendre la région inhabitable. Les forteresses ont été contraintes de se rendre sans combattre.
Cette expérience que nous avons vécue durant deux semaines ne restera pas pour moi comme un souvenir impérissable. Cependant ce voyage je désirais le faire, car cette région du monde, depuis l’aube des temps, zone de contacts de civilisations différentes, de par son histoire tumultueuse depuis longtemps attisait ma curiosité. Pourtant je dois reconnaître que notre guide ouzbek était particulièrement compétent et agréable. La formule qui faisait alterner logements très rustiques et hôtels de bon niveau était pleine de surprises, ce qui n’était pas pour me déplaire. Le voyage reste cependant pour moi affaire d’efforts physiques pour en quelque sorte conquérir et mériter la route. Mais je ne m’érige pas en censeur, je ne juge pas la ou les manières de voyager, j’exprime la façon de voyager qui fait naître chez moi des sensations et des émotions. Le voyage, sans doute, avant toute chose est intérieur. Comme disait Saint Exupéry : seule compte la démarche, car c'est elle qui dure et non le but qui n'est qu'illusion du voyageur qui va de crête en crête pensant que l'objectif seul est important.
Je pense aussi que l’intérêt du voyage nait du dépouillement dans lequel vous l’abordez. Dans ce cas vous vous mettez à la merci des autres et vous êtes plus à même de nouer des contacts autres que directement liés à l’argent. Un peu à la manière des pèlerins qui font vœu de pauvreté. Cela me remémore un livre splendide : Un chemin de promesse d’Edouart et Mathilde Cortès, 6000kilomètres à pied et sans argent de Paris à Jérusalem. Une autre grande voyageuse, plutôt nomade m’inspire beaucoup dans mon mode de voyage, Isabelle Eberhardt, jeune femme morte à 27 ans emportée par un oued en crue. Les ouvrages qu’elle a laissés sont empreints d’une pensée profonde. Je citerai une phrase qui à elle seule peut amener à déterminer sa propre voie dans la vie et sa propre philosophie du voyage: « Jadis, quand je ne manquais de rien matériellement, mais quand je manquais de tout intellectuellement et moralement, je m’assombrissais et me répandais sottement en imprécations contre la vie que je ne connaissais pas. Ce n’est que maintenant, au sein du dénuement dont je suis fière, que je l’affirme belle et digne d’être vécue ».
Notre retour s’est fait un soir sur Paris où nous avons passé la nuit. Le lendemain un TGV matinal nous a conduits à Lyon. Ce trajet Lyon Paris en train que j’ai du effectuer une bonne centaine de fois reste pour moi un spectacle éblouissant. La campagne française défile à vive allure, avec ses perspectives immenses sur les champs, les forêts, les collines et les villages. Un jour au pied d’un arbre, alors que nous foncions à 250 kilomètres à l’heure, j’ai eu le temps de remarquer un gros champignon. Je me promets qu’un jour je ferai ce chemin si court en train, à pied. La France j’adore !
Avec une année de recul j'apporte quelques précisions suite à des remarques qui m'ont été formulées:
Pour revenir sur la réflexion qui a été faite sur ce texte que j’ai posé il y a presque un an (le temps passe) : Évidement comme on l'a dit, ces réflexions peuvent s'appliquer à tous les voyages
Eh bien je dirais, je ne pense pas. En effet mon ressenti de villes figées dans un décor de musée (et cela ne pose aucun jugement sur les aspirations de la population), il y a des tas d’endroits où je ne l’ai pas ressenti. En Iran et au Pakistan dans des villes comme Shiraz ou Lahore il y a déjà longtemps je n’ai pas ressenti les mêmes sensations.
Dans les Balkans que ce soit au Kossovo dans la capitale historique Prizren, ou en Macédoine à Gostivar chez les Bektachis (une branche musulmane) ou encore dans des petites mosquées d’Albanie, ou l’imam vient vous parler de sa mosquée, ou alors dans les monastères orthodoxes dans différents pays balkaniques (Albanie, Macédoine, Monténégro) j’ai ressenti une vraie présence en particulier religieuse que je n’ai ressentie en Ouzbékistan. Mais cela ne veut pas dire que je dénigre qui que ce soit. Il faut dire que j’ai tellement lu de livres sur ces régions lointaines ( que ce soit les récits de Ella Maillart, qui arpentait ces coins vers les années 1930, les ouvrages de Bernard Olivier et sa grande marche, ou alors le splendide livre « le grand jeu », relatant la guerre que se menaient les espions anglais et russes au 19 ème siècle au péril de leur vie, car les Occidentaux étaient immédiatement abattus par les autorités locales dès qu’ils étaient découverts, et puis d’autres qui ne me reviennent pas en mémoire mais qui y ont laissé leur empreinte) que ce pays je m’en faisais un véritable mythe, et que lorsqu’on idéalise quelque chose on est forcément un peu déçu lorsqu’on est confronté à la réalité. Un rêve lorsqu’on le réalise on a l’impression d’avoir perdu quelque chose.
Des villes qui m’ont vraiment marqué par leur passé historique et les sensations que j’y ai ressenties, j’en citerai deux particulièrement :
1) Istanbul, Sainte Sophie et pourtant c’est un musée, et sa mosquée bleue, lorsqu’on va écouter le Muézin à la tombée de la nuit dans sa grande cour on est totalement envoûté, ses mosquées de la rive asiatique, alors que j’en visitais une qui était déserte seulement peuplée de chats, je m’arrête pour les caresser et alors l’imam arrive et je lui demande pourquoi il y a tous ces chats dans la cour de la mosquée, il regarde au ciel et me répond : c’est Allah qui les a envoyés et qu’il est de mon devoir de les nourrir.
2) Sarajevo avec ses petites mosquées aux minarets de bois, souvent noirs et ses cimetières aux tombes blanches multi centenaires qui s’agrippent aux multiples collines, ces pierres tombales éclatantes qui débordent de l’enceint symbolique du cimetière et qui colonisent les espaces herbeux libres en bordure de rue. Voilà dans ces moments on sent remonter tout le vécu d’un pays.
L’Ouzbékistan je crois vraiment que tout son passé historique a souffert de l’époque communiste qui a tenté justement de le faire disparaître pour mieux intégrer ce pays à l’URSS. C’est l’histoire, et cela n’est pas porter un jugement péjoratif sur le pays et ses habitants. Avec le recul d’une année je garde d’autant plus un souvenir très bon de ce voyage que j’y ai fait. Ces lieux avec le temps vont peut-être à nouveau être réinvestis par l’âme ouzbèke et alors ces centres touristiques, qui ne sont pour le moment plus que touristiques vibreront à nouveau aux ondes d’un passé réel et immensément riche.
Voilà tout simplement ce que je voulais exprimer sans me permettre de juger qui que ce soit. Mais je ne suis pas un grand historien et mes perceptions sont peut-être erronées.
17:28 Publié dans agence voyage, Voyage | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : ouzbekistan, tamerlan, samarkand, boukhara